FR15CR33

AS (2015) CR 33

SESSION ORDINAIRE DE 2015

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(Quatrième partie)

COMPTE RENDU

de la trente-troisième séance

Mercredi 30 septembre 2015 à 15 h 30

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 15 h 40 sous la présidence de Mme Brasseur, Présidente de l’Assemblée.

LA PRÉSIDENTE – La séance est ouverte.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, lors de la séance de lundi matin, il a été décidé de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes – naturellement, cette règle ne s’applique pas à nos invités.

1. La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

LA PRÉSIDENTE – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. de Vries, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sur «La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme» (Doc. 13864 et Addendum).

Nous aurons le plaisir d’accueillir ensuite M. Spielmann, Président de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je vous rappelle que nous devons en avoir terminé avec l’examen de ce texte, votes inclus, à 17 heures. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 16 h 50 afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. de VRIES (Pays-Bas), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – C’est un immense honneur de présenter ce rapport devant l’Assemblée d’autant qu’il s’agit de mon dernier jour de présence ici, à Strasbourg. Mais au moins ai-je terminé ce rapport juste dans les temps et n’aurai donc pas à le laisser à mon successeur.

La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, dont je salue la présence parmi nous de son Président – c’est un immense honneur de l’accueillir – est d’une importance capitale pour le bon fonctionnement de notre système de protection des droits de l’homme, qui repose sur la Convention européenne des droits de l’homme. Nous sommes très fiers de ce système, et à juste titre: aucun autre ensemble de pays, ailleurs dans le monde, n’a pu s’unir de cette façon pour protéger les droits de ses citoyens. Mais, bien entendu, ce système ne fonctionne que lorsque les arrêts de la Cour sont exécutés.

Ce rapport traite des arrêts qui n’ont pas été exécutés – je crains que sa longueur ne vous ait choqués! Je me suis concentré sur les neuf Etats comptant le nombre le plus élevés d’arrêts non exécutés à la fin de décembre 2014: il s’agit de l’Italie, de la Turquie, de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, de la Roumanie, de la Grèce, de la Pologne, de la Hongrie et de la Bulgarie. Je fais également référence à l’exécution tardive de différents arrêts dans le cas du Royaume-Uni.

Lorsque j’ai préparé mon rapport, j’ai organisé trois visites d’établissement des faits, en Turquie, en Italie et en Pologne. Mon déplacement en Fédération de Russie a en revanche été annulé par la délégation russe à la suite de la décision prise par l’Assemblée de suspendre les droits de vote de cette délégation. Par ailleurs, un certain nombre d’audiences avec des chefs de délégations nationales à l’Assemblée parlementaire ont été organisées entre 2012 et 2013.

Les problèmes analysés dans mon rapport sont principalement les suivants: la longueur des poursuites judiciaires, la détention provisoire illégale ou trop longue, la non-exécution des décisions de justice nationale, les décès et les mauvais traitements causés par des membres des forces de maintien de l’ordre ainsi que le manque d’enquêtes dignes de ce nom sur ces incidents. Je me penche également sur les mauvaises conditions de séjour dans les infrastructures de détention.

Selon les statistiques, à la fin de 2014, le Comité des Ministres était confronté à quelque 11 000 affaires pendantes, ce nombre restant stable. Un nombre croissant d’arrêts portant sur des problèmes complexes ou structurels n’ont pas été mis en œuvre depuis plus de dix ans. Ce nombre inclut la plupart des arrêts énumérés dans le rapport établi en 2010 par mon prédécesseur, Christos Pourgourides; à l’époque, ces arrêts n’avaient pas été mis en œuvre depuis cinq ans. Ces arrêts concernent non seulement les dix Etats que je viens d’évoquer, mais également certains autres comme l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République de Moldova et la Serbie.

Depuis le rapport de M. Pourgourides et la dernière résolution de l’Assemblée sur cette thématique adoptée en janvier 2011, nous avons observé différentes améliorations. Mais cela ne suffit pas: les Etats doivent en faire davantage pour assurer une mise en œuvre rapide et intégrale des arrêts de la Cour. Cette obligation juridique découle de l’article 46 de la Convention.

Par ailleurs, le Comité des Ministres devrait prendre des mesures plus rigoureuses à l’encontre des Etats réticents à appliquer les arrêts de la Cour. C’est pourquoi la commission des questions juridiques et des droits de l’homme recommande la mise en œuvre rapide des arrêts de la Cour, l’établissement de voies de recours nationales efficaces et la création de procédures parlementaires permettant de superviser les modifications législatives nécessaires pour respecter la Convention.

La commission recommande également au Comité des Ministres d’utiliser la procédure de manquement prévue à l’article 46, paragraphes 4 et 5 de la Convention. La commission encourage l’adoption de mesures plus fermes en cas de non-exécution ou d’exécution tardive des arrêts. Le Comité des Ministres devrait également coopérer plus étroitement avec la société civile. Il devrait assurer davantage de transparence dans son processus de supervision.

Au cours de sa dernière réunion, le Comité des Ministres a adopté une résolution intérimaire dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan. Dans cette décision, le Comité a réitéré son appel aux autorités azerbaïdjanaises à libérer M. Mammadov, personnalité politique de l’opposition.

Le Comité des Ministres a également fait part de ses préoccupations quant au manque d’information sur les mesures générales et, à titre exceptionnel, a fait référence à l’article 3 du statut du Conseil de l’Europe selon lequel les Etats membres doivent accepter les principes de la prééminence du droit et de la jouissance des droits de l’homme par toutes les personnes placées sous leur juridiction. Voilà, Madame la Présidente, la deuxième mesure intérimaire adoptée dans cette affaire, après celle adoptée en mars dernier: cela nous montre que le Comité des Ministres cherche à prendre des mesures plus fermes en cas de refus manifeste d’exécuter les arrêts de la Cour de Strasbourg.

Au début de cette année, au sein de la commission des questions juridiques, une sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme a été constituée. Je suis persuadé qu’elle complètera mon travail ainsi que les activités de mon successeur. J’espère que cette sous-commission se penchera sur les cas les plus pertinents de non-exécution et aura des échanges de vue avec les chefs des délégations nationales, avec les représentants des autorités nationales, avec la société civile ainsi qu’avec d’autres organes de notre organisation.

En guise de conclusion, j’aimerais vous renvoyer à la déclaration de Bruxelles adoptée par les ministres le 27 mars. Cette déclaration reconnaît le travail réalisé par l’Assemblée sur cette thématique et nous invite à continuer à publier des rapports, à organiser des activités de sensibilisation des parlements nationaux et à les encourager à suivre la mise en œuvre des arrêts de la Cour.

Chers collègues, je crois très sincèrement que nous seuls, parlementaires, pouvons véritablement jouer un rôle incitatif auprès des gouvernements, qui sont parfois réticents à agir. Nous devons surveiller l’exécution de ces arrêts. Etant les garants d’un trésor dans ces murs, nous devons veiller à ce que tous les citoyens d’Europe puissent bénéficier du système de protection en cas de violation des droits de l’homme.

Il est essentiel d’effectuer notre travail, à la maison comme ici, et d’encourager nos gouvernements à redoubler d’efforts. Dans de nombreux cas, en effet, la volonté politique fait défaut et les gouvernements ne souhaitent pas tenir les promesses faites lorsque, à titre volontaire, les Etats se sont portés membres de cette organisation.

LA PRÉSIDENTE* – Merci infiniment, Monsieur le rapporteur, pour cet excellent rapport qui sera le dernier que vous nous aurez présenté puisque vous quittez notre Assemblée. En notre nom à tous, je souhaite vous remercier pour l’excellent travail que vous réalisé au sein de la commission des questions juridiques et en tant que président de la commission pour l’élection des juges. Vous avez fait un excellent travail pour nous tous!

(Poursuivant en français) Chers collègues, pour la présentation du dernier rapport de M. de Vries et par une heureuse coïncidence, nous comptons la présence parmi nous du président de la Cour, M. Spielmann, que je souhaite accueillir bien chaleureusement. Je le fais en tant que présidente de notre Assemblée parlementaire, en tant que compatriote et, avec grand plaisir, en tant qu’amie. Soyez le bienvenu chez nous, Monsieur Spielmann!

Votre mandat arrive à terme à la fin du mois d’octobre. Hier, à cette tribune, le Grand-Duc du Luxembourg a dit que l’ère luxembourgeoise touchait à sa fin. Votre mandat va prendre fin, tout comme le mien quelques mois plus tard: la domination luxembourgeoise dans cette maison sera alors terminée.

Monsieur le Président, nous vous sommes particulièrement reconnaissant de participer aujourd’hui à ce débat puisque la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme est la clef de voûte de l’efficacité du système de protection des droits de l’homme en Europe, basé sur la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour est le fleuron de notre Organisation, mais nous devons veiller tous ensemble à ce que ses décisions ne restent pas sans suite. Le rapporteur vient de rappeler que certains pays membres qualifient ces décisions de «politiques»; or, la Cour est indépendante et prend ses décisions en se fondant tant sur la Convention que sur la jurisprudence, celle-ci étant tellement importante pour nos pays.

Nous sommes bien sûr tous des parlementaires nationaux et, dès qu’une décision n’est pas favorable à nos pays, nous avons parfois tendance à fermer les yeux ou à faire obstacle à sa mise en œuvre. Mais notre devoir ici, en tant que parlementaires, est de convaincre nos collègues parlementaires chez nous d’assurer un suivi de la mise en œuvre des décisions de la Cour. Au cours de mes déplacements dans différents pays, j’ai toujours, avec mes collègues des pays en question, insisté pour créer des commissions spéciales ou des sous-commissions parlementaires pour contrôler réellement le gouvernement, parce que c’est une des missions des parlementaires, afin que les décisions soient exécutées le plus rapidement possible.

Tel est le message que j’ai essayé de porter. Bien des pays le prennent en compte et j’espère qu’après l’excellent rapport de M. de Vries, nous serons tous plus motivés encore en la matière.

Je suis donc heureuse que M. Spielmann, Président de la Cour européenne des droits de l’homme, ait accepté de contribuer à notre débat.

Monsieur Spielmann, je vous donne sans tarder la parole. La tribune est à vous!

M. SPIELMANN, Président de la Cour européenne des droits de l’homme – Madame la Présidente, Madame la Secrétaire Générale adjointe, Monsieur le Secrétaire général de l’Assemblée, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, permettez-moi tout d’abord de vous dire la fierté qui est la mienne de pouvoir m’exprimer aujourd’hui devant votre Assemblée. Cela me permet, en effet, de rappeler les liens étroits et indissociables qui lient l’organe parlementaire du Conseil de l’Europe et la Cour que j’ai l’honneur de présider quelques semaines encore. Comme vous le savez, mon mandat de juge et de Président touche à sa fin et bientôt j’aurai quitté la Cour européenne des droits de l’homme.

Ma présence devant vous revêt donc une valeur hautement symbolique puisqu’il s’agit sans doute de l’une de mes dernières interventions publiques en tant que Président de la Cour de Strasbourg. Depuis que j’ai été élu juge, mais surtout au cours de ces trois dernières années, en tant que Président, j’ai pu mesurer le rôle de plus en plus important joué par votre Assemblée au regard du système de la Convention.

D’abord, et c’est fondamental, il y a l’élection des juges à laquelle vous procédez en application de l’article 22 de la Convention. J’ai constaté combien la commission spécialement constituée aux fins de procéder à l’audition des candidats aux fonctions de juge, et qui s’intitule depuis le début de cette année «la Commission sur l’élection des juges», prend sa mission à cœur.

Qu’il me soit permis de saluer ici tous ses membres, en particulier son Président, Klaas de Vries, qui œuvre dans ce domaine depuis plusieurs années. Je connais leur implication dans ce processus essentiel si l’on veut préserver la qualité de nos juges et donc l’autorité de notre Cour.

Il arrive parfois que l’on fasse aux juges de Strasbourg un procès en légitimité. Or, je crois pouvoir dire sans me tromper qu’il existe peu de procédures de désignation de juges internationaux qui soient plus démocratiques que celle qui concerne les juges de notre Cour. Le texte de la Convention est exigeant en ce qu’il rappelle qu’ils doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice des hautes fonctions judiciaires. La procédure de désignation des juges est longue et complexe, notamment au niveau interne. Mais, indubitablement, le moment le plus important de ce processus, celui qui lui confère sa légitimité, est l’audition des trois candidats par la Commission sur l’élection des juges, laquelle formule une recommandation à l’issue de cette audition.

Enfin, c’est votre Assemblée qui a le dernier mot et qui procède à l’élection elle-même. Je n’hésite jamais à le rappeler: le processus de l’élection des juges de la Cour européenne des droits de l’homme est particulièrement démocratique.

Mais le rôle de votre Assemblée ne se limite nullement à l’élection des juges. En effet, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constitue un relais important et très efficace entre la Cour et les parlements nationaux. Ce qui fait votre spécificité et votre double appartenance à une assemblée européenne et à un parlement national est essentiel. C’est vous, Mesdames, Messieurs les parlementaires qui êtes les mieux placés pour assurer le lien entre les organes du Conseil de l’Europe et votre parlement national. Au cours de mon mandat, j’ai pu personnellement constater l’importance que jouent les parlements nationaux dans la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme. À l’occasion de mes visites officielles, j’ai toujours veillé à rencontrer des représentants de ses institutions.

Surtout, il m’est arrivé de m’exprimer à plusieurs reprises devant des parlements et j’ai ainsi mesuré l’importance du dialogue direct avec les organes législatifs nationaux. Mes interventions devant le Parlement fédéral de la Suisse ou la commission des lois de l’Assemblée nationale française demeureront des temps forts de ma présidence et j’espère que mes successeurs poursuivront ce dialogue.

Le rôle des parlements nationaux dans la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme est relativement récent, mais il s’est considérablement accru au cours des dernières années. Il se situe à deux niveaux.

Tout d’abord, un nombre croissant de parlements se sont dotés de commissions chargées d’examiner la compatibilité des projets de loi avec la Convention européenne des droits de l’homme. Qu’il s’agisse de commissions chargées spécifiquement des droits de l’homme ou de commissions des lois classiques, ces instances sont indispensables si l’on veut que la Convention et surtout notre jurisprudence soient prises en compte afin de prévenir des violations futures. Pour que ces commissions fonctionnent, il va de soi qu’un effort tout particulier de diffusion de la jurisprudence auprès des parlementaires nationaux et de formation des fonctionnaires des parlements doit être entrepris. Je sais que votre Assemblée s’est attelée à cette tâche et notre Cour a été heureuse d’être associée à ces actions de dissémination de la jurisprudence.

Le second aspect du rôle des parlements se situe, lui, en aval de nos arrêts. Un certain nombre d’entre eux rendent nécessaires des modifications législatives. C’est tout particulièrement le cas lorsque c’est une loi qui est à l’origine de la violation constatée. Qui est alors mieux placé que le parlement pour remédier à cette violation?

Que ce soit en amont pour la prévention des violations ou en aval pour la bonne exécution des arrêts, le rôle des parlements est désormais crucial. J’ai la conviction qu’il ira grandissant. Il en va de même de votre Assemblée qui joue, en quelque sorte et pour faire allusion à une métaphore musicale, le rôle d’une caisse de résonance de nos arrêts. En effet, il appartient aux parlements de «mettre en musique» nos arrêts. Et il appartient à votre Assemblée de s’en faire l’écho. Bien que, en vertu de l’article 46.2 de la Convention, la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour relève de la compétence du Comité des Ministres, l’Assemblée joue un rôle essentiel dans ce processus.

Je salue d’ailleurs le rôle de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme qui, dans son huitième rapport sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, a pointé du doigt les problèmes majeurs rencontrés par les Etats membres qui comptent le plus grand nombre d’arrêts non exécutés. À cet égard, le Comité des Ministres devrait être encouragé à faire usage de la «procédure en manquement» prévue par l’article 46, paragraphes 4 et 5 de la Convention, et prendre des mesures plus fermes lorsqu’un Etat tarde à appliquer un arrêt ou persiste à ne pas l’appliquer. Jusqu’à maintenant, cet outil est resté inexploité.

Je ne peux que regretter qu’à ce jour, le Comité des Ministres n’ait pas usé de cette faculté. Je sais que beaucoup parmi vous partagent ce point de vue.

En tout état de cause, votre Assemblée joue ce double rôle de vérification de la compatibilité des textes de loi et de mise en conformité de la législation, une fois l’arrêt rendu, et j’ai été heureux de constater le resserrement de nos liens au cours des deux dernières années.

Sans doute, la présence à votre tête de ma compatriote et amie Anne Brasseur n’y est-elle pas étrangère et c’est pourquoi je saisis l’opportunité de ma présence ici, aujourd’hui, pour rendre hommage à une inlassable combattante des droits de l’homme.

LA PRÉSIDENTE – Je vous remercie, Monsieur le Président.

Votre mandat a atteint son terme et vous devez quitter vos fonctions puisque, après neuf ans, le mandat des juges touche à sa fin, mais je sais que vous allez continuer à lutter pour les droits de l’homme et je vous souhaite bonne chance dans vos activités futures.

Je vous remercie également pour l’excellente collaboration que nous avons pu avoir. Vous avez relevé à juste titre le rôle des parlementaires; c’est pour nous un encouragement à faire encore plus, car les droits de l’homme ne sont jamais acquis, contrairement à ce que l’on peut parfois penser. Nos obligations et nos responsabilités en tant que parlementaires sont énormes à ce titre.

Vous avez été un grand Président de la Cour européenne des droits de l’homme, et ce fut un honneur pour nous de travailler avec vous.

La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. LE BORGN’ (France) porte-parole du Groupe socialiste – Je veux avant toute chose saluer le travail accompli par notre collègue Klaas de Vries pour ce huitième rapport consacré par notre Assemblée parlementaire à la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est une analyse fouillée et exhaustive qu’il a menée. Elle conduit à un constat lucide et alarmant: le nombre d’arrêts non exécutés pendants devant le Comité des Ministres reste considérable, de l’ordre de 11 000 affaires. Plus grave, près de 80 % de ces affaires concernent neuf Etats parties à notre Organisation: Italie, Turquie, Russie, Ukraine, Roumanie, Grèce, Pologne, Hongrie et Bulgarie. Pire encore, la plupart des affaires pendantes citées en 2010 par notre ancien collègue Christos Pourgourides le restent toujours en 2015. Certaines comportaient des mesures intérimaires ordonnées par la Cour en matière d’expulsion ou d’extradition. Les jugements et au-delà la réalité humaine de chacun des cas d’espèce ont purement et simplement été ignorés. C’est inacceptable.

Faut-il rappeler que nos Etats sont tenus d’exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme? Exécuter les arrêts, ce n’est pas seulement donner droit à une partie, c’est souvent aussi modifier les législations ou pratiques administratives nationales. Or, c’est là que la volonté politique fait régulièrement défaut, de la part du gouvernement concerné comme parfois aussi du parlement. La volonté politique, c’est par exemple, après un arrêt de la Cour, mettre fin à toute pratique discriminatoire à l’égard des Roms. C’est également, autres exemples, mettre en œuvre les réformes nécessaires pour garantir des procès équitables, des procédures de longueur raisonnable ou des détentions provisoires de durée limitée. Ce sont bien sûr des sujets complexes, soulevant des problèmes structurels, mais rien n’excuse l’inaction et la grève du droit qui minent la crédibilité et l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il revient au Comité des Ministres de veiller à l’exécution des arrêts de la Cour. La Déclaration de Bruxelles du 27 mars dernier souligne la nécessité pour notre Assemblée parlementaire et, au-delà, pour nos parlements nationaux, de s’engager aussi par des rapports et mécanismes réguliers de suivi. Député français, j’ai préparé cette année une proposition de loi visant à introduire dans la Constitution de mon pays un suivi permanent des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il faut un échange plus étroit entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire sur le suivi de l’exécution des arrêts, complété par une ouverture à l’égard de la société civile pour que l’information soit solide et complète.

Il faut enfin oser le recours à la procédure en manquement prévue à l’article 46, paragraphes 3 à 5 de la Convention et se poser directement la question de sanctions lourdes à l’égard des Etats qui défient directement et sciemment la Cour européenne des droits de l’homme et sa jurisprudence. Le statu quo serait ici une grave erreur. L’inexécution des arrêts de la Cour n’est pas seulement un manquement en droit; c’est d’abord un manquement à l’égard des Européens.

M. FRANKEN (Pays-Bas), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Nous sommes malheureusement confrontés à une histoire qui dure, pour ce qui est du manque d’exécution de arrêts de la Cour européenne de droits de l’homme. En effet, c’est aujourd’hui le huitième rapport qui nous est présenté sur ce sujet. Trois rapporteurs ont ainsi préparé nombre de documents et de recommandations utiles pour contribuer à la recherche d’une solution au problème.

Grâce à ce rapport approfondi de M. de Vries, le Comité des Ministres pourra donner une nouvelle dynamique à un travail d’amélioration de la situation actuelle. Cela est indispensable, car l’essence même de la Convention européenne des droits de l’homme est en jeu. La liste des lacunes les plus fréquentes dans le respect des droits essentiels de l’homme sur notre continent est longue. Or une partie importante de ces problèmes pourrait être résolue sans que cela ait un grand impact sur le budget des gouvernements en question. Par exemple, réduire la durée excessive de la procédure judiciaire ou améliorer les mauvaises conditions de détention sont des problèmes qui peuvent être résolus par de simples mesures organisationnelles.

En revanche, certains problèmes exigent une volonté politique. Celui de la détention provisoire illégale, souvent trop longue, accompagnée de mauvais traitements, voire de torture, y compris pendant la garde à vue, exige un changement de mentalité des responsables gouvernementaux. C’est un point de tension auquel nos parlements nationaux doivent s’attaquer.

Je mettrai en exergue le paragraphe 8 de la résolution en la matière. Il nous appartient, à nous parlementaires, de faire pression sur le Comité des Ministres pour qu’il prenne au sérieux les obligations qui sont les siennes et les traite sans retard.

LA PRÉSIDENTE* – Monsieur Franken, vous allez vous aussi quitter notre Assemblée, je tiens donc, en notre nom à tous, à vous remercier de votre excellent travail et de vos contributions précieuses à nos travaux.

Mme TAKTAKISHVILI (Géorgie), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe – Je voudrais d’abord saluer le rapporteur mais surtout le Président de la Cour européenne des droits de l’homme, institution qui fait vivre le Conseil de l’Europe. C’est grâce au mécanisme contraignant qu’elle sous-tend pour les pays membres que les droits de l’homme et la primauté du droit peuvent s’étendre à tout le continent européen, notamment aux pays de l’ex-union soviétique qui n’ont que très peu la tradition du respect des libertés en général et de l’Etat de droit.

Le rapport ne se limite pas à la divulgation de riches données statistiques mais fait état de violations graves des droits de l’homme constatées par la Cour. Or, puisque les arrêts de la Cour européenne concernent la vie et le futur des citoyens européens, nous parlementaires, devons faire tout notre possible pour faciliter leur exécution. S’il revient aux gouvernements d’appliquer les mesures individuelles ordonnées par le Comité des Ministres, c’est, en cas d’absence de volonté politique, aux parlementaires d’agir.

La transparence du processus et l’implication des ONG, des défenseurs des droits et des requérants eux-mêmes sont nécessaires pour veiller à l’effectivité de l’application des arrêts de la Cour. Les gouvernements, s’ils sont rompus aux campagnes de relations publiques quand tout va bien, se montrent en revanche réticents à publier des informations remettant en cause leur action. Il convient à cet égard de saluer les avancées opérées par plusieurs Etats comme l’Allemagne ou la Pologne, qui se sont dotés d’un mécanisme parlementaire de suivi des actions du gouvernement. Je me réjouis qu’en Moldavie, en Ukraine et en Arménie des lois aient été adoptées allant dans le même sens. En Géorgie enfin, à l’issue d’un séminaire régional, nous sommes convenus de mettre en place un mécanisme de suivi spécifique.

Je vous invite pour conclure à voter le rapport et à veiller à ce que les gouvernements se montrent beaucoup plus efficaces dans l’application des arrêts de la Cour de Strasbourg.

Lord BALFE (Royaume-Uni) porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Je félicite M. de Vries pour son chant du cygne, si je puis dire. Notre collègue a considérablement contribué à nos travaux. Ainsi son volumineux rapport est-il à la mesure du défi que nous devons relever. En tant que président de la sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, je considère que nous avons en effet encore beaucoup de travail.

Comme le souligne le rapport, une bonne partie des arrêts rendus par la Cour portent sur des problèmes complexes, structurels. Nous devons y réfléchir car ces arrêts vont bien au-delà de simples affaires de respect des droits de l’homme en ce qu’ils touchent au cœur des relations entre les Etats – je pense en particulier aux arrêts relatifs à la partie Nord de Chypre –, si bien qu’ils ne peuvent être appliqués que par des moyens diplomatiques.

Lorsque je siégeais au Parlement européen, nul pays n’était plus fédéraliste que l’Italie et nul pays n’obtenait de pire résultat en matière d’exécution des arrêts de la Cour. Le Royaume-Uni lui-même a à apprendre de nos rapports, en particulier pour ce qui est du droit de vote des prisonniers.

Subsiste par ailleurs la question de la centralisation au sein d’une seule base des données ADN, qui permettrait une grande amélioration des services de santé. Dans plusieurs dizaines d’années on se demandera pourquoi nous avions une vision aussi simpliste que celle que nous avons aujourd’hui.

La détermination politique est nécessaire et les parlements nationaux doivent jouer leur rôle même s’il est évident que l’attitude des gouvernements ne correspond pas nécessairement à celle des parlements.

Je me félicite donc de ce rapport même s’il serait souhaitable qu’il soit moins volumineux à l’avenir.

M. KOX (Pays-Bas) porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Si l’on peut se demander dans quelle mesure nous sommes efficaces en tant que membres de l’Assemblée parlementaire, on admettra en tout cas que nous sommes légitimes puisque nous choisissons les juges à la Cour européenne, laquelle donne accès à la justice à quelque 800 millions de citoyens européens qui ont la possibilité de déposer une requête dès lors qu’ils estiment leurs droits violés. Ce système est unique en son genre.

Quand on se pose la question de savoir si nous servons à quelque chose, nous pouvons être fiers du fait que notre Assemblée joue un rôle dans ce système. Donc, nous procédons à l’élection des juges, lesquels doivent assurer une action équitable de la Cour, et je remercie le président de la commission pour la sélection de ces juges. Leur élection est pour notre Assemblée un droit éminent, une véritable prérogative qui nous fait obligation de veiller au fonctionnement du système. L’idée en elle-même est en effet parfaite, mais qu’en est-il de sa mise en œuvre, sachant que Klaas de Vries nous rappelle que nous n’en sommes pas à notre premier rapport?

La Cour et la Convention constituent une véritable lueur d’espoir pour de nombreux Européens, un phare même qui permet que justice soit faite, que l’exécution des arrêts contribue non seulement à l’amélioration de la situation de l’individu lui-même mais également à la primauté du droit partout en Europe.

S’il est très important de souligner ce qui est positif, Klaas de Vries rappelle qu’il reste des éléments négatifs: ces affaires pendantes, ces 11 000 arrêts rendus mais non exécutés. Nous devrions tous en avoir honte, pour nos gouvernements, pour nos parlements et pour nous-mêmes en tant qu’Assemblée.

C’est pourquoi je suis tout à fait favorable aux propositions de Klaas de Vries, notamment à celles qui nous invitent à mener ce débat sur le plan national. C’est assez difficile étant donné tous les sujets que nous abordons déjà dans chacun de nos Etats, mais c’est très important. Du reste, M. de Vries et moi-même avons prouvé qu’il était possible, aux Pays-Bas, de prévoir un débat annuel sur le Conseil de l’Europe et la Cour européenne. Comme l’a souligné M. Spielmann, c’est à cette échelle que, au bout du compte, doivent s’opérer les changements.

M. CORLĂŢEAN (Roumanie) – La question de l’efficacité et de la crédibilité du mécanisme de contrôle de Strasbourg, qui s’appuie sur la Convention européenne, la Cour et le Comité des Ministres, revêt une importance cruciale. Les observations du rapporteur concernant la Roumanie seront à n’en pas douter examinées avec attention par les autorités compétentes.

Je soutiendrai les projets de résolution et de recommandation présentés par le rapporteur, dont je partage non pas tous mais la plupart des constats effectués dans l’exposé des motifs et les annexes. En effet, il me semble que l’on pourrait suggérer, pour l’avenir, de mieux valoriser certaines des mesures qui ont été adoptées même si elles n’ont reçu à ce stade qu’un traitement bureaucratique et technique.

Dans le cas de mon pays, le problème le plus délicat après la chute du communisme a été celui des immeubles nationalisés pendant le régime communiste. Ils ont fait l’objet d’une riche jurisprudence de la Cour européenne sur la Roumanie. En 2013, grâce à une exceptionnelle coopération avec la Cour et le Comité des Ministres, le Parlement de la Roumanie a adopté une loi historique sur un nouveau mécanisme de compensation, consacré par l’arrêt Preda c. Roumanie. Le rapport fait référence à 442 arrêts similaires. En réalité, ils ont été plus de 2 000, compte tenu du mécanisme du juge unique. Ils ont eu des conséquences budgétaires importantes.

Il me paraît donc important de valoriser les réformes fondamentales permises par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. La durée excessive des procédures et les conditions de détention sont également des sujets sur lesquels travaille le ministère de la Justice roumain.

M. Bosić, Vice-Président de l’Assemblée, remplace Mme Brasseur au fauteuil présidentiel.

M. GOLUB (Ukraine) – En 1959, les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont créé la Cour européenne des droits de l’homme pour protéger les droits et les libertés fondamentales qui figurent dans la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agissait de créer un organe supranational en mesure d’assurer un examen juste et équitable d’affaires dont les requérants n’auraient pas réussi à obtenir le règlement au niveau national, et ce pour diverses raisons, parmi lesquelles la corruption des tribunaux nationaux ou la tentation des autorités judiciaires locales de servir le régime au pouvoir. La Fédération de Russie nous donne ainsi l’exemple d’un système corrompu. Je pense notamment au cas de notre collègue de la délégation ukrainienne, Nadiia Savchenko.

Il est nécessaire d’insister, quand on parle de la Cour européenne des droits de l’homme, sur l’efficacité de son mécanisme d’application des arrêts. Ainsi, l’article 46 de la Convention prévoit que les pays parties à la Convention doivent respecter et mettre en œuvre toutes les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. La Convention impose de créer des mécanismes d’application des décisions de la Cour au niveau national. Il revient au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’effectuer le contrôle de la mise en œuvre des arrêts de la Cour.

C’est donc à lui que je m’adresse aujourd’hui au sujet de la récente décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie qui rend illégitime la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme en Russie. À partir de maintenant, toute décision de la Cour européenne des droits de l’homme pourra être contestée par la Cour constitutionnelle russe au regard de sa conformité avec la Constitution de la Fédération de Russie. Ce ne serait pas inquiétant si ce pays possédait un système judiciaire indépendant, une protection judiciaire correcte, et si le pouvoir judiciaire et le respect des droits de l’homme n’étaient pas au service du régime au pouvoir.

Cette décision de la Cour constitutionnelle russe représente selon moi un moyen unique de ne pas appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Si nous ne réagissons pas, alors même que la Russie est partie à la Convention européenne des droits de l’homme, nous enverrons un message inquiétant aux autres pays, qui seront tentés eux aussi de rechercher les moyens juridiques pour ne pas appliquer les décisions de la Cour. C’est pourquoi je demande une fois de plus au Comité des Ministres d’examiner avec la plus grande attention cette décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie.

LE PRÉSIDENT* – M. Florea, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. CSENGER-ZALÁN (Hongrie)* – La Cour européenne des droits de l’homme veille au respect des droits fondamentaux ancrés dans la Convention européenne des droits de l’homme. C’est un organe extrêmement important pour la protection des droits de l’homme en Europe. Il est tout particulièrement important que ses arrêts soient exécutés et le Comité des Ministres doit y veiller. Il est positif, selon moi, que l’Assemblée parlementaire examine elle aussi à la loupe les arrêts de la Cour. Les parlementaires peuvent ainsi informer leurs parlements des lacunes pour lesquelles des mesures législatives doivent être prises au niveau national.

D’après le projet de résolution, il existe 11 000 arrêts encore non exécutés, dont 331 concernent la Hongrie. Je tiens à souligner que certains Etats membres, parmi lesquels l’Italie, avec 2 622 arrêts non exécutés, affichent des chiffres bien plus importants. Toutefois, il convient de ne pas se concentrer uniquement sur la quantité, mais également sur le contenu des arrêts. Lors de leur exécution, des mesures individuelles mais aussi générales sont prises.

Les mesures individuelles, telles que le versement de dommages aux requérants ou l’obligation d’instaurer des procédures spéciales, ont toujours été appliquées en temps voulu par la Hongrie. Ce sont les mesures générales qui sont davantage en souffrance, car elles nécessitent l’adoption de vastes pans de législation.

En ce qui concerne la Hongrie, ce sont surtout des problèmes structurels qui expliquent la durée excessive de la procédure judiciaire: on comprend que ces problèmes ne puissent être résolus en un mois ou deux. Ainsi, aux termes de l’arrêt pilote Gazsó c. Hongrie rendu par la Cour le 16 juillet 2015, la Hongrie doit avoir remédié aux retards dans l’adoption des jugements d’ici au 16 octobre 2016. Par ailleurs, nous avions un plan de réforme de la justice qui prévoyait une meilleure répartition des affaires entre les différents tribunaux et aurait permis de réduire les retards, mais d’autres instances ont attaqué ce plan qui n’a donc pas pu être mis en œuvre.

Voilà pourquoi j’invite l’Assemblée parlementaire à ne pas s’arrêter aux chiffres, mais à tenir compte du contenu des arrêts non exécutés et de leur gravité.

M. CHIKOVANI (Géorgie)* – Je remercie le rapporteur de ce rapport très complet et très instructif sur un sujet essentiel. Puisque ce travail sera son chant du cygne dans cette Assemblée, je lui souhaite le succès pour la suite.

La viabilité de la Cour européenne des droits de l’homme doit être garantie à long terme et pour cela, les Etats membres doivent prendre des mesures afin d’exécuter ses arrêts et d’empêcher la répétition des infractions. Je rappelle que selon les Résolutions 1787 (2011) et 1823 (2011), l’Assemblée doit contribuer à la supervision de la mise en œuvre des arrêts de la Cour. Elle concourt ainsi au mécanisme de supervision joué par le Comité des Ministres.

Le rapport montre que la Fédération de Russie rencontre de nombreux problèmes s’agissant de la mise en œuvre des arrêts de la Cour. La plupart concernent des violations graves des droits de l’homme. La Fédération de Russie est l’un des pays membres où le nombre d’arrêts non exécutés est le plus élevé: il était alarmant en 2014, selon le rapport du Comité des Ministres.

Etant donné la réticence du pays à mettre en œuvre les arrêts de la Cour, je crains sincèrement que l’arrêt Géorgie c. Russie du 3 juillet 2014 ne puisse être exécuté. Il concerne une pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens au cours de l’automne 2006. Des citoyens géorgiens ont été expulsés de Russie au seul motif qu’ils étaient géorgiens, sans que l’on se préoccupe de savoir si ces expulsions étaient conformes au droit ou non: voilà un exemple de ségrégation au xxie siècle. Il s’agit d’une affaire très marquante pour la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt doit être mis en œuvre: c’est essentiel si l’on veut éviter que de tels agissements se reproduisent.

Selon le rapport, des conditions de détention inacceptables ont été observées en Russie, surtout dans des centres de détention provisoire, et des cas de maltraitance par les forces de maintien de l’ordre ont été signalés. Ces problèmes sont particulièrement graves.

En outre, aux termes de l’arrêt précité, la Fédération de Russie est responsable de tortures et de mauvais traitements qui violent l’article 3 de la Convention.

J’invite le Comité des Ministres à utiliser d’urgence tous les moyens dont il dispose afin de s’acquitter pleinement de sa tâche: superviser et assurer l’exécution des arrêts de la Cour, en particulier l’arrêt Géorgie c. Russie. L’Assemblée parlementaire et les parlements nationaux ont eux aussi un rôle essentiel à jouer pour assurer l’exécution des arrêts en rappelant aux Etats parties à la Convention qu’il s’agit d’une obligation juridique et qu’ils doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour s’y plier.

Mme KOBAKHIDZE (Géorgie)* – Je remercie M. de Vries pour son excellent rapport, très utile pour nous tous.

La mise en œuvre des normes européennes concernant les droits de l’homme dans les systèmes juridiques nationaux et dans la pratique est essentielle pour la Géorgie, un Etat véritablement démocratique. Contrairement au précédent, le gouvernement actuel se donne pour but de protéger les droits de tous les citoyens et, si ces droits sont violés, de leur fournir des mécanismes efficaces à même de remédier à ces violations, ce qui réduit le nombre de cas renvoyés devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Depuis que la coalition «Rêve géorgien» est au pouvoir, des réformes radicales ont été entreprises afin de garantir la mise en œuvre des décisions de la Cour, en particulier les dispositions des articles 2, 3, 5, 6, 8, 10 et 11 de la Convention et de son Protocole additionnel no 1.

De fait, depuis 2012, les cas de recours excessif à la force par la police et d’«opérations spéciales» injustifiables – une pratique qui avait malheureusement violé un droit fondamental de nombreux citoyens géorgiens, le droit à la vie – ont été éradiqués. En outre, une nouvelle loi sur la police a été adoptée.

Dans l’affaire Enukidze et Girgvliani c. Géorgie, l’enquête a repris; la procédure judiciaire a débouché sur le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur ainsi que de l’ancien chef du département pénitentiaire, et des charges ont été retenues contre l’ancien Président Saakashvili. Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu «avec une préoccupation particulière que différentes branches de l’Etat – le ministère de l’Intérieur, le parquet, [le département pénitentiaire], les tribunaux internes, le Président géorgien – ont toutes œuvré de concert pour empêcher que justice soit faite dans cette affaire d’homicide épouvantable». Les membres du Mouvement national uni et certains de nos collègues du PPE devraient donc comprendre qu’il ne s’agit pas là de persécution politique: le pays cherche simplement à mettre en œuvre les décisions de la Cour.

Il importe également de noter que les cas de torture et de traitements inhumains dans les prisons géorgiennes ne sont plus systématiques. Nous nous sommes engagés à satisfaire aux obligations que nous impose la Convention et à appliquer les arrêts de la Cour. Bref, la priorité de la Géorgie aujourd’hui – protéger les droits humains – se reflète dans nos programmes et stratégies.

Mme GROZDANOVA (Bulgarie)* – Merci au rapporteur pour son travail.

La Bulgarie fait partie des quelques Etats membres du Conseil de l’Europe qui ont impliqué leurs parlements nationaux dans la mise en œuvre des arrêts de la Cour par le biais de rapports annuels sur la question. En Bulgarie, les mesures prises par le gouvernement pour remédier à la durée excessive des procédures se sont révélées efficaces.

Au regard de la décision du Comité des Ministres du 24 septembre 2015 et l’adoption d’une résolution relative à la mise en œuvre de 59 des 119 affaires, l’une des trois problématiques identifiées par le rapporteur ne se limite pas à la seule Bulgarie.

Même si nous sommes toujours au neuvième rang quant au nombre d’arrêt rendus par la Cour, le rapport annuel du Comité des Ministres de 2014 permet de constater la détermination de la Bulgarie à améliorer son score. La Bulgarie réitère son engagement à mettre en œuvre les arrêts de la Cour afin d’améliorer les conditions de détention et de suivre les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Mme NAGHDALYAN (Arménie)* – Merci, Monsieur de Vries, pour ce travail complet.

En juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu des arrêts dans deux affaires: Chiragov c. Arménie et Sargsyan c. Azerbaïdjan.

Il me paraît nécessaire d’évoquer cette question car, depuis, nous avons entendu trop de spéculations de la part de l’Azerbaïdjan qui essaie de donner de la situation une image totalement erronée.

Dans la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas partagé la position de l’Azerbaïdjan dans l’affaire Chiragov c. Arménie, préférant écouter les arguments de la partie arménienne, l’Azerbaïdjan a lancé à fond sa machine de propagande étatique pour défendre son interprétation arbitraire.

En effet, l’Azerbaïdjan prend toute latitude pour faire dire à la Cour nombre de choses qui n’ont jamais été dites dans l’arrêt, montant qu’elle ne respecte pas la Cour ni son arrêt, et que l’Azerbaïdjan ne respecte pas non plus les droits de son propre citoyen, M. Chiragov.

C’est une illustration, s’il en fallait, de la politique de manipulation qui est celle de Bakou. Rien d’autre ne saurait expliquer l’allégation de l’Azerbaïdjan selon laquelle la Cour a affirmé dans son arrêt qu’il s’agissait de protéger les droits fondamentaux des personnes déplacées, eu égard aux exigences territoriales de l’Arménie, et que l’Arménie devait retirer ses troupes, condition préalable à toute possibilité de résolution du conflit. Il va sans dire que la Cour n’a jamais adopté de dispositions de ce type.

Il est inacceptable qu’un pays qui viole les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et nombre de décisions de la Cour, qui s’abstient de mettre en œuvre les arrêts qui sont sous la surveillance du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe alors qu’il devrait procéder à des réformes démocratiques, porte un jugement sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Au moment où la Cour adoptait l’arrêt Chiragov, elle adoptait un autre arrêt protégeant les droits de M. Sargsyan, qui a été déplacé de force par l’Azerbaïdjan depuis sa maison du village de Gulistan. Dans chacun des deux arrêts, la Cour a redit qu’il s’agissait de la violation des mêmes droits de la Convention. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi démontré que les questions relatives au déplacement de personnes lié au conflit du Haut-Karabakh exigent d’être résolues sur la base du principe de la réciprocité et de l’égalité.

Le retour des réfugiés et des personnes déplacées est un élément fondamental des négociations pour le règlement du conflit au Haut-Karabakh. Au lieu de se répandre en spéculations, l’Azerbaïdjan ferait mieux d’adopter une approche plus constructive visant à poursuivre les négociations sur l’égide du Groupe de Minsk et de l’OSCE.

M. NICOLAIDES (Chypre)* – Le huitième rapport sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qui fait suite aux précédents rapports de MM. Jurgens et Pourgourides, est un instrument extrêmement précieux pour notre Assemblée. Il examine une question capitale quant au respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la prééminence du droit et de la démocratie. Il s’agit des piliers mêmes de cette Organisation.

L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme est à l’ordre du jour de cette Organisation depuis l’année 2000. Ce n’est qu’en mars dernier que la Déclaration de Bruxelles a recommandé à l’Assemblée de continuer à préparer des rapports sur l’exécution des arrêts, encourageant au demeurant les parlements nationaux à assurer un suivi régulier et efficace de l’exécution des arrêts.

Le rapporteur épingle différentes raisons de non-conformité ou de non-exécution des arrêts de la Cour, la durée des poursuites judiciaires, la non-exécution des décisions de justice nationale et des problèmes complexes ou structurels. Je crois très sincèrement que ces lacunes ne devraient pas ralentir le processus de mise en œuvre de ces arrêts, faute de quoi l’efficacité de la Cour serait menacée.

À ce sujet, nous sommes particulièrement satisfaits de la récente décision du Comité des Ministres soulignant la nécessité de la mise en œuvre intégrale de l’arrêt de la Cour dans la 4e requête étatique Chypre c. Turquie au sujet du groupe de Chypriotes grecs portés disparus. Cette décision a également réitéré le caractère inconditionnel de l’obligation de verser une satisfaction équitable ordonnée par la Cour et que les requérants devraient recevoir sans délai les sommes prévues par la Cour.

Qui plus est, je tiens également à saluer le fait que le Comité des Ministres a invité le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à évoquer les problèmes susmentionnés lors de ses contacts avec les autorités turques.

J’ajoute que l’Assemblée pourrait renforcer son rôle dans ce domaine dans le cadre de la procédure de suivi. L’Assemblée pourrait alors contribuer de façon constructive à cette procédure en examinant de façon plus approfondie la non-exécution des arrêts de la Cour par certains pays.

Chers collègues, en conclusion, je féliciterai le rapporteur, M. de Vries, pour ce rapport fondamental.

M. VLASENKO (Ukraine)* – J’appuie pleinement les conclusions de ce rapport et je vous invite à faire de même et à adopter le projet de résolution.

Cependant, il faut être honnête en disant que ces dernières années, un certain groupe de pays n’a pas la volonté de mettre en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, pour des raisons politiques liées aux décisions rendues par leurs tribunaux nationaux. Cela signifie qu’il n’existe pas de mécanisme efficace pour inciter ces pays à exécuter les arrêts de la Cour et qu’il n’a pas été possible d’atteindre l’objectif principal de la Convention, à savoir: protéger les droits humains de manière efficace.

Dans la liste des pays présentée par M. de Vries, que je partage tout à fait, il y a au moins deux pays qui appartiennent au groupe que je viens de vous décrire. C’était le cas de l’Ukraine, jusqu’en février 2014; et c’est le cas de la Fédération de Russie.

Je pourrais citer l’exemple de l’affaire Ioula Timochenko. Elle est connue. Nous n’avons pas de possibilité de mettre en œuvre l’arrêt. À deux reprises, le Comité des Ministres a dit au Gouvernement ukrainien qu’il devait libérer Mme Timochenko afin d’exécuter l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

De même, dans l’affaire relative au fils de notre collègue M. Mustafa Djemilev, le chef des Tatars de Crimée, qui a été capturé en Russie, les tribunaux russes ont tout simplement ignoré les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme découlant de la Convention et de son article 39.

La situation est identique concernant l’affaire Ioukos, bien connue aussi.

Je pourrais dire, enfin, que j’occupe la place de Nadiia Savchenko, incarcérée en Russie, et qui est l’une de nos collègues.

Comme vous le voyez, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas exécutés et il est facile d’imaginer quelle peut être la réaction de la Fédération de Russie – rien ne sera fait. Peut-être donc devrions-nous commencer à discuter afin de voir comment modifier la procédure d’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous devrions trouver les moyens de pousser les pays à exécuter les arrêts lorsque ce sont des raisons purement politiques qui les empêchent de le faire.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne)* – Je prends la parole d’abord pour remercier Klaas de Vries de son travail.

J’achève mon mandat au Sénat espagnol, et donc au Conseil de l’Europe, sans avoir résolu trois mystères.

Premièrement, je n’ai jamais compris pourquoi on n’a pas voulu que, dans les commissariats, les policiers puissent être filmés pendant les interrogatoires. Ce serait pourtant une garantie.

Deuxièmement, je n’ai non plus compris pourquoi, alors qu’aux Etats-Unis, par exemple, toutes les auditions sont publiques – et les citoyens américains n’accepteraient pas qu’il en soit autrement –, nous préférons ici le secret. On nous dit que la démocratie représentative exige le secret. Il me semble au contraire que la transparence et la publicité sont meilleures.

Troisièmement, je n’ai jamais compris pourquoi ce ne sont pas les juges de la Cour européenne des droits de l’homme qui sont chargés d’exécuter leurs propres arrêts. Je connais l’existence de l’article 46 de la Convention et du Comité directeur pour les droits de l’homme, mais enfin, le temps ayant passé, ne serait-il pas souhaitable que ce soient les juges eux-mêmes qui se chargent de l’exécution des arrêts qu’ils ont rendus, comme le font tous les juges nationaux dans le monde entier?

J’attends vos réponses à ces questions. Elles seront certainement très doctes et sachez que je les respecte profondément.

Jamais je ne parle ici de questions internes à l’Espagne, mais je vais faire une exception pour montrer que certains Etats font en sorte de ralentir l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. L’Espagne, par exemple, a décidé que ceux qui ont gagné devant la Cour doivent ensuite introduire un recours en révision devant la Cour suprême espagnole. De plus, un arrêt prononcé n’a pas d’effet erga omnes: une personne qui dépose une requête du même type doit recommencer toute la procédure, sans pouvoir se prévaloir des arrêts précédents rendus sur les mêmes faits. Voilà la teneur de la réforme de la législation espagnole.

En conclusion, je voudrais dire au rapporteur et à M. Franken qu’ils ont été excellents, qu’ils peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait et qu’ils peuvent compter sur mon soutien.

M. FISCHER (Allemagne)* – Dès 1950, soit un an après la naissance du Conseil de l’Europe, c’est à Rome que l’Organisation a adopté la Convention européenne des droits de l’homme, qui continue d’exister aujourd’hui. C’est dans ce texte qu’ont été reconnus de nombreux droits fondamentaux, parmi lesquels le droit à la vie, l’interdiction de la torture, le droit à la liberté et à la sécurité, le droit à une procédure équitable devant les tribunaux, le droit au respect de la vie privée et de la vie de famille. La Cour européenne des droits de l’homme veille au respect de ces droits et je suis très heureux que son président ait dit les choses très clairement comme il l’a fait.

En notre qualité d’Assemblée parlementaire, nous avons véritablement un rôle à jouer en la matière, et d’abord parce que nous élisons les juges. Il est important, à nos yeux, que les juges soient de qualité. Ce sont les nations, autrement dit les gouvernements, qui nous proposent ces juges et les candidatures sont examinées par une commission parlementaire. Il est clair que nous n’allons pas entériner les propositions des gouvernements si la commission parlementaire considère que les CV des candidats ne sont pas suffisamment bons.

Je félicite le rapporteur pour son excellent travail. Chers collègues, il me paraît tout à fait inacceptable que l’on compte 11 000 affaires dans lesquelles les arrêts rendus n’ont pas été exécutés. Qu’est-ce que cela signifie aux yeux des citoyens? Ils peuvent se poser la question de l’utilité de tels arrêts et se demander comment un Etat de droit peut fonctionner si on a le droit de considérer que tel arrêt ou telle loi ne sont pas intéressants. On ne saurait accepter une telle chose. Il est de notre devoir, en tant que membres de nos parlements nationaux, de dire clairement aux gouvernements, une fois de retour chez nous: «Nous attendons de vous que les arrêts de la Cour soient exécutés».

J’admets publiquement que, sur le plan politique, je ne suis pas nécessairement d’accord avec certains arrêts. Il n’en demeure pas moins qu’il convient d’accepter les décisions de justice, qu’elles nous conviennent personnellement ou non. Ce doit être aussi le cas de chacun de nos gouvernements. C’est pourquoi il me semble utile d’adopter ce rapport. Grâce à M. de Vries, nous aurons en main un document qui, je l’espère, nous permettra de persuader les gouvernements d’accepter ce qui figure dans les arrêts de la Cour.

M. ÇAĞLAR (Chypre)* – Je souhaite tout d’abord remercier M. de Vries pour cet excellent rapport et pour son présentation. Je remercie également M. Spielmann pour son intervention.

J’aimerais aborder la question des personnes portées disparues à Chypre, qui fait partie des affaires mentionnées dans le rapport. Malheureusement, comme vous le savez, des Chypriotes turcs, surtout des civils, sont portés disparus depuis la période troublée qui a commencé en 1963. Je tiens à souligner, à cet égard, le travail considérable effectué par la commission des personnes portées disparues. Je constate d’ailleurs avec satisfaction les progrès enregistrés par cette commission s’agissant de retrouver les personnes disparues, Chypriotes grecs et turcs. Nous espérons que nous ne revivrons pas les onze années douloureuses que nous avons connues. Nous espérons que le processus de négociation qui a été engagé débouchera sur un résultat favorable et que le problème chypriote sera réglé une fois pour toutes, pour le bien des Chypriotes grecs comme des Chypriotes turcs.

Les autorités chypriotes turques ont pris les mesures nécessaires, dans le cadre des arrêts rendus, notamment en ce qui concerne la question des propriétés des personnes disparues: c’est ainsi que la commission des biens immobiliers a été créée en utilisant les suggestions de la Cour européenne des droits de l’homme. Plus de 2 000 Chypriotes turcs ont demandé l’aide de cette commission et celle-ci s’attache à leur venir en aide.

L’arrêt Demopoulos et autres c. Turquie, en 2010, a lui aussi permis d’avancer: nous avons compris que ceux qui avaient la jouissance des propriétés avaient eux aussi des droits, tout comme les propriétaires de ces biens.

Dans ces circonstances, nos dirigeants sont en train de préparer des normes de compensation, d’échange et de restitution partielle des biens à nos communautés. Nous respectons les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et nous souhaitons sincèrement une solution fédérale à Chypre le plus rapidement possible.

M. KORODI (Roumanie)* – Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient accorder une attention toute particulière à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils doivent se montrer proactifs en contrôlant de manière plus stricte les institutions nationales responsables de l’exécution des arrêts de la Cour. Des mécanismes plus forts sont nécessaires, permettant au Comité des Ministres de veiller à ce que les Etats membres assument leurs responsabilités pour la non-exécution des arrêts de la Cour.

Pour résoudre les problèmes structurels auxquels sont confrontés les Etats membres, nous devrions en appeler à davantage de réformes au niveau national pour éviter l’augmentation des requêtes devant la Cour. Lors de l’examen d’une affaire, les tribunaux nationaux devraient davantage mettre l’accent sur la jurisprudence de la Cour européenne en tant que source de bonnes pratiques. La longueur excessive des procédures, l’absence de recours efficaces, la non-exécution des décisions des tribunaux nationaux, les mauvais traitements par les forces de police et l’absence de véritables enquêtes sont autant de lacunes identifiées dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe.

Afin d’assurer un niveau élevé de transparence, nous appelons tous les Etats membres à mettre sur pied des mécanismes de suivi permanents et à organiser des séances publiques sur l’exécution des arrêts de la Cour.

Après ses efforts récents de réforme du système judiciaire, la Roumanie doit continuer de prendre les mesures nécessaires afin de consolider la mise en œuvre de ces mesures de réformes.

M. KHADER (Palestine, partenaire pour la démocratie)* – Je souhaite tout d’abord féliciter M. de Vries pour l’excellent travail qu’il a réalisé en élaborant ce rapport exhaustif et équilibré.

Les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme se doivent d’exécuter les arrêts de la Cour. Cette pratique très importante renforce la crédibilité de l’engagement de l’Europe en faveur de la démocratie et de l’Etat de droit. Le système européen de protection des droits de l’homme ne concerne pas seulement ce continent: il a une portée mondiale. Il constitue un espoir qu’un système judiciaire international préservant les droits de l’homme puisse s’appliquer partout.

Les Etats sont souverains, certes, mais ils ne sont pas libres de violer les droits fondamentaux de leurs citoyens où de ceux dont ils régissent la vie. C’est d’une importance cruciale pour nous, Palestiniens, qui sommes soumis à toutes sortes de violations de nos droits fondamentaux de la part des occupants israéliens: détentions administratives prolongées, restrictions de la liberté de circulation, expulsions, expropriations, destructions de biens, confiscations de biens, crimes de guerre contre des civils, des enfants ayant même été tués. Nous ressentons ce besoin urgent d’une protection internationale de nos droits et de nos libertés par le biais d’un système de justice international.

Le système européen nous inspire: même si le rapport de M. de Vries montre les limites du système, le fait même que ce système existe est un véritable triomphe, une victoire dont l’Europe devrait être fière.

M. BABAYAN (Arménie)* – L’Arménie apprécie à sa juste valeur le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui assure la protection effective des droits de 800 millions de personnes dans les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe.

À plusieurs reprises, la Cour a rendu des arrêts sur la protection des droits des personnes déplacées. La Cour a examiné pour la toute première fois les droits des personnes déplacées en 1996, nombre d’affaires similaires ayant été examinées depuis dans lesquelles la Cour a appliqué la Convention européenne des droits de l’homme concernant les personnes déplacées.

Le jour où la Cour a adopté l’arrêt Chiragov, elle a adopté un autre arrêt protégeant les droits de M. Sargsyan, qui a été déplacé de force par l’Azerbaïdjan depuis le village de Golestan dans la région de Chahoumian. Dans les deux affaires, la Cour a adopté des arrêts quasi identiques, soulignant la violation des mêmes droits de la Convention. Il est important de noter que Bakou tente à tout prix d’éviter de mentionner l’arrêt Sargsyan c. Azerbaïdjan. Au paragraphe 32 de cet arrêt, on peut lire qu’en avril-mai 1991, les forces internes du l’URSS et l’OMON – unités de la milice pour les opérations spéciales – de la République socialiste soviétique de l’Azerbaïdjan ont lancé une opération militaire dont l’objectif officiel était de contrôler les passeports et de désarmer les milices. Selon plusieurs sources, les forces gouvernementales ont utilisé ce prétexte pour expulser la population arménienne de nombre de villages de la région de Chahoumian, expulsions accompagnées d’actes de violence envers la population civile.

En 1992, lorsque le conflit a dérapé en véritable guerre, la région de Chahoumian a fait l’objet d’attaques par les forces de l’Azerbaïdjan. Les Arméniens d’autres régions ont connu la même destinée. La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que l’Azerbaïdjan avait exercé de la violence sur la population arménienne et l’avait expulsée du Haut-Karabakh.

Au paragraphe 216, la Cour rappelle que le requérant est l’un parmi des centaines de milliers d’Arméniens ayant fui le conflit en abandonnant tout derrière eux. Lorsqu’on est familiarisé avec les tenants et aboutissants de cette affaire, il apparaît clairement pourquoi l’Azerbaïdjan préfère se taire au sujet de cet arrêt: il n’est pas en mesure de justifier son approche, qui est tout sauf constructive. De ce fait, l’Azerbaïdjan préfère falsifier l’arrêt: c’est le seul recours qu’il lui reste encore. L’exploitation à mauvais escient de l’affaire Chiragov n’est que le dernier témoignage de l’attitude permanente de l’Azerbaïdjan.

LE PRÉSIDENT* – La liste des orateurs est épuisée. Nous en venons à la réplique de la commission.

M. de VRIES (Pays-Bas), rapporteur* – Pour ne rien oublier, je commencerai par indiquer que la rédaction d’un rapport aussi long serait impossible sans une équipe de qualité. Je salue Mme Szklanna et M. Drzemczewski qui m’ont beaucoup aidé dans cette tâche.

Certains de mes collègues ont remarqué que le rapport n’était pas toujours à jour. Ils ont raison. Ce fut le cas de M. Corlăţean évoquant la Roumanie: oui, certaines réformes ont été menées, mais nous ne pouvons les expliciter en détail, notamment sur les sites internet.

Je répondrai à Mme Grozdanova, de Bulgarie, que 50 affaires ont été clôturées le 24 septembre, donc très récemment. Si le rapport a été actualisé par la commission juridique à plusieurs reprises et comprend donc des annexes, les 15 affaires évoquées n’ont pu être incorporées.

Je fournirai la même réponse à M. Nicolaides qui a abordé une affaire interétatique, pour laquelle la décision a été rendue la semaine dernière et que je n’ai pu prendre en considération.

Cela dit, je ne pense pas que ce soit l’essence même du sujet. Observons plutôt les chiffres. Un parlementaire a déclaré à juste titre que l’on ne pouvait examiner nécessairement le contenu des affaires, mais le fait d’avoir à gérer plus de 10 000 affaires est un problème en soi.

Je vous remercie de votre appui, je remercie également tous les groupes politiques qui ont affirmé qu’après avoir étudié la charge de travail en attente de la Cour par le passé, il était essentiel de se concentrer davantage aujourd’hui sur la mise en œuvre des arrêts, d’autant que tout arrêt non mis en œuvre donne lieu à de nouvelles affaires présentées devant la Cour. Au surplus, cet état de fait entraîne un déni de justice ou un retard dans l’administration de la justice, ce que vous ne souhaitez pas en tant que Conseil de l’Europe et ce que d’ailleurs personne ne souhaite.

De nombreux collègues ont formulé des remarques sur la façon de traiter le problème. En fait, ce n’est pas si compliqué: ce n’est pas le Comité des Ministres qui est chargé de la mise en œuvre, mais bien les gouvernements nationaux. Si donc vous trouvez quelque chose dans ce dossier qui porte sur votre pays, eh bien, déchirez la page concernée et présentez-la à votre ministre de la Justice et interrogez-le sur ce qu’il met en œuvre pour résoudre la question. S’il vous répond que la situation est difficile, recommandez-lui l’élaboration d’un plan. S’il vous rétorque que l’application du plan prendra un ou deux ans, dites-lui que cela prendra donc deux ans, mais qu’il faut mener à bien cette mission et agir, sans quoi des problèmes se poseront aux parlementaires du Conseil de l’Europe.

En tant que parlementaires, il est aisé de s’exprimer sur les problèmes que connaissent d’autres pays. Il est également facile de parler du Comité des Ministres qui doit traiter de la question en tant que telle et interagir avec les pays concernés. Si des milliers de cas n’ont pas été réglés, on peut dire que la situation est inadmissible.

Les pays concernés font de grandes choses. Pourquoi ne seraient-ils pas en mesure de respecter leurs promesses envers les citoyens et assurer la meilleure protection possible des droits de l’homme au niveau mondial? C’est une situation extrêmement grave et il me semble que l’Assemblée est bien placée pour se prononcer sur la question. Les membres, à titre individuel, ont la possibilité d’interagir avec leur gouvernement. Il convient d’être plus rigoureux avec les ministres. Ainsi que je l’ai rappelé, le nombre d’affaires pendantes devant le Comité des Ministres, d’arrêts non exécutés avoisine les 11 000. Parfois, les gouvernements n’acceptent pas les arrêts. C’est le cas de l’administration de la justice, mais le rôle de la Cour est de régler les affaires. Avec les outils dont elle dispose, elle trouvera très généralement une solution considérée comme juste.

Il nous appartient d’agir, chacun dans notre pays. Certes, nous pouvons nous tourner vers les autres pays, mais si nous rentrons chez nous avec une liste d’affaires concernant notre pays, nous pourrons dialoguer avec nos gouvernements pour envisager des mesures correctrices. Nous assumerons alors nos responsabilités. Telle est l’essence de la thématique: être responsable pour d’offrir à nos citoyens le meilleur système de justice disponible.

LE PRÉSIDENT*– Monsieur Clappison, vous disposez d’un temps de parole de 2 minutes.

M. CLAPPISON (Royaume-Uni), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Le débat a bien montré l’importance vitale de ce sujet et de ce rapport.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte pour remercier trois personnes en particulier. Le Président Spielmann a pris le temps de participer à nos débats aujourd’hui et est prêt à discuter avec nos parlements nationaux sur la nécessité pour les Etats de répondre aux normes de la Convention européenne des droits de l’homme. Notre Présidente, Mme Brasseur, au cours de ses visites dans nos capitales, a insisté sur la nécessité pour nos législations nationales d’appliquer les arrêts de la Cour. Enfin, je remercie notre rapporteur, Klass de Vries, pour son rapport ainsi que pour sa contribution à notre commission et aux travaux de l’Assemblée, en particulier son travail en tant que président de la commission de notre Assemblée pour l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Son travail a été exemplaire, et ce pour longtemps.

La commission appuie pleinement ce rapport et le travail qui l’a accompagné. Au paragraphe 11 du projet de résolution, il est souligné que l’Assemblée doit demeurer saisie de cette question et œuvrer pour accélérer l’exécution des arrêts de la Cour. Les droits de l’homme doivent être respectés et nous devons nous souvenir que, derrière, des citoyens attendent que leurs droits soient protégés, surtout dans des cas très graves où leurs droits ont été violés. Ils considèrent notre Assemblée et la Cour comme les garants de ces droits. D’où l’importance de notre débat et voilà pourquoi les travaux de Klass de Vries devaient être menés à bien.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a présenté: un projet de résolution sur lequel 1 amendement a été déposé, et un projet de recommandation sur lequel aucun amendement n’a été déposé.

Nous en venons tout d’abord au projet de résolution.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps d’intervention sur l’amendement est limité à 30 secondes.

Je suis donc saisi de l’amendement 1.

Mme SOTNYK (Ukraine)* – Par respect pour le travail du rapporteur, nous retirons notre amendement.

Je veux toutefois souligner que comme plusieurs collègues, j’estime que les décisions de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie méritent une profonde analyse, voire un rapport à part.

LE PRÉSIDENT* – L’amendement est retiré.

Le projet de résolution, contenu dans le Doc. 13864, est adopté (80 voix pour, 0 voix contre et 3 abstentions).

LE PRÉSIDENT* – Nous allons maintenant procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le document 13864.

Le projet de recommandation est adopté (86 voix pour, 0 voix contre et 2 abstentions).

2. Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle maintenant la discussion du rapport sur «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique», présenté par M. Huseynov au nom de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias (Doc. 13851).

Nous entendrons également les avis présentés par Sir Edward Leigh, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 13886) et par Mme Maury Pasquier, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable (Doc. 13871).

Je vous rappelle que nous devrons en avoir terminé avec l’examen de ce texte, votes inclus, à 20 heures. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 19 h 15, afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan), rapporteur de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias * – Madame la Présidente, mes chers collègues, dans certaines langues, naître est synonyme d’être libre: il existe un lien direct entre le fait de naître et celui de commencer sa vie en société. Une des libertés indispensables à l’être humain est la liberté de religion. Le rapport que je vous présente aujourd’hui intéresse chacun d’entre vous puisqu’il traite des problèmes liés au dialogue interreligieux et interculturel, à la liberté de religion, à la formation d’un environnement tolérant en Europe. Des sujets que notre Assemblée a examinés à différentes reprises. Ce rapport fait suite aux différents rapports déjà examinés, et ne répond pas à toutes les questions soulevées par ce problème.

Hier, nous avons discuté de la situation dramatique des milliers de migrants qui arrivent en Europe. L’Europe citadelle ne semble plus protéger les pays européens, dont les citoyens perçoivent ces migrations comme une invasion. Il est évident que ces flux migratoires ont dépassé la capacité du continent à répondre à ce défi. La situation affecte la perception que l’on peut avoir de la coexistence entre les communautés, tout comme certains discours politiques. On ne veut plus de l’autre et des murs sont même construits dans certains pays. En comparaison, la liberté de religion peut paraître un sujet peu important. Personnellement, je ne pense pas que ce soit le cas.

Nos sociétés démocratiques sont davantage menacées de l’intérieur que de l’extérieur, par le fanatisme et l’extrémisme religieux; les attentats terroristes du début d’année en sont la preuve. Mais nous sommes également menacés par l’intolérance, la xénophobie, la peur, le rejet de l’autre qui est perçu comme différent – de véritables cancers de nos sociétés que nous devons éradiquer. Des sentiments qui alimentent les mouvements d’opposition à tout nouveau flux migratoire. Le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme sont en jeu.

Mon rapport traite de l’approche par nos sociétés démocratiques de la liberté de religion. Nous devons avoir une attitude moins négative face à ce qui nous est étranger. La liberté de religion est un droit fondamental. Certains pensent qu’il est moins important que d’autres droits de l’homme. Or les droits de l’homme ne peuvent pas être hiérarchisés; ils sont complémentaires et liés entre eux. Ils se renforcent mutuellement. La liberté de religion est donc aussi importante que la liberté de pensée ou d’association. Il est essentiel, pour les croyants, de pouvoir jouir de ce droit sans être arrêtés illégalement et d’avoir accès à des tribunaux indépendants.

La dignité humaine serait menacée en cas de non-respect de la liberté de religion. Je suis profondément convaincu que la religion et la possibilité de vivre conformément à ses principes religieux ne sont pas contradictoires avec le fait de vivre ensemble.

Deux raisons m’ont poussé à me concentrer sur la liberté religieuse et sur le vivre ensemble dans nos sociétés démocratiques.

D’abord, la religion est considérée comme une source de division, de conflits, vision malheureusement perpétuée par les horreurs commises par Daech alors que, soyons clairs, il n’y a aucun Dieu derrière de telles horreurs, derrière les discours de haine de cette organisation. Nous devons être capables de distinguer entre ceux qui prônent vraiment la liberté de religion et ceux qui prétendent pratiquer la «vraie» religion contre les autres. Nos sociétés démocratiques doivent donc être capables, j’y insiste, d’offrir de réelles garanties à cette liberté fondamentale qu’est la liberté religieuse.

Ensuite, comment les autorités publiques peuvent-elles faire face aux groupes djihadistes et à leur propagande qui attire tant de jeunes, leur inculquant la haine de leur propre pays? Ce phénomène suscite méfiance et peur, ce qui ne nous aidera pas. Les promoteurs des droits de l’homme et les représentants des religions doivent travailler dans le respect mutuel. L’Etat, à cette fin, doit reconnaître le rôle des religions et leur permettre d’être présentes de manière constructive dans la société. Bien sûr, tout dépend de la reconnaissance par les religions des principes qui sous-tendent nos sociétés démocratiques.

C’est pourquoi, dans mon rapport, j’insiste, d’une part, sur le devoir fondamental qu’ont les religions de promouvoir celles de leurs valeurs qui défendent le vivre ensemble et, d’autre part, sur la responsabilité des Etats qui doivent permettre à toutes les croyances d’être respectées – qu’elles soient religieuses ou non d’ailleurs. Aucune restriction ne doit limiter la liberté religieuse dans nos sociétés démocratiques qui doivent garantir l’égalité des communautés religieuses entre elles.

Mon projet de résolution touche à certains sujets sensibles comme des pratiques religieuses controversées: le port du voile intégral, la circoncision ou les abattages rituels. Il s’agit de réaffirmer le point de vue de l’Assemblée sur des questions sur lesquelles nous ne devons pas ignorer que nous sommes divisés. Aussi devons-nous construire sur ce que nous avons en commun et éviter de soulever des points controversés. Notre jurisprudence est solide mais nous devons également appliquer les normes minimales qui en découlent.

Par ailleurs, j’insiste sur l’éducation pour promouvoir la confiance, le respect mutuel et des valeurs partagées. L’école doit être un lieu de rencontre, de dialogue constructif entre des individus qui n’ont pas les mêmes croyances, un dialogue devant leur permettre de s’ouvrir sur d’autres visions du monde que la leur. De ce point de vue, les Etats et les communautés religieuses doivent collaborer pour que l’enseignement des religions soit une opportunité pour écouter les autres et développer l’esprit critique.

Enfin, je propose que le Conseil de l’Europe établisse une plateforme stable de dialogue rassemblant des représentants des grandes religions et ceux d’organisations non confessionnelles, afin de promouvoir ce vivre ensemble. Cela n’a rien de nouveau, remarquerez-vous, puisque notre Assemblée, dans un rapport de Mme Brasseur, avait déjà formulé des propositions du même type; or, comme nous n’avions pris alors aucune décision, il est temps de demander au Comité des Ministres de mettre en œuvre cette proposition.

LE PRÉSIDENT* – Il vous reste 3 minutes 30, Monsieur le rapporteur, pour votre réponse aux orateurs.

Sir Edward LEIGH (Royaume-Uni), rapporteur pour avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Au nom de la commission des questions juridiques, je félicite le rapporteur pour son travail complet et qui met l’accent sur le fait que les religions sont importantes pour la cohésion des sociétés et qu’elles ne comportent rien d’intrinsèquement mauvais. Les religions ne doivent pas être jugées, en effet, à l’aune des actions menées par quelques individus qui s’en réclament.

Le rapport revient sur la nécessité de promouvoir une culture du vivre ensemble et des aménagements raisonnables avec les religions, tant il est vrai que nous sommes confrontés à une intolérance croissante. En outre, M. Huseynov met l’accent sur trois points principaux: le port du voile intégral dans l’espace public, la circoncision des jeunes garçons et l’abattage rituel des animaux.

Nous avons proposé quelques amendements au projet de résolution. Il s’agit avant tout de prendre en considération la terminologie bien spécifique de la Cour européenne des droits de l’homme tout en l’inscrivant dans un contexte européen plus large.

Il est important de souligner le fait que sur nombre des points évoqués il n’y a pas de consensus européen. Existe par ailleurs la tentation d’imposer un diktat universel comme si nous étions tous d’accord. Or, j’y insiste, nous ne sommes pas d’accord entre nous, par exemple, sur le port du voile intégral dans l’espace public. Depuis 2010, la République française l’a interdit et, en 2014, les juges de la CEDH ont eu à se prononcer sur cette décision. La moitié des länder allemands interdisent quant à eux aux enseignants de porter le voile intégral malgré une décision contraire de la Cour constitutionnelle de cet Etat. La plupart des pays européens ont une approche beaucoup plus libérale: ainsi, au Royaume Uni, le niqab est tout à fait autorisé.

Il faut reconnaître la réalité de ces divergences et imposer un diktat à l’échelle européenne, je le répète, visant à interdire le port du voile intégral, ne renforcera pas la confiance dans les institutions européennes. Nous devons admettre la pleine légitimité de la diversité. Je vous renvoie au paragraphe 8 du projet de résolution qui invite les Etats membres à éviter d’imposer des normes générales. La législation ayant évolué depuis les derniers arrêts rendus par la CEDH, la commission des questions juridiques a décidé de retirer sa proposition relative au paragraphe 8. Je ne vous en encourage pas moins à approuver ce rapport équilibré et qui montre bien que la religion a tout à fait sa place au sein de nos sociétés.

Mme MAURY PASQUIER (Suisse), rapporteure pour avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable – Le rapport préparé par la commission de la culture se place dans la continuité de la résolution adoptée par notre assemblée en 2013 sur le droit des enfants à l’intégrité physique. Certains y ayant vu, à tort, une attaque contre la liberté de religion, il a semblé nécessaire de proposer une nouvelle résolution, dont nous discutons aujourd’hui, et qui représente, d’une certaine manière, le pendant de la résolution sur le droit des enfants à l’intégrité physique.

Je ne peux que me féliciter de constater que le nouveau texte rappelle que toutes les Églises et communautés religieuses ont la responsabilité de respecter la dignité humaine et les droits fondamentaux, protégés par nos constitutions démocratiques, et que ces valeurs et principes ne sont pas négociables mais doivent prévaloir sur toute norme sociale ou religieuse. Ce texte appelle également toutes les parties prenantes à s’ouvrir au dialogue, ce qui me semble particulièrement important dans la période que nous vivons et qui voit les discours haineux se développer de manière particulièrement inquiétante.

La commission des questions sociales a proposé quatre amendements au texte de M. Huseynov, dans un esprit de recherche de consensus et d’apaisement, et je suis heureuse de constater que ces amendements ont été acceptés à l’unanimité par la commission de la culture, en espérant qu’il en ira de même en séance plénière.

Comme je l’ai déjà dit, je me félicite de la continuité des travaux de l’Assemblée parlementaire quant aux pratiques religieuses. Cependant, je souhaiterais attirer l’attention sur une partie de l’exposé des motifs préparé par M. Huseynov, et qui me semble refléter un malentendu par rapport au texte précédemment adopté par l’Assemblée.

En effet, M. Huseynov affirme, au paragraphe 37 du rapport explicatif, que la Résolution sur le droit des enfants à l’intégrité physique induit en erreur en mettant sur le même plan la circoncision des jeunes garçons et d’autres interventions plus néfastes. Tel n’est pourtant pas le cas. En effet, cette résolution établit une distinction quant au degré de sévérité et aux conséquences des différentes interventions, en jugeant notamment les mutilations génitales féminines et les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués comme étant les plus graves. Toutefois, en adoptant la résolution précédente, l’Assemblée a clairement conclu que la circoncision des jeunes garçons représentait une violation de l’intégrité physique des enfants concernés.

Cela étant, je perçois la volonté du rapporteur et de la commission de la culture de préparer un texte équilibré et axé sur une démarche positive de sensibilisation, d’éducation et de dialogue, une approche que la commission des questions sociales soutient pleinement. Oui, certains droits fondamentaux entrent parfois en concurrence, voire en opposition. Charge à nous de mettre en œuvre, maintenant, ces résolutions garantissant à la fois le droit à la liberté de religion et le droit à l’intégrité physique des enfants, dans ce même esprit de dialogue et d’éducation.

Mme Brasseur, Présidente de l’Assemblée, reprend place au fauteuil présidentiel.

LA PRÉSIDENTE – Nous abordons à présent la discussion générale en commençant par les porte-parole des groupes.

M. LOGVYNSKYI (Ukraine), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Il me semble que la pertinence de ce rapport est illustrée par son titre. L’Europe est un continent multiculturel, qui accueille de nombreuses religions. Celles-ci doivent avoir la possibilité de coexister et de se développer dans la paix et dans la liberté. Je suis très heureux de constater que l’Assemblée parlementaire a aujourd’hui la possibilité de renforcer la liberté de religion et le droit des croyants à préserver leur identité. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné à de nombreuses reprises que la liberté de pensée, de conscience et de religion, constitue l’un des fondements de toute société démocratique. Cette liberté doit être protégée sans pour autant être illimitée. Le rapport propose un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu.

L’autonomie et l’indépendance des communautés religieuses font partie intégrante du pluralisme. La neutralité religieuse et le traitement équitable de toutes les communautés devraient constituer des principes de base pour tous les Etats européens. En Crimée, des discriminations touchent actuellement toutes les confessions à l’exception de l’Eglise orthodoxe russe. Les Tatares sont plus particulièrement stigmatisés. La situation est inadmissible et doit être condamnée avec la plus grande fermeté. L’Etat doit promouvoir la diversité religieuse comme une condition de la paix, de la sécurité et de la stabilité du pays.

Je tiens à féliciter le rapporteur pour son excellent travail, qui mérite d’être soutenu par l’Assemblée. Permettez-moi pour finir, mes chers collègues, de vous convier ce soir à une soirée au restaurant du Palais de l’Europe en l’honneur des Tatares de Crimée.

LA PRÉSIDENTE* – Nous vous remercions pour cette invitation!

M. HEER (Suisse), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* –
J’aimerais à mon tour féliciter le rapporteur pour son approche équilibrée. Malheureusement, nombreux sont les conflits de par le monde qui ont une origine religieuse. L’Europe reste pour l’heure épargnée et nous devons nous efforcer de préserver un vivre ensemble pacifique sur notre continent. La pratique d’une religion doit être possible, mais dans certaines limites. La dignité humaine doit être respectée, tout comme les principes de l’Etat de droit et les libertés individuelles. Le droit des jeunes filles à l’éducation ne doit pas être limité par la religion, ni même toléré. Un dialogue entre les responsables politiques et les responsables religieux de toutes les confessions doit s’établir. Les responsables religieux doivent connaître les limites imposées par la politique, l’Etat de droit et l’existence même d’autres religions. La religion recherche le bien de l’être humain. À une époque, les religions vivaient en paix au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Un jour peut-être reverrons-nous les communautés vivre en harmonie dans cette région du monde.

En ce qui concerne la circoncision, elle correspond à une tradition vieille de milliers d’années. Personnellement, je ne la considère pas comme une enfreinte à l’intégrité physique des jeunes garçons. Les mutilations génitales imposées aux jeunes filles sous prétexte de rituels religieux, en revanche, sont de nature très différente et doivent être condamnées, d’où ma proposition d’amendement.

M. KIRAL (Ukraine), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Je souhaite à mon tour, au nom du Groupe des conservateurs européens, féliciter M. Huseynov pour son excellent rapport, clair et facilement compréhensible.

Nous vivons une époque difficile, pleine de défis et de crises, que l’on pense seulement à l’invasion russe en Ukraine ou à la présence de Daech en Syrie. En Europe, certains utilisent la religion des migrants comme un argument dans leur rhétorique politique, mais la religion fait partie de la civilisation. Elle propose des leçons de vie qui nous rendent plus forts. Plus les religions sont nombreuses dans une société, plus les individus peuvent s’épanouir.

Ce sont les valeurs qui permettent à ces religions d’être pratiquées. Ces valeurs qui devraient nous être communes forment une norme sociale qui ne doit pas s’immiscer dans nos vies psychiques ou sociales.

Je songe notamment au fait que certaines pratiques religieuses ne doivent pas être interdites – je suis d’accord sur ce point avec mon collègue du Groupe des conservateurs européens – mais dépendent de la décision de communautés et sociétés spécifiques. Ici, l’éducation joue un rôle décisif; nous devrions donc encourager les programmes d’échange entre les pays de religion différente.

L’Allemagne va être confrontée à de sérieux défis: les médias faisaient état hier de conflits entre migrants chrétiens et musulmans dans les camps de réfugiés allemands. Cela s’explique par l’absence de mesures appropriées, alors que les outils existent, comme l’instauration de conseils interreligieux ou l’implication des organisations religieuses et de la société civile aux côtés de l’administration.

Je vous encourage à lire ce rapport et j’invite les Etats membres à tenir compte du projet de résolution et du projet de recommandation pour élaborer leur politique en la matière.

M. JÓNASSON (Islande), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je remercie à mon tour le rapporteur pour ce bon rapport qui arrive à point nommé. C’est un appel à la tolérance et au respect du pluralisme.

Nous en avons plus besoin que jamais dans un monde littéralement en mouvement, où des centaines de milliers, des millions de personnes émigrent, le plus souvent pour fuir la guerre et la pauvreté. Il est formidable de voir que la plupart des gens accueillent ces migrants avec chaleur et générosité. La situation est terrible mais conduit les habitants des pays hôtes à montrer le meilleur d’eux-mêmes. Les débats et résolutions de cette Assemblée au cours de la présente partie de session en sont le reflet. Il existe toutefois des exceptions. Des voix hostiles aux nouveaux venus se font entendre dans les pays d’accueil: les valeurs chrétiennes seraient en danger. D’où la nécessité d’un rapport aussi ouvert que celui qui nous est soumis.

Il aurait toutefois pu l’être davantage encore. À cet égard, j’aimerais faire état des commentaires de l’Union internationale humaniste et éthique: quand il s’agit de religion, n’oublions pas qu’une approche philosophique et non religieuse des questions fondamentales constitue elle aussi une croyance, à l’égal des croyances religieuses. Le système d’enseignement devrait également le reconnaître en dispensant des cours sur les religions, plutôt que les cours de religion évoqués dans le paragraphe 13.4 du projet de résolution.

J’approuve néanmoins l’Union internationale humaniste et éthique lorsqu’elle appuie résolument la recommandation selon laquelle le Comité des Ministres devrait «créer une plate-forme de dialogue, stable et formellement reconnue, entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles». Selon l’Union internationale humaniste et éthique, une telle plate-forme permettrait des rencontres constructives entre toutes les parties, qui pourraient ainsi trouver des solutions communes aux problèmes qui se posent.

J’appelle également l’attention sur le paragraphe suivant du projet de recommandation: «l’Assemblée estime […] que, dans ce contexte, le Conseil de l’Europe devrait renforcer et rendre plus concrète sa collaboration avec les principales communautés religieuses et les principales organisations européennes représentant le monde humaniste et philosophique laïque». Je soutiens ce point de vue, comme l’esprit de tolérance du rapport et son appel au dialogue entre les organisations religieuses et les autres organisations fondées sur la religion ou sur la croyance.

M. MAHOUX (Belgique), porte-parole du Groupe socialiste – Qui pourrait ne pas souscrire aux objectifs de ce rapport – assurer la liberté de religion et promouvoir le vivre ensemble dans une société démocratique? La liberté de croire et de pratiquer sa religion fait partie des libertés fondamentales. Elle implique le respect des croyances dans la mesure où celles-ci ne sont pas en contradiction avec les droits fondamentaux et n’empiètent pas sur les libertés individuelles – je pense en particulier à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Elle implique aussi la prépondérance du droit, et particulièrement des droits de l’homme, sur les impératifs religieux librement choisis par ceux qui adhèrent à une religion: ces impératifs, qui relèvent de la vie privée, ne peuvent en aucun cas interférer dans la vie publique.

Cela n’implique évidemment pas que, dans le respect de la loi, les opinions religieuses ne puissent s’exprimer et que les communautés religieuses et leurs membres n’aient pas le droit de gérer des institutions – pour peu, bien sûr, que les lois s’y appliquent, particulièrement dans les secteurs de la santé, de l’éthique et de l’enseignement.

Le rapport fait état de situations concrètes – circoncision, abattage rituel, voile, particularités alimentaires… – largement discutées dans nos parlements et qui ne font pas l’objet de positions univoques. Est-ce vraiment le rôle de notre Assemblée? Est-elle habilitée à dicter des conduites eu égard aux décisions prises dans chacun de nos Etats, lesquels sont directement confrontés à ces situations? Est-ce vraiment à elle de recommander des «accommodements raisonnables» qui peuvent renforcer le communautarisme et peut-être faire obstacle au vivre ensemble?

Je veux souligner avec force que si la liberté de religion s’impose à tous, il en est de même du droit de croire ou de ne pas croire, de croire ou de ne plus croire, de changer de religion ou d’abandonner la religion à laquelle on adhérait. C’est important; or ce n’est pas rappelé dans le rapport qui nous est présenté.

Enfin, si, comme y insiste la résolution, il convient que l’Etat crée toutes les conditions qui favorisent le vivre ensemble, il ne peut ni ne doit en aucun cas interférer dans l’organisation des cultes. La séparation des Eglises et de l’Etat implique des responsabilités: à l’Etat, il incombe de permettre la liberté de religion et de ne pas s’ingérer dans les religions. Bref, pour reprendre une formule qui inspire le respect, gardons à César ce qui est à César, et aux dieux, s’il échet, ce qui est aux dieux.

Mme MAGRADZE (Géorgie)* – Je tiens à remercier M. le rapporteur qui traite là d’un sujet très délicat et dont la tâche n’a sans doute pas été facile. Compte tenu de l’actualité internationale, ce rapport est vraiment très important et il est vrai que l’on peut en avoir plusieurs lectures.

Le rapporteur nous dit qu’il faut éviter, dans nos sociétés, toute restriction à la liberté de religion qui ne soit pas indispensable. Lorsque dans un Etat laïque, plusieurs religions cohabitent, il convient de s’en tenir aux prescriptions légales, indispensables au vivre ensemble dans un Etat démocratique. Les libertés essentielles, dont la liberté de religion, doivent être respectées, et les religions doivent comprendre quelles sont les lois d’un Etat démocratique et ces lois prévalent sur toute considération religieuse.

Je viens d’un des plus anciens Etats chrétiens de la planète, la Géorgie, mais mon pays compte bien d’autres religions, des musulmans et des juifs, et nous vivons tous en paix. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas parfois des tensions ou des conflits. Nous avons connu des dissensions entre des chrétiens et des musulmans sur la construction de certaines mosquées ou madrasas mais, grâce à la concertation entre les leaders religieux, nous avons su trouver des solutions pacifiquement.

Ce qui importe, c’est la façon dont l’Etat réagit. Chaque fois que nous avons connu des conflits interreligieux, le Gouvernement géorgien s’est prononcé contre toute forme de discrimination envers telle ou telle religion et a dénoncé tous les crimes fondés sur la religion. Plusieurs procès importants ont été menés pour lutter contre l’intolérance religieuse. En 2015, le parquet géorgien a ouvert sept enquêtes pour des crimes dus à l’intolérance religieuse. Mais, au fond, il a souvent été constaté que les faits n’étaient pas liés à l’intolérance religieuse et que d’autres motifs entraient en jeu.

Nous avons auprès du Premier ministre une agence pour le dialogue avec les religieux. Cette agence est le mécanisme approprié pour résoudre ou prévenir les conflits ayant des causes religieuses.

Le rapport de M. Huseynov contient d’excellentes recommandations. Il est vrai que nous avons besoin de lois anti-discrimination qui s’inspirent des résolutions du Conseil de l’Europe, mais le principal défi n’est pas de savoir si nos lois sont adaptées, mais il est d’en faire respecter les principes dans la vie quotidienne.

M. UNGURYAN (Ukraine)* – Je remercie également M. Huseynov de cet intéressant et très important rapport, qui touche à un thème extrêmement délicat.

L’intitulé même de ce document, «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique», représente bien notre objectif dans une société démocratique: il s’agit bien d’être ensemble.

En Ukraine, que je représente au sein de cette instance, un conseil des religions regroupe toutes les religions qui y sont recensées: les Eglises orthodoxe, catholique, grecque et romaine, les Eglises évangéliques et protestantes ainsi que deux organisations juives et trois organisations musulmanes. Ce conseil des religions est une instance particulièrement importante dans notre pays. Il ne s’agit pas d’un conseil officiel à proprement parler, mais il a beaucoup d’autorité et de prestige.

Malheureusement, mon pays connaît quelques problèmes en ce XXIe siècle, notamment dans les territoires occupés dans la partie orientale de l’Ukraine, comme vous le savez, Madame la Présidente. À l’article 9 de leur constitution, les terroristes de Donetsk ont indiqué que la seule croyance reconnue en République de Donetsk était la foi professée par le patriarcat orthodoxe de Moscou. Est-il possible de dire de telles choses au XXIe siècle?

Après avoir inscrit cet article dans leur constitution, ils ont engagé des persécutions contre des catholiques, des évangélistes, des protestants. Certains d’entre eux ont été tués et les lieux de culte qui abritaient ces communautés ont été détruits.

J’invite donc tous les parlementaires présents à appuyer le projet de résolution de M. Huseynov, puisque au XXIe siècle, malheureusement, nous avons encore besoin d’en appeler à la liberté de religion pour vivre ensemble dans une société démocratique.

M. DOKLE (Albanie) – Dans mon pays, l’Albanie, près de 40 % de la population est de provenance chrétienne, notamment orthodoxe et catholique, le reste étant de descendance musulmane, subdivisée en sunnites et bektashis. Si ce petit pays avait été une scène de guerre religieuse, il serait d’ores et déjà effacé de la carte de l’Europe, mais ce qui s’est produit en Albanie a été considéré, à juste titre, comme un petit laboratoire de coexistence entre les différentes religions, de tolérance et de reconnaissance de l’autre comme étant à la fois différent et égal.

Sa Sainteté le pape François a entrepris sa première visite européenne par l’Albanie, car, comme il l’a déclaré lui-même, «ce petit pays a souffert énormément sous la chape d’un régime athée sans précédent tandis qu’aujourd’hui, il est l’espace d’une cohabitation pacifique entre les diverses composantes religieuses.»

Les croyants des différentes religions ont souffert et ont dû consentir d’innombrables sacrifices pendant la dictature communiste et la résurrection de l’Albanie moderne ne saurait se concevoir sans la communion spirituelle et institutionnelle entre les diverses réalités religieuses. En fait, l’Albanie est un exemple qui déçoit tous ceux qui utilisent la religion pour nourrir les conflits. «Elle est terre de la fraternité entre les religions» devait déclarer le pape François.

Voici trois semaines à Tirana a eu lieu un grand événement, auquel ont participé plus de 400 représentants de toutes les grandes religions du monde et dont le grand message était que la paix est possible. Elle est effectivement possible lorsque tous travaillent ensemble!

Je repense souvent à l’année 1997. L’Albanie fut cette année-là la scène d’un grand conflit politique, susceptible de basculer en guerre civile. À Shkodër, une ville du nord du pays, des groupes armés ont saccagé et brûlé des magasins, des banques, voire certaines écoles. Mais, des nuits entières, de jeunes musulmans ont veillé auprès de l’église de la ville pour qu’elle ne soit pas touchée et des jeunes catholiques ont protégé la mosquée de la ville.

Sans vouloir aller plus loin, je tiens à souligner que, dans ces temps troublés que nous connaissons, il est de la plus haute importance de savoir préserver les prémices d’un avenir de paix, de coexistence et de respect réciproque entre les diverses religions.

Nous devons comprendre que, pour réaliser cet avenir, il est nécessaire de passer par la réconciliation et les compromis, la médiation pacifique, la tolérance et la bienveillance envers l’autre.

Je suis convaincu que la situation empire chaque fois que ces éléments viennent à manquer, chaque fois que l’on ne respecte pas la philosophie de notre Organisation, le Conseil de l’Europe, selon laquelle nous sommes «tous sont différents, tous égaux».

LA PRÉSIDENTE – M. Badea, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

Mme JONICA (Monténégro)* – Le vivre ensemble est une des choses les plus importantes pour toutes les sociétés démocratiques et nous considérons que la liberté de religion en fait partie et qu’elle est même encore plus importante que par le passé.

Je remercie M. Huseynov et le félicite pour son excellent travail, mais je m’inquiète de la mise en œuvre des résolutions et autres documents que nous adoptons ici: ont-ils réellement une influence sur le respect des droits de l’homme et sur l’Etat de droit dans nos pays? Je soutiens cette résolution, mais je m’inquiète de sa mise en œuvre. Vous avez écrit: «les Etats et les religions devraient œuvrer ensemble, afin d’encourager le dialogue et le respect mutuel». Mais comment puis-je parler ici de ce sujet tout en sachant ce qui se passe en ce moment même dans mon pays?

Le Gouvernement du Monténégro prépare un projet de loi sur la liberté de religion sans la participation des Eglises et des communautés religieuses. S’agit-il là d’un dialogue? Nombre de citoyens auraient pourtant souhaité participer à un débat public sur ce projet de loi, mais ils n’ont pas eu la possibilité de le faire. Deux débats ont été annulés du fait d’une mauvaise organisation par le gouvernement et le dernier en date s’est tenu en présence de forces de police qui empêchaient les citoyens de pénétrer dans le bâtiment où il se tenait.

Si j’insiste sur les problèmes que pose ce projet de loi au Monténégro, c’est parce qu’il est difficile d’adopter des recommandations adressées aux Etats membres en faveur de l’exercice des droits et des libertés inscrits à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme sans mentionner un texte qui discrimine et humilie les Eglises et religions dans mon pays.

En effet, le texte en question contient une disposition qui prévoit que les bâtiments et les terres appartenant aux Eglises et communautés religieuses leur seront confisqués. Croyez-le ou non, les autorités du Monténégro qui, pendant des années, ont refusé de restituer des biens confisqués par le régime communiste, ont maintenant l’intention de nationaliser tous les bâtiments religieux qui ont été construits avant le 1er décembre 1918.

Tout aussi difficile à croire, le gouvernement propose également une configuration territoriale des communautés religieuses: le siège officiel de toutes les communautés doit être situé sur le territoire du Monténégro. Où est le droit des Eglises et communautés religieuses à se doter de leurs propres règles internes? Ce projet de loi ne garantit donc pas le droit pour ces Eglises et communautés religieuses d’exister librement, pourtant inscrit dans les instruments juridiques internationaux.

Les formulaires d’enregistrement devront également comporter, en annexe, les «textes authentiques», c’est-à-dire, pour les Eglises chrétiennes, l’Ancien et le Nouveau Testament. Toutes les Eglises traditionnelles et communautés religieuses – serbe orthodoxe, catholique et musulmane – sont clairement opposées à ce projet de loi. J’espère que la Commission de Venise rendra un avis sur ce texte et aidera notre gouvernement à le mettre en accord avec les règles internationales. Vu le projet de résolution dont nous débattons aujourd’hui, j’espère aussi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe suivra de très près les développements au Monténégro en la matière.

LA PRÉSIDENTE* – Chers collègues, je vous demande de bien vouloir respecter votre temps de parole, faute de quoi certains d’entre vous ne pourront pas intervenir dans le débat.

M. GHILETCHI (République de Moldova)* – Permettez-moi de remercier M. Huseynov et de le féliciter pour son rapport.

Je sais d’expérience à quel point il est difficile de rédiger un rapport équilibré dès lors que l’on parle de liberté religieuse. Or, en lisant ce rapport, j’y ai découvert des citations venant aussi bien d’un laïc que d’un rabbin et du pape François, ce qui montre bien que M. Huseynov a eu du courage, qu’il a fait preuve de tolérance et qu’il promeut effectivement la culture du vivre ensemble: il est lui-même musulman, mais il n’a pas hésité à citer des personnalités d’autres confessions ou croyances.

On lit, dans le paragraphe 2 du projet de résolution: «Les Eglises et les organisations religieuses font partie intégrante de la société civile et doivent prendre part, avec les organisations de conviction laïque, à la vie de la société.» C’est tout à fait exact. La semaine dernière, j’ai été critiqué dans mon pays pour des positions adoptées dans cette Assemblée. On m’a dit que j’étais contre la société civile. C’est faux. D’ailleurs, qu’est-ce que la société civile, sinon nous tous? M. Huseynov rappelle très bien que le principe de laïcité ne veut pas dire que, dans la société, les Eglises et la religion n’ont pas leur place.

J’ai été très heureux de lire ce rapport. Au-delà du fait qu’il est flatteur de lire une référence à un rapport qu’on a soi-même écrit, je dois dire que je crois vraiment au principe de l’aménagement raisonnable: si nous voulons une société fondée sur la diversité et unie dans la diversité, il faut effectivement tenir compte du fait que notre foi fait partie de notre identité et il faut donc mettre en œuvre ce principe d’aménagement raisonnable. Je suis heureux de constater que la Cour elle-même va dans ce sens, même si elle n’utilise pas l’expression.

Un mot sur les pratiques religieuses. Mme Maury Pasquier en a déjà parlé: M. Huseynov regrette que le rapport précédent ait été mal compris en ce qui concerne la circoncision. Sur ce point, le présent rapport présente une petite faiblesse. Il aurait fallu être plus courageux, Monsieur Huseynov; il aurait fallu dire clairement que la circoncision doit être autorisée. Quoi qu’il en soit, c’est un bon rapport et je vous en félicite.

Mme HOFFMANN (Hongrie) – Je voudrais d’abord féliciter le Conseil de l’Europe d’avoir décidé de demander la rédaction d’un rapport consacré à la liberté de religion. De plus, je félicite M. Huseynov qui a su soulever un grand nombre de questions très délicates et fournir des réponses équilibrées. Je suis tout à fait d’accord avec lui quand il propose d’ajouter au titre du rapport le «vivre ensemble», car c’est une des valeurs fondamentales de l’Europe et du Conseil de l’Europe.

L’idée du «vivre ensemble» développée dans le rapport est soutenue par le pape François, qui a prononcé un discours historique dans les murs de cette Organisation en novembre dernier, comme l’a rappelé hier Mme Brasseur.

Oui, c’est notre bien commun, pour lequel il faut encore faire beaucoup d’efforts, surtout si l’on pense à l’actualité, aux fortes tensions sociales, politiques et même religieuses provoquées par les flux migratoires.

La liberté de religion ne concerne à l’évidence que des religions servant le bien de l’humanité et ne menaçant pas l’ordre de nos sociétés. Le rapport distingue correctement entre ces deux catégories.

Je regrette en revanche que, alors que le rapport mentionne les pratiques juive et musulmane comme exemples de religion à soutenir, il ne prononce aucun mot sur la religion chrétienne. Moi qui connais relativement bien l’histoire et me reconnais dans cette religion, je trouve inacceptable que, dans les différents documents politiques de l’Europe, on ait l’air d’oublier le fait que l’Europe repose sur trois piliers: l’Antiquité, la religion juive et la religion chrétienne; le Grand-Duc du Luxembourg l’a rappelé hier dans son discours. De nos jours, les chrétiens sont menacés dans beaucoup de pays: le Conseil de l’Europe a même de rédiger un rapport sur ce sujet cette année.

Le deuxième paragraphe de la résolution affirme que les Eglises et les organisations religieuses font partie intégrante de la société civile: certes, mais elles font aussi partie des communautés, c’est-à-dire de la société-même car la religion a toujours une dimension commune.

Pour terminer, je dois vous informer que, dans ma patrie, en Hongrie, la liberté de religion est totale. Cela n’a pas toujours été le cas: il y a vingt-cinq ans, la liberté de religion existait dans les mots, mais pas dans la réalité.

Sir Roger GALE (Royaume-Uni)* – La commission de la culture a écouté avec le plus grand soin et dans le détail ce rapport; je ne vais donc pas me livrer à une nouvelle analyse, si ce n’est pour féliciter M. Huseynov pour ce qu’il accompli. Je demande instamment à tous de soutenir les amendements présentés par Edward Leigh.

J’ai beaucoup de chance: je suis membre de l’Eglise anglicane et ma circonscription compte une synagogue, une mosquée, une église catholique et bien d’autres églises. Je suis également membre du parlement et, même si mes électeurs savent que je ne suis pas nécessairement de leur religion, nous nous comprenons et ils respectent ma foi.

Ayant également eu l’occasion de voyager dans le cadre de ma mission d’élu, je sais que ce n’est pas le cas dans tous les pays. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, des personnes sont persécutées et meurent pour leur foi. Je sais aussi que des religions tentent d’imposer leurs vues aux autres, de façon totalement inappropriée. La seule façon de résoudre cela passe par l’éducation et la compréhension.

Si j’ai voulu prendre la parole, c’est pour appeler l’attention non pas tant sur le rapport que sur le dernier paragraphe de son résumé: «Le Conseil de l’Europe devrait établir une plate-forme de dialogue stable avec des hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin de favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions visant à promouvoir le vivre ensemble.» Or c’est justement ce qu’est le Conseil de l’Europe: pourquoi faudrait-il alors créer une autre plate-forme? Cette recommandation signifie que l’on doit faire quelque chose plutôt que de se contenter d’adopter des résolutions: il faut réellement mettre en place cette plate-forme afin que les gens puissent se parler et, avec de la bonne volonté, résoudre ces questions dont nous connaissons les dangers.

LA PRÉSIDENTE – M. Blanchart, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. LE BORGN’ (France) – Je remercie M. Huseynov pour le rapport qu’il nous présente aujourd’hui sur la liberté de religion et le vivre ensemble dans une société démocratique. C’est une question essentielle, qu’il nous faut aborder avec le souci d’unir et de comprendre nos sociétés. Les religions ne doivent pas, ne doivent plus être les causes ou les prétextes de conflits, voire de guerres. Le fait religieux est une réalité qu’il s’agit de reconnaître et de prendre en compte.

La liberté de religion, consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme, est l’un des acquis essentiels de notre continent. Liberté de croire, liberté de ne pas croire aussi, je le rappelle à dessein. En effet, si je voterai en faveur de votre rapport, Monsieur Huseynov, je crois devoir exprimer quelques différences ou, à tout le moins, quelques nuances à l’occasion de notre débat.

La religion est pour moi une affaire privée. Croire ou non est une question touchant profondément à l’intime. Comme citoyen, j’estime que ma relation personnelle à la religion relève de ma sphère à moi et n’a rien à faire dans l’espace public.

Promouvoir la liberté de religion, ce n’est pas promouvoir la religiosité. Sans doute votre rapport aurait-il gagné à mieux établir cette différence. Il est parfois fait reproche aux Français, dont je suis, de camper sur une conception un peu rigoriste de la laïcité. Ce reproche est injuste, je le crois sincèrement, mais il exprime sans nul doute des différences culturelles et historiques qu’il serait regrettable d’ignorer. Je les accepte. Je ne comprends pas en revanche le concept de «laïcité de reconnaissance» que votre rapport développe car il implique de facto qu’il y aurait une laïcité de méconnaissance, voire d’ignorance. Or la laïcité, mes chers collègues, est notre bien à tous, au-delà des convictions religieuses que l’on peut avoir ou ne pas avoir. La laïcité est la garantie de notre liberté en même temps que la protection active de celle-ci. Elle est et reste un combat furieusement actuel.

Oui, bien sûr, il faut veiller à ce que les communautés religieuses et leurs membres puissent exercer leur liberté de religion sans entrave ni discrimination. Oui, il faut valoriser les organisations religieuses en tant que partenaires, au même titre que les organisations non religieuses ou philosophiques, pour le développement de sociétés inclusives et solidaires.

Oui, il faut enseigner et comprendre le fait religieux. Mais je me permets de rappeler que la liberté est faite de devoirs et de droits. Je me reconnais dans la loi française interdisant le port du voile intégral dans l’espace public. Je respecte les pratiques de circoncision, mais je ne saurais accepter qu’elles soient pratiquées par des personnes dépourvues de connaissances médicales, hors de toute condition sanitaire adéquate.

Je rappelle enfin aux Eglises qu’elles ne sont pas au-dessus de la loi. Le Kirchensteuer – l’impôt sur le culte – ne peut être demandé en Allemagne à celles et ceux, étrangers, qui se déclarent sans confession, et les certificats de baptême n’ont pas à être échangés par l’Eglise d’un pays à l’autre, au mépris de la protection européenne des données personnelles. On peut croire, on peut ne plus croire, on peut aussi changer de religion. Chacun de ces choix appelle une seule réponse: le respect.

Mme Guzenina, Vice-Présidente de l’Assemblée, remplace Mme Brasseur au fauteuil présidentiel.

M. JAKAVONIS (Lituanie)* – Je souhaite remercier M. Huseynov pour ce rapport tout à fait actuel compte tenu des problèmes de migration que connait l’Europe en ce moment. Dans mon pays, 80 % des personnes sont de religion chrétienne, mais les religions sont toutes reconnues – orthodoxe, juive ou musulmane –, et nous n’avons jamais eu de problème dû à une religion. Nous sommes tolérants et nous pensons que la Bible est une maison commune.

Si vous vous promenez dans les rues de Strasbourg, regardez les fresques de l’église Saint-Pierre-le-Jeune: vous verrez des cavaliers portant une bannière de leur pays. Sur la dernière, tenue par une jeune fille, est inscrit le mot «Litova», c’est-à-dire «Lituanie». Les Lituaniens ont en effet été les derniers en Europe à adopter la religion chrétienne. Sur la grande place de Vilnius trône cependant la statue du dernier roi de la foi préchrétienne et selon toutes les statistiques officielles, ceux qui professent encore cette ancienne foi des pays Baltes, comme en Lituanie et en Lettonie, sont encore relativement nombreux. D’ailleurs, Vilnius reçoit un congrès international qui réunit les personnes qui professent encore ces fois anciennes.

Même si cette foi ancienne des pays Baltes n’est pas reconnue officiellement, une grande fête païenne a été inscrite sur la liste des grandes fêtes lituaniennes, car le pouvoir a compris que supprimer toutes ces manifestations propres à notre culture reviendrait à en faire disparaître un maillon important. C’est pourquoi ces anciennes religions qui ne sont absolument pas agressives doivent être respectées. Il faut donc songer à respecter tous ceux qui professent ces fois.

Mme DURANTON (France) – Le rapport de M. Huseynov soulève une interrogation fondamentale dans nos sociétés démocratiques: comment concilier la liberté religieuse, garantie notamment par la Convention européenne des droits de l’homme, et le vivre ensemble? La question n’est certes pas nouvelle, mais elle se pose avec plus d’acuité depuis différentes attaques terroristes aux motivations religieuses, dont celles du 7 janvier dernier à Paris. Autant la question est pertinente, autant la réponse apportée par notre collègue me paraît inadaptée.

Le projet de résolution qui nous est soumis, sous couvert de tolérance et de diversité religieuse, conteste de fait le bien-fondé de la laïcité et fait la part belle à de fumeux «aménagements raisonnables» qui reviendraient, je le crains, à faire prévaloir des revendications communautaristes sur l’intérêt général et la concorde civile. Faut-il séparer les hommes et les femmes dans les piscines ou affirmer un «droit» à exiger des menus confessionnels dans les écoles publiques au nom des «aménagements raisonnables»? Je réponds non! Multiplier concessions et accommodements me semble dangereux car de nature à favoriser le communautarisme.

Dans nos sociétés sécularisées, la persistance de croyances religieuses est indéniable. Les religions demeurent une donnée vivante et constituent un fait social, étudié en particulier sous le nom de «fait religieux».

La question fondamentale est, me semble-t-il, la suivante: comment les cultes peuvent-ils participer efficacement à la lutte contre le fondamentalisme et soutenir les valeurs des sociétés dans lesquelles ils s’exercent? Autrement dit, au lieu d’être un ferment de diversité culturelle, les religions peuvent-elles être un facteur d’unité nationale?

Il y a des dangers à ce que le politique ignore le religieux. La prééminence des principes, de la tradition culturelle et des valeurs de la nation doit être affirmée de façon explicite et solennelle. Permettez-moi de rappeler les termes de ce discours tenu en 1904 par Jean Jaurès, ce que je fais d’autant plus volontiers que je n’appartiens pas à sa famille politique: «La démocratie et la laïcité sont identiques. La démocratie est fondamentalement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie».

Il me paraît légitime que l’Etat ne renonce pas à cet attribut de la souveraineté qui consiste à conserver la suprématie sur les cultes. Je pense, par exemple, à l’organisation des cultes sur des bases représentatives. La gestion des affaires publiques doit obéir à la suprématie de l’Etat sur les cultes comme le temporel prévaut sur le spirituel dans nos sociétés démocratiques.

Les religions demeurent évidemment une donnée incontournable de nos sociétés. C’est pourquoi le renforcement de la cohésion nationale passe par l’instauration d’un dialogue avec l’ensemble des religions. Mais, selon moi, le vivre ensemble dans une société démocratique doit nous conduire à affirmer clairement que nos valeurs et nos principes ne font l’objet ni d’accommodement ni de transaction.

M. SABELLA (Palestine, partenaire pour la démocratie)* – La liberté de religion inclut le droit d’une personne et le droit d’une communauté à pratiquer sa foi. Il est vrai qu’à l’heure actuelle, les Etats sont pour une large part laïques qui considèrent que la religion n’est que l’un des aspects de la société et que certains enseignements religieux vont à l’encontre du vivre ensemble et des valeurs des sociétés démocratiques. Cela ne concerne pas uniquement des religions plus jeunes, telles que l’islam, mais aussi la chrétienté qui est, dit-on pourtant, l’un des piliers de notre continent.

Les communautés religieuses et leurs membres ont vécu leur foi pendant des siècles. Chaque religion, chaque communauté doit respecter l’espace public et les sensibilités de la société. Les droits fondamentaux doivent être respectés. On ne peut créer une société inclusive si d’aucuns s’arrogent certaines exclusivités, notamment religieuses. Dans certaines sociétés toutefois, la religion fonde la cohésion sociale.

Il convient également d’être vigilant aux relations avec les groupes ou les religions minoritaires. Il ne faut rien accepter qui soit discriminatoire. Ajoutons que nos convictions doivent ou peuvent nous protéger contre certains préjugés et le refus de ce qu’est autrui.

Monsieur Huseynov l’a indiqué dans son rapport, les écoles doivent jouer un rôle central pour nous ouvrir les yeux et enseigner le respect. Il suffit d’appliquer des programmes adaptés, qui enseignent le respect et la compréhension. L’école laïque, mais les écoles confessionnelles tout autant, peuvent jouer ce rôle. Je crois surtout qu’il convient d’insister sur la pratique et non pas se cantonner à des discours théoriques qui oublient les défis à relever sur le plan pratique. Une religion qui n’enseigne pas le respect d’autrui et la nécessité de travailler pour le bien commun ne peut contribuer à forger un vivre ensemble et une société civile fonctionnant sans heurts.

Mme BLONDIN (France) – Le rapport de M. Huseynov illustre un phénomène grandissant, que je considère à titre personnel inquiétant, celui de la prééminence des croyances sur les connaissances.

La France, pays laïque, est traversé, en particulier depuis les attentats ayant visé Charlie Hebdo, par des débats sur des questions telles que «comment construire du lien social à partir de nos différences?» ou «quelle place doivent occuper les religions, notamment l’islam, dans la société?».

Au lendemain de ces tragiques événements, les représentants des principales religions ont réaffirmé que «la République laïque et ses valeurs, notamment la liberté de conscience, la démocratie et la liberté de la presse, demeurent aux fondements de notre vivre ensemble». On l’a beaucoup dit, à juste titre, la France a connu alors un moment d’unité nationale.

Pour autant, des inquiétudes ont surgi. Chez certains de mes compatriotes musulmans, qui redoutent l’amalgame et la peur de l’islam que pourraient susciter ces actes barbares revendiqués au nom de la religion. Mais aussi au sein du reste de la population, désorientée à la fois par les limites de l’intégration par l’école révélées par le refus de certains élèves de respecter la minute de silence aux victimes, par l’expression d’un relativisme nauséabond ou par la prégnance des théories complotistes.

Il est évident que ces crimes ont précisément été commis pour tenter de déstabiliser la société française. Ce qui dérangeait les terroristes, c’est bien que l’on puisse être citoyens musulmans en France.

À cet égard, je souhaiterais m’arrêter sur la question de la place des musulmans en France, que les attentats de Paris ont de fait érigée en interrogation sur la cohésion de la société française.

En premier lieu, les musulmans ont été doublement blessés par ces attentats: blessés de se sentir victimes en tant que Français et blessés de savoir que d’aucuns les diraient coupables en tant que musulmans.

En second lieu, je note que deux discours sur l’islam occupent l’espace public. Le discours aujourd’hui dominant considère que le terrorisme ne ferait, au fond, que révéler la vraie nature de l’islam. Dès lors, tout musulman serait «inassimilable». Le second discours, minoritaire, est celui porté par les courants antiracistes: la vraie menace est l’islamophobie et l’exclusion qui en résulte qui peut expliquer, sans les excuser, les dérives radicales, des jeunes musulmans en particulier. Ces deux discours me semblent à la fois faux et, surtout, stériles. Respectons les principes de la laïcité et du vivre ensemble.

M. ROCHEBLOINE (France) – Considéré au regard des droits fondamentaux de l’homme, le respect de la liberté religieuse apparaît comme le marqueur le plus significatif d’un régime démocratique. La religion, en effet, en tant qu’elle est aspiration personnelle et collective à la réalisation du bien commun sous le regard de Dieu est un puissant facteur de dialogue et de cohésion dans une société.

Un Etat qui ne garantit pas toute sa place à l’expression publique des opinions religieuses et à la liberté de culte n’est pas un Etat démocratique. On établit une distinction entre l’exercice du pouvoir politique et la pratique de la religion. Cette distinction nécessaire signifie que les détenteurs de ce pouvoir ne sauraient être soumis, dans leur ordre, aux directives de l’autorité religieuse. Elle n’implique pas la récusation par principe, dans le débat public, de toute prise de position de cette autorité ou de croyants, en tant que tels, sur des sujets intéressant l’avenir de la société.

Il en va de la liberté effective et de la démocratie. Les pays dans lesquels l’Etat interdit ou entrave l’exercice public d’autres cultes que celui qui correspond à la religion majoritaire ne sont pas démocratiques.

Par ailleurs, faire de la religion une affaire privée a du sens dans la mesure où les prérogatives de l’Etat demeurent essentiellement régaliennes – défense, justice, police –, où les affaires privées sont de fait majoritaires dans la vie de la société. C’était encore le cas dans l’Europe du début du XXe siècle, ce n’est, à l’évidence, plus le cas aujourd’hui, notamment dans les pays occidentaux.

Au nom de cette conception de la religion comme affaire privée, on voit se développer, partout en Europe, une forme d’agnosticisme d’Etat, qui accapare à son usage exclusif la notion de progrès, proclame le primat absolu du politique, dévalorise volontiers l’expression des opinions religieuses.

L’expérience montre que cette entreprise est vouée à l’échec. Elle ne satisfait pas; elle ne séduit pas; elle ne contrarie pas les fondamentalismes. Elle expose le pouvoir politique à l’affaiblissement de la désillusion.

Dans un contexte social caractérisé par le pluralisme grandissant des appartenances religieuses, la puissance publique a la responsabilité de faciliter, partout où cela est nécessaire, le dialogue entre les confessions religieuses, comme c’est le cas depuis vingt ans par exemple en France, à Marseille avec Marseille-Espérance.

Ensuite, il revient aux confessions religieuses, et à elles seules, sous le regard attentif de l’autorité publique, qui est intéressée à l’issue de leurs échanges, de mettre en place le nécessaire dialogue fraternel, condition de l’exercice paisible de la liberté religieuse dans la perspective du bien commun.

Cette pratique est une démarche exigeante aussi bien pour l’autorité publique que pour les confessions religieuses. Mais c’est la seule qui concilie la nécessité de la paix publique avec la libre expression de chacun.

Mme ZOHRABYAN (Arménie) – Le rapport que nous examinons a pour titre: «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique», un sujet actuel dans l’Europe d’aujourd’hui. L’exposé des motifs fait mention des attaques terroristes commis à Paris et à Copenhague, et des profanations des cimetières juifs et catholiques en France, sujets qui justifient l’examen de cette question. Mais quand je lis le nom du rapporteur, Rafael Huseynov, et celui de son pays, l’Azerbaïdjan, je n’en crois pas mes yeux. Quelle n’a pas été mon émotion quand j’ai lu dans le rapport la phrase suivante: «Il est de notre responsabilité à tous – quelle que soit notre vision du monde, religieuse ou non religieuse – non seulement de les respecter, mais aussi de les préserver et de les promouvoir». Ou encore: «Il est nécessaire, dans les discours politiques et dans l’éducation et la culture, de mettre en avant ce que les êtres humains ont en commun: la conscience, la raison et le cœur. Il est donc primordial de lutter contre l’intolérance».

Quels efforts gigantesques a dû réaliser M. Huseynov pour écrire tout le contraire de ce que fait son pays! Moi aussi, tout comme M. Huseynov, je suis attristée par les profanations des cimetières juifs et catholiques en France. Mais, Monsieur Huseynov, êtes-vous prêt à nous présenter vos excuses, ici, dans cette enceinte, pour la destruction des milliers de khatchkars – pierres à croix – du cimetière arménien de la ville de Djugha, appartenant au patrimoine culturel mondial et placées sous l’égide de l’Unesco? La destruction des pierres à croix de Djugha est le fait d’une criminalité organisée par l’Azerbaïdjan, dont l’unique raison est l’intolérance et l’arménophobie. En 2005-2006 les dernières pierres à croix ont été détruites par les soldats azéris et le cimetière a été transformé en un champ de tirs.

La fermeté des réactions de l’Unesco, du Parlement européen, du Conseil de l’Europe et de la communauté internationale n’ont pas empêché le vandalisme azerbaïdjanais – qui a également été condamné par le Vatican. En 2006 un journaliste azéri, Idrak Abassov, a visité le cimetière de Djugha et a écrit que ce dernier avait entièrement disparu. La même année, l’Azerbaïdjan n’a pas permis aux membres du Parlement européen de visiter ce même cimetière.

Le 16 février 2006 le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la destruction du cimetière médiéval de Djugha. Malheureusement, notre patrimoine culturel est détruit à jamais.

Monsieur Huseynov, vous parlez de tolérance religieuse et de l’importance du vivre ensemble, mais il y a trois ans, quand je me suis rendue à Bakou pour participer à la séance plénière de l’Euronest, j’ai pu voir ce que votre pays avait fait à l’ancienne église arménienne de Bakou: la croix a été retirée, des livres arméniens exceptionnels ont été détruits. La bibliothèque arménienne de l’église ne contient plus que des livres sur Heydar Aliev. Peut-on parler de tolérance religieuse? Comment pouvez-vous écrire un rapport sur ce sujet?

Si vous êtes disposé à présenter vos excuses, dans cette enceinte, pour les actes de vandalisme commis par l’Azerbaïdjan, je considérerai que vous commencez à prendre conscience de ce que signifient vraiment la tolérance religieuse et l’art de vivre ensemble.

M. DİŞLİ (Turquie)* – Je remercie le rapporteur pour son travail détaillé et systématique et qui aborde de nombreux aspects sociaux, philosophiques mais aussi concrets. J’ai toutefois l’impression que M. Huseynov a tellement recherché une position équilibrée qu’au bout du compte il s’est écarté de l’objet du rapport. Car, vous vous en souvenez sûrement, à l’origine, ce rapport devait apporter une réponse à un autre rapport de l’Assemblée, lequel qualifiait la circoncision de violation de l’intégrité physique des enfants.

En dépit de conclusions assez positives, le présent rapport évoque d’autres manifestations de la foi comme l’abattage rituel. Or je suis convaincu qu’il s’agit d’une charge injuste pour l’Assemblée de vouloir évaluer chaque comportement religieux et d’avoir à donner son verdict. En effet, le but de l’Assemblée n’est pas de fournir une liste de pratiques controversées ou clivantes; il est plutôt d’encourager les sociétés européennes à développer une culture du vivre ensemble dans le cadre des conventions européennes. Il est donc décevant de constater que nous en soyons à discuter de savoir pourquoi, comment et pourquoi la liberté religieuse peut être limitée.

Je trouve toutefois encourageant que le rapport évoque les menaces que représentent l’extrémisme et la xénophobie. Ce sont l’avers et le revers de la même médaille et l’on ne peut décider de mettre l’accent plutôt sur l’un que sur l’autre. Je suis donc favorable à la recommandation qui vise à créer une plateforme de dialogue officielle où les représentants des religions et ceux d’organisations non confessionnelles se réuniraient pour encourager la culture du vivre ensemble.

Mme De SUTTER (Belgique)* – Le rapport invite à un dialogue interreligieux à un moment où l’Europe doit faire face à la plus grave crise migratoire qu’elle ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Le débat sur cette question se caractérise souvent par la xénophobie et par une crainte de l’islam. On explique bien souvent le comportement de certains pays par leur préoccupation de préserver leur identité culturelle alors qu’il relève plutôt, au fond, de l’islamophobie. L’Europe a certes toujours eu du mal en matière de tolérance religieuse tout au long de son histoire et ce n’est que depuis la Seconde Guerre mondiale que la tolérance religieuse y est reconnue comme un droit de l’homme universel. Depuis lors, nos sociétés laïques ont préservé la liberté de religion et ont adopté des législations punissant toute discrimination fondée sur l’appartenance religieuse. Mais on doit aussi avoir le droit de ne professer aucune religion.

Les religions sont censées faire du monde un lieu meilleur pour tous mais, bien souvent, elles sont à la source des violences, des guerres. Ainsi, aujourd’hui, Al Qaida, l’Etat islamique et d’autres mouvements terroristes abusent de la religion pour justifier leur combat contre le monde civilisé. On comprend par conséquent que les gens aient peur des réfugiés, que certains politiciens populistes s’ingénient à alimenter ces craintes et à polariser les haines.

C’est pourquoi le Conseil de l’Europe doit lancer un message clair en indiquant que la crise des réfugiés doit être traitée comme toute crise humanitaire et que l’appartenance à telle ou telle religion ne doit être en aucun cas un critère d’aide des victimes de guerre.

Il faut établir une distinction entre la nature des religions, y compris l’islam – qui prêche l’altruisme et la tolérance –, et ceux qui en dévoient les principes. Nous devons nous affranchir de tous ces antagonismes entre les religions et entre les philosophies, qu’il s’agisse de la chrétienté, du judaïsme, de l’islam ou de l’humanisme tout court. Il est vrai que l’éducation est essentielle pour lutter contre l’incompréhension et l’ignorance qui sont la cause de la violence. Aussi ne devons-nous plus voir dans les réfugiés des menaces en raison de leur religion mais simplement des êtres humains.

J’ai du mal à souscrire à l’idée avancée par le rapporteur, selon laquelle il faudrait mettre en place des aménagements raisonnables pour des pratiques controversées dès lors qu’elles contrediraient des droits fondamentaux tels que l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de l’intégrité physique des individus ou encore le respect du bien-être animal.

Si l’Europe a un avenir, ce sera dans un cadre multiculturel. Nous n’avons pas d’autre choix et il est urgent d’en prendre conscience pour vivre en paix et en harmonie. Puisse ce rapport y contribuer.

Mme KRONLID (Suède)* – La liberté religieuse est un élément fondamental d’une société démocratique. Malheureusement, dans de nombreuses parties du monde, les religions sont opprimées, les croyants agressés physiquement – je me souviens bien de ce que nous avons entendu ici même, en janvier dernier, au cours de la discussion du rapport de M. Ghiletchi sur la lutte contre l’intolérance et la discrimination en Europe, en particulier à l’égard des chrétiens.

Une religion opprimée, une fois protégée, ne doit pas opprimer à son tour d’autres religions. Aucune religion ne peut en effet prétendre être la seule valable au sein d’une société. Bien sûr, les limites acceptables à la liberté religieuse ne peuvent être que celles rappelées dans l’amendement 3, à savoir que les restrictions ne peuvent être prévues que par la loi et doivent constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique notamment.

De nombreux réfugiés appartiennent souvent à une religion qui n’est pas dominante dans leur pays d’accueil. Or ils doivent pouvoir la pratiquer librement, sans pour autant que soient remis en cause l’héritage culturel, le système de valeurs, les traditions séculaires, l’identité de ces pays d’accueil, non plus que leurs religions. Car certains Etats font tant d’efforts pour ne pas froisser les nouveaux arrivants qu’ils en viennent à abandonner certaines de leurs traditions à connotation religieuse. Ce comportement n’est de l’intérêt de personne et est de nature à appauvrir notre diversité culturelle. Le changement est inévitable, même en matière culturelle, même en ce qui concerne l’identité nationale, mais il doit être progressif – il faut éviter toute rupture brutale.

Pour conclure, défendons la liberté religieuse sur la base de la démocratie et des droits de l’homme. Luttons contre l’extrémisme religieux, l’intolérance et l’oppression, mais ne renonçons pas à nos valeurs établies, nos traditions et nos croyances, parties intégrantes de nos identités nationales.

M. FISCHER (Allemagne)* – La liberté de religion est un droit de l’homme mais la religion ne saurait exclure les droits de l’homme. Elle donne une substance et des orientations aux êtres humains, des valeurs pour les guider, et notamment aux jeunes. Avoir la foi, c’est aussi considérer avec tolérance les autres religions. Au sein de nos parlements nationaux, nous devons veiller à ce que les cours d’éducation religieuse aient lieu dans la langue du pays. C’est nécessaire si l’on souhaite qu’une religion soit ouverte à tous sans exception. Un chrétien doit pouvoir suivre les cours d’une autre religion dans sa langue et dans son pays.

Notre collègue, M. Feist, dit souvent, à juste titre, que la violence et le manque de respect des droits des femmes et des enfants constituent une expression de mépris et n’ont rien à voir avec la religion. Lorsque les religions défendent des idées répressives et violentes, elles violent les droits de l’homme. Le groupe Etat islamique n’est donc pas religieux au sens où nous l’entendons ici au Conseil de l’Europe.

Je me félicite de ce rapport, sur lequel nous avons déposé, avec plusieurs de nos collègues, quelques amendements. La liberté de religion est un droit mais la religion ne saurait être un prétexte pour empêcher l’exercice des droits.

M. ARDELEAN (Roumanie)* – Permettez-moi de féliciter le rapporteur pour son excellent travail. Nous devons comprendre que la liberté de religion est essentielle à la démocratie. J’ai vécu pendant des années dans un régime communiste et je sais ce que c’est que d’être privé de cette liberté. Il est très important de veiller à ce qu’elle soit garantie dans tous nos Etats.

La liberté de religion constitue la pierre angulaire des autres libertés. La liberté de religion côtoie liberté économique et croissance économique. Les codes d’éthique quels qu’ils soient mettent en avant la dignité humaine. Un être humain digne de ce nom doit respecter les autres, leurs aspirations et leurs convictions religieuses. Chacun doit vivre comme il l’entend à condition de respecter l’autre dans sa différence. Il ne s’agit pas tant de tolérance que d’acceptation. Un traitement égal doit être appliqué à tous ceux qui croient, quelles que soient leur conviction et leur foi.

Mme GAFAROVA (Azerbaïdjan)* – Je tiens à féliciter M. Huseynov pour son excellent rapport. Les sujets dont nous discutons sont très importants pour l’Europe, alors que de nombreux pays sont menacés par le fanatisme et l’extrémisme religieux, mais aussi par la xénophobie et le rejet de toutes les différences. De nombreux facteurs, parmi lesquels la religion, doivent être pris en compte s’agissant du vivre ensemble dans une société démocratique. À l’heure actuelle, de nombreux groupes tentent d’étendre leur pouvoir sous couvert de religion. Ils véhiculent des idées destructrices et violentes, ce qui entraîne des heurts entre civilisations. Des groupes séparatistes invoquent des motifs religieux pour justifier leurs activités.

Dans mon pays, les différentes religions sont respectées et la liberté de conscience garantie par l’article 48 de la Constitution. Toutes les communautés vivent en paix. Chacun est libre de choisir et de pratiquer sa religion. En Azerbaïdjan, une église, une mosquée et une synagogue coexistent harmonieusement. Le Gouvernement azéri a restauré les synagogues et les églises dévastées à l’époque soviétique. Pendant des siècles, notre peuple a vécu au contact d’autres religions. La tolérance est pour nous un mode de vie.

Je regrette que nos collègues arméniens aient quitté l’hémicycle. Ils détournent systématiquement les débats pour proférer des mensonges à l’égard de l’Azerbaïdjan et des Azéris. L’Arménie occupe un tiers de notre territoire. Plus d’un million de personnes ont été chassées du au Haut-Karabagh et se sont réfugiées à l’intérieur de l’Azerbaïdjan. L’Arménie est un pays où règne l’intolérance et chacun ici le sait!

M. YATIM (Maroc, partenaire pour la démocratie) – Je tiens à saluer M. Huseynov pour la qualité de son rapport et pour les recommandations qu’il a formulées. Alors que nos sociétés risquent d’être prises en otage par des extrémistes de tous bords, que nous sommes consternés par des actes barbares commis au nom de la religion, la vraie question que l’on doit poser est la suivante: comment allons-nous agir pour éviter d’autres actes barbares?

La réponse est bien formulée dans le rapport: il ne faut surtout pas tomber dans le piège des extrémistes en analysant la situation au moyen de stéréotypes qui simplifient des phénomènes sociaux très complexes; il faut donner la priorité à des analyses objectives, proscrire les discours fondés sur la négation et le refus de l’autre comme les discours xénophobes exploitant les dogmes religieux ou les illusions de pureté ethnique. Il faut surtout rester attentif à l’alliance objective qui unit les extrémistes par-delà leur opposition apparente.

En réponse à l’intolérance et à la négation, notre rapporteur propose que nos élites politiques et nos responsables religieux travaillent ensemble pour bâtir des ponts de compréhension interculturelle, de respect mutuel, et pour concilier la neutralité de l’Etat et le respect des convictions et pratiques religieuses des uns et des autres. Je veux parler d’une neutralité inclusive et ouverte à la diversité, d’une laïcité de reconnaissance, bref du vivre ensemble.

Pour y parvenir, il faut développer des projets collaboratifs avec les communautés religieuses afin de promouvoir des valeurs communes et les associer à la lutte contre tous les extrémismes, défendre une solidarité intercommunautaire, mettre en avant le dialogue entre personnes de convictions différentes et faire en sorte que l’enseignement du fait religieux devienne l’occasion d’une écoute réciproque, favorable au développement de l’esprit critique.

Je salue de nouveau M. Huseynov pour ce travail remarquable.

M. REISS (France) – Force est de constater que la laïcité ne fait pas consensus en Europe. Bien que je ne sois pas totalement en accord avec l’ensemble des éléments que recouvre la notion de «laïcité de reconnaissance», l’idée d’un dialogue avec les communautés religieuses me paraît non seulement intéressante, mais nécessaire.

Permettez-moi de donner un éclairage local à ce débat. Nous sommes ici à Strasbourg, en Alsace, une région qui fonde depuis longtemps son identité sur un contrat de confiance entre l’Etat et les communautés religieuses. Ce régime spécifique à l’Alsace-Moselle, qui concerne environ 3 millions de Français, est le régime concordataire, qui repose sur des droits et des devoirs: l’Etat reconnaît les cultes catholique, protestant et juif – le culte musulman n’était pas représenté en France en 1801. L’Etat nomme les principaux dirigeants de ces cultes et prend en charge leurs salaires. En contrepartie, les cultes reconnus doivent assurer un service d’éducation civique et morale, ainsi qu’un service de lien social. Le droit local, dont le fondement est d’origine historique – l’Alsace-Moselle était allemande en 1905 lors des lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat –, respecte la liberté de conscience et la non-discrimination en matière religieuse.

Ce mode original de relation entre l’Etat et les cultes ne s’oppose pas à la laïcité et le Conseil constitutionnel a reconnu à plusieurs reprises que ce régime local était conforme à la Constitution. Il s’insère donc parfaitement dans les valeurs de la République.

Ce statut original permet d’apporter des réponses adaptées et pertinentes, notamment dans le contexte actuel de risque de dérives communautaristes ou de montée des extrémismes qui menacent nos sociétés.

La profanation d’un cimetière juif en 2004 a conduit le conseil régional d’Alsace à susciter la création d’un comité interreligieux. Un réseau de groupes interreligieux a été créé, constituant un outil précieux pour désamorcer les crises et pour faire vivre une laïcité ouverte et exigeante.

Cette conception laisse une place importante à l’Etat, qui doit d’après moi jouer un rôle majeur dans le vivre ensemble, en particulier en ce qui concerne nos relations avec le culte musulman. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, même si ce culte ne fait pas partie, pour des raisons historiques, de ceux reconnus par le Concordat, celui-ci, grâce à sa souplesse, a permis le financement de cimetières musulmans par les collectivités locales.

Enfin, et même si cet aspect relève plus du droit local que du régime concordataire, un enseignement du fait religieux, distinct du catéchisme, complète le dispositif en permettant au sein même de l’école publique non seulement un dialogue interconfessionnel, mais aussi une réflexion sur l’autre et sur les apports culturels des religions. Cet enseignement n’est pas obligatoire.

La liberté de religion dans le respect de l’Etat de droit et de ses valeurs est une réalité de chaque jour en Alsace. Elle se nourrit d’une volonté commune aux représentants des cultes et aux représentants du peuple de construire un socle pour la paix et un pacte républicain solide.

Je voterai en faveur de ce rapport.

Mme PECKOVÁ (République tchèque)* – La République tchèque est considérée comme l’un des pays les plus laïques au monde, ce qui ne signifie pas nécessairement que les gens n’y ont pas la foi; simplement, ils utilisent une autre terminologie.

Quarante ans de régime totalitaire nous ont inculqué l’uniformité et la prudence vis-à-vis de tout ce qui est inconnu ou différent. La jeune génération est évidemment plus tolérante, malgré les crises qui secouent le pays et favorisent les extrémismes.

Le fondement de toute religion est la foi, mais ses piliers sont les rituels. C’est leur répétition constante qui donne une impression d’ancrage et de sécurité dans le monde chaotique dans lequel nous vivons, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à l’ère de l’individualisme. Ces rituels étaient à l’origine tout à fait rationnels, qu’il s’agisse du jeûne, des interdits alimentaires, des rites funéraires, des bains rituels ou des interdits touchant la sexualité. De même, la circoncision est fondée sur des motifs d’hygiène; la médecine moderne y recourt d’ailleurs dans certains cas.

La République tchèque n’est pas opposée à la circoncision des jeunes garçons, à condition que celle-ci ne présente aucun risque pour la santé, comme le préconise le projet de résolution. En revanche, le Conseil de l’Europe devrait accorder une attention particulière à l’excision. Même s’il s’agit aussi d’un rituel, pratiqué et toléré dans bien des régions du monde, elle est non seulement contraire au droit de l’enfant à son intégrité physique, mais met souvent en péril la santé et la vie. Si nous voulons défendre l’intérêt supérieur de chaque enfant, l’engagement politique et les résolutions ne suffiront pas: notre accord sur la nécessité impérieuse de mettre fin à cette mutilation injustifiée des jeunes filles doit déboucher sur des actions concrètes qui devront se poursuivre jusqu’à ce que ce phénomène ait complètement disparu.

LA PRÉSIDENTE* – M. Sedó, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle, non plus que Mme Mitchell et M. Šepić.

M. FEIST (Allemagne)* – Je remercie le rapporteur non seulement pour son rapport mais aussi pour le climat de bonne coopération qu’il a su créer au sein de la commission. La délégation allemande avait nombre de remarques à présenter et nous avons pu discuter utilement et efficacement.

Lorsque l’on parle de liberté religieuse et de droits de l’homme, n’oublions pas de bien expliquer le rôle des communautés religieuses dans nos sociétés. Comme vous l’avez parfaitement dit, il faut un vivre ensemble harmonieux entre les communautés religieuses et au sein de l’ensemble de la société civile.

En Allemagne, de nombreuses églises chrétiennes agissent actuellement en faveur des flux de migrants, mais il ne paraît pas opportun de séparer les migrants en fonction de leur ethnie ou de leur religion. Ce serait remettre en cause ce que nous soutenons ici, à savoir que les religions peuvent être une base du vivre ensemble pacifique.

On insiste aussi sur le rôle de l’école. Bien entendu, dans nos écoles, nous devons veiller à inculquer des compétences interreligieuses et interculturelles. Les deux aspects sont importants, comme nous l’avons souligné en commission. Je souhaiterais que nous agissions en faveur des compétences interculturelles. Certes, il faut acquérir des notions de base en langues, en mathématiques et autres, mais n’oublions jamais d’inculquer aussi les compétences interculturelles. Si nous voulons un vivre ensemble harmonieux malgré le pluralisme des religions, ne négligeons pas cet aspect.

Partout où l’on agresse les gens au nom de Dieu, où l’on fait d’eux des victimes de violences, nous devons dénoncer ces pratiques.

Toutes les religions ont leur valeur, toutes sont précieuses et ce n’est qu’en considérant les choses ainsi que nous pourrons vivre ensemble harmonieusement au sein de nos sociétés européennes.

M. FREJ (Israël, observateur)* – Mesdames et Messieurs, en tant que nouveau membre de la délégation israélienne au sein de cette Assemblée, je tiens à vous remercier de tenir un débat sur ce sujet si important qu’est la liberté de religion. Malheureusement, celui-ci a pris une acuité particulière à la lumière des événements dramatiques qui sont survenus de par le monde et des crimes de haine motivés par la religion, notamment les actes antisémites et islamophobes.

Mes chers collègues, les crimes de haine et l’absence de tolérance peuvent être inclus dans une seule et unique définition: ce sont des crimes commis au sein de la famille. Si je dis cela, c’est parce que sinon nous tous, du moins la majorité d’entre nous, croyons avoir été créés par Dieu et à son image. Dans cette logique, nous pouvons affirmer que, dans chacun et chacune d’entre nous, il y a une parcelle divine.

Au cours de l’histoire de l’humanité, davantage de gens ont péri dans des guerres saintes menées au nom de Dieu qu’à la suite de catastrophes naturelles ou de conflits. Et la cause du problème, notre plus grand ennemi, est que nous ne connaissons pas les religions des autres. Chrétiens, musulmans et juifs ne connaissent pratiquement rien du sens profond des religions des autres. Nous avons tendance à nous enfermer dans nos petites boîtes où nous sentons à l’aise, car c’est le contexte familier dans lequel nous avons grandi. Ayant été élevés dans une religion, les personnes qui professent une autre religion nous paraissent menaçantes. Nous pensons que nous devons nous défendre contre eux. En réalité, notre principal ennemi n’est pas tant l’absence de connaissance des autres religions que le fait de refuser de connaître l’autre et d’apprendre ce que croient les autres.

Je suis heureux de penser que cette réunion et le vote important qui aura lieu aujourd’hui constitueront peut-être un pas en avant sur la voie du respect mutuel des traditions et des façons dont les différentes cultures et les croyants expriment leur gratitude à leur créateur, au respect du pacte qui unit les croyants et leur Dieu.

Lors du projet de vote de cette résolution, chacun d’entre nous doit être conscient de la nécessité de maintenir le fragile équilibre fragile qui existe entre les besoins spirituels et les droits de l’homme. L’obligation de garantir la santé et l’intégrité physique des enfants circoncis tout en trouvant la meilleure façon possible de préserver nos traditions et la liberté de religion est le principe qui doit nous inspirer pour atteindre le respect et la compréhension mutuelle entre les religions et les cultures à partir desquelles ont été constituées nos sociétés modernes.

Mme EL OUAFI (Maroc, partenaire pour la démocratie) – Je remercie le rapporteur, M. Huseynov, qui traite d’un thème sensible et qui présente un rapport d’un réel intérêt pour nos sociétés d’aujourd’hui: la liberté de religion et le vivre ensemble dans une société démocratique.

Nelson Mandela disait que la qualité d’une démocratie se mesure à sa façon de traiter ses minorités. La liberté de religion et le vivre ensemble fondé sur le respect des différences culturelles et religieuses constituent le socle d’une identité qui doit être reconnue en tant que telle.

Mes chers collègues, le débat sur les signes visibles, sur les questions d’identité, d’intégration des valeurs communes et des valeurs religieuses entretient depuis longtemps la controverse, malheureusement médiatique, et s’accompagne d’une montée de la peur, de replis identitaires et de slogans populistes. S’agissant de l’islam européen, la question musulmane est gérée au gré des crises et du calendrier électoral, ce qui favorise malheureusement la victimisation, laquelle alimente le communautarisme et le fondamentalisme.

En ce sens, je salue l’appel à la création d’une plateforme de dialogue stable, réunissant de hauts représentants des religions et des organisations actives dans une approche citoyenne crédible et participative, afin de faire face à la manipulation des jeunes musulmans par des fondamentalistes qui interprètent les textes religieux dans un sens très éloigné du vrai message de l’islam de la tolérance et de l’esprit rationnel.

Chers collègues, je conclus en tirant les leçons d’une expérience riche, celle du Maroc, qui a réussi à associer les identités musulmane, juive, amazigh et arabe sous une même bannière dans le souci de faire coexister harmonieusement des identités culturelles différentes. En 2011, ces valeurs ont été constitutionnalisées de manière démocratique. Ainsi, il est impossible d’oublier que les musulmans, les juifs, les arabes et les amazighs marocains sont tous des Marocains et des Marocaines à part entière, riches de leurs traditions respectives. Ils ont même leurs propres institutions – par exemple les tribunaux juifs et musulmans. Ils vivent dans le même pays et sont riches de leurs différences fondées sur une langue, des pratiques culturelles et un attachement viscéral à une tradition très riche qui se transmet de génération en génération.

LA PRÉSIDENTE* – La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

Monsieur le rapporteur, il vous reste 3 minutes 30.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan), rapporteur* – Chers collègues, nous considérons que la tolérance doit exister à tout moment dans les sociétés contemporaines. L’Europe ne peut plus s’en passer. Notre maison commune européenne en a besoin, y compris dans nos contacts avec d’autres continents, d’autres cultures. Il nous faut manifester le même respect que celui que nous avons pour nos propres minorités, nos traditions, nos cultures et nos valeurs. C’est le fondement même de l’esprit démocratique. Si nous ne sommes pas guidés par ces principes, de nouvelles forces centrifuges apparaîtront dans les sociétés. Ni le christianisme ni l’islam ni aucune autre grande religion n’a jamais prêché la violence. Au contraire, toutes en appellent au respect mutuel.

J’ai dit au début, et je le répète, qu’en plus des nombreux débats qui ont eu lieu au sein de la commission, plusieurs auditions ont été organisées, auxquelles ont participé des représentants et des experts de différentes religions. Chacune a été l’occasion d’entendre de nouvelles idées et de nouvelles propositions. Chacun d’entre vous a participé à ces débats et je vous en remercie, car cela a ajouté de la valeur à notre travail. Cette attitude sensée prouve que c’est là un débat qui appartient à tous.

J’aimerais remercier mes collègues de la commission des questions sociales et de la commission des questions juridiques, qui ont formulé des propositions d’amendements qui, à mon avis, renforcent le texte.

Madame Hoffmann pense que le rapport ne couvre pas la totalité du fait religieux. Je pense tout le contraire. Le rapport en appelle à une attitude raisonnable de la part de chacun.

Je rejette l’intervention de notre collègue arménienne, qui n’est rien d’autre que la poursuite de l’agression de son pays contre le mien. L’Azerbaïdjan est l’un des meilleurs modèles de tolérance dans le monde. L’année dernière, le Conseil de l’Europe a ainsi pu organiser à Bakou un échange sur la dimension religieuse.

Je conclus mon intervention en m’adressant au monde entier à travers une citation d’un philosophe turc: «Nous sommes venus, non pour diviser, mais pour unir.» Cet appel très noble, qui remonte à huit siècles, a gardé toute son actualité. Il faut réfléchir à la question de la liberté de religion au sein des sociétés libres et démocratiques. Ici non plus, l’idée n’est pas de diviser: il s’agit d’unir.

LA PRÉSIDENTE* – Madame la présidente de la commission, vous disposez de 2 minutes.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias* – Comme mes collègues de la commission, je voudrais féliciter M. Huseynov. Au sein de la commission, nous avons beaucoup travaillé, dans une atmosphère d’harmonie et de collaboration. Nous avons entendu des représentants des différentes religions – musulmane, juive, chrétienne –, mais la discussion a toujours été harmonieuse. Le pays de M. Huseynov, l’Azerbaïdjan, même s’il a fait à plusieurs reprises l’objet de critiques de la part de l’Assemblée, se caractérise effectivement par la tolérance et une coexistence pacifique des religions. Selon moi, cela a contribué au climat d’harmonie que l’on a pu constater au sein de la commission.

Tout le monde est aussi d’accord pour dire que le rôle de l’école est important. De fait, il faut propager la connaissance pour promouvoir la tolérance.

On a aussi parlé de la création d’une plateforme qui permettrait la poursuite du dialogue non seulement entre les religions, mais aussi avec les autorités nationales. C’est une excellente proposition.

Je félicite encore une fois le rapporteur et je vous invite à approuver ses propositions.

LA PRÉSIDENTE* – La discussion générale est close.

La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias a présenté un projet de résolution sur lequel 21 amendements ont été déposés, et un projet de recommandation sur lequel 1 amendement a été déposé (Doc. 13851).

Nous en venons tout d’abord au projet de résolution.

J’ai cru comprendre que la présidente de la commission de la culture propose de considérer les amendements 1, 8, 9, 10, 21, 3, 11, 4, 12, 13, 5, 15, 18, 19 et 6, qui ont été adoptés à l’unanimité par la commission, comme adoptés par l’Assemblée.

Est-ce bien le cas, Madame la présidente?

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – Oui, Madame la Présidente.

LA PRÉSIDENTE* – En l’absence d’objection, les amendements 1, 8, 9, 10, 21, 3, 11, 4, 12, 13, 5, 15, 18, 19 et 6 sont déclarés définitivement adoptés.

Nous en venons à la discussion des autres amendements.

Je vous rappelle que le temps d’intervention pour chaque amendement est limité à 30 secondes.

Je suis saisie de l’amendement 20.

M. UNGURYAN (Ukraine)* – Cet amendement fait suite à un débat que nous avons eu au sein de la commission. Il s’agit de préciser qu’il faut protéger, non pas seulement les minorités religieuses, mais aussi les visions religieuses du monde et les modes de vie en général.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan), rapporteur* – Je m’oppose à cet amendement car le rapport n’analyse pas les modes de vie en général. Je ne pense pas qu’il soit approprié d’ajouter cette dimension au projet de résolution sans qu’il y ait la moindre explication à ce sujet dans le rapport. Je vous invite donc à voter contre cet amendement.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – La commission est défavorable à cet amendement.

L’amendement 20 n’est pas adopté.

LA PRÉSIDENTE* – Je suis saisie de l’amendement 2.

M. FISCHER (Allemagne)* – Cet amendement vise à préciser le rapport. Nous souhaitons expliquer de quoi il s’agit dans le détail et je suis ravi que nous ayons l’approbation du rapporteur. Il me semble tout à fait logique d’adopter cet amendement.

LA PRÉSIDENTE – La présidence a été saisie du sous-amendement oral suivant:

A l’alinéa 2, supprimer les mots: «ou à la législation nationale».

Je considère que ce sous-amendement est recevable au regard des critères du Règlement.

Il ne peut toutefois être pris en considération si dix représentants ou suppléants au moins s’y opposent et se lèvent.

Ce n’est pas le cas. Nous allons donc l’examiner.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – Nous proposons la suppression de ces mots parce que, malheureusement, dans certains cas, la législation nationale pourrait entrer en conflit avec les droits de l’homme. Ce que nous voulons réaffirmer, c’est que les pratiques ne doivent pas violer les droits de l’homme.

M. FISCHER (Allemagne)* – Nous sommes d’accord sur ce sous-amendement qui n’altère pas le sens de l’amendement.

Le sous-amendement oral est adopté.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – Je suis favorable à l’amendement ainsi sous-amendé.

L’amendement 2, modifié, est adopté.

LA PRÉSIDENTE* – Je suis saisie de l’amendement 14.

Sir Edward LEIGH (Royaume-Uni), rapporteur pour avis* – La commission des questions juridiques propose la suppression du paragraphe 8 pour éviter de dicter des interdictions générales. Des évolutions ont eu lieu depuis que nous avons examiné ce point: la France a ainsi interdit le port du voile intégral, avec l’approbation de la Cour. Etant donné la nature polémique de ces questions, il ne faut pas indiquer de ligne particulière.

M. DENEMEÇ (Turquie)* – Cela est contradictoire: le paragraphe qu’il est proposé de supprimer renvoie à des résolutions précédemment adoptées à l’unanimité par cette Assemblée. Accepter cet amendement signifierait que l’Assemblée revient sur sa propre résolution. Par conséquent, j’invite tous mes collègues à rejeter cet amendement.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – La commission est favorable à cet amendement.

L’amendement 14 est adopté.

LA PRÉSIDENTE* – Je suis saisie de l’amendement 7.

M. DENEMEÇ (Turquie)* – Le rapport ayant pour objet la liberté de religion et l’exercice des droits, il me paraît plus approprié de s’abstenir d’utiliser des termes négatifs. Plutôt que d’employer les mots «ne soit pas autorisée à moins qu’elle», nous préfèrerions présenter cela de manière plus positive, tout en préservant le contenu et la forme.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – La commission n’est pas favorable à cet amendement.

L’amendement 7 n’est pas adopté.

LA PRÉSIDENTE* – Je suis saisie de l’amendement 17.

Mme OHLSSON (Suède)* – La convention sur les droits de l’enfant indique que si l’enfant est capable de présenter son propre jugement, il devra décider librement. Son point de vue devra donc être recueilli en fonction de son âge et de sa maturité. Il serait bon d’ajouter cette précision dans le paragraphe concerné.

Sir Edward LEIGH (Royaume-Uni), rapporteur pour avis* – Si cet amendement est adopté, il sera extrêmement controversé puisque la circoncision est souvent pratiquée quelques jours après la naissance. Cela serait donc totalement contraire aux coutumes ancestrales du peuple juif.

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – La commission n’est pas favorable à cet amendement.

L’amendement 17 n’est pas adopté.

LA PRÉSIDENTE* – Je suis saisie de l’amendement 22.

M. UNGURYAN (Ukraine)* – Je souhaite retirer cet amendement.

L’amendement 22 est retiré.

Le projet de résolution, contenu dans le Doc. 13851, amendé, est adopté. (68 voix pour, 6 contre et 8 abstentions.)

LA PRÉSIDENTE *– Félicitations! Nous en venons maintenant au projet de recommandation.

J’ai cru comprendre que la présidente de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias souhaite proposer à l’Assemblée de considérer l’amendement 16, qui a été adopté à l’unanimité par la commission, comme adopté par l’Assemblée.

Est-ce bien le cas, Madame la présidente?

Mme GAMBARO (Italie), présidente de la commission* – En effet.

LA PRÉSIDENTE*– Il n’y a pas d’objections?…

Ce n’est pas le cas.

L’amendement 16 au projet de recommandation est déclaré adopté définitivement.

Le projet de recommandation, contenu dans le Doc. 13851, amendé, est adopté. (70 voix pour, 2 contre et 7 abstentions.)

LA PRÉSIDENTE *– Félicitations!

3. Prochaine séance publique

LA PRÉSIDENTE* – La prochaine séance publique aura lieu demain matin, à 10 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment.

La séance est levée.

La séance est levée à 19 h 50.

SOMMAIRE

1. La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

Présentation par M. de Vries du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 13864)

M. Spielmann, Président de la Cour européenne des droits de l’homme

Orateurs: MM. Le Borgn’, Franken, Mme Taktakishvili, Lord Balfe, MM. Kox, Corlăţean, Golub, Csenger-Zalán, Chikovani, Mmes Kobakhidze, Grozdanova, Naghdalyan, MM. Nicolaides, Vlasenko, Díaz Tejera, Fischer, Çağlar, Korodi, Khader, Babayan

Réponses de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des questions juridiques

Votes sur un projet de résolution et un projet de recommandation

2. Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique

Présentation par M. Huseynov du rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias (Doc. 13851)

Présentation par Sir Edward Leigh du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, saisie pour avis (Doc. 13886)

Présentation par Mme Maury Pasquier du rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement rural, saisie pour avis (Doc. 13871)

Orateurs: MM. Logvynskyi, Heer, Kiral, Jónasson, Mahoux, Mme Magradze, MM. Unguryan, Dokle, Mme Jonica, M. Ghiletchi, Mme Hoffmann, Sir Roger Gale, MM. Le Borgn’, Jakavonis, Mme Duranton, M. Sabella, Mme Blondin, M. Rochebloine, Mme Zohrabyan, M. Dişli, Mmes De Sutter, Kronlid, MM. Fischer, Ardelean, Mme Gafavora, MM. Yatim, Reiss, Mme Pecková, MM. Feist, Frej, Mme El Ouafi

Réponses de M. le rapporteur et de Mme la présidente de la commission de la culture

Votes sur un projet de résolution amendé et sur un projet de recommandation amendé

3. Prochaine séance publique

Annexe I

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d’un astérisque

Pedro AGRAMUNT

Alexey Ivanovich ALEKSANDROV*

Brigitte ALLAIN*

Jean-Charles ALLAVENA*

Werner AMON*

Luise AMTSBERG*

Athanasia ANAGNOSTOPOULOU*

Lord Donald ANDERSON

Paride ANDREOLI

Sirkka-Liisa ANTTILA*

Ben-Oni ARDELEAN

Khadija ARIB*

Volodymyr ARIEV

Anna ASCANI*

Egemen BAĞIŞ*

Theodora BAKOYANNIS*

David BAKRADZE/Chiora Taktakishvili

Gérard BAPT/Geneviève Gosselin-Fleury

Doris BARNETT*

José Manuel BARREIRO*

Deniz BAYKAL

Marieluise BECK*

Ondřej BENEŠIK/Jana Fischerová

José María BENEYTO*

Levan BERDZENISHVILI/Guguli Magradze

Deborah BERGAMINI*

Sali BERISHA*

Anna Maria BERNINI*

Maria Teresa BERTUZZI/Sandra Zampa

Andris BĒRZINŠ

Gülsün BİLGEHAN

Brian BINLEY

Ľuboš BLAHA*

Philippe BLANCHART

Maryvonne BLONDIN

Tilde BORK*

Olga BORZOVA*

Mladen BOSIĆ

António BRAGA

Anne BRASSEUR/Claude Adam

Piet De BRUYN/Petra De Sutter

Beata BUBLEWICZ*

Gerold BÜCHEL*

André BUGNON

Natalia BURYKINA*

Nunzia CATALFO*

Elena CENTEMERO*

Irakli CHIKOVANI

Vannino CHITI*

Christopher CHOPE*

Lise CHRISTOFFERSEN

Henryk CIOCH*

James CLAPPISON

Igor CORMAN/Valentina Buliga

Telmo CORREIA*

Paolo CORSINI*

Carlos COSTA NEVES*

Celeste COSTANTINO*

Yves CRUCHTEN

Zsolt CSENGER-ZALÁN

Katalin CSÖBÖR/Mónika Bartos

Joseph DEBONO GRECH*

Reha DENEMEÇ

Renata DESKOSKA*

Alain DESTEXHE*

Manlio DI STEFANO*

Arcadio DÍAZ TEJERA

Peter van DIJK*

Şaban DİŞLİ

Sergio DIVINA*

Aleksandra DJUROVIĆ*

Namik DOKLE

Elvira DROBINSKI-WEIß*

Daphné DUMERY*

Alexander [The Earl of] DUNDEE*

Nicole DURANTON

Josette DURRIEU*

Mustafa DZHEMILIEV/Serhii Kiral

Mikuláš DZURINDA*

Lady Diana ECCLES*

Tülin ERKAL KARA

Franz Leonhard EßL*

Samvel FARMANYAN*

Joseph FENECH ADAMI*

Cătălin Daniel FENECHIU

Vyacheslav FETISOV*

Doris FIALA*

Daniela FLIPIOVÁ*

Ute FINCKH-KRÄMER

Axel E. FISCHER

Gvozden Srećko FLEGO

Bernard FOURNIER

Hans FRANKEN

Béatrice FRESKO-ROLFO*

Martin FRONC*

Sir Roger GALE

Adele GAMBARO

Karl GARÐARSSON*

Iryna GERASHCHENKO*

Tina GHASEMI

Valeriu GHILETCHI

Francesco Maria GIRO*

Pavol GOGA*

Carlos Alberto GONÇALVES*

Mustafa Sait GÖNEN

Alina Ștefania GORGHIU*

Svetlana GORYACHEVA*

Sylvie GOY-CHAVENT/ Frédéric Reiss

Fred de GRAAF*

François GROSDIDIER

Andreas GROSS

Dzhema GROZDANOVA

Mehmet Kasim GÜLPINAR*

Gergely GULYÁS/Attila Tilki

Jonas GUNNARSSON

Nazmi GÜR*

Antonio GUTIÉRREZ*

Maria GUZENINA

Márton GYÖNGYÖSI

Sabir HAJIYEV

Alfred HEER

Michael HENNRICH*

Martin HENRIKSEN*

Françoise HETTO-GAASCH/Marcel Oberweis

Oleksii HONCHARENKO/Vladyslav Golub

Jim HOOD/David Crausby

Anette HÜBINGER

Johannes HÜBNER/ Barbara Rosenkranz

Andrej HUNKO

Ali HUSEYNLI/Sahiba Gafarova

Rafael HUSEYNOV

Vitaly IGNATENKO*

Ekmeleddin Mehmet İHSANOĞLU

Florin IORDACHE/Daniel Florea

Tadeusz IWIŃSKI*

Denis JACQUAT*

Gedimnas JAKAVONIS

Gordan JANDROKOVIĆ*

Tedo JAPARIDZE*

Michael Aastrup JENSEN*

Mogens JENSEN

Frank J. JENSSEN*

Florina-Ruxandra JIPA/Viorel Riceard Badea

Ögmundur JÓNASSON

Aleksandar JOVIČIĆ*

Josip JURATOVIC*

Anne KALMARI

Mustafa KARADAYI/Hamid Hamid

Marietta KARAMANLI/Pascale Crozon

Niklas KARLSSON

Vasiliki KATRIVANOU*

Ioanneta KAVVADIA*

Danail KIRILOV*

Bogdan KLICH/Helena Hatka

Manana KOBAKHIDZE

Haluk KOÇ/Metin Lütfü Baydar

Igor KOLMAN*

Željko KOMŠIĆ*

Unnur Brá KONRÁÐSDÓTTIR*

Ksenija KORENJAK KRAMAR*

Attila KORODI

Alev KORUN*

Rom KOSTŘICA/Gabriela Pecková

Elvira KOVÁCS

Tiny KOX

Borjana KRIŠTO

Julia KRONLID

Eerik-Niiles KROSS*

Marek KRZĄKAŁA/Killion Munyama

Ertuğrul KÜRKÇÜ

Athina KYRIAKIDOU/Nicos Nicolaides

Serhiy LABAZIUK *

Inese LAIZĀNE

Olof LAVESSON/Boriana Åberg

Pierre-Yves LE BORGN’

Jean-Yves LE DÉAUT

Igor LEBEDEV*

Valentina LESKAJ*

Terry LEYDEN

Inese LĪBIŅA-EGNERE

Georgii LOGVYNSKYI

François LONCLE/Catherine Quéré

George LOUKAIDES

Yuliya L’OVOCHKINA*

Philippe MAHOUX

Thierry MARIANI/Marie-Christine Dalloz

Soňa MARKOVÁ*

Milica MARKOVIĆ*

Meritxell MATEU PI/Carles Jordana Madero

Ana MATO*

Frano MATUŠIĆ

Liliane MAURY PASQUIER*

Michael McNAMARA*

Sir Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA*

Evangelos MEIMARAKIS*

Ivan MELNIKOV*

Ana Catarina MENDES*

Attila MESTERHÁZY

Jean-Claude MIGNON*

Marianne MIKKO*

Olivia MITCHELL

Igor MOROZOV*

João Bosco MOTA AMARAL

Arkadiusz MULARCZYK*

Melita MULIĆ*

Oľga NACHTMANNOVÁ*

Hermine NAGHDALYAN

Piotr NAIMSKI*

Sergey NARYSHKIN*

Marian NEACȘU/Titus Corlăţean

Andrei NEGUTA

Zsolt NÉMETH

Miroslav NENUTIL*

Baroness Emma NICHOLSON*

Michele NICOLETTI

Aleksandar NIKOLOSKI*

Julia OBERMEIER*

Marija OBRADOVIĆ*

Žarko OBRADOVIĆ*

Judith OEHRI*

Carina OHLSSON

Joseph O’REILLY

Maciej ORZECHOWSKI/Michal Stuligrosz

Sandra OSBORNE/Joe Benton

Tom PACKALÉN

José Ignacio PALACIOS*

Liliana PALIHOVICI

Judith PALLARÉS CORTÉS

Ganira PASHAYEVA/Sevinj Fataliyeva

Florin Costin PÂSLARU

Waldemar PAWLAK/Jan Rzymełka

Jaana PELKONEN*

Vladimir PLIGIN*

Cezar Florin PREDA

John PRESCOTT

Gabino PUCHE*

Alexey PUSHKOV*

Lia QUARTAPELLE PROCOPIO*

Carmen QUINTANILLA/Jordi Xuclà

Kerstin RADOMSKI

Mailis REPS*

Andrea RIGONI

François ROCHEBLOINE

Soraya RODRÍGUEZ

Alexander ROMANOVICH*

Maria de Belém ROSEIRA*

René ROUQUET/Jean-Claude Frécon

Rovshan RZAYEV/Fazil Mustafa

Àlex SÁEZ*

Vincenzo SANTANGELO*

Milena SANTERINI*

Nadiia SAVCHENKO/ Sergiy Vlasenko

Deborah SCHEMBRI*

Stefan SCHENNACH

Ingjerd SCHOU

Frank SCHWABE*

Urs SCHWALLER

Salvador SEDÓ

Predrag SEKULIĆ*

Ömer SELVİ*

Aleksandar SENIĆ*

Senad ŠEPIĆ

Samad SEYIDOV*

Jim SHERIDAN*

Bernd SIEBERT/Thomas Feist

Valeri SIMEONOV/Kancho Filipov

Andrej ŠIRCELJ

Arturas SKARDŽIUS/Dalia Kuodytė

Jan ŠKOBERNE

Leonid SLUTSKY*

Serhiy SOBOLEV

Olena SOTNYK

Lorella STEFANELLI/Gerardo Giovagnoli

Yanaki STOILOV*

Karin STRENZ*

Ionuț-Marian STROE

Valeriy SUDARENKOV*

Krzysztof SZCZERSKI/Iwona Guzowska

Damien THIÉRY

Lord John E. TOMLINSON

Antoni TRENCHEV*

Goran TUPONJA

Ahmet Kutalmiş TÜRKEŞ*

Tuğrul TÜRKEŞ*

Theodora TZAKRI*

Ilyas UMAKHANOV*

Dana VÁHALOVÁ*

Snorre Serigstad VALEN*

Petrit VASILI*

Imre VEJKEY/Rózsa Hoffmann

Stefaan VERCAMER

Birutė VĖSAITĖ*

Nikolaj VILLUMSEN

Dimitris VITSAS*

Vladimir VORONIN

Viktor VOVK*

Klaas de VRIES

Nataša VUČKOVIĆ

Draginja VUKSANOVIĆ/Snežana Jonica

Piotr WACH

Robert WALTER

Dame Angela WATKINSON*

Tom WATSON*

Karl-Georg WELLMANN/Volkmar Vogel

Katrin WERNER*

Morten WOLD/Tore Hagebakken

Bas van ‘t WOUT*

Gisela WURM

Maciej WYDRZYŃSKI

Leonid YEMETS/Pavlo Unguryan

Tobias ZECH*

Kristýna ZELIENKOVÁ

Sergey ZHELEZNYAK*

Marie-Jo ZIMMERMANN

Emanuelis ZINGERIS*

Guennady ZIUGANOV*

Naira ZOHRABYAN

Levon ZOURABIAN*

Siège vacant, Chypre*

Siège vacant, Estonie*

Siège vacant, Turquie*

Siège vacant, Turquie*

Siège vacant, Turquie*

Siège vacant, Royaume-Uni/Lord Richard Balfe

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter

Kerstin LUNDGREN

Observateurs

Esawi FREJ

Partenaires pour la démocratie

Hanane ABOULFATH

Najat AL-ASTAL

Mohammed AMEUR

Nezha EL OUAFI

Qais KHADER

Bernard SABELLA

Mohamed YATIM

Représentants de la communauté chypriote turque (Conformément à la Résolution 1376 (2004) de l’Assemblée parlementaire)

Mehmet ÇAĞLAR