FR15CR20ADD1

AS (2015) CR 20
Addendum 1

SESSION ORDINAIRE DE 2015

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(Troisième partie)

COMPTE RENDU

de la vingtième séance

Lundi 22 juin 2015 à 15 heures

ADDENDUM 1

Observation des élections législatives en Turquie (7 juin 2015)

L’intervention suivante a été communiquée au service de la séance pour publication au compte rendu par un orateur qui, inscrit et présent en séance, n’a pu être appelé à la prononcer faute de temps.

Mme ANAGNOSTOPOULOU (Grèce)* – Nous remercions Tiny Kox pour son rapport sur les élections législatives en Turquie.

Ces élections, qui ont eu lieu le 7 juin, nous offrent la possibilité de faire quelques constatations assez importantes.

Tout d'abord nous avons noté une contradiction qui mérite d'être examinée. Alors que pendant la campagne électorale se sont produits des phénomènes antidémocratiques qui paraissaient susceptibles de miner la procédure électorale, le jour même, les élections se déroulèrent dans une ambiance de démocratie parfaite, aussi bien au niveau institutionnel qu'au niveau politique et social. La grande participation du peuple (plus de 86 %), ainsi que le calme et l'ordre qui ont régné pendant les élections, montrent que le droit d'élire et d'être élu est un droit démocratique bien ancré aussi bien dans la mentalité du peuple que de l'Etat turc.

Toutefois, la période pré-électorale et les phénomènes antidémocratiques s'offrent à une autre analyse. Les interventions anticonstitutionnelles du Président, M. Erdogan, ainsi que l'hyper-promotion du parti au gouvernement – AKP – montrent, tout d'abord, le grand pouvoir d'intervention étatique sur les mass medias, la non-liberté donc des mass medias. D'un autre côté, elles montrent le grand pouvoir du Président, lui-même. Le fait que M. Erdogan soit intervenu à plusieurs reprises en faveur de l'AKP, et cela malgré les interdictions prévues par la Constitution, est un signe fort d'une démocratie paternaliste. En effet, il y a une mentalité politique propagée par M. Erdogan, selon laquelle le Président est le père d’une communauté ethno-religieuse, la communauté islamo-turque. Le peuple est comme une communauté de fidèles obéissant à leur père et à son modèle de gouvernance.

Pourtant les résultats des élections ont prouvé que le paternalisme présidentiel était mis sérieusement en question. La victoire du parti HDP, qui a réussi à franchir le seuil complètement antidémocratique de 10 %, est une victoire qui, tout d'abord, met pour le moment fin au projet du Président de transformer la Constitution en faveur d'un système paternaliste et néolibéral. Le HDP est un parti pro-kurde de gauche, grâce auquel les minorités de toutes sortes (ethniques, religieuses, de sexe, etc.) ont gagné une visibilité politique dans la sphère publique.

HDP est donc le premier parti en Turquie qui change le paysage politique : désormais la démocratie n'est plus une question d’antagonisme entre le kémalisme et l'islamisme, mais une question de droits à l’égalité et à la liberté de tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique, religieuse, etc.

Je voudrais souligner que la victoire de HDP est une victoire des luttes menées depuis de très longues années par les Kurdes, le problème kurde devenant désormais un problème de démocratie; une victoire des autres minorités (grecque, arménienne, alevi, homosexuelle etc.), une victoire du mouvement féministe en Turquie; une victoire du peuple turc pour la démocratie, la liberté et l'égalité sociale. Surtout elle est une victoire de mouvements en Turquie, comme celui du parc Gezi au sein duquel la société a manifesté sa forte résistance contre cette conception du paternalisme néolibéral qui prévaut en ce moment non seulement en Turquie mais aussi en Europe.

En finissant, je voudrais insister sur l'importance des résultats en Turquie pour toute la région, notamment le Moyen-Orient. En un moment où l'Etat Islamique veut, en instrumentalisant l'Islam de façon anhistorique, faire régresser la région dans une barbarie complète, les élections en Turquie et la victoire du HDP montrent que : a) la visibilité politique des femmes n'est pas incompatible avec les principes des sociétés à religion musulmane ; la visibilité politique des femmes est compatible avec toute civilisation démocratique, qu’elle soit chrétienne, musulmane ou autre ; b) les droits des homosexuels ne sont pas non plus incompatibles avec les principes et la civilisation des sociétés de religion musulmane, et c) la démocratie n'est pas une question de religion, mais une question de volonté politique du peuple, quand celui-ci s'exprime en tant que corps politique et non pas en tant que communauté religieuse.