FR13CR25

AS (2013) CR 25

SESSION ORDINAIRE DE 2013

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(Troisième partie)

COMPTE RENDU

de la vingt-cinquième séance

Jeudi 27 juin 2013 à 10 heures

Dans ce compte rendu :

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

4.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 10 h 5 sous la présidence de M. Mignon, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT – La séance est ouverte.

1. Manifestations et menaces pour la liberté de réunion,
la liberté des médias et la liberté d’expression
Débat selon la procédure d’urgence

LE PRÉSIDENT – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Díaz Tejera, au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie sur le thème suivant : « Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression » (Doc. 13258).

Nous devrons en avoir impérativement terminé avec l’examen de ce texte, votes inclus, à 12 heures. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 11 h 40 afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. DÍIAZ TEJERA (Espagne), rapporteur de la commission des questions politiques et de la démocratie* – Je veux d’abord remercier la commission qui m’a nommé rapporteur. C’est une façon de réaffirmer la liberté individuelle de tous les membres de cette commission. Les groupes politiques peuvent décider ceci ou cela, mais lorsqu’il s’agit de nommer un rapporteur, chacun est libre de son choix. Je suis donc le rapporteur.

Nous ne sommes pas ici dans un tribunal avec des juges. Nous sommes tous des parlementaires. Nous avons été élus avec des bulletins de vote. Notre devoir est de défendre l’intérêt général.

Je remercie le Président de me permettre d’exercer mon droit de m’exprimer. En le faisant, je pense toujours à mes électeurs de la Grande Canarie en Espagne. Je pense également aux membres de la commission des questions politiques qui m’ont désigné. Personne ne doit avoir honte de son vote. En tant que parlementaires, nous devons toujours penser à ceux qui n’ont pas de pouvoir, que ce soit sur le plan privé, politique, religieux ou autre.

Les formes de manifestation et de protestation sont diverses. Plusieurs villes européennes en ont récemment témoigné. À Paris, d’importantes manifestations ont accompagné le débat sur le mariage pour tous. La Cour suprême des Etats-Unis vient d’ailleurs d’accepter le mariage des homosexuels. À Istanbul, les manifestations sont parties d’un simple mouvement de contestation écologique. Celles de Stockholm ont éclaté dans les quartiers sensibles, où l’immigration est importante, et font l’objet d’un paragraphe spécifique dans le rapport. Athènes et Londres ont également connu récemment de grands mouvements populaires.

Dans ce contexte, que peut faire le Conseil de l’Europe pour que la liberté d’expression et le droit à manifester s’expriment de manière équilibrée, dans le respect des droits civils, privés et publics ? L’égalité, la défense de l’environnement, le droit à l’autodétermination, tous les droits civils, politiques et religieux, doivent être respectés et protégés pour tous. La mission de la police est de protéger la population, y compris lorsqu’elle manifeste.

Le rapport évalue la situation et rappelle les faits, se gardant des jugements idéologiques stériles. Il s’agit de faire le bilan des événements survenus ces dernières années en interrogeant le rôle spécifique du Conseil de l’Europe dans la défense des droits civils et politiques des Européens. Le Code européen d’éthique de la police est l’un des outils dont dispose notre Organisation. Le rapport rappelle la nécessité de bien former les forces de l’ordre et d’améliorer les codes de procédure pénale.

Face aux nouveaux défis du monde contemporain, en effet, nos systèmes sont fragilisés et doivent être repensés. Ainsi, des millions de personnes s’expriment aujourd’hui sur internet. Nous devons veiller à ce que les droits fondamentaux soient toujours mieux respectés et proposer des mesures efficaces tenant compte des nouvelles pratiques.

Lors de l’élaboration de ce rapport, nous avons eu un grand nombre d’interlocuteurs. Notre souci a été de proposer un texte équilibré, donnant une vue d’ensemble objective de la situation européenne.

LE PRÉSIDENT – Monsieur le rapporteur, il vous restera sept minutes pour répondre aux orateurs.

La discussion générale est ouverte.

M. KÜRKÇÜ (Turquie), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je voudrais commencer mon intervention en exprimant mes regrets face aux événements du parc Gezi à Istanbul et mon soutien à tous les manifestants qui luttent pour la liberté. Au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne, j’appelle tous les membres de l’Assemblée à voter ce rapport qui, s’il était adopté, enverrait un message fort à la Turquie. En tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe, elle a le devoir de respecter ses valeurs fondamentales. Il est inacceptable de maltraiter et de tuer des manifestants qui ne font qu’exprimer leur mécontentement dans la rue. Il est inacceptable d’utiliser du gaz lacrymogène pour disperser la foule.

Les libertés d’association et de réunion constituent des droits essentiels de nos démocraties, même en cas de manifestations non autorisées. Les forces de l’ordre ont la mission de protéger les manifestants. Un officier de police turc a tué des manifestants et a été relâché après avoir déclaré qu’il avait craint pour sa vie. S’il avait été bien formé, il aurait protégé les manifestants plutôt que de leur tirer dessus.

De tels actes ne peuvent rester impunis et c’est tout l’objet de ce rapport. C’est le Premier ministre turc qui a donné l’ordre aux forces de l’ordre de réprimer brutalement les manifestations. Les morts et les blessés ont été nombreux. Une démocratie pluraliste n’instrumentalise pas les médias et ne procède pas à des arrestations comme celles d’Istanbul. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a le devoir aujourd’hui d’exprimer son mécontentement face à la réaction du pouvoir turc aux manifestations du parc Gezi et d’envoyer un message de soutien aux citoyens turcs. La Conseil de l’Europe garantit les droits de l’homme, l’Etat de droit et la démocratie. Ils doivent être respectés par tous, y compris par le Gouvernement turc !

M. MOTA AMARAL (Portugal), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Les démocraties ont dans leur ADN le pouvoir du peuple. Et d’ailleurs, des manifestations pacifiques peuvent aboutir à des changements importants, pensez par exemple au mouvement américain pour les droits civiques et à la célèbre parole de Martin Luther King, « I have a dream ». Je pense aussi à la chute du mur de Berlin : j’étais à Strasbourg et j’ai eu des larmes de joie devant les images retransmises par la télévision.

La fin des régimes communistes en Union Soviétique et dans les pays de l’Est provenait de mouvements sociaux. Il en a été de même pour les Printemps arabes en Tunisie et en Egypte.

Cette année, en Europe et ailleurs, notamment au Brésil, nous avons assisté à des manifestations sans leadership institutionnel et dont les partis politiques étaient exclus. Ces mouvements déferlaient dans les rues pour exprimer le mécontentement des peuples.

Le débat vient à point nommé. Je félicite le rapporteur, représentant des Iles Canaries, pour son très précieux rapport. Et je le remercie d’avoir accepté cette mission impossible et de l’avoir accomplie avec succès en si peu de temps.

La liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté de manifestation participent d’une démocratie consolidée. Comme le rapport et le projet de résolution le rappellent, les citoyens ont le droit de s’exprimer sur les décisions politiques prises par les institutions de quelque pays que ce soit. Bien sûr, dans nos Etats démocratiques, les élections nous permettent de choisir nos élus. Mais le pouvoir du peuple ne peut pas se limiter aux élections.

Même les gouvernements légitimes doivent accepter les manifestations de protestation contre des décisions qu’ils considèrent comme favorables à l’intérêt général. Dans certains cas, ces décisions sont imposées par des institutions internationales pour éviter la banqueroute, par exemple. Ces gouvernements peuvent maintenir leurs décisions s’ils sont convaincus de leur justesse.

Quoi qu’il en soit, les libertés civiques excluent l’autorisation préalable du gouvernement pour l’organisation de manifestations. Les autorités sont simplement informées de façon à garantir des conditions de sécurité.

Dans certains cas, les forces de police ont réagi avec excès. Le principe de proportionnalité inscrit dans la jurisprudence consolidée de la Cour doit être respecté. La situation est différente lorsque les manifestations dégénèrent mais le plus souvent ce sont des agitateurs qui en sont la cause. Dans tous les cas, la prévention doit prévaloir et la répression doit être proportionnée.

Ces manifestations doivent nous conduire à interroger notre système démocratique et non à tenter de les limiter. La solution est dans le dialogue et la liberté d’expression.

Mme BİLGEHAN (Turquie), porte-parole du Groupe socialiste – J’irai droit au but car le Groupe socialiste a décidé d’appeler un chat un chat.

Le sujet principal de ce débat est la Turquie. Tout d’un coup, il y a quatre semaines, comme si toute la génération des années 1990 avait lu le célèbre livre de Stéphane Hessel Indignez-vous !, les jeunes de 20 ans ont commencé à s’indigner. Tout a commencé par une manifestation pacifique : un campement de quelques centaines de manifestants dans le parc Gezi, un petit parc, au centre d’Istanbul, près de la place Taksim. Le Premier ministre en personne a décidé de détruire ce parc – pensez au parc de l’Orangerie, juste en face du Palais de l’Europe – et de reconstruire d’anciennes casernes ottomanes agrémentées d'un centre commercial.

Pour étouffer une manifestation naissante, la police intervient à l’aube usant d’une force disproportionnée, brûlant les tentes et dispersant les écologistes par des gaz lacrymogènes. Plusieurs ONG et institutions internationales, y compris le Conseil de l’Europe, expriment leurs inquiétudes. On s’étonne de cette violence inouïe utilisée contre les manifestants en toute impunité.

Mais la mobilisation est lancée et prend une tournure de plus en plus politique. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est la colère longtemps retenue contre la dérive autoritaire du chef du gouvernement : les opposants usant de leurs simples droits démocratiques traités de voyous ; la contraception et l'avortement assimilés au meurtre ; la vente de la pilule du lendemain soumise à des contrôles ; les écoles républicaines transformées en un jour en écoles semi-religieuses ; la consommation de l'alcool assimilée à de l'alcoolisme ; les arrestations de milliers d'étudiants ; des dizaines de journalistes en prison ; et même les séries télévisées attaquées. 

Le nombre de contestataires augmente avec chaque discours du Premier ministre. Personne ne remet en cause la légitimité du pouvoir de M. Erdogan, qui a été élu démocratiquement et même triomphalement. Mais cela n’est pas une raison pour opprimer ensuite la moitié de la population.

Quel est le profil des manifestants ? Ils ont 28 ans en moyenne, 56 % d’entre eux ont suivi des études supérieures, pour 51 % il s’agit de femmes, 49 % ont commencé à manifester après avoir vu la violence excessive de la police, 45 % n'avaient encore jamais manifesté et 17 % n'ont pas voté aux élections précédentes parce qu’ils n’avaient pas l'âge légal.

Voici ce que déclare Naz, une jeune fille de 18 ans : « Nous, les manifestants, nous ne sommes pas des hooligans, des alcooliques et certainement pas des terroristes. Nous sommes des gens normaux, faisant partie du peuple turc. Nous sommes des citoyens, même de bons citoyens. Nous sommes des étudiants, des travailleurs, des chômeurs et des retraités. Nous sommes des socialistes, des républicains, des communistes, des libéraux, des démocrates. Nous sommes musulmans, athées, chrétiens, juifs. Nous sommes les gens qui nettoient les rues après les rassemblements. »

Selon l'Union des médecins de Turquie, on compte 4 morts et 8 000 blessés. Selon le ministère de l'intérieur, 2,5 millions de personnes ont manifesté et près de 5 000 personnes ont été interpellées.

Il est urgent d’inviter la Turquie à respecter les valeurs du Conseil de l’Europe avant qu’une chasse aux sorcières ne commence dans le pays.

Je conclurai mon propos avec ces mots de François Mitterrand : « La jeunesse n’a peut-être pas toujours raison mais si on ne l’écoute pas, on a toujours tort. »

Mme KHIDASHELI (Géorgie), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Je remercie le rapporteur d’avoir rédigé ce rapport aussi rapidement. Ce débat est urgent, d’ailleurs il a déjà été abordé dans les différentes commissions.

En tant que parlementaires, nous devons tenir un discours très clair à ce propos. Je ne parle pas simplement en tant que femme politique membre du groupe des libéraux mais aussi en tant que personne qui a été agressée et frappée à plusieurs reprises au cours de manifestations. L’enjeu de ce débat est très personnel pour tout militant qui est déjà descendu dans la rue pour défendre les valeurs de cette Organisation – l’environnement, l’Etat de droit et les libertés.

Nous devons trouver un équilibre. Il ne s’agit pas seulement de l’ordre public en général et la situation est rendue plus complexe quand un gouvernement prend des décisions arbitraires pour se protéger.

Un recours excessif à la force ne sera pas toléré par les forces démocratiques. Nous devons définir la manière dont un gouvernement peut intervenir face aux manifestants et les moyens qu’il peut utiliser. N’oublions pas que la force encourage la violence. Les gouvernements font des erreurs qui suscitent les réactions de la population. Ils ne peuvent pas autoriser la police à frapper, punir ou tuer des personnes parce qu’elles défendent un avis différent et descendent dans la rue pour protester.

La valeur primordiale, qui est au cœur de toutes les autres, est l’obligation de protéger l’ordre public, mais surtout la vie humaine. Les gouvernements doivent utiliser tous les moyens à leur disposition pour défendre la liberté de réunion, d’expression, mais surtout le droit à la vie de ceux qui manifestent.

Il faut soutenir ce rapport et cette résolution qui protège des valeurs fondamentales de cette institution afin que ces principes nous guident dans nos pays. Il était important que ce rapport ne porte pas sur un seul pays, mais s’adresse à tous, qu’il s’agisse de la Turquie, la Russie ou de mon propre pays, la Géorgie. Tout gouvernement devrait s’en inspirer lorsqu’ont lieu des manifestations pacifiques.

M. CLAPPISON (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe démocrate européen* – Permettez-moi en premier lieu de féliciter le rapporteur pour ce travail qu’il a réalisé en très peu de temps, ce qui a nécessité de réels efforts. Je le remercie de ce rapport, équilibré, qui vient à point nommé.

Il nous rappelle que le droit à la liberté d’expression et de réunion doit s’appliquer selon les mêmes normes dans tous les pays du Conseil de l’Europe, que la norme doit être la même partout et qu’elle ne diffère pas en fonction des pays. Ces libertés – par exemple la liberté d’expression sur internet, dont nous parlerons ultérieurement – sont essentielles pour les valeurs que nous défendons. La liberté de manifester de manière pacifique et la liberté de réunion sont inhérentes à la liberté d’expression. Il s’agit surtout du droit à une manifestation pacifique ; les gouvernements doivent assumer leurs responsabilités pour veiller à ce que les choses se déroulent toujours de manière pacifique – cela ressort très clairement de ce rapport.

Je reviendrai plus particulièrement sur un passage du rapport qui me paraît particulièrement important pour nos gouvernements, celui concernant la liberté de la presse et des médias. Comment protéger cette liberté ? Ce thème suscite de nombreux débats actuellement au Royaume-Uni, mais c’est aussi, je crois, le cas dans d’autres pays. Il faut protéger les journalistes et écouter ceux qui les représentent. Bien évidemment, on peut contester et réfuter leur travail mais on ne peut s’y opposer. Les droits de l’homme qui protègent les journalistes doivent être respectés. Il faut y veiller, tant au niveau national qu’international. J’entendais récemment suggérer qu’un correspondant de la BBC était un agent étranger du Royaume-Uni. En tant que membre du parti au pouvoir, je puis vous assurer que la BBC est loin d’être un agent du gouvernement ou d’intervenir dans la politique extérieure du Royaume-Uni !

Nous devons protéger le droit à manifester pacifiquement. Il faut que les gouvernements donnent l’autorisation d’organiser les manifestations dans de bonnes conditions. Il y a quelques années, j’ai participé à une manifestation massive contre un projet de loi auquel nous étions opposés. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. Malgré cela, le gouvernement a maintenu le cap qu’il s’était fixé et, finalement, par la suite, il a été réélu à la majorité. C’est ainsi, par le biais du scrutin, que doit venir le changement. Pas de la rue. Bien évidemment, on a le droit de manifester, mais c’est le vote qui légitime un gouvernement. Peut-être faut-il le rappeler dans les circonstances actuelles.

Monsieur le Président, le droit à la liberté d’expression, à la liberté de s’exprimer sur internet et le droit de réunion sont des droits essentiels et je remercie le rapporteur pour son rapport, qui conduira à une meilleure protection de ces valeurs.

LE PRÉSIDENT – Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous répondre immédiatement aux porte-parole des groupes ?

M. DÍAZ TEJERA (Espagne), rapporteur* – Je répondrai par la suite.

LE PRÉSIDENT – Nous poursuivons donc la discussion générale.

M. DİŞLİ (Turquie)* – Je remercie le rapporteur pour son travail ainsi que la communauté internationale et les médias pour leur réflexion et leurs critiques à propos de la situation en Turquie. Je les aurais davantage remerciés si ces réflexions et critiques avaient été objectives, impartiales et constructives mais, la plupart du temps, cela n’a pas été le cas – et en disant cela, je pense surtout aux médias internationaux.

La participation politique et l’opposition politique ne constituent pas des menaces mais bien des instruments de démocratie. Cela étant dit, il faut néanmoins trouver un équilibre entre ce principe et celui qui consiste à protéger l’ordre public. Les protestations en Turquie ont commencé par un mouvement écologiste pacifique. Ensuite, malheureusement, la manifestation a été détournée par des groupes extrémistes violents, dont l’idée était de faire tomber le gouvernement. Ils ont voulu saper l’ordre public et ont utilisé tous les types de violences pour ce faire.

Chaque gouvernement démocratique doit protéger les biens publics et privés, et protéger ses citoyens. Nos forces de sécurité ont donc pris les mesures qui s’imposaient, dans le respect du droit turc et des normes internationales. Rappelons-nous des situations similaires dans certains autres de nos Etats membres, comme la France ou la Suède, où les gaz lacrymogènes ont aussi été utilisés et où des manifestants ont également été arrêtés.

Des erreurs ont été commises dans ce recours à la force, surtout au début. Le Président et le Gouvernement turcs ont exprimé leurs regrets à ce sujet. On peut difficilement prévenir toutes les erreurs en amont. Les critiques seraient fondées si ces incidents n’avaient pas ensuite donné lieu à enquête. Elles seraient justes si les responsables n’étaient pas appelés à rendre des comptes. L’objectivité, l’impartialité, la sincérité et une approche constructive doivent être de mise. Or les actes violents des manifestants ne cessent d’être ignorés par la communauté internationale – et surtout par les médias internationaux. Parfois, on dit même qu’ils sont innocents, que ce sont des groupes pacifiques, favorables à la démocratie, sans se demander pourquoi il y a eu alors tant d’atteintes aux biens publics et privés : 300 bureaux ont été endommagés, 400 véhicules privés et publics détruits. Le coût de tous ces dégâts s’élève à 70 millions de dollars, et pour l’économie turque, cela s’est traduit par une perte de plus d’un milliard de dollars !

Bien sûr, la liberté de réunion et la liberté d’expression sont des droits fondamentaux, mais comme le disait à juste titre le rapporteur, les gouvernements démocratiquement élus n’ont pas à changer une politique justifiée simplement parce qu’il y a des protestations.

M. MICHEL (France) – Je remercie M. Díaz Tejera pour son rapport objectif et pour le projet de résolution qu’il nous soumet au nom de la commission.

Certes, la France a connu des manifestations. Celles-ci étaient organisées par des opposants à une loi qui est maintenant votée, promulguée, appliquée, comme elle l’est en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne et dans un certain nombre d’autres pays européens. Ces manifestations étaient autorisées et lorsque des éléments extrémistes ont voulu forcer les barrages pour descendre les Champs-Elysées – ce qui est interdit à toute manifestation –, la police a dû agir. C’est regrettable, c’est ainsi.

Cela n’a aucun rapport avec les manifestations qui ont eu lieu en Turquie et qui montrent l’impossibilité et les difficultés du Gouvernement Erdogan à donner un second souffle à son action et à faire coïncider développement économique, renforcement de la démocratie et cohésion sociale.

Certes, lui et ses partisans peuvent – en apparence – pavoiser. La police a fait place nette, mais les manifestations silencieuses se poursuivent. Certes, la majorité islamo-conservatrice se sent soutenue – pour le moment – par une large fraction de la population. Il faut dire qu’elle bénéficie d’une situation économique très enviable. Enfin, elle a su jouer avec l’instabilité politique à ses frontières, notamment en Syrie.

Il reste que le raidissement du pouvoir face aux critiques européennes et ses diatribes contre la « finance internationale », accusée de vouloir la déstabiliser, autant que les violentes dénonciations d’une jeunesse composée de vandales et d’immoraux qualifiés de « gang de terroristes » par le Premier ministre lui-même cachent mal l’impasse dans laquelle s’est malheureusement enfermé le gouvernement. En effet, sourd aux aspirations d’une classe moyenne qui connaît un spectaculaire développement, il offre pour l’instant comme seul horizon des constructions de mosquées et de nouvelles interdictions, notamment celle de l’alcool.

Les manifestants actuels ne gagneront peut-être pas dans les urnes en 2014, mais, dans leur surprise de se trouver soudain si forts et si nombreux, les manifestants de Taksim pourraient bien avoir trouvé la promesse d’un autre avenir et d’une victoire future. M. Erdogan et son gouvernement seraient donc bien inspirés de maîtriser leur force et de se garder de tout triomphalisme. Les traces du message des occupants du parc Gezi et des manifestants d’Ankara ne disparaîtront pas par la magie des camions de nettoyage. Je souhaite donc que Mme Durrieu, rapporteure spéciale pour la Turquie, soit particulièrement vigilante sur ce qui pourrait se passer maintenant dans la répression des manifestants, de leurs avocats et des médecins qui les soignent, afin que la Turquie puisse retrouver la place qui est la sienne – celle d’un grand Etat démocratique.

Mme GÜNDEŞ BAKIR (Turquie)* – La liberté est l’essence de la vie humaine. Tous les êtres humains doivent être respectés ; tous méritent de vivre dans la dignité ; tous doivent avoir des chances égales de réaliser pleinement leurs capacités ; tous veulent être estimés et compris. Chaque société doit donner aux différentes personnes qui la composent la possibilité de vivre leur vie dans la dignité. Chaque pensée humaine, chaque croyance, chaque sentiment méritent d’être exprimés, à condition qu’ils ne se traduisent pas par des actes de violence. Chacun jouit de la liberté de réunion et d’association, comme le stipule l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. De même, le droit de manifester pacifiquement est lui aussi un droit humain fondamental.

La Turquie défend ces aspirations. C’est d’ailleurs l’un des principes fondateurs de notre pays. Nous estimons également que la liberté de participer aux mécanismes de décision est importante et qu’elle doit être accordée à tous les citoyens, quelles que soient leur appartenance sexuelle, leurs croyances et leur origine ethnique. La participation est le fondement du pluralisme, lequel est lui-même la garantie d’une démocratie saine.

Notre parti a recueilli plus de 50 % des suffrages lors des dernières élections en Turquie. Nous sommes persuadés, dans nos cœurs et nos esprits, que tous les citoyens qui n’ont pas voté pour nous sont des citoyens à part entière, au même titre que ceux qui ont voté pour nous ; ils méritent d’être entendus. Nous estimons à cet égard que notre devoir est d’agir conformément aux intérêts nationaux de la Turquie. Nous nous devons d’être au service de tous nos citoyens et pas seulement de ceux qui nous ont soutenus.

L’ampleur des manifestations pacifiques qui ont eu lieu montre le dynamisme de notre démocratie et la modernité de notre nation. Nous écoutons la voix de ceux qui sont descendus dans la rue pour manifester. Il n’y aura aucune impunité pour les membres des forces de sécurité et de police qui ont fait un usage excessif de la force, voire de la violence, contre des manifestants pacifiques. Cela dit, je dois condamner au même titre les actes de vandalisme qui ont été commis par certains manifestants contre la police, contre les biens publics et contre des bâtiments. On ne saurait excuser les manifestants qui ont brûlé des autobus, des ambulances, des véhicules de police et des voitures privées ; on ne saurait excuser ceux qui ont lancé des cocktails Molotov ou qui ont tiré sur des policiers – l’un d’entre eux a d’ailleurs perdu la vie alors qu’il cherchait à fuir les manifestants. Un enfant de 12 ans a été jeté d’un pont par les manifestants ; des routes ont été bloquées par des barricades. On ne saurait non plus excuser les personnes qui ont attaqué des femmes au motif qu’elles portaient le voile dans la rue. Dans un Etat de droit, ce type de manifestations violentes est tout simplement inacceptable.

Quelles que soient les difficultés actuelles, la victoire est toujours, à terme, du côté de ceux qui choisissent la justice. À cet égard, je peux vous garantir que la Turquie sera toujours du côté de ceux qui défendent leur dignité et leurs droits. Nous sommes du côté de ceux de nos citoyens qui veulent être entendus ; nous sommes du côté des opprimés qui aspirent à la liberté et de tous ceux qui veulent pouvoir choisir leur destin, à condition qu’ils le fassent de manière pacifique.

Les médias internationaux se sont fait, jour et nuit, l’écho des manifestations en Turquie, alors même qu’ils ont ignoré pendant des années ce qui se passe en Syrie.

Nous sommes tous embarqués dans le même navire : une Turquie forte est un atout pour l’Union européenne. En effet, la Turquie appartient à l’Occident. Nous partageons les valeurs européennes telles que les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit. Nous sommes candidats à l’entrée dans l’Union européenne. Notre engagement pour atteindre cet objectif n’a d’ailleurs jamais faibli. La Turquie a besoin d’une plus grande implication de l’Europe, de recevoir davantage d’encouragements dans sa progression vers l’Union européenne – et non pas l’inverse.

Mme ERKAL KARA (Turquie) – Les libertés d'expression, de réunion et de manifestation sont des droits de tout citoyen dans une démocratie. La Turquie agit sans le moindre doute avec détermination pour la protection et le développement de ces droits. Cela s'applique également à ceux de nos citoyens qui se sont rassemblés pour exprimer leurs revendications démocratiques.

Ce qui se passe en Turquie depuis la fin du mois de mai n'est pas différent des incidents sociaux qui ont eu lieu dans de nombreuses villes européennes, en particulier au cours des dernières années. En effet, ces manifestations ont été une opportunité de voir atteint un seuil dans le processus marquant l'évolution de la conscience et de la culture démocratiques en Turquie.

Les autorités prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir le déroulement pacifique des manifestations et la sécurité de tous les citoyens. Dans ce cadre, une série d'entretiens avec les représentants des groupes de manifestants a eu lieu – avec des bons résultats. Il est évident que, lors de ce genre de manifestations publiques, le recours à l'action de la police doit rester proportionné. Je voudrais souligner que des enquêtes sur les allégations d'usage disproportionné de la force par la police sont en cours.

Cependant, il est important de rappeler les limites de la liberté de manifestation définies dans la Convention européenne des droits de l'homme et la responsabilité des autorités pour ce qui est d’assurer la sûreté publique et la protection des droits et libertés d'autrui. Depuis trois semaines, 660 agents de police ont été blessés et un commissaire de police a perdu la vie lors des manifestations ; 290 établissements privés, 20 bâtiments publics ainsi que 116 véhicules de police et 270 voitures privées ont été endommagés à cause de la violence dont ont fait preuve certains manifestants.

Il est clair que la dissuasion et la prévention de la violence – y compris en traduisant devant une justice indépendante ceux qui optent pour la violence – est une responsabilité importante de la démocratie et de l'Etat de droit. À cet égard, la communauté internationale devrait adopter un ton objectif sur les événements en Turquie et insister sur une priorité, à savoir notre objectif commun de la protection des valeurs démocratiques et des droits de toute personne et d'éviter la montée de la violence et de l'extrémisme.

M. SCHENNACH (Autriche)* – Je remercie le rapporteur pour son approche très sensible sur des sujets de fond touchant à la liberté d’expression et de réunion, c’est-à-dire au cœur de la démocratie. Ajoutons à cela la liberté des médias, qui est une sorte de quatrième pouvoir.

En l’espèce, nous avons affaire à un gouvernement qui considère les manifestants comme des monstres. La défense du parc Gezi n’est peut-être pas la seule préoccupation de ces derniers : on peut penser que l’objectif est aussi de faire tomber le gouvernement. Dans mon pays, en 2000, à la suite d’un changement de gouvernement, des manifestations ont été organisées chaque semaine pour faire tomber le nouveau pouvoir. Les forces de l’ordre ont pour mission de maintenir l’ordre, tout en permettant le bon déroulement des manifestations, ce qui est nécessaire dans une démocratie.

Prenez un pays voisin du mien, l’Allemagne : les manifestations mêmes massives s’y passent correctement. À Paris aussi, les manifestations en relation avec le projet de loi sur le mariage pour tous étaient aussi des manifestations de masse et les choses se sont bien passées. C’est à cela que l’on peut juger un gouvernement et le degré de la démocratie d’un pays.

Depuis que nous vivons cette crise, depuis le Printemps arabe, depuis le mouvement Occupy, on se rend compte que la société civile joue un rôle de plus en plus important. Et lorsque j’écoute mes collègues turcs, je ne puis que répéter que, effectivement, dans une démocratie, il faut permettre qu’il y ait des manifestations pacifiques. S’il y a usage disproportionné de la force par la police, cela mène à une spirale de la violence. Et si un gouvernement essaie d’ériger les manifestants en criminels contre lesquels il menace d’envoyer l’armée, le Conseil de l'Europe doit réagir. Dans une manifestation, l’armée n’a pas à intervenir.

Une manifestation est un grand défi pour un système démocratique, elle permet de voir si une démocratie fonctionne correctement.

En Turquie, l’intervention des forces de l’ordre a dépassé ce qui est acceptable. Et je fais donc appel aux autorités turques pour qu’elles libèrent les manifestants qui ont été arrêtés, car ils ne sont certainement pas tous des criminels violents ! Les libérer ferait avancer le débat.

M. BIES (France) – Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur pour le travail qu’il a réalisé.

Cet hémicycle a une histoire et des devoirs. Depuis 1949, à chaque fois qu’en Europe des voix s’expriment pour revendiquer des droits parmi les plus fondamentaux, des libertés que l’on opprime, c’est vers cet hémicycle, ici à Strasbourg, que l’on se tourne dans l’espoir d’être entendu. Or depuis quelques mois, nous avons constaté que des Etats membres de notre Organisation n’ont eu ni la capacité, ni la volonté politique de respecter les libertés fondamentales que nous considérons tous, ici, comme non négociables.

Ce que j’exprime là n’est pas la leçon d’un représentant d’un Etat qui se voudrait plus vertueux que les autres. Car même si mon pays, la France, se prévaut souvent de l’appellation « pays des droits de l’homme », la jurisprudence de la Cour suffit à rappeler qu’en matière de droits fondamentaux, d’Etat de droit et de démocratie, jamais aucun Etat ne peut s’estimer infaillible. Et c’est d’ailleurs pour cela même que le Conseil de l’Europe est si important. Et c’est pour cette raison que nous avons le devoir de dire, aujourd’hui, que ce qui se passe dans un certain nombre de pays est grave et nous préoccupe au plus haut point.

Je voudrais plus particulièrement ici parler de la Turquie. Cet Etat est un membre historique de notre Organisation. Les engagements qu’il a pris ont permis un essor des libertés. Un certain nombre de programmes ont été mis en place pour aider les autorités judiciaires et policières à appliquer les normes du Conseil de l’Europe. Plus que jamais, ils doivent être renforcés ! Les violences policières avérées et démesurées qui ont eu cours ces dernières semaines à Istanbul, Izmir, Ankara et ailleurs ne sont pas supportables. Elles sont indignes du membre éminent du Conseil de l’Europe qu’est la Turquie, et ne sont pas compatibles avec ses aspirations à devenir membre de l'Union européenne. Mais si nous voulons être à la hauteur de notre mission, nous ne pouvons nous arrêter à ces faits et avons le devoir de nous interroger sur la responsabilité politique. Il faut enquêter sur les abus commis et les punir. L’impunité n’a pas sa place dans un Etat de droit. Mais il ne faut pas oublier que des ordres ont été donnés et qu’il faudra rendre des comptes.

Ce qui n’est pas supportable dans ce que nous voyons de la Turquie ces dernières semaines et ces derniers mois, c’est le tableau d’un gouvernement qui considère ses opposants comme des terroristes ; c’est le dessein d’un régime qui emprisonne les journalistes comme aucun autre Etat dans le monde ; enfin, c’est un pouvoir qui a substitué la peur et la régression à la justice et au développement qu’il avait pour programme.

Nous ne devons pas tomber dans le piège d’une vision manichéenne et d’un débat partisan. Les mouvements de ces derniers jours dépassent les clivages traditionnels. Dans un moment où les menaces contre la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression sont flagrantes en Europe et ailleurs, le Conseil de l’Europe et notre Assemblée ont le devoir historique et la responsabilité politique de ne pas détourner le regard.

Mme MEMECAN (Turquie)* – Je voudrais d’abord remercier M. Kox, l’auteur de la résolution, d’attirer notre attention sur un thème aussi important, ainsi que notre rapporteur pour son très bon rapport.

Ces dernières années, le nombre de manifestations, notamment de protestation contre les gouvernements, n’a cessé d’augmenter. Les forces de l’ordre doivent préserver la sécurité du public tout en respectant le droit des manifestants à s’exprimer.

Le rôle des forces de sécurité et la question du recours à la force ont suscité beaucoup d’interrogations dans nos Etats membres, y compris en Turquie. Car leur premier objectif doit être la préservation de la paix.

En Turquie, 76 personnes ont été arrêtées à l’occasion des dernières manifestations, et non pas des centaines comme on l’a dit ici.

Les raisons qui poussent les gens à manifester peuvent être très nombreuses : chômage en Suède, mariage pour tous en France, frustration par rapport à un régime autoritaire en Egypte et en Libye, etc. Ce qui est important, c’est d’essayer de comprendre ce qui motive ces manifestants et de faire une évaluation de la crise avant que les problèmes ne deviennent chroniques.

Manifester est un droit, mais il est important de respecter les normes internationales et de préserver l’ordre public. Or, souvent des groupes extrémistes ou des casseurs prennent en otages les manifestations en recourant à la violence et en créant un environnement chaotique. Cela a été le cas en Turquie où les manifestations ont commencé de façon pacifique, à l’initiative de certains écologistes, qui ont vite été débordés par des extrémistes, lesquels ont causé beaucoup de dommages à la propriété privée comme à la propriété publique ; d’où le recours aux forces de police.

Quel est le rôle des médias pendant ces manifestations ? Comme l’écrivait un rédacteur du New York Times récemment, les caméras sont tournées vers la fumée. Les informations visent souvent plus le sensationnalisme que l’information sérieuse et objective. Les médias ne devraient pourtant pas jeter de l’huile sur le feu. Les nouveaux médias sociaux suscitent aussi beaucoup de problèmes. Des messages plus au moins manipulés peuvent contribuer à aggraver une situation.

Face à de telles crises, la communauté internationale ne peut pas simplement s’efforcer de remédier à la situation en publiant des informations sur les médias.

Il faut investir pour évaluer objectivement et tirer les enseignements des différentes situations. Je saisis cette occasion pour remercier le Secrétaire Général, M. Jagland, qui a pris de son temps pour se rendre en Turquie et poursuivre le dialogue constructif et la coopération du Conseil de l'Europe, contribuant pour beaucoup aux progrès démocratiques récents en Turquie.

Ces efforts exemplaires pourront servir de modèle à d’autres institutions internationales.

Mme ČIGĀNE (Lettonie)*– Ce rapport très précieux opère des distinctions entre différentes formes de manifestations. La ligne de démarcation porte sur le caractère pacifique de la manifestation. Si elle est pacifique et n’engendre pas de pillages, elle doit être protégée par les autorités, qui ne peuvent intervenir. Lorsque les manifestations présentent un caractère spontané et ne sont pas autorisées, les autorités ne sont pas non plus fondées à intervenir. Cela dit, cette nature est parfois difficile à apprécier dans la mesure où des autorisations doivent être obtenues de-ci de-là.

Nous avons vu que les manifestations revêtent des formes de plus en plus innovantes. Dans ces conditions, le recours à la force doit être proportionné. Voilà une semaine, sur la place Taksim, un jeune homme a manifesté cinq heures durant. Il est resté debout, regardant le monument d’Atatürk. Cinq autres manifestants l’ont rejoint. Soudain, un cordon de police est intervenu. L’auteur de la manifestation a réussi à prendre la fuite, mais les autres personnes ont été arrêtées. Ailleurs, un pianiste a joué pendant quatorze heures, soutenu par plusieurs autres personnes. La police est intervenue. L’instrument a été confisqué et n’a été rendu au musicien que quelques jours plus tard. Dans ce cas-là, le recours à la force a été disproportionné.

En Russie, dans un parc, des personnes se sont rassemblées pour manifester à vélo afin de protester contre l’arrestation de plusieurs personnes un an auparavant. Le parc a soudain été fermé, la police a contrôlé leurs papiers et ils ont fait l’objet d’interpellations administratives.

Les manifestations revêtant des formes nouvelles, les autorités doivent s’y préparer et le recours à la force comme aux interpellations administratives doit être proportionné.

Le rapport préconise que les autorités réfléchissent à la façon d’impliquer la population à la vie publique. En Fédération de Russie, la société civile et ses organisations ont des difficultés à se faire entendre. Récemment, les activités du groupe de suivi Golos ont été suspendues parce qu’il ne s’était pas fait inscrire en tant qu’agent étranger. Comment voulez-vous que la société civile participe à la vie publique quand de tels obstacles demeurent ?

Mme STRIK (Pays-Bas)*– Le rapport traite de la liberté de réunion, de la liberté des médias et de la liberté d’expression. Cette liberté est une valeur fondamentale du Conseil de l'Europe. Sans elles, il ne saurait y avoir de démocratie. Un tel principe vaut pour tous nos Etats membres.

L’organisation de notre débat d’urgence est motivée par les manifestations qui se déroulent actuellement en Turquie et par la réponse disproportionnée des autorités. Des violences ont touché des manifestants qui ont eux-mêmes ensuite eu recours à la violence. Elles ont également concerné un grand nombre de manifestants pacifiques, des personnes qui se trouvaient à proximité et qui étaient favorables aux manifestants ou encore des personnes qui se trouvaient là par hasard.

Les avocats qui défendent les manifestants ont été arrêtés et poursuivis, des journalistes ont été enfermés. Cette répression a déjà conduit à des décès et à un grand nombre de blessés. Ces manifestations avaient pour point commun la critique politique du gouvernement. M. Schennach a estimé, à juste titre, que la façon dont les gouvernements réagissent est un test de la démocratie et de l’application des principes de la prééminence du droit dans un pays.

Nombreux sont ceux, y compris en Turquie, qui ont été choqués par cette répression violente dont l’impact s’est révélé très négatif sur la confiance qu’elles éprouvent à l’égard de leur gouvernement et de leurs responsables politiques. La crainte et la défiance risquent d’éloigner davantage encore la Turquie des réformes démocratiques positives qu’elle avait entreprise.

La communauté internationale n’est pas la seule à condamner de telles pratiques. La population n’accepte pas ces répressions et nous devons lui apporter notre soutien. C’est pourquoi j’en appelle instamment aux autorités et aux députés turcs, afin qu’ils ne tournent pas le dos au processus démocratique. Il convient de mettre un terme à la violence, de rechercher des réponses proportionnées aux manifestations et de mener des enquêtes pour tirer tous les enseignements de cette expérience. Le droit de critiquer la politique officielle, quelle qu’elle soit, est un droit de chacun.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan)*– Chaque sujet recèle sa philosophie et la principale idée de celui qui nous occupe réside dans les limites aux libertés.

A priori, on peut penser que « libertés et limites » sont des termes contradictoires. Pourtant toute liberté se heurte à des limites et à toute liberté correspond des limites définies par la loi. En d’autres termes, il n’y a pas de liberté absolue. Le dépassement des limites engendre le chaos. C’est la raison pour laquelle un pays authentiquement démocratique n’est pas celui qui permet à tout un chacun de faire ce qu’il souhaite, mais une société qui permet aux êtres humains de jouir de leurs droits et libertés dans le cadre de lois démocratiques, objectives et justes.

Des débordements peuvent se produire lorsqu’on respecte la liberté de réunion et d’expression des médias, quel que soit le pays. Mais il n’est pas exclu que certains individus ou certains groupes utilisent la violation de leurs droits et libertés pour, à leur tour, violer la loi. C’est pourquoi nos débats nécessitent une enquête approfondie et une évaluation objective en tenant compte des points de vue des deux parties.

La vie démontre que les êtres humains ne jouissent pas toujours de toutes les libertés qui leur sont accordées, parfois parce qu’ils ne connaissent pas la totalité de leurs droits, parfois parce qu’ils dépassent toutes les limites en raison de leurs mauvaises manières ou de leur agressivité.

Hier, la réunion des délégations arménienne et azérie, sous la houlette du Président de l’Assemblée, a mis en avant des différences.

En effet, le Conseil de l’Europe fait tout pour prévenir les violations des droits pour toutes les nations. Nous sommes ici pour défendre les valeurs européennes les plus précieuses. Poursuivons dans cette voie.

M. PUSHKOV (Fédération de Russie)* – M. Kox a réalisé une excellente évaluation des derniers événements, mais je suis préoccupé de la récente tendance à choisir un pays pour en faire un bouc émissaire, alors que les violations des droits de l'homme dans le cadre de manifestations publiques sont un phénomène qui touche plusieurs pays. S’agit-il de réagir à la portée d’un problème et à la violation d’un principe, à savoir que la police ne peut pas recourir à un usage excessif de la force, ou d’autres pays seraient-ils moins sujets à ce type de critiques uniquement parce qu’ils sont membres de l’Union européenne ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre.

S’il s’agit de défendre un principe, à savoir le droit de manifester pacifiquement sans être roué de coups, alors, nous ne devons pas tourner nos regards uniquement vers la Turquie. Songeons à la Belgique où, en juin 2012, des actes de violence impressionnants ont été commis au cours d’une manifestation, ou encore à l’Espagne où, en février 2012, des faits similaires se sont produits à Valence, ou enfin à la France, où se sont déroulées au mois de mars dernier des manifestations hostiles au mariage pour tous.

C’est pourquoi il convient à mes yeux de se concentrer sur le principe et non de réagir à tel ou tel fait isolé, même si ces faits sont spectaculaires lorsqu’ils se produisent dans un seul pays : ce serait la meilleure illustration du « deux poids, deux mesures ».

On oublie également que, chaque année, le 16 mars, en Lettonie, des manifestations néo-nazies ont lieu, au cours desquelles certains manifestants arborent l’uniforme de la Waffen SS. L’histoire complexe de ce pays justifie-t-elle cette pratique, pourtant tolérée par les institutions internationales, qui n’en pipent mot ? Au cours de la dernière manifestation, le membre d’un mouvement antinazi a été roué de coups. Alors qu’il s’agissait d’un cas manifeste de violence dont les médias se sont fait l’écho, le Parlement letton n’a pas réagi.

Nous vivons une époque de profondes mutations, voire de révolutions dans le domaine des considérations morales et des comportements sociaux, ainsi que dans le domaine économique. Nous risquons d’être confrontés à de nombreux mouvements de protestations et à de nombreuses manifestations. Aucun pays n’est à l’abri. Rappelez-vous le mouvement « Occupy Wall Street », à New York, aux Etats-Unis. Nous ne sommes donc pas ici pour critiquer tel ou tel pays. Reconnaissons plutôt que, pour des raisons diverses, se produisent dans de nombreux pays des manifestations de masse et que ce fait nouveau conduit à des confrontations avec les forces de l’ordre. Notre tâche consiste à fixer à la fois les limites du droit de manifestation et celles de l’intervention des forces de l’ordre dans la préservation de l’ordre public. Nous devons arrêter des principes et ensuite seulement prier les Etats de les respecter.

Je le répète : ce serait une erreur de pointer du doigt, en vue de les critiquer, certains pays où se sont produits des événements regrettables sans avoir auparavant fixé des critères, qui ne doivent surtout pas être à géométrie variable. C’est essentiel.

M. KAYATÜRK (Turquie)* – Je tiens à remercier le rapporteur : il a rendu son travail dans un délai vraiment très court.

Toute liberté a ses limites. La liberté de réunion ne fait pas exception à la règle. Dans certains milieux, on a prétendu que le Gouvernement turc et les forces de sécurité turques n’avaient pas respecté la liberté de réunion lors des récentes manifestations que la Turquie a connues. C’est entièrement faux ! Au cours des trois ou quatre dernières semaines, de nombreuses manifestations ont été organisées dans le pays, ce qui n’aurait pas pu être le cas si la Turquie n’avait pas été une démocratie à part entière, respectant la liberté de réunion. Les forces de sécurité ne sont intervenues que lorsque les manifestations menaçaient l’ordre public et la sécurité des citoyens.

Si ces manifestations ont été aussi pacifiques que d’aucuns le prétendent, alors, comment expliquer la destruction de 292 bureaux, de 116 véhicules de police et de 271 véhicules privés ? De même, comment expliquer la mort d’un policier à Adana ? Il est clair que plusieurs de ces manifestations ont été violentes et qu’elles requéraient de ce fait l’intervention des forces de sécurité.

L’utilisation de gaz lacrymogènes dans ce contexte par la police turque a été conforme aux normes nationales et internationales en vigueur. L’utilisation des gaz lacrymogènes est soumise en Turquie à la loi sur l’interdiction, le stockage, la production et le développement des armements chimiques, en accord avec la convention portant sur les armes chimiques.

Les autorités enquêtent à l’heure actuelle sur les cas où les forces de sécurité sont soupçonnées d’avoir réagi de manière excessive et en violation de la législation en vigueur. La réaction des forces de sécurité aux manifestations qui se sont déroulées en Turquie est similaire à la réaction des forces de sécurité aux émeutes qui ont déferlé sur l’Europe au cours de la dernière décennie. En Espagne, au mois de mai 2011, des balles en plastique ont été utilisées pour arrêter les manifestants ; en Italie, au mois de novembre 2012, du gaz lacrymogène a été utilisé pour disperser les manifestants. Je pourrais vous citer encore d’autres cas.

L’objectivité conduit à reconnaître que les récents événements qu’a connus la Turquie prouvent clairement que la liberté de réunion y a été respectée.

Dans un Etat de droit, les forces de sécurité ne peuvent pas rester les bras croisés face à des manifestations violentes qui menacent la sécurité publique et la sécurité des autres citoyens.

M. MARIAS (Grèce)* – Ce débat d’urgence – tel est son intérêt – fournit, à chacun d’entre nous, l’occasion de prendre position sur des questions d’actualité tout en nous permettant d’exprimer notre soutien à ceux dont les droits sont violés.

Nous traitons aujourd’hui du respect de la liberté d’expression, telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, et du respect de la liberté de réunion et d’association, telle que garantie par l’article 11 de cette même convention.

Les deux premiers paragraphes du rapport contiennent des remarques générales, mais nous devons exprimer notre avis concernant les événements récents en Turquie. Des dizaines de jeunes ont protesté et exprimé leur point de vue divergeant de celui du gouvernement au sujet de leur mode de vie. Cela doit être légal et accepté.

La violence excessive viole les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme. Nous devons souligner la manière autoritaire dont a usé le gouvernement pour affronter la situation. Il a réagi de façon inacceptable.

Nous pouvons signaler, condamner la violence policière excessive et la réaction verbale du Gouvernement turc face à ces protestataires. Nous devons en tirer des conclusions. Selon le rapport et la Convention, les droits de libre expression et de réunion peuvent être limités par une loi qui est indispensable dans une société démocratique.

Il convient d’examiner si dans cette phase, d’autres responsables que le gouvernement portent atteinte à la démocratie. Je pense aux pays régis par un accord de soutien financier, qui subissent un contrôle économique international. Ces pays ne décident pas seuls. La Troïka - FMI, BCE et Commission européenne - impose des mesures d’austérité violant la démocratie elle-même, comme nous l’écrivions dans une résolution de l’année 2012. Qui est responsable : les gouvernements, les parlements de ces pays assujettis à ces programmes d’austérité ou la Troïka ?

Le dilemme, imposé par la Troïka est le suivant : « soit vous mettez en œuvre ces accords financiers, soit vous ne recevrez pas d’argent et vous ferez faillite. » Une question souveraine se pose, que notre Conseil doit examiner. La Troïka est-elle responsable de la violation des droits de l’homme en Grèce où le gouvernement a fermé la radio et la télévision publiques, alors que leur existence procède d’un droit garanti par la Convention que nous défendons ici ?

M. HANCOCK (Royaume-Uni)* – Dans cette discussion nous sommes tous impressionnés par les interventions du rapporteur et de M. Kox. Mais M. Pushkov n’a pas tort non plus lorsqu’il rappelle qu’aucun pays n’est à l’abri de ce genre de critique ou de faits. Chacun peut être touché par les événements de Turquie. C’est la raison pour laquelle il faut tirer des enseignements à partir de ce rapport.

Entre une manifestation pacifique et un cauchemar chaotique débouchant sur l’anarchie, la transition peut intervenir en un clin d’œil. Nous devons être en mesure de nous assurer de la présence de forces de sécurité, de police, de pompiers dûment formés et compétents pour intervenir lorsqu’une manifestation n’est plus maîtrisée. Il faut savoir juger de l’apparition de ce moment capital où l’on passe d’une manifestation pacifique à des débordements violents. Ce n’est pas facile, pour les responsables sur le terrain, de prendre les décisions qui s’imposent.

Au Royaume-Uni, nous avons connu un triste exemple. Douze personnes ont été abattues par des soldats dans la rue lorsque des manifestations ont échappé à la maîtrise des forces de l’ordre. Nous avions utilisé l’armée. Ce fut le fameux « Bloody Sunday », le dimanche sanglant. Nous ne sommes pas particulièrement fiers au Royaume-Uni, de cette affaire. Nous avons dû tirer les leçons de l’expérience.

Le plus important est de mettre en place une chaîne hiérarchique clairement définie. Chacun doit savoir quelle tâche lui incombe, qui doit agir, qui doit prendre la décision lorsqu’une manifestation a franchi la ligne rouge, la limite de la manifestation pacifique. Les autorités responsables doivent protéger non seulement les personnes innocentes et le droit de manifester pacifiquement, mais aussi ceux qui ne participent pas à la manifestation, ainsi que les biens privés.

Récemment une manifestation s’est répandue dans Londres comme une traînée de poudre. En quelques instants, elle a abouti à des actes de pillage. Des magasins ont été dépouillés, des bâtiments privés ont été incendiés. Des tweets ont été diffusés : « Si vous voulez vous servir, venez, les magasins sont pillés. » Il a bien fallu que les forces de l’ordre interviennent ne fût-ce que pour protéger la vie des personnes qui se trouvaient dans ces bâtiments.

Ce débat d’urgence doit être pour nous un premier pas. Nous devons réfléchir à la préparation d’un rapport officiel, beaucoup plus formel. J’espère qu’une commission se saisira de la question, Monsieur le Président. Aujourd’hui, il est question de la Turquie mais cela pourrait être l’Espagne, la France, l’Italie, la Grèce, le Royaume-Uni. Du fait de la grande publicité donnée à ces événements, on parle de la Turquie mais c’est un peu injuste, c’est un peu deux poids, deux mesures. Nous aurions peut-être dû évoquer cette question il y a six mois ou un an, lors d’émeutes dans d’autres pays. Ne soyons pas trop durs pour ces événements en Turquie, même s’il y a eu des erreurs. Essayons d’en tirer les leçons et de trouver les réponses aux questions. Aucun de nos pays ne sait comment faire face à ces problèmes, peut-être que, collectivement, nous trouverons les mesures à appliquer.

Mme LOKLINDT (Danemark)* – Les libertés de réunion, des médias et d’expression sont des droits fondamentaux. Je me félicite du débat d’urgence que nous leur consacrons aujourd’hui.

Nous avons vu ces dernières années beaucoup de changements avec le Printemps arabe. Beaucoup d’hommes et de femmes ont revendiqué l’exercice de ces différents droits encore très fragiles dans certains pays qui se tournent aujourd’hui vers la démocratie. Dans les pays membres du Conseil de l’Europe, ces droits sont fondamentaux ; la violence et l’usage excessif de la force ne peuvent être acceptés. Nous devons protéger tous les citoyens. C’est le rôle de chaque gouvernement de veiller à ce que chaque citoyen puisse exercer librement ses droits. C’est un engagement pris par tous les pays membres du Conseil de l’Europe.

Les événements récents en Turquie ont choqué la plupart des Européens. Ce qui avait commencé comme une manifestation pacifique au parc Gezi est devenu une intervention massive et violente de la police ce qui a suscité de très vives protestations en Turquie. Je regrette l’attitude du gouvernement qui nie la réalité et qualifie les manifestants de terroristes.

La liberté d’expression et son respect sont les signes d’une démocratie qui fonctionne bien. L’attitude du Gouvernement turc remet en cause la bonne image de ce pays. Le recours disproportionné à la force n’est pas acceptable. L’Assemblée parlementaire doit donner un signal clair pour dire que dans les Etats membres, la prééminence du droit, les droits de l’homme, la démocratie doivent être respectés. Il faut demander au Gouvernement turc d’apporter les changements nécessaires dans son administration pour permettre à tous les citoyens d’exercer leurs droits.

La Turquie frappe aujourd’hui à la porte de l’Union européenne. Malheureusement, les événements récents ont montré qu’elle est loin du compte pour que soit envisagée sérieusement son adhésion. J’y suis pourtant favorable et j’espère que des progrès pourront être réalisés, notamment en matière de liberté des médias.

Il ne s’agit évidemment pas aujourd’hui de désigner un bouc émissaire ou d’appliquer une politique de deux poids deux mesures. Les événements de Turquie sont à l’origine de ce débat selon la procédure d’urgence et je remercie le rapporteur pour son excellent travail, qui mérite d’être soutenu par l’Assemblée.

M. GARĐARSON (Islande)* – Nous parlons ce matin d’un sujet très vaste. La liberté de réunion, la liberté de la presse et la liberté d’expression méritent un débat approfondi. Chacun d’entre nous reconnaît que les individus doivent avoir le droit de s’exprimer et de manifester de manière pacifique. Parfois, les manifestations débouchent sur des pillages et sur des actes de violence. Les organisateurs ne sont pas toujours en mesure de maîtriser le cours des événements. Il faut alors recourir à la force pour protéger l’ordre public et la sécurité des citoyens. Pourtant, il est clair que l’on ne peut accepter l’usage excessif de la force.

J’ai travaillé comme journaliste pendant vingt ans et j’invite à la prudence sur le sujet de la liberté de la presse. Les médias ne sont pas aussi libres qu’on le dit, ni les journalistes. L’Etat et les entreprises ont une incidence directe sur leur travail. Les journalistes ne travaillent pas de manière cloisonnée. D’ailleurs, ils sont toujours payés par quelqu’un. Il me semble que nous ne devons pas l’oublier.

M. YATIM (Maroc, partenaire pour la démocratie)* – Le sujet dont nous débattons aujourd’hui est d’une grande importance et concerne de nombreux pays du nord et du sud de la Méditerranée. Dans notre monde en pleine mutation, le sentiment d’exclusion des plus démunis ne cesse de croître. Les peuples d’Afrique découvrent aujourd’hui que le changement est possible, au moyen des manifestations pacifiques. Ils apprennent à s’approprier la rue.

Le rapport met l’accent sur la nécessité de respecter le droit de manifester et de sanctionner le recours excessif à la force et les bavures lors des manifestations populaires. Il insiste également sur la nécessité de mettre en place des programmes de formation à destination de la police et des juges.

La situation est complexe. Les manifestants des grands mouvements populaires tels que celui de la Turquie ne sont pas encadrés politiquement et comptent parfois des éléments des anciens régimes, qui ont été écartés, ou des agitateurs extrémistes qui cherchent à manipuler des revendications sociales légitimes. Au Maroc, un mouvement de protestation pacifique a eu lieu en 2011, « le mouvement du 20 février », et des centaines de manifestations pacifiques ont lieu quotidiennement sur tout le territoire, sans aucune intervention des forces de l’ordre. Dans certains cas, des confrontations sont constatées, et toujours dénoncées. Il est arrivé que les forces de l’ordre soient elles-mêmes victimes, comme lors des événements de Gdeim Izik, où les violences ont entraîné la mort de onze policiers.

Une approche équilibrée est absolument indispensable sur un tel sujet et je remercie le rapporteur d’y avoir veillé.

Mme EL OUAFI (Maroc, partenaire pour la démocratie)* – Je voudrais tout d’abord féliciter le rapporteur pour ce travail équilibré. Je suis honorée de participer à ce débat de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la liberté de réunion et le droit à manifester. La délégation marocaine salue la qualité des débats depuis le début de cette session. Le partenariat pour la démocratie mis en place entre le Conseil de l’Europe et le Maroc constitue un instrument important dans cette période de transition démocratique que connaît le pays.

La région du Sahara est une région sensible. Le Maroc a la volonté d’avancer sur la voie de la démocratisation de ses institutions, mais il s’agit d’un processus complexe, aux enjeux à la fois politiques, sociaux et culturels. Il n’est en rien mécanique. Le processus de suivi permet de mettre en place des instruments de veille et d’alerte qui garantiront l’instauration d’un véritable Etat de droit. Les organes chargés de la protection des droits de l’homme, notamment le Conseil national des droits de l’homme et le médiateur, travaillent de manière efficace dans toutes les régions du sud-marocain, à Rabat et Laayoune, en partenariat avec des commissions régionales, ancrées dans la société civile. Ces commissions rendent des rapports et luttent contre les violations des droits de l’homme sur le terrain. À Laayoune, la commission a reçu vingt et une délégations étrangères et produit un travail important en lien avec la communauté internationale.

M. AMEUR (Maroc, partenaire pour la démocratie) – Avec le Printemps arabe, le mouvement de protestation a connu une ampleur sans précédent. Il a été à l’origine de la chute des régimes totalitaires. Aujourd’hui, il persiste et prend des formes sans précédent pour exiger la mise en application des réformes promues et dénoncer des dérives et régressions qui s’annoncent à l’horizon.

Le mouvement de manifestation va de pair avec un développement notoire de la liberté d’expression, des médias et d’association. Face à une situation inédite et en l’absence de longues traditions en la matière, la gestion des manifestations interpelle aussi bien les autorités publiques que les acteurs du mouvement.

Au Maroc, le processus de réforme engagé bien avant le Printemps arabe s’est accompagné de réelles avancées dans les domaines des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les manifestations du 20 février 2011 ont accéléré la cadence des réformes et conduit à leur consécration dans la nouvelle Constitution. Cette dernière garantit les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes leurs formes. Aussi la liberté de la presse est-elle garantie et ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable.

Cependant, force est de constater qu’en dépit des efforts considérables déployés par les autorités publiques pour se conformer au nouveau contexte politique et constitutionnel, la réalité demeure entachée d’un certain nombre de restrictions et de dépassements qui doivent être corrigés.

Le champ médiatique marocain est caractérisé par une pluralité et un dynamisme de la presse et dispose d’une liberté considérable par rapport aux autres pays de la région. Cependant, il faut signaler qu’il existe parfois des restrictions et sanctions à l’encontre des journalistes. D’où l’urgence de la réforme du code de la presse pour le mettre en phase avec les nouvelles dispositions constitutionnelles.

Le phénomène des manifestations pacifiques a connu une évolution quantitative et qualitative ces dernières années. Pour la seule année 2008, le Maroc a enregistré près de 6 000 manifestations affectant toutes les régions et villes du Royaume. En 2013, pour la seule ville de Rabat, les autorités chargées de la sécurité font face parfois à plus de 40 manifestations par jour.

La gestion pacifique de ce mouvement exige des moyens humains et techniques considérables et un savoir-faire culturel et pédagogique qui fait souvent défaut. La formation des agents de sécurité et leur sensibilisation aux questions des droits de l’homme est nécessaire pour éviter les dérapages et les dépassements.

Quant aux associations, elles jouent un rôle important dans le développement social et la promotion des droits humains et démocratiques. La société civile, de par son dynamisme, a pu innover en matière d’outils de travail et de plaidoyer parfois en avance sur les lois en vigueur. En outre, l’action associative souffre encore de contraintes multiples d’ordre législatif, administratif, fiscal ou liées à l’accès au financement public. La nouvelle Constitution institutionnalise le rôle des associations et engage le Maroc à se conformer aux conventions internationales en la matière.

Pour consolider la dynamique de réformes et de progrès à l’œuvre au Maroc et pour ancrer d’une façon irréversible notre pays dans les valeurs de l’Europe et du monde libre, les associations des droits de l’homme et l’ensemble des forces démocratiques doivent œuvrer de concert pour consolider les acquis, réduire le décalage entre les textes et la réalité et faire en sorte que l’Etat de fait soit conforme à l’Etat de droit.

Le Maroc a fait le choix de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales. Ce choix, nous devons l’assumer pleinement sans hésitation et avec beaucoup de détermination.

Enfin, je félicite le rapporteur pour son document équilibré et ses recommandations pertinentes.

LE PRÉSIDENT – La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

Monsieur le rapporteur, il vous reste sept minutes.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne), rapporteur* – Je remercie la commission qui m’a nommé rapporteur – la liberté individuelle de chacun a pu s’exercer dans ce choix – et qui m’a beaucoup aidé à tenter de dégager des suggestions et des contributions de chacun une sorte de fil d’Ariane. Je dois aussi remercier le secrétariat qui a été d’une grande aide dans cette entreprise. Enfin je salue la qualité des interventions de ce débat.

Un nouveau chantier s’ouvre à nous, et il faudra constamment mettre à jour les outils nécessaires à la protection des droits fondamentaux. Pour cela, nous avons besoin de principes. Je rappelle la Résolution 1920 approuvée cette année par notre Assemblée et les critères établis dans le Doc. 13078. La Cour européenne des droits de l’homme qui veille au respect de la Convention a précisé que la protection des manifestations concernait toutes les manifestations, y compris celles qui n’ont pas été autorisées.

Le droit de réunion et le droit de manifestation doivent toujours être protégés en Europe mais aussi dans le reste du monde, au Brésil, par exemple. Des débordements se produisent souvent en fin de manifestations mais, là aussi, les droits de tous doivent être respectés. Prévoir un cordon de sécurité autour des manifestations permet, par exemple, de protéger l’immense majorité des manifestants qui sont pacifiques.

Nous devons tirer les enseignements des décisions prises par la Cour. Si un policier dépasse les bornes, il doit être traduit en justice. Nous avons évoqué les événements consécutifs aux interventions violentes mais il est nécessaire de se reporter au début des manifestations. En Turquie, par exemple, les manifestations ont commencé par le rassemblement de quelques écologistes qui voulaient sauver un parc.

M. Mota Amaral, qui est beaucoup plus sage que moi à bien des égards, a utilisé une expression fondamentale. Il a parlé de « mutations profondes ». On assiste effectivement à de telles mutations sur le plan économique, social, technologique mais aussi politique. Par exemple, en Espagne, nous sommes fatigués de devoir sans cesse demander la limitation du nombre des mandats. Et au Conseil de l’Europe il serait bon que celle-ci soit appliquée et que le nombre de rapports qu’un parlementaire doit rédiger simultanément soit également limité. Les mutations fondamentales qui se produisent doivent être suivies et impliquent certaines mesures.

Ce matin, à la télévision espagnole, nous avons vu la présidente du Brésil parler avec les manifestants et leur apporter une réponse - une réponse certes politique, ce qui est normal pour une femme politique qui doit écouter les suggestions et avancer des idées.

En fait, la force a été utilisée uniquement par l’Etat. Tous les autres ont renoncé au recours à la violence. L’Etat utilise son pouvoir et sa puissance. C’est pourquoi il convient de fixer des règles et des limites, afin que la réaction des pouvoirs publics soit toujours proportionnée, adéquate aux événements : manifestations ou autres. Il faut tirer les enseignements de ce qui se passe au Nord comme au Sud, apprendre les uns des autres et, en fonction de l’expérience, faire progresser les valeurs du Conseil de l’Europe. Nous sommes tous amis d’Istanbul, de Londres, de Rome ou de Paris. À l’avenir, les manifestations risquent toutefois d’être plus nombreuses – c’est une bonne chose, car cela traduit la vitalité d’un pays – mais il importe dans ce contexte de protéger les droits de tous.

Il me reste à vous remercier, vous qui avez exprimé votre appréciation sur mon travail. J’en assume les lacunes, les défauts et les erreurs, mais je crois qu’il y a dans ce rapport quelque chose d’assez positif. Je remercie le secrétariat de la commission des questions politiques et de la démocratie de m’avoir aidé à le rédiger. Je travaille avec cette équipe magnifique depuis quelque quatre ans. La commission a également réalisé un travail remarquable et j’aimerais féliciter son nouveau président, qui sera aussi le nouveau président du parlement suédois.

LE PRÉSIDENT – Merci beaucoup, Monsieur Díaz Tejera, pour ce plaidoyer extraordinaire. C’est toujours un plaisir de vous écouter défendre avec conviction des idées qui sont aussi les nôtres.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission des questions politiques et de la démocratie* – La décision prise lundi dernier par l’Assemblée était de faire un rapport sur les manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression. Après des négociations, la tâche est finalement revenue à la commission des questions politiques et de la démocratie. Nous avons discuté de la portée du débat, notamment à la lumière des événements survenus en Turquie. Comme cela a été rappelé, le point 9 du projet de résolution renvoie aux différentes juridictions, conventions et normes fondamentales applicables à tous les pays membres et garantissent la liberté de réunion. Il invite également à renoncer au recours excessif ou disproportionné à la force par les forces de l’ordre.

La dernière réunion de la commission a permis de dégager un compromis : deux sous-amendements au point 3 rappellent ce qui s’est produit à Paris et Stockholm, dans mon propre pays, pour élargir la perspective, même si nous parlons, bien sûr, de la Turquie. Comment définir les responsabilités ? Tel que cela ressort du point 3, il s’agit en fait du résultat de ces sous-amendements. Comment parvenir à un équilibre entre les différents partenaires qui ont participé et peut-être continuent à participer à ces événements ?

Je vous encourage à adopter le projet de résolution. La tâche n’était pas aisée, mais a été fort bien gérée par le rapporteur et la commission.

LE PRÉSIDENT – La discussion générale est close.

La commission des questions politiques a présenté un projet de résolution sur lequel sept amendements ont été déposés. Ils seront appelés dans l’ordre dans lequel ils s’appliquent au texte, tel que publié dans le recueil des amendements.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps d’intervention pour soutenir ou contrer un amendement est limité à 30 secondes.

Nous commençons par l’amendement 5. Si cet amendement est adopté non sous-amendé, les amendements 3, 4, 6 et 7 n’auront plus d’objet.

L’amendement 5, déposé par MM. Agramunt, Hancock, Volontè, Çavuşoğlu, Walter, Mme Mateu Pi, tend, dans le projet de résolution, à remplacer le paragraphe 3 par le paragraphe suivant : « Comme exemples de manifestions pacifiques dégénérant en affrontements violents avec la police au cours des derniers mois en Europe, mentionnons notamment les suivants :

3.1 plusieurs manifestations contre le mariage entre personnes de même sexe, organisées à Paris entre le 24 mars et le 27 mai 2013 ("Manif pour tous") et impliquant plus de 2 millions de personnes, ont déclenché l’intervention des forces de l’ordre ; celles-ci ont, notamment, eu recours aux gaz lacrymogènes à l’encontre de manifestants pacifiques. 4 personnes ont été blessées et plusieurs centaines ont été arrêtées ;

3.2 des émeutes qui ont eu lieu dans la banlieue de Stockholm du 20 au 24 mai 2013 lorsque des personnes ont manifesté contre le meurtre d’un immigrant par la police et contre les politiques d’immigration et d’intégration en général. Il n’y aurait pas eu de blessés et la police aurait arrêté 29 personnes ;

3.3 le 31 mai 2013, une manifestation pacifique organisée par des défenseurs de l’environnement contre un projet de rénovation urbaine à Istanbul a été partiellement récupérée par des groupes extrémistes sans liens avec les premiers, dont l’implication a engendré une situation de plus en plus tendue qui a débouché sur une intervention musclée des forces de l’ordre et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent en Turquie. Dans de nombreuses villes, ces manifestations ont donné lieu à des confrontations violentes avec les forces de l’ordre, marquées par le recours systématique au gaz lacrymogène (gaz poivre), aux canons à eau et, dans certains cas, aux tirs de balles en caoutchouc. L’Assemblée déplore que le bilan s’élève à quatre morts, dont un policier, et environ 4 000 blessés. »

M. WALTER (Royaume-Uni)* – Au cours du débat, ce point est ressorti très clairement, et le président de la commission l’a rappelé il y a un instant : il ne fallait pas se concentrer sur la Turquie, mais citer également d’autres pays où ont eu lieu récemment des manifestations de mécontentement. Cet amendement cite deux autres exemples : Paris et Stockholm, pour compléter le tableau, ce qui rend le texte plus équilibré.

LE PRÉSIDENT – La présidence a été saisie par la commission du sous-amendement oral suivant :

« Dans l’amendement 5, après les mots « projet de résolution, » remplacer les mots « remplacer le paragraphe 3 par le paragraphe suivant » par les mots « insérer les paragraphes suivants » et supprimer le paragraphe 3.3. »

Je considère que ce sous-amendement est recevable au regard des critères du Règlement. Il ne peut toutefois être pris en compte si dix représentants ou suppléants au moins s’y opposent et se lèvent.

En l’absence d’objections, nous allons donc examiner ce sous-amendement oral.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne), rapporteur* – Il était initialement envisagé d’inclure Paris, Stockholm, Londres et bien d’autres capitales européennes, certains collègues voulant même inclure d’autres continents. Finalement, pour s’en tenir à une rédaction plus générale, nous avons maintenu les exemples de Paris et Stockholm, pour nous en tenir à une formulation plus générale, tout en améliorant la rédaction initiale.

M. WALTER (Royaume-Uni)* – Dans la mesure où l’on insère le 3.1 et le 3.2 dans mon amendement en conservant le libellé initial, j’accepte ce sous-amendement oral.

LE PRÉSIDENT – L’auteur de l’amendement est donc favorable au sous-amendement de la commission.

Le sous-amendement oral est adopté.

LE PRÉSIDENT – Nous en revenons à l’amendement 5 ainsi sous-amendé.

M. ROUQUET (France) – Cet amendement vise à faire un amalgame entre les interventions des forces de l’ordre en Turquie et à Paris. Or, quiconque examine les faits voit immédiatement que la comparaison est absolument ridicule. Ce que cherchent avant tout les signataires de cet amendement, c’est à remettre en cause la légitimité du vote de la loi sur le « mariage pour tous », adoptée par le Parlement français et aujourd’hui entrée en application. Nous ne comprenons pas qu’un tel amalgame soit fait par nos collègues. Je le répète, la comparaison établie entre ce qui s’est passé à Paris et les événements en Turquie est absolument ridicule.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – La commission est favorable à l’amendement sous-amendé.

L’amendement 5, sous-amendé, est adopté.

LE PRÉSIDENT – L’amendement 3, déposé par Mme Memecan, MM. Agramunt, Hancock, Volontè, Çavuşoğlu, Mme Mateu Pi, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 3, à remplacer la première phrase par la phrase suivante : « Récemment, le 31 mai 2013, une manifestation pacifique organisée par des défenseurs de l’environnement contre un projet de rénovation urbaine à Istanbul a été partiellement récupérée par des groupes extrémistes sans liens avec les premiers, dont l’implication a engendré une situation de plus en plus tendue qui a débouché sur une intervention musclée des forces de l’ordre et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent en Turquie. »

Mme MEMECAN (Turquie)* – Monsieur le Président, l’amendement 5 ayant été adopté, l’amendement 3 est-il toujours en discussion ?

LE PRÉSIDENT – Ma chère collègue, l’amendement 3 n’aurait plus d’objet si l’amendement 5 avait été voté tel quel. Dans la mesure où celui-ci a été sous-amendé, l’amendement 3 reste en discussion.

La parole est à M. Kox, pour un rappel au Règlement.

M. KOX (Pays-Bas)* – Je pensais moi aussi qu’avec l’adoption de l’amendement 5 les amendements suivants n’auraient plus d’objet – c’est du moins ce qui est indiqué dans le document que nous avons reçu. Or tel ne semble pas être le cas.

LE PRÉSIDENT – Mon cher collègue, les documents de séance précisent bien que l’amendement 3 serait tombé si l’amendement 5 avait été adopté non sous-amendé. L’amendement 5 ayant été adopté sous-amendé, l’amendement 3 est toujours en discussion.

Mme MEMECAN (Turquie)* – L’amendement 3 vise donc à rappeler que les manifestations ont commencé de manière pacifique, mais qu’ensuite des groupes extrémistes ont fait leur apparition, rendant nécessaire l’intervention de la police.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne), rapporteur* – Madame Memecan, en dépit du respect et même de l’affection que j’ai pour vous, je dois vous dire que nous ne sommes pas d’accord avec l’insertion de l’adjectif « extrémistes ». En effet, on reconnaît là un argument utilisé à chaque fois qu’il y a une intervention disproportionnée de la police. Au départ, les personnes qui se sont rassemblées étaient des écologistes manifestant pacifiquement. Ensuite, il y a eu une réaction disproportionnée. Après, des syndicalistes et des féministes – entre autres – se sont agrégés au mouvement. En tout état de cause, je trouve qu’il est inapproprié d’ajouter l’adjectif en question. Je suis donc opposé à cet amendement.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – La commission est défavorable à l’amendement 3.

L’amendement 3 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT – L’amendement 6, déposé par Mme Gündeş Bakir, MM. A. K. Türkeş, Kayatürk, Dişli, Mme Memecan, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 3, à supprimer les deuxième et troisième phrases.

Je précise que cet amendement, de même que le précédent, serait tombé si l’amendement 5 avait été adopté non sous-amendé.

Mme GÜNDEŞ BAKIR (Turquie)* – Le rapport devrait se concentrer davantage sur des principes fondamentaux. Tel est l’objet du présent amendement.

Lord TOMLINSON (Royaume-Uni)* – Je suis clairement opposé à l’amendement 6. Si nous l’adoptions, le premier vote émis par l’Assemblée n’aurait plus aucun sens, puisque cet amendement est en contradiction flagrante avec l’esprit et l’intention du sous-amendement oral précédemment adopté. J’exhorte donc l’Assemblée à rejeter l’amendement 6.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Walter, pour un rappel au Règlement.

M. WALTER (Royaume-Uni)* – Lord Tomlinson s’est exprimé contre cet amendement, mais je dois avouer que je ne comprends plus très bien : l’amendement 6 tend à supprimer les deuxième et troisième phrases du paragraphe 3, mais desquelles s’agit-il ? Nous avons amendé le paragraphe en question, lequel contient désormais 7 ou 8 phrases. À mes yeux, le présent amendement n’est donc plus recevable.

LE PRÉSIDENT – Monsieur Walter, on a effectivement ajouté des phrases au paragraphe 3, à la suite de l’adoption de l’amendement 5 sous-amendé, mais cela ne change rien aux premières phrases de ce paragraphe.

La parole est à Mme Lundgren, pour un rappel au Règlement.

Mme LUNDGREN (Suède)* – La première phrase du nouveau paragraphe 3 évoque des « exemples de manifestations pacifiques dégénérant en affrontements violents », puis on passe au point 3.1. S’agit-il là des phrases que l’amendement 6 vise à supprimer ? Les choses ne sont plus très claires.

LE PRÉSIDENT – Pour moi, je le répète, il est clair que l’on n’a pas touché au début du paragraphe 3. Tout à l’heure, vous avez adopté un amendement sous-amendé qui a inséré de nouvelles phrases dans ce paragraphe. La chose votée étant acquise, il n’y a pas lieu d’y revenir.

La parole est à M. Pushkov, pour un rappel au Règlement.

M. PUSHKOV (Fédération de Russie) – Monsieur le Président, pourriez-vous lire le texte de ce qui est désormais, selon vous, le paragraphe 3 ? Tout cela, en effet, est vraiment compliqué. Je vous demande donc de lire le texte pour que les membres de notre Assemblée comprennent quel est le contenu de ce paragraphe 3 amendé.

LE PRÉSIDENT – Cher collègue, j’allais entreprendre de faire voter sur l’amendement 6 : l’un de ses auteurs l’a soutenu, un parlementaire s’est exprimé contre et j’étais sur le point de demander l’avis de la commission.

Vous avez voté tout à l’heure, en votre âme et conscience, l’amendement 5. On a simplement ajouté, selon votre volonté – c’est le sens de votre vote – des phrases au paragraphe 3 du projet de résolution.

Pour faire toute la clarté sur cette affaire, je vous relis le sous-amendement oral qui a été voté : « dans l’amendement 5, après les mots "projet de résolution " remplacer les mots " remplacer le paragraphe 3 par le paragraphe suivant " par les mots " insérer les paragraphes suivants "et supprimer le paragraphe 3.3. ».

Je considère que les votes sont définitifs. Nous allons donc reprendre le cours normal de la discussion. Nous en étions à l’avis de la commission sur l’amendement 6.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – Nous sommes favorables à cet amendement.

L’amendement 6 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Hancock, pour un rappel au Règlement.

M. HANCOCK (Royaume-Uni)* – Lorsque l’amendement a été déposé, il portait sur les deuxième et troisième phrases du paragraphe 3 dans sa rédaction originale. Or maintenant l’amendement 6 s’applique au nouveau paragraphe 3.3 qui n’a pas été modifié du tout. Ce sont donc des amendements parfaitement légitimes par rapport aux paragraphes antérieurs. Si nous avions pu prévoir que le texte allait être modifié, nous aurions pu changer le libellé mais nous ne pouvions pas le faire avant le vote.

LE PRÉSIDENT – Je ne vois pas ce que je peux faire de plus.

Nous en venons aux amendements 4 et 7 qui sont identiques.

L’amendement 4, déposé par Mme Memecan, MM. Agramunt, Hancock, Volontè, Çavuşoğlu, Mme Mateu Pi, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 3, à remplacer « 8 000 » par « 4 000 ».

L’amendement 7, déposé par Mme Gündeş Bakir, MM. A. K. Türkeş, Kayatürk, Dişli, Mme Memecan, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 3, à remplacer « 8 000 » par « 4 000 ».

LE PRÉSIDENT – Mme Memecan va défendre l’amendement 4 qui a été déposé le premier.

Mme MEMECAN (Turquie)* – C’est une correction factuelle.

Mme BİLGEHAN (Turquie) – Je suis contre cet amendement, car le chiffre qui a été annoncé est de 7 832 blessés, selon l’Union des médecins de Turquie.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – L’avis de la commission est favorable.

L’amendement 4 est adopté.

LE PRÉSIDENT – L’amendement 2, déposé par MM. Kox, Kürkçü, Papadimoulis, Loukaides, Mme Andersen, tend, dans le projet de résolution, après le paragraphe 3, à insérer le paragraphe suivant : « L’Assemblée salue la résolution du 13 juin dans laquelle le Parlement européen "fait part de sa profonde inquiétude face au recours disproportionné et excessif à la force par la police turque" et souligne l’importance de la liberté d'expression et de celle d'organiser des réunions et des manifestations pacifiques, qui sont également au cœur des valeurs de l’Union européenne (UE). »

M. KOX (Pays-Bas)* – Le mois dernier, Monsieur le Président, vous avez déclaré à Bruxelles, que le Parlement européen et le Conseil de l'Europe devraient s’exprimer d’une seule voix en matière de démocratie, de prééminence du droit et des droits de l’homme.

Ce mois-ci nos collègues du Parlement européen ont adopté une résolution sur les événements en Turquie se référant aux obligations des autorités au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Cet amendement propose tout simplement de saluer cette résolution du Parlement européen et de montrer que nous pouvons, effectivement, parler d’une seule et même voix lorsque nos valeurs communes, telles que décrites dans la Convention européenne, doivent être défendues.

Mes chers collègues je vous appelle donc à voter en faveur de cet amendement, ainsi nous parlerons d’une seule et même voix dans toute l’Europe.

M. WALTER (Royaume-Uni)* – Je suis contre cet amendement. La Turquie n’est pas membre de l'Union européenne, en revanche, elle est membre du Conseil de l'Europe. Il s’agit d’un amendement du style « moi aussi », qui est inutile et superflu. C’est l'Assemblée parlementaire qui s’exprime ici, c’est une question de la plus haute importance sur laquelle nous devons parler d’une seule voix et non pas donner l’impression que nous suivons une autre Assemblée.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – Nous sommes défavorables à cet amendement.

L’amendement 2 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT – L’amendement 1, déposé par Mmes Čigāne, de Pourbaix-Lundin, Lībiņa-Egnere, M. Cilevičs, Mme Reps, tend, dans le projet de résolution, après le paragraphe 9.7, à insérer le paragraphe suivant : « à s’abstenir d’imposer des obstacles administratifs et organisationnels inutiles au travail des organisations de la société civile en leur infligeant des contrôles, des amendes et des sanctions. De tels excès contribuent à alimenter le mécontentement de la population et à intensifier encore les protestations populaires. »

Mme ČIGĀNE (Lettonie)* – Cet amendement vise à compléter le paragraphe 9.7 qui dit que les pays membres doivent trouver les moyens de mieux faire participer la population à la gestion des affaires publiques. Nous voulons dire qu’ils doivent aussi s’abstenir d’imposer des obstacles administratifs et organisationnels inutiles au travail des organisations de la société civile. Ce point a été mentionné par le Commissaire aux droits de l’homme suite à sa visite dans différents pays membres.

M. von SYDOW (Suède), président de la commission* – Nous sommes favorables à cet amendement.

L’amendement 1 est adopté.

LE PRÉSIDENT – Nous allons procéder au vote sur le projet de résolution, contenu dans le Doc. 13258, tel qu’il a été amendé.

Le projet de résolution, amendé, est adopté (106 voix pour, 15 voix contre, 14 abstentions).

LE PRÉSIDENT – Félicitations, Monsieur le rapporteur. Félicitations également au secrétariat de la commission qui, une fois de plus, a travaillé dans l’urgence.

2. L’ingérence de l’Etat dans la vie privée sur internet
Débat d’actualité

LE PRÉSIDENT – L’ordre du jour appelle notre débat d’actualité sur l’ingérence de l’Etat dans la vie privée sur internet.

Je vous rappelle que le temps de parole de chaque intervenant est limité à 3 minutes, à l’exception du premier orateur, M. Flego, désigné par le Bureau parmi l’un des initiateurs du débat, qui dispose de 10 minutes.

M. FLEGO (Croatie)*– Internet a changé et change la structure du pouvoir. Les développements sans précédent des TIC, les technologies de l’information et de la communication, l’échange d’informations, les connaissances accessibles à tout un chacun, les réseaux sociaux, le nombre impressionnant de personnes qui communiquent modifient la structure même de la sphère publique et ouvrent de nouvelles voies au processus de décision dans le domaine des affaires, mais aussi dans le domaine politique. Cela modifie également le contenu de la communication.

En raison de cette révolution, il semblerait que la démocratie, elle aussi, évolue. La troisième génération de l’Etat moderne est un Etat de démocratie délibérative, un Etat qui aide ses citoyens par le biais des institutions et des infrastructures publiques. C’est un Etat qui est censé protéger les citoyens et leurs biens pour assurer la justice, garantir l’égalité des chances et les décisions démocratiques.

La démocratie ne se suffit pas à elle-même : c’est un espace, un processus qui permet aux personnes de prendre des décisions ensemble, des décisions qui les concernent eux mais aussi les autres.

La démocratie est un exercice de liberté, qui joue un rôle dans le bonheur. Si le bonheur ne passe pas uniquement par la liberté, il n’y a pas de bonheur sans liberté.

Les démocraties modernes reposent sur un certain nombre de conditions. La liberté d’expression et d’information est essentielle : internet, les plateformes mobiles, les réseaux sociaux ne sont pas uniquement des instruments, ils forment un nouvel espace public ouvert à tout un chacun. La seule condition est d’être en mesure de communiquer. Tout le monde peut participer aux communautés, quelle que soit sa position géographique.

Ces médias en ligne sont devenus justement partie intégrante de la vie moderne. L’Etat doit veiller à ce que cette infrastructure fonctionne au mieux pour le bien-être de ses citoyens, il doit encore veiller à la liberté des médias, à éviter toute pression et toute ingérence. Il appartient aux autorités centrales de veiller à ce qu’aucun organe d’Etat ne fasse pression sur les rédacteurs en chef, les journalistes, les médias, les éditeurs.

Cers conditions peuvent être remplies avec les médias classiques, mais il en va tout à fait différemment avec internet. Il n’y a pas vraiment de propriétaires, il n’y a que des usagers et des co-auteurs. Ces médias sont d’ailleurs souvent animés par des non-professionnels. C’est pourquoi le contrôle classique est impossible sur internet. Certains appareils d’Etat essayent de contrôler tout en restreignant ou en empêchant ce qu’ils ne peuvent contrôler. Ce faisant, ils étranglent la liberté d’expression et rendent leurs citoyens malheureux et les privent de liberté.

On peut juger un système politique selon qu’il encourage ou restreint la liberté des médias. Si un gouvernement empêche la diffusion d’informations sur les manifestations qui durent depuis plusieurs jours, si un gouvernement intimide cinq millions de tweeters pour avoir disséminé des informations d’intérêt public ou a recours à un usager excessif de la force comme c’est le cas en Turquie. Si des juges interdisent aux journalistes de rédiger des articles critiques comme c’est le cas en Ukraine, si une majorité parlementaire utilise les unités de police pour s’en prendre aux journalistes ou à l’opposition comme c’est le cas en Macédoine, ils violent les conventions européennes et celle des Nations Unies, mais aussi les résolutions et les recommandations de l’Assemblée. Mais surtout ces Etats vident de tout sens les libertés fondamentales.

La démocratie ne consiste pas à imposer, mais à décider ensemble. La démocratie ne consiste pas à appliquer de manière servile des programmes d’hommes politiques. Il s’agit de décider ensemble de l’action des politiques. Les politiques doivent montrer la voie. Or, s’ils essayent d’imposer leurs idées ou disent aux citoyens ce qu’ils doivent penser, nous ne sommes pas loin de la dictature.

Internet présente aussi, bien sûr, un revers. Il prête à la violation des droits des autres, à des manipulations, il peut pousser à des mobilisations sociales ou politiques, il est le lieu de menaces anonymes, d’intimidations, de propagande, de pornographie infantile, de cyber-harcèlement. Il faut, par conséquent, surveiller et réglementer internet.

Certains pays préfèrent restreindre cette liberté. Des Etats filtrent le contenu d’internet, d’autres violent les lois et utilisent des données privées, ce qu’ils légitiment en avançant des arguments d’ordre sécuritaire, tels que la lutte contre le terrorisme.

Dès le début, on a essayé de trouver un équilibre entre l’épanouissement des libertés et la protection de la société et des individus. Mme Brasseur rédige un rapport d’importance stratégique sur internet et la politique et elle doit affronter les problèmes que je viens d’évoquer. Quoi que l’on décide, ce qui est important, c’est que les appareils d’Etat ne violent pas, mais, au contraire, protègent les droits de leurs ressortissants. Il est essentiel que les règlements soient équilibrés, protègent les innocents, ceux qui ne sont pas au pouvoir, des abus, mais certainement pas en sacrifiant la liberté d’expression ni les nouvelles possibilités démocratiques. Cela étant, je ne me fais aucune illusion, cette dernière hypothèse est tout à fait possible.

M. WACH (Pologne), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Nous abordons un domaine d’autant plus sensible qu’internet est utilisé de différentes façons, notamment pour communiquer des données privées. Nous parlons sur internet de nos problèmes familiaux ou de santé, nous y évoquons nos réussites et nos soucis ou encore nos points faibles : c’est pourquoi nous ne souhaitons pas que n’importe qui puisse espionner notre vie privée.

Le fait qu’internet soit populaire est aussi sa faiblesse. Ce système accueille toutes les fraudes et est ouvert à tous les escrocs. Internet peut être utilisé par la criminalité organisée, pour préparer des attaques terroristes ou encore pour des activités pédophiles.

C’est pourquoi il faut envisager un contrôle en ligne et non post factum d’internet. En effet, si on intervient après coup, le crime se sera déjà produit. Aussi, dans le cas d’internet comme pour toutes les autres formes de communication, la conciliation du respect de la vie privée et de la protection de la collectivité ne saurait-elle être assurée que dans le cadre de la loi, votée par le Parlement et sous le contrôle d’instances parlementaires.

C’est très simple sur le plan théorique ; le problème tient dans la mise en œuvre du système de contrôle lui-même et dans la confiance que lui accorde le public, notamment jeune, aux yeux duquel un tel contrôle ne peut jamais s’exercer de manière propre et efficace.

Le problème est d’ailleurs redoublé du fait qu’internet est un outil de communication qui nous appartient et dont l’usage, pensons-nous, est libre, alors qu’il peut être utilisé contre nous. Le contrôle des moyens de communication traditionnels est évidemment plus facile.

Mme MARJANOVIĆ (Serbie), porte-parole du Groupe socialiste* – Je remercie M. Flego d’avoir bien posé le problème des relations entre, d’une part, internet et, d’autre part, la démocratie et les droits de l'homme. Si le phénomène mondial qu’est internet a transformé quasiment tous les aspects de notre vie, en revanche, la protection de la vie privée et les menaces que l’Etat peut faire peser sur celle-ci ne sont pas des questions nouvelles.

La Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit au respect de la vie privée et y interdit toute ingérence des autorités publiques, sauf pour garantir la sûreté et la sécurité nationales.

Nombreuses sont les pratiques abusives aux dépens d’internet. Parfois même, les changements politiques permettent de nouveaux abus. Nous devons y veiller et nous efforcer de comprendre les changements qui traversent le monde moderne pour trouver le bon équilibre et prévenir les manipulations, notamment dans l’accès à l’information.

Internet et les médias sociaux sont devenus des sujets d’autant plus importants pour le législateur, que la rapidité des mutations technologiques ne lui permet pas toujours de réagir à temps. Il faut nous montrer plus créatifs afin de mieux apprendre à protéger, à l’ère numérique, les droits de l'homme et la vie privée, laquelle est indissociable de l’autonomie, de la dignité, de la liberté et de la confiance. N’avons-nous pas vu récemment certains peuples perdre confiance dans leurs gouvernements ou dans leurs institutions ?

La sous-commission des médias et de la société de l’information a organisé une audition à Londres, au cours de laquelle nous avons appris que les enfants passent chaque semaine plus d’heures devant internet ou des outils numériques qu’à l’école : ce phénomène doit nous interpeller.

Mes chers collègues, les sociétés démocratiques ont largement profité d’internet et notre nouvel environnement médiatique est de plus en plus complexe. Il est de plus en plus difficile pour nous de décider ce qui est important ou ne l’est pas, ce qui est vrai ou faux, ce qui est bien ou mal.
C’est pourquoi nous devons trouver l’équilibre délicat permettant de protéger les libertés et les droits fondamentaux.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe – Je remercie M. Flego de son introduction à ce débat ô combien difficile.

Je prépare actuellement pour la commission de la culture un rapport sur internet et la politique, sur les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la démocratie, vaste sujet qu’il est difficile de cerner, comme l’ont montré deux auditions qui ont été évoquées.

D’aucuns prétendent qu’il est de plus en plus difficile d’établir une séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Jürgen Habermas a ajouté une troisième sphère, la sphère sociale, à laquelle appartient internet.

Nous assistons à des tendances contradictoires. D’un côté, nous revendiquons le respect du droit à la vie privée, qu’il s’agisse de la famille, du domicile ou de la correspondance, un droit garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et que nous devons défendre. D’un autre côté, toutefois, certains internautes ressentent le besoin incontrôlé, souvent inconscient, de révéler sur internet toutes informations sur eux-mêmes ou leurs proches. C’est une forme d’exhibitionnisme digital. Il faut protéger les gens et notamment les jeunes, en leur apprenant à ne pas tout mettre sur internet, qui est à la fois incontrôlable et incontrôlé. Internet, en effet, parce qu’il n’appartient à personne, appartient à tout le monde.

Les données confiées à internet sont stockées, extrapolées, retransmises et manipulées. Elles sont devenues des marchandises à des fins non seulement commerciales mais également politiques et de pouvoir. Mon rapport, qui n’a pas encore été adopté, montre que le danger est évident non seulement dans les Etats où les droits de l'homme ne sont plus assurés, mais également dans ceux où ils sont revus à la baisse. Or c’est ce qui arrive malheureusement aujourd’hui dans nos Etats qui, pour des raisons de sécurité, s’arrogent le droit de tout surveiller. Des régimes politiques, parfois aidés de compagnies privées, s’y emploient déjà, alors que nous ne disposons pas encore des instruments efficaces pour faire face à de tels défis. Aussi devons-nous y travailler.

La protection de la vie privée est quand même une des valeurs les plus précieuses, une liberté individuelle fondamentalement menacée ; nous devons donc nous opposer.

Sir Roger GALE (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe démocrate européen* – Les forces internationales de sécurité mènent des activités d’espionnage. Ce n’est pas admis publiquement, mais un espion… espionne. Il est fait pour ça. L’espionnage s’adapte aux techniques modernes.

La question à poser est celle de l’équilibre entre les activités de contre-terrorisme, de sécurité et le droit de chacun à la vie privée. Il y aura toujours un danger dans les Etats totalitaires, celui de l’abus de pouvoir des services de sécurité. La fin ne justifie pas toujours les moyens dans une société libre.

Il y a un autre danger exacerbé par des médias parfois hystériques, un danger de réaction excessive de peur, face à ceux qui voudraient déstabiliser une société démocratique. Il n’y a pas un droit inviolable à la vie privée en toutes circonstances. Nous savons qu’il existe parfois des échecs : le meurtre tragique à Londres récemment de Drummer Lee Rigby en est une preuve. Comme l’a dit M. Haig, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, on a pu empêcher des attentats pendant les jeux Olympiques à Londres. Mais on ne peut pas toujours évaluer précisément les succès de la lutte antiterroriste.

Je ne peux m’exprimer au nom des Etats-Unis ou de l’Union européenne, mais j’ai de bonnes raisons de penser qu’au Royaume-Uni à l’heure actuelle, les activités de sécurité sont bien proportionnelles à la menace du terrorisme. C’est à nous, les parlementaires, de demander au pouvoir exécutif de rendre des comptes, de remettre en question tout abus de pouvoir commis par l’Etat et par ses agences. C’est notre travail.

M. JÓNASSON (Islande), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je remercie M. Flego pour son rapport d’excellente qualité. Comme il l’indique, internet ouvre des possibilités infinies pour obtenir des informations, échanger des points de vue. Ce peut être un outil très utile, puissant en faveur de la démocratie.

Cependant il peut aussi être utilisé à des fins contraires. Les entreprises, les gouvernements peuvent réunir des informations sur des personnes, des groupes et empiéter sur leur vie privée. Ces renseignements peuvent être utilisés pour saper la démocratie. Le nom d’Edward Snowden doit être cité dans ce contexte. Il a informé le monde entier du fait que les autorités des Etats-Unis, le FBI et la NSA, ont réuni des informations sur des personnes par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès à internet ou des grands réseaux comme Google ou Facebook. Nous sommes la maison des droits de l’homme. Nous devons inciter chacun à protéger les donneurs d’alerte démocratique comme Edward Snowden. Il mérite d’être défendu.

Je souhaite soulever un autre aspect, la pornographie violente sur Internet. Monsieur le Président, si vous voyiez cinq hommes en train de violer une femme avec des actes de cruauté sadique, vous seriez comme nous tous, horrifié. Chacun agirait pour l’empêcher. Si cela se passait dans une école avec des enfants de 11 ans et si le maître ne faisait rien, il serait renvoyé immédiatement et tout le conseil de l’école avec lui. Mais si ça se passe sur internet, personne ne dit rien… ou rares sont ceux qui s’insurgent.

Des recherches effectuées dans les pays nordiques ont montré qu’en moyenne, des enfants de 11 ans ont déjà vu des actes pornographiques violents. Non pas parce qu’ils les recherchent mais parce que les fournisseurs de ces services savent comment toucher les clients potentiels. C’est un problème très grave. Nous devons agir. Comme ministre de l’Intérieur d’Islande, j’ai essayé de prendre certaines mesures dans ce domaine en examinant les possibilités techniques et juridiques pour agir. On m’a tout de suite accusé d’être pour la censure. Je suis contre, mais il faut bien agir dans ce domaine.

Il faut rendre hommage au Conseil de l’Europe et à l’excellent travail réalisé dans cette maison pour protéger les droits de l’enfant. Une campagne de sensibilisation a été lancée par le Conseil sur les abus dont les enfants sont les victimes. Elle a été menée avec beaucoup d’efficacité en Islande. Je vous prie, Monsieur le Président, de transmettre nos remerciements à ceux qui s’occupent de cette campagne au Conseil.

LE PRÉSIDENT – Merci beaucoup, cher collègue, cela sera fait avec beaucoup de plaisir.

Lord TOMLINSON (Royaume-Uni)* – La liberté d’expression est facile à utiliser dans bon nombre de circonstances et en général elle est appréciée. On a toujours accepté dans les sociétés modernes que celle-ci soit restreinte dans l’intérêt public. Je me réjouis que dans mon pays existent des limites à la liberté d’expression qui empêchent d’inciter à la haine religieuse, qui conduit au terrorisme.

Toutefois les restrictions ne doivent être autorisées que conformément à la législation sur les droits de l’homme. Elles doivent être considérées comme nécessaires, impératives. Avec internet c’est plus difficile à mettre en œuvre.

Pendant très longtemps j’ai considéré qu’internet n’était pas une bonne chose pour la société. En tant qu’universitaire je vois les méfaits qu’il produit. On y trouve bon nombre d’informations, mais d’une qualité très variable, d’où le risque d’amateurisme et de mise en péril de la démarche universitaire.

Je remercie M. Flego pour son rapport qui souligne l’aspect sombre d’internet, le revers de la médaille que l’on voit de plus en plus, alors que le côté positif s’estompe. Quand je consulte mes courriels chaque jour dans mon bureau, j’en jette 90 % sans même les ouvrir. C’est de l’information venant de personnes qui l’utilisent une fois et la répercutent à d’autres de façon paresseuse. C’est le cas aussi pour les partis politiques.

J’ai beaucoup apprécié l’intervention de M. Flego. J’attends avec impatience le rapport de Mme Brasseur qui sera certainement encore plus détaillé.

M. HANSON (Estonie)* – L’information n’a jamais circulé aussi librement qu’aujourd’hui et pourtant, internet a aussi renforcé le pouvoir de certains gouvernements, et pas seulement de gouvernements autoritaires. Les pays démocratiques présentent comme justification principale à la collecte de données la sécurité des citoyens face au terrorisme international. Tout cela n’est guère rassurant et le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression, M. La Rue, a alerté dans un rapport récent sur les dangers d’une interprétation trop laxiste de lois obsolètes, en vue d’une surveillance renforcée des citoyens.

Il paraît nécessaire aujourd’hui de mettre au point une nouvelle réglementation pour tenir compte de ces changements. Je suis personnellement optimiste et convaincu qu’il est possible de défendre les droits de l’homme tout en conciliant le respect de la vie privée, la sécurité nationale et les progrès techniques. L’essentiel est de bien informer les citoyens. Dans certains cas, une activité de surveillance est nécessaire mais, dans un pays démocratique, elle n’est légitime que si elle repose sur un consentement en connaissance de cause. Tout type de surveillance doit être accepté par l’opinion publique. Ce sont les citoyens, ou leurs représentants élus, qui doivent en décider.

Les menaces potentielles d’ingérence de l’Etat dans notre vie privée ne doivent toutefois pas nous empêcher de tirer tous les avantages de la société de l’information. L’Estonie est consciente, depuis 2007, de sa vulnérabilité dans ce domaine. Elle est l’un des pays du monde les plus connectés à internet. Mais nous pensons que nous devons faire face aux menaces en développant davantage encore notre maîtrise d’internet et en améliorant l’ouverture et la transparence des systèmes d’information.

M. TRIANTAFYLLOS (Grèce)* – Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont en constante évolution. Tout effort de réglementation doit tenir compte de cette caractéristique. Ces technologies ne sont ni autoritaires, ni démocratiques, ni conservatrices, ni progressistes. L’utilisation humaine leur donne une coloration chaque fois différente. Certains s’y opposent, d’autres veulent les développer. Il doit probablement être possible de réglementer internet de manière démocratique.

Internet joue un rôle central dans la vie quotidienne de la plupart d’entre nous. Bien que la question soit technique, la législation dans ce domaine a un impact sur la vie réelle des citoyens. Les défis sont nouveaux. Comment exercer en ligne les mêmes droits que ceux que nous exerçons hors ligne ? Dans le futur, cette ligne de démarcation ne sera d’ailleurs plus aussi claire. Sur la Toile, il n’y a pas de sécurité sans liberté, mais il n’y a pas non plus de liberté sans sécurité. Trop de contrôle tue la liberté, et donc une partie des possibilités offertes par internet. Il faut trouver un équilibre entre la liberté et la sécurité, qui sont complémentaires, au moyen de réglementations adaptées.

La protection de l’anonymat doit être respectée. Il faut par ailleurs élaborer une réglementation sur les discours de haine tout en protégeant l’expression démocratique pluraliste. Le respect de la vie privée, la protection des enfants contre la pornographie, la lutte contre le cybercrime et contre les agressions des Etats, des administrations publiques et des entreprises sur la Toile, sont également des domaines où nous devons agir.

Le respect des droits de l’homme et la protection du caractère multiculturel d’internet sont, enfin, des domaines prioritaires. Le rôle des organisations européennes et internationales est décisif en la matière.

Mme BLONDIN (France) – La protection de la vie privée est un droit élémentaire reconnu à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. L'évolution technologique a rendu ce principe de plus en plus délicat à mettre en œuvre tant il semble aujourd'hui aisé de pouvoir récupérer sur internet un certain nombre d'informations personnelles.

Internet constitue un formable outil en faveur de la liberté : il permet d'accéder plus facilement à la connaissance et de briser les frontières. Chacun ici a en mémoire le Printemps arabe et aussi, en partie, la tragédie syrienne.

Toute médaille a néanmoins son revers. La facilité avec laquelle l'information circule sur la Toile va de pair avec la fragilité des mesures de protection des données personnelles. Il nous appartient donc d'actualiser nos principes et faire émerger un nouvel instrument juridique garantissant la protection de la vie privée à l'heure de la dématérialisation.

Le projet américain Prism et les débats au sein de l'Union européenne entourant Acta ou la modification de la directive relative à la protection des données personnelles montrent que cette question de l'ingérence de la puissance publique dans nos vies privées ne constitue pas une problématique propre aux seules dictatures. Il convient, en effet, d'être extrêmement vigilant, en tant que législateur, à faire que des impératifs sociaux, la garantie de l'ordre public ou la préservation du droit d'auteur par exemple, ne conduisent pas à un droit de regard trop étendu sur nos données présentes sur le web.

Je note que l'Union européenne cherche la bonne formule sur ce sujet, apte à concilier droit à la vie privée, sécurité publique et protection de la propriété intellectuelle. Si elle arrive à trouver un compromis intéressant, il serait regrettable qu'il soit limité aux seuls 28 Etats membres. Une convention du Conseil de l'Europe pourrait reprendre les principes retenus en y ajoutant sa propre valeur ajoutée, liée à son expertise sur le sujet.

De plus, il est urgent que la totalité des Etats membres du Conseil de l'Europe interdisent l'exportation des technologies de surveillance vers les pays qui bafouent les droits fondamentaux. Les Etats-Unis et l'Union européenne ont montré la voie en interdisant ces exportations vers la Syrie et l'Iran. Il convient d'aller plus loin et d'étendre cette disposition à l'échelle de la planète.

Je vous rappelle que cinq sociétés se partagent le marché de la cybersécurité : une américaine et quatre européennes - une britannique, une allemande, une italienne et une française. La responsabilité européenne est de fait engagée. Il nous appartient donc d'encadrer leurs activités.

Mme TAKTAKISHVILI (Géorgie) – Il y a quelques mois, les citoyens géorgiens ont pu voir sur internet une vidéo de la vie sexuelle gay d’un journaliste géorgien. C’était la première fois en Géorgie qu’une telle vidéo, largement diffusée par les réseaux sociaux, circulait sur internet.

Selon ce même journaliste, M. Giorgi Paresashvili, la diffusion de cette vidéo avait été commissionnée par des hauts fonctionnaires proches du Premier ministre, notamment par l’un de ses conseillers. Le journaliste a déclaré que le vice-ministre de l’Intérieur l’avait menacé de diffuser une vidéo de sa vie privée s’il ne cessait pas ses investigations dans l’affaire de corruption des hauts fonctionnaires de l’Etat.

Plusieurs mois plus tard, la seule personne interpellée par la justice sur cette affaire, le vice-ministre de l’Intérieur, est libérée sous caution sur la demande du service du parquet général. Le vice-procureur général du pays était accusé d’être impliqué dans cette affaire criminelle mais parmi les griefs présentés contre ce haut fonctionnaire il n’était pas question d’abus de pouvoir. Les hauts fonctionnaires mentionnés par le journaliste n’ont même pas été interrogés pendant l’enquête. Cette affaire présente ainsi toutes les composantes de l’impunité de l’Etat concernant l’ingérence dans la vie privée sur internet.

En outre, nous observons une tendance croissante en Géorgie : les personnes actives sur les réseaux sociaux – militants de l’opposition, personnes critiques envers le gouvernement – sont interrogées par la police au sujet de leurs positions exprimées sur internet. C’est ce qui est arrivé, par exemple, à un blogueur militant de l’opposition. Autre exemple : une personne qui m’avait contactée sur un cas de violation des droits de l’homme par un haut fonctionnaire du ministère de la Défense a reçu dès le lendemain la visite d’une dizaine de policiers, chez elle, sans autorisation judiciaire, l’avertissant que ses activités sur internet pourraient lui causer des problèmes à l’avenir.

Face à ces évènements, il faut être particulièrement attentif à l’usage de l’ingérence dans la vie privée sur internet dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment dans les pays où ces technologies peuvent être utilisées à l’encontre de l’opposition.

J’espère que ce débat permettra de porter davantage d’attention à ce phénomène.

M. GAUDI NAGY (Hongrie)* – Nous sommes confrontés à un phénomène effrayant : la maîtrise générale et le contrôle des communications. Ce qui s’est produit récemment aux Etats-Unis n’est pas un cas exceptionnel. Sous le motif de la lutte contre le terrorisme et les discours de haine, les Etats sont de plus en plus enclins à contrôler les communications et à empiéter sur la vie privée.

Or ce ne sont pas les citoyens qui sont au service de l’Etat, mais l’inverse. L’Etat doit veiller à respecter le bien-être et la dignité des citoyens. C’est pourquoi la protection de la vie privée est l’un des impératifs absolus et, en tant que valeur essentielle, elle doit être garantie. Quelles que soient les opinions politiques, certains domaines ne doivent en aucun cas faire l’objet du contrôle de l’Etat.

Le défi que nous devons relever est une véritable gageure : trouver l’équilibre approprié entre la sécurité, d’une part, et la liberté, d’autre part. La législation du Conseil de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme réfléchissent également à l’enjeu. Le droit à la liberté de parole est l’une des principales caractéristiques d’un régime démocratique. Chacun a le droit de recevoir des informations sans ingérence extérieure.

Malheureusement, on a constaté des faits préoccupants. Par exemple, dans mon propre pays, la Hongrie, une loi adoptée récemment permet de bloquer certaines pages internet liées à des activités criminelles. Or cet outil juridique peut être utilisé pour éliminer des pages qui déplaisent aux autorités en raison des opinions critiques qu’elles expriment. Certes, il arrive que de tels sites soient rédigés dans une langue agressive, mais leur contenu mérite néanmoins d’être défendu.

C’est pourquoi il est très important de défendre la liberté d’internet.

Mme STRIK (Pays-Bas)* – Je remercie M. Flego qui a eu l’initiative de ce débat dont je me félicite.

C’est très difficile de se protéger contre les interceptions d’informations sur internet comme l’ont montré les pratiques du Gouvernement américain révélées récemment. Mais cela n’est pas nouveau, il y a plus de dix ans, on parlait d’Echelon, un autre système américain d’interception des communications, et nos gouvernements pratiquent eux aussi une forme de surveillance sur internet.

Les nouvelles possibilités technologiques sont utilisées pour collecter davantage d’informations. Chacun est choqué par de telles pratiques, notamment à l’occasion de l’affaire Prism, mais nous ne trouvons pas les réponses appropriées.

Dans le cadre des enquêtes pénales, les autorités doivent avoir compétence pour faire état de communications entre suspects et les services de renseignement ont besoin d’une marge de manœuvre pour suivre des développements qui pourraient s’avérer dangereux pour nos sociétés.

Pourtant, l’ampleur et le caractère routinier de ces interceptions vont au-delà de ces objectifs légitimes. Le droit à la vie privée s’en trouve mis en cause. Un équilibre doit donc être trouvé pour qu’il soit possible de jouir librement des possibilités infinies offertes par internet.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit à la vie privée, qui est également évoqué à la Cour en cas d’interférences sur internet, de stockage illégitime ou d’abus de données. Il serait intéressant de voir comment évoluera la jurisprudence de la Cour.

La protection contre ces ingérences dépasse le droit à la vie privée, elle concerne notre liberté d’expression qui peut se trouver entamée par une censure ou une interférence active des débats sur internet ou sur les médias sociaux.

Le Printemps arabe ou d’autres mouvements utilisent massivement les médias sociaux et internet pour promouvoir des réformes démocratiques. Nous devons encourager cette nouvelle approche, puisque de plus en plus de gens y ont recours, en veillant à ce qu’internet aille dans le sens d’un enrichissement du débat public.

Nous avons déjà parlé de la protection des données, de la protection des enfants. Il importe aussi d’élaborer des recommandations à l’adresse des gouvernements concernant la protection de la vie privée sur internet. Les Etats ne sont pas seuls à représenter une menace. Il est temps de faire le point : avons-nous suffisamment de règles et de normes en la matière ? Et si tel est le cas, les appliquons-nous correctement ? J’aimerais à cet égard inviter le Comité des Ministres à regarder au-delà du territoire du Conseil de l’Europe pour obtenir que des normes internationales soient adoptées.

LE PRÉSIDENT – La liste des orateurs est épuisée.

Monsieur Flego, vous n’aviez pas totalement utilisé votre temps. Souhaitez-vous conclure ?

M. FLEGO (Croatie)* – Nous avons abordé un sujet très intéressant et extrêmement vaste. L’Europe, mais aussi le monde dans son ensemble, a besoin de règles équilibrées pour les médias.

Nous devons réfléchir aux principes qui devraient fonder ces règles – et il serait bon qu’elles puissent être internationales.

Un principe qu’il me semble bon de retenir est qu’il ne peut y avoir de liberté absolue. Comme le disait John Locke, dans une société civile, la liberté de l’individu est limitée par la liberté des autres. Cela mériterait un développement, mais c’est, en gros, l’idée.

Un autre principe qu’il me paraît nécessaire de respecter est celui de réciprocité. C’est un principe moral très simple : permettons aux autres de faire ce que nous aimerions faire.

C’est sur la base de ces principes simples qu’il nous faut trouver des solutions. Je souhaite bonne chance à Mme Brasseur !

LE PRÉSIDENT – Nous vous remercions, Monsieur Flego, d’avoir accepté de vous pencher sur cet important dossier et d’avoir travaillé aussi rapidement.

Mes chers collègues, comme vous le savez, l’Assemblée ne vote pas dans le cadre d’un débat d’actualité. Néanmoins, le Bureau peut, à un stade ultérieur – et c’est certainement ce qui sera proposé demain matin – décider, si nécessaire, de renvoyer la question traitée devant une commission de l’Assemblée parlementaire pour rapport.

Il ne me reste donc qu’à vous remercier, les uns et les autres, pour l’excellente tenue de ce débat qui est maintenant clos.

3. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT – La prochaine séance publique aura lieu cet après-midi, à 15 h 30, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 13 h 15.

S O M M A I R E

1. Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression

Débat selon la procédure d’urgence

Présentation par M. Díaz Tejera du rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie (Doc.13258)

Orateurs : MM. Kürkçü, Mota Amaral, Mmes Bilgehan, Khidasheli, MM. Clappison, Dişli, Michel, Mmes Gündeş Bakir, Erkal Kara, MM. Schennach, Bies, Mmes Memecan, Čigāne, Strik, MM. Huseynov, Pushkov, Kayatürk, Marias, Hancock, Mme Loklindt, MM. Garðarson, Yatim, Mme El Ouafi, M. Ameur

Réponses de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des questions politiques

Vote sur un projet de résolution amendé

2. L’ingérence de l’Etat dans la vie privée sur internet

Débat d’actualité

Orateurs : M. Flego, Wach, Mmes Marjanoviċ, Brasseur, Sir Roger Gale, M. Jónasson, Lord Tomlinson, MM. Hanson, Triantafyllos, Mmes Blondin, Taktakishvili, M. Gaudi Nagy, Mme Strik

3. Prochaine séance publique

ANNEXE

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l'article 11.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d'un astérisque.

Pedro AGRAMUNT

Arben AHMETAJ*

Miloš ALIGRUDIĆ

Jean-Charles ALLAVENA

Karin ANDERSEN

Lord Donald ANDERSON/Michael Connarty

Paride ANDREOLI

Khadija ARIB*

Volodymyr ARIEV

Francisco ASSIS*

Danielle AUROI*

Daniel BACQUELAINE/ Dirk Van Der Maelen

Theodora BAKOYANNIS*

David BAKRADZE*

Gérard BAPT*

Gerard BARCIA DUEDRA/Sílvia Eloïsa Bonet Perot

Doris BARNETT*

José Manuel BARREIRO*

Deniz BAYKAL

Marieluise BECK*

José María BENEYTO*

Levan BERDZENISHVILI/Tinatin Khidasheli

Deborah BERGAMINI*

Robert BIEDROŃ

Gülsün BİLGEHAN

Brian BINLEY*

Ľuboš BLAHA*

Delia BLANCO

Jean-Marie BOCKEL*

Eric BOCQUET*

Mladen BOJANIĆ

Olga BORZOVA

Mladen BOSIC/Ismeta Dervoz

António BRAGA

Anne BRASSEUR

Márton BRAUN

Federico BRICOLO/Rossana Boldi

Ankie BROEKERS-KNOL*

Gerold BÜCHEL

Patrizia BUGNANO*

André BUGNON

Natalia BURYKINA /lga Kazakova

Sylvia CANEL*

Mevlüt ÇAVUŞOĞLU

Mikael CEDERBRATT/Tina Acketoft

Otto CHALOUPKA*

Irakli CHIKOVANI

Vannino CHITI/Paolo Corsini

Tudor-Alexandru CHIUARIU*

Christopher CHOPE

Lise CHRISTOFFERSEN

Desislav CHUKOLOV*

Lolita ČIGĀNE

Boriss CILEVIČS

Henryk CIOCH*

James CLAPPISON

Deirdre CLUNE*

Agustín CONDE*

Telmo CORREIA

Carlos COSTA NEVES

Katalin CSÖBÖR*

Joseph DEBONO GRECH*

Armand De DECKER/Ludo Sannen

Roel DESEYN*

Arcadio DÍAZ TEJERA

Peter van DIJK

Şaban DİŞLİ

Aleksandra DJUROVIĆ*

Jim DOBBIN*

Karl DONABAUER*

Ioannis DRAGASAKIS

Damian DRĂGHICI*

Daphné DUMERY

Alexander [The Earl of] DUNDEE*

Josette DURRIEU/ Maryvonne Blondin

Mikuláš DZURINDA*

Baroness Diana ECCLES*

Tülin ERKAL KARA

Gianni FARINA*

Joseph FENECH ADAMI*

Cătălin Daniel FENECHIU*

Vyacheslav FETISOV*

Doris FIALA/ Raphaël Comte

Daniela FILIPIOV

Axel E. FISCHER

Jana FISCHEROVÁ*

Gvozden Srećko FLEGO

Hans FRANKEN*

Jean-Claude FRÉCON

Béatrice FRESKO-ROLFO

Erich Georg FRITZ

Martin FRONC*

Sir Roger GALE

Karl GARÐARSON

Tamás GAUDI NAGY

Nadezda GERASIMOVA*

Valeriu GHILETCHI

Paolo GIARETTA*

Michael GLOS*

Pavol GOGA*

Jarosław GÓRCZYŃSKI/Iwona Guzowska

Alina Ştefania GORGHIU

Svetlana GORYACHEVA

Martin GRAF*

Sylvi GRAHAM/Ingjerd Schou

Andreas GROSS

Arlette GROSSKOST*

Dzhema GROZDANOVA*

Attila GRUBER*

Gergely GULYÁS/Imre Vejkey

Pelin GÜNDEŞ BAKIR

Antonio GUTIÉRREZ*

Ana GUŢU*

Maria GUZENINA-RICHARDSON

Carina HÄGG/Jonas Gunnarsson

Sabir HAJIYEV

Andrzej HALICKI*

Mike HANCOCK

Margus HANSON

Davit HARUTYUNYAN

Håkon HAUGLI

Norbert HAUPERT

Alfred HEER/Eric Voruz

Martin HENRIKSEN/Per Stig Møller

Andres HERKEL

Adam HOFMAN*

Jim HOOD*

Joachim HÖRSTER

Arpine HOVHANNISYAN

Anette HÜBINGER*

Andrej HUNKO*

Ali HUSEYNLI/Sahiba Gafarova

Rafael HUSEYNOV

Shpëtim IDRIZI*

Vladimir ILIĆ/Vesna Marjanović

Florin IORDACHE/Viorel Riceard Badea

Igor IVANOVSKI

Tadeusz IWIŃSKI*

Denis JACQUAT*

Gediminas JAKAVONIS

Stella JANTUAN*

Tedo JAPARIDZE*

Ramón JÁUREGUI/Laura Seara

Michael Aastrup JENSEN*

Mogens JENSEN

Jadranka JOKSIMOVIĆ*

Ögmundur JÓNASSON

Čedomir JOVANOVIĆ*

Antti KAIKKONEN/Sirkka-Liisa Anttila

Ferenc KALMÁR*

Božidar KALMETA/Ivan Račan

Mariusz KAMIŃSKI*

Marietta KARAMANLI/Jean-Pierre Michel

Ulrika KARLSSON/Kerstin Lundgren

Burhan KAYATÜRK

Jan KAŹMIERCZAKMarek Krząkała

Serhii KIVALOV

Bogdan KLICH/Marek Borowski

Serhiy KLYUEV/Volodymyr Pylypenko

Haluk KOÇ*

Igor KOLMAN

Attila KORODI*

Alev KORUN*

Tiny KOX

Borjana KRIŠTO*

Dmitry KRYVITSKY*

Václav KUBATA*

Ertuğrul KÜRKÇÜ

Athina KYRIAKIDOU

Jean-Yves LE DÉAUT*

Igor LEBEDEV/Robert Shlegel

Harald LEIBRECHT*

Orinta LEIPUTĖ

Christophe LÉONARD/Philippe Bies

Terry LEYDEN

Inese LĪBIŅA-EGNERE*

Lone LOKLINDT

François LONCLE*

Jean-Louis LORRAIN/Bernard Fournier

George LOUKAIDES

Younal LOUTFI*

Yuliya L'OVOCHKINA*

Saša MAGAZINOVIĆ*

Philippe MAHOUX*

Gennaro MALGIERI*

Pietro MARCENARO

Thierry MARIANI/André Schneider

Epameinondas MARIAS

Milica MARKOVIĆ

Meritxell MATEU PI

Pirkko MATTILA

Frano MATUŠIĆ*

Liliane MAURY PASQUIER

Michael McNAMARA*

Sir Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA

Ivan MELNIKOV*

Nursuna MEMECAN

José MENDES BOTA

Jean-Claude MIGNON/Frédéric Reiss

Djordje MILIĆEVIĆ*

Federica MOGHERINI REBESANI*

Andrey MOLCHANOV*

Jerzy MONTAG*

Rubén MORENO PALANQUES*

Patrick MORIAU*

João Bosco MOTA AMARAL

Arkadiusz MULARCZYK*

Lydia MUTSCH/ Félix Braz

Lev MYRYMSKYI*

Philippe NACHBAR

Oľga NACHTMANNOVÁ*

Marian NEACŞU/Florin Costin Pâslaru

Aleksandar NENKOV*

Pasquale NESSA

Fritz NEUGEBAUER*

Baroness Emma NICHOLSON*

Brynjar NÍELSSON

Elena NIKOLAEVA/Anvar Makhmutov

Aleksandar NIKOLOSKI

Mirosława NYKIEL*

Judith OEHRI

Carina OHLSSON

Joseph O'REILLY

Lesia OROBETS*

Sandra OSBORNE

José Ignacio PALACIOS

Liliana PALIHOVICI*

Dimitrios PAPADIMOULIS

Eva PARERA/Jordi Xuclà

Ganira PASHAYEVA*

Lajla PERNASKA*

Johannes PFLUG*

Danny PIETERS*

Foteini PIPILI/Maria Giannakaki

Ivan POPESCU

Lisbeth Bech POULSEN*

Marietta de POURBAIX-LUNDIN

Cezar Florin PREDA

John PRESCOTT*

Jakob PRESEČNIK

Gabino PUCHE*

Alexey PUSHKOV

Mailis REPS

Eva RICHTROVÁ*

Andrea RIGONI

François ROCHEBLOINE*

Maria de Belém ROSEIRA*

René ROUQUET

Marlene RUPPRECHT*

Ilir RUSMALI*

Pavlo RYABIKIN/Iryna Gerashchenko

Rovshan RZAYEV

Giacomo SANTINI*

Giuseppe SARO

Kimmo SASI

Deborah SCHEMBRI*

Stefan SCHENNACH

Marina SCHUSTER*

Urs SCHWALLER/ Luc Recordon

Senad ŠEPIĆ/Nermina Kapetanović

Samad SEYIDOV*

Jim SHERIDAN

Oleksandr SHEVCHENKO/Oleh Pankevych

Boris SHPIGEL*

Arturas SKARDŽIUS*

Ladislav SKOPAL*

Leonid SLUTSKY

Serhiy SOBOLEV

Lorella STEFANELLI/Gerardo Giovagnoli

Yanaki STOILOV*

Christoph STRÄSSER*

Karin STRENZ*

Ionuţ-Marian STROE

Giacomo STUCCHI

Valeriy SUDARENKOV*

Björn von SYDOW

Petro SYMONENKO*

Vilmos SZABÓ*

Chiora TAKTAKISHVILI

Vyacheslav TIMCHENKO/Tamerlan Aguzarov

Romana TOMC

Lord John E. TOMLINSON

Latchezar TOSHEV*

Mihai TUDOSE

Ahmet Kutalmiş TÜRKEŞ

Tuğrul TÜRKEŞ

Theodora TZAKRI*

Tomáš ÚLEHLA*

Ilyas UMAKHANOV/Guennady Gorbunov

Giuseppe VALENTINO/Oreste Tofani

Miltiadis VARVITSIOTIS/Konstantinos Triantafyllos

Volodymyr VECHERKO*

Mark VERHEIJEN/Tineke Strik

Anne-Mari VIROLAINEN

Luigi VITALI*

Luca VOLONTÈ*

Vladimir VORONIN*

Tanja VRBAT/Melita Mulić

Klaas de VRIES

Nataša VUČKOVIĆ

Zoran VUKČEVIĆ

Draginja VUKSANOVIĆ/Damir Šehović

Piotr WACH

Johann WADEPHUL*

Robert WALTER

Dame Angela WATKINSON*

Katrin WERNER

Karin S. WOLDSETH

Gisela WURM*

Karl ZELLER*

Barbara ŽGAJNER TAVŠ/Polonca Komar

Svetlana ZHUROVA*

Emanuelis ZINGERIS

Guennady ZIUGANOV*

Naira ZOHRABYAN

Levon ZOURABIAN

Siège vacant, Chypre*

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter

Christian BARILARO

Maria GIANNAKAKI

Indrek SAAR

Observateurs

Eloy CANTU SEGOVIA

Partenaires pour la démocratie

Najat AL-ASTAL

Mohammed AMEUR

Mohammed Mehdi BENSAID

Nezha EL OUAFI

Qais KHADER

Bernard SABELLA

Mohamed YATIM