AS (2012) CR 04

SESSION ORDINAIRE DE 2012

________________

(Première partie)

COMPTE RENDU

de la quatrième séance

Mardi 24 janvier 2012 à 15 h 30

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 15 h 35 sous la présidence de M. Mignon, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT – La séance est ouverte.

1. Élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (suite)

LE PRÉSIDENT – Je vous rappelle que nous procédons ce jour à l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Le scrutin se déroulera dans la rotonde située derrière la présidence jusqu’à 17 heures.

Je rappelle aux deux scrutateurs désignés ce matin, MM. Valeriy Fedorov et Neugebauer, qu’ils doivent se trouver dans la rotonde derrière la présidence à 17 heures précises. Le résultat du scrutin sera annoncé si possible avant la levée de la présente séance ou, à défaut, à l’ouverture de la prochaine séance.

Le scrutin est ouvert. Nous continuons nos travaux.

2. Le droit de chacun de participer à la vie culturelle

LE PRÉSIDENT – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion de l’excellent rapport de Mme Marland-Militello, au nom de la commission de la culture, de la science, de l’éduction et des médias, sur « Le droit de chacun de participer à la vie culturelle » (Doc. 12815). Nous aurons ensuite le plaisir et le privilège d’entendre Mme Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco.

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance de lundi matin, de limiter le temps de parole des orateurs à trois minutes. Afin de laisser le temps nécessaire au bon déroulement du dernier débat de l’après-midi, nous devrons interrompre la liste des orateurs vers 18 h 15. Nous entendrons par la suite la réplique de la commission et nous procèderons aux votes nécessaires.

En l’absence d’opposition, il en est ainsi décidé.

Madame la rapporteure, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs. Vous avez la parole.

Mme MARLAND-MILITELLO (France), rapporteure de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias – Monsieur le Président, Madame la directrice générale de l’Unesco, chers collègues, ce rapport est parti d’un constat, qui est sa raison d’être : par-delà les discours constants en faveur de la démocratisation culturelle, les politiques nationales ne permettent pas, en termes de moyens humains et financiers, de traduire de façon effective et équitable dans la réalité la participation de chacun à la vie culturelle, et ce en dépit de la richesse des initiatives et des projets.

Et pourtant, l’accès et la participation à la vie culturelle sont essentiels : ils permettent d’équilibrer le champ du sensible et le champ de l’intelligence, qui s’enrichissent mutuellement pour l’épanouissement de la nature humaine. Ce droit naturel est donc au cœur des droits de l'homme puisqu'il offre la possibilité pour chaque être humain de prendre pleinement conscience de son identité et d'exercer de façon responsable ses autres droits.

Comment améliorer de façon concrète ce droit fondamental ? Je vous propose quelques pistes, autour du rôle de l’Etat et des collectivités territoriales, de la place de la jeunesse, et du désir de culture.

Tout d’abord, le rôle des pouvoirs publics est très important : ce sont eux qui possèdent la maîtrise des politiques globales sur le territoire. Ils doivent veiller à un dosage équitable entre une obligation d'action, pour favoriser une égale participation à la vie culturelle, et une obligation d’abstention, pour observer une neutralité respectueuse des libertés de choix de chacun, artistes et public.

Parallèlement, trois leviers doivent être renforcés. Il faut impulser des synergies pour décloisonner les différents secteurs d’activité humaine : synergies entre les différents secteurs gouvernementaux – éducation, culture, jeunesse, recherche, numérique – ainsi que synergies entre opérateurs publics et opérateurs privés. Il faut par ailleurs renforcer la dimension transfrontière de la culture. Il s’agit de mettre en place des réseaux de partenariats, avec un partage enrichissant pour la diversité culturelle et une mutualisation des moyens, qui en réduit les coûts.

Autre levier, les modalités de financement public sont à revoir, en évitant, comme c’est trop souvent le cas, que le financement de la culture soit une variable d'ajustement des contraintes budgétaires.

Il faut également assurer la pérennité des soutiens financiers aux opérateurs publics pour les expériences probantes par-delà les clivages et alternances politiques qui sont le propre de nos démocraties.

D’une façon générale, il faut conditionner les financements publics des opérateurs culturels aux résultats obtenus, en particulier en ce qui concerne leur contribution à la démocratisation culturelle et au développement de partenariats nationaux et internationaux, avec une attention particulière sur leur aptitude à adapter leur médiation artistique et culturelle en fonction des publics, des plus jeunes aux plus anciens, en direction de tous les publics éloignés de la culture par leurs conditions de vie socio-économiques, géographiques ou par leur handicap. La culture du résultat doit être au cœur du financement public.

Enfin, c’est le troisième volet du rôle de l’Etat, il faut que les Etats assurent un système de protection de la création, en particulier sur internet.

La révolution numérique est positive pour la démocratisation culturelle, mais les atteintes aux droits de propriété intellectuelle font peser une menace grave sur la création de demain. Il s’agit de continuer à offrir aux jeunes créateurs les moyens d’envisager une activité professionnelle artistique économiquement viable. C’est essentiel pour préserver la pérennité et la diversité du monde culturel.

Pourquoi accorder une importance particulière à la jeunesse ? Parce que les jeunes incarnent à la fois le présent et l’avenir. La jeunesse est une période de la vie où se construit la personnalité d’adulte. C’est un devoir national que d’offrir aux jeunes les chances que leur milieu social et géographique ne peut leur procurer. C’est également en ayant la volonté de promouvoir leur épanouissement culturel que l’on favorisera, par ailleurs, à terme, la participation du plus grand nombre de citoyens adultes à la vie culturelle. Enfin, susciter des vocations chez les jeunes artistes assure la pérennité et la diversité de la création artistique et culturelle, qui enrichit le présent et qui enrichira le patrimoine de demain, que nous lèguerons à nos enfants.

Comment faire ?

Je vous propose de repenser d’abord le rôle de l’école qui est le lieu, par excellence, de l’égalité des chances pour compenser l’inégalité de fait des conditions de vie des jeunes.En particulier, il faut prévoir une éducation aux arts obligatoire dans les systèmes éducatifs nationaux, avec une initiation aux arts des futurs enseignants et une prise en compte de la dimension artistique dans toutes les matières enseignées. Car si apprendre à lire et à compter est fondamental, apprendre à voir, à entendre et à sentir l’est tout autant.

A partir de ces savoirs, repenser l’école comme un espace de liberté d’expression artistique et culturelle, un lieu de rencontres multiples entre élèves et œuvres, entre élèves et artistes, un lieu de vie avec des espaces dédiés à la création, avec des résidences d’artistes en milieu scolaire, avec toujours la volonté de visites culturelles extérieures pour donner envie aux jeunes de voir, entendre et sentir. Sans cette envie, que j’appellerai le désir de culture, tous les moyens mis en œuvre, toutes les offres proposées ne connaîtront qu’un succès limité auprès de nouveaux jeunes publics et ne susciteront pas l’émergence souhaitée de jeunes talents.

Comment passer d’une culture réservée à des clubs d’initiés à une vie culturelle partagée par le plus grand nombre ? En la rendant vivante et attractive, en particulier en partant du contemporain pour revenir au patrimoine traditionnel.

Pour atteindre les jeunes publics, il faut saisir les nouveaux modes de consommation et de création culturelles rendus possibles par les technologies de l’information et de la communication. Il faut promouvoir les créations pluridisciplinaires conçues via et pour le réseau internet, par exemple le « net art » qui utilise les techniques numériques interactives entre internautes et artistes. Il faut mettre la culture en mouvement en connectant les espaces virtuels aux espaces culturels patrimoniaux, en organisant des visites à l’intérieur de cet espace virtuel, en augmentant la réalité de façon à la rendre extrêmement vivante.

D’une façon générale, il convient de donner une priorité aux projets qui offrent l’opportunité à chacun d’entre nous de dépasser le stade de bénéficiaire d’une offre culturelle à celui d’acteur plus ou moins actif d’une culture en mouvement.

Et pour toutes les générations, il faut favoriser le développement des pratiques amateurs en proposant des offres de proximité ouvertes à des choix diversifiés, adaptées aux différentes catégories de population et accessibles aux revenus les plus modestes.

Il faut renforcer également les efforts envers toutes les formes de spectacles vivants, envers leurs festivals, envers toutes les formes d’exposition d’œuvres d’art, car tout cela s’exprime dans des lieux de vie, dans des lieux de rencontre et de partage entre publics ainsi qu’entre publics et artistes, chacun pouvant exprimer son ressenti et être à l’écoute de celui des autres.

Chers collègues, l’exercice effectif de toutes les potentialités artistiques de chacun d’entre nous est l’une des composantes essentielles des droits culturels. Non seulement il contribue à l’épanouissement de la personnalité de chacun, mais également grâce aux liens culturels et au dialogue interculturel, il contribue à la promotion du bien vivre ensemble au sein d’une société, d’un pays, ainsi qu’entre les peuples, favorisant ainsi la cohésion des citoyens du monde.

LE PRÉSIDENT – Merci, Madame la rapporteure, quel talent ! Je me disais en vous écoutant et en vous regardant - nous sommes un certain nombre à avoir apprécié cette présentation - qu’il était dommage que seule une partie de l’hémicycle ait pleinement pu vivre cette présentation. Si vous vous étiez exprimée au pupitre qui est devant moi, c’est l’ensemble de l’hémicycle qui aurait pu profiter de votre fougue !

Votre exposé était très intéressant. Il vous restera quatre minutes pour répondre aux orateurs.

Maintenant, nous allons avoir le plaisir d’entendre Mme Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco.

Madame, comme je vous l’ai dit ce matin en vous recevant, la culture et l’éducation tiennent une place particulièrement importante dans cet hémicycle. Nous considérons que la possibilité de pouvoir s’éduquer et de profiter, comme l’a si bien dit Muriel Marland-Militello, d’une éducation culturelle et de vivre la culture que l’on a envie de vivre constitue l’un des droits fondamentaux de l’homme.

Qui mieux que vous, chère Madame, pouvait traiter ce sujet à cette tribune de l’Assemblée parlementaire ? Permettez-moi de vous adresser mes félicitations sur la manière dont vous pilotez cette grande maison qu’est l’Unesco. C’est avec un grand plaisir, Madame, que je vous invite à vous exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Mme BOKOVA, directrice générale de l’Unesco – Monsieur le Président, je vous remercie pour ces paroles si aimables.

Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de l’occasion que vous me donnez de m’exprimer devant cette auguste Assemblée. C’est un plaisir et c’est un honneur de prendre part à ce débat sur le droit à participer à la vie culturelle.

L’Unesco œuvre directement pour promouvoir les droits culturels, les décliner et les transcrire dans les politiques publiques. C’est le cœur de notre action. Les droits culturels font partie intégrante des droits de l’homme. Le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle de son choix est un élément essentiel des droits de la personne. Ces droits sont reconnus par la Déclaration universelle de 1948. Ils sont rappelés à l’article 5 de la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle adoptée à l’unanimité en 2001. « Toute personne doit ainsi pouvoir s'exprimer, créer et diffuser ses œuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle; toute personne a le droit à une éducation et une formation de qualité qui respectent pleinement son identité culturelle; toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles, dans les limites qu’impose le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

En dépit de cette déclaration, les droits culturels n’ont pas reçu la même attention que les autres domaines du droit de la personne. Il y a au moins trois raisons à cela qui constituent autant de domaines d’actions prioritaires d’une coopération entre l’Unesco et le Conseil de l’Europe.

Tout d’abord, c’est la tendance à considérer les droits culturels comme un domaine à part, voire comme un luxe dans l’édifice des droits de l’homme. Ce problème n’est d’ailleurs pas nouveau. Dès l’origine, la communauté internationale a ressenti le besoin de préciser la nature et l’étendue de ces droits afin qu’ils soient aussi effectifs que les autres. Depuis plus de 65 ans, l’Unesco a ainsi contribué à construire le cadre normatif de référence sur ce sujet en précisant à chaque fois une nouvelle facette de la culture – matérielle ou immatérielle – et en étant de plus en plus précise quant aux modalités d’accès et de contributions à la vie culturelle. Chaque nouvelle convention de l’Unesco, celle de 1972 sur le patrimoine mondial – dont nous fêterons cette année le quarantième anniversaire –, celle sur le patrimoine culturel immatériel adoptée en 2003 ou celle sur la diversité des expressions culturelles, adoptée en 2005, a apporté une pierre à l’édifice des droits culturels. Le droit de participer à la vie culturelle peut ainsi s’appuyer aujourd’hui sur un socle beaucoup plus solide et précis.

Durant toutes ces années, l’Unesco a été le moteur d’une reconnaissance de plus en plus forte des droits à participer à la vie culturelle. Dans la convention de 1972, le critère pour une inscription au patrimoine mondial était sa valeur universelle exceptionnelle. En 2003, c’est la signification du patrimoine pour une communauté spécifique qui a été retenue : l’accent, en l’occurrence, porte sur le processus de transmission du patrimoine vivant, les moyens d’en conserver les traces mais aussi de soutenir les porteurs et les émetteurs afin de s’assurer du maintien de la diversité culturelle en tant que trait distinctif fondamental de nos sociétés. Il convient en effet de prendre en compte tous ces processus dans la conception et la protection des modèles économiques de la culture, comme nous le faisons par exemple à travers les projets pilotes financés par le plan de l’Unesco pour la diversité culturelle visant à encourager la mobilité des artistes et à garantir le libre accès aux ressources culturelles.

Cette problématique de l’accès est fondamentale avec l’essor des nouvelles technologies, qui constituent certes des instruments d’ouverture au monde mais qui peuvent aussi rétrécir notre horizon culturel. C’est pourquoi l’Unesco se mobilise pour assurer la liberté d’expression, le libre accès à la diversité des contenus et le multilinguisme dans le cyberespace. L’enjeu est que tous les projets pilotes, toutes ces causes liées à la protection du patrimoine, à sa diffusion, au libre accès à la diversité des expressions culturelles, soient pleinement intégrés dans les politiques publiques nationales ou régionales. Tant que les politiques de développement ne seront pas sensibles à la réalité culturelle des sociétés, elles ne pourront pas mobiliser les populations. La culture est une boussole grâce à laquelle les êtres humains interprètent les éléments de leur vie. C’est la grille de lecture qui leur permet de s’approprier leur développement et de lui donner un sens. Les notions de dignité et d’aspiration à un avenir meilleur s’expriment toujours dans un cadre culturel précis et sont toujours liées à des perceptions, à des images de beauté et d’harmonie véhiculées par les arts, la musique et les travaux des chercheurs. Sans accès à cette vie culturelle, sans participation active de chacun à l’élaboration de ces représentations, aucune vision de développement ne peut s’inscrire dans la durée car les populations concernées ne peuvent pas se l’approprier ou s’y projeter.

Ce divorce entre les aspects matériels du développement et les représentations culturelles qui lui donnent un sens constitue le principal obstacle, dans nombre de cas, à la durabilité du développement. C’est l’argument clé de l’indivisibilité de la culture et de ce dernier. Cela est également vrai lorsque nous cherchons à construire une citoyenneté démocratique forte. Donner accès à la vie culturelle, c’est multiplier les options pour se développer et renforcer la cohésion sociale. Nous le voyons dans les pays qui cherchent à se reconstruire, tels que la Tunisie, l’Egypte ou la Libye : ils s’appuient sur leur patrimoine culturel millénaire comme moteur de développement, source de dignité et d’identité commune. La même chose s’est d’ailleurs produite en Europe après la chute du Mur de Berlin.

L’Unesco a fait de ce sujet une priorité stratégique. Nos efforts ont ainsi conduit à l’adoption de plusieurs résolutions des Nations Unies, en décembre 2010 et 2011, qui pour la première fois reconnaissent clairement le rôle de la culture pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement. L’Unesco développe une suite d’indicateurs statistiques afin d’évaluer l’impact de la culture sur le développement. L’une des composantes que nous devons mesurer est justement le niveau de participation à la vie culturelle. Sur cette question, je souhaite que nous travaillions plus étroitement avec le Conseil de l’Europe.

Cette année, le Sommet de Rio + 20 sur le développement durable nous appelle à mobiliser les savoir-faire autochtones, tous ces systèmes de connaissance que les hommes et les femmes ont créés pour gérer leur environnement de façon durable – la forêt, les océans – et qui sont liés à leurs cultures. L’Unesco veut rassembler ces connaissances comme autant de ressources culturelles de développement durable.

Le relatif sous-développement des droits culturels par rapport aux autres domaines des droits de l’homme s’explique aussi par les difficultés à appréhender et à codifier des pratiques aussi complexes. La participation, c’est bien autre chose que l’accès au patrimoine ou aux biens culturels : il s’agit du droit à en être partie prenante et co-auteur. Comment peut-on le mesurer et l’encourager ?

La culture se situe bien au-delà du domaine des beaux-arts et englobe tous les traits distinctifs d’une société, y compris le patrimoine immatériel et les pratiques sociales, si souvent oubliées. La définition de la vie culturelle varie ainsi d’une société à l’autre. Dans telle société, les pratiques sont d’abord individuelles et l’on observe la fréquentation des musées, les ventes de CD, les entrées aux représentations théâtrales ; dans telle autre, ce sont des pratiques essentiellement collectives dominées par l’oralité, les groupes de lecture, les cérémonies traditionnelles ; dans telle autre encore, les pratiques culturelles sont indissociables des rites religieux. Il n’existe pas de règle universelle et c’est au prix d’un long travail que l’on peut adopter des mesures qui touchent au plus près de la réalité.

La Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle appelle d’ailleurs le prolongement du travail de clarification des droits culturels. Je me réjouis à ce propos du travail accompli par la commission de la culture de votre Assemblée, dont je remercie la rapporteure. Je suis heureuse que cette recommandation dessine les contours d’une coopération plus forte entre nos deux institutions car il ne sert à rien d’énoncer des droits si leurs bénéficiaires ne peuvent pas les exercer.

Autre raison qui explique la lenteur des progrès dans le domaine des droits culturels : le risque que l’on oppose ces derniers aux autres droits humains. Accorder des droits culturels à des individus ou à des communautés, en effet, est-ce remettre en cause l’universalité des droits de l’homme, est-ce encourager le relativisme ou la communautarisation de l’humanité ?

La position de l’Unesco sur ce point est claire et n’a jamais varié. Lorsque nous disons que les droits culturels sont partie intégrante des droits de l’homme, cela signifie que les droits culturels ne peuvent pas être pensés en dehors de ce cadre. Nul ne peut invoquer la diversité culturelle pour porter atteinte aux droits de l’homme, garantis par le droit international, ni pour en limiter la portée.

Cet aspect fondamental a encore été réaffirmé dans le rapport de l’expert indépendant au Conseil des droits de l’homme de mars dernier. La participation à la vie culturelle doit servir à rendre les échanges culturels plus féconds, plus riches, à élargir les choix de chacun, non pas à encourager le repli sur soi ou l’enfermement communautaire.

Peut-être avons-nous été habitués à penser l’universel d’une part, la diversité culturelle d’autre part comme des éléments antagonistes. Aujourd’hui que la mondialisation relie toutes les cultures entre les Etats et au sein des sociétés, le défi majeur du monde globalisé consiste à articuler l’universel et le particulier, à renforcer l’universalité des droits humains en ancrant ces droits dans les différentes cultures. Certes, c’est un défi, mais il n’est pas insurmontable.

La politique des droits de l’homme la plus imperméable à toute espèce de différence culturelle doit prendre en compte ces différences quand il s’agit de garantir le respect des membres de groupes défavorisés par exemple.

De son côté, le droit de participer à la vie culturelle renvoie à la liberté d’expression et à l’inclusion sociale. Il renvoie au droit égal de chacun, hommes et femmes, de contribuer à la culture et d’y accéder. Il existe des liens étroits entre les principes fondamentaux de la démocratie – liberté d’expression, participation au choix démocratique – et les droits culturels.

Le fait même que des nations de cultures différentes puissent débattre au sein des organisations multilatérales est le signe que cette compréhension mutuelle est possible bien qu’elle soit difficile parfois. C’est par le dialogue que nous pourrons progresser sur cette voie.

Devant cette auguste Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont les membres représentent 800 millions de citoyens de différentes origines, opinions et religions, je trouve 800 millions de raisons d’avoir confiance en l’édification de cette culture commune !

Je vous remercie de votre attention.

LE PRÉSIDENT – Merci beaucoup, Madame la directrice générale, pour la qualité de votre intervention. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée souhaitent également une coopération renforcée avec l’Unesco.

Nous allons commencer la discussion générale.

Trente-huit orateurs sont inscrits. Je vous demande de respecter scrupuleusement votre temps de parole afin que le plus grand nombre d’orateurs puissent s’exprimer.

La parole est à M. Hancock, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

M. HANCOCK (Royaume-Uni)* – Si la grande majorité de mes collègues appuient très certainement le rapport de notre rapporteure, j’émettrai pour ma part quelques réserves, car ce rapport m’a rappelé l’expression : on ne peut forcer à boire un âne qui n’a pas soif. En effet, on peut créer tous les mécanismes possibles ; encore faut-il qu’une étincelle surgisse dans la vie des êtres humains qui leur insuffle le désir d’être inclus dans ce processus qu’est la vie culturelle d’une société.

J’ai grandi en contournant le système éducatif, je n’ai jamais passé d’examens. Il n’en reste pas moins que l’un des grands moments de ma vie a été la lecture. Avant, je consacrais beaucoup de temps et d’énergie au football. C’est lorsque j’ai appris à lire, beaucoup plus tard que les autres enfants, que j’ai pris conscience de ce que j’avais perdu et que j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main. Je vois aujourd’hui encore des enfants qui n’ont pas accès à la lecture, soit parce que leurs parents ne s’y intéressent pas, soit parce ces enfants préfèrent se tourner vers la télévision ou l’internet. Il est vrai que le premier pas est difficile à franchir. C’est pourquoi il faut trouver le moyen de déclencher l’étincelle qui fait que les enfants ont envie de participer à la culture. Ils peuvent en cela être aidés par leurs parents, des amis, des enseignants, qui leur entrouvriront ces portes qui permettent l’inclusion.

Or, à l’heure actuelle, en Europe, trop de portes restent encore fermées. Peut-être certains parents trouvent-ils le prix de l’inclusion trop élevé. C’est ainsi que nous voyons grandir en Europe une génération d’enfants qui n’ont jamais éprouvé ce frisson et cette possibilité de n’être pas simplement des consommateurs mais bien des acteurs de la culture. Nous devons faire notre possible pour offrir à cette jeune génération qui monte cette chance, car un échec équivaudrait, j’ose le dire, à une maltraitance.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme O’Sullivan, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.

Mme O’SULLIVAN (Irlande)* – C’est un droit de l’homme que de participer à la culture. C’est pourquoi je me réjouis de ce rapport très intéressant, qui lance un défi aux membres du Conseil de l’Europe, tant il est vrai que le respect de la culture est fondé sur la démocratie et contribue à un vivre-ensemble harmonieux et à la paix.

Le second défi consiste à tracer les lignes directrices générales des actions à mener pour que dans un pays donné, tout un chacun puisse participer à la vie culturelle, et ce quels que soient son âge, son sexe, sa race, son statut économique ou social, son appartenance à telle ou telle minorité : aucune culture ne doit dominer au point d’entraîner l’extinction d’une autre culture. Si la culture est liée à l’identité – elle s’exprime par notre culture -, il faut être respectueux de la culture des autres. Le débat de ce matin sur la Bosnie-Herzégovine, où prévaut une diversité culturelle, a bien montré à quel point la notion de diversité est centrale. Mais entre le respect d’une forte identité culturelle et la suprématie qui peut en résulter, la limite est parfois floue.

La culture peut aussi être une source de divisions et d’agressions. Dans mon pays, l’Irlande, elle a souvent créé des barrières entre les gens. C’est cela aussi, l’identité culturelle.

De nombreux pays en Europe, dont le mien, opèrent d’énormes coupes budgétaires, et ce sont souvent les domaines de la culture et des arts qui sont les plus touchés. Pourtant, c’est là que l’on peut véritablement promouvoir l’estime de soi et que l’on peut donner aux individus des forces pour affronter les temps difficiles. On constate encore trop d’inégalités dans la participation à la culture, surtout pour les personnes handicapées, les personnes plus âgées, celles issues de familles à faible revenu et parfois pour les femmes dans certains pays. Pour les personnes handicapées, l’accès à certains sites historiques peut aussi être impossible. Je pense qu’à l’avenir, il faudra en tenir compte.

Un projet des Nations Unies a beaucoup fait pour la reconnaissance des droits des personnes souffrant d’un handicap à participer sur un pied d’égalité avec les autres à la vie culturelle. Je citerai aussi l’article 30 qui parle des droits des personnes souffrant d’un handicap à utiliser leur potentiel créatif et artistique.

S’il est important de prendre conscience que des défis restent à relever, je me réjouis de la partie du rapport qui traite de la jeunesse et qui vise à encourager leurs talents. Face aux nombreuses causes de conflits et de discriminations, l’activité culturelle doit être une passerelle vers le dialogue et le respect mutuel.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Kovács, pour le Groupe du Parti populaire européen.

Mme KOVÁCS (Serbie)* – Monsieur le Président, au nom du groupe du Parti populaire européen, je félicite notre collègue Mme Marland-Militello pour son excellent rapport.

Si le droit culturel le mieux connu est le droit à l’éducation, la culture renvoie également aux coutumes et modes de vie de certaines communautés. Le droit de chacun à participer à la vie culturelle est un droit important, et ce d’autant plus que ceux qui sont privés de ce droit perdent la possibilité d’exercer d’autres droits, parce qu’ils ne sont pas pleinement conscients de leur identité. De surcroît, l’accès à différents arts et différentes expressions culturelles contribue à la compréhension et à la confiance qui sont essentielles pour la paix et la réconciliation. L’art et la culture sont donc des vecteurs importants, qui permettent de partager et de promouvoir des valeurs dans le cadre d’un dialogue serein.

Par ailleurs, pour les minorités nationales, l’accès à la culture et la participation à la vie culturelle sont essentiels si l’on veut protéger leur identité.

En tant que représentante d’une minorité nationale, les Hongrois de Vojvodine, je voudrais souligner l’importance du dialogue interculturel et multiculturel, qui permet de mieux comprendre nos différences. Il est important d’encourager au niveau local et régional les initiatives culturelles qui ont pour objet de promouvoir la culture, l’histoire et l’économie d’une région.

En effet, promouvoir la culture revient à promouvoir la variété, indispensable pour exercer la liberté de choix. La Vojvodine est une région où l’on peut constater tous les jours combien les droits culturels sont essentiels si l’on veut vivre dans des sociétés multiculturelles. Chacun doit pouvoir se construire une identité en tant que citoyen et en tant qu’individu. Il faut que cela se fasse en harmonie avec l’environnement culturel et social.

En tant que rapporteure de la Convention sur les droits des jeunes, j’ai eu l’occasion de rencontrer près de 500 jeunes venant des quatre coins de l’Europe au cours de ces deux dernières années, et je suis donc ravie de voir que Mme la rapporteure a mis l’accent dans son rapport sur la participation des jeunes à la vie culturelle. La jeunesse, c’est justement la période où l’on apprend, et où l’on acquiert de nouvelles expériences avant que nos positions sociales aient une influence sur nos comportements et nos choix culturels. Il ne faut pas oublier qu’apprendre à lire, écrire et compter est essentiel, mais qu’apprendre à voir, écouter et ressentir l’est tout autant. Il est nécessaire justement de cultiver ce plaisir de l’œil et de l’oreille. Ce sont également des besoins humains essentiels.

LE PRÉSIDENT –La parole est à Mme Karamanli, pour le Groupe socialiste.

Mme KARAMANLI (France) – Monsieur le Président, Madame la rapporteure, chers collègues, notre discussion se tient au moment où, dans l’ensemble des pays de l’Europe, la crise des endettements privé et public conduit à réduire les dépenses publiques, sacrifiant bien souvent ce qui est considéré comme accessoire et non indispensable, car n’étant pas un besoin élémentaire des individus, et notamment les dépenses dédiées à l’éducation et à la culture.

Tout d’abord, je voudrais dire au nom du Groupe socialiste que ce rapport présente un quadruple intérêt : il rappelle que le droit à la culture et à toutes ses formes, qu’elles soient contributives ou créatives, est un droit de l’homme ; il fait de la collectivité et notamment de l’Etat un acteur essentiel de sa mise en œuvre ; il envisage le droit à la participation à la vie culturelle comme un droit de créance que chacun peut mettre en œuvre en le définissant et en l’adaptant à sa personnalité et à ses besoins. Cet exercice suppose une approche décloisonnée que tente de cerner le rapport. Enfin, il met l’accent sur l’enjeu que ce droit représente pour les jeunes.

Tous ces points nous paraissent positifs et nous devons en remercier Mme la rapporteure, les membres de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, ainsi que tous ceux qui ont apporté leurs réflexions. La participation à la vie culturelle est une manifestation de la citoyenneté et au cœur même de la vie de la cité. Ce droit en est un des fondements et, comme tel, devrait bien plus retenir l’attention des gouvernements. Dans l’antiquité grecque, le lien qui existe entre participation à la vie culturelle et vie citoyenne pouvait se ressentir au théâtre où le monologue devenait dialogue, où l’on traitait des questions de la cité. Lors de concours, le public approuvait ou désapprouvait…

Aujourd’hui, ce lien est toujours vivant, mais il faut le préserver. Ce droit de participation à la vie culturelle est aussi de nature à faire progresser l’égalité. Il incite les individus à donner le meilleur d’eux-mêmes.

La deuxième idée que je retiens du rapport est que les changements à venir ne pourront avoir lieu que si les Etats réalisent un effort massif en faveur de ce droit – ce caractère massif étant, au final, minime, au regard des effets bénéfiques qui peuvent en être attendus. Les politiques doivent donc investir dans la participation de chacun à la vie culturelle et nous en appelons aux gouvernements et institutions internationales pour qu’ils comprennent que ces dépenses en période de crise ne doivent pas devenir des parents pauvres de l’action publique, mais être au cœur d’une politique de développement économique et de remodelage de la société.

Le rapport propose un canevas d’outils et d’institutions propres à inciter les Etats à faire cet effort. C’est un premier pas. Mais la vérité n’est pas dans les outils, elle réside dans la volonté politique de faire autrement, au-delà des mots ! Peut-être faudrait-il montrer aussi en quoi le fait de ne pas agir appauvrirait nos communautés et leur développement.

L’enjeu de ces investissements et remodelages est à la fois culturel et social. La démocratie, dont le Conseil de l’Europe est à la fois le symbole et le garant, n’est pas seulement laissée au libre choix des gouvernants, elle est aussi la promotion de l’accès au droit à la culture et à l’affirmation des capacités de chaque individu par celle-ci.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Heald, pour le Groupe démocrate européen.

M. HEALD (Royaume-Uni) * – Permettez-moi, tout d’abord, Monsieur le Président, de vous féliciter pour votre élection. C’est un vrai plaisir de travailler sous votre présidence.

La culture civilise, c’est un droit humain vital. Elle nous permet non seulement de construire nos sociétés mais aussi des relations entre des peuples différents.

Je suis juste derrière M. Fedorov et je me souviens que la dernière fois que la Russie et le Royaume-Uni ont été en désaccord, les Russes venaient à Moscou, au British Council, assister aux programmes que nous montrions tandis qu’inversement, nous allions admirer leur collection d’art, qui a connu un succès extraordinaire durant toute son exposition à Londres. La culture et l’art sont des passerelles qui nous rapprochent, en même temps qu’un droit humain.

Je suis tout à fait d’accord avec Mme O’Sullivan et M. Hancock : il faut une politique active et engagée pour impliquer les jeunes dans la vie culturelle. C’est primordial. C’était formidable de voir Mme  la rapporteure lancer son appel et j’aimerais rendre hommage à son enthousiasme et à son travail, si détaillé, qui montre les aspects pratiques auxquels il faut s’intéresser pour lever les entraves à l’implication des jeunes dans la vie culturelle, que ce soit l’argent, la situation sociale, le fait de vivre en milieu rural, le handicap, peut-être aussi le manque de lieux de culture.

Le questionnaire parle du rôle clé des écoles en la matière. Disposer d’enseignants bien formés qui comprennent la culture et l’art constitue en effet un premier élément de réponse.

Pour pouvoir prendre plaisir à voir Shakespeare, il faut comprendre ce que sa langue apporte, et cela suppose qu’à l’école il y ait des enseignants expérimentés. Jeune, j’ai vu Shakespeare à Reading, à l’extérieur de l’abbaye. Les ruines étaient utilisées comme décors, c’était un spectacle impressionnant. Mais surtout, notre enseignant nous avait permis de mieux comprendre la pièce qui était jouée. L’art doit donc être intéressant et de qualité.

Pour que la culture soit accessible à tous, il convient d’utiliser tous les moyens mis à notre disposition, tels que la présidence britannique du Comité des Ministres ou l’initiative « So British » à Strasbourg à cette occasion.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Legendre.

M. LEGENDRE (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, à l’heure de la massification de la culture, la proposition de notre collègue Muriel Marland-Militello sur l’institution d’un droit effectif à participer à la vie culturelle pourrait apparaître paradoxale. L’évolution technologique a multiplié les supports pour la réception de la culture : le film n’est plus enfermé dans les salles obscures mais directement accessible chez soi, via le « cinéma maison » ou son ordinateur, le livre est tout aussi papier qu’électronique, quand la musique n’est plus l’apanage d’une salle de concert ou d’une chaîne Hi-Fi mais est désormais compressée sur les téléphones. L’offre culturelle existe donc. Peut-on pour autant totalement s’en satisfaire ?

Je crains que non. La proposition de notre collègue induit la notion de diversité culturelle. Je ne suis pas sûr qu’elle soit totalement garantie par l’évolution technologique et la transformation parallèle du bien culturel en objet de consommation. La massification comme la marchandisation de la culture induisent une forme de standardisation, à rebours donc d’une nécessaire pluralité.

De fait, comment garantir la participation à la vie culturelle de chacun dès lors que sa propre culture, si elle est minoritaire, n’est pas représentée ? C’est donc bien à une révolution de la pratique culturelle moderne que nous invite la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias.

L’Etat, en dépit des contraintes budgétaires qui s’imposent à lui par temps de crise a, à cet égard, tout son rôle à jouer. Je souscris pleinement aux observations de la rapporteure invitant la puissance publique à réévaluer l’éveil culturel au sein des programmes nationaux d’éducation. La participation à la vie culturelle ne sera pleine et entière que si la sensibilité a été au préalable aiguisée. L’école a ainsi un rôle fondamental à jouer. Et je ne parle pas seulement de l’enseignement artistique. Mme Marland-Militello a parfaitement raison de soutenir un décloisonnement des matières destiné à mettre en valeur la dimension artistique de telle ou telle matière. J’y vois même une opportunité en vue de mieux appréhender certaines notions fondamentales, en mathématique comme en histoire, en physique comme en géographie.

Mon propos introductif corrélait massification de la culture, standardisation et évolution technologique. Ne voyez pas dans mon propos une quelconque hostilité à la modernité. Il convient surtout qu’elle soit mieux employée. La dématérialisation de la culture peut constituer une formidable opportunité dès lors qu’elle permet d’accéder à des œuvres dont la diffusion traditionnelle est rendue impossible en raison de leur écho limité.

Cette lumière mise sur le patrimoine ne doit pas pour autant contribuer à fossiliser la culture. Si celle-ci peut constituer un héritage, elle n’a pas pour autant de limite temporelle.

Le rapport de notre collègue appelle notre plus entier soutien, tant il me semble qu’il répond enfin à la crise de la culture dénoncée il y a près de soixante ans par Hannah Arendt.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Blondin.

Mme BLONDIN (France) – « La culture est le début et la fin de tout développement », disait Senghor.

Je me félicite du rapport de notre collègue Muriel Marland-Militello, qui pointe le doigt sur un droit universel insuffisamment défendu dans nos sociétés. Et je la rejoins dans ses recommandations au Comité des Ministres et, à travers lui, aux Etats membres.

L’accès, tout comme la participation à la vie culturelle, reste encore complexe, et je pense même qu’il connaît un recul dans le contexte de crise économique, sociale et morale, de repli sur soi et aussi de marchandisation de la culture.

La culture est un vecteur d’épanouissement et d’émancipation. Elle permet de tisser des liens entre les citoyens, elle rassemble, elle permet le partage des envies, des curiosités, des émotions ! Elle est indispensable, surtout en période de crise.

Si le phénomène de mondialisation, en dépit de ses bienfaits en termes de diffusion, a eu tendance à nous présenter des pratiques culturelles stéréotypées, il a eu aussi le paradoxe de réveiller et susciter les sursauts de régions à forte richesse culturelle.

D’autre part, les difficultés financières ont malheureusement conduit les gouvernements à réduire les budgets consacrés à la culture et ainsi à fragiliser le financement de nombreux projets. En tant que membre de la commission de la culture au Sénat, c’est une tendance que je dénonce depuis plusieurs années.

Certes, les collectivités territoriales ont bien compris l’importance de la culture dans leur territoire et ont fait de l’accessibilité de tous – indépendamment de l’origine sociale, géographique, de la situation de handicap ou de l’âge – à la culture, aux sports et aux loisirs, un vecteur de cohésion sociale, conformément à l’engagement pris dans l’Agenda 21. Dans un territoire, les projets culturels sont un moteur de dynamisme, de création d’emplois et de développement économique.

Savez-vous qu’en France, ce secteur emploie plus de 900 000 personnes, plus que le secteur automobile ? Un exemple : le Louvre-Lens, le centre Pompidou-Metz ont redynamisé le Nord-Pas de Calais et la Moselle, régions profondément touchées par des crises industrielles à forte population ouvrière, peu habituées à ces formes de culture.

Cette alliance de l’excellence culturelle et de la proximité ne peut se faire sans une contractualisation forte avec l’Etat. En effet, l’Etat se doit de soutenir les collectivités et les institutions culturelles et de veiller à l’aménagement du territoire. Ensemble, collectivités et Etat ont le devoir d’accompagner les enfants, les publics les plus éloignés, les publics « empêchés » vers des lieux et des pratiques culturels désacralisés.

Cette culture partagée est un facteur d’humanité. Mes chers collègues, il ne faudrait pas que nos recommandations se limitent à la recherche du plus petit dénominateur commun entre les Etats membres ! J’en appelle aussi au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe pour qu’il veille à la prise en compte de l’accès à la culture de tous dans ses travaux.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Aivaliotis.

M. AIVALIOTIS (Grèce)* – J’ai écouté avec attention notre collègue française et je suis tout à fait d’accord avec elle, notamment quant à la participation des jeunes. C’est l’une des caractéristiques de notre économie développée que de tenter d’assurer un accès égalitaire à la création. Mais cette égalité est-elle une réalité ? Si elle l’était, la Grèce aurait récupéré les marbres du Parthénon et ils ne se trouveraient plus dans un musée britannique ! J’ai l’impression que nous tentons de légaliser l’accès à la culture, ce qui peut mener à beaucoup plus d’exclusion.

J’aimerais profiter du 38e anniversaire de l’attaque de Chypre et de la présence de la directrice générale de l’Unesco, pour rappeler que 1 619 personnes sont toujours portées disparues dans cette région du monde, où par ailleurs des centaines d’églises ont été pillées, où des centaines de mosaïques et d’icônes ont été volées et revendues avec la complicité des forces d’occupation. Il s’agit de biens culturels qui appartiennent à des Chypriotes grecs mais qui ont été volés et revendus sur le marché de l’art. Nous devons être très attentifs car il s’agit d’actes illégaux, légalisés par la suite sans que nous en ayons connaissance.

J’aimerais également souligner que l'accès de tous à la création culturelle ne saurait justifier la falsification de données historiques. Alors que nous savons tous, par exemple, qu’Alexandre le Grand était une personnalité grecque, qui parlait et utilisait la langue grecque et qui avait pour professeur Aristote, nous pouvons hélas entendre le dirigeant d’un pays européen présenter l’histoire sous un tout autre angle !

En tant qu’Européens, en tant que personnes civilisées, nous ne devons pas laisser passer les falsifications de l’histoire.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Rouquet.

M. ROUQUET (France) – Monsieur le Président, c’est ma première intervention sous votre présidence et je tenais à vous adresser mes félicitations et à vous assurer de mon soutien et de mon amitié.

Je tiens aussi à féliciter chaleureusement Mme Muriel Marland-Militello pour son excellent rapport. Je partage entièrement le point de vue de la rapporteure qui considère la culture comme un droit de l’homme, à part entière. Pour André Gide, la culture n’est-elle pas, en effet, « ce qui reste lorsque l’on a tout oublié » ?

Ni luxe, ni distinction, la culture n’est-elle pas le socle de notre humanisme ? La culture n’est-elle pas, également, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, ce niveleur des conditions, dont l’accessibilité se doit d’être garantie ?

Ce n’est pas sans émotion que j’ai lu l’interview que ma collègue, la députée française Aurélie Filippetti, fille de mineur, agrégée de lettres classiques, députée et écrivaine, a donné au journal Le Monde : elle y explique que ce qui l’a sauvée, c’est la littérature.

Sauvée en lui donnant les clés de l’autonomisation de sa condition, de femme et de fille d’ouvrier. Sauvée en lui donnant un horizon des possibles, auquel ses origines sociales ne la destinaient a priori pas. Sauvée en lui donnant également le droit de participer à la vie culturelle. Car si la culture est un droit à part entière, son accessibilité et le droit d’y participer en sont les deux composantes inséparables.

Souvent, c’est uniquement l’accessibilité à la culture qui est mise en exergue. C’est évidemment une condition pour participer à la vie culturelle, essentielle, mais non suffisante. Permettez-moi à ce propos une anecdote personnelle : j’ai découvert, tardivement, le plaisir d’aller à l’opéra. Ma culture familiale ne m’y avait pas porté. Et c’est par un heureux hasard que j’eus la chance d’être initié au plaisir d’écouter de l’art lyrique, qui n’est pas facilement appréhensible…Qu’auraient été mon parcours, ma vie, si cette découverte était intervenue plus tôt ? Difficile à dire !

L’originalité du rapport réside, justement, dans ce deuxième aspect : offrir à chacun la possibilité de développer des talents artistiques pour participer à la vie culturelle.

Il faut convaincre nos gouvernements que participer à la vie culturelle doit être un droit garanti ! Ce qui suppose évidemment le financement de politiques culturelles. Je soutiens entièrement ce point de vue.

Les politiques culturelles ne doivent pas être des variables d’ajustement, qu’elles soient financées par l’Etat ou par les collectivités territoriales. Elles sont au contraire essentielles, en particulier en situation de crise, car c’est bien dans les moments extrêmes que la culture montre toute son importance.

Il suffit pour en être persuadé de se rappeler les magnifiques pages de Jorge Semprun, dans l’Ecriture ou la vie, relatant les dimanches à Buchenwald et la manière dont la culture et son partage permettaient d’établir un rempart contre la barbarie.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Schneider.

M. SCHNEIDER (France) – Monsieur le Président, permettez-moi de vous féliciter à mon tour pour votre accession à la présidence de notre Assemblée et de vous assurer, moi aussi, de tout mon soutien. Mes chers collègues, je tiens également à féliciter chaleureusement ma collègue et amie Muriel Marland-Militello pour la qualité du rapport qu’elle nous présente aujourd’hui.

Le droit de participer à la vie culturelle doit véritablement être garanti par tous les gouvernements : il ne s’agit en rien d’un droit superfétatoire, mais bien d’un droit essentiel !

Je voudrais brièvement évoquer mon expérience personnelle sur cette question. J’ai eu le bonheur d’enseigner pendant près de 33 ans dans des zones difficiles de la région de Strasbourg et de me trouver alors face à des enfants que l’on qualifie souvent de « défavorisés » et pour lesquels l’accès à la culture n’était pas chose évidente, compte tenu de leur milieu familial.

Aussi, chers collègues, sans l’école, combien de « Mozart assassinés » ? Combien d’intelligences laissées en friche ? Mais combien aussi de pays n’offrent pas à leur jeunesse cette possibilité de développer harmonieusement sa personnalité et cet indispensable équilibre entre savoir, sensibilité et esprit critique ? Aussi, quel bonheur que de pouvoir offrir à nos enfants cet appétit de culture et de leur permettre, si vous me pardonnez cette expression, de «  dévorer avec voracité » cette culture que nous leur offrons.

Dire que certains sociologues idéologues dont Pierre Bourdieu, mort il y a dix ans, dénonçaient l’accès à la culture de ceux que l’on appelait dans certains pays « les masses populaires » ! Dans Les Héritiers, coécrit avec Jean-Claude Passeron, en 1964, ce sociologue a conceptualisé l’idée de bien symbolique, de capital culturel en dénonçant le caractère élitiste de la culture. Dénonciation marxiste, vous l’aurez compris, qui, au lieu de rendre plus accessible à tous la culture et de garantir le droit de participer à son édiction, s’est à l’inverse traduite par une mise au ban de celle-ci, avec pour seul effet de la rendre encore moins transmissible. Certes, il ne s’agit que d’un effet pervers des théories bourdieusiennes, mais quel désastre !

On peut également se demander si la suppression au concours d’entrée de Sciences-Po de l’épreuve de culture générale, sous prétexte de son caractère discriminant, n’en est pas la dernière marque.

Plutôt que de dénoncer le difficile accès à la culture, ne serait-il pas plus opportun de renforcer sa transmission et de permettre à tous d’avoir accès à « un droit pivot » pour reprendre les termes du rapport ?

Dans La Crise de la culture, la philosophe Hannah Arendt s’inquiète de la marchandisation de la culture et de son éviction au profit d’une culture de masse, du divertissement. Ce n’est pas parce que la culture est d’un accès difficile que nous devons renoncer à la transmettre, il faut au contraire tout mettre en œuvre pour que chacun ait le droit de participer à son édiction ! C’est là le sens d’une véritable égalité des chances démocratique ! Et je ferai mienne l’expression de Malraux : « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » !

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Marquet.

M. MARQUET (Monaco) – Monsieur le Président, permettez-moi aussi de vous féliciter pour votre brillante élection et pour avoir eu le courage d’être le Président de la réforme. Vous savez pouvoir compter sur nous !

Chers collègues, je tiens à saluer le travail remarquable de Mme Marland-Militello, qui a brillamment souligné le fait que le droit de chacun de participer à la vie culturelle suppose un libre et égal accès pour tous à des ressources diversifiées. Chaque Etat doit assurer à ses citoyens, notamment aux plus jeunes, des fonctions d’initiation, de stimulation et de régulation. Il est en effet incontestable que l’accès à la culture contribue à la promotion du « bien vivre ensemble » au sein d’une société, d’un pays, et même entre les peuples, favorisant ainsi une meilleure compréhension mutuelle. De ce fait, ce droit doit être placé au cœur des droits de l’homme.

Oui, je rejoins sur ce point Mme Marland-Militello : il appartient à l’Etat et aux collectivités publiques d’assurer à ses citoyens l’accès à la culture, et ce à travers une offre diversifiée. Oui, il incombe aux Etats de faire le lien entre les institutions publiques et les organisations du secteur associatif et privé. Et oui, il est absolument nécessaire que chaque nation suscite le « désir de la culture » chez les plus jeunes. Il ne faut absolument pas se désengager. Un renforcement de l’action de l’Etat est bel et bien, au contraire, le meilleur moyen d’assurer une participation du plus grand nombre à la vie culturelle !

Je souhaite à présent aborder deux points qui n’ont pas été traités dans le présent rapport et qui sont pour moi d’une importance capitale : le multiculturalisme et l’exclusion sociale.

Tout d’abord, la culture, en tant que matière vivante, évolutive et multiple est de nature complexe : il n’est pas question d’une culture unique, il est question des cultures. Ainsi parle-t-on aujourd’hui du choc des cultures pour exprimer le rassemblement de populations de traditions différentes au sein d’une même société. Et je suis fier d’appartenir à un pays qui, comme certains autres, a remporté le pari du multiculturalisme !

Il est primordial que chaque société moderne œuvre dans le sens d’une promotion de la culture comme élément de cohésion sociale, tout en assurant, bien entendu, le respect des spécificités. Au surplus, favoriser les échanges interétatiques ne pourra que contribuer au renforcement de ce droit. Chaque culture spécifique doit respecter les normes et les valeurs communes. C’est la condition sine qua non du maintien de la cohésion sociale.

Au sein de chaque société moderne, chaque individu doit pouvoir participer activement et librement à la vie culturelle de la communauté. Ensuite, la question du droit de chacun de participer à la vie culturelle soulève un problème de fond majeur, celui de l’exclusion sociale, notamment l’exclusion de ceux qui souffrent d’un handicap visuel ou auditif ou d’un handicap plus lourd, handicap qui les empêche d’accéder à l’éducation et à la culture. Bien que la culture semble être une matière volatile, qui échappe de ce fait au droit, elle se trouve au cœur de toutes les préoccupations politiques.

L’exclusion sociale est un fléau qui consume une nation de l’intérieur et qui doit donc absolument être éradiqué. L’accès à la culture doit être favorisé pour que chaque individu puisse se construire et définir sa place au sein de la société. Assurer le droit de chacun de participer à la vie culturelle, c’est surtout agir en faveur des plus vulnérables, puisque les principaux concernés sont les individus en situation de précarité ou d’isolement.

Je conclus en proposant deux axes de réflexion. Il est, tout d’abord, essentiel que chaque Etat permette des dynamiques transfrontalières dans le but de changer le regard porté sur les minorités culturelles. Il est, ensuite, primordial que chaque Etat assure l’égalité des chances et d’accès à la culture pour tous en luttant contre l’exclusion.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Schou.

Mme SCHOU (Norvège)* – Je remercie également Mme la rapporteure pour son travail, qui porte sur une question que j’estime, moi aussi, essentielle pour les droits de l’homme. La participation à la vie culturelle est une clé d’accès à la connaissance et à la construction de l’identité.

C’est important pour chaque individu mais également pour la société. Pour pouvoir respecter les autres, il faut se connaître soi-même. Pour respecter et apprécier les autres cultures, il faut également connaître la sienne propre. Chaque Etat, notamment chaque Etat membre du Conseil de l’Europe, a donc la responsabilité de faire participer ses citoyens à la culture.

Le paragraphe 13.4.3 du projet de recommandation est essentiel, à cet égard. L’échange de bonnes pratiques me paraît en effet particulièrement utile dans le domaine de la culture.

Donner aux enfants la possibilité d’explorer la culture aussi bien en tant que spectateurs qu’en tant qu’acteurs, c’est leur donner les moyens de prendre part à la vie culturelle. Je souhaite vous faire part d’une initiative norvégienne en cette matière. Depuis l’année 2001, les écoliers norvégiens bénéficient d’un programme national intitulé « le sac à dos culturel ». Financé par des fonds publics, géré par le ministère de la Culture et par le ministère de l’Education et de la Recherche, ce programme est mis en œuvre par les écoles et les institutions culturelles. Ses objectifs sont les suivants : donner accès aux enfants à des productions artistiques et culturelles ; faciliter leur familiarisation avec la culture sous toutes ses formes et leur compréhension de celle-ci ; aider les écoles à intégrer l’expression culturelle dans la vie scolaire. Tous les ans, un prix du « sac à dos d’or » est décerné. L’école qui remporte ce prix organise une manifestation au cours de laquelle elle montre ce que les élèves ont accompli, qu’il s’agisse de chant, de danse, de théâtre ou d’œuvres d’art. L’école coopère avec des artistes professionnels de différentes disciplines.

Dans ma circonscription, une galerie d'art, Point Ø, est partenaire de ce projet du « sac à dos culturel » des écoles. Plus de 10 000 écoliers la visitent chaque année, et j’ai vu, de mes propres yeux, combien cela pouvait leur être bénéfique.

Pour terminer, je citerai la directrice de l’école qui a remporté l’édition 2011 de ce prix du « sac à dos d’or », Mme Bodil Alver Moen : « Par la culture, nous apprenons la vie. »

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Frécon.

M. FRÉCON (France) – Permettez-moi de vous féliciter à mon tour, Monsieur le Président, pour votre élection. Bien sûr, nous travaillerons ensemble.

Au-delà de l’accès à la culture, on se rend compte que la question du droit de participer à la vie culturelle induit une autre problématique : celle de l’entretien d’une riche diversité de ressources culturelles, comme vous l’avez dit, Madame la rapporteure. Le droit de participer à la vie culturelle suppose en effet que sa propre culture puisse être visible dans l’espace public.

La réalisation du droit de participer à la vie culturelle signifie que toutes les personnes doivent pouvoir accéder à toutes les ressources culturelles qui paraissent nécessaires à leur développement. Elles doivent, à cet égard, pouvoir s’appuyer sur des institutions concourant à cet objectif. Nous les connaissons bien, il s’agit des musées, des bibliothèques, des médiathèques, des théâtres, des maisons de la culture, etc. Ce droit de participer à la vie culturelle ne saurait être effectif si une offre culturelle n’est pas assurée.

Sans contester au secteur privé sa capacité à structurer une telle offre, il apparaît néanmoins que nos Etats ont un rôle essentiel à jouer en raison de l’universalité du droit à participer à la vie culturelle. De fait, déjà garants de la cohésion sociale, ils doivent également mettre en place les politiques nécessaires à la libre expression de toutes les pratiques culturelles.

L’intervention de l’Etat dans le domaine de la culture est toujours sujette à caution. On songe rapidement aux précédents historiques tragiques, lorsque les régimes totalitaires usaient de la culture, avant-gardiste ou traditionnelle, pour asseoir leur domination sur les populations. L’Etat moderne, démocratique, ne doit, à cet égard, pas être le garant d’une culture mais avoir le rôle de metteur en scène, si je peux m’exprimer ainsi. L’Etat démocratique doit en effet mettre en scène toutes les cultures pour leur donner la visibilité nécessaire et renforcer ainsi leur accessibilité par le plus grand nombre.

Même en temps de crise, les programmes culturels doivent rester au rang des priorités. L’excellent rapport de notre collègue Mme Marland-Militello vient néanmoins souligner que des initiatives peuvent être prises sans pour autant grever les budgets des Etats. Je pense notamment au soutien aux projets participatifs. Je songe également à la mise en réseau des opérateurs publics et privés.

Le droit de participer à la vie culturelle implique donc une réflexion sur le rôle de l’Etat libéral en la matière. Elle conduit à intégrer dans ses missions régaliennes la culture, ou plutôt la mission de défendre et de promouvoir tous les patrimoines culturels. À cet égard, la garantie du droit de chacun de participer à la vie culturelle pourrait bien à l’avenir être un critère pour évaluer le degré de modernité d’une démocratie.

LE PRÉSIDENT – Madame Bokova, j’ai cru comprendre que vous deviez nous quitter à 17 heures au plus tard. Si vous souhaitez reprendre la parole, je vous la donne bien volontiers. La discussion est suspendue pour vous permettre de vous exprimer, chère Madame.

Mme BOKOVA, directrice générale de l'Unesco – Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, de m’avoir offert la possibilité d’accéder à ce débat si important. Mes remerciements et mes félicitations vont aussi à Mme la rapporteure Muriel Marland-Militello. Je salue l’excellence de son rapport et la passion qu’elle met à défendre la cause de l’accès à la vie culturelle.

Ce débat est très riche et fourmille d’idées, qui vont dans le même sens que les efforts de l’Unesco : il s’agit d’avoir une vie culturelle beaucoup plus démocratique, beaucoup plus inclusive, ouverte à tous les milieux sociaux et aux populations marginalisées. Pour l’Unesco, c’est la culture qui fait notre spécificité d’êtres humains, c’est la culture qui fait que nos sociétés sont inclusives et justes.

La culture est même un moteur de développement, puisqu’elle peut créer des emplois. Dans certains pays émergents, elle représente entre 6 % et 12 % du PIB. Voilà qui nous encourage vivement à aller plus loin dans nos réflexions.

Nous devons poursuivre la réflexion. Or la crise est source de nouvelles idées intéressantes et enthousiasmantes. Je souhaite que la coopération entre l’Unesco et le Conseil de l'Europe se développe à l’avenir et je regrette de ne pouvoir rester avec vous jusqu’à la fin de ce débat très riche. Soyez certains toutefois que nos échanges ne s’arrêteront pas là !

LE PRÉSIDENT – Nous vous remercions beaucoup, Madame la directrice générale. Vos propos et votre présence ont incontestablement enrichi ce débat qui nous tient à cœur.

Nous reprenons à présent la liste des orateurs. La parole est à Mme Gafarova.

Mme GAFAROVA (Azerbaïdjan)* – Je voudrais tout d’abord remercier la rapporteure pour son rapport. Le sujet que nous traitons aujourd’hui est très important pour l’Europe. Chacun doit pouvoir participer à la vie culturelle et une protection du patrimoine culturel doit être assurée au niveau international. Quant aux Etats, ils devraient accorder plus d’intérêt à cette question.

S’agissant de mon pays, il se situe à la croisée de différentes cultures, celles de l’Est et celles de l’Ouest. Notre patrimoine culturel est donc particulièrement riche et sa protection relève de l’Etat. Ces dernières années, le Gouvernement de l’Azerbaïdjan a adopté des mesures importantes pour développer la culture nationale, protéger le patrimoine culturel historique et soutenir les jeunes talents. Plusieurs programmes ont été mis en place et nous cherchons à renforcer notre coopération avec des organisations internationales telles que le Conseil de l'Europe et l’Unesco. Parmi les mesures adoptées par l’Etat, il faut citer en particulier le soutien accordé aux représentants de la société civile. Les ONG doivent bénéficier de crédits suffisants pour être en mesure de mener de véritables actions culturelles.

Je voudrais rappeler, pour finir, qu’à la suite de l’occupation par l’Arménie du Haut-Karabakh, depuis plus de deux décennies, de nombreux monuments historiques et culturels ont été détruits. Certains de ces monuments ont été complètement démolis. Or ils faisaient partie non seulement du patrimoine culturel de l’Azerbaïdjan, mais aussi de celui de l’Arménie. Ils sont malheureusement perdus à tout jamais et les jeunes générations ne pourront pas les admirer. Il me semble nécessaire que la communauté internationale prête plus d’attention à ce problème et adopte une position claire à l’encontre de l’Etat agresseur. Mon pays souhaite préserver le patrimoine du passé et regarder l’avenir avec confiance.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Christoffersen.

Mme CHRISTOFFERSEN (Norvège)* – Ce rapport souligne à juste titre que les droits culturels sont au cœur des droits humains. Ils portent en eux la possibilité d’un partage et d’un renforcement de la citoyenneté démocratique et de la cohésion sociale. La culture abat les murs et construit des passerelles entre les peuples.

En 1903, le mouvement de la jeunesse du parti travailliste norvégien a été fondé. Sa deuxième mission était la connaissance des mouvements culturels, littéraires et politiques. Les droits culturels constituent une fin en eux-mêmes, mais aussi le moyen de créer une société inclusive. Grâce à ce patrimoine politique, notre gouvernement de coalition a fixé pour objectif d’augmenter le budget de la culture à 1 % du PIB. En six ans, celui-ci a presque doublé, pour atteindre 9,5 milliards de couronnes norvégiennes, à savoir 250 euros par citoyen par an.

La culture ne doit pas connaître de limites. Plus on y accède, plus on veut y accéder. Néanmoins, des problèmes demeurent, car les schémas de consommation culturelle évoluent peu. Les producteurs et les consommateurs sont toujours les mêmes, et ceux qui sont exclus de la culture continuent à ne pas pouvoir y accéder. Le fossé se creuse entre les uns et les autres. Ceux qui ont des bas revenus et les immigrants sont les groupes sociaux qui ont la consommation de culture la plus faible. La conception universelle de la culture et la composition de l’offre culturelle sont ici en jeu. La pauvreté, en Norvège, ne réside pas uniquement dans le manque d’argent, de nourriture ou de vêtements. Elle réside aussi dans le fait de ne pas pouvoir aller au cinéma ou participer à des activités sportives.

S’agissant de l’intégration des immigrants, 74 % des Norvégiens considèrent que leur présence en Norvège constitue un enrichissement pour la vie culturelle. On ne peut que s’en féliciter. Notre gouvernement a présenté récemment un Livre blanc sur la culture et l’inclusion. Nous en débattrons au Parlement au printemps prochain. Plus l’accès à la culture est large, plus les talents peuvent s’exprimer, plus la société est démocratique. Le rapport de Mme Marland-Militello contribuera utilement à notre débat national.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Zohrabyan.

Mme ZOHRABYAN (Arménie) – Chers collègues, le sujet dont nous débattons cet après-midi est d’une grande actualité. Oui, le droit de participer à la vie culturelle est un droit de l’homme à part entière. L’oublier conduit à mettre tous les droits de l’homme en danger, en privant les êtres humains de la possibilité d’exercer de façon responsable leurs autres droits, par manque de conscience de la plénitude de leur identité.

Oui, la rapporteure a raison d’affirmer que les liens culturels, le dialogue interculturel et l’accès aux arts contribuent à la promotion du bien vivre ensemble au sein d’une société, d’un pays, et même entre les peuples, en favorisant les relations entre les citoyens du monde et une meilleure compréhension mutuelle.

Cependant, soyons sincères : combien de fois avons-nous parlé de ce problème et combien de fois avons-nous cité des exemples concrets ? Dans plusieurs pays membres du Conseil de l’Europe, la participation à la vie culturelle des minorités nationales a été non seulement empêchée, mais le patrimoine historique culturel a également été brutalement détruit. Pour rafraîchir notre mémoire, je voudrais rappeler avec quelle cruauté les khachkares arméniennes, croix de pierre séculaires, ont été détruites dans le Nakhitchevan. Ces croix faisaient partie du patrimoine culturel mondial, mais ni l’Assemblée du Conseil de l'Europe ni le Parlement européen n’ont pris de mesures afin que de telles cruautés ne se reproduisent pas au XXIe siècle, anéantissant le patrimoine culturel de tout un peuple devant les yeux de l’humanité civilisée.

J’approuve donc totalement notre collègue lorsqu’elle dit que l'Etat a la responsabilité de protéger le patrimoine culturel au sein de ses frontières. Mais que faisons-nous à part des annonces déclaratives, quand les droits des autres sont bafoués, même dans les domaines culturels et religieux, quand les autorités turques décident par les caprices de leur Premier ministre de permettre ou de ne pas permettre aux Arméniens habitant en Turquie de mettre une croix sur leur propre église, de permettre ou non aux Arméniens d’organiser des messes dans leurs propres églises dans leur patrie historique, alors que les organisations européennes, y compris la nôtre, gardent le silence ? J’ai donc peine à croire que, dans ces conditions, nous puissions protéger des droits individuels.

Très récemment, la Commission des affaires étrangères du Congrès des Etats-Unis a adopté une résolution appelant la Turquie à mettre fin à toutes discriminations religieuses et à rendre les églises chrétiennes et autres lieux de culte à leurs propriétaires légitimes. En réponse à cette résolution, l’ambassadeur turc aux Etats-Unis a menacé les droits des Arméniens « extrémistes ». Et maintenant nous affirmons ici que l’Etat doit être le garant des droits de ses citoyens, y compris le droit de participer à la vie culturelle et religieuse. Avouons donc que, dans le cas de certains pays membres du Conseil de l’Europe, une conclusion pareille est trop naïve.

Oui, Madame Marland-Militello, vous avez raison : l’interaction des cultures est importante pour établir une atmosphère de bienveillance et de confiance, garantie de la paix. Mais tant que nous ne sommes pas fermes avec tous les vandales culturels, tant que tous les pays membres du Conseil de l’Europe ne garantissent pas non seulement la mise en œuvre des droits culturels, religieux et politiques de l’homme et de tout un peuple, mais que certains démolissent impunément le patrimoine culturel et religieux des autres, tout discours prononcé à cette tribune ne sera qu’une déclaration d’intentions.

M. Kox, Vice-Président de l’Assemblée, remplace M. Mignon au fauteuil présidentiel.

LE PRÉSIDENT* – Avant de continuer la liste des orateurs, je rappelle à ceux qui n’auraient pas encore voté que l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe se déroule actuellement dans la rotonde située derrière la présidence. Vous êtes donc cordialement invités à aller voter avant que je ne clôture le vote à 17 heures.

La parole est à M. Szabó.

M. SZABÓ (Hongrie)* – Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je félicite le rapporteur qui a traité d’un thème intéressant et actuel. Je suis d’accord pour dire qu’il faut garantir le droit à chacun de participer à la vie culturelle. Il s’agit véritablement d’un droit lié à la personne humaine. La culture est un élément fondamental, une force pour le développement de notre société. La participation à la vie culturelle sans discrimination doit être garantie avec toute sa diversité. Il faut également veiller à y faire participer les jeunes.

Le rapport contient des propositions concrètes aux gouvernements des différents pays. On y appelle aussi le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’Unesco à coopérer plus étroitement, à adopter un plan d’actions concrètes et des mesures concrètes et efficaces.

Chacun a le droit de s’exprimer, de créer dans la langue de son choix, avant tout dans sa langue maternelle. Chacun a le droit à un enseignement de qualité, à une formation de qualité qui respecte son identité. Chacun a le droit de choisir à quelle vie culturelle il participe et les traditions culturelles qu’il veut pratiquer.

Je veux insister ici sur les minorités ethniques et nationales. Le rapport n’en parle pas. Pourtant, il évoque les déclarations et conventions de l’Unesco de 2001 et 2005. Le rapporteur les qualifie à juste titre de tournants politiques. En 2005, une Convention sur la dignité et le respect de toutes les cultures a été adoptée, qui fait référence à la culture des minorités. En la matière, énormément de problèmes restent à résoudre. Nombre de minorités ethniques nationales, telles que les minorités hongroises, souffrent de restrictions quant à l’utilisation de leur langue maternelle. Dans beaucoup de pays, comme la Slovaquie, des lois sont discriminantes à l’égard de certains, comme celles promulguant une langue d’Etat. Il nous incombe de trouver des solutions à ces problèmes.

Ce sont les gouvernements nationaux qui ont les clés pour faire avancer les choses. J’espère que ce rapport y contribuera.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Toshev.

M. TOSHEV (Bulgarie)* – Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, la culture est une part importante de notre société. Elle permet de mesurer son degré de civilisation.

Le rapport de Mme Marland Militello est à juste titre centré sur cet aspect de la vie culturelle. La vie culturelle ne doit pas être considérée comme un privilège pour certains mais elle doit être étendue à tous. C’est la raison pour laquelle nous devons également souligner que la vie culturelle ne doit pas être réservée à certains – acteurs, écrivains, poètes et musiciens de haut niveau – mais ouverte à tous les citoyens.

La participation active à la vie culturelle permet de renforcer la cohésion sociale, de lutter contre l’exclusion et contribue notablement à socialiser des groupes marginalisés. Elle permettrait également d’encourager l’émergence d’une citoyenneté plus active. Je rappellerai que la thérapie par l’art a donné des résultats très positifs dans le traitement des enfants du Kosovo qui avaient été traumatisés par le conflit et qui étaient atteints de troubles psychologiques. Sans une vie culturelle, on se sent frustré, marginalisé et l’on ne peut participer efficacement à la société en tant que membre actif. Cela n’est pas bon non plus pour le développement de la démocratie.

C’est la raison pour laquelle la question ne se pose pas de savoir si il faut rapprocher tout un chacun de la vie culturelle mais comment permettre d’y participer plus activement.

À cet égard, j'évoquerai le festival franco-bulgare « Journée ronsardienne », consacré à Pierre de Ronsard, qui s’est tenu à Svishtov en avril 2009. Au cours de ce festival, tous les habitants de la ville et de la région étaient invités à rédiger leur propre poème sur les jardins de la municipalité. Sur toutes les branches des arbres de la ville, on avait accroché des feuilles portant des poèmes de Ronsard afin que tous les promeneurs puissent s’arrêter et les lire. Les citoyens ont ainsi pu comparer leurs propres poèmes avec les chefs-d’œuvre de Ronsard, ce qui a suscité un grand enthousiasme dans la région. Un concours a ensuite été organisé et le meilleur poème a été primé. De nombreux artistes français et bulgares ont donné des spectacles à cette occasion.

L’adoption des lignes directrices devrait être mise en œuvre par les Etats membres et ne pas rester lettre morte. Avec la réforme de notre Assemblée, le mécanisme de suivi mis en place devrait nous permettre d’avancer sur cette voie.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Fataliyeva.

Mme FATALIYEVA (Azerbaïdjan)* – Monsieur le Président, je souhaite remercier Mme la rapporteure pour son rapport très intéressant et riche en informations.

Chaque pays a son histoire et ses traditions et la culture est probablement un facteur déterminant pour l’avenir. Un pays qui respecte son histoire, ses traditions, sa culture devrait marquer le même respect pour les autres cultures.

Si l’on regarde l’histoire de mon pays, on se rend compte que l’Azerbaïdjan a fait partie de différents empires. En dépit de cela, nous avons pu préserver notre langue, notre musique, nos traditions, notre culture et notre identité.

Aujourd’hui, les lois dans les domaines politique et économique sont très éloignées de la justice et des normes éthiques. Nous vivons dans un monde où les guerres perdurent et coûtent la vie à des millions de personnes. Le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes, 20% des terres sont occupées et bon nombre de monuments architecturaux se retrouvent dans des terres occupées. En dépit de tout cela nous avons réussi à préserver notre patrimoine culturel dont nous sommes fiers et l’Azerbaïdjan se développe fort bien dans le domaine économique.

Nous vivons dans un monde où le développement économique est important. Plus il est élevé et plus le niveau de vie des citoyens l’est également, à condition toutefois que ces derniers ne soient pas confrontés à trop de difficultés pour vivre.

Les droits culturels sont ancrés dans notre Constitution et dans d’autres textes de loi. L’un de nos objectifs est notamment de renforcer la participation des jeunes à la vie culturelle, politique et sociale. A cette fin, nous veillons à promouvoir l’égalité devant la création, l’usage et la répartition du patrimoine culturel, quelles que soient la nationalité, la race ou la religion des individus et nous devons écarter un certain nombre de menaces, comme l’a montré le Forum international sur le dialogue interculturel.

À ce propos, nous organisons dans mon pays de nombreuses rencontres, expositions et conférences – je songe, notamment, au festival de musique annuel Rostropovitch – qui constituent autant d’événements permettant d’encourager la participation à la vie culturelle. L’organisation de l’Eurovision, au printemps de 2012, sera d’ailleurs l’un des temps forts de cette année.

Oui, la culture unit les peuples, quels que soient les âges, les nationalités ou les origines !

LE PRÉSIDENT* – En l’absence de M. Matušić et de M. Kennedy inscrits dans le débat, la parole est à M. Kucheida.

M. KUCHEIDA (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je souscris totalement au rapport de Mme Marland-Militello.

La culture doit être universellement accessible, comme l’air et l’eau, serais-je tenté de dire si l’un et l’autre l’étaient. L’actualité la plus récente, en effet, me laisse parfois songeur quant à une telle universalité. Alors qu’à l’échelle mondiale le volume de vente de livres numériques augmente significativement, attestant ainsi que le livre trouve un second souffle grâce aux nouveaux supports technologiques, en France, mes concitoyens font face à une hausse de la TVA sur les produits de consommation en général mais, également, sur les biens culturels, lesquels ont été renchéris sous le couvert d’un effort supplémentaire à consentir pour résorber les déficits engendrés par la crise économique. Si les supports technologiques, nouveaux vecteurs de la culture, demeurent extrêmement chers et donc peu abordables pour la plupart des foyers, il me semble que les supports plus classiques de diffusion culturelle devraient être préservés de toute augmentation des prix afin de maintenir l’accès à la culture, ainsi que le dit d’ailleurs notre rapporteure.

En outre, les Etats abandonnent en la matière leurs ambitions au profit des collectivités locales alors qu’ils se devraient, en France comme ailleurs, de relancer les grands symboles tels que les maisons de la culture chères à André Malraux, lesquelles structuraient tout un territoire. Au contraire, l’essor des musées ralentit.

En France, au Royaume-Uni et au Pays basque espagnol, on dénombre toutefois quelques exceptions avec les synergies qui ont animé des projets d’implantations de musées décentralisés. Dans mon pays, je songe à l’arrivée du Louvre à Lens, au sein de l’une des régions minières qui compte parmi les plus pauvres et les plus ouvrières. On peut aussi faire référence, en Espagne, au musée Guggenheim de Bilbao – jusqu’alors en déshérence économique – ou, en Angleterre, au Tate Museum de Liverpool. Tout cela devrait favoriser une relance économique et culturelle, donc, une élévation du niveau des populations.

La gratuité, dans le domaine culturel, est loin d’être généralisée alors que le mécénat ne profite qu’aux structures culturelles les mieux installées et à celles qui en ont le moins besoin.

S’agissant de l’éveil à la culture, l’école en souffrance, en France et ailleurs, ne saurait se targuer de pouvoir ouvrir les premières portes de cet univers à tous les élèves, loin s’en faut.

Je souscris, bien entendu, à l'idée selon laquelle les inégalités culturelles doivent être lissées et effacées à grand renfort d’un traitement différencié : il faut traiter l’inégalité par l’inégalité en aidant les régions culturellement les moins favorisées. Je ne peux m’empêcher toutefois de sonner l’alarme compte tenu des faibles moyens dont disposent les territoires pour y parvenir, surtout lorsque leur attractivité s’efface devant le poids des grandes capitales culturelles régionales, européennes ou mondiales et alors que la crise économique appauvrit encore les plus pauvres d’entre nos concitoyens. Ils sont contraints de réduire leur budget culturel parce que tout le reste semble vital alors que la culture est bien souvent essentielle en permettant l’élévation de l’homme et de la société.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Backman.

Mme BACKMAN (Islande)* – Je remercie Mme la rapporteure pour ce rapport qui arrive à propos. Je suis en effet d’accord pour souligner l’importance de la culture et de la vie culturelle pour le développement et le bien-être de tous les peuples. Il me semble particulièrement important pour les jeunes de grandir dans un environnement culturel et de pouvoir y participer. Il faut encourager les plus jeunes à développer leurs talents artistiques.

Néanmoins, il aurait sans doute été bienvenu que le rapport consacre plus d’attention aux personnes en situation de handicap qui éprouvent beaucoup de difficultés à participer à la vie culturelle. La plupart des pays européens ont en effet encore à faire pour qu’elles puissent bénéficier d’un total accès aux événements culturels. Outre que ces personnes sont parfois victimes de préjugés, elles ne peuvent pas toujours accéder à certains bâtiments. De ce point de vue, le concept « Design pour tous » peut contribuer à leur ouvrir la vie culturelle, de même d’ailleurs qu’aux personnes âgées.

Le design pour tous est une nouvelle approche qui permet d’organiser notre environnement humain ; c’est un concept qu’il convient de promouvoir.

La participation des personnes handicapées à la vie culturelle doit être encouragée au même titre que d’autres activités. C’est ainsi que la communauté des citoyens européens s’élargira et que l’on promouvra la diversité culturelle en Europe.

Les médias doivent eux aussi réfléchir à notre monde contemporain en tenant compte de sa diversité. Une telle approche s’applique à la création artistique pour les personnes souffrant d’un handicap.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Davies, observateur du Canada.

M. DAVIES (Observateur du Canada)* – Le rôle de la culture en société et l’importance de son accès aux jeunes forment un sujet qui souvent n’appelle pas l’attention qu’il mérite.

En dépit de richesses et de ressources considérables, les avantages de la culture sont mal répartis. Or nous voulons reconnaître la vie culturelle comme un droit humain en l’inscrivant dans les conventions internationales qui visent à promouvoir et à garantir la participation à la vie culturelle. Pourtant une large partie de nos populations ne peut pas profiter de la vie culturelle ni en tant que participants ni en tant que créateurs.

Le lien entre la culture et les droits humains a été relevé par Mme la rapporteure. Les ressources culturelles sont, en effet, essentielles pour exercer d’autres droits, tels que les droits démocratiques ou les droits des citoyens. Qui plus est, les droits culturels sont nécessaires à l'épanouissement par l’éducation qui développe pleinement notre potentiel en tant que citoyens et personnes. Rappelons que l’absence d’accès à la culture est le symptôme d’un problème plus vaste, à savoir le manque de financements de nos écoles. La musique, la danse, les arts visuels, pour ne citer que cela, nous permettent de devenir des personnes accomplies et de résoudre les problèmes de manière créative. Or, en raison de la réduction des crédits, l’art et la culture sont les premiers à souffrir, car l’on croit trop souvent encore que la culture n’est ni praticable ni essentielle à la vie économique, alors que nous savons que l’industrie culturelle contribue considérablement à la santé économique d’un pays – on le mesure en termes de PIB. Nous avons estimé l’impact de la culture au Canada à 84 milliards de dollars par an, soit à 7,4 % du PIB en 2007. En outre, le secteur de la culture procure environ 1,1 million d’emplois.

Pour ce qui est de la contribution des arts et de la culture au patrimoine culturel national, les programmes mis en place ont deux catégories d'objectifs : économiques et sociaux. Des instruments internationaux existent pour protéger le patrimoine culturel, notamment la Convention des Nations Unies sur la protection et la promotion de la diversité de l’expression culturelle. Nous avons été précurseurs dans ce domaine et l’un des premiers pays à la ratifier. Nous devons créer, promouvoir et partager la culture en respectant tous les peuples et les différences. C'est ainsi que nous créerons un meilleur monde pour tous.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Gaudi Nagy.

M. GAUDI NAGY (Hongrie)* – Je soutiens pleinement le contenu et les recommandations du rapport.

Je rappelle à quel point le droit de chacun à connaître sa propre culture est essentiel et au cœur même de l’accès à la culture. Il est tout aussi important de veiller au droit de connaître la culture des autres, qui permet de mieux connaître l’autre.

Garantir le droit à participer à la vie culturelle repose sur un fondement juridique qui doit permettre l’échange de cultures et de contribuer au développement d’un nouveau mode de pensée.

Je rappelle que les services numériques créent des passerelles entre les personnes, mais en aucun cas ils ne peuvent remplacer la communication ni l’organisation de manifestations culturelles, qui offrent la possibilité de partager des expériences et de faire vivre des traditions ancestrales.

Le rapport souligne le rôle des Etats de garantir un accès libre à la culture et aux événements culturels. À ce propos, je salue Mme Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, et je citerai un exemple de législation positive, à savoir la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle adoptée par l’Unesco en 2005. Il existe aussi des exemples négatifs. La loi sur les langues adoptée par la Slovaquie est contraire aux recommandations du rapport. Cette loi prévoit des sanctions aux minorités hongroises en cas d’utilisation de leur langue maternelle. C’est une façon de saper la liberté d’expression et de réduire la possibilité de participer à la vie culturelle. J’appelle donc l’attention des parlementaires sur les recommandations qui figurent dans le rapport. J’encourage pleinement son adoption ainsi que l’application de ses recommandations.

LE PRÉSIDENT* – M. Matušić étant revenu, je replace son nom en fin de liste.M. Jirsa, inscrit dans le débat, étant absent de l’hémicycle, la parole est à M. Sudarenkov.

M. SUDARENKOV (Fédération de Russie)* – L’un des objectifs du Conseil de l’Europe est de contribuer à la connaissance et au développement de l’identité culturelle et de la diversité culturelle. Or force est de constater que nous n’avons pas bien compris dans notre maison européenne qu’il faudrait résoudre les questions politiques, économiques, sociales et ethniques par le biais de la culture. Par exemple, nous voyons croître la violence. Il semble pourtant que l’on sous-estime l’importance des facteurs culturels. La culture en tant qu’outil de prévention de la violence devrait faire partie d’une politique sociale cohérente et coordonnée.

De plus en plus, les problèmes qui se posent avec une grande acuité sont ceux liés à l’éducation. Le rapport de l’homme à la culture étant une valeur en soi, il convient de prendre appui sur la culture pour développer la démarche éducative. La maîtrise de la culture et des connaissances est l’un des critères d’efficacité du processus d’enseignement. La culture relève des régions, des municipalités, notamment dans le domaine de l’échange culturel.

Je me souviens des auditions parlementaires organisées à Paris le 3 novembre 2010 sur le thème du droit de chacun à la vie culturelle. Notre ami, le sénateur Legendre, avait parlé de façon convaincante du caractère universel des droits culturels et de l’accès à l’Europe de la culture. La loi française sur l’école a inscrit dans les programmes l’enseignement de la peinture, la projection de versions filmées d'opéras, notamment. J’ai également éprouvé un choc théâtral à Avignon, la ville consacrant 19 % de son budget à la culture. Ce sont là des initiatives à diffuser le plus largement possible.

Il convient d’élargir ce rôle nouveau que peut revêtir l’enseignement de l’art et de la culture à une nouvelle économie et d’élaborer des concepts en vue de réglementer juridiquement le statut des travailleurs culturels.

Il faudrait aussi veiller à ce que chaque Etat membre consacre une part plus importante de son PIB à la culture, car notre rapporteure, Mme Marland-Militello, nous rappelle à juste titre qu’il convient d’accorder davantage d’attention à la culture, faute de quoi trop d’individus seront désemparés dans notre monde moderne.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Huseynov.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – La culture incarne la démocratie dans son essence même. Elle appartient à tous, chacun a le droit d’en bénéficier et chacun a la possibilité de créer des modèles culturels. Depuis toujours, nous avons tous la responsabilité de protéger ces valeurs communes et d'améliorer l’environnement culturel commun. Il est donc regrettable qu’aux XXe et XXIe siècles, à l’apogée du développement de l’humanité, nous soyons les témoins de la destruction de perles de la culture qui appartiennent à leur nation fondatrice, mais aussi à toute l’humanité.

Dans mon pays, l’Azerbaïdjan, dans le district de Fuzuli, se trouve un monument naturel et culturel, la Grotte de Azykh, qui est un des premiers lieux de vie de l’être humain en Europe. Dans mon village de Boyahmadly, des sculptures de pierre datent de 2 000 ans. Elles furent photographiées et cataloguées il y a déjà 60 ou 70 ans. Dans mon pays, les districts de Zangilan et de Gubadly abritent des vestiges de plus de 800 ans. Les districts de Kalbajar, Lachin et Jabrayil comptent des cimetières et des monuments culturels vieux de plus de 1 000 ans.

Depuis plus de vingt ans, ces territoires sont occupés par l’Arménie et la plupart de ces grands monuments ont été ravagés. Ces éléments de patrimoine culturel sont pourtant des richesses qui appartiennent à toute l’humanité. Ces monuments historiques ont depuis longtemps dépassé la dimension de monuments nationaux. Les détruire est un crime contre l’humanité. L’Arménie occupe 20 % de notre territoire avec l’aide de puissances étrangères. Elle ne s’est pas contentée d’occuper, elle a tenté de s’approprier les signes de la culture azerbaïdjanaise, y compris ceux qui appartiennent au folklore musical, y compris les œuvres de célèbres compositeurs azerbaïdjanais.

La vie culturelle est une valeur commune. Pour autant, cela n’autorise personne à s’approprier la richesse culturelle d’autres nations. Tout voleur doit un jour répondre devant la loi et la justice. L’Arménie devra un jour rendre tous ces objets qui ont été volés.

Notre culture commune est la passerelle qui réunit les peuples. Si nous préservons ces passerelles, le monde n’en sera que meilleur.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Pupovac.

M. PUPOVAC (Croatie)* – Je commencerai par remercier notre rapporteure pour son excellent travail et dire combien j’apprécie ce débat.

Je saisirai l'occasion pour vous faire partager mon point de vue, fruit de mon expérience dans mon pays, la Croatie, mais aussi dans toute la région de l'ancienne Yougoslavie. Dans cette région, nous sommes tous passés par la création de notre Etat-nation, période durant laquelle les patrimoines culturels des peuples, surtout ceux des peuples minoritaires, n’ont pour la plupart pas été préservés. Nous n’avons pas veillé à préserver ces patrimoines culturels et nous ne les avons pas forcément partagés. Nous aimerions donc, en Croatie, inverser la tendance en rénovant ces monuments. Nous voudrions pouvoir les présenter, qu’ils soient enseignés dans les écoles et considérés comme un bien à partager entre tous les citoyens.

Je dois reconnaître avoir été particulièrement choqué cet été par ce que j’ai constaté en me rendant en Bosnie-Herzégovine avec des amis. Mais je l'ai été aussi par ce que j’ai vu dans les trois entités, car je connais aussi le Kosovo. Il existe une majorité ethnique culturelle ou religieuse, et il n’existe pas de réelle protection du patrimoine culturel des différents peuples. Cela n’apparaît nulle part, ni dans le nom des rues, ni dans les noms des monuments, ni dans les matières enseignées à l’école.

C’est sur ce point que je souhaiterais insister aujourd’hui. J’en appelle au Conseil de l’Europe pour que nous profitions de ce rapport pour examiner cette question et nous mobiliser. Nous abordons ici de nombreux sujets politiques. Celui-ci est fondamental pour ce qui touche à la région de l’ancienne Yougoslavie.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Shershun.

M. SHERSHUN (Ukraine)* – Ce remarquable rapport est tout à fait d’actualité. Le système des droits de l’homme doit effectivement permettre à chacun de s’épanouir pleinement, ce qui est impossible sans épanouissement spirituel. L’individu ne saurait être complet sans accès à une vie culturelle. Or la société actuelle subit un énorme afflux d’informations, entre lesquelles il faut pouvoir choisir et retrouver certaines valeurs. Il faut donc développer sa personnalité grâce à la culture, mais cela est impossible sans un enseignement structuré fondé sur les meilleures traditions éprouvées par le temps.

Il faut également veiller à la qualité de l’information et développer l’esprit critique qui permet d’analyser et de comprendre la diversité de son environnement. Un esprit critique permet aussi d’avoir accès aux traditions et aux valeurs des différentes cultures et civilisations.

Le droit de chacun de participer à la vie culturelle est un droit important. Il faut donc prévoir un enseignement de la culture à l’école et donner accès pour tout citoyen à la vie culturelle. Il faut accorder l’attention nécessaire à ce qui se fait à l’école pour déceler le plus tôt possible les talents des jeunes enfants et favoriser leur épanouissement. Il est dans l’intérêt de tous que la littérature et l’art soient accessibles aussi largement que possible.

À cet égard, les technologies modernes de l’information jouent aujourd’hui un grand rôle, car elles permettent non seulement d’avoir accès aux objets d’art du passé, mais aussi de créer les nouvelles formes d’art de notre monde contemporain. Elles nous permettent aussi de visiter des expositions virtuellement.

Mais si ces nouvelles technologies recèlent un réel potentiel, elle ne doivent pas nous faire oublier l’importance des droits d’auteur, pour perpétuer la création en préservant les talents des auteurs et en respectant le travail intellectuel.

Nous devons soutenir le projet de résolution et veiller à ce que tous les domaines de la culture contribuent au respect de ses lignes directrices dans nos différents pays.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Guţu.

Mme GUŢU (République de Moldova) – Monsieur le Président, distingués membres de l’Assemblée, je voudrais sincèrement féliciter Mme Marland-Militello pour son travail très sérieux qui touche au plus vif de notre être : l’éducation culturelle en général et le droit à la culture en particulier.

Le rapport est détaillé et pertinent, même si des pays, véritables monstres sacrés de la culture universelle comme l’Italie, la Russie et le Royaume-Uni n'y sont pas cités comme références.

Dans une Europe qui se mondialise progressivement, la culture devrait être le domaine qui ne laisse pas de place à la violation des droits de l’homme, car « la culture est l’âme de la démocratie ».

Bien entendu, chaque société possède des institutions qui préservent et promeuvent son patrimoine culturel. En ce sens la culture est d’abord associée à l’humanisme et à ses valeurs. La circulation transfrontalière et transnationale des valeurs culturelles assure leur universalité et leur pérennité.

Dans ce contexte, « l’assurance d’un vaste accès des citoyens à la vie culturelle et au patrimoine culturel national » est donnée en République de Moldova par le biais de programmes ponctuels. Le libre accès des citoyens aux valeurs culturelles est assuré par un cadre législatif adapté par la promotion, par le gouvernement, de politiques culturelles et par les mécanismes de mise en place de conventions de l’Unesco et européennes.

L’accès des jeunes à la vie culturelle est assuré par une politique éducative moderne conforme aux cursus pré-universitaires les plus novateurs. Les élèves et les étudiants bénéficient d’un accès gratuit ou à faible prix, aux spectacles : théâtres, concerts, etc. Les talents des jeunes sont repérés très tôt grâce à leur participation aux activités extrascolaires dans les établissements spécialisés.

Les citoyens ont également accès aux valeurs culturelles grâce aux bibliothèques publiques. Il existe aujourd'hui 1 385 bibliothèques publiques en République de Moldova.

Malheureusement, dans la région sécessionniste de la Transnistrie, où la violation des droits de l’homme est une réalité quotidienne, les jeunes Moldoves n’ont pas accès à la culture régionale, ni même à l’éducation dans leur langue maternelle. Les parents et les lycéens mènent un véritable combat pour utiliser des manuels en langue roumaine.

À l'inverse, les Gagaouzes et les Bulgares, par exemple, refusent une éducation dans leur langue maternelle au profit d'une langue qui n’est ni la langue officielle du pays ni la langue de l’ancien empire soviétique. Les minorités bénéficient de vastes programmes leur donnant accès à la vie culturelle.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Assaf, représentant de l'Autorité nationale palestinienne, partenaire pour la démocratie.

M. ASSAF (Autorité nationale palestinienne, partenaire pour la démocratie)* – Monsieur le Président, mes chers collègues, je remercie la rapporteure pour son précieux rapport. Le droit culturel est en effet un droit humain.

Je remercie également Mme Bokova pour son intervention et pour avoir accepté la présence de la Palestine à l’Unesco. Nous espérons que cette adhésion permettra d’obtenir l’indépendance et la paix pour notre peuple et protégera notre culture qui joue un grand rôle dans la protection de la Palestine en tant que nation.

J’aimerais une fois de plus remercier votre Assemblée pour nous avoir permis de devenir partenaire pour la démocratie, et féliciter M. Mignon pour son élection à la présidence de l’Assemblée parlementaire.

L’éducation est un droit de l’homme pour tous, mais c’est également pour nous un instrument pour forger un meilleur avenir. Nous ne devons pas sous-estimer l’importance pour chacun de nos peuples de participer à la vie culturelle. En tant que Palestiniens, nous avons toujours soutenu que la culture et l’éducation permettaient aux peuples de s'ouvrir à de nouveaux horizons.

Nous attendons le jour où notre pays sera libre et indépendant afin que notre culture contribue à une meilleure compréhension entre les peuples. Je sais que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe continuera à soutenir notre peuple pour qu’il puisse réaliser toutes ses aspirations.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Schuster.

Mme SCHUSTER (Allemagne)* – Je me réjouis de la tenue de ce débat. Un grand nombre d’orateurs se sont inscrits, ce qui montre bien que le sujet nous tient à cœur. Beaucoup de points ayant déjà été abordés, je me limiterai à présenter trois remarques.

D’abord, la culture est un droit civil. L’art et la culture font partie des bases qui permettent à une société de s’entendre et qui sont sources d’identité et de créativité. Au centre de la politique culturelle des libéraux, il y a le citoyen, en tant que facteur, transmetteur et créateur de culture. Si une politique de l’Etat est indispensable pour développer la culture, nous avons aussi besoin de l’engagement du secteur privé.

Ensuite, le renforcement de l’éducation à la culture est très important pour l’avenir. Toutes les catégories d’âge, des jeunes enfants aux personnes âgées, doivent avoir accès à la culture.

Enfin, la politique culturelle est un instrument au niveau international. Je prendrai pour exemple l’engagement de Daniel Barenboïm avec son Orchestre du Divan Orient-Occident. Il a démontré que la musique peut faire avancer les choses, même si le conflit israélo-palestinien est toujours aussi ancré. Mais il convient de continuer sur cette voie, non seulement au sein du Conseil de l'Europe, mais également au niveau national.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme la Baroness Nicholson.

Baroness NICHOLSON (Royaume-Uni)* – Je remercie la rapporteure qui nous a permis de débattre du droit de tout un chacun à participer à la vie culturelle, mais également pour l’invitation d’Irina Bokova qui a pris la parole devant nous cet après-midi.

J’ai eu la grande chance de travailler à l’Unesco, voilà maintenant près de vingt ans.

J’ai travaillé dans les camps de réfugiés avec des personnes déplacées, avec les marginalisés, les dépossédés, les malades et ceux qui souffrent de la faim, ceux qui sont placés en institution et que l’on ne revoit jamais : l’Unesco n’a jamais fait défaut à ces personnes et a toujours répondu présent à leurs appels.

Entendre, comme nous venons de le faire, la directrice générale de l’Unesco nous rappeler l’acte constitutif de l’Unesco, créée en 1945, et le principe selon lequel, si la guerre prend naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix. L’Unesco est donc appelée à promouvoir la diversité des expressions culturelles, le dialogue des cultures afin d’encourager la culture de la paix ! C’est aussi ma conviction, celle de nos rapporteurs et de toute notre commission. Le travail de l’Unesco, en coopération avec le Conseil de l'Europe, est plus nécessaire aujourd’hui que jamais !

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Reimann.

M. REIMANN (Suisse) *– Si j’ai pris la parole, c’est parce que, après avoir lu à deux reprises le rapport, il est une chose qui m’échappe encore : pourquoi a-t-on décidé de le rédiger ? Il me semble, tout comme ses recommandations, aller dans le bon sens, même s’il me semble parfois un peu chargé et bercé d’illusions.

Un rapport a généralement pour objectif de résoudre des problèmes. Problème il y aurait si une partie de la population était privée du droit de participer à la vie culturelle, mais on ne trouve pas de tels exemples dans le rapport. Dans mon propre pays, je ne connais ni un individu, ni des groupes d’individus qui se verraient refuser la participation à la vie culturelle… Souhaitent-ils cette participation ? C’est une autre question, qui n’est pas posée ici.

La situation est-elle différente dans d’autres pays européens ? J’aurais aimé trouver une réponse à cette question dans le rapport, mais tel n’a pas été le cas !

Il est d’autres éléments du rapport qui restent extrêmement flous et vagues. Je me limiterai à un exemple : on demande au Conseil de l'Europe, à l’Union européenne, à l’Unesco et à d’autres organisations internationales d’améliorer leur coopération dans le domaine culturel, d’où ma question : cette coopération n’est-elle pas satisfaisante aujourd’hui ? Sur ce point encore, le rapport ne dit rien.

Malheureusement, Mme Bokova nous a déjà quittés : elle aurait certainement pu nous répondre.

Une question reste en suspens : l’Etat doit-il investir plus dans la création culturelle ? Concernant la création étatique, je ne pense pas qu’elle doive être un droit pour chacun, même si, d’emblée, le rapport indique que l’acteur principal dans le domaine de la culture reste l’Etat. Je dis oui à un soutien financier par l'Etat de la vie culturelle, mais il doit s’agir d’un soutien proportionnel et sûrement pas illimité.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Anikashvili.

Mme ANIKASHVILI (Géorgie)* – Je tiens à adresser mes félicitations à la rapporteure pour son excellent travail.

Il est très important de parler aujourd’hui, à l'Assemblée parlementaire, de la culture. On traite beaucoup de politique, mais on oublie souvent que les problèmes culturels comptent également beaucoup pour les citoyens d'Europe. Il va de soi que chacun doit avoir le droit de participer à la vie culturelle, de protéger et de développer son patrimoine et son identité culturels. C’est le droit de chaque nation et de chaque citoyen. C’est un droit inséparable des valeurs européennes.

La protection de ces droits fondamentaux est l’une des missions de notre Organisation. Malheureusement, du fait de l’ambition politique de maints responsables et des conflits militaires qui surgissent en plusieurs régions d'Europe, ces droits ne sont pas souvent respectés. Rappelons ainsi qu'en raison de l’occupation russe, 500 000 citoyens géorgiens n’ont pas la possibilité de participer à la vie culturelle de leur pays et que la situation des monuments historiques de Géorgie en territoire occupé est très inquiétante.

Chers collègues, permettez-moi de vous informer que la Russie a commencé un processus inquiétant de prétendue restauration des monuments historiques géorgiens, processus qui constitue en réalité une violation de ce patrimoine unique. Le but de cette action est clair : effacer la présence de la culture et de l’identité géorgiennes en Abkhazie. C'est ainsi que l’église de Saint-Georges d’Ilori, monument du XIsiècle, a déjà perdu son aspect authentique : les murs sont blanchis, les anciennes écritures et peintures sont effacées !

Malheureusement, ce cas n’est pas une exception. Il est d’autres exemples encore pires : des façades d'églises du Moyen Age ont été modifiées ! Ce vandalisme ne s'exerce pas seulement contre un ou deux monuments, mais bien contre toute la nation géorgienne. La Russie ne respecte ni la culture, ni les droits de l’homme ni les valeurs de la démocratie.

La position de la communauté internationale sera bien entendu décisive en la matière. Le Conseil de l'Europe, l’Unesco et les autres organisations internationales doivent se montrer très actifs. Il est nécessaire que des experts de l’Unesco viennent constater l'état des églises géorgiennes, évaluent la situation et en tirent les conclusions.

Chers collègues, nous pouvons arrêter ce processus de prétendue restauration. J’espère que vous ferez de votre mieux pour sauver le patrimoine culturel de la Géorgie, aujourd’hui victime des ambitions politiques de la Russie.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Matušić.

M. MATUŠIĆ (Croatie)* – Permettez-moi de féliciter la rapporteure pour son excellent rapport sur un sujet si vaste.

Le droit de chacun à participer à la vie culturelle constitue l’un des droits fondamentaux au cœur du système des droits de l’homme. Chacun est différent, dispose d’un potentiel différent, mais ce qui importe, c’est de savoir qu’il y un droit pour chacun de participer à la vie culturelle.

Que l’on parle du groupe d’âge des 15 à 25 ans ou des personnes plus âgées, puisque l’âme n’a ni sexe, ni âge, tout le monde a le droit d’exprimer son potentiel de créativité, ce dernier terme étant un mot clé.

L’imagination créative est un talent qui existe partout à l’échelle mondiale et nous ne devons pas nous censurer nous-mêmes lorsqu’il s’agit de notre capacité à la laisser parler. La révolution numérique favorise la démocratisation culturelle et représente pour chacun une possibilité de participer à la vie culturelle, dans sa diversité, et à y puiser des ressources pour enrichir son esprit.

Cet objectif exige une participation de tous, opérateurs publics et privés. Il faut repenser le rôle de l‘école, prévoir des cours d’initiation qui nous apprendraient à sentir, voir et entendre.

Des objectifs multi-annuels sont nécessaires, de même que des contrats à tous les niveaux, à commencer par le niveau local, qui permettraient à des jeunes d’envisager des carrières dans le domaine culturel.

J'en profite pour rappeler que les droits de la propriété intellectuelle font aussi partie des droits de l’homme.

Le Centre Nord-Sud permet une meilleure compréhension entre les civilisations. Idéalement, le droit de chacun à participer à la vie culturelle devrait lui aussi permettre une meilleure compréhension, d’abord de soi-même puis des autres. À mon sens, aucun objectif n’en vaut davantage la peine.

LE PRÉSIDENT* – La liste des orateurs est épuisée. J’appelle la réplique de la commission.

Madame la rapporteure, il vous reste quatre minutes. Vous avez la parole.

Mme MARLAND-MILITELLO (France), rapporteure – Mes chers collègues, je veux commencer cette intervention en vous exprimant l’émotion qu’a suscitée en moi l’intérêt que vous avez manifesté pour la démocratisation de la vie culturelle et pour les progrès que nous devons faire afin de réduire les inégalités dans l’accès à la culture. Tous, vous avez très bien compris et senti combien, quelles que soient les lois, le problème réside dans l’application de ce droit de participer à la vie culturelle. C’est pourquoi nous avons souhaité établir un catalogue de tous les risques de non-application dans le monde entier.

Vous êtes très nombreux à être attachés à votre identité culturelle ; c’est formidable. Vous êtes très nombreux à vous inquiéter de la pérennité de cette identité culturelle ; c’est très touchant. Il est très réconfortant, pour l’élue que je suis, de se dire que les représentants des parlements de tous ces pays, les représentants, donc, de toutes ces nations, sont sensibles à la démocratisation culturelle.

Je suis également très sensible au fait que chacun, tout en défendant son identité culturelle, témoigne d’une élévation d’esprit qui le pousse à défendre des droits culturels universels, rattachés aux droits de l’homme. C’est extrêmement réconfortant.

Un certain nombre de réflexions m’ont interpellée. M. Legendre a ainsi dit – cela m’a beaucoup intéressée – qu’il y avait un paradoxe à voir la culture dématérialisée se rapprocher des personnes en abolissant les frontières sans que la diversité culturelle s’en trouve garantie. Au contraire, la dématérialisation de la culture expose au risque d’une marchandisation de la culture. C’est très grave, car nous tenons beaucoup à la diversité culturelle. N’oublions pas, à cet égard, que nous avons besoin de l’Unesco pour maintenir l’exception culturelle.

J’ai beaucoup apprécié les propos de Mme Backman, qui a évoqué une notion extrêmement intéressante : le design pour tous. Vous avez raison, Madame, il faut accorder une grande importance à la situation des personnes souffrant d’un handicap de naissance ou qui se trouvent en situation de handicap en raison de leur âge. C’est très important. Un droit abstrait n’a aucun sens. Ce qui compte, c’est l’exercice concret de droits par différentes personnes.

Nous devons d’ailleurs penser à un risque qui n’a pas été développé dans ce rapport mais qui pourrait être l’objet d’un autre. Il existe un lien entre la crise économique, les crises politiques et les dangers dont la démocratisation culturelle est menacée.

Dernier élément, la démocratisation culturelle n’a aucun sens s’il n’y a pas une harmonie entre les efforts au profit de tous les artistes et les efforts menés pour tous les publics. Ces deux volets sont fondamentaux pour la construction d’une société culturelle et donc humaniste, car c’est quand même le propre de l’homme que de créer à partir de rien. « La culture est le plus court chemin d’un homme à un autre », disait Malraux. Par ce rapport nous cherchons à progresser sur ce chemin.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le président de la commission de la culture, souhaitez-vous vous exprimer ? Vous disposez de deux minutes.

M. FLEGO (Croatie), président de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias* – Je serai bref. La culture peut être considérée comme une spécificité de la race humaine. C’est, d’une façon générale, la façon dont les hommes s’adaptent à leurs besoins. En un sens plus étroit, c’est l’art, qui donne un sens à notre vie. Qu’on retienne l’une ou l’autre de ces deux définitions, la culture est essentielle. Il ne saurait y avoir d’existence humaine, individuelle ou collective, sans culture.

C’est pourquoi je pense que les individus, les associations et les institutions ont l’obligation de veiller à assurer un aussi large accès que possible à la culture et à la création. Le rapport apporte une réponse extrêmement précieuse à cette question. Mme Marland-Militello souligne l’importance cruciale de la culture et propose de créer les conditions qui permettraient l’accès non pas de tous mais de tout un chacun à la culture, de façon à ce que chacun ait la possibilité de satisfaire ses besoins selon ses goûts et ses préférences. Ainsi la culture serait-elle démocratique et démocratisée.

Elle précise certaines des obligations qui incombent aux Etats membres et qui doivent permettre d’assurer cet accès. Ces obligations portent notamment sur le rôle de l’école et le développement de l’enfant, l’accès des écoliers à l’art, non pas seulement pour consommer des œuvres d’art mais aussi, plutôt, pour bénéficier de l’accès à la libre expression artistique et participer à la création, laquelle est le sens même de la culture.

Ce besoin de culture est également un besoin des autres. La culture permet une compréhension et un respect mutuels plus profonds. Elle contribue à l’insertion sociale et peut même apporter sa pierre à l’édification d’un monde plus démocratique et pacifié.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias a présenté un projet de recommandation sur lequel aucun amendement n’a été déposé. Comme vous le savez, une majorité des deux tiers est nécessaire à l’adoption d’un tel texte.

Nous allons procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le Doc. 12815.

Le projet de recommandation est adopté (79 voix pour et 3 abstentions).

LE PRÉSIDENT* – J’adresse mes félicitations à Mme la rapporteure.

3. Election du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
(Résultats du scrutin)

LE PRÉSIDENT* – Mes chers collègues, je puis annoncer les résultats de l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe :

Nombre de votants : 243

Blancs : 4

Votes exprimés : 239

Majorité absolue : 120

M. Pierre-Yves Monette (Belgique) : 27 voix

M. Nils Muižnieks (Lettonie) : 120 voix

M. Franz Timmermans (Pays-Bas) : 92 voix

M. Nils Muižnieks est élu Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour un mandat de six ans, qui commencera au 1er avril 2012. Je le félicite et je remercie les autres candidats de leur participation.

4. Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. de Vries, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sur le thème « Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’Homme » (Doc. 12811).

Je vous rappelle que nous devrons en avoir terminé avec l’examen de ce texte, vote inclus, à 20 heures. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 19 h 55, afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Il n’y a pas d’opposition ? Il en est ainsi décidé.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de treize minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation du rapport et la réponse aux orateurs. Vous avez la parole.

M. de VRIES (Pays-Bas), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Mme Bemelmans-Videc, auteur de ce rapport, m’a demandé de vous le présenter aujourd’hui, étant donné qu’elle a quitté l’Assemblée après un grand nombre d’années passées à son service. C’est un grand honneur pour moi que de la représenter aujourd’hui, d’autant que nous n’appartenons pas au même groupe politique.

Plusieurs observations de Mme Bemelmans-Videc méritent tout particulièrement d’être soulignées. Tout d’abord, la Cour européenne des droits de l’homme ne peut se substituer aux systèmes nationaux de protection des Etats membres. Elle n’a qu’un rôle subsidiaire et il est de la responsabilité des gouvernements et des parlements nationaux de veiller au respect des droits de l’homme dans les Etats. En particulier, ils doivent participer activement au contrôle de la mise en œuvre du processus d’Interlaken.

Ensuite, il convient de souligner le retard pris dans le traitement de nombreuses affaires, non pas en raison d’un mauvais fonctionnement de la Cour, mais en raison de problèmes systémiques et structurels rencontrés dans six pays - l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Fédération de Russie, la Turquie et l’Ukraine. En renforçant les formations des juges uniques, il serait sans doute possible de rattraper ce retard en deux ans et demi. Toutefois, les six pays incriminés ne semblent pas décidés à fournir les efforts nécessaires pour surmonter leurs difficultés. Le Comité des Ministres ne fait pas non plus le nécessaire pour assurer l’exécution des arrêts. Pour Mme Bemelmans-Videc, les parlementaires nationaux doivent faire pression sur le Comité des Ministres et sur les gouvernements afin qu’ils se saisissent de cette question.

Autre remarque, le coût annuel d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme est plus élevé que la contribution annuelle de quinze Etats membres du Conseil de l'Europe. Cela démontre que quinze pays ne paient pas pour la présence de leur juge à la Cour, ce qui est inacceptable.

Mme Bemelmans-Videc souligne par ailleurs que lorsque la Cour constate une violation de la Convention par un pays, tous les pays doivent normalement en tenir compte. Le président sortant de la Cour, M. Costa, l’a également répété à de nombreuses reprises. Il faut donc améliorer la publication et la diffusion de la jurisprudence de la Cour, afin qu’elle soit mieux connue au sein des Etats membres. C’est important si l’on souhaite que les arrêts de la Cour soient exécutés dans tous les pays concernés.

Enfin, si les droits de l’homme sont essentiels, alors nous devons réellement nous investir dans leur défense. Le message de Mme Bemelmans-Videc au Comité des Ministres, aux Etats membres et aux parlementaires, est qu’il faut faire ce que l’on dit. On ne peut se contenter de vœux pieux dès lors qu’il y va de la démocratie et des droits de l’homme. La Convention européenne des droits de l’homme doit continuer à vivre aujourd’hui et demain.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. Il vous restera neuf minutes pour répondre aux orateurs.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Lecoq, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.

M. LECOQ (France) – Au nom de mon groupe, je félicite la rapporteure pour la qualité de son travail sur un sujet difficile, tant par sa technicité que par ses enjeux.

La Cour européenne des droits de l’homme ne revêt pas qu’une importance cruciale pour la visibilité du Conseil de l’Europe auprès des profanes : elle incarne le « patriotisme constitutionnel » que Jürgen Habermas appelait de ses vœux dans Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique. Par « patriotisme constitutionnel », j’entends la manière dont le philosophe allemand pense les nouvelles figures de la démocratie, en oubliant temporairement nos appartenances nationales contingentes et historiques pour ne s’attacher qu’aux figures abstraites que sont les principes démocratiques, tels que le respect des droits fondamentaux et la prééminence de l’Etat de droit.

Si la philosophie habermassienne est clairement inspirée de l’attachement du peuple allemand à sa loi fondamentale, qui définit le respect des droits de l’homme comme un socle indispensable, conséquence des atrocités de la seconde guerre mondiale, elle répond également aux principes qui ont fondé la création du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi, derrière les enjeux juridiques qui sous-tendent la réforme de la Cour, je souhaite m’attacher aux principes philosophiques auxquels notre appartenance au Conseil de l’Europe nous amène à souscrire. La réforme de la Cour ne nous conduit-elle pas à poser un nouvel ordre constitutionnel européen, qui s’imposera à nos constitutions nationales ?

Lorsque la Cour limite le contrôle du Conseil constitutionnel français - il en est de même pour les autres cours constitutionnelles des Etats membres - sur les validations législatives, en lui imposant de se référer aux « motifs impérieux d’intérêt général », ne s’impose-t-elle pas comme la seule et véritable Cour constitutionnelle ?

Loin de regretter l’émergence d’un ordre public européen, d’un « patriotisme constitutionnel » qui s’imposerait à nos souverainetés juridiques, je me réjouis de son émergence. Toutefois, je souhaite rappeler que la réforme sur laquelle nous nous prononçons doit être entièrement pensée et validée par les représentants que nous sommes, et pas par nos seuls gouvernements.

Le Groupe pour la gauche unitaire européenne propose même d’aller plus loin. Si nous reconnaissons que nous dessinons aujourd’hui un nouvel ordre constitutionnel, de portée universelle et amené à remplacer les formes de citoyenneté traditionnelles, nous devons engager un débat d’ampleur dans nos parlements nationaux. Or, jusqu’à présent, la réforme de la Cour n’a pas eu droit à la publicité qui aurait dû être la sienne.

Les 800 millions de citoyens que nous représentons doivent être associés aux enjeux de la réforme. Il ne s’agit pas de les sensibiliser à sa mise en forme technique, bien entendu, mais aux avantages qu’ils retireront d’un système conventionnel qui garantira leurs droits ainsi que les principes démocratiques. Cette réforme ne peut se faire sans les citoyens européens, sauf à faire oublier, comme l’énonçait Montesquieu dans De l’Esprit des lois, que ce qui distingue la République des autres formes de régimes politiques, c’est justement l’amour de cette même République. L’amour des citoyens pour leurs institutions n’est pas inné. Il se transmet !

Je crois que dans l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe, à des degrés différents, nous sommes à un tournant démocratique. Il nous faut dès lors donner à nos institutions la publicité qu’elles méritent. Osons le « patriotisme constitutionnel » et osons-le ailleurs que dans l’obscurité des comités techniques !

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Franken, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. FRANKEN (Pays-Bas)* – « Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme », voilà un titre positif mais qui montre tout de même que l’autorité et l’efficacité ne vont plus de soi. Dans les journaux, des critiques sont effectivement adressées à la Cour européenne des droits de l’homme, l’organe chargé de maintenir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne, qui représente la loi pour chaque citoyen européen.

Les critiques sont de deux ordres.

Tout d’abord, on nous dit qu’il y a un arriéré d’affaires important et donc un temps d’attente assez long avant qu’un arrêt ou une décision ne soit pris.

Une autre critique concerne le fond des décisions : des gouvernements estiment que certaines d’entre elles dépassent les compétences de la Cour, en ce sens qu’elles réduisent la marge d’appréciation dont disposent les Etats pour interpréter les différents articles de la Convention.

Pour répondre à la première critique, je dirais qu’effectivement l’arriéré est bien trop important et que les temps d’attente sont trop longs. Que s’est-il donc passé ? Bon nombre de personnes, y compris des membres de cette Assemblée, ont constaté, il y a déjà plusieurs années, que l’arriéré ne cessait d’augmenter. Des mesures ont alors été proposées pour l’alléger, mais il a fallu attendre de nombreuses années avant que le Protocole 14 ne soit adopté. Ce n’est pas la Cour qui en est responsable, mais les Etats qui n’ont pas appliqué la convention de façon suffisamment efficace et qui ont réagi trop lentement.

Quant à la deuxième critique, à savoir que la Cour dépasse ses compétences et porte atteinte à la marge d’appréciation des Etats, nous ne l’acceptons pas, étant entendu que si tel était vraiment le cas, il nous appartiendrait en tant que parlementaires, de mettre un terme à une telle dérive.

L’excellent rapport de Mme Bemelmans-Videc nous propose plusieurs types de mesures. Tout d’abord, les gouvernements doivent mettre en œuvre rapidement les arrêts de la Cour et accepter l’interprétation que donne la Cour de la Convention. L’Assemblée doit veiller à ce que les résolutions et les recommandations soient conformes aux droits de l’homme ancrés dans la Convention. De leur côté, les parlements nationaux doivent vérifier si les règles et les statuts qu’ils adoptent sont conformes au texte de la Convention.

J’ajoute que pour donner à la Cour une chance de maintenir son autorité et son efficacité, chaque Etat membre a pour le moins l’obligation de supporter le coût de son juge national.

En guise de conclusion, Monsieur le Président, je dirais que, si effectivement il y a un problème quant au fonctionnement de la Cour, nous ne pouvons que nous en prendre à nous-mêmes en tant que parlementaires.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Strik, au nom du Groupe socialiste.

Mme STRIK (Pays-Bas)* – Au nom du Groupe socialiste, j’appuie cet excellent rapport, dont j’apprécie beaucoup l’auteur, Mme Bemelmans-Videc.

La Convention européenne des droits de l’homme est l’instrument le plus important du Conseil de l’Europe, justement parce que nous avons la Cour européenne des droits de l’homme qui veille à ce que les Etats-membres respectent les dispositions de celle-ci. La Cour est accessible à tous les citoyens et résidents des pays du Conseil de l’Europe : c’est une bonne chose.

Cette juridiction supranationale, dont dépendent l’autorité et l’efficacité de la Convention, est unique au monde. Nous devons vraiment la préserver.

Les problèmes qu’elle rencontre sont reconnus par toutes les parties et personne ne nie que sa charge est extrêmement lourde. Il y a en effet quelque 150 000 affaires pendantes. Ces longs délais dissuadent bien des citoyens de déposer une requête. Et ces retards sont particulièrement graves dans des affaires où il en va des droits de l’homme. Par ailleurs, les Etats membres auraient besoin de savoir rapidement s’ils doivent adapter leur politique.

Le problème a donc été identifié. Parlons maintenant des solutions envisageables. Le nombre d’affaires ou d’arrêts n’en dit pas long sur la Cour mais plutôt sur les Etats dont la législation ne respecte pas la Convention. Ce sont leurs violations continues de la Convention qui ont produit un arriéré de 40 000 affaires récurrentes. Cet arriéré prouve que des Etats membres refusent de mettre en œuvre les arrêts de la Cour, alors qu’ils ont le devoir de le faire. Le Comité des Ministres doit davantage veiller à ce qu’ils respectent les arrêts et il doit assurer un suivi de la jurisprudence de la Cour.

En tant que membres des parlements nationaux, nous avons aussi un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de garantir l’efficacité de la Convention. Si un arrêt concerne notre pays et la politique qu’il mène, nous devons en appeler à nos gouvernements pour que cet arrêt soit respecté et pour que la législation nationale s’adapte à cette jurisprudence. Nous ne devons pas commencer par critiquer l’arrêt rendu par la Cour en sapant ainsi l’autorité, non seulement de la Cour mais aussi de la Convention.

La Cour envisage des changements pour réduire l’arriéré. Le Protocole 14 et le système du juge unique constituent des évolutions que nous devons soutenir, mais qui ne seront vraiment efficaces qu’à partir du moment où nous assurerons le suivi des arrêts.

Dernière remarque : nous devrions veiller à assurer la primauté de l’État de droit dans les pays du Conseil de l’Europe sans toucher au contenu des droits de l’homme. Très souvent, certains voudraient réduire la compétence de la Cour au profit des Etats membres. Je ne sais pas si ceux qui critiquent la Cour mesurent les conséquences de leurs propositions. Si nous restreignons les compétences de la Cour, nous allons abandonner tous les militants des droits de l’homme dans les pays qui violent ces droits. Si nous voulons maintenir les droits de l’homme à l’échelle de l’Europe et si nous voulons maintenir la crédibilité de la Cour, nous devons nous-mêmes nous montrer exemplaires.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Binley, au nom du Groupe démocrate européen.

M. BINLEY (Royaume-Uni)*–  Je voudrais rappeler à cette Assemblée que la question de la légitimité est souvent ignorée, si bien que la Cour européenne des droits de l’homme n’a plus ce lien direct avec la population qui, pourtant, est vital.

Mes électeurs estiment que l’arriéré est intenable et sont également préoccupés par une pléthore d’arrêts qui décrédibilisent la Cour. Dans ce document, on n’explique pas pourquoi l’arriéré a été multiplié par plus de six en dix ans. On n’envisage pas un mécanisme plus robuste, on ne se demande pas si toutes les requêtes qui ont été rejetées ne devraient pas être biffées du rôle une fois pour toutes. Ne devrions-nous pas restreindre l’activisme judiciaire qui se manifeste à tout propos ?

Certains jugements de la Cour ont de quoi surprendre les gens. Ainsi, la semaine dernière, elle a refusé le principe de l’extradition d’un dangereux terroriste et il en a été de même pour certains criminels au motif que cela aurait brimé leur droit à la vie familiale ! Les peuples, eux, n’ont-ils pas le droit d’être protégés ?

Il ne faut pas que nos propositions ne contribuent qu’à faire croître l’herméneutique législative. La Cour n’aurait-elle pas gagné à revenir aux principes du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme de 1952 ? Selon une étude réalisée l’année dernière, deux tiers des citoyens britanniques considèrent que l’autorité suprême en matière de droits de l’homme doit revenir à l’autorité britannique dédiée quand un sur cinq seulement considère que celle-ci siège à Strasbourg. En outre, l’un de nos principaux juges a indiqué que, depuis quelques années, la rhétorique des droits de l’homme relevait du lieu commun. La Cour ne devrait-elle donc pas limiter ses ambitions ? S’il en était autrement, l’étendue de ses compétences serait peut-être remise en cause.

De tels propos ne sont sans doute guère populaires au sein de cet hémicycle mais le droit ne peut prévaloir que si les peuples y consentent.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Dijkhoff, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

M. DIJKHOFF (Pays-Bas)* – Au nom de mon groupe, je remercie Mme la rapporteure pour son excellent travail.

Il ne faut pas craindre les critiques qui touchent la Cour européenne des droits de l’homme : plus l’institution est forte, plus elle peut les supporter.

Le rapport rappelle que la Cour constitue l’un des piliers de la défense des droits de l’homme mais pas l’unique, ni le premier : la Cour, en effet, joue un rôle second par rapport aux Etats membres qui ne peuvent lui transférer l’intégralité de leurs prérogatives en la matière. La défaillance des systèmes de six pays explique 70 % des requêtes qu’elle reçoit. Le problème n’est d’ailleurs pas tant son arriéré que la variété des cas qui lui sont soumis. Les Etats membres, quant à eux, peuvent bénéficier d’une marge d’appréciation mais ils doivent exercer leurs responsabilités s’agissant du respect des droits de l’homme en veillant notamment à ce qu’ils ne soient pas violés et en instituant un système de recours efficace.

Le Comité des Ministres, lui, devrait se montrer plus actif en fixant des orientations s’agissant de l’interprétation de la Convention et de ses protocoles et nous, parlementaires, nous avons la responsabilité de parler des droits de l’homme au sein de nos parlements nationaux tout comme, en adoptant de nouvelles lois, nous devons veiller plus encore à leur conformité avec les exigences que supposent ces principes. Enfin, nous avons une responsabilité en ce qui concerne la portée du système de protection des droits de l’homme : si nous souhaitons parfois l’étendre afin de satisfaire nos propres désirs, ce n’est évidemment pas de bonne politique.

La Convention est extrêmement précieuse et ce qui figure en son cœur doit y être maintenu. Le meilleur remède contre les requêtes pléthoriques, c’est encore de mieux lutter contre la violation des droits de l’homme !

Mme Woldseth, Vice-Présidente, remplace M. Kox au fauteuil présidentiel.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Salles.

M. SALLES (France) – Madame la Présidente, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, de saluer l’excellent rapport qui vient d’être présenté. Si je souscris entièrement à l’ensemble des propositions qui y sont exposées, je souhaiterais plus précisément revenir sur la question de la chose interprétée et sur celle du principe de subsidiarité, questions sous-jacentes à toute réforme d’ampleur de la Cour qui ne soit pas une simple mesure cosmétique ou technique.

Le filtre des requêtes, par exemple, dont l’importance n’est pas à démontrer pour éviter l’engorgement de la Cour, reste une mesure technique vouée à disparaître une fois que les questions juridiques de fond qui sous-tendent la réforme de la Cour seront véritablement traitées. Par question juridique de fond, j’entends, bien entendu, le respect de la res interpretata et du principe de subsidiarité mais, également, j’entends que nous soyons pleinement conscients de ce à quoi nous nous engageons.

Que signifie le respect de la chose interprétée ? Quelles conséquences le respect de cette dernière aura t-il sur notre souveraineté juridique nationale ? Quels avantages et inconvénients devons nous en retirer ?

Respecter le principe de la chose interprétée revient à dire, que, pour une part, nous abandonnons notre souveraineté juridique en acceptant de conformer notre droit, sans avoir été initialement condamné par la Cour, à une interprétation que la Cour a faite dans une espèce similaire. Pour prendre un exemple français, cela serait revenu à tirer les conséquences utiles de la condamnation de la Turquie dans deux espèces connexes relatives à la non-conventionnalité de son droit en matière de garde à vue pour réformer notre droit dans le sens que la Cour en avait donné – réforme qui est intervenue après que nous avons été effectivement condamnés dans une espèce nous concernant directement. Si, a priori, je suis favorable à une reconnaissance par nos gouvernements et nos parlements du principe de la chose interprétée, l’exemple mentionné met en évidence les difficultés qu’il y aura à lui donner une portée. Outre les réticences naturelles à chacun de nos ordres juridiques nationaux, se pose plus précisément la question de la portée à donner à une interprétation dans un arrêt connexe. Dans le cas précité, il s’agissait d’un tribunal militaire d’exception alors que le cas français concernait le droit commun. De ce fait, il était légitime de penser que l’interprétation donnée par la Cour ne pouvait directement nous concerner.

Donner toute sa portée à la chose interprétée nécessitera donc très clairement une collaboration renforcée entre les ordres juridiques nationaux et la Cour – collaboration qui ne se fera ni sans moyens supplémentaires ni sans pédagogie.

Quant au principe de subsidiarité, il n’a pas de réelle effectivité si le principe de la chose interprétée ne devient pas la règle : comment, en effet, assurer un respect conventionnel en amont de nos lois si nous attendons d’avoir été expressément condamnés par la Cour ?

Dernier point, avec lequel je suis en très léger désaccord avec le rapport : on ne pourra pas faire l’économie de la réouverture du sujet des « questions préjudicielles » ; d’une part, parce qu’elles seront un moyen d’établir un véritable dialogue entre les instances nationales et la Cour ; d’autre part, parce que, lorsque l’Union européenne aura adhéré à la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et du respect des droits de l’homme, se posera nécessairement la question de la compatibilité des deux ordres juridiques ainsi que de leur complémentarité.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Michel.

M. MICHEL (France) – Madame la Présidente, mes chers collègues, au terme de la lecture de l’excellent rapport de notre commission, une pointe de découragement peut nous saisir. En effet, si la question de l’amélioration du fonctionnement de la Cour est au cœur des préoccupations du Comité des Ministres et de notre Assemblée, je constate qu’aux effets d’annonce liés à l’organisation d’une conférence sur le sujet succèdent généralement des mesures relativement modestes au regard de l’ampleur du chantier.

Je souscris donc pleinement aux objectifs des projets de recommandation et de résolution de notre commission : la Cour a besoin de manifestations de soutien éloquentes. Soyons clairs : il ne s’agit pas seulement de garantir son autorité et son efficacité ou de lutter contre la surcharge des requêtes ; il s’agit de la préserver tant elle ne semble plus totalement faire l’unanimité comme nous venons encore de l’entendre.

J’observe avec une certaine inquiétude le débat qui se déroule à ce sujet au Royaume-Uni, pays dont la tradition libérale ne saurait pourtant être remise en cause et qui fut le premier à ratifier la Convention européenne des droits de l’homme. Qu’observons-nous pourtant, sinon une montée en puissance des partisans du retrait de la Convention européenne des droits de l’homme suite aux arrêts Hirst et Greens mais, aussi, à la décision de la Cour d’empêcher l’extradition de 102 individus du territoire britannique ? L’opposition affichée à cette décision pourrait d’ailleurs rencontrer un certain écho dans d’autres Etats.

Qu’une commission ait été créée à Londres en vue d’étudier les modalités d’un abandon de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’adoption concomitante d’une charte des droits exclusivement britannique en dit long sur la crise de légitimité que traverse la Cour.

Sur ce point, les propos du ministre des Affaires européennes ce matin en commission et tout à l’heure ne m’ont nullement rassuré, car la Grande-Bretagne, qui n’a pas de contrôle de constitutionnalité, est réticente à accepter un contrôle international, celui de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour met en place, en effet, un nouveau modèle de démocratie directe, au sein duquel un individu peut s’opposer à une législation, ce qui peut heurter les partisans de la démocratie parlementaire telle qu’elle existe en Grande-Bretagne.

C’est en ce sens que le renforcement du rôle des parlements nationaux est primordial, car les parlements représentent le peuple au nom duquel se construit la démocratie et sans lequel rien ne peut se construire. Nos chambres doivent permettre de prévenir tout conflit entre les Etats et la Cour, en prévenant en amont toute violation conventionnelle – nous connaissons la Convention, nous connaissons la jurisprudence – et en incitant en aval les gouvernements à mieux appliquer les arrêts. La Cour sera d’autant plus forte que les parlements verront leur rôle renforcé dans ce domaine.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à Sir Roger Gale.

Sir Roger GALE (Royaume-Uni)* – Ce rapport est une occasion ratée. Disant cela, je partage le point de vue exposé par M. Binley. J’approuve également l’intervention de M. Dijkhoff, qui a déclaré à juste titre que la responsabilité de la mise en œuvre de la Convention n’incombe nullement à la Cour des droits de l’homme, mais au Comité des Ministres et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Je le dis, car je pense que les signataires à la Convention européenne des droits de l’homme qui la violent sont bien trop nombreux – et je le dirai jusqu’à ce que l’Assemblée agisse.

Le droit fondamental est le droit à la liberté. A M. Michel qui a critiqué la Grande-Bretagne, je rappelle qu’en France, des personnes sont retenues en prison pour une durée fort longue avant leur procès. Cette détention prolongée sans procès constitue une violation flagrante des droits de l’homme !

Garantir l’autorité et l’efficacité de la convention est une question de la plus haute importance que le Conseil de l’Europe et la commission de suivi doivent traiter sans attendre.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Bockel.

M. BOCKEL (France) – Madame la Présidente, mes chers collègues, quelle situation paradoxale que celle à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés ! Les droits de l’homme n’ont globalement jamais été mieux garantis en Europe ; et pourtant, le système européen de protection des droits de l’homme n’a jamais été autant attaqué et menacé. La Cour de Strasbourg, en particulier, est souvent décriée : certains lui reprochent sa lenteur excessive, d’autres, au contraire, l’accusent d’ingérence.

Pourtant, il suffit de regarder le bilan de la Convention européenne des droits de l’homme après soixante années d’existence pour reléguer immédiatement de telles critiques en arrière-plan. Pensons à tous les droits que nous a donnés la Convention ou à ceux dégagés ensuite par la Cour sur la base de la Convention, à l’image du droit à l’environnement. Pensons à la source d’inspiration que la Convention et la Cour ont constituée pour les juges nationaux et pour les législateurs.

Quels pourraient donc être les chantiers prioritaires pour accroître le niveau de protection de nos concitoyens dans l’esprit de l’excellent rapport qui nous a été présenté ? En février 2010, je représentais la France à la Conférence d’Interlaken. J’avais alors fait plusieurs propositions qui, je crois, restent actuelles. Pour réduire l’engorgement de la Cour, j’avais proposé, afin de mettre fin aux requêtes répétitives, de recourir davantage aux règlements amiables ou de développer la pratique des déclarations unilatérales.

J’avais également fait des propositions pour améliorer l’exécution des arrêts de la Cour, en avançant l’idée que le Comité des Ministres devrait focaliser son travail sur la minorité d’arrêts posant de sérieuses questions d’exécution et que les Etats devraient se montrer responsables pour les autres arrêts. J’avais, en contrepartie, émis le souhait que la Cour développe une jurisprudence plus constante, sur laquelle nos juridictions nationales pourraient s’appuyer afin de motiver leurs décisions dans les domaines qui relèvent de la compétence de la Convention et de la Cour.

Je crois que le succès de la Convention européenne des droits de l’homme reposera, dans les prochaines années, sur un engagement renforcé de tous les acteurs : la Cour, le Comité des Ministres, notre Assemblée comme les États membres. Je me réjouis donc que la recommandation insiste sur la nécessité de permettre à tous les acteurs de participer à la mise en œuvre du processus d’Interlaken, initié et organisé par le juge Costa.

LA PRÉSIDENTE* – M. Kennedy et M. Corlăţean, inscrits dans le débat, étant absents de l’hémicycle, la parole est maintenant à Mme Grosskost.

Mme GROSSKOST (France) – Madame la Présidente, mes chers collègues, le sujet que nous abordons maintenant, derrière son apparente technicité, est probablement l’un des plus importants de notre partie de session.

La Cour n’est pas seulement le fleuron du Conseil de l’Europe, elle est l’organe qui assure l’effectivité de ses missions : respect de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux. A ce titre, je félicite Mme Bemelmans-Videc pour la qualité de son rapport qui aborde sans concessions les enjeux auxquels nous sommes confrontés dans cette nécessaire réforme de la Cour pour que notre système conventionnel puisse garder son efficacité.

Je souhaiterais néanmoins, dans le peu de temps qui nous est imparti, centrer mon intervention sur l’un des points abordés par le rapport : le rôle des parlements nationaux pour garantir l’efficacité du contrôle conventionnel effectué par la Cour.

Dans un premier temps, je déplore, au même titre que la rapporteure, l’absence d’association réelle de notre Assemblée au processus de réforme initié à Interlaken et poursuivi à Izmir. Comment peut-on sérieusement penser que la réforme de la Cour n’intéresse que nos exécutifs alors que le contrôle conventionnel implique également la mise en place du principe de subsidiarité, cher à Jean-Paul Costa, l’ancien président de la Cour ?

Comment ne pas associer notre Assemblée, à l’origine de la création de la Cour, mais surtout directement en prise avec chaque parlement des 47 Etats membres, puisque composée de délégations de parlementaires nationaux, à une réforme qui sera sans véritable efficience si ceux qui la porteront ne participent pas aux réunions de préparation ?

Quelle portée dès lors, quel poids donner à la réforme ?

Je soutiens donc la rapporteure lorsqu’elle souhaite que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe soit directement impliquée, par exemple, à travers sa commission des affaires juridiques, sa présidence et celle des Présidents des 47 délégations, au processus de réforme de la Cour. En outre, cette nécessaire association prend tout son sens dès lors que l’on tient compte du rôle que chaque parlement national devra prendre pour donner toute sa portée à l’existence d’un ordre public européen.

Le principe de subsidiarité, tel qu’entendu par ses promoteurs, pose le principe que la Cour n’a à se prononcer qu’en dernière instance, une fois les voies de recours internes épuisées, s’il y a violation de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et du respect des droits de l’homme. C’est justement là que réside l’originalité du principe !

Le respect du principe de subsidiarité consiste donc à ne plus donner de rôle à la Cour si la Convention était respectée en amont par les Etats membres. Dans un monde juridique idéal, la Cour ne souffrirait donc plus d’un surcroît de requêtes mais à l’inverse de leur absence ! Nous en sommes malheureusement encore loin, très loin ! Pourtant, la première marche vers ce monde idéal n’est-elle pas que les parlements nationaux assurent un contrôle conventionnel, en amont, des lois qu’ils votent ? Et la seconde, qu’ils tirent les conséquences utiles de la res interpretata par la Cour dans ce contrôle conventionnel des lois, en amont ?

Cela suppose, à la fois, de bouleverser nos habitudes juridiques et d’accepter pleinement la coopération juridique qu’implique la naissance d’un ordre juridique européen. Cela suppose d’établir un dialogue patient entre les différents organes qui sont à la source de cet ordre public européen.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à Mme Blondin.

Mme BLONDIN (France) – Le système européen de protection des droits de l’homme paraît aujourd’hui à la croisée des chemins. Il est régulièrement l’objet de critiques, notamment du fait de la lenteur des procédures devant la Cour européenne des droits de l’homme.

A mon sens, l’adhésion prochaine de l’Union européenne à la Convention devrait servir de moteur pour poursuivre sur la voie des réformes. En effet, l’entrée en vigueur du protocole n°14, bien qu’attendue de longue date, ne semble pas avoir produit tous les résultats que nous pouvions espérer : elle n’a pas suffisamment permis de désengorger la Cour.

Pourtant, le système européen de protection des droits de l’homme reste plus que jamais nécessaire, surtout en ces temps de crise et d’incertitudes – des temps marqués, de-ci, de là, par une montée inquiétante des populismes. Il serait dommage de se priver d’un outil aussi formidable, qui avait été créé dès l’origine pour prévenir le retour du péril totalitaire. Je rappelle les mots de Pierre-Henri Teitgen, rapporteur du projet de Convention européenne des droits de l’homme : « Il faut créer par avance, au sein de l’Europe, une conscience qui sonne l’alarme », soulignant que seule une juridiction propre à l’Europe pourrait jouer un tel rôle.

Quelles solutions pourrions-nous retenir pour améliorer l’efficacité, aujourd’hui contestée, du système européen de protection des droits de l’homme ? Le rapport rappelle à juste titre l’importance du principe de subsidiarité dans l’architecture du dispositif. C’est en premier lieu aux autorités des États contractants, et non à la Cour, qu’il incombe de garantir le respect des droits consacrés par la Convention. Autrement dit, pour reprendre les termes de l’ancien Président de la Cour, Jean-Paul Costa : « Ce n’est qu’en cas de défaillance des autorités nationales que [la Cour] peut et doit intervenir ». Cela signifie que le système gagnerait grandement en efficacité aujourd’hui si les Etats veillaient déjà, à leur niveau, à mieux appliquer les principes de la Convention à tous les échelons. Cela permettrait à la Cour de se concentrer sur les cas les plus graves de violation des droits de la Convention.

La mise en place d’une telle autodiscipline au sein des Etats membres nécessite d’améliorer les voies de recours internes ou l’exécution des arrêts de la Cour. Mais elle nécessite aussi la mise en place d’une plus grande collaboration entre le Conseil de l’Europe, la Cour et les Etats membres.

Je regrette que le rapport n’insiste pas davantage sur la nécessaire formation des juges, des procureurs et des avocats auprès du Conseil de l’Europe ou la sensibilisation de certains agents de l’Etat et des parlementaires aux principes de la Convention.

J’insiste enfin sur un dernier point : celui de l’indépendance de la justice. Les citoyens ne pourront jamais faire valoir correctement leurs droits dans l’Etat dans lequel ils vivent si la justice est à la solde du pouvoir. Voilà un élément qui pourrait faciliter le désengorgement de la Cour.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Gross.

M. GROSS (Suisse)* – Mes chers collègues, en écoutant ce matin le ministre anglais chanter les louanges de la Cour et du Conseil de l’Europe je me demandais ce qu’il aurait dit si nous l’avions confronté au fait qu’il n’est pas du tout certain que la majorité de nos gouvernements et de nos parlements accepterait aujourd’hui de mettre en place une telle Cour des droits de l’homme et d’accorder aux citoyens le droit de faire respecter leurs droits devant cette celle-ci. Voilà qui illustre bien le déficit démocratique actuel.

La situation est paradoxale, puisque la réalité montre les lacunes d’une coopération transfrontalière. Comme le rappelait le philosophe Jürgen Habermas, la transfrontalisation de la démocratie exige une protection des droits de l’homme. Dans les années 40, avant la création de la Cour, les gens ont fait preuve d’un courage extraordinaire. Mais cette Cour et cette Convention, nous ne les défendons même plus ! Il y a une tendance nationaliste, une tendance à la renationalisation, pas seulement au Royaume-Uni, mais également dans mon pays, la Suisse, je dois le reconnaître. Nous n’expliquons pas assez à nos concitoyens pourquoi ce système est non seulement nécessaire, mais encore pourquoi il doit être renforcé.

Je trouve donc tout à fait merveilleux que Mme Bemelmans-Videc ait rédigé ce rapport. Nous devons prendre au sérieux ce qu’elle nous dit, à savoir qu’il est de notre devoir d’adopter dans notre pays davantage de lois qui respectent les droits de l’homme et les libertés de nos concitoyens. Si tel était le cas, nos concitoyens n’auraient plus à s’adresser à la Cour de Strasbourg, alors qu’aujourd’hui, elle est le dernier espoir pour les citoyens d’une douzaine de pays d’obtenir le respect de leurs droits et libertés.

Pour obtenir un soutien majoritaire dans nos pays, peut-être devrions-nous expliquer que la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas une cour formelle mais une partie d’un système, qu’elle n’est pas une cour étrangère mais bien une cour qui s’inscrit dans nos propres systèmes. Peut-être faudrait-t-il également expliquer qu’il faut davantage d’argent pour financer cette cour et faire comprendre aux ministres de nos pays respectifs qu’ils doivent nous aider à mieux faire notre travail. Les lois sont insuffisantes, nous devons les améliorer.

L’appel de Mme Bemelmans-Videc vient à son heure. Il faut le prendre au sérieux. Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent, n’attendons plus !

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Santini.

M. SANTINI (Italie)* – Au bout de cinq ans, ce rapport arrive enfin dans l’hémicycle, dans une urgence quasi existentielle car la Cour européenne des droits de l’homme est menacée d’une crise imminente qui impose d’agir. Nous le disions déjà il y a cinq ans, mais la crise ne devait pas être si grave, sans quoi, depuis lors, la Cour serait morte !

Les causes de cette crise ne tiennent pas seulement au travail de la Cour elle-même et à ses relations avec les Etats membres ; elles tiennent surtout au fait que le budget du Conseil de l’Europe était empreint d’incertitudes quant au financement de la Cour. Le rapport qui nous est présenté fournit des indications utiles sur les moyens de revitaliser le travail de la Cour et de donner une nouvelle actualité à la Convention, qui doit être véritablement vue comme s’inscrivant dans un système de partenariat avec le travail législatif des parlements nationaux.

De nombreuses législations nationales traitent les arrêts de la Cour comme autant d’indications très utiles. Mais parfois, ce n’est pas le cas. Par ailleurs, le principe de la subsidiarité peut être interprété de manière excessivement restrictive. Dans de nombreux cas, trop peut-être, la Cour déclare irrecevables les requêtes des citoyens. En outre, face à la longueur exténuante des procédures, elle donne d’elle une image trop bureaucratique. Pour la revitaliser, il faut demander aux Etats membres non seulement d’augmenter les budgets, mais aussi de mieux prendre en compte dans leurs parlements et systèmes judiciaires respectifs les arrêts de la Cour.

Il faut surtout redécouvrir la centralité de l’homme par rapport aux appareils bureaucratiques. Antonio Cassese, le grand juriste italien récemment disparu, a travaillé sur le droit international et la Cour européenne des droits de l’homme. On lui a ici rendu hommage aujourd’hui et ses successeurs ont rappelé qu’il était toujours souriant. C’était, il est vrai, un homme optimiste, qui considérait que le point de référence devait être le citoyen et non le système public. Il a eu le courage d’aller à l’encontre de systèmes bien établis. C’était, a-t-on dit, un Don Quichotte qui n’a jamais eu peur face à la bureaucratie et qui n’hésitait pas à l’attaquer avec son extraordinaire pragmatisme.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Huseynov.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Chers collègues, la Convention européenne des droits de l’homme et Le Conseil de l’Europe ont pratiquement le même âge. Le Conseil de l’Europe va célébrer son soixante-troisième anniversaire et la Convention européenne fêtera l’an prochain son soixantième anniversaire. Ces six décennies ont vu les évolutions les plus importantes en matière de démocratie et droits de l’homme en Europe. La Convention européenne des droits de l’homme s’est révélée l’un des mécanismes juridiques les plus efficaces, les faits en attestent.

La mort d’une personne est une tragédie, mais la mort de milliers de personnes n’est qu’une statistique, dit-on. On pourrait aussi dire que la violation des droits d’une ou de plusieurs personnes doit être réglée sans délai, mais que la violation continue et récurrente de la plupart des droits de milliers de personnes n’est qu’une statistique. Je pense quant à moi qu’il est bon de se pencher sur ces statistiques de temps à autre, sans trop se précipiter pour trouver des solutions ! Je suis ironique, bien sûr, mais voyez ce qui se passe depuis vingt ans : l’Azerbaïdjan, dont 20 % du territoire sont occupés par l’Arménie et dont un million de personnes sont devenues des réfugiés et des personnes déplacées, a écouté toutes les discussions possibles sur le sujet sans voir de résultats concrets découler de son adhésion au Conseil de l’Europe et à la Convention européenne des droits de l’homme au cours de ces douze dernières années.

Il est vrai que le Groupe de Minsk de l’OSCE et le Conseil de l'Europe ont organisé des débats afin de trouver une solution au conflit et ont pris un certain nombre de mesures. Mais nous ne voyons pas de véritables progrès ni de véritables résultats se profiler.

Les réfugiés de l’Azerbaïdjan et les personnes déplacées, dont les droits les plus fondamentaux ont été violés, ont perdu tout ce qu’ils avaient construit durant des années. Ils se sont alors tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme.

La Cour est préoccupée par le fait que de nombreux pays n’appliquent pas ses arrêts. Nous devons y remédier, car il s’agit d’une violation des droits les plus fondamentaux. Le but étant de redonner espoir aux millions de personnes réfugiées et déplacées.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Frunda.

M. FRUNDA (Roumanie)* – Je ne vous apprendrai rien en disant qu’au cours de ces quinze dernières années le Conseil de l'Europe a perdu de son importance. Seule la Cour européenne des droits de l’homme reste crédible, parce qu’elle est composée de juges professionnels qui prennent des décisions motivées. Nous devons absolument mettre en place un plan d’action pour maintenir l’importance de la Cour.

Avant de détailler ce plan d’action, j’aimerais féliciter notre rapporteure, même si elle est absente, pour son excellent rapport. Revenons à ce plan d’action, composé de cinq mesures : premièrement, renforcer l’authenticité de la Cour ; deuxièmement, améliorer l’efficacité des voies de recours internes des pays qui connaissent des problèmes structurels graves ; troisièmement, appliquer les arrêts de la Cour dans les pays membres ; quatrièmement, appliquer la jurisprudence dans les tribunaux nationaux ; cinquièmement, assurer à la Cour la base financière lui permettant de poursuivre de manière efficace son travail.

Je suis persuadé que si nous agissons en ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme restera l’organe le plus efficace dont ont besoin 800 millions d’habitants.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à Mme Karamanli.

Mme KARAMANLI (France)* – Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport rappelle bien que la Cour européenne des droits de l’homme garantit à tous les citoyens d’un Etat membre signataire de la Convention européenne des droits de l’homme le bénéfice d’un contrôle juridictionnel du respect des droits sur lesquels cet Etat s’est engagé. Il s’agit là de l’expression d’une philosophie politique forte, au terme de laquelle l’Etat se soumet au droit, limite son pouvoir à l’égard des personnes et accepte le contrôle d’un juge indépendant situé au-delà de ses frontières. La Cour est, en application de ce triple principe, unique et ouverte aux individus, et intervient en dernier ressort du contrôle juridictionnel interne des Etats signataires de la Convention.

Il faudrait néanmoins aller plus loin. Les droits garantis par la Convention constituent un domaine en expansion, ce qui n’est certainement pas sans influer sur la nature et le volume des recours. Même si le rapport n’évoque pas précisément cette question, dans la plupart des Etats, en Europe comme dans le reste du monde, la revendication du respect des droits de l’homme est certainement plus forte qu’hier.

Les domaines concernés sont à la fois quantitativement et qualitativement plus vastes. Ainsi, le respect de la dignité, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la protection du pluralisme des comportements, sont devenus des questions fortes où le droit sert à reconnaître les personnes dans leur individualité, y compris contre des habitudes étatiques, religieuses, communautaires ou familiales.

La justice européenne est appelée à accompagner la reconnaissance de droits construits pour une large part en dehors des Etats, mais que ceux-ci se sont engagés à reconnaître et à respecter. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Ma deuxième remarque concerne le caractère supranational de la Cour qui la porte peut-être à mieux reconnaître des droits que certaines traditions nationales ont du mal à admettre. Prenons le cas de la France. En matière d’accès à un avocat dans le cadre d’une procédure pénale, selon la Cour, un accusé doit bénéficier de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue. La loi française, qui prévoyait l’intervention d’un avocat limitée à un entretien confidentiel de 30 minutes en début de garde à vue, a dû évoluer en 2011 après que le Conseil constitutionnel français, saisi, eut jugé nécessaire son adaptation pour respecter les principes constitutionnels. Reste que la loi récemment adoptée, prévoyant des restrictions à l’intervention d’un avocat jugées par certains comme significatives, pourrait, encore, ne pas être conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’Etat, pour maintenir sa législation, se défend en invoquant une tradition juridique faite d’équilibre entre les droits de la personne mise en cause et la défense de l’ordre public.

D’autres exemples pourraient être cités et il est vraisemblable que la Cour européenne des droits de l’homme sera à nouveau saisie de ces questions au travers de recours.

Il y a donc lieu de constater que l’augmentation du nombre de recours est aussi l’illustration d’un problème de fond relatif à l’articulation entre des traditions juridiques nationales revendiquées, un degré d’appropriation différent par les Etats des principes auxquels ils ont souscrit et des ajustements interprétatifs opérés par la Cour.

Mon dernier point concerne le contrôle des droits par les systèmes juridictionnels eux-mêmes. L’effectivité des droits passe d’abord, et le rapport le souligne à juste titre, par un contrôle juridictionnel interne qui doit être prééminent. Or les systèmes juridictionnels varient d’un Etat à l’autre. Par ailleurs le droit devient, quantitativement, toujours plus important.

La place et le rôle incontestés de la Cour européenne des droits de l’homme doivent le rester. Des moyens conséquents doivent être alloués en vue de rendre l’action de la Cour plus efficace et tout aussi efficiente.

De façon plus générale, le droit doit retrouver le sens initial qu’il a eu en Occident et en Europe, à savoir qu’il doit exprimer la justice et pas seulement une norme formelle de fonctionnement.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Aivaliotis.

M. AIVALIOTIS (Grèce)* – Je voudrais tout d’abord féliciter le candidat élu Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe. Nous serons là pour le soutenir et aussi pour le critiquer si nous constatons qu’il n’exerce pas ses devoirs selon les demandes de la Cour.

Ayant été député au Parlement européen, je puis vous assurer que des institutions ont été créées qui servent à mieux examiner les recours déposés auprès de la Cour. Plusieurs recours provenant de l’Italie ou de la Turquie, par exemple, ne sont pas encore examinés. Nous pensons que la Turquie a une attitude différente par rapport à certaines questions politiques, je veux parler notamment du génocide arménien qu’elle ne reconnaît pas, de la situation des Kurdes, et du danger qui menace dans ce pays tous les citoyens non musulmans. La Turquie a fait l'objet de plusieurs condamnations pour avoir violé des lois concernant la propriété des Grecs qui habitaient Constantinople plusieurs années auparavant. De même, les biens de certains Chypriotes ne sont actuellement pas défendus.

Je constate donc qu’il existe plusieurs niveaux et des attitudes différentes selon qu’il s’agit de l’Italie, de la Turquie ou de la Pologne. Il faut que nous soyons sincères au sein de cette Assemblée parlementaire. Ainsi, en Albanie, lorsqu’un recensement est effectué, ses résultats peuvent donner lieu à des recours et les personnes ayant donné de fausses informations peuvent être emprisonnées. Nous avons également appris par des témoignages que dans la ville de Skopje, 100 000 Grecs n’ont pas été recensés. Mais qui s’est intéressé à l’affaire ? Le Conseil de l'Europe a-t-il fait quelque chose ? Je voudrais que le nouveau Commissaire aux droits de l’homme examine la question et qu’il voie si ces personnes vivant dans la ville de Skopje parlent grec.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à Mme Zimmermann.

Mme ZIMMERMANN (France) – J’ai été particulièrement intéressée par la lecture du rapport de Mme Bemelmans-Videc. Il pose de nombreuses questions et apporte un certain nombre de réponses auxquelles je souscris. Je souhaiterais néanmoins évoquer un point particulier : celui du droit au recours individuel qui me semble devoir être sanctuarisé. L’économie de notre système institutionnel repose par définition sur le droit de recours individuel. Une réforme technique ne saurait être un prétexte pour l’amender.

Je suis bien consciente que les arguments avancés par les partisans de son amendement ne sont pas sans fondement. Certes 90 % des requêtes pendantes devant la Cour sont manifestement irrecevables. Est-il bien nécessaire, pour autant, d’avoir une décision de justice pour des affaires manifestement irrecevables ? Est-il en effet nécessaire de convoquer un juge pour traiter d’une affaire sans fondement juridique ? Le bon sens consisterait à dire : bien sûr que non ! Et pourtant… Un peu d’optimisme serait de bon aloi !

Contrairement aux premières craintes, l’entrée en vigueur du Protocole 14 qui a conduit à la mise en place de la procédure du juge unique semble porter ses fruits. D’ici à 2015, la Cour serait en mesure de traiter l’ensemble du stock des requêtes manifestement irrecevables. Cela ne limite en rien la nécessité de renforcer le système de filtre pour faire face à un nouvel afflux de requêtes sans fondement.

Outre la pédagogie vis-à-vis de requérants potentiels, la question essentielle qui demeure est de savoir comment mettre en place une procédure de filtre des requêtes offrant au requérant des garanties équivalentes à un traitement non filtré. Une piste de réflexion consisterait à s’inspirer du système mis en place par le Conseil d’Etat lors de l’établissement de ses compétences en matière de cassation. Les formations de jugement ont dégagé des principes clairs en matière d’irrecevabilité manifeste. Sur ces critères, les requêtes manifestement irrecevables sont rejetées par ordonnance du président de la sous-section, sans possibilité de recours. La garantie apportée au justiciable réside dans le fait que, s’il y a un doute sérieux quant au rejet, l’affaire est néanmoins examinée en séance d’instruction et peut, dans certains cas, être confiée à la formation de jugement.

Le principe du recours individuel subsisterait sans pour autant paralyser le fonctionnement de la Cour, ce qui revient également à donner plus de portée effective à ce principe lorsqu’une affaire sérieuse de violation des droits de l’homme n’est jugée qu’au bout de quatre ans ! Ce n’est évidemment pas une piste unique, mais elle me semble intéressante dans la mesure où elle concilie les exigences de célérité de la justice et de la qualité de cette dernière.

Autre élément d’importance qui n’est pas étranger à la question du filtre des requêtes : le budget de la Cour européenne des droits de l’homme. L’enjeu est trop important pour le négliger. Le principe de la réforme de la Cour est d’éviter que l’enjeu budgétaire ne se transforme en tonneau des Danaïdes, mais pour autant, les Etats membres doivent être conscients qu’ils doivent augmenter le budget de la Cour dans des proportions raisonnables. Sachons être ambitieux lorsqu’il s’agit de renforcer l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Shershun.

M. SHERSHUN (Ukraine)* – La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a choisi aujourd'hui d’aborder un thème d'une grande actualité : l’efficacité et l’autorité de la Convention européenne des droits de l’homme. Nous le savons, c’est un problème qui fait l'objet de discussions depuis déjà plusieurs années. Or, plus la solution se fait attendre, plus l’engorgement de la Cour européenne s'aggrave.

Pour ce qui est de l’arriéré d’affaires, des problèmes systémiques expliquent cette accumulation d’affaires pendantes. La Cour a souligné, à plusieurs reprises, cette difficulté qui se double du fait que l’instruction des affaires est extrêmement longue. La stratégie visant à trouver des solutions à toutes ces difficultés a déjà été identifiée dans les Déclarations d’Interlaken et d’Izmir. Malheureusement, ces solutions n’ont pas encore été totalement mises en œuvre.

La résolution qui nous est aujourd'hui présentée complètera avantageusement le processus de réforme de la Cour déjà engagé. La proposition de demander aux parlements nationaux de renforcer leur contrôle sur les Etats afin de veiller à ce qu’ils respectent leurs obligations internationales et mettent en œuvre les arrêts de la Cour permettrait d’améliorer la situation en matière de droits de l’homme.

Pour ce qui est de mon pays, nous poursuivrons les efforts afin de garantir la mise en œuvre rapide des dispositions contenues dans la Convention. Ainsi, il est interdit de regarder la correspondance entre la Cour et toute personne qui se trouve en détention provisoire ou qui exécute sa peine. Au niveau législatif, la durée de l’instruction des affaires a été raccourcie pour les affaires en appel. De plus, le Président de l’Ukraine a créé une commission pour la prévention de la torture. L’Ukraine continuera à agir en ce sens et nous espérons que les dispositions de cette résolution amélioreront la situation dans notre pays et ailleurs et que les violations des droits de l’homme se feront plus rares.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Biedroń.

M. BIEDROŃ (Pologne)* – Je voudrais féliciter la rapporteure pour cet excellent rapport qui arrive à un moment où il existe un important arriéré d'affaires pendantes à la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle reste pourtant le dernier ressort et le dernier espoir pour des victimes de violation grave des droits de l’homme. Les responsables politiques qui savent l’importance de la Cour devraient se rappeler qu’à long terme, ils sont en train de priver les victimes de violation des droits de l’homme de tout espoir de se voir un jour rendre justice.

L’exemple du Royaume-Uni montre pourtant qu’il est bien plus facile pour les pays connus pour avoir perpétré des violations des droits de l’homme de s’y soustraire. C’est pourquoi le rôle de notre organe est de tout faire pour renforcer le mécanisme de Strasbourg et le rôle de la Cour. Il est clair que cette dernière souffre de son arriéré d’affaires, mais n’oublions pas que le respect des normes du Conseil de l'Europe est une obligation qui incombe en premier lieu aux Etats membres.

Les pratiques diffèrent selon les pays. Certains arrêts ont été mis en œuvre comme il se doit. Plusieurs affaires polonaises ont été un exemple pour toute l’Europe en matière de durée de procédure et d’autres Etats l'ont suivi. Mais d’autres ne sont pas traitées comme il se doit. Des arrêts n’ont pas été mis en œuvre, comme celui relatif à l’interdiction de la Gay Pride, à Varsovie, en juin 2005.

C’est également vrai pour d’autres pays dont la Russie et la République de Moldova où les droits de réunion des LGBT – lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres – ne sont pas respectés. Si les Etats membres traitaient sérieusement la res interpretata, l’autorité de la chose interprétée, cela n’aurait jamais lieu.

Le rapport souligne le fait que le budget de la Cour européenne des droits de l’homme, six fois inférieur à celui de la Cour de justice de l’Union européenne, est insuffisant pour couvrir ses activités. Une volonté politique sérieuse est nécessaire pour augmenter ce budget, et la crise financière ne devrait pas servir de prétexte.

Les réformes proposées dans les Déclarations d’Interlaken et d’Izmir restent vides de tout sens si nous n’assurons pas, ici, un financement stable et à long terme de la Cour.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. Di Nino.

M. DI NINO (Observateur du Canada)* – Je veux tout d’abord féliciter Mme la rapporteure pour son excellent travail.

Je vous remercie de me donner l’occasion d’exprimer le point de vue d’un pays observateur sur une question aussi fondamentale, non seulement pour le Conseil de l’Europe mais aussi pour le monde entier.

Si les questions évoquées par Mme la rapporteure peuvent être considérées comme internes aux Etats membres du Conseil de l’Europe, il importe cependant de se rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ont une grande influence au-delà des frontières de l’Europe. La Cour jouit d’une excellente réputation : cette institution rend des arrêts bien argumentés et respectés, qui ont inspiré les jurisprudences de juridictions de nombreux pays, y compris la Cour suprême du Canada lorsqu’il s’agissait d’interpréter et de mettre en œuvre notre propre charte des droits et des libertés. Dans des pays jeunes tels que le Canada, les tribunaux cherchent souvent à s’orienter en matière de droits fondamentaux et de droit constitutionnel à partir d’arrêts raisonnés d’instances comme la Cour européenne des droits de l’homme.

Un examen des arrêts de la Cour suprême du Canada montre qu’elle s’est souvent inspirée, effectivement, des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle y a fait référence et qu’elle a parfois repris ses raisonnements. Elle s’est appuyée sur des arrêts de la Cour de Strasbourg à propos d’un vaste éventail d’affaires touchant à de nombreux droits et libertés : liberté religieuse, liberté de la presse, accès à la justice et aux tribunaux, droit à la vie, liberté et sécurité de la personne, protection contre les détentions arbitraires et châtiments corporels, droits de l’enfant, etc.

Soulignons que l’influence de la Cour ne se résume pas à celle de son excellente jurisprudence. La Cour a contribué au renforcement des valeurs de la démocratie et de la prééminence du droit en Europe et dans les régions voisines. Cela a été extrêmement précieux pour les nouveaux Etats membres qui, après des décennies d’oppression, ont œuvré à la mise en place d’institutions démocratiques. En témoigne le fait que le Conseil de l’Europe compte aujourd’hui 47 Etats membres.

Je demande à l’Assemblée parlementaire d’appuyer les mesures proposées par Mme la rapporteure. Demandez en particulier au Comité des Ministres de prier les Etats membres de mettre en place une législation ou d’autres moyens pour garantir un respect accru des arrêts de la Cour.

Mme la rapporteure recommande que l’Assemblée parlementaire joue un rôle plus important lorsqu’il s’agit de faire le point sur les efforts des Etats membres dans la mise en œuvre des réformes décidées dans le cadre des Conférences d’Interlaken et d’Izmir. Il faut soutenir cette recommandation.

LA PRÉSIDENTE* – M. Rzayev et Mme la Baroness Nicholson n’étant pas présents, la parole est à M. Sabella.

M. SABELLA (Autorité nationale palestinienne, partenaire pour la démocratie)* – D’après moi, les deux sujets à l’ordre du jour de la séance de cet après-midi – la vie culturelle et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme – sont liés. Une plus grande ouverture culturelle rend moins probable les violations des droits fondamentaux qui font l’objet des requêtes adressées à la Cour. Il appartient à nos parlements nationaux de veiller non seulement à ce que nos législations soient compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi à ce que les législations adoptées facilitent l’accès à la culture, et ce sans discrimination. La conformité avec les arrêts de la Cour n’est qu’un aspect de la question. Offrir aux citoyens, quelle que soit leur origine, toutes sortes de possibilités en matière culturelle en est un autre.

En Palestine, nous attendons avec impatience le moment où nous serons un Etat-nation libre et indépendant, libre de toute occupation et préservé de toute violation des droits de l’homme.

Les questions de culture et de droits de l’homme sont extrêmement complexes. Elles n’en sont pas moins extrêmement pertinentes pour nous, en Palestine. Nous apprenons beaucoup en nous y intéressant et c’est ainsi que nous pouvons promouvoir nos institutions culturelles en vue d’une vie libre dans une région pacifiée. Nous continuons, pour la réalisation de cette aspiration, de dépendre du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée parlementaire de cette Organisation.

LA PRÉSIDENTE* – La liste des orateurs est épuisée. Un orateur non inscrit sur la liste souhaiterait-il s’exprimer ? Ce n’est pas le cas.

J’appelle la réplique de la commission. Monsieur le rapporteur, il vous reste neuf minutes. Vous avez la parole.

M. de VRIES (Pays-Bas), rapporteur * – Nombre d’interventions m’ont inspiré. Je trouve formidable que des observateurs du Canada soient parmi nous pour nous montrer quelle chance nous avons d’avoir une instance telle que la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous est si utile. Sans doute nos collègues britanniques, plus sceptiques, devraient-il rapporter à leurs électeurs les propos tenus par notre collègue canadien. Je n’ai jamais eu de mal à expliquer, si nécessaire, des choses difficiles : il suffit d’être convaincu. En l’occurrence, les droits fondamentaux de l’homme, les droits universels de l’homme sont indispensables au bien-être de nos sociétés. Ils le resteront demain.

Nous avons entendu parler en termes généraux du Royaume-Uni et des critiques qui s’y expriment à l’encontre de la Cour européenne des droits de l’homme. Une critique politique se fait parfois entendre plus fort, mais nous avons aussi entendu que les décisions judiciaires ne seront pas contredites par des décisions politiques, que des ordres politiques ne seront pas donnés aux juges. Dans une certaine mesure, c’est rassurant car, si les politiques se mettaient à dicter aux juges ce qu’ils ont à faire, ce serait un retour au Moyen Age, sinon pire.

Cela dit, quelles que soient les critiques dont la Cour peut être l’objet, je n’ai entendu, à propos du travail réalisé par Mme Bemelmans-Videc, que des éloges. Mme Bemelmans-Videc est une femme brillante mais modeste, s’exprimant d’une voix douce, qui nous a rendu d’excellents services tout au long de ces années.

Dans son rapport, Mme Bemelmans-Videc met en lumière des éléments très simples. Chacun peut agir là où il se trouve, et si certains sont inactifs alors qu’ils ont les moyens d’agir, alors encourageons-les à le faire. Selon moi, les parlementaires devraient s’impliquer davantage dans le suivi de la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les Etats membres sont les premiers responsables de la situation de la Cour, mais les parlements partagent cette responsabilité. Les parlementaires du Conseil de l'Europe doivent interroger le Comité des Ministres et exiger qu’il réagisse, non par des interventions polies, mais par un discours clair à l’intention des pays qui ne mettent pas en œuvre les arrêts de la Cour.

Les Britanniques sont étonnés de l’ampleur de leur arriéré d’affaires mais, dans mon pays, lorsque le Rhin est en crue, nous faisons ce qu’il faut pour ne pas être engloutis ! Un pays ne peut pas se contenter de se plaindre. Il doit rechercher par lui-même des solutions. Je rappelle que 70 % des affaires pourraient être traitées dans le pays dont elles émanent !

Dans nos pays respectifs, nous devons nous assurer que nos gouvernements agissent conformément à leurs obligations. Nous devons nous regarder dans un miroir. Le rapport de Mme Bemelmans-Videc formule plusieurs propositions afin de mettre en œuvre la Déclaration d’Interlaken. Les voies classiques ont leur mérite et nous sommes nombreux à être convaincus que le Comité des Ministres doit modifier son discours. Si l’on se contente du langage diplomatique, rien ne changera jamais.

La présidence britannique du Comité des Ministres doit donc rappeler à l’ordre les pays membres du Conseil de l'Europe qui ne mettent pas en œuvre les arrêts de la Cour. Toutes les discussions sont utiles et la Cour ne doit pas, de son côté, être trop sensible à la critique. Les juges et les arrêts peuvent être critiqués tant que la forme reste respectueuse. Pour que la justice reste vivante, le dialogue doit toujours être possible.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à Lord Tomlinson, pour un rappel au Règlement.

Lord TOMLINSON (Royaume-Uni)* – Je souhaite indiquer à M. de Vries que, lorsqu’il évoque les Britanniques, il parle de certains d’entre eux seulement et que d’autres partagent son point de vue.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. le président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

M. CHOPE (Royaume-Uni), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Il me semble que tous les parlementaires de l’Assemblée s’accordent sur le fait que la Cour et ses arrêts ne doivent pas être au-dessus de toute critique. Si des arrêts de la Cour sont incompréhensibles pour les citoyens, alors elle risque de perdre son autorité.

Au nom de la commission, je remercie M. de Vries d’avoir présenté le rapport de Mme Bemelmans-Videc. Ce débat me paraît extrêmement utile et les différentes interventions que nous avons entendues ont toutes été très intéressantes. Sans aucun doute, ce sujet sera abordé demain par le Premier ministre britannique.

Mme Bemelmans-Videc souligne dans son rapport que les pays qui transmettent un grand nombre d’affaires à la Cour le font au détriment des contributeurs financiers principaux du Conseil de l'Europe, et en toute impunité.

J’estime que si un gouvernement n’arrive pas à mener à bien un processus juridique, à ce moment-là il doit contribuer à la facture juridique de la Cour.

LA PRÉSIDENTE* – La parole est à M. de Vries.

M. de VRIES (Pays-Bas), rapporteur*– Madame la Présidente, j’ai été mis en cause par deux collègues britanniques après ma réplique. Je voudrais vous dire que je distingue très bien les opinions des uns et des autres. Je ne dis pas, loin de là, que tous les élus britanniques sont du même avis. M. Chope, le Président de la commission, a présenté son propre point de vue. Dans cette discussion, j’ai essayé d’expliquer ce qui se passe.

LA PRÉSIDENTE* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a présenté un projet de résolution sur lequel aucun amendement n’a été déposé et un projet de recommandation sur lequel aucun amendement n’a été déposé,

Nous allons tout d’abord procéder au vote sur le projet de résolution contenu dans le Doc. 12811.

Le projet de résolution est adopté (55 voix pour et 1 abstention).

LA PRÉSIDENTE* – Nous allons procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le Doc. 12811.

Je vous rappelle que la majorité requise est celle des deux tiers des suffrages exprimés.

Le projet de recommandation est adopté (54 voix pour et 1 abstention).

5. Prochaine séance publique

LA PRÉSIDENTE * – La prochaine séance publique aura lieu demain matin, à 10 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 19 h 40.

S O M M A I R E

1. Election du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (suite)

2. Le droit de chacun de participer à la vie culturelle

Présentation par Mme Marland-Militello du rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias (Doc. 12815)

Intervention de Mme Bokova, directrice générale de l’Unesco

Orateurs : M. Hancock, Mmes O’Sullivan, Kovács, Karamanli, MM. Heald, Legendre, Mme Blondin, MM. Aivaliotis, Rouquet, Schneider, Marquet, Mme Schou, M. Frécon, Mmes Gafarova, Christoffersen, Zohrabyan, MM. Szabó, Toshev, Mme Fataliyeva, M. Kucheida, Mme Backman, MM. Don Davies, Gaudi Nagy, Sudarenkov, Huseynov, Pupovac, Shershun, Mme Guţu, M. Assaf, Mme Schuster, Baroness Nicholson, M. Reimann, Mme Anikashvili, M. Matušić

Réponses de Mme la rapporteure et de M. Flego le président de la commission de la culture

Vote sur le projet de recommandation

3. Election du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Résultats du scrutin)

4. Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme

Présentation par M. de Vries du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 12811)

Orateurs : MM. Lecoq, Franken, Mme Strik, MM. Binley, Dijkhoff, Salles, Michel, Sir Roger Gale, M. Bockel, Mmes Grosskost, Blondin, MM. Gross, Santini, Huseynov, Frunda, Mme Karamanli, M. Aivaliotis, Mme Zimmermann, MM. Shershun, Biedroń, Di Nino, Sabella

Réponse de M. le rapporteur et de M. Chope, le président de la commission des questions juridiques

Rappel au Règlement de Lord Tomlinson ; M. le rapporteur

Votes sur le projet de résolution et le projet de recommandation

5. Prochaine séance publique

ANNEXE

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l'article 11.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d'un astérisque

Francis AGIUS*

Pedro AGRAMUNT*

Arben AHMETAJ*

Miloš ALIGRUDIĆ*

Karin ANDERSEN

Donald ANDERSON

Florin Serghei ANGHEL*

Khadija ARIB/Tineke Strik

Mörður ÁRNASON

Francisco ASSIS*

Alexander BABAKOV*

Þuriður BACKMAN

Daniel BACQUELAINE

Viorel Riceard BADEA*

Gagik BAGHDASARYAN*

Pelin Gündeş BAKIR

Gerard BARCIA DUEDRA

Doris BARNETT

Meritxell BATET*

Deniz BAYKAL

Marieluise BECK

Alexander van der BELLEN/Sonja Ablinger

Anna BELOUSOVOVÁ*

Deborah BERGAMINI*

Robert BIEDROŃ

Grzegorz BIERECKI*

Gülsün BİLGEHAN

Oksana BILOZIR

Brian BINLEY

Delia BLANCO*

Roland BLUM/Rudy Salles

Jean-Marie BOCKEL

Eric BOCQUET

Olena BONDARENKO

Mladen BOSIĆ*

António BRAGA*

Anne BRASSEUR

Márton BRAUN*

Federico BRICOLO/Giacomo Stucchi

Ankie BROEKERS-KNOL*

Piet DE BRUYN*

Patrizia BUGNANO/Giuliana Carlino

André BUGNON

Sylvia CANEL*

Mevlüt ÇAVUŞOĞLU*

Mikael CEDERBRATT*

Otto CHALOUPKA

Vannino CHITI/Anna Maria Carloni

Christopher CHOPE

Lise CHRISTOFFERSEN

Desislav CHUKOLOV*

Lolita ČIGĀNE

Boriss CILEVIČS

James CLAPPISON*

Deirdre CLUNE*

Georges COLOMBIER/Marietta Karamanli

Agustín CONDE

Titus CORLĂŢEAN*

Igor CORMAN*

Telmo CORREIA

Carlos COSTA NEVES*

Cristian DAVID*

Joseph DEBONO GRECH*

Giovanna DEBONO*

Armand DE DECKER*

Arcadio DÍAZ TEJERA*

Peter VAN DIJK*

Klaas DIJKHOFF

Şaban DİŞLİ

Karl DONABAUER

Gianpaolo DOZZO*

Daphné DUMERY

Alexander DUNDEE*

Josette DURRIEU*

Diana ECCLES*

József ÉKES*

Tülin ERKAL KARA

Lydie ERR*

Nikolay FEDOROV*

Valeriy FEDOROV

Relu FENECHIU*

Doris FIALA/Luc Recordon

Daniela FILIPIOVÁ/Tomáš Jirsa

Axel E. FISCHER*

Jana FISCHEROVÁ

Paul FLYNN

Stanislav FOŘT

Dario FRANCESCHINI/ Gianni Farina

Hans FRANKEN

Jean-Claude FRÉCON

Erich Georg FRITZ

Martin FRONC*

György FRUNDA

Giorgi GABASHVILI*

Alena GAJDŮŠKOVÁ*

Roger GALE

Jean-Charles GARDETTO

Tamás GAUDI NAGY

Valeriu GHILETCHI

Sophia GIANNAKA/Konstantinos Aivaliotis

Paolo GIARETTA

Michael GLOS*

Obrad GOJKOVIĆ*

Jarosław GÓRCZYŃSKI

Svetlana GORYACHEVA

Martin GRAF

Sylvi GRAHAM/ Ingjerd Schou

Andreas GROSS

Arlette GROSSKOST

Dzhema GROZDANOVA

Attila GRUBER*

Ana GUŢU

Carina HÄGG/Jonas Gunnarsson

Sabir HAJIYEV/Sevinj Fataliyeva

Andrzej HALICKI

Mike HANCOCK

Margus HANSON/Indrek Saar

Davit HARUTYUNYAN

Håkon HAUGLI/Tor Bremer

Norbert HAUPERT

Oliver HEALD

Alfred HEER/Gerhard Pfister

Olha HERASYM'YUK

Andres HERKEL

Adam HOFMAN*

Serhiy HOLOVATY

Jim HOOD

Joachim HÖRSTER

Anette HÜBINGER

Andrej HUNKO

Susanna HUOVINEN

Ali HUSEYNLI/ Sahiba Gafarova

Rafael HUSEYNOV

Stanisław HUSKOWSKI/ Mirosława Nykiel

Shpëtim IDRIZI/Kastriot Islami

Željko IVANJI*

Igor IVANOVSKI*

Tadeusz IWIŃSKI

Denis JACQUAT/ Marie-Jo Zimmermann

Michael Aastrup JENSEN*

Mats JOHANSSON

Birkir Jón JÓNSSON

Armand JUNG*

Antti KAIKKONEN

Ferenc KALMÁR*

Mariusz KAMIŃSKI

Michail KATRINIS

Burhan KAYATÜRK*

Bogdan KLICH*

Haluk KOÇ

Konstantin KOSACHEV*

Tiny KOX

Marie KRARUP*

Borjana KRIŠTO*

Václav KUBATA

Pavol KUBOVIČ

Jean-Pierre KUCHEIDA

Dalia KUODYTĖ/Egidijus Vareikis

Ertuğrul KÜRKÇÜ*

Athina KYRIAKIDOU*

Henrik Sass LARSEN*

Jean-Paul LECOQ

Harald LEIBRECHT*

Terry LEYDEN*

Inese LĪBIŅA-EGNERE

Yuliya LIOVOCHKINA

Lone LOKLINDT

François LONCLE/Maryvonne Blondin

Jean-Louis LORRAIN/Jacques Legendre

George LOUKAIDES

Younal LOUTFI

Saša MAGAZINOVIĆ*

Philippe MAHOUX

Gennaro MALGIERI

Nicole MANZONE-SAQUET/Bernard Marquet

Pietro MARCENARO*

Milica MARKOVIĆ*

Muriel MARLAND-MILITELLO*

Meritxell MATEU PI

Pirkko MATTILA/Sirkka-Liisa Anttila

Frano MATUŠIĆ

Liliane MAURY PASQUIER

Michael McNAMARA*

Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA/Imer Aliu

Evangelos MEIMARAKIS*

Ivan MELNIKOV*

Nursuna MEMECAN

José MENDES BOTA

Dragoljub MIĆUNOVIĆ

Jean-Claude MIGNON/Christine Marin

Dangutė MIKUTIENĖ

Akaki MINASHVILI*

Krasimir MINCHEV/Petar Petrov

Federica MOGHERINI REBESANI

Andrey MOLCHANOV*

Jerzy MONTAG*

Patrick MORIAU

Juan MOSCOSO DEL PRADO

João Bosco MOTA AMARAL

Arkadiusz MULARCZYK*

Alejandro MUÑOZ ALONSO*

Philippe NACHBAR/Jean-Pierre Michel

Adrian NĂSTASE/Tudor Panţiru

Gebhard NEGELE

Pasquale NESSA

Fritz NEUGEBAUER

Emma NICHOLSON

Tomislav NIKOLIĆ*

Aleksandar NIKOLOSKI

Carina OHLSSON*

Joseph O'REILLY

Sandra OSBORNE/Michael Connarty

Nadia OTTAVIANI/Andrea Zafferani

Liliana PALIHOVICI

Vassiliki PAPANDREOU/Elsa Papadimitriou

Ganira PASHAYEVA*

Peter PELLEGRINI*

Lajla PERNASKA

Johannes PFLUG

Ivan POPESCU

Lisbeth Bech POULSEN*

Marietta de POURBAIX-LUNDIN*

Cezar Florin PREDA

John PRESCOTT*

Jakob PRESEČNIK

Gabino PUCHE

Milorad PUPOVAC

Valeriy PYSARENKO/Volodymyr Pylypenko

Carmen QUINTANILLA

Valentina RADULOVIĆ-ŠĆEPANOVIĆ*

Elżbieta RADZISZEWSKA

Mailis REPS

Andrea RIGONI

Gonzalo ROBLES*

François ROCHEBLOINE/André Schneider

Maria de Belém ROSEIRA*

René ROUQUET

Marlene RUPPRECHT*

Ilir RUSMALI

Armen RUSTAMYAN

Branko RUŽIĆ/Elvira Kovács

Volodymyr RYBAK/Oleksiy Plotnikov

Rovshan RZAYEV

Joan SABATÉ*

Džavid ŠABOVIĆ*

Giacomo SANTINI

Giuseppe SARO*

Kimmo SASI/Jaana Pelkonen

Stefan SCHENNACH

Marina SCHUSTER

Urs SCHWALLER/Maximilian Reimann

Valery SELEZNEV*

Samad SEYIDOV*

Jim SHERIDAN

Mykola SHERSHUN

Ladislav SKOPAL/Kateřina Konečná

Leonid SLUTSKY

Serhiy SOBOLEV

Maria STAVROSITU

Arūnė STIRBLYTĖ/Arminas Lydeka

Yanaki STOILOV

Fiorenzo STOLFI

Christoph STRÄSSER

Karin STRENZ*

Valeriy SUDARENKOV

Björn von SYDOW

Petro SYMONENKO*

Vilmos SZABÓ

Melinda SZÉKYNÉ SZTRÉMI/Gábor Tamás Nagy

Chiora TAKTAKISHVILI*

Giorgi TARGAMADZÉ/Magdalina Anikashvili

Vyacheslav TIMCHENKO*

Dragan TODOROVIĆ*

John E. TOMLINSON

Latchezar TOSHEV

Petré TSISKARISHVILI*

Mihai TUDOSE*

Ahmet Kutalmiş TÜRKEŞ

Tuğrul TÜRKEŞ

Konstantinos TZAVARAS/Alexandros Athanasiadis

Tomáš ÚLEHLA/Dana Váhalová

Ilyas UMAKHANOV*

Giuseppe VALENTINO/Renato Farina

Miltiadis VARVITSIOTIS*

Stefaan VERCAMER

Anne-Mari VIROLAINEN

Luigi VITALI

Luca VOLONTÈ

Vladimir VORONIN*

Konstantinos VRETTOS

Klaas de VRIES*

Nataša VUČKOVIĆ*

Dmitry VYATKIN*

Piotr WACH

Johann WADEPHUL

Robert WALTER*

Katrin WERNER

Renate WOHLWEND

Karin S. WOLDSETH/Øyvind Vaksdal

Gisela WURM

Jordi XUCLÀ

Karl ZELLER*

Kostiantyn ZHEVAHO*

Emanuelis ZINGERIS

Guennady ZIUGANOV*

Naira ZOHRABYAN

Vacant Seat, Bosnie-Herzégovine*

Vacant Seat, Chypre*

Vacant Seat, Croatie*

Vacant Seat, Croatie*

Vacant Seat, Croatie*

Vacant Seat, Fédération de Russie*

Vacant Seat, Fédération de Russie *

Vacant Seat, Fédération de Russie *

Vacant Seat, Fédération de Russie *

Vacant Seat, Slovénie*

Vacant Seat, Slovénie*

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter

Terence FLANAGAN

Doris FROMMELT

Johannes HÜBNER

Edgar MAYER

Maureen O'SULLIVAN

John Paul PHELAN

Martina SCHENK

Observateurs

Joyce BATEMAN

Mr Consiglio DI NINO

Hervé Pierre GUILLOT

Ms Martha Leticia SOSA GOVEA

Partenaires pour la démocratie

Walid ASSAF

Najat ALASTAL

Bernard SABELLA

Annexe II

Liste des représentants ou suppléants qui ont participé au vote pour l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Deborah BERGAMINI

Piet DE BRUYN

Patrizia BUGNANO/Giuliana Carlino

Christopher CHOPE

Telmo CORREIA

Daphné DUMERY

Daniela FILIPIOVÁ/Tomáš Jirsa

Stanislav FOŘT

Alena GAJDŮŠKOVÁ/ Pavel Lebeda

Margus HANSON/Indrek Saar

Oliver HEALD

Shpëtim IDRIZI/Kastriot Islami

Denis JACQUAT/ Marie-Jo Zimmermann

Birkir Jón JÓNSSON

Antti KAIKKONEN

Pavol KUBOVIČ

Jean-Pierre KUCHEIDA

Jean-Louis LORRAIN/Jacques Legendre

Philippe MAHOUX

Muriel MARLAND-MILITELLO

José MENDES BOTA

Dragoljub MIĆUNOVIĆ

Jean-Claude MIGNON/Christine Marin

Federica MOGHERINI REBESANI

Jerzy MONTAG

Philippe NACHBAR/Jean-Pierre Michel

Joseph O'REILLY

Lajla PERNASKA

Ivan POPESCU

Andrea RIGONI

François ROCHEBLOINE/André Schneider

Volodymyr RYBAK/Oleksiy Plotnikov

Jim SHERIDAN

Mykola SHERSHUN

Giorgi TARGAMADZÉ/Magdalina Anikashvili

Luigi VITALI

Luca VOLONTÈ

Johann WADEPHUL

Katrin WERNER

Jordi XUCLÀ