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AS (2015) CR 22
Addendum 1

SESSION ORDINAIRE DE 2015

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(Troisième partie)

COMPTE RENDU

de la vingt-deuxième séance

Mardi 23 juin 2015 à 15h30

ADDENDUM 1

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan

Les interventions suivantes ont été communiquées au service de la séance pour publication au compte rendu par des orateurs qui, inscrits et présents en séance, n’ont pu être appelés à les prononcer faute de temps.

Mme CROZON (France) – C’est en tant que paria que j’ai tenu à m’exprimer aujourd’hui, dans cet hémicycle où nous avons à cœur de défendre une conception exigeante des droits de l’homme, que nous considérons tous et toutes comme le socle de ce qui pourrait définir une civilisation européenne.

En effet, comme 334 autres personnalités étrangères, et comme dix parlementaires français, je suis interdite de séjour en Azerbaïdjan, placée sur la liste noire de celles et ceux qui se sont rendus dans le Haut-Karabakh.

Quoi que l’on pense du conflit de souveraineté qui oppose depuis des années l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur ce territoire, la méthode qui repose sur l’intimidation ; la méthode qui repose sur la mise à l’index de parlementaires qui veulent se faire une idée par eux-mêmes de la réalité de la situation sur place ; la méthode qui repose sur la réduction au silence d’élus qui entendent mettre en lumière un conflit depuis trop longtemps oublié sur notre continent ; cette méthode n’est pas acceptable entre nations qui prétendent partager les objectifs du Conseil de l’Europe.

Réduire au silence les oppositions, c’est pourtant la ligne que se fixe le régime de M. Aliev et dont souffre en premier lieu le peuple azéri.

C’est la négation de la liberté de la presse, avec la 162e place sur 180 dans le classement établi par Reporters sans Frontières, 80 prisonniers politiques dont 20 prisonniers d’opinion selon Amnesty International, dont Khadija Ismaïlova, coupable d’avoir signé une série d’articles sur la corruption au plus haut niveau de l’Etat.

C’est le 126e rang sur 175 en matière de corruption, selon l’indice de l’ONG Transparency International. C’est le 148e rang sur 167 en matière de respect des principes démocratiques, selon le journal The Economist. La réélection avec 84,6 % des suffrages en 2013, du Président Aliev, restera entachée, selon Amnesty International et les observateurs internationaux de l’OSCE, de nombreuses irrégularités allant de graves inégalités entre les moyens offerts aux candidats, à l’absence de transparence du dépouillement en passant par la manipulation des listes électorales.

Alors bien sûr, l’Azerbaïdjan est un pays riche de ses ressources naturelles et des devises qu’elles lui procurent, et dont il use pour entretenir de bonnes relations avec un grand nombre de nos pays, dont la France.

Je n’ignore pas les efforts qu’il déploie pour témoigner de sa « solidarité » avec nos clubs de football, ou avec nos villages en proie à la crise financière. Mais j’invite le gouvernement azéri à réserver en priorité sa générosité à son propre peuple, qui mérite un système démocratique, qui mérite une presse libre, qui mérite des droits sociaux, qui mérite l’égalité entre les femmes et les hommes, et tous les principes que nous défendons inlassablement dans cet hémicycle. Car ici, le silence ne s’achète pas.

M. FOURNIER (France) – Le rapport de nos collègues Pedro Agramunt et Tadeusz Iwinski illustre la qualité des travaux de notre Assemblée, menés de façon objective et en toute indépendance.

Force est de constater que leur rapport est sans concessions. Il démontre en particulier que le contexte géopolitique dans lequel évolue l’Azerbaïdjan, et qui recèle des difficultés et des tensions indéniables, est instrumentalisé par les autorités à la manière d’un alibi pour justifier le maintien au pouvoir d’un clan.

Les différents observateurs et experts des droits de l’homme aboutissent tous aux mêmes conclusions sur la situation en Azerbaïdjan quant à l’absence de véritable séparation des pouvoirs, à l’inexistence d’élections libres et équitables, au non-respect des principes de l’Etat de droit, au musellement des médias.

La lecture des développements qu’Amnesty International consacre à l’Azerbaïdjan dans son rapport de 2014 corrobore mes propos, qu’il s’agisse de la liberté d’association, des prisonniers d’opinion, de la liberté d’expression, de celle de réunion ou encore de la torture et autres mauvais traitements.

De même, notre Commissaire aux droits de l’homme est intervenu à plusieurs reprises cette année devant la Cour de Strasbourg dans des affaires concernant des défenseurs des droits de l’homme azerbaïdjanais, tels Intigam Aliyev, Rasul Jafarov, Anar Mammadli, Hilal Mammadov ou encore Leyla et Arif Yunus. À chaque fois, il a dénoncé « un problème de droits de l’homme grave et systématique en Azerbaïdjan ».

Il est à craindre que, dans un tel contexte, les résultats des élections législatives de novembre prochain ne soient connus à l’avance. Je prends les paris : le parti au pouvoir les remportera largement et l’opposition, dont les candidats auront déjà dû franchir bien des obstacles pour se présenter, sera laminée !

Selon moi, le rapport de nos collègues aurait pu insister davantage sur les avancées que l’appartenance de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe a permises en matière de réformes. Certes, il cite les travaux des organes de notre Organisation relatifs à ce pays, mais pour souligner ses manquements et des recommandations non suivies d’effets. C’est donc une question que je pose à nos corapporteurs : qu’est-ce que l’appartenance de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe a apporté à ce pays et à ses habitants ?

M. POZZO DI BORGO (France) – La lecture du rapport de mes collègues me plonge dans une certaine perplexité.

D’un côté, ils soulignent les nombreuses lacunes de l’Etat de droit et des libertés fondamentales. Plusieurs sources font état de l’existence de prisonniers d’opinion en Azerbaïdjan – ce n’est pas normal.

D’un autre côté, nos corapporteurs rappellent que ce pays doit relever de nombreux défis. La sortie de l’Union soviétique a été particulièrement douloureuse pour l’Azerbaïdjan qui a même frôlé la guerre civile au début des années 1990. Sa quête de stabilité n’est donc pas illégitime.

Le pays est aussi amputé d’une partie de son territoire depuis une vingtaine d’années et ne contrôle plus le Haut-Karabakh. La résolution de ce conflit gelé, qui continue néanmoins de faire des dizaines de victimes après une recrudescence des tensions, n’avance guère, en dépit des efforts diplomatiques déployés par le Groupe de Minsk et, récemment encore, par la France.

Plus généralement, l’Azerbaïdjan, surtout soucieux de son indépendance, cherche à maintenir l’équilibre dans un contexte géopolitique délicat. Ses relations avec la Russie restent marquées par une certaine réserve. Dans le conflit en Ukraine, il n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée. De même, s’il est membre du Partenariat oriental de l’Union européenne, il souhaite surtout bénéficier d’une coopération sectorielle et d’une libéralisation du régime des visas, comme l’a encore montré le Sommet de Riga, en mai dernier.

Sur le plan économique, le pays est sans doute l’une des plus belles réussites de l’ex-URSS. La dernière décennie a été marquée par une croissance extrêmement soutenue, portée par des ressources naturelles considérables, ce qui lui a permis à l’Azerbaïdjan de mener une politique de grands investissements, dans les infrastructures en particulier.

Ce pays est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il lui faut se moderniser et s’adapter. Il est confronté au défi de la diversification indispensable de son économie qui demeure excessivement dépendante du secteur énergétique. Après la période de consolidation, il est temps de penser au développement à long terme du pays.

Celui-ci passe aussi par des réformes politiques et institutionnelles qui ne peuvent plus être ajournées. C’est pourquoi le projet de résolution constitue une feuille de route que les autorités azerbaïdjanaises devraient mettre à profit pour construire des institutions véritablement démocratiques. Il est important que Bakou nous présente un état d’avancement des mesures effectivement mises en œuvre, avec le concours du Conseil de l’Europe.

M. REICHARDT (France) – Le rapport de nos collègues, MM. Agramunt et Iwinski, présente une tonalité indéniablement sévère, mais il a le mérite de fournir une marche à suivre pour procéder aux améliorations attendues.

De ce point de vue, il me semble que la résolution que notre Assemblée adoptera est à rapprocher du Plan d’action 2014-2016 pour l’Azerbaïdjan, initiative conjointe du Conseil de l’Europe et des autorités azerbaïdjanaises pour aider le pays à honorer ses obligations d’Etat membre. Le Conseil de l’Europe a ainsi réaffirmé son engagement à accompagner l’Azerbaïdjan dans la mise en œuvre des réformes.

Lorsque nous examinons la situation en Azerbaïdjan, nous ne devons jamais perdre de vue deux éléments : les efforts entrepris à l’intérieur du pays, d’une part, et son environnement géopolitique, d’autre part.

L’Azerbaïdjan connaît une croissance économique exceptionnelle qui a permis d’élever de façon très sensible le niveau de vie de ses habitants. La clef de son succès, c’est vrai, se trouve dans ses considérables richesses naturelles, mais les autorités ont récemment pris des mesures pour diversifier l’économie du pays et la rendre moins dépendante des hydrocarbures. Le marché azerbaïdjanais offre aussi de nombreuses opportunités aux entreprises européennes dans des secteurs variés tels que l’agro-industrie, les infrastructures ou le tourisme.

En outre, le pays a choisi une voie de développement progressiste et moderne et s’est ouvert à l’international, grâce à une diplomatie culturelle et économique active, son mécénat culturel ou l’organisation de grands événements – je pense aux premiers Jeux européens qui se déroulent à Bakou depuis le 12 juin dernier. Je rappelle également qu’il s’agit d’un Etat laïque dans lequel les religions coexistent pacifiquement et qui promeut l’émancipation de la femme dans une société qui reste traditionnelle.

Par ailleurs, l’Azerbaïdjan évolue dans un environnement international particulièrement complexe. Rappelons-nous qui sont ses voisins ! Le pays présente une indéniable stabilité dans une région instable. Il a réussi à préserver une relation équilibrée avec la Russie, dont le rôle dans l’entretien du conflit au Haut-Karabakh est plus qu’ambigu, tout en se rapprochant de l’Union européenne.

C’est pourquoi nous devons encourager ce pays à continuer de s’ouvrir et non le conduire à se replier sur lui-même. Son positionnement géostratégique est primordial, à l’exemple du chantier du gazoduc trans-anatolien, qui a débuté en mars dernier et qui peut contribuer à assurer la sécurité énergétique de l’Europe.

M. ROCHEBLOINE (France) – À la lecture du rapport de nos collègues Agramunt et Iwinski, l’on éprouve un sentiment de grande perplexité.

En effet, si l’on veut bien faire abstraction des formules de précaution diplomatique, ce rapport contient tous les éléments nécessaires pour instruire sur des bases solides le procès de la violation des libertés publiques en Azerbaïdjan.

Nos collègues rappellent, entre autres évidences qu’« une démocratie stable exige la tenue d’élections libres et équitables. » Or, le rapport décrit toutes les raisons qui poussent à penser que cet impératif n’a jamais été respecté et ne le sera pas davantage dans l’avenir. Il montre que les droits de l’opposition sont bafoués dans ce pays et que s’opposer, si peu soit-il, à M. Aliev est un crime de lèse-majesté. Il établit à quel point le fonctionnement des institutions politiques est éloigné de ce qu’impose la démocratie la plus élémentaire.

L’indépendance de la justice ? Un vain mot, c’est ce que nos collègues disent, ou du moins laissent entendre très fort.

La liberté de la presse ? La liberté d’expression ? Elles sont chaque jour bafouées. Là encore, c’est écrit dans le rapport, je ne l’invente pas.

Que dire du récit poignant des visites rendues par nos collègues à plusieurs personnalités incarcérées pour délit d’opinion, Anar Mammadi, Rasul Jafarov ? Les autorités azerbaïdjanaises sont si peu respectueuses des représentations modérées que nos collègues disent leur avoir faites, que l’infortuné Rasul Jafarov a été sévèrement condamné quelques semaines après leur visite.

S’il ne s’agissait pas de la liberté et peut-être de la vie de personnes innocentes et respectables, je dirais que la situation ainsi créée relève de la pantalonnade.

J’aurais aimé, vraiment, qu’après avoir dressé un aussi implacable réquisitoire, nos collègues en vinssent à proposer la condamnation forte et claire que leurs propres constats appelaient.

Or, non seulement ils n’en font rien, mais ils semblent chercher des excuses mal venues aux dirigeants de l’Azerbaïdjan.

Le projet de résolution qu’ils nous soumettent dit en effet que « l’occupation par l’Arménie du Haut-Karabakh » « domine dans une large mesure la politique étrangère de l’Azerbaïdjan ». Dans leur rapport ils laissent même entendre que ce problème justifie la paranoïa (c’est leur terme) des dirigeants de Bakou.

Pour un peu, ce serait le Haut-Karabakh qui serait responsable du climat d’oppression qui règne en Azerbaïdjan.

Leur remarque est hors sujet. Elle est excessive. Elle est scandaleuse et surtout, elle fait diversion. Je la condamne vigoureusement et j’en demande le retrait. J’appelle en même temps l’Assemblée à tirer toutes les conséquences des constatations qu’on lui propose de partager et à me rejoindre dans une condamnation sans équivoque du régime liberticide qui sévit à Bakou.

Mme ZOHRABYAN (Arménie) – Chers collègues, je ne vais pas parler du régime du sultan d’Azerbaïdjan. Je ne veux pas parler des journalistes et des militants azerbaïdjanais qui se trouvent dans des prisons. Je ne veux pas parler non plus du fait que, dès que quelqu’un ose critiquer, même un petit peu, le clan Aliev, il est tout de suite déclaré toxicomane, hooligan, accusé de fraude fiscale et emprisonné.

Je suis simplement choquée de ce rapport honteux et malhonnête fait par Agramunt et Iwinski connus par leur position manifeste sur cette question. Bien sûr, je suis sûre qu’il y a au moins une personne dans cette salle, qui, en sachant qui sont les corapporteurs pour le suivi de l’Azerbaïdjan, ne rit pas aux éclats. Il s’avère que pour Agramunt et Iwinski la source la plus crédible pour écrire ce rapport, a été l’agence de presse azérie APA. Nos chers corapporteurs se joignent à l’APA en accusant l’Arménie de désinformation contre le « phare de la démocratie », l’Azerbaïdjan, pour faire échouer les premiers Jeux européens ayant lieu à Bakou. Quel marasme en cette époque !

En ce qui concerne les faits publiés par les organisations internationales des droits de l’homme sur la situation antidémocratique honteuse en Azerbaïdjan, là aussi nos corapporteurs ont préféré l’explication de l’agence de presse azérie, d’après laquelle les organisations mentionnées déforment la politique interne de l’Azerbaïdjan et trompent la société internationale. Bien sûr, il est facile de comprendre que pour ces deux corapporteurs, la source la plus crédible est M. Ilham Aliev personnellement, et non pas les journalistes et les militants azerbaïdjanais détenus dans les prisons.

Je comprends aussi pourquoi MM. Agramunt et Iwinski citent dans leur rapport sur l’Azerbaïdjan l’initiative honteuse de leur allié, M. Bob Walter en essayant de déformer les faits.

Cependant, chers collègues, combien de temps encore devons-nous permettre qu’on déshonore notre Organisation en public ? Encore faut-il avoir décidé de respecter les valeurs fondamentales de notre Organisation et ne pas transformer le Conseil de l’Europe en une société filiale d’un quelconque sultanat semi-pétrolier. Je me joins à la déclaration du Président du Parlement européen, Martin Schulz, selon lequel les tyrannies n’ont pas de place en Europe. Sinon on aura l’impression que le syndrome de Stockholm quand l’otage commence à défendre son geôlier, commence à se développer dans notre Organisation. Je pense que vous avez bien compris qu’en l’occurrence, le geôlier est l’Azerbaïdjan.