FR15CR06ADD1

AS (2015) CR 06
Addendum 1

SESSION ORDINAIRE DE 2015

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(Première partie)

COMPTE RENDU

de la sixième séance

Mercredi 28 janvier 2015 à 15 h 30

ADDENDUM 1

Débat conjoint

L’égalité et la crise

Protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève

Les interventions suivantes ont été communiquées au service de la séance pour publication au compte rendu par des orateurs qui, inscrits et présents en séance, n’ont pu être appelés à les prononcer faute de temps.

L’égalité et la crise

Mme ERKAL KARA (Turquie) – Je tiens à remercier M. Villumsen pour son excellent rapport dans lequel il souligne que les migrants font partie des catégories de personnes vulnérables touchées de façon disproportionnée par la crise économique et les mesures qui s’ensuivent.

Dans les pays européens, les immigrés sont souvent concentrés dans des secteurs d’activité qui sont plus sensibles aux fluctuations économiques et leurs contrats de travail sont, en général, plus précaires. En outre, le risque de licenciements sélectifs existe toujours et certains travailleurs étrangers font parfois face à une discrimination à l’embauche.

Des opinions anti-immigration viennent s’ajouter aux discriminations sur le marché de travail. Ces opinions sont souvent guidées par des arguments essentiellement idéologiques et des clichés inexacts et nourries par la crise économique. La montée du racisme et du discours de la haine en Europe est surtout liée au cliché selon lequel les immigrés vont occuper les emplois des populations résidentes.

Cependant, les rapports de l’OCDE montrent que dans la plupart des pays de l’Europe, les immigrés ont apporté une importante contribution à la croissance de l’emploi au cours des dernières années.

Il ne faut pas laisser ces préjugés se propager d’avantage. Il faut souligner que l’immigration peut contribuer à la création d’emplois.

L’immigration peut constituer une réponse au vieillissement démographique et au financement de la protection sociale des économies développées et industrialisées. Elle peut également permettre d’améliorer la croissance économique, a fortiori si elle se constitue d’une main-d’œuvre qualifiée. L’immigration est une solution pour lutter contre les difficultés de recrutement dans certains secteurs.

Retarder ou réduire les mesures d’intégration en période de crise économique peut avoir des conséquences négatives à long terme pour l’intégration des immigrés. Les gouvernements européens devraient envisager de renforcer leurs programmes d’intégration, de redoubler d’efforts pour lutter contre la discrimination et de veiller à ce que les politiques actives du marché du travail bénéficient à toutes et à tous.

Mme KARAMANLI (France) – Je suis très heureuse de pouvoir intervenir sur le rapport de M. Villumsen, particulièrement opportun au moment où de nombreuses études soulignent l’accroissement des inégalités et le coût qu’il représente pour nos Etats, nos communautés et notre avenir.

Je ferai trois observations.

Les droits créances garants d’une égalité devraient être opposables à la collectivité.

Affirmer le droit à des soins accessibles aux plus modestes dans un contexte de grande raréfaction des personnels médicaux, des équipements et des soins qui deviennent, par cette rareté même, plus coûteux revient paradoxalement à faire de ce droit une simple virtualité.

Ce droit n’est effectif que s’il est opposable à la collectivité et à ceux qui prennent des décisions. Il faut tendre vers des mécanismes d’opposabilité avec définition de socles de droits.

L’égalité suppose également une lutte contre les inégalités. Il faut que les inégalités de droits d’accès aux services nécessaires soient considérées comme étant des coûts financiers sans bénéfice économique.

Il est urgent de considérer que l’accroissement des inégalités, accentué par la crise, a une influence négative sur la croissance : baisse de la consommation et de l’investissement ; insuffisance du capital humain…

Il faut renverser l’approche économique des inégalités et valoriser leurs coûts directs et indirects pour montrer qu’elles sont une charge sans aucun avantage ! Leur coût fait baisser dramatiquement les avantages socio-économiques attendus d’une politique de redressement, différente d’une politique de retour à un équilibre budgétaire « court-termiste ».

Des politiques publiques porteuses des droits créances doivent être mises en place par un Etat providence « astucieux », capable de lutter en son sein contre les rentes qu’il peut générer et ayant à l’évidence une dimension internationale par la coopération et la mutualisation de ses activités.

Lutter contre l’appauvrissement des Etats, c’est aujourd’hui lutter au plan international contre l’optimisation fiscale permettant à des grandes entreprises d’échapper à l’impôt national.

Lutter contre les bas salaires et des droits sociaux moindres, c’est choisir d’encourager les négociations sociales au niveau international.

Lutter contre les inégalités de richesses suppose d’enrayer l’accumulation de capitaux sans utilité sociale, de limiter la constitution de rentes foncières, les monopoles dans le secteur des technologies de la communication ou dans celui des matières premières rares, et de redéfinir certains droits de propriété.

Ainsi la coopération entre Etats doit permettre de construire des instruments de droit comme l’y invite le rapport et de mener des politiques transversales en leur faveur.

Protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève

Mme MORIN (Canada, observateur) – Je vous remercie, Madame la Présidente, de me permettre d’aborder le sujet de la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève. Je remercie également le rapporteur de son rapport engagé.

Comme l’expose le rapport, la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte sociale européenne garantissent en Europe le droit syndical des employés, le droit à la négociation collective ainsi que le droit de grève.

Selon le rapporteur, ces droits fondamentaux sont menacés dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe par la crise économique et les mesures d’austérité. Dans certains Etats membres, le droit syndical a été restreint, des conventions collectives ont été révoquées, la négociation collective a été remise en cause et le droit de grève a été limité. En conséquence, dans les pays touchés, les inégalités se sont creusées, les salaires ont diminué, et les conditions de travail se sont dégradées.

Il est important de rappeler qu’un débat a cours à l’Organisation internationale du travail (OIT), afin de savoir si le droit de grève est inclus ou non dans la Convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, de l’OIT qui date de 1948.

Cette convention accorde aux travailleurs la liberté de choisir leurs organisations et à ces organisations le droit d’organiser leurs activités, en plus de présumer qu’elles défendent les intérêts de leurs membres et les font progresser collectivement. Cependant, la convention ne prévoit pas expressément le droit de grève.

Ainsi, en juin 2012, les employeurs, qui forment l’un des trois éléments de la structure de gouvernance de l’OIT avec les employés et les gouvernements, ont remis en question le principe généralement accepté selon lequel le droit de grève est protégé par la Convention no 87 de l’OIT. Cette contestation a entraîné plus de deux ans de négociations qui n’ont toujours pas abouti, ainsi que l’obstruction des travaux de la commission sur l’application des normes de l’OIT.

Le Canada a tenté de créer un consensus sur cette question en cherchant à combler les écarts entre les différentes positions et à trouver une solution acceptable par toutes les parties.

Au Canada, le droit de négociation collective est protégé par la Constitution, étant compris dans la liberté d’association protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême du Canada s’est récemment fait demander de déterminer si le droit de grève était également protégé par la Constitution. La Cour devrait rendre sa décision au cours des prochains mois et ainsi arrêter l’état du droit canadien sur cette question.

Plusieurs dénouements positifs concernant la protection du droit de grève sont donc à espérer dans un avenir rapproché. Une réunion à l’OIT est d’ailleurs prévue en février 2015 afin de discuter de la possibilité de référer la question de la protection de ce droit en vertu de la Convention no 87 de l’OIT à la Cour internationale de justice.

Le rapport conclut avec raison qu’« investir dans les droits sociaux, c’est investir dans l’avenir. » Je partage la crainte du rapporteur selon lequel « l’exclusion de certains groupes du développement économique, du partage des richesses et de la prise de décision risque d’être très préjudiciable aux économies européennes et à la démocratie elle-même. » Je pense que cette crainte s’applique également à la situation canadienne.