FR16CR23

AS (2016) CR 23
Edition provisoire

SESSION ORDINAIRE DE 2016

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(Troisième partie)

COMPTE RENDU

de la vingt-troisième séance

Mercredi 22 juin 2016 à 10 heures

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 10 h 5 sous la présidence de M. Agramunt, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de Mmes Godskesen et Vučković, au nom de la commission de suivi, sur «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie» (Doc. 14078 et Addendum).

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes.

Je vous rappelle également que nous devrons interrompre notre débat à 12 heures pour écouter M. Rõivas, Premier ministre de l’Estonie, et que nous le reprendrons cet après-midi, vers 16 h 30, après le discours de M. Alexis Tsipras, Premier ministre de la Grèce.

La commission de suivi dispose d’un temps de parole total de 13 minutes, que les corapporteures se répartissent à leur convenance entre la présentation de leur rapport et la réponse aux orateurs.

Mme GODSKESEN (Norvège), corapporteure de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi)* – Monsieur le Président, mes chers collègues, la Turquie est un membre fondateur du Conseil de l’Europe et un partenaire stratégique pour l’Europe. Cependant, ce pays fait l’objet d’une procédure de postsuivi depuis 2004.

La Turquie se trouve aujourd’hui confrontée à de nombreuses difficultés qui menacent le fonctionnement de ses institutions démocratiques. C’est ce qui a conduit la commission de suivi à vous soumettre le rapport que ma collègue Nataša Vučković et moi-même avons élaboré.

Nous tenons tout d’abord à remercier les autorités turques et la délégation turque de l’Assemblée parlementaire pour les discussions franches et constructives que nous avons eues avec elles sur ces questions difficiles.

La Turquie fait face aux conséquences de la guerre en Syrie qui dure depuis plus de 5 ans. Elle a déjà accueilli plus de trois millions de réfugiés et nous tenons à lui exprimer toute notre reconnaissance – à l’Etat, mais également à la population – pour les efforts qu’elle a réalisés pour les accueillir.

En outre, la Turquie fait face à des vagues d’attaques terroristes quotidiennes de la part du PKK, de Daech et d’autres organisations. Nous n’avons pas oublié les explosions meurtrières à Istanbul, Ankara et bien d’autres villes qui ont fait des centaines de victimes parmi les membres des forces de sécurité et parmi les civils. Le Président de l’Assemblée parlementaire, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et nous-mêmes, en tant que corapporteures, avons condamné ces attaques dans les termes les plus vigoureux.

Si la Turquie a le devoir de protéger ses citoyens, elle doit le faire conformément aux normes internationales et dans le respect des principes de proportionnalité et de nécessité. Nous savons tous qu’il s’agit d’un équilibre difficile à trouver pour la Turquie, comme pour tout autre Etat membre.

Dans ce contexte, nous avons concentré notre attention sur le sud-est de la Turquie, région touchée par l’escalade de la violence depuis la fin des pourparlers de paix, l’été dernier. Les autorités turques ont conduit des opérations de sécurité dans la région et imposé dans un certain nombre de districts un couvre-feu permanent qui, selon la Commission de Venise, est sans fondement juridique. De plus, les allégations de graves violations des droits de l’homme sont très préoccupantes.

Permettez-moi de citer quelques chiffres: 1,3 million de personnes sont concernées par le couvre-feu, qui s’accompagne de restrictions de l’accès à l’eau, à l’électricité et aux services éducatifs et sanitaires. Plus de 350 civils et près de 500 officiers de sécurité ont perdu la vie, et près de 5 000 membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont été tués en Turquie, mais aussi dans le nord de l’Irak et de la Syrie, du fait de ces opérations de sécurité. De vastes zones sous couvre-feu ont été détruites.

Les personnes déplacées doivent pouvoir regagner leurs foyers. Nous appelons les autorités turques à prendre des mesures en ce sens. Tout d’abord, les rapports concernant les atteintes aux droits de l’homme et les informations relatives à la situation sur le terrain doivent être rendus publics en toute transparence. Les allégations de violations des droits de l’homme doivent donner lieu à enquêtes. Nous sommes préoccupés par le dépôt d’un projet de loi qui vise à accorder une protection juridique aux forces de sécurité conduisant des opérations contre des organisations terroristes. Ce serait un pas en arrière.

Nous invitons la Turquie à constituer des équipes regroupant toutes les composantes de la société turque afin d’établir les faits et d’observer la situation en matière de droits de l’homme. Nous attendons aussi de nos collègues turcs et du Parlement turc qu’ils contribuent activement à relancer les pourparlers en vue d’une résolution pacifique du conflit. En dépit de l’intention exprimée par les autorités turques de trouver un juste équilibre entre la liberté et la sécurité dans le cadre des opérations antiterroristes qu’elles conduisent dans le sud-est du pays, nous devrions nous préoccuper des conséquences qu’entraîne le couvre-feu: il faut que des mesures soient prises pour rétablir la paix dans la région. Parallèlement, la violence doit cesser et le PKK doit déposer les armes.

Mme VUČKOVIĆ (Serbie), corapporteure de la commission de suivi* – Comme l’a indiqué Mme Godskesen, le présent rapport porte principalement sur trois questions qui sont à notre sens cruciales pour évaluer le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie: la situation dans le sud-est du pays et la situation des droits de l’homme qui y prévaut, les médias, l’Etat de droit et le pouvoir judiciaire.

Au cours de notre mission sur place, nous avons rencontré de nombreuses personnes qui luttent pour la démocratie, la liberté de la presse, les droits de l’homme et le respect de l’Etat de droit. Beaucoup nous ont dit se sentir abandonnées par ceux-là mêmes dont ils attendaient le soutien, parfois la protection. Ils attendent de nous que nous envoyions un message fort à leur gouvernement pour lui demander de s’aligner sur les valeurs et les normes du Conseil de l’Europe, et de les mettre en œuvre.

Dans chacun des trois domaines que nous avons ciblés, on ne saurait dire qu’il n’existe qu’une simple tendance générale à freiner l’application de ces normes. En réalité, c’est au quotidien qu’il se produit des faits menaçant nos valeurs et nos normes juridiques.

Je ne citerai que les exemples qui se sont produits depuis notre retour de mission, au début mai. De très nombreux parlementaires, pour la plupart d’opposition, ont perdu leur immunité. En tant que parlementaires, nous devrions nous sentir très concernés par cette mesure qui pourrait avoir des incidences disproportionnées sur les députés de l’opposition, nuire à la vie parlementaire et saper le dialogue politique.

J’en viens à la situation des médias. Il y a deux jours, le président de la Fondation turque des droits de l’homme, Şebnem Korur Fincancı, et plusieurs journalistes dont Erol Önderöğlu, de l’association Reporters sans frontières, et Ahmet Nesin, ont été arrêtés. Voilà qui ne fait qu’ajouter à la longue liste des constatations alarmantes que nous avons faites dans le secteur des médias. Le recours très large à la notion de «terrorisme» est particulièrement inquiétant: il permet d’incriminer des déclarations non violentes et d’engager des poursuites à l’encontre de tout message qui pourrait «coïncider avec des intérêts perçus comme étant ceux d’une organisation terroriste», selon les termes employés à juste titre par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. L’interprétation très large de la loi antiterroriste se traduit par des poursuites indues de défenseurs des droits de l’homme et d’avocats. De même, il est fait une utilisation abusive de l’article 299 du Code pénal relatif aux insultes proférées à l’encontre du président de la République et des hauts fonctionnaires, dont témoigne le nombre très important d’affaires de ce type dont les tribunaux turcs sont saisis.

En matière judiciaire, le Président Erdoğan a signé le 5 juin un décret autorisant la mutation de 3 228 juges et procureurs des juridictions civiles et de 518 autres dans les juridictions administratives, soit un quart de l’ensemble des magistrats turcs! C’est préoccupant. Nous insistons pour que les recommandations du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) en la matière soient suivies, afin que les mutations de magistrats obéissent à des critères clairs.

La semaine dernière, le Parlement turc a été saisi d’un nouveau projet de loi visant à restructurer la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, La réduction progressive du nombre de membres de la Cour et leur renvoi définitif – à l’exception des présidents de chambre – lorsque la loi en question entrera en vigueur met en péril de le principe de la sécurité de la fonction et du caractère inamovible des juges.

En juin, la Commission de Venise a adopté un avis sur la loi turque relative à la réglementation des publications sur internet et à la lutte contre les crimes commis par ce moyen. Elle a notamment constaté que l’autorité des télécommunications pouvait prendre des mesures de blocage de l’accès à internet sans autorisation judiciaire préalable.

Ayant ciblé trois questions, nous n’avons pu nous pencher sur d’autres problèmes pourtant importants pour la société turque. Je pense à la situation des femmes: les récentes déclarations du Président Erdoğan menacent les droits reproductifs des femmes et leur place dans la société. En 2013, déjà, nous avions appelé à la vigilance concernant la protection du droit à l’avortement; nous devons aujourd’hui réitérer cet appel. Nous sommes fermement convaincus que la Turquie doit exercer son devoir de diligence raisonnable pour prévenir, éclaircir, punir et réparer les actes de violences commis contre les femmes, conformément à la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, que la Turquie a été la première à ratifier en 2012.

En adoptant ce projet de résolution, nous enverrons un message fort au Gouvernement turc, mais aussi à tous les journalistes, chercheurs, défenseurs des droits de l’homme et responsables politiques qui, dans leur lutte pour la démocratie, la liberté de la presse, l’Etat de droit et les droits de l’homme en Turquie, peuvent compter sur notre ferme engagement à demander que les valeurs et les normes du Conseil de l’Europe soient respectées.

En conclusion, je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à la rédaction du présent rapport, en particulier les membres de la délégation turque. Nous tenons à préserver un climat de coopération et à aider nos collègues turcs dans les efforts qu’ils déploient pour que la séparation des pouvoirs demeure la pierre angulaire de la démocratie.

LE PRÉSIDENT – Mesdames les corapporteures, il vous restera une minute et demie pour répondre aux orateurs.

La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. OMTZIGT (Pays-Bas), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Merci, Mesdames les corapporteures, pour cet excellent rapport et cette description de ce qui se passe mal. Dans le sud-est de ce pays membre fondateur du Conseil de l’Europe, 1,6 million de personnes doivent quitter leur foyer à cause d’opérations militaires. Ce pays membre fondateur a adopté une loi sur le couvre-feu, ce qui veut dire que des centaines de personnes ne peuvent pas quitter leur maison et que certaines meurent. Selon la Commission de Venise, ce couvre-feu est illégal. Des lois sont adoptées pour déplacer juges et procureurs. Cela signifie qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat sont faibles, en sorte qu’on peut faire ce qu’on veut. Et lorsque les journalistes révèlent un trafic d’armes, ce n’est pas une enquête qui suit, mais un projet de loi visant à autoriser le seul président à diligenter une enquête lorsque les services secrets sont accusés de quoi que ce soit. Cela signifie, en gros, que vous donnez le pouvoir aux trafiquants.

Le Président est si puissant que des procès sont intentés en cas d’offense au chef de l’Etat. Le consul turc aux Pays-Bas a invité à rapporter à l’ambassade les propos susceptibles d’être ainsi qualifiés. C’est ainsi que les choses se passent, y compris chez nous!

Normalement, le pouvoir est entre les mains du Premier ministre et non du Président, mais, si le Président demande sa démission, il la remet! De même, il peut obtenir tous les changements constitutionnels qu’il souhaite. Dans les prochains jours, l’immunité d’un certain nombre de parlementaires sera levée.

Malheureusement, loin de constater quelque progrès que ce soit, nous assistons à une véritable régression. Aux corapporteures de nous dire si oui ou non nous devons lancer une procédure de suivi à l’encontre d’un pays qui agit de la sorte au sujet des droits de l’homme.

Sir Roger Gale, Vice-Président de l’Assemblée, remplace M. Agramunt au fauteuil présidentiel.

Mme DURRIEU (France), porte-parole du Groupe socialiste – Merci aux corapporteures. La tâche n’est pas facile. La Turquie est un grand pays. C’est une grande puissance historique, et le peuple turc est un grand peuple. Nous sommes d’accord, les uns et les autres, pour le rappeler en permanence. La Turquie est effectivement membre fondateur du Conseil de l’Europe, temple des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. La situation à laquelle nous sommes confrontés n’est pas facile à analyser.

La dérive autoritaire du Président de la Turquie, l’instauration d’un régime hyperprésidentiel nous inquiètent légitimement. La Turquie d’aujourd’hui, le peuple turc et son président ont rendez-vous avec l’Histoire et avec leur histoire, parce qu’au bout du compte, c’est le peuple turc qui décidera de ce qu’il veut.

Erdoğan est élu et réélu depuis plus de dix ans. Avec environ 50 % des suffrages, l’AKP est majoritaire, ou quasiment, et Erdoğan est élu. C’est donc la responsabilité du peuple turc qui est engagée. Pourquoi Erdoğan gagne-t-il toujours? Je crois que la confrontation le sert. Sa brutalité n’est pas contestée. L’armée est liquidée. On ne parle plus du mouvement Gülen. Police et justice sont liquidées. Les journalistes sont touchés – on a cité Erol Önderöğlu que j’ai rencontré régulièrement au bureau de Reporters sans frontières – et peut-être maintenant les parlementaires, avec la levée de l’immunité de plus 150 parlementaires, notamment du HDP. C’est une nouvelle atteinte aux droits fondamentaux et au parlementarisme. Quand on touche aux parlementaires, on touche au cœur même du fonctionnement de la démocratie. Pour le moment, il ne s’agit que d’une levée de l’immunité; nous verrons ce qu’il adviendra ensuite. Ce sera déterminant pour le postsuivi et peut-être la réouverture – que personne ne souhaite – d’une procédure de suivi.

Même avec le problème des Kurdes, sans doute aujourd’hui le problème fondamental de la Turquie, Erdoğan joue gagnant: 90 % de la population, au moins, condamnent les violences du PKK, et nous aussi! Mais attention, tout de même: Erdoğan pose le problème en prétendant que c’est lui ou le chaos.

Vous avez un rôle essentiel, vous les Turcs, à jouer. Nous vous souhaitons beaucoup de courage, et nous vous faisons toujours confiance.

LE PRÉSIDENT*- Je demande aux orateurs d’essayer de respecter leur temps de parole.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe – Monsieur le Président, il faut être plus qu’inquiet au vu des récents développements en Turquie. Pour lever tout malentendu et toute ambiguïté, je dirai d’emblée que nous condamnons avec la plus grande fermeté toute attaque terroriste perpétrée en Turquie et je tiens à réitérer mes plus sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes.

Le terrorisme doit être combattu mais, je le souligne, par des moyens conformes à l’Etat de droit et en respectant la Convention européenne des droits de l’homme. Je voudrais rappeler les propos du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland: «Not the terrorists can destroy our democraties, only we can do that».

Or les principes les plus élémentaires du Conseil de l’Europe sont bafoués par les autorités turques, ainsi que le décrit cet excellent rapport dont je tiens à féliciter les auteurs. Je ne voudrais relever que quelques éléments.

Tout d’abord, il est inacceptable que le couvre-feu quasi permanent, sans base légale, comme le souligne la Commission de Venise, prive les citoyens des régions concernées de l’accès aux nécessités les plus élémentaires. Il est inacceptable de voir des milliers de citoyens être déportés de ces régions.

Il est inacceptable de voir une mainmise sur les médias tout comme il est inacceptable d’interdire aux journalistes étrangers de faire leur travail en leur refusant même l’accès au territoire turc. Il faut s’insurger contre l’arrestation de journalistes et de défenseurs de la liberté de la presse qui ont osé soutenir un journal critique.

Il est inacceptable de voir la levée de l’immunité d’un nombre impressionnant de parlementaires, surtout de l’opposition, également des membres de notre assemblée, pour avoir osé exprimer leurs opinions politiques.

Il est inacceptable de maintenir l’article 299 du Code pénal relatif à l’offense à l’égard du chef de l’Etat et surtout de l’appliquer à une vaste échelle.

Il est inacceptable d’entendre le Président de la Turquie dire qu’il faudra analyser le sang des députés allemands d’origine turque et que leur sang est corrompu.

Il est inacceptable de voir des centaines de juges, de procureurs, de policiers ou de fonctionnaires déplacés ou démis de leurs fonctions.

Il est inacceptable d’entendre que les femmes devraient renoncer à la contraception.

Enfin, il est inacceptable que l’on décide l’interdiction de la Gay Pride au motif qu’une telle manifestation serait anticonstitutionnelle.

Monsieur le Président, je voudrais dire à nos collègues turcs ici, mais également au Parlement turc, qu’ils ont un pays merveilleux, à la culture extraordinaire et à l’essor considérable. Vous pouvez être fiers de votre pays, qui vient de devenir un grand contributeur de notre organisation, et nous nous en réjouissons.

Nous devons également réitérer nos remerciements pour les énormes efforts que votre pays fait pour accueillir des millions de réfugiés.

Vous êtes un pays fort; utilisez donc les moyens de l’Etat de droit pour combattre le terrorisme et continuer ainsi à être fiers de votre pays. Nous vous soutenons dans ce sens, chers amis turcs.

M. SEYIDOV (Azerbaïdjan), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* –Aujourd’hui, la Turquie doit faire face à une guerre, une guerre contre la terreur. Cette guerre est très dangereuse, non seulement pour la Turquie mais aussi pour le reste du monde.

Il faut bien comprendre que le rapport qui nous est présenté ce matin par les corapporteures présente deux caractéristiques principales. Il s’agit tout d’abord d’un rapport sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie. Je vous remercie, chères collègues, de vos recommandations et de vos évaluations, de tous les éléments importants mentionnés dans le rapport. Il est toutefois un autre aspect que le Conseil de l’Europe doit prendre en compte: la Turquie doit faire face à une guerre et agir au mieux dans ce contexte. Environ 10 milliards de dollars ont été dépensés par la Turquie uniquement pour accueillir les réfugiés qui fuient la Syrie et d’autres régions en proie à la guerre. Souvenons-nous que, tous les jours, des bombardements, des tirs, des fusillades, des assassinats ont lieu partout en Turquie, dans toutes les villes.

Il me paraît difficile de concevoir qu’un autre Etat européen se trouvant dans une situation similaire ferait l’objet d’un débat sur le fonctionnement de ses institutions démocratiques. C’est un vrai dilemme, mais nous devons soutenir la Turquie. Nous devons tout faire pour que les valeurs européennes puissent être respectées au sein de la Turquie, Etat cofondateur du Conseil de l’Europe. Nous devons aider la Turquie.

Or il y a aujourd’hui dans cet hémicycle des tentatives de détournement du présent rapport qui, une fois encore, porte sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie. Des amendements nous demandent de réengager une procédure de suivi à l’encontre de la Turquie. Mesdames, Messieurs, le plus important aujourd’hui est de comprendre qu’il faut non pas lutter contre la Turquie mais aider, soutenir ce pays. Car la Turquie œuvre non seulement pour elle-même mais aussi pour toute l’Europe. Je vous demande d’en tenir compte.

M. HUNKO (Allemagne), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* –
Permettez-moi de rappeler brièvement que c’est aujourd’hui le 75e anniversaire de l’agression allemande contre l’Union soviétique. En tant que député, il me semble indispensable de le mentionner. Cette guerre d’annihilation a fait 25 millions de morts, et c’est dans son sillage que le Conseil de l’Europe a été fondé. Il faut vraiment rappeler l’histoire.

J’aimerais remercier les deux rapporteures de leur rapport, qui est extrêmement important et qui exige du courage, comme elles l’ont dit elles-mêmes. Ce rapport rappelle ce qu’il s’est passé au cours de ces derniers mois, en particulier depuis les élections de juin 2015. L’arrêt du processus de paix et de négociation, en avril dernier, a conduit aux terribles développements qui ont très bien été décrits. J’aimerais simplement rappeler une fois de plus que nombre d’élus ont perdu leur immunité, y compris des collègues de cette Assemblée, des collègues du HDP, le Parti démocratique des peuples. Il se peut même qu’à la prochaine session ces derniers ne soient plus à nos côtés; peut-être seront-ils alors derrière des barreaux. Il est donc extrêmement important que l’Assemblée parlementaire envoie un message fort.

J’aimerais rappeler un autre fait. Au cours de la discussion, certains ont dit qu’il ne fallait pas être trop critique vis-à-vis de la Turquie, mais nous sommes une Assemblée parlementaire, et la mission d’une telle assemblée est bien d’appeler les choses par leur nom, de parler clairement. Nous ne sommes pas forcés d’employer une terminologie diplomatique comme ce peut être le cas des gouvernements.

Nous avons écouté les propos de Mme Durrieu. En Allemagne, l’ensemble du parlement a réagi sans ambiguïté lorsqu’on a demandé à l’un de nos collègues s’il avait du sang turc. Ce n’est pas le Gouvernement allemand qui a réagi, mais le parlement! Ici aussi, notre Assemblée parlementaire doit réagir clairement.

La Turquie est un pays magnifique, d’une richesse culturelle sans équivalent, avec une multiplicité de langues et une société civile très riche. Des journalistes courageux y font leur travail, des élus courageux, des maires des territoires kurdes s’y trouvent également emprisonnés. Nous devons envoyer un message clair qui encourage ces personnes. Il s’agit de s’exprimer non pas contre la Turquie, mais pour la Turquie, pour son développement pluraliste et démocratique.

M. POZZO DI BORGO (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je salue le rapport très documenté de nos collègues qui fournit des informations très détaillées sur ce qui se passe en Turquie.

Sur un sujet aussi complexe que la situation intérieure et géopolitique d’un grand pays comme la Turquie, nous avons en effet besoin de mieux comprendre les faits et de bien informer nos opinions publiques. En outre, l’Europe a profondément besoin de ce grand et puissant pays.

Le rapport de nos deux collègues et le projet de résolution qu’elles nous soumettent mentionnent à de multiples reprises leurs préoccupations quant à l’évolution de ce pays. Il est vrai que les motifs d’inquiétude ne manquent pas.

Ce qui me frappe, c’est le changement rapide et soudain que connaît ce pays.

L’AKP, le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002, a indéniablement et profondément transformé la Turquie en la libérant de la tutelle omniprésente de l’armée, un héritage kémaliste, et en mettant en œuvre des réformes qui ont entraîné un boom économique et une prospérité sans précédent.

L’évolution politique d’un pays sujet à des coups d’Etat réguliers est également appréciable. Observant avec des collègues de notre Assemblée les élections législatives turques de juin 2015, j’avais pu constater qu’elles s’étaient déroulées de manière tout à fait démocratique. Des députés sensibles aux intérêts kurdes avaient même été élus en nombre, en dépit d’un seuil électoral de 10 %, que je trouve trop élevé, mais la France n’a pas de leçon à donner à cet égard.

Puis tout s’est brusquement détraqué, à la fois pour des raisons intérieures – l’absence de majorité absolue pour l’AKP et le terrorisme du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan – et pour des raisons extérieures; il ne faut pas oublier que ce pays a la guerre à ses frontières, en Syrie, en Irak, et que cela a des conséquences déstabilisatrices pour la région. À ce titre, nous devons saluer les efforts considérables que ce pays déploie pour accueillir plus de 3 millions de réfugiés.

La Turquie a en effet la guerre à ses frontières. Avec ses 80 millions d’habitants, le pays est inévitablement traversé par des tensions considérables, en particulier du fait de la présence d’une importante minorité kurde dans le sud-est.

Pour autant, le raidissement et l’autoritarisme constituent-ils pour les autorités turques des réactions souhaitables à ces difficultés indéniables? Je ne le crois pas.

Ankara, dans plusieurs domaines que décrivent bien nos rapporteures, semble sortir des limites de ce qui est attendu d’une démocratie mature et d’un Etat de droit responsable. Je pense naturellement à la situation des Kurdes, avec les excès de l’armée et la levée de l’immunité des parlementaires, qui vise surtout le HDP, mais aussi aux restrictions apportées à la liberté de la presse. Cette évolution est très mal perçue par nos opinions publiques au moment où la Turquie semble vouloir relancer ses négociations d’adhésion à l’Union européenne.

M. ROUQUET (France) – Je voudrais tout d’abord exprimer toute ma sympathie à l’égard du peuple turc face aux ignobles et meurtriers attentats dont le pays a été la victime à de nombreuses reprises. Répétons-le sans relâche: le terrorisme, qu’il frappe à Paris, à Bruxelles ou à Istanbul, est inacceptable. Rien, absolument rien, ne peut justifier le terrorisme.

Il est vrai que la Turquie est, en outre, soumise à une pression migratoire sans précédent et qu’elle doit vivre avec des voisins comme la Syrie, l’Irak et l’Iran. Cette situation est pour le moins complexe. Cela ne légitime pas pour autant les évolutions récentes de ce pays, telles qu’elles ressortent de l’excellent rapport élaboré par la commission du suivi: remise en cause de la liberté de la presse et de l’indépendance de la magistrature; impossibilité de critiquer le chef de l’Etat sans courir de grands risques, la Turquie allant jusqu’à engager des poursuites en Allemagne; et, dernièrement, remise en cause du mandat de nombreux parlementaires.

Je regrette aussi, avec nos rapporteures, que les pourparlers de paix pour résoudre la question kurde aient tourné court. Je m’inquiète également de la remise en cause radicale des droits des femmes – je pense aux déclarations du Président Erdoğan sur le planning familial et à la difficulté d’avorter dans ce pays.

Comme le souligne le rapport, ces évolutions menacent le fonctionnement même de la démocratie. L’un des pièges du terrorisme est de pousser à une sur-réaction face à la menace, ce qui comporte le risque de compromettre ainsi l’essentiel. Dans ce contexte, l’ouverture des chapitres relatifs à la justice, dans le cadre du processus d’adhésion à l’Union européenne, que proposent nos rapporteures, semble effectivement opportune.

Ne fondons pas cependant trop d’espoir sur ce processus, tant les arrière-pensées sont nombreuses de part et d’autre. L’avenir nous dira également si le récent accord entre l’Union européenne et la Turquie est une bonne ou une mauvaise chose. Il est pour le moins lourd d’ambiguïtés et d’incertitudes.

Pour conclure, je rêverai les yeux ouverts. Le conflit chypriote serait révolu, ce qui ne dépend pas de la seule Turquie. Je rêverai d’un monde où l’Arménie et la Turquie seraient réconciliées, la réalité historique étant enfin prise en compte. La question des migrations ferait l’objet d’un authentique partenariat entre l’Europe et la Turquie, avec une véritable solidarité et un respect mutuel. La question kurde serait à nouveau traitée au niveau politique et non plus seulement de manière policière et militaire. L’Etat de droit serait à nouveau un objectif essentiel.

C’est un rêve, sûrement, mais le réalisme peut parfois s’assimiler à de la résignation et je souhaiterais vivement qu’un Etat qui a rejoint le Conseil de l’Europe quelques mois après sa création soit un modèle pour notre continent.

Mme CENTEMERO (Italie)* – Je remercie les rapporteures pour ce travail primordial et fort intéressant qui décrit clairement la situation en Turquie: 3 millions de réfugiés, des attaques terroristes, en particulier dans le sud-est du pays, que nous déplorons, une escalade de la violence qui a provoqué le déplacement de 350 000 personnes et la mise en place de restrictions qui concernent non seulement l’accès à l’eau et à l’électricité, mais également à l’éducation et aux soins de santé.

La commission de suivi a souligné cette situation et exprimé sa préoccupation au sujet des droits de l’homme à la suite des opérations de sécurité. Dans la mesure où j’ai participé personnellement au suivi des dernières élections en Turquie, qui ont eu lieu à la fin du mois d’octobre et au début du mois de novembre, j’ai pu constater moi-même tous ces phénomènes.

Je voudrais insister sur un certain nombre de thèmes importants sur lesquels il nous faut réfléchir: l’immunité des parlementaires, la liberté de la presse et, plus largement, la liberté d’expression, sans oublier la révision constitutionnelle qui est en cours et permettra au président actuel d’avoir encore plus de pouvoirs.

Mais je voudrais également m’arrêter un instant sur la condition des femmes. La Commission de Venise nous enseigne que les démocraties authentiques sont celles dans lesquelles la participation des femmes à la vie politique est garantie, tout comme celle des hommes. Autrement dit, les femmes doivent être représentées dans les institutions. À l’issue des élections de juin 2015, la proportion des femmes élues au Parlement turc était de 17 %. Après celles du mois de novembre, elle est tombée à 14,9 %. Cela montre bien que la condition des femmes et la possibilité pour elles de participer pleinement à la vie de leur pays, sur la base d’un choix de parti, est en danger. J’avoue que je suis particulièrement préoccupée par cette situation.

Pour que les institutions démocratiques fonctionnent vraiment, il faut que les femmes y participent sans restriction. Il faut reconnaître et garantir non seulement leurs droits, mais également leur dignité, laquelle est malheureusement remise en cause, comme l’ont expliqué les orateurs précédents, puisqu’elles ont également du mal à accéder à la contraception et à l’avortement.

Je remercie les rapporteures d’avoir fait référence à la Convention d’Istanbul. Signé dans la capitale de la Turquie, ce texte devrait être la ligne directrice de ce pays, de manière à faire en sorte que les femmes puissent vivre en sécurité et participer pleinement à la démocratie, ce qui, malheureusement, est de moins en moins le cas.

Mme QUÉRÉ (France) – Mesdames les rapporteures, la levée de l’immunité de 138 parlementaires, adoptée par la Turquie, constitue une atteinte grave aux valeurs défendues par cette Assemblée. Alors que nous discuterons jeudi des immunités parlementaires, des devoirs et des droits liés à notre mandat, cette décision montre, s’il en était besoin, que la protection des parlementaires et de leur liberté d’expression et d’action politique est essentielle à la survie de nos démocraties.

Mais au-delà, je regrette que votre rapport n’évoque pas une seule fois les conséquences de cette décision sur la représentation politique des femmes au Parlement turc. Touchant de façon disproportionnée les partis d’opposition – en particulier le Parti démocratique du peuple –, cette levée d’immunité concernera de fait une large majorité de femmes députées, démocratiquement élues. En effet, la moitié des élus du HDP étaient des femmes. Ce parti défendait donc non seulement les droits des Kurdes, mais aussi ceux des femmes. Les femmes étaient aussi largement représentées dans les autres partis d’opposition visés.

Il faut dire que l’AKP de M. Erdoğan, pourtant largement majoritaire, n’accueille que peu de femmes en son sein. Il est vrai qu’au regard des dernières déclarations du Président turc sur la condition féminine, il est clair que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur européenne qui lui a échappé.

Cette attaque contre les femmes politiques fait suite à une régression constante des droits des femmes en Turquie depuis l’arrivée de M. Erdoğan au pouvoir. Pourtant, dans le monde musulman, la Turquie avait, comme la Tunisie, joué un rôle avant-gardiste en matière de droits des femmes. N’oublions pas que les femmes turques ont pu voter en 1934, soit 11 ans avant les Françaises, et qu’elles ont obtenu le droit à l’avortement en 1965, là aussi 10 ans plus tôt qu’en France et dans d’autres pays.

Aujourd’hui, si le droit à l’avortement n’est juridiquement pas remis en cause – pour l’instant –, l’accès concret à l’avortement est devenu quasiment impossible pour les femmes les plus pauvres, qui finissent par avoir recours à des cliniques clandestines ou à des «faiseuses d’ange», métier que nous pensions disparu. L’an dernier, 100 femmes ont été violées, et trois fois plus sont mortes sous les coups d’un homme – ce dernier chiffre a triplé depuis 2002. Ces violences restent impunies devant les tribunaux, alors que des sanctions pénales sont prévues de tels crimes.

La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes est une des grandes réussites du Conseil de l’Europe. Comment pourrions-nous fermer les yeux quand le pays qui lui a donné son nom – la Convention d’Istanbul – ne fait visiblement rien pour son application effective?

Mesdames les corapporteures, les femmes sont trop absentes de votre rapport. Je le regrette, car peut-on parler d’institutions démocratiques en Turquie aujourd’hui alors que tout est fait pour faire taire la parole des femmes!

M. ESEYAN (Turquie)* – Chers membres de l’Assemblée, je voudrais à mon tour remercier Mmes les corapporteures. L’occasion m’a été donnée de discuter avec elles du contenu de ce rapport avec différentes étapes de son élaboration.

Je suis arménien chrétien et citoyen de la Turquie et je voudrais vous ramener 14 ou 15 ans en arrière. À cette époque, mon père était à la tête d’une association. Pour cette raison, il a été torturé. Il est malheureusement décédé des suites de ces tortures. Puis, il y a 15 ans, un processus de réformes a été engagé avec l’AKP. La Turquie se trouvait alors du côté sombre mais, depuis, malgré les difficultés qui subsistent, bien des progrès ont été réalisés. Je sais que tout cela a été apprécié objectivement par le Conseil de l’Europe. Je sais que la Turquie a été encouragée et je partage certaines des inquiétudes exprimées. Il me semble toutefois que l’on a débordé du thème du rapport - «le fonctionnement démocratique des institutions en Turquie» - pour infliger un camouflet au Président de la Turquie.

Le rôle du Conseil de l’Europe n’est pas celui-là. Certes des problèmes se posent en Turquie, mais les corapporteures n’ont visé qu’un objectif. Moi aussi, je visite fréquemment le sud-est de la Turquie. J’y étais encore il y a quelques jours. Dans cette région, la Turquie fait face à une situation très difficile. Le problème ne concerne pas uniquement la Turquie, car il y a beaucoup de réfugiés dans la région. Vous dites que la situation est inacceptable. Vu de Paris ou de Strasbourg, c’est sans doute compréhensible, mais je puis vous assurer que, dans le sud-est de la Turquie, le PKK lutte de façon abominable. La manière dont le PKK traite le peuple turc est répugnante. On ne peut parler de trêve. Personne ne dit qu’il faut aller tuer des Kurdes, mais c’était le seul moyen de protéger les civils en Turquie.

Si le processus de suivi remet encore cela en cause, c’est qu’il vise à pénaliser le Président Erdoğan. C’est une analyse quelque peu émotionnelle, qui pourrait avoir un effet négatif sur les relations entre le Conseil de l’Europe et la Turquie. Je vous prie de ne pas prendre mes paroles comme une menace, mais comme l’expression de la volonté de voir bannie toute réaction émotionnelle.

LE PRÉSIDENT* – Le temps de parole est limité à 3 minutes. Si chaque orateur le dépasse de 15 ou 30 secondes, cela signifie que deux ou trois collègues inscrits dans le débat ne pourront pas s’exprimer. Ne l’oubliez pas !

 M. Billström, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. DİŞLİ (Turquie)* – (Commençant en anglais) Monsieur le Président, chers collègues, nous savons que tout ne se passe pas pour le mieux en Turquie. Nous savons que la Turquie fait la une des médias, avec un mélange de vérités et de mensonges. La Turquie rencontre des problèmes systémiques. Nous nous demandons si nous n’allons pas passer d’un système parlementaire à un système présidentiel et nous nous battons pour élaborer une nouvelle Constitution. Mais, dans le même temps, nous sommes en guerre contre différentes organisations terroristes, telles que le PKK et Daech.

Vous devriez également savoir que nous accueillons plus de 3 millions de Syriens chez nous et qu’ils continuent d’arriver. La guerre en Syrie fait rage, les Russes continuent de bombarder Alep et nous attendons un nouvel afflux de réfugiés.

Ce rapport est intitulé: «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie». Il ne s’agit pas d’un rapport de suivi. Nos collègues peuvent présenter des amendements, comme ils le feront aujourd’hui, mais nous sommes dans une procédure de postsuivi. Nous avons du travail devant nous; douze points ont été relevés et une date limite a été fixée. Lorsque les conclusions seront publiées, vous pourrez décider si nous pouvons sortir de la procédure de suivi ou s’il nous faut y revenir. Mais hier en commission, à 14 heures, des amendements de dernière minute ont été présentés. C’est une façon sournoise de traiter la question turque. Agirait-on de même pour d’autres pays?

En Europe, la xénophobie fait rage, l’islamophobie est de retour, le terrorisme sévit, le problème des réfugiés se pose également, et nous savons que nous devons apprendre à vivre ensemble, entre différentes cultures.

(Poursuivant en turc) Cette sensibilité démontrée à l’égard de la Turquie ne s’applique pas aux développements qui ont lieu en Europe. Pourquoi ce «deux poids, deux mesures» ? Certaines informations n’apparaissent pas dans ce rapport. Des mesures prises par notre gouvernement devraient nous permettre de surmonter certains problèmes.

Mme NAGHDALYAN (Arménie)* – Chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier les corapporteures, Mmes Godskesen et Vučković, pour le considérable travail effectué pour ce rapport qui est fort complet.

Le document souligne les graves sujets que la Turquie doit traiter sans délai. Elle doit résoudre de nombreux problèmes dans les domaines de l’Etat de droit, législatif et judiciaire et dans celui des relations entre les communautés. Le rapport fait également allusion aux restrictions à la liberté d’expression et des médias, à l’influence politique exercée sur les médias, aux poursuites engagées contre les journalistes d’investigation, mais aussi les citoyens ordinaires.

Toute tentative de fournir une information différente de la position officielle aboutit à des poursuites et à des mesures oppressives. L’une des premières victimes fut Hrant Dink, un journaliste turc d’origine arménienne, assassiné à Istanbul en 2007. M. Dink qui a écrit sur le génocide arménien prônait la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie. Il a lutté pour la dignité humaine et les libertés dans son pays.

Le 20 mai dernier, le Parlement turc a voté une loi permettant une action pénale à l’encontre des législateurs. Elle vise nos collègues qui représentent l’opposition en Turquie; ils sont véritablement en danger. En 1915 les premières victimes furent les membres du Parlement turc d’origine arménienne. Evitons que l’Histoire ne se répète.

L’adoption récente de la résolution sur le génocide arménien par le Bundestag – nous lui en sommes reconnaissants – a soulevé une vague d’indignation au sein des autorités turques. Les législateurs allemands sont l’objet de discours de haine et d’intimidation. Certains ont reçu des menaces de mort anonymes et vivent sous protection policière. Le Président Erdoğan a demandé des examens sanguins pour les députés allemands d’origine turque. Comme le président du Bundestag l’a dit, l’époque à laquelle on définissait les personnes par leur sang a pris fin en 1945. Malheureusement, ce n’est pas le cas en Turquie.

Je ne peux pas ne pas parler du patrimoine culturel. En effet, des milliers de monuments culturels arméniens sur le territoire turc: sont détruits. Telle est la politique du Gouvernement turc, qui souhaite éliminer tous les témoignages matériels de la culture arménienne. Le génocide de 1915 continue aujourd’hui sous la forme d’un génocide culturel contre le patrimoine arménien.

Le rapport souligne clairement le manque d’institutions démocratiques en Turquie. C’est une première étape. Nous devons maintenant, et au profit de la Turquie, utiliser les instruments politiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour demander une procédure de suivi de la Turquie.

M. Mogens JENSEN (Danemark)* – La Turquie est l’un des pays fondateurs du Conseil de l’Europe, et une grande puissance du continent européen. Nous devons attendre qu’elle respecte les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe.

L’évolution récente de la situation en Turquie, la limitation de la liberté d’expression et des médias, les attaques contre les droits et la prééminence du droit, contre l’intégrité de parlementaires démocratiquement élus, ainsi que toute une série de violations de droits de l’homme, doivent nous inciter à soulever des questions graves sur l’évolution de la démocratie en Turquie. Nous partageons cette préoccupation avec plusieurs institutions du Conseil de l’Europe, comme la Commission de Venise, le GRECO et le Commissaire aux droits de l’homme.

Nous sommes pour la plupart d’entre nous d’accord pour considérer que le pilier le plus important de la démocratie est la liberté d’expression et des médias. Les poursuites lancées contre des journalistes d’investigation en Turquie est un processus déraisonnable et inacceptable. Il en va de même de la criminalisation et des poursuites d’un grand nombre de défenseurs des droits de l’homme et d’avocats. N’oublions pas les plus de 2 000 cas de poursuites à l’encontre de journalistes, d’universitaires, mais aussi de simples citoyens pour «offense au Président»: c’est une restriction antidémocratique de la liberté de parole, tout comme le blocage de plus de 110 000 sites internet et de comptes Twitter.

Ces événements, ainsi que les modifications récentes dans le régime de propriété des sociétés de médias, influencées par le gouvernement, ont débouché sur des restrictions significatives de la liberté d’expression. Cette façon d’exercer une influence politique sur les médias est très problématique.

Mes chers collègues, soyons clairs: ces mesures vont à l’encontre des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe. Il en va de même quant à la décision de lever l’immunité d’un certain nombre de parlementaires dans le pays. L’immunité parlementaire est le principe qui doit, avant tout, nous permettre, en tant que représentants élus, de travailler et de nous exprimer sans crainte. Si le pouvoir en Turquie ne prend pas rapidement des mesures pour réaffirmer son engagement à l’égard des valeurs du Conseil, nous devrons envisager la possibilité de relancer une procédure de suivi de la Turquie. Elle peut l’empêcher, mais nous attendrons les mesures prises par le parti au pouvoir.

M. KÜÇÜKCAN (Turquie)* – Je remercie les corapporteures pour l’intérêt qu’elles ont manifesté pour notre pays. Elles sont venues en Turquie, sont entrées en contact avec nous et avec plusieurs institutions. Nous avons essayé de leur faciliter la tâche, en souhaitant qu’elles aient un tableau exhaustif de la situation turque.

La Turquie est un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe. Jusqu’à maintenant, elle a respecté les valeurs de l’Union européenne et a fait beaucoup d’efforts pour les traduire dans ses lois. Cependant, la Turquie n’est pas dans une situation très confortable. Notre géographie est très difficile; nous ne sommes ni la France, ni l’Angleterre, ni l’Allemagne, qui ne sont pas confrontés aux problèmes d’envergure que nous connaissons. Coups d’Etat, héritages négatifs, etc., nous avons voulu laisser tout cela derrière nous.

Nous travaillons avec le Conseil de l’Europe, avec la justice et la Cour européenne des droits de l’homme, nous avons des relations très proches avec la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, et nous tenons toujours compte du point de vue de la Commission de Venise. Nous tenons compte des valeurs du Conseil de l’Europe.

Mais pour que la démocratie fonctionne au sein d’un pays, la sécurité, la stabilité et la confiance sont nécessaires. Bien que le domaine politique soit tout à fait ouvert, la Turquie a été attaquée par des organisations terroristes telles que Daech. Malheureusement, le Conseil de l’Europe n’a pas été aussi compréhensif à l’égard de la Turquie qu’à l’égard d’autres pays.

Nous attendons du rapport du Conseil de l’Europe qu’il indique clairement que la lutte contre le terrorisme n’est pas la lutte de la seule Turquie. Tout comme la question de l’immigration et des réfugiés, il s’agit de questions européennes. De même, la lutte contre la violence et le terrorisme est un problème global de l’Europe et du monde entier. Quand la Turquie lutte contre Daech, elle ne se bat pas uniquement pour elle, mais également pour l’Europe et les valeurs du Conseil de l’Europe.

Certes nous tenons compte des critiques émises dans ce rapport, certes nous sommes d’accord avec un certain nombre d’entre elles. Aucun pays n’est parfait. Mais ce rapport aurait dû être plus équilibré et plus constructif. À sa lecture, il semble que la situation soit catastrophique en Turquie, proche d’un après coup d’Etat. Ce tableau n’est pas correct. La Turquie, avec son Parlement, sa société civile, ses médias et sa justice, est un pays qui essaie de s’intégrer à l’ensemble de l’Europe.

Il faut savoir si la décision que va prendre le Conseil de l’Europe va aider ou non la Turquie. Va-t-elle l’éloigner, l’aliéner? Voilà le problème.

La Turquie est attachée aux valeurs de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, et elle le reflète dans sa politique.

M. SCHWABE (Allemagne)* – La Turquie est un pays magnifique et son peuple est admirable. Ce pays accomplit un travail considérable en accueillant les réfugiés et nous devons en tenir compte. Toutefois, ce n’est pas de cela qu’il est question. Aujourd’hui, nous parlons de toute autre chose et il me paraît adéquat de critiquer le Gouvernement turc. En effet, comme les corapporteures l’ont souligné, on décèle aujourd’hui en Turquie les signes d’un plan de renforcement du pouvoir de la part du gouvernement et du président actuels. Ce plan n’est nullement légitimé par la Constitution.

Aujourd’hui, donc, l’un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe, la Turquie, a besoin de notre aide pour rester sur la voie de la démocratie et de la primauté du droit. Il y a là un véritable défi. Si nous n’aidions pas ce pays aujourd’hui, quelle serait alors notre mission, ici, au Conseil de l’Europe? Nous devons donc réfléchir aux mécanismes qui doivent être mis en place dans ce contexte.

À l’heure actuelle, nous observons en Turquie un emprisonnement systématique des journalistes. Les médias d’opposition sont empêchés de faire leur travail. Au moins trois journalistes connus ont été emprisonnés pour des motifs injustifiés. Des membres de l’Assemblée parlementaire font également l’objet de mesures coercitives. Les droits de manifester sont limités, tout comme les droits des femmes, les droits des personnes LGBTI, et les droits des mouvements écologistes et des ONG. Une législation restrictive est appliquée, qui place davantage de pouvoir encore entre les mains du gouvernement.

C’est pourquoi nous devons aujourd’hui adopter une position claire. Une partie du mal provient de la législation anti-terroriste interprétée de manière extensive. Cette législation est censée lutter contre le terrorisme mais elle permet, en réalité, que tout le monde puisse faire l’objet de poursuites.

Le Conseil de l’Europe doit lancer un appel à l’Union européenne. Dans le cadre de l’accord passé avec la Turquie, la libéralisation du régime des visas doit être conditionnée à la suppression de la législation anti-terroriste telle qu’elle est appliquée à l’heure actuelle. On ne peut s’écarter impunément de la voie des droits de l’homme, de la primauté du droit et de la démocratie. J’aime la Turquie, mais il est grand temps que les choses soient claires!

Mme BAKOYANNIS (Grèce)* – Mes chers collègues, permettez-moi de féliciter nos deux corapporteures pour ce rapport équilibré, qui fait la part des choses s’agissant de la situation actuelle de la Turquie.

En tant que Grecque, je suis une amie du peuple turc. Nos pays sont voisins et je connais les difficultés que rencontre la Turquie. Elle a connu des évolutions positives au cours des dernières années. De cela, on ne saurait douter. Elle se trouve aujourd’hui dans une situation difficile puisqu’elle doit mener un combat très dur contre le terrorisme. Nous devons tous lui montrer notre solidarité dans ce contexte.

Je reviens tout juste de Turquie. Certaines villes, naguère touristiques, sont aujourd’hui vides. Les gens ont peur du terrorisme et ne veulent plus se rendre en Turquie. Mais il n’est pas question, dans ce débat, de la lutte contre le terrorisme. Il est question du respect des droits de l’homme. Le terrorisme n’a rien à voir avec les droits des femmes ou la liberté de la presse. Lorsque des journalistes se retrouvent derrière les barreaux parce qu’ils ont révélé une affaire, cela n’a rien à voir avec le terrorisme! C’est tout simplement une violation de la liberté d’expression. Lorsque des maires et des parlementaires sont accusés de faits obscurs parce qu’ils appartiennent à un parti de l’opposition, cela n’a rien à voir non plus avec le terrorisme!

Si nous voulons vraiment aider la population turque et contribuer à l’émergence d’une Turquie pleinement européenne, qui pourrait un jour rejoindre l’Union européenne – c’est d’ailleurs ce que nous souhaitons, nous, les Grecs –, alors nous devons refuser une Europe à la carte, dans laquelle chacun peut faire ce qu’il veut. La Turquie doit respecter nos valeurs communes et les droits de l’homme comme tous les autres pays européens. Si nous voulons aider la Turquie, alors nous devons lui envoyer un message clair et adopter ce rapport. Il existe pour elle une autre voie, celle du respect des droits de l’homme. C’est ainsi que la Turquie obtiendra le plein appui de sa population et des peuples européens, et pas seulement celui des gouvernements.

Mme MAIJ (Pays-Bas)* – Je tiens tout d’abord à féliciter les autorités turques. Il y a eu de réelles évolutions ces dernières années en Turquie en ce qui concerne l’économie et l’accueil des réfugiés. Comme d’autres personnes l’ont mentionné, il est très important de féliciter les autorités et la population turques pour avoir accueilli un si grand nombre de réfugiés et cherché à surmonter toutes les difficultés qui en découlent.

La situation géographique de la Turquie n’aide pas beaucoup à sa propre évolution intérieure à l’heure actuelle, mais le fait qu’il y ait une guerre civile dans un pays voisin et qu’il y ait des réfugiés ne signifie pas qu’elle ne doit pas respecter les droits civils et politiques. Nous pouvons voir le développement des droits économiques et de l’économie turque, mais si nous examinons l’évolution des droits civils et politiques aujourd’hui en Turquie, le tableau est bien sombre.

Si la Turquie doit être félicitée pour son développement économique, nous devons être très stricts s’agissant des droits politiques et civils, qui ne sont pas respectés dans ce pays pour le moment. La liberté d’expression est le pilier même de la démocratie. Elle consiste à pouvoir discuter avec une personne qui a un avis totalement différent du sien. Nous ne pouvons pas accepter que des journalistes de l’opposition soient emprisonnés et que des parlementaires soient privés de leur immunité. Nous devons protester vigoureusement contre de telles pratiques.

Certains débats qui ont lieu en Turquie s’exportent actuellement dans d’autres pays européens, en Allemagne mais aussi aux Pays-Bas. Ces débats ne sont malheureusement pas sains.

La lutte contre les Kurdes dans le sud-est du pays prend aujourd’hui la forme d’une guerre civile. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que le dialogue puisse avoir lieu. Certains collègues turcs se sont également exprimés en ce sens.

La Turquie est l’un des pays fondateurs du Conseil de l’Europe pour lequel le respect du droit des femmes est essentiel et, d’ailleurs, notre Convention d’Istanbul porte le nom de la plus grande ville turque. Respectons donc les droits des femmes, pas seulement en Europe mais aussi en Turquie! Leur droit de décider pour leur corps et de choisir le nombre d’enfants qu’elles veulent avoir est inaliénable.

M. GYÖNGYÖSI (Hongrie)* – Je commencerai par remercier les corapporteures pour ce rapport très intéressant qui comporte de nombreuses informations et des recommandations pertinentes. Un rapport qui tient compte des épreuves que subissent les Turcs.

Si le parti au pouvoir s’est transformé ces dernières années, il a également transformé la Turquie. Et ces transformations ont malheureusement eu lieu à un moment où la région est confrontée à un regain de violence et de déstabilisation. La Turquie se trouve en effet dans une région à risque, étant proche de la Syrie, de l’Irak et même, un peu plus loin, de l’Ukraine et de l’Afrique du Nord.

La Turquie doit donc relever des défis importants et souffre des conséquences terribles des bouleversements de la région. Elle doit faire face – comme d’autres pays – à des migrations de masse, à des tensions sociales, politiques et économiques. Nous pouvons donc comprendre qu’il soit nécessaire d’adopter des mesures extraordinaires.

Ici, au Conseil de l’Europe, nous parlons de la préservation et de la sauvegarde des droits et des libertés, mais nous devons également être conscients des efforts déployés par la Turquie en ces temps très difficiles.

De nombreux orateurs ont félicité la Turquie pour l’accueil qu’elle a réservé à 3 millions de réfugiés – elle a dépensé 10 milliards d’euros – alors qu’un grand nombre de pays européens l’ont laissée se débrouiller seule. Maintenant, il est vrai qu’il convient de trouver un équilibre entre la liberté et la sécurité. Un dilemme qui prévaut, non seulement en Turquie, mais dans le monde entier – n’oublions pas la tragédie du 11 septembre.

La défense des valeurs est la mission principale du Conseil de l’Europe, mais quelles sont les mesures que nous choisissons d’adopter pour atteindre cet objectif? Ce rapport, comme certains des membres de l’Assemblée, préconise une nouvelle procédure de suivi à l’encontre de la Turquie. Personnellement, il me semble que cela serait contre-productif.

Naturellement, si une procédure a été décidée par notre Organisation, nous devons l’appliquer. Il s’agit d’une procédure qui s’applique à tous les pays par ordre alphabétique et elle doit être appliquée à tous les Etats membres. Mais il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures.

M. YATIM (Maroc, partenaire pour la démocratie) – Monsieur le Président, permettez-moi de formuler quelques réflexions sur les conclusions de ce rapport de suivi que j’estime un peu sévère à l’égard d’un pays qui constitue un pont entre l’Orient et l’Occident, entre l’Islam et la laïcité. Un pays qui est, pour les peuples de la région, un exemple, un modèle de réussite et une oasis de démocratie dans un désert de régimes politiques, de dictatures et de régimes totalitaires.

Certes, la Turquie est dans l’obligation, en tant que pays fondateur du Conseil de l’Europe, de respecter ses engagements et de donner une suite favorable aux appels lancés pour qu’elle poursuive ses efforts afin de mettre sa législation et ses pratiques aux normes du Conseil de l’Europe.

Elle a le devoir de conduire des enquêtes effectives, de mettre en place des mécanismes pour observer la situation des droits de l’homme, de publier des rapports crédibles et de revoir la levée de l’immunité des parlementaires, ainsi que la restriction abusive des dispositions légales restreignant la liberté d’expression.

Mais nous ne pouvons pas aller jusqu’à faire un procès à tout le système politique, mettre en cause les avancées considérables réalisées sur les plans politiques et économique.

Il ne faut surtout pas donner l’impression à nos peuples qui observent ce modèle – et son succès – que notre institution applique des doubles standards, qu’elle fait les yeux doux aux régimes autoritaires mis en place dans la région par des coups d’Etat militaires – et qui commettent des crimes contre l’Humanité –, pendant qu’elle adopte une position sévère contre la Turquie.

Le rapport a cité à bon escient les difficultés auxquelles la Turquie est confrontée: les conséquences de la guerre en Syrie, l’hébergement de 3 millions de réfugiés, les menaces et attaques terroristes continues. De nombreux pays occidentaux ont dû recourir à des mesures d’urgence, réduisant ainsi les libertés, pour faire face au terrorisme.

Cependant, et je m’adresse à nos amis turcs, il convient de prendre en compte les critiques et les observations contenues dans ce rapport. Mais j’invite aussi l’Assemblée à être juste et à formuler des critiques objectives et constructives.

Mme PASHAYEVA (Azerbaïdjan)* – Mes chers collègues, j’ai visité toutes les régions évoquées dans le rapport, je me permettrai donc de dire que notre Assemblée, et l’Europe dans son ensemble, n’a pas suffisamment soutenu la Turquie dans la lutte contre le terrorisme. Nous voyons même que des organisations terroristes, qui ont perpétré des attaques sanglantes en Turquie, mènent des actions, librement, dans de nombreux pays européens.

Le terrorisme est un crime contre l’Humanité. Par conséquent, il faut appeler les groupes qui commettent des attentats en Turquie – qui ont coûté la vie à 30 000 personnes – des «organisations terroristes»; il faut appeler un chat un chat. Les Etats membres de l’Assemblée doivent donc soutenir la Turquie dans sa lutte tout à fait légitime contre le terrorisme. Ces derniers mois, en Turquie, 458 membres des forces de l’ordre ont été tués et plus de 3 000 personnes ont été blessées.

J’ai visité plusieurs régions de la Turquie, j’ai rencontré beaucoup de proches des victimes du terrorisme, et je peux vous affirmer qu’ils ont de moins en moins confiance en notre Organisation. Vous avez à faire face à la douleur de ces personnes qui considèrent que l’Europe applique deux poids deux mesures dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Notre Assemblée doit donc envoyer un message clair et se tenir aux côtés de la Turquie. Elle doit faire pression sur les organisations terroristes et, par exemple, lancer un appel au PKK pour qu’il cesse la lutte armée.

Nous devons également nous demander d’où viennent les armes de ces organisations. Les armes saisies au cours des opérations que la Turquie a menées contre les groupes terroristes nous apprennent beaucoup de choses quant à leur origine.

Par ailleurs, nous devons dire à ceux qui soutiennent ces organisations terroristes – en les finançant ou en leur procurant des armes – qu’ils doivent cesser. Ces groupes ne peuvent être défendus sous aucun prétexte. Tous ceux qui soutiennent le terrorisme de façon ouverte ou non doivent rendre compte à la justice. Nous ne devons pas appliquer deux poids deux mesures en ce domaine, sinon le nombre des attaques terroristes continuera à augmenter dans le monde entier et menacera notre civilisation et l’humanité tout entière.

Dans l’une des villes évoquées dans le rapport, 550 millions de livres turques ont été investis dans des projets, par le gouvernement, dans toutes les régions du pays. Cela démontre qu’il ne manifeste aucune discrimination ethnique et qu’il rend service à l’ensemble de ses citoyens.

Nous savons tous ici qu’il n’existe aucun différend entre les Turcs et les Kurdes; ils ont vécu ensemble pendant des siècles. Malheureusement, ce sont les organisations terroristes qui créent les problèmes, soutenues par des forces extérieures. Nous ne devons pas laisser faire et nous devons soutenir la Turquie dans sa lutte contre le terrorisme.

Mme DURANTON (France) – Le rapport très complet de nos collègues norvégienne et serbe ne peut nous laisser indifférents: sa lecture nous donne l’impression que la Turquie part à la dérive. Cet Etat membre historique du Conseil de l’Europe s’éloigne lentement, mais sûrement, de notre Organisation, de ses valeurs et de ses normes. De nombreuses sources concordent pour souligner la gravité de la situation.

Personne ici ne conteste les difficultés auxquelles la Turquie est confrontée, en particulier le terrorisme et les conséquences, notamment humanitaires, du conflit en Syrie. Cependant, les réponses exclusivement répressives et disproportionnées qui leur sont apportées par les autorités d’Ankara ne sont pas satisfaisantes. Au contraire, elles sont sans doute de nature à exacerber les tensions. La censure des journaux et d’internet, les tentatives de mise au pas de la magistrature, les multiples atteintes aux droits de l’homme, en particulier dans le sud-est du pays, la contestation des décisions de la Cour constitutionnelle, la levée de l’immunité parlementaire de plus d’une centaine de députés à des fins politiques et la suspension du dialogue avec les Kurdes n’ont jamais permis de régler des problèmes.

Cette dérive met en évidence le fossé grandissant entre des autorités visiblement oublieuses de l’enseignement de Montesquieu – «c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser», écrivait-il dès 1748 dans De l’esprit des lois – et une société civile particulièrement ouverte et dynamique qui avait démontré sa maturité démocratique lors des scrutins législatifs de 2015, à l’occasion desquels je me suis rendu dans le pays en mission d’observation.

Notre Assemblée doit rester vigilante et exigeante envers la Turquie. Le contexte géopolitique et les défis qu’il faut relever nécessitent une Turquie solide et stable.

L’Europe a besoin de la Turquie. L’accord que l’Union européenne a conclu avec ce pays le 18 mars dernier sur la gestion des flux migratoires le démontre: ce texte a permis de réduire considérablement les arrivées irrégulières en provenant de la Turquie vers la Grèce, même si nous devons rester attentifs aux conditions de sa mise en œuvre.

Cependant, la Turquie a aussi besoin de l’Europe. Des premiers efforts ont été consentis concernant la libéralisation des visas, mais le rythme des réformes doit être accéléré pour satisfaire l’ensemble des 72 critères fixés, et l’engagement pris par le pays pour contrôler ses frontières doit être effectivement tenu.

En novembre dernier, l’Union européenne a manifesté sa volonté de redynamiser les négociations d’adhésion avec la Turquie et plusieurs chapitres de négociations ont été ouverts depuis lors. Pour autant, la Commission européenne a fait le même constat que celui de notre commission de suivi: celui d’une absence de progrès dans de nombreux domaines, voire des reculs sur l’indépendance de la justice et la liberté d’expression.

Face à ces vives préoccupations sur l’Etat de droit en Turquie, j’appelle les autorités de ce pays à se ressaisir.

Mme GÜNAY (Turquie)* – Le rapport qui nous est présenté me semble fondé sur des faits erronés. Comme vous le savez, la levée de l’immunité de parlementaires turcs fera ici même l’objet d’un débat qui aura lieu demain. Et si la Turquie est la cible de nombreuses accusations, le diagnostic de nos corapporteures me semble bien éloigné de la science politique, qui nous apprend que la démocratie doit aller de pair avec le bien-être de la société. La liberté d’expression n’autorise pas tout, par exemple le soutien au terrorisme. Or, les parlementaires membres du Parti démocratique des peuples (HDP) n’ont pas su prendre leurs distances avec l’organisation terroriste kurde, à laquelle ils ont continué d’apporter leur soutien moral et matériel. Ils ont même participé aux cérémonies organisées en l’honneur des membres du PKK tués, s’en servant de plateforme politique.

L’apologie qu’a faite une députée du HDP de l’organisation terroriste qui a commis les attentats d’Ankara a été la goutte qui a fait déborder le vase. Qu’auriez-vous dit si l’un des membres de notre Assemblée s’était rendu à l’enterrement des auteurs des attentats de Paris ou de membres de Daech? Pourtant, chaque attentat terroriste commis en Turquie suscite de tels comportements. Ne les critiqueriez-vous pas?

Il me semble que nous devons respecter la mémoire des martyrs tués dans les attentats terroristes, et que nous ne pouvons en aucun cas apporter notre soutien au terrorisme. Je vous invite donc à faire preuve d’empathie et à envisager les événements qui se produisent en Turquie sous cet angle.

M. BLANCHART (Belgique) – La Turquie est un pays magnifique, ancien et divers. Nous aimons ce pays laïc et savons qu’il connaît un contexte géopolitique très complexe.

Regardons dans notre propre jardin, chers collègues. Au fond, l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie pose la question de l’incapacité de l’Europe à répondre aux attentes de ses citoyens et aux défis énormes qui existent à quelques heures d’avion seulement de Bruxelles ou de Strasbourg. Il n’est pas envisageable de fermer les yeux ou de se défausser de notre tâche sur d’autres. Pourtant, l’Europe est incapable de regarder dans son assiette et de condamner les atteintes aux droits et aux valeurs européennes qui sont commises sur son propre territoire.

L’Union européenne a fait le choix de remettre les clefs de la politique d’asile et de gestion de ses frontières extérieures au régime de M. Erdoğan. Les valeurs du Conseil de l’Europe n’en sont pas pour autant négociables. Au-delà de l’accord sur les réfugiés, nous devons naturellement coopérer avec la Turquie tout en respectant le droit international et européen. La coopération avec la Turquie est cruciale: l’Union européenne a besoin de la Turquie, et vice-versa, mais pas à n’importe quel prix. Le cadre de cette coopération doit être clair.

Il ne suffit pas d’organiser des élections régulières et transparentes pour constituer une démocratie. Avant même d’ouvrir le débat sur une éventuelle adhésion au projet européen en tant que tel, nous exigeons de cet Etat partenaire qu’il respecte pleinement la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle il est déjà lié de manière impérieuse par son appartenance au Conseil de l’Europe. Aujourd’hui, ces conditions ne sont pas remplies, bien au contraire: les droits de l’homme sont de plus en plus menacés par le pouvoir actuel.

Il faut certes souligner les efforts considérables que consent la Turquie – comme la Jordanie et le Liban – pour accueillir les réfugiés syriens. Cependant, plusieurs événements récents comme l’interdiction de la Gay Pride d’Istanbul, l’arrestation de parlementaires et de journalistes, la censure; les atteintes à la liberté d’expression et aux droits des minorités – notamment les Kurdes – et des femmes ne sauraient rester sans réponse de la part du Conseil de l’Europe, même s’il faut souligner qu’il revient à tous les Etats, dont la Belgique, d’être irréprochables en matière de respect du droit, y compris du droit d’asile.

L’existence d’un lien de partenariat n’autorise pas à négocier l’Etat de droit. De ce point de vue, nous devons rester inflexibles. Encore une fois, il faut exiger du régime de M. Erdoğan qu’il respecte la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle la Turquie est liée par son appartenance à notre Assemblée.

Mme SCHOU (Norvège)* – Permettez-moi d’exprimer mon soutien plein et entier à nos corapporteures. En ces temps d’épreuves pour la Turquie, elles ont rédigé un rapport très détaillé, très fin et très informatif. Je soutiens totalement le projet de résolution.

L’Europe vit des temps difficiles. Crise migratoire et menace terroriste sont des défis pour l’Europe entière, mais ce que vit la Turquie est sans précédent. Elle continue de subir de plein fouet les attentats terroristes. C’est aussi le pays de l’espace du Conseil de l’Europe qui accueille le plus de réfugiés. Accueillir trois millions de réfugiés, c’est une tâche immense pour quelque Etat que ce soit. Aujourd’hui, la Turquie, qui porte une part importante de ce fardeau, mérite nos félicitations.

Certes, les terroristes continuent leurs attentats, certes, la crise n’est pas terminée, certes, les migrants continuent d’arriver, mais cela ne saurait justifier de renoncer de quelque manière que ce soit à la démocratie, aux droits humains et à l’Etat de droit. En ces temps de crise, nous devons être particulièrement vigilants pour faire respecter nos valeurs, nos principes, nos cadres juridiques. Je voudrais donc féliciter les corapporteures qui ont délivré un message ferme et clair à la Turquie sur le fonctionnement des institutions démocratiques, effectivement menacées. Elles ont également mis l’accent sur la liberté d’expression, la liberté des médias. Les mesures adoptées par les autorités turques pour réduire la liberté de la presse, qui entraînent des phénomènes d’autocensure, sont particulièrement préoccupantes. L’application de la loi sur l’offense au chef de l’Etat ne peut ainsi être acceptée. Il est, selon moi, indispensable, aujourd’hui, de poursuivre un débat pluraliste.

Je voudrais, pour conclure, citer le rapport de la Commission de Venise selon laquelle la sécurité de l’Etat et les droits fondamentaux ne se font pas concurrence; ce sont là deux valeurs dont chacune est la condition préalable de l’autre. C’est là l’essence même du défi que doit relever la Turquie. Nous devons être particulièrement fermes: tous les responsables, toutes les autorités, tous les gouvernements doivent veiller avec la plus grande vigilance à ne pas se départir des valeurs européennes. Je voudrais que le projet de résolution soit adopté sans que sa force se trouve diluée par les amendements.

Mme RAWERT (Allemagne)* – Le thème de ce rapport concerne le cœur même du Conseil de l’Europe et de toute démocratie. Il s’agit de maintenir les droits de l’homme et de préserver l’Etat de droit. À plusieurs reprises, nous avons, dans cet hémicycle, entendu parler du terrorisme. Bien entendu, tout Etat a l’obligation et la responsabilité de parvenir à un équilibre entre la liberté et la sécurité de ses citoyens, et, tous, nous savons que le terrorisme est une menace à la fois intérieure et extérieure. Ainsi, les attentats en Turquie ont fait des victimes allemandes. Nous menons donc un combat commun contre le terrorisme. Nous devons cependant pareillement, tous, nous garder d’user du mot «terrorisme» à d’autres fins.

S’agissant des droits de l’homme, j’aimerais revenir sur plusieurs points qui me tiennent vraiment à cœur. Ainsi que cela a été souligné à juste titre, la lutte contre les violences domestiques est insuffisante, en Turquie, nous l’avons dit. Le nombre de femmes tuées, en particulier lorsqu’elles demandent le divorce, et des violences vont croissant. On ne saurait refuser les droits reproductifs et la santé à la femme. On ne saurait accepter que des structures patriarcales empêchent l’égalité entre les femmes et les hommes. On ne saurait tolérer que le gouverneur d’Istanbul interdise la Trans Pride et que la police anti-émeutes frappe les manifestants à coups de matraque tout en usant d’autres mesures répressives pour les disperser. Tout cela contrevient aux droits de l’homme, auxquels la Turquie a souscrit lors de son adhésion. Les poursuites contre des journalistes d’investigation sont également inacceptables. Et qu’arrivera-t-il à nos collègues parlementaires dont on lève l’immunité? Ils ne seront plus nos collègues. Ce sont pourtant des parlementaires élus, comme nous!

En Turquie se côtoient de nombreuses populations. Ayons donc le courage de répéter bien haut le mot d’ordre de la campagne lancée lundi: Non à la haine! Non à la peur!

M. KÜRKÇÜ (Turquie)* – Je remercie les corapporteures pour ce rapport consacré à la situation des droits de l’homme et aux problèmes de la démocratie turque. J’espère que l’Assemblée adoptera les amendements que j’ai déposés avec mes collègues pour donner un tableau plus complet de la situation.

Chacun, dans cet hémicycle, sait que tout ne va pas bien en Turquie – y compris les parlementaires de l’AKP. La recherche d’une solution pacifique à la question kurde, la préoccupation d’une inclusion des groupes exclus, le souci de parvenir à une démocratie plus large sont autant de questions qui nous ont occupés en 2013, lors du dernier débat sur la Turquie. L’optimisme et l’espoir alors de mise ont aujourd’hui disparu. Depuis le mois de juillet 2015, quelque 500 civils et 450 officiers de police ont perdu la vie, au moins 5 000 militants kurdes ont été tués, y compris à l’artillerie lourde et du fait de bombardements aériens, et au moins 1,6 million de personnes ont souffert des couvre-feux imposés vingt-quatre heures sur vingt-quatre; 125 000 personnes ont été déplacées, et le nombre de personnes incarcérées au titre des lois antiterroristes a dépassé les 2 000. Que s’est-il donc passé au cours des trois dernières années, qui explique ce changement de cap?

J’entends ici certains de mes collègues affirmer que la Turquie est prise entre deux feux – le PKK et Daech – et que cela expliquerait tout. Est-ce que cela peut vraiment expliquer pourquoi l’immunité de certains parlementaires est levée, pourquoi tous les jours des journalistes sont jetés en prison, pourquoi des civils sont tués sans discrimination? La vraie raison est ailleurs. La vraie raison, c’est que les pourparlers entre les Kurdes et le gouvernement ont été suspendus au mois d’avril 2015 par le Président Erdoğan, et la voie vers une solution pacifique a été barrée. Nous nous souvenons tous de cette phrase: «Il n’y a pas de question kurde en tant que telle.» Voilà qui nous a ramenés dans le passé et a rouvert le conflit armé avec la minorité kurde.

Il est clair que le parti HDP est catégoriquement opposé à la violence. Nous luttons pour instaurer les conditions indispensables à la reprise des négociations pour un règlement pacifique. Nous sommes prêts à en payer le prix, quand bien même il s’agit d’être calomniés par nos interlocuteurs.

M. VAREIKIS (Lituanie)* – Nous discutons aujourd’hui de la Turquie, l’un des pays les plus complexes sur notre continent et au sein du Conseil de l’Europe. Je salue les corapporteures, qui ont accepté de rédiger un rapport si compliqué sur un pays qui ne l’est pas moins. Nous savons ce que ce travail a représenté. Je soulignerai simplement un certain nombre de facteurs dont il nous faudra tenir compte lorsque nous discuterons des amendements.

La Turquie a toujours été membre du Conseil de l’Europe. Pendant des décennies, sa présence au sein de l’institution a été importante, et ce pays participe vraiment de l’esprit du Conseil sur le plan culturel.

En 2004, la Turquie a entamé un dialogue postsuivi avec le Conseil de l’Europe, et le pays a fait un grand pas vers la démocratie. Cependant, la situation aujourd’hui n’est plus la même qu’il y a 12 ans; elle a évolué. Nous devons à cet égard tenir compte de quatre éléments.

Premièrement, la Turquie est dans une situation de conflit, un conflit du XXIe siècle, différent de ceux que l’on a connus au XXe siècle. Le terrorisme n’est pas un conflit national propre aux Turcs, c’est un conflit international. Si donc ce pays est en situation de conflit, il ne doit pas lutter seul contre le terrorisme.

Deuxièmement, le pays est confronté à l’arrivée massive de migrants. En Grèce, le problème des réfugiés est non pas national, mais international. Il en va de même pour la Turquie. Les réfugiés ne viennent pas par la mer, comme en Grèce ou en Italie; ils arrivent directement d’une zone de conflit. La Turquie a su cependant trouver une solution au travers de l’accord avec l’Union européenne.

Troisièmement, les droits de l’homme doivent être respectés, y compris en temps de conflit. On ne peut s’appuyer sur l’existence d’un conflit pour bafouer les droits de l’homme. Il faut que la part des choses soit faite en Turquie entre la lutte contre le terrorisme et le respect de la démocratie.

Quatrièmement, enfin, je me réjouis d’avoir entendu le chef de la délégation turque dire qu’il sera tenu compte des critiques qui ont été exprimées.

M. HEER (Suisse)* – La situation est difficile en Turquie, ce pont entre l’Asie et l’Europe. Elle est entourée d’Etats qui connaissent des problèmes très compliqués, lesquels alimentent le flux des réfugiés, et elle est elle-même confrontée à un conflit; il ne faut pas oublier qu’elle est visée par des attentats terroristes. Ainsi que cela a été rappelé, lorsqu’un attentat est perpétré en Turquie, les médias occidentaux n’en font pas autant état que lorsqu’un même événement touche Paris ou Bruxelles. Tous les êtres humains sont pourtant égaux, toutes les victimes de ces attentats doivent être regrettées, quel que soit le pays visé.

Nous ne sommes pas ici pour faire la morale à la Turquie, mais plutôt pour être des conseillers. Et le conseil que je donnerais à nos amis serait de tenter de chercher le dialogue en Turquie. Bien entendu, un dialogue n’est possible qu’à condition qu’il y ait liberté de la presse. Je comprends que l’on veuille lutter contre le terrorisme, et à cette fin renforcer la législation pour améliorer la sécurité. Néanmoins, cela ne devrait pas conduire à ce que la démocratie, la liberté d’expression, la liberté d’opinion soient limitées. La justice ne doit pas non plus être entravée comme on a pu le voir. La voie du dialogue est toujours la meilleure; il faut toujours chercher ensemble comment procéder à des améliorations. Cela vaut aussi pour la Turquie.

Des minorités vivent en Suisse comme en Turquie. Il est important qu’elles dialoguent les unes avec les autres, et que tous dialoguent pour améliorer la situation.

Je suis fermement convaincu qu’on ne saurait reprocher au Conseil de l’Europe le soutien qu’il apporte. Nous sommes reconnaissants à la Turquie, tant au sein de l’Union européenne que du Conseil de l’Europe, pour son accueil des réfugiés. Nous ne critiquons pas non plus l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, malgré les difficultés que son application présente, notamment avec le retour de réfugiés. Pour la Turquie, c’est la quadrature du cercle.

M. RUSTAMYAN (Arménie) – Chers collègues, la situation politique intérieure et extérieure de la Turquie a continué de se dégrader au cours des dernières années. C’est devenu plus évident encore après le changement de système politique, lorsque M. Erdoğan est parvenu à établir un régime autoritaire dans le pays. Tous les problèmes qu’il avait affirmé vouloir régler en priorité à son arrivée au pouvoir n’ont pas été résolus; ils sont même devenus beaucoup plus profonds et complexes.

Au regard des droits de l’homme, la situation des Kurdes et des autres minorités se dégrade de jour en jour. En outre, les membres du parlement qui ne sont pas favorables à M. Erdoğan subissent des menaces permanentes et risquent d’être emprisonnés à tout moment. C’est vraiment la fin de la démocratie.

Sur le plan extérieur, la situation est pire encore. Alors que le régime avait affirmé initialement vouloir zéro problème avec ses voisins, il se trouve aujourd’hui avec zéro voisin sans problème. La Turquie continue de jouer un double jeu dans la crise syrienne. Les allégations sur une coopération du régime de M. Erdoğan avec le prétendu Etat islamique sont nombreuses et persistantes. Enfin, M. Erdoğan est le seul chef d’Etat qui a encouragé son allié azerbaïdjanais, le Président Aliev, dans son agression contre le peuple du Haut-Karabakh en avril dernier.

La Turquie, par sa politique négationniste, non seulement reste la responsable du génocide arménien et de crimes contre d’autres minorités perpétrés par l’empire ottoman, mais continue de menacer le monde civilisé, qui condamne ce crime contre l’humanité, comme ce fut récemment le cas au Bundestag, en Allemagne. Au lieu d’adopter une même attitude, sublime et courageuse, et de reconnaître leur responsabilité dans ce génocide, les autorités turques insultent et menacent les parlementaires d’autres pays en déclarant qu’il faut analyser la pureté de leur sang.

Chers collègues, même la lutte contre le terrorisme que M. Erdoğan mène à sa manière est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire en la matière. Le concept de terrorisme est en effet tellement vaste et flou que tout opposant au régime peut être considéré comme terroriste.

Il est évident que la Turquie n’a pas rempli ses obligations, bien que l’on soit passé du processus ordinaire de suivi au dialogue postsuivi. Il faut aujourd’hui adresser un message politique fort à M. Erdoğan. L’Assemblée doit considérer la possibilité d’ouvrir une procédure de suivi, car la démocratie en Turquie est actuellement en danger. Je vous propose donc de soutenir l’amendement sur ce sujet. Le suivi, ce n’est pas la peine de mort. Ce serait insulter les autres pays soumis aujourd’hui à cette procédure que de le prétendre.

Mme ZALISCHUK (Ukraine)* – La Turquie est un membre très important de la famille du Conseil de l’Europe et, depuis des décennies, elle a démontré qu’elle était l’un des partenaires les plus importants pour ce qui est d’encourager le développement démocratique de la région et son élargissement vers l’Est.

L’intégration européenne demeure un objectif stratégique pour la Turquie; elle constitue le cadre des progrès dans la mise en œuvre des valeurs démocratiques – je pense notamment à la récente libéralisation du régime des visas. La Turquie a aussi ratifié récemment un protocole à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et d’autres conventions internationales.

Il faut souligner que la Turquie est aux avant-postes, sur la ligne de front. Les autres pays n’ont pas à affronter de telles difficultés – je pense à la guerre en Syrie, à la crise des migrations et aux attaques terroristes répétées commises par le prétendu Etat islamique et d’autres organisations terroristes.

Mais, dans le même temps, dans cet hémicycle, il nous faut également parler des valeurs qui nous unissent au sein du Conseil de l’Europe, à savoir les libertés et les droits fondamentaux. Or les libertés ne peuvent pas être les victimes des opérations antiterroristes; les droits ne peuvent pas être les otages de l’objectif – légitime – consistant à combattre l’extrémisme.

En tant qu’ancienne journaliste ayant vécu pendant des années dans un pays où la censure était très présente, je dois dire que les poursuites engagées contre des journalistes indépendants n’ont rien à voir avec la lutte contre les menaces extérieures. Bien au contraire, cela sape la capacité du pays à mobiliser non seulement sa propre société, mais aussi la communauté internationale pour les encourager à lutter aux côtés du gouvernement.

Le grand nombre de violations des droits des femmes et des représentants de l’opposition, les restrictions à la liberté de parole, les quelque 2 000 procédures judiciaires engagées contre des journalistes et des universitaires, le blocage des sites web – plus de 110 000 – et des comptes Twitter: tout cela ne peut pas nous laisser indifférents. Nous devons réagir.

En conclusion, je voudrais toutefois souligner que notre réaction face à ces atteintes aux libertés ne doit pas nous empêcher d’aider la Turquie à faire face à ses problèmes.

LE PRÉSIDENT* – Il nous faut maintenant suspendre notre débat, qui reprendra cet après-midi, vers 16 h 30, après l’allocution de M. Tsipras, Premier ministre de la Grèce, et un hommage à Jo Cox.

M. Agramunt, Président de l’Assemblée, reprend place au fauteuil présidentiel.

2. Discours de M. Rõivas, Premier ministre de l’Estonie

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle maintenant le discours de M. Rõivas, Premier ministre de l’Estonie, qui répondra ensuite aux questions des membres de notre Assemblée.

Monsieur le Premier ministre, c’est un honneur pour moi de vous accueillir dans cet hémicycle. L’Estonie préside actuellement le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Depuis qu’elle est devenue membre du Conseil de l’Europe, en 1993, l’Estonie a prouvé qu’elle était un membre solide de notre Organisation pour la défense des valeurs démocratiques sur notre continent. Je suis persuadé que cette deuxième présidence de votre pays nous permettra de renforcer encore notre coopération.

Je suis également heureux de vous accueillir ici en tant que plus jeune Premier ministre d’Europe: une nouvelle génération de responsables politiques arrive aux affaires.

Nous nous réjouissons beaucoup d’entendre votre discours et vos idées sur les défis auxquels l’Europe se trouve confrontée aujourd’hui.

M. RÕIVAS, Premier ministre de l’Estonie* – Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est pour moi un grand honneur d’intervenir au cours de la session plénière de l’Assemblée parlementaire.

Monsieur Ban Ki-moon, Secrétaire Général des Nations Unies, a dit un jour très judicieusement que la liberté est une valeur éternelle. De fait, la Charte des Nations Unies appelle au respect des libertés fondamentales. La Déclaration universelle des droits de l’homme mentionne quant à elle la liberté à plus de 20 reprises. La Convention européenne des droits de l’homme est allée encore plus loin, puisqu’un grand nombre des principes qu’elle pose, et qui sont liés à la liberté, sont juridiquement contraignants. Grâce à cet instrument, un certain nombre de valeurs sont respectées. En particulier, les citoyens ont le droit et la possibilité de déposer des requêtes auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, relatives notamment aux actes des gouvernements.

Je voudrais féliciter l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres pour le travail qu’ils ont effectué en synergie afin d’élargir le champ des libertés et de renforcer celles-ci, mais aussi afin de créer de la stabilité et de protéger les droits de l’homme. Ce sont là des valeurs fondamentales, et l’on ne saurait tolérer la moindre exception. À travers les mécanismes de suivi et grâce au travail très professionnel de tous les rapporteurs, qui font montre d’une grande compétence, le rôle de l’Assemblée parlementaire s’est révélé essentiel.

Avant d’en venir à la question de la coopération internationale, je voudrais également souligner le rôle essentiel des parlements nationaux et de leurs représentants, car ce sont eux qui défendent les droits de l’homme et l’Etat de droit.

L’importance de la coopération entre le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales – telles que l’Union européenne, l’OSCE et les Nations Unies – sur des questions comme la promotion de la tolérance, la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et la radicalisation, la cybercriminalité, la crise migratoire, l’observation des élections, l’assistance apportée aux différents pays dans un grand nombre de domaines ne saurait être sous-estimée.

Je voudrais m’arrêter plus particulièrement sur certaines questions qui revêtent une importance particulière aux yeux de l’Estonie.

Premièrement, plus de deux années se sont écoulées depuis que la Russie a annexé illégalement la Crimée et attisé les conflits dans la partie orientale de l’Ukraine, sapant ainsi l’espace de sécurité qui s’était constitué en Europe après la guerre froide. Sur le terrain, la situation reste très préoccupante. Il faut trouver une solution politique viable, respectant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Je suis très préoccupé de la détérioration de la situation des droits de l’homme en Crimée et dans la partie orientale de l’Ukraine. Les missions d’observation du Conseil de l’Europe et des Nations Unies doivent se voir accorder un accès immédiat et sans restriction à ces territoires.

La position du Conseil de l’Europe sur l’annexion illégale de la Crimée est ferme et la politique de non-reconnaissance effective totalement légitimée. L’interdiction du Mejlis, l’instance représentative des Tatars de Crimée, est déplorable. Ces questions doivent continuer à être traitées au sein de notre Organisation.

Il est de notre devoir de soutenir l’Ukraine alors qu’elle se lance dans des réformes structurelles. Dans le même temps, nous ne devons pas oublier que ces réformes sont mises en œuvre dans un pays qui est livré à la guerre de facto. Nous continuerons à encourager et à aider les responsables ukrainiens à œuvrer pour une Ukraine souveraine, démocratique et prospère. Car le peuple ukrainien mérite un tel pays.

Dans le même temps, nous n’oublions les autres conflits en cours en Europe, en Géorgie, Moldova et au Haut-Karabakh. Nous devons parvenir à trouver des solutions à ces conflits, qui déstabilisent l’Europe.

Deuxièmement, auparavant, l’arrivée par bateau des réfugiés du Moyen-Orient et de l’Afrique était une question qui préoccupait, soyons clairs, certains pays, mais pas tous. Aujourd’hui, la migration revêt un caractère universel. Elle pèse très lourdement sur un grand nombre de pays membres du Conseil de l’Europe. Nous ne pouvons laisser la Grèce, l’Italie et Malte traiter seuls ce problème et nous devons également soutenir la Jordanie, le Liban, la Turquie, qui sont aux avant-postes pour les aider à affronter la crise des réfugiés syriens. L’Europe doit faire preuve de solidarité et trouver une solution digne de ce nom.

Troisièmement, ces dernières années, nous avons assisté avec horreur à toute une série d’attentats terroristes en France, en Belgique, en Turquie, au Royaume-Uni et ailleurs. Ces attentats ne visaient pas seulement nos pays, mais également nos valeurs, ces valeurs qui nous unissent dans la lutte justement contre la terreur et contre le crime le plus brutal. Nous devons aujourd’hui faire preuve de détermination et d’unité, car nous devons faire front, sans être paralysés par la haine et par la peur. À cet égard, je me réjouis de la campagne «Ni haine ni peur» que, Monsieur le Président, vous avez lancée lundi.

Le Conseil de l’Europe a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le terrorisme. La Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme et son Protocole additionnel qui vient d’être adopté récemment, le Protocole de Riga, aborde l’importante question de la prévention ainsi que celle des combattants terroristes étrangers. L’Estonie est dans le processus de ratification de ce protocole et j’appelle tous les Etats membres à faire de même.

En conclusion, tous ces problèmes exigent une attention accrue. Nous devons agir de concert. Il n’existe pas d’autre moyen de s’en sortir. La solidarité est la clé et l’Estonie est déterminée à assumer sa part.

Excellence, Mesdames et Messieurs, vous les savez, l’Estonie entame sa deuxième présidence du Comité des Ministres. Nous sommes tout à fait déterminés à soutenir et à renforcer le travail du Conseil de l’Europe en matière de respect des droits de l’homme, en ligne et hors connexion.

Nos priorités incluent les droits de l’homme et l’Etat de droit sur internet, l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que les droits de l’enfant, qui font partie intégrante des droits de l’homme. Nous vivons donc dans une ère numérique et nous savons le rôle que peuvent jouer les technologies de l’information et de la communication pour le développement économique de nos sociétés.

L’utilisation universelle des technologies de l’information et de la communication, et notamment le «e-gouvernement», comme nous l’appelons, l’administration électronique, ont grandement contribué au développement de l’Estonie. La signature électronique, l’administration fiscale électronique, les services de santé électroniques ont permis de rendre notre secteur public plus efficace et plus transparent.

Mais nous avons également pu attirer des sociétés privées. Ainsi, le monde des affaires estonien est devenu plus attractif. Aujourd’hui, l’Estonie est l’un des pays les plus avancés dans le domaine électronique. Certains nous appellent même la «e-Estonie», l’Estonie électronique, tout simplement parce que, aujourd’hui, l’on retrouve le numérique à peu près partout dans la vie quotidienne. Il nous épargne bien des soucis et nous fait gagner beaucoup de temps.

J’appelle votre attention sur le fait que, ces jours-ci, nous sommes en train d’ouvrir nos services au monde entier. Ainsi, tout le monde pourra profiter des apports numériques que nous avons mis en place dans notre pays. L’Estonie est devenue un pays donateur: nous sommes tout disposés à aider les autres pays à sauter le pas du numérique. Nous souhaitons partager notre expérience et nos bonnes pratiques et orienter les pays qui souhaitent déployer des efforts dans ce domaine. Nos experts peuvent vous aider dans la mise en œuvre de projets bilatéraux concrets visant à réformer la gouvernance de l’Etat et des services publics, à lutter contre la corruption, à mettre en œuvre des principes de gouvernance ouverte, à accroître la transparence, la communication et l’efficacité. Nous savons aujourd’hui que les pays européens qui se sont lancés dans le numérique y ont beaucoup gagné.

Mesdames et Messieurs, les technologies de l’information et de la communication se développent très rapidement. Elles accompagnent l’évolution de nos vies en Europe et, par conséquent, la protection des droits de l’homme sur internet et la primauté du droit en ligne sont plus que jamais nécessaires. Il est indispensable de lutter contre la cybercriminalité.

Nous sommes satisfaits du travail considérable accompli par le Conseil de l’Europe en matière d’internet. L’Estonie continuera à œuvrer très activement dans le cadre du Conseil de l’Europe pour faire d’Internet un espace sûr, sécuritaire et ouvert, conformément à la stratégie de gouvernance du Conseil de l’Europe pour 2016-2019, que nous approuvons totalement.

Nous y parviendrons en réaffirmant les valeurs des conventions juridiquement contraignantes, telles que la Convention de Budapest sur la cybercriminalité et la Convention 108 sur la protection des données. Afin de trouver le juste équilibre entre les mesures positives et les mesures de protection, nous devons engager un dialogue avec les grandes entreprises de l’internet pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation en ligne et intensifier nos efforts pour protéger les enfants.

Pour faire référence à Benjamin Franklin, il ne saurait y avoir de liberté sans responsabilité. Cela vaut également pour l’internet. Tous les pays doivent remplir leurs obligations et condamner toute violation du droit international, tant dans le cyberespace que dans le monde physique. Nous continuons à travailler dans le cadre du Groupe de la coalition pour la liberté d’internet au renforcement de la protection des droits de l’homme.

Rien ne saurait excuser des discours de haine. Nous devons évaluer ces discours à l’aune des normes des droits de l’homme, et notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui doivent être appliqués sur internet et en dehors d’internet.

La caractéristique principale d’internet est d’être un outil transfrontalier et la liberté d’expression sur internet est régie par un grand nombre de facteurs différents. Il est indispensable d’adapter nos outils selon les contextes pour permettre à la liberté d’expression de s’épanouir. Le potentiel d’internet est immense mais il est toujours indispensable de rester vigilant sans céder sur les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression. L’accès à internet doit être garantie à tous, sans restriction.

Nous devons également prévenir toutes les violations des droits de l’enfant. À cet égard, la présidence estonienne portera l’accent sur un certain nombre d’aspects: la participation des enfants, le droit des enfants à un environnement numérique et la vie des enfants dans un contexte de migration.

Je suis tout à fait d’accord avec M. le Secrétaire Général lorsqu’il parle de tolérance zéro s’agissant des abus envers les enfants.

La prévention et la lutte contre les abus sexuels à l’encontre des enfants resteront au cœur de nos priorités. L’Estonie va ratifier la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, la Convention de Lanzarote, et va assurer la promotion d’une meilleure mise en œuvre de cette Convention dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

L’Estonie va accueillir la prochaine conférence EuroDIG de dialogue européen sur la gouvernance internet, en 2017. Nous sommes tout à fait conscients du rôle essentiel que peut jouer le Conseil de l’Europe au sein du processus EuroDIG. Nous allons renforcer nos activités dans ce domaine.

Pour conclure, je voudrais souligner que la sécurité, notre sécurité commune, et le respect des droits de l’homme sont inextricablement liés. Ils sont la base de notre capacité à respecter nos engagements et les accords internationaux. L’Estonie reste déterminée à soutenir le rôle actif du Conseil de l’Europe dans l’élaboration d’outils qui nous serviront de base pour la protection des droits humains, sur internet mais également dans le monde physique.

Le respect des droits humains et de l’Etat de droit, de la démocratie et du droit international font partie intégrante de l’identité européenne et de nos valeurs partagées. L’Estonie tient en haute estime le Conseil de l’Europe pour l’ensemble de son action dans ce domaine. Son influence sur les lois et les valeurs défendues dans les politiques internes des Etats membres – notre propre expérience le confirme – ne peut être sous-estimée.

Je suis persuadé que la deuxième présidence de l’Estonie du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe va se dérouler dans le même esprit de solidarité, de responsabilité, d’inspiration et d’innovation qui a aidé mon pays à devenir un membre responsable de la communauté internationale. Le respect du droit public international et des conventions du Conseil de l’Europe est une garantie de sécurité et une obligation morale, encore plus pour des petits pays comme le nôtre.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Un nombre important de collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question.

Je rappelle que leur intervention est limitée à 30 secondes et qu’ils doivent poser de vraies questions et non faire des discours.

Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. KOX (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Monsieur le Premier ministre, c’est un honneur d’avoir été accueilli récemment à Tallinn, par votre parlement, pour assister à la réunion de notre Commission permanente. Nous sommes très heureux de votre présidence actuelle. L’une des activités fondamentales du Conseil de l’Europe est la rédaction de conventions. Sous la présidence estonienne, comment promouvoir ce système conventionnel, qui permet, parfois, de régler des problèmes que l’Union européenne ne peut pas régler?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – La meilleure chose que nous puissions faire est de veiller à ce que tous les pays respectent les accords qui sont signés ici. L’expérience de l’Estonie en la matière le confirme: la grande majorité des accords internationaux, y compris les conventions, ont apporté des avancées significatives dans notre pays. Nous avons à comprendre, nous-mêmes, que nous devons appliquer ces accords pour améliorer notre société. Ce type d’engagement à l’égard des accords est nécessaire pour chacun d’entre nous.

M. TRENCHEV (Bulgarie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Vous faites très souvent allusion à ce que vous nommez la cinquième liberté fondamentale de l’Union européenne, à savoir la libre circulation des données. Dans le contexte actuel des données massives, comment envisagez-vous cette libre circulation des données à l’échelle de l’Union européenne? Pensez-vous que cette libre circulation des données peut empêcher un processus de désintégration et agir en faveur d’une meilleure unité?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – La liberté de mouvement en Europe a permis à tous nos pays de prospérer, et non seulement d’un point de vue économique. Le numérique est un domaine qui ne devrait pas connaître de frontières. Nous savons qu’en pratique il n’est pas totalement possible de transférer des services numériques de mon pays, l’Estonie, vers votre pays, la Bulgarie. Il existe toujours des barrières juridiques qui nous freinent dans notre développement. Abolir ces frontières virtuelles entre nos pays permettrait de profiter de services transfrontaliers offerts à tous nos citoyens; je pense notamment aux services publics, aux services privés également, en matière de télécommunications et de services bancaires. Le numérique nous rend présents au niveau mondial, et les législateurs doivent s’assurer que l’on ne crée pas de murs virtuels entre nos pays.

M. Mogens JENSEN (Danemark), porte-parole du Groupe socialiste* – À la lumière de l’expérience récente que nous avons quant au comportement de la Russie avec ses voisins, au Sud et à l’Est, qu’en est-il de la sécurité de votre propre pays?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – En cas de guerre, nous ne saurions dire que les choses vont comme de coutume. On ne saurait parler de sécurité, et ce nulle part, même au Danemark. L’Estonie est un pays de l’Otan. La menace militaire directe contre les pays de l’Otan n’est en soi pas très grande. Mais pour qu’il en reste ainsi, il est essentiel de montrer que l’Otan, en sus des accords extrêmement solides et des articles 4 et 5 du traité, a aussi les moyens de réagir en cas de besoin. Il est donc indispensable d’augmenter la présence des alliés sur le flanc Est et de mener des exercices conjoints, pour avoir une véritable force interopérationnelle à disposition. Ainsi, personne n’aura même l’idée de venir chercher des noises à l’Otan, véritable alliance de défense. Ce point est clairement établi. La présence des forces alliées dans plusieurs pays de l’Otan ne doit pas être perçue comme une provocation pour qui prône des idées pacifiques.

Il y a de cela des décennies, les Etats-Unis étaient le garant de la sécurité européenne. Ils sont parvenus à garantir cette sécurité en installant leurs forces sur le continent européen et en particulier en Allemagne. Le plus gros contingent des forces américaines basées en Europe est toujours situé dans ce pays à l’heure actuelle. Personne ici n’aurait l’idée de considérer cette présence comme une provocation. La même chose vaut pour les autres pays de l’Europe, y compris pour les pays voisins de l’Etat le plus agressif sur le continent à l’heure actuelle.

M. DAEMS (Belgique), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* –
L’Estonie se distingue par un fort degré de liberté sur internet et nous devons rendre hommage au Premier ministre pour son action dans ce domaine, mais le cyberterrorisme et la cybercriminalité sont des réalités.

Quel équilibre trouvez-vous entre l’exigence de liberté sur internet et la nécessité de lutter contre le cyberterrorisme?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – Vous posez là une question fondamentale. Les services en ligne sont de plus en plus nombreux dans nos sociétés à l’heure actuelle. Nous sommes entrés dans l’ère du numérique. Cette évolution n’est évidemment pas sans risques et la numérisation de la société engendre une plus grande vulnérabilité à l’égard de certaines menaces. Cela ne doit toutefois pas nous inciter à refuser le changement. Nous devons simplement nous efforcer de comprendre la nature des menaces et les affronter.

Plusieurs gouvernements européens ont hésité à passer au numérique. Notre expérience a démontré qu’ils avaient tort. L’Estonie a été le premier pays du monde à avoir subi une attaque terroriste en juin 2007. Nous avons été capables de nous défendre et nous avons tiré des enseignements de cette expérience. Un centre d’excellence de l’Otan en matière de défense cybernétique a été installé à Tallinn. Un grand nombre de pays sont représentés au sein de cet organe, qui dépasse les limites strictes de l’Otan. Nous sommes aujourd’hui mieux préparés aux risques qui pourraient se produire à l’avenir. La libre circulation de l’information sur internet et la numérisation constituent des évolutions positives. Il ne faut pas hésiter à s’y plonger tout en apprenant à comprendre les risques existants.

M. OBREMSKI (Pologne), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Quelle doit être, notamment en matière de propagande, la réponse de l’Estonie à la politique agressive de la Russie? Cette réponse peut-elle prendre pour cadre le Conseil de l’Europe?

Par ailleurs, que pensez-vous, Monsieur le Premier ministre, du commentaire du ministre des Affaires étrangères allemand, M. Steinmeier, sur les activités récentes de l’Otan, qui, selon lui, ne pourraient qu’irriter la Russie?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – Je considère que la meilleure arme contre la propagande est la liberté des médias, non pas une propagande opposée, mais une véritable liberté des médias.

Dans les pays voisins de la Russie, il est très difficile de trouver une chaîne de télévision de qualité, pleinement libre et indépendante du Kremlin. En Estonie, nous avons fait le choix de financer des journalistes qui travaillent en langue russe, sans pour autant influencer leur travail. J’insiste sur le fait que nous n’intervenons absolument pas sur les contenus qu’ils véhiculent. Comme la BBC en Grande-Bretagne, la radiodiffusion de service public bénéfice en Estonie d’un financement public, mais aucun droit de regard n’est exercé par la puissance publique sur le contenu des informations. Nous encourageons ces journalistes à faire leur travail librement.

En ce qui concerne la déclaration du ministre Steinmeier, il me semble qu’elle a été excessivement commentée dans certains pays. Il ne fait aucun doute que l’Allemagne est engagée en faveur de la sécurité européenne et de l’Otan. La véritable provocation serait de ne rien faire face à la Russie, qui ne cesse de mener des opérations militaires à grande échelle. Des questions concrètes se posent lorsque des pays mènent des manœuvres conjointement. Il s’agit de vérifier l’interopérabilité des systèmes et de se montrer prêts à défendre les pays de l’Otan. Plus nous mènerons des manœuvres et des exercices conjointement, mieux nous garantirons notre indépendance et notre force.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je vous propose à présent de prendre les questions par groupes de trois.

M. POZZO DI BORGO (France) – 0,3 % du PIB en moins en Europe en 2014, 0,4 % du PIB en moins en 2015, plus de 900 000 chômeurs: tel est le coût des sanctions de l’Union européenne contre la Russie et des sanctions russes contre l’Europe.

Tant la France que l’Allemagne, qui ont initié le processus ayant conduit aux Accords de Minsk, ont évoqué une modulation des sanctions en fonction de l’application de ces accords. En cas de progrès substantiels, une levée graduelle peut être envisagée. Quelle est la position de l’Estonie sur ce sujet?

Lord BALFE (Royaume-Uni)* – La meilleure défense d’une société contre les menaces qui l’assaillent est une population heureuse. Fin 2004, au Parlement de l’Estonie, un amendement a été proposé pour attribuer la citoyenneté estonienne aux enfants dont les parents ont résidé dans le pays pendant au moins cinq ans. À-t-il été adopté? Des développements récents sur ce sujet sont-ils intervenus en Estonie?

M. GOPP (Liechtenstein)* – Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de revenir sur les relations avec la Russie. Le dialogue avec la délégation russe s’est interrompu au sein de notre Assemblée et je le regrette. Des tensions existent également à l’heure actuelle entre la Russie et les pays Baltes.

Comment évaluez-vous la situation? La Présidence estonienne du Comité des Ministres a-t-elle l’intention de relancer le dialogue avec la Russie?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – Sur le sujet des sanctions, la situation est finalement assez claire. La sécurité de l’Europe a un prix. Mais s’il y a une chose qui n’a pas de prix, c’est bien la liberté. L’Ukraine est un pays européen et mérite, à ce titre, d’être un pays libre et démocratique, un pays où le peuple peut décider de son avenir. Il serait immoral de notre part de dire que 0,5 % ou 1 % du PIB est plus important que la liberté d’un pays. L’Estonie, pour l’avoir vécu, sait ce que c’est que de perdre sa liberté. Il nous a fallu 50 ans pour la reconquérir et redevenir un pays libre et démocratique. Nous ne fermerons donc jamais les yeux lorsque d’autres pays européens sont menacés de perdre leur liberté.

Ces sanctions contre la Russie coûtent cher, et peut-être même plus cher à l’Estonie qu’à d’autres pays, car nous sommes très proches géographiquement du marché russe, un marché qui refuse d’acheter nos excellents produits agroalimentaires. Et je n’oublie pas les difficultés que cela entraîne pour les exploitants agricoles estoniens. Mais il serait regrettable de ne pas réagir à la guerre qui sévit en Europe; cela coûterait beaucoup plus cher encore et les effets à long terme sur nos sociétés seraient bien plus durables.

S’agissant des changements législatifs intervenus en 2014, je dirai que ces amendements ont conduit à une nouvelle solution. Tout enfant né en Estonie, même si ses parents ne sont pas de nationalité estonienne, est automatiquement Estonien – sauf opposition des parents. Auparavant, les parents devaient formuler une demande de citoyenneté, demande qui était satisfaite sans problème. Il n’est pas difficile d’obtenir la citoyenneté estonienne. Le demandeur doit maîtriser la langue, connaître le fonctionnement de la société et les fondements de la Constitution.

Concernant l’absence de la délégation russe, vous êtes les seuls habilités à décider de la présence ou de l’absence des Russes. Or il me semble que vous avez clairement affiché les conditions qui permettraient le retour de la délégation russe et la réattribution de ses pleins pouvoirs.

En tant que Premier ministre, je ne m’ingèrerai jamais dans les décisions que doivent prendre les parlementaires; ni ici, ni dans mon pays. Quand un parlement me sollicite, je lui réponds toujours qu’il incarne, d’une certaine façon, le pouvoir suprême et que je ne lui donnerai pas de conseil.

Cependant, je comprends la décision que vous avez prise et je suis convaincu que les sanctions imposées par l’Union européenne sont similaires aux vôtres; des sanctions légitimes, fondées sur les valeurs que vous défendez.

M. GHILETCHI (République de Moldova)* – Monsieur le Premier ministre, je me réjouis que vous ayez évoqué les conflits gelés qui perdurent dans l’aire post-soviétique – Transnistrie, annexion de la Crimée, etc. Peu de ces conflits connaissent des avancées. L’Estonie assume la présidence du Comité des Ministres, je voudrais donc vous demander ce que nous pouvons faire en ce domaine.

Mme STEFANELLI (Saint-Marin)*– Monsieur le Premier ministre, l’Estonie a été le premier pays à adopter le système de vote électronique pour des élections politiques. Quels ont été les principaux obstacles et les principales préoccupations que vous avez eues pour concilier le caractère secret d’un vote avec les risques d’attaques de hackers? Quels sont les avantages respectifs du vote électronique et du vote par bulletin secret?

M. VAREIKIS (Lituanie)* – Monsieur le Premier ministre, le Bélarus et le Kosovo ne sont pas membres du Conseil de l’Europe. Leur adhésion à notre Organisation fait-elle partie du programme politique de la présidence estonienne du Comité des Ministres?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – Monsieur Ghiletchi, il est pour moi compliqué de vous dire quels sont les points clés qui permettraient des avancées dans tous ces conflits gelés. Je dirai simplement que nous devons rester unis et continuer à exercer une certaine pression et à dialoguer.

Au XXIe siècle, en Europe, il ne devrait pas y avoir de sphère d’intérêts. Tous les pays, y compris la Moldova, ont le droit de décider s’ils veulent devenir pays membres de l’Union européenne ou s’ils préfèrent suivre une autre voie. Les pays voisins, qu’ils soient petits ou grands, n’ont aucune légitimité à donner leur avis. Or c’est ce qui s’est passé pour un certain nombre de pays, et ce n’était clairement pas la bonne solution.

S’agissant du vote électronique, nous avons mis en place ce système depuis 2005, notamment parce qu’il permet d’avoir un système d’identification sûr. Un grand nombre de pays ont déjà des cartes d’identité numériques, mais ils ne les utilisent pas de façon numérique. L’Estonie, elle, utilise le système d’identification numérique, avec un cryptogramme, ce qui nous a permis de proposer un grand nombre de services en ligne. Nous savons en effet avec certitude que la personne qui est derrière son ordinateur est bien la personne qu’elle prétend être.

Concernant le vote secret et la liberté d’exercer un choix, si un citoyen espagnol, par exemple, vit à Strasbourg, il devra se rendre dans son ambassade et utiliser un bulletin papier. Ce système est tout à fait valable, mais le vote électronique est bien plus pratique.

Voilà 11 ans que nous avons mis en place le vote électronique. Nous avions, dès 2005, prévu qu’un audit du système serait réalisé par des contrôleurs internationaux, afin de savoir s’il pourrait ou non être attaqué. Jusqu’à présent, il ne l’a pas été. Mais bien entendu, nous devons prévoir des sauvegardes et si une attaque sérieuse devait se produire, nous pourrions décider de revenir au vote à bulletin secret. Nous avons donc un «plan B».

Un «plan B» est donc nécessaire, mais je me réjouis que nous n’ayons pas eu besoin d’y recourir au cours des onze dernières années. Lors des dernières élections législatives, une personne sur trois a voté par voie électronique. L’identification électronique est utilisée par les jeunes comme par les personnes âgées, puisqu’elle sert en matière de prestations sociales et d’opérations bancaires. Elle facilite considérablement l’acte de voter, surtout pour les personnes âgées qui vivent à la campagne ou pour les personnes installées à l’étranger. Les citoyens estoniens ont ainsi pu voter depuis 116 pays différents, et je suis persuadé que les fonctionnaires estoniens du Conseil de l’Europe ont également préféré le vote électronique au vote en personne à l’ambassade. Leur participation à la vie démocratique s’en trouve facilitée.

J’en viens aux deux candidats potentiels à l’adhésion au Conseil de l’Europe. À ma connaissance, le Kosovo n’a pas fait de demande en ce sens; le cas échéant, sa demande sera traitée par les organes compétents. Quant au Bélarus, il reste à résoudre la question de la peine de mort. Quoi qu’il en soit, ces deux Etats savent ce qu’ils ont à faire pour déclarer leur candidature.

LE PRÉSIDENT*– M. Vovk, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. FLYNN (Royaume-Uni)* – Comment le Conseil de l’Europe peut-il remplir sa mission fondamentale de promotion des normes les plus élevées au monde en matière de droits de l’homme s’il tolère que des violations flagrantes des droits de l’homme soient commises dans ses propres Etats membres? En décembre, une enquête concernant des faits de cet ordre a été déclenchée, mais elle n’a guère progressé depuis. Comment pouvez-vous tirer parti de votre mandat à la présidence du Comité des Ministres, Monsieur le Premier ministre, pour veiller à ce que chacun des membres du Conseil de l’Europe applique les principes fondamentaux des droits de l’homme par des actes, et non pas seulement des discours?

M. NEGUTA (République de Moldova) – L’Estonie et la Moldavie sont deux anciennes républiques soviétiques. À la chute de l’Union soviétique, nos systèmes politiques et économiques étaient très proches; ils sont désormais très différents. Dans votre pays, Monsieur le Premier ministre, les institutions démocratiques fonctionnent bien. Dans mon pays, hélas, les réformes n’ont pas porté les mêmes fruits. Quelles sont les racines de cette différence?

Mme SCHOU (Norvège)* – Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d’avoir accueilli la réunion de la Commission permanente dans votre si beau pays.

La crise des réfugiés et des migrants est grave. Hier, nous avons adopté une résolution sur les réfugiés en danger en Grèce, laquelle supporte une part disproportionnée de la charge que l’afflux de migrants fait peser sur l’Europe. Que fait l’Estonie pour atténuer la crise en Grèce et pour donner suite aux engagements qu’elle a pris au titre de l’accord de relocalisation des réfugiés?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – Nous ne saurions tolérer la moindre violation des droits de l’homme dans n’importe lequel des Etats membres, Monsieur Flynn, et il va de soi que chacun d’entre nous doit montrer l’exemple.

Je ne suis pas bien placé pour donner des conseils à d’autres pays, Monsieur Neguta, et je ne peux que vous indiquer ce qui a été le plus utile aux progrès que l’Estonie a accomplis. Dès l’indépendance, elle a adopté une méthode de réforme reposant sur l’Etat de droit et consistant à s’éloigner le plus loin possible de l’économie planifiée, dont chacun sait qu’elle n’a pas fonctionné en Union soviétique, ce que confirme la situation des quelques pays, comme Cuba, qui l’expérimentent encore à ce jour. Nous avons donc résolument emprunté la voie de l’économie de marché, qui est le meilleur modèle économique qui soit. Nous avons également entrepris d’adhérer à différentes organisations internationales, l’adhésion à l’Union européenne étant sans aucun doute le processus le plus difficile du fait de l’abondance des critères à remplir. Avec le recul, nous nous sommes adaptés à ces critères non pas pour Bruxelles – même si c’était une condition requise pour l’adhésion – mais pour nous-mêmes, comme nous le répétons constamment à nos concitoyens, car ce processus nous a été extrêmement utile. Une autre différence historique entre nos deux pays tient sans doute au fait que l’armée d’occupation russe a quitté l’Estonie dès 1994.

Concernant les réfugiés, Madame Schou, l’Estonie est déterminée, comme elle s’y est engagée en acceptant l’accord trouvé par le Conseil européen, à prendre sa part au mécanisme de relocalisation des réfugiés, comme devraient l’être tous les pays qui ont volontairement signé cet accord. La mise en route a été plus lente que prévu en raison de problèmes techniques, mais je me réjouis que notre action conjointe avec les autorités grecques, avec lesquelles nous travaillons en lien étroit, soit désormais beaucoup plus efficace et rythmée. Tous les pays qui se sont engagés à participer au mécanisme de relocalisation devraient emprunter une voie analogue. De plus, l’Estonie, qui n’avait pas d’expérience en la matière, s’est dotée de règles juridiques plus adaptées à la relocalisation de réfugiés en provenance de Turquie.

Mme HUOVINEN (Finlande)* – Les membres de notre Assemblée se préoccupent régulièrement de l’état de la démocratie sur le continent, et s’interrogent sur la manière de renforcer la confiance des citoyens. Vous avez souligné, Monsieur le Premier ministre, le rôle que peuvent jouer en ce sens les technologies de l’information et de la communication et le vote électronique. Comment, de votre point de vue, pourrait-on plus encore tirer parti de la numérisation et des technologies de l’information dans l’intérêt de la démocratie?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – À mon sens, la meilleure chose que nous pouvons faire avec les technologies de l’information et de la communication est de rendre les services publics beaucoup plus transparents. La transparence me semble être le mot clé pour promouvoir l’efficacité, pour parvenir soi-même, en tant que gouvernement, à l’efficacité.

Un certain nombre de faits sont importants, tenons-en compte: lorsque des services numériques sont proposés de façon transparente, il y a moins de place pour la corruption et nous parvenons à la plus grande efficacité.

Mme PASHAYEVA (Azerbaïdjan)* – Monsieur le Premier ministre, vous avez souligné que les conflits du Haut-Karabakh et de l’Abkhazie perdurent. Bien sûr, s’ils ne sont pas résolus, c’est parce que les décisions prises par les organisations internationales ne sont pas appliquées. Les résolutions des Nations Unies, celles de notre propre Assemblée sont restées lettre morte. Comment encourager leur application? Ces sujets restent-ils inscrits à votre agenda?

M. LE PREMIER MINISTRE DE L’ESTONIE* – La meilleure solution est pratiquement toujours de s’en tenir à ce qui a été convenu – nous l’avons dit à d’autres sujets. Si nous avons adopté des résolutions, si nous avons passé des accords, il faut s’y tenir. En l’occurrence, nous n’avons pas de baguette magique, et c’est le respect de nos engagements qui peut être utile.

Evidemment, nous souhaitons tous trouver une solution. Alors que pouvons-nous faire, nous parlementaires et responsables des différents pays? Il faut continuer de discuter de ces conflits jusqu’à ce qu’ils soient réglés. Les parlementaires disposent d’outils très puissants: une audience, une tribune publique. À mon humble avis, nous devons tous nous servir de tels instruments, et je vous invite à tous continuer de discuter de ces conflits.

LE PRÉSIDENT* – Merci infiniment pour cette discussion passionnante, Monsieur le Premier ministre. Je compte bien poursuivre notre coopération tout au long de la présidence estonienne, et au-delà.

3. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT – La prochaine séance publique aura lieu cet après-midi à 15 h 30, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 13 h 5.

SOMMAIRE

1. Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie

Présentation par Mmes Godskesen et Vučković du rapport de la commission de suivi (Doc. 14078 et Addendum)

Orateurs: M. Omtzigt, Mmes Durrieu, Brasseur, MM. Seyidov, Hunko, Pozzo di Borgo, Rouquet, Mmes Centemero, Quéré, MM. Eseyan, Dişli, Mme Naghdalyan, MM. Mogens Jensen, Küçükcan, Schwabe, Mmes Bakoyannis, Maij, MM. Gyöngyösi, Yatim, Mmes Pashayeva, Duranton, Günay, M. Blanchart, Mmes Schou, Rawert, MM. Kürkçü, Vareikis, Heer, Rustamyan Mme Zalischuk

2. Discours de M. Rõivas, Premier ministre de l’Estonie

Questions: MM. Kox, Trenchev, Mogens Jensen, Daems, Obremski, Pozzo Di Borgo, Lord Balfe, MM. Gopp, Ghiletchi, Mme Stefanelli, M. Vareikis, Flynn, Neguta, Mmes Schou, Huovinen, Pashayeva

3. Prochaine séance publique

Annexe I

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d’un astérisque

Pedro AGRAMUNT

Tasmina AHMED-SHEIKH*

Brigitte ALLAIN*

Jean-Charles ALLAVENA

Werner AMON

Luise AMTSBERG*

Lord Donald ANDERSON

Sirkka-Liisa ANTTILA

Ben-Oni ARDELEAN

Iwona ARENT

Volodymyr ARIEV

Damir ARNAUT

Anna ASCANI/ Eleonora Cimbro

Mehmet BABAOĞLU/Salih Firat

Theodora BAKOYANNIS

David BAKRADZE*

Gérard BAPT/Jean-Claude Frécon

Doris BARNETT/ Mechthild Rawert

José Manuel BARREIRO*

Meritxell BATET*

Deniz BAYKAL

Guto BEBB/Lord Richard Balfe

Marieluise BECK*

Ondřej BENEŠIK*

Levan BERDZENISHVILI

Deborah BERGAMINI*

Sali BERISHA*

Włodzimierz BERNACKI

Anna Maria BERNINI/Claudio Fazzone

Maria Teresa BERTUZZI*

Andris BĒRZINŠ*

Jokin BILDARRATZ*

Gülsün BİLGEHAN

Tobias BILLSTRÖM

Oleksandr BILOVOL

Philippe BLANCHART

Maryvonne BLONDIN

Tilde BORK/Rasmus Nordqvist

Mladen BOSIĆ/Saša Magazinović

Anne BRASSEUR

Piet De BRUYN

Margareta BUDNER/ Jarosław Obremski

Valentina BULIGA

Dawn BUTLER

Nunzia CATALFO

Giovanna CECCHETTI

Elena CENTEMERO

José CEPEDA*

Irakli CHIKOVANI*

Vannino CHITI/Carlo Lucherini

Anastasia CHRISTODOULOPOULOU

Lise CHRISTOFFERSEN/ Ingebjørg Godskesen

Paolo CORSINI

David CRAUSBY*

Yves CRUCHTEN

Zsolt CSENGER-ZALÁN*

Katalin CSÖBÖR*

Geraint DAVIES*

Joseph DEBONO GRECH*

Renata DESKOSKA

Alain DESTEXHE

Manlio DI STEFANO

Şaban DİŞLİ

Sergio DIVINA

Aleksandra DJUROVIĆ*

Namik DOKLE*

Francesc Xavier DOMENECH*

Sir Jeffrey DONALDSON

Elvira DROBINSKI-WEIß*

Daphné DUMERY

Alexander [The Earl of] DUNDEE*

Nicole DURANTON

Josette DURRIEU

Mustafa DZHEMILIEV

Lady Diana ECCLES

Franz Leonhard EẞL

Markar ESEYAN

Nigel EVANS

Samvel FARMANYAN*

Joseph FENECH ADAMI*

Cătălin Daniel FENECHIU*

Doris FIALA/Elisabeth Schneider-Schneiter

Daniela FILIPIOVÁ/Ivana Dobešová

Ute FINCKH-KRÄMER*

Axel E. FISCHER

Bernard FOURNIER

Béatrice FRESKO-ROLFO*

Pierre-Alain FRIDEZ

Sahiba GAFAROVA

Sir Roger GALE

Adele GAMBARO

Xavier GARCÍA ALBIOL*

José Ramón GARCÍA HERNÁNDEZ*

Karl GARÐARSSON

Iryna GERASHCHENKO

Tina GHASEMI*

Valeriu GILETCHI

Mihai GHIMPU/Alina Zotea

Francesco Maria GIRO

Carlos Alberto GONÇALVES

Oleksii GONCHARENKO/Sergiy Vlasenko

Rainer GOPP

Alina Ștefania GORGHIU/Maria Grecea

Sylvie GOY-CHAVENT/ Yves Pozzo Di Borgo

François GROSDIDIER*

Dzhema GROZDANOVA/Milena Damyanova

Gergely GULYÁS*

Emine Nur GÜNAY

Valgerður GUNNARSDÓTTIR

Jonas GUNNARSSON

Antonio GUTIÉRREZ*

Maria GUZENINA/Susanna Huovinen

Márton GYÖNGYÖSI

Sabir HAJIYEV

Andrzej HALICKI/Killion Munyama

Hamid HAMID*

Alfred HEER

Gabriela HEINRICH

Michael HENNRICH/ Thomas Feist

Martin HENRIKSEN*

Françoise HETTO-GAASCH

John HOWELL

Anette HÜBINGER

Johannes HÜBNER/Barbara Rosenkranz

Andrej HUNKO

Rafael HUSEYNOV*

Ekmeleddin Mehmet İHSANOĞLU

Denis JACQUAT/ Frédéric Reiss

Gediminas JAKAVONIS

Sandra JAKELIĆ*

Gordan JANDROKOVIĆ

Tedo JAPARIDZE*

Michael Aastrup JENSEN*

Mogens JENSEN

Frank J. JENSSEN

Florina-Ruxandra JIPA*

Ögmundur JÓNASSON

Aleksandar JOVIČIĆ/ Stefana Miladinović

Anne KALMARI

Erkan KANDEMIR

Marietta KARAMANLI

Niklas KARLSSON

Nina KASIMATI

Ioanneta KAVVADIA*

Filiz KERESTECİOĞLU DEMİR

İlhan KESİCİ*

Danail KIRILOV/Krasimira Kovachka

Bogdan KLICH/ Aleksander Pociej

Manana KOBAKHIDZE

Haluk KOÇ

Ksenija KORENJAK KRAMAR

Attila KORODI

Alev KORUN/ Eduard Köck

Rom KOSTŘICA/Gabriela Pecková

Elvira KOVÁCS*

Tiny KOX

Peter KRESÁK*

Borjana KRIŠTO/Bariša Čolak

Florian KRONBICHLER

Eerik-Niiles KROSS/Andres Herkel

Talip KÜÇÜKCAN

Ertuğrul KÜRKÇÜ

Stella KYRIAKIDES

Georgios KYRITSIS

Yuliya L OVOCHKINA/Svitlana Zalischuk

Inese LAIZĀNE*

Pierre-Yves LE BORGN’/Pascale Crozon

Jean-Yves LE DÉAUT/ Catherine Quéré

Luís LEITE RAMOS

Valentina LESKAJ*

Terry LEYDEN*

Inese LĪBIŅA-EGNERE/ Boriss Cilevičs

Ian LIDDELL-GRAINGER*

Georgii LOGVYNSKYI

Filippo LOMBARDI

François LONCLE/Geneviève Gosselin-Fleury

George LOUCAIDES

Philippe MAHOUX

Marit MAIJ

Muslum MAMMADOV*

Thierry MARIANI*

Soňa MARKOVÁ/Pavel Holík

Milica MARKOVIĆ

Duarte MARQUES

Alberto MARTINS

Meritxell MATEU

Liliane MAURY PASQUIER

Michael McNAMARA*

Sir Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA/Imer Aliu

Evangelos MEIMARAKIS

Ana Catarina MENDES*

Jasen MESIĆ*

Attila MESTERHÁZY*

Jean-Claude MIGNON

Marianne MIKKO

Daniel MILEWSKI

Anouchka van MILTENBURG/Tineke Strik

Orhan MİROĞLU*

Olivia MITCHELL*

Arkadiusz MULARCZYK*

Thomas MÜLLER/Roland Rino Büchel

Oľga NACHTMANNOVÁ*

Hermine NAGHDALYAN

Marian NEACȘU*

Andrei NEGUTA

Zsolt NÉMETH*

Miroslav NENUTIL

Michele NICOLETTI*

Aleksandar NIKOLOSKI

Johan NISSINEN/Markus Wiechel

Julia OBERMEIER*

Marija OBRADOVIĆ*

Žarko OBRADOVIĆ

Judith OEHRI

Carina OHLSSON/Eva-Lena Jansson

Suat ÖNAL

Ria OOMEN-RUIJTEN

Joseph O’REILLY

Tom PACKALÉN

Judith PALLARÉS

Ganira PASHAYEVA

Jaroslav PAŠKA*

Florin Costin PÂSLARU*

Jaana PELKONEN/Olli-Poika Parviainen

Martin POLIAČIK*

Agnieszka POMASKA*

Cezar Florin PREDA*

John PRESCOTT/ Paul Flynn

Mark PRITCHARD

Lia QUARTAPELLE PROCOPIO/Giuseppe Galati

Carmen QUINTANILLA*

Kerstin RADOMSKI

Mailis REPS

Andrea RIGONI

François ROCHEBLOINE*

Melisa RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ*

Helena ROSETA/António Filipe Rodrigues

René ROUQUET

Alex SALMOND*

Vincenzo SANTANGELO/Maria Edera Spadoni

Milena SANTERINI*

Nadiia SAVCHENKO

Deborah SCHEMBRI*

Stefan SCHENNACH

Paul SCHNABEL

Ingjerd SCHOU

Nico SCHRIJVER*

Frank SCHWABE

Predrag SEKULIĆ

Aleksandar SENIĆ/Vesna Marjanović

Senad ŠEPIĆ

Samad SEYIDOV

Paula SHERRIFF/ Baroness Doreen Massey

Bernd SIEBERT*

Adão SILVA

Valeri SIMEONOV*

Andrej ŠIRCELJ*

Arturas SKARDŽIUS/Egidijus Vareikis

Jan ŠKOBERNE*

Serhiy SOBOLEV

Olena SOTNYK/Serhii Kiral

Lorella STEFANELLI

Yanaki STOILOV

Karin STRENZ*

Ionuț-Marian STROE/Ion Popa

Dominik TARCZYŃSKI

Damien THIÉRY

Antoni TRENCHEV

Krzysztof TRUSKOLASKI/ Krzysztof Sitarski

Mihai TUDOSE*

Goran TUPONJA

İbrahim Mustafa TURHAN*

Nada TURINA-ĐURIĆ*

Konstantinos TZAVARAS

Leyla Şahin USTA/Lütfiye Ilksen Ceritoğlu Kurt

Dana VÁHALOVÁ

Snorre Serigstad VALEN/Kristin Ørmen Johnsen

Petrit VASILI*

Imre VEJKEY*

Mart van de VEN*

Stefaan VERCAMER*

Anna VEREŠOVÁ*

Birutė VĖSAITĖ

Nikolaj VILLUMSEN*

Vladimir VORONIN/Maria Postoico

Viktor VOVK

Nataša VUČKOVIĆ

Draginja VUKSANOVIĆ/Snežana Jonica

Karl-Georg WELLMANN*

Katrin WERNER/Annette Groth

Jacek WILK

Andrzej WOJTYŁA

Morten WOLD

Gisela WURM

Jordi XUCLÀ*

Serap YAŞAR

Leonid YEMETS*

Tobias ZECH

Kristýna ZELIENKOVÁ*

Marie-Jo ZIMMERMANN/Marie-Christine Dalloz

Emanuelis ZINGERIS

Naira ZOHRABYAN*

Levon ZOURABIAN/Armen Rustamyan

Siège vacant, Croatie*

Siège vacant, Chypre*

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter

Hendrik DAEMS

Hans Fredrik GRØVAN

Anne MULDER

Pieter OMTZIGT

Liliana PALIHOVICI

Pavlo UNGURYAN

Observateurs

Ulises RAMÍREZ NÚÑEZ

Miguel ROMO MEDINA

Partenaires pour la démocratie

Hanane ABOULFATH

Sahar ALQAWASMI

Mohammed AMEUR

Mme Nezha EL OUAFI

Mr Bernard SABELLA

Mohamed YATIM