FR16CR34      

AS (2016) CR 34

 

SESSION ORDINAIRE DE 2016

________________

(Quatrième partie)

COMPTE RENDU

de la trente-quatrième séance

Jeudi 13 octobre 2016 à 10 heures

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 10 h 5 sous la présidence de M. Agramunt, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. La situation en Turquie dans le contexte de la tentative de coup d’Etat
(Débat d’actualité)

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle notre débat d’actualité sur «La situation en Turquie dans le contexte de la tentative de coup d’Etat».

Je vous rappelle que le temps de parole de chaque intervenant est fixé à trois minutes, à l’exception du premier orateur, qui dispose de dix minutes.

Notre débat devra s’achever à 12 heures, afin de passer au point suivant de l’ordre du jour.

La parole est à M. Liddell-Grainger, premier orateur désigné par le Bureau parmi les initiateurs du débat.

M. LIDDELL-GRAINGER (Royaume-Uni)* – C’est un privilège pour moi que d’ouvrir ce débat et de pouvoir, en tout cas je l’espère, vous expliquer en quoi la situation est importante pour chacun d’entre nous, qui sommes tous des démocrates au sein de cette Assemblée. Nous sommes démocrates parce que nous croyons en la démocratie et parce que nous pensons que la meilleure façon de gouverner est de permettre au peuple de décider.

Cette maison se fonde sur trois piliers que sont la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance. Ils font du Conseil de l’Europe l’organisation démocratique la plus importante au monde, parce que, depuis 1948, nous respectons ces trois principes.

Il est de notre devoir et de notre responsabilité de nous assumer en tant que démocrates. Lorsque l’un de nos partenaires, parmi les 46 Etats membres du Conseil de l’Europe, est confronté à des difficultés, nous devons non seulement nous dresser pour prendre position moralement, mais aussi intervenir dans tous les domaines où nous pensons être en mesure de lui apporter une aide constructive.

Il faut que nous apportions des conseils, des idées, des réflexions qui pourraient permettre l’amélioration des conditions de vie des citoyens de ce pays. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, du bien-être et de l’épanouissement de nos citoyens qui doivent comprendre qu’ils font partie intégrante du processus, qu’ils n’en sont pas exclus.

Il y a quelques mois, un coup a été porté à l’encontre de l’un de nos Etats membres. Une tentative de coup d’Etat a été orchestrée contre la Turquie en vue de saper les piliers de notre Organisation, de faire en sorte que ce pays devienne ingouvernable et de détruire la vie des gens. Pour quel motif? Parce que les responsables de ce coup d’Etat n’étaient pas satisfaits des réponses qui leur avaient été apportées.

D’autres Etats membres, par le passé, ont également fait l’objet de coups d’Etat, mais ils ont tous retrouvé la voie de la démocratie et sont revenus dans le giron de notre famille. La Turquie n’a pas quitté notre famille, mais elle traverse, malgré elle, une période de très grande turbulence.

La Turquie occupe une place unique en Europe, et ce depuis toujours. Ce pays se trouve entre l’Est et l’Ouest, à la fin de la route des épices et au début du grand réseau commercial de l’Europe de l’Ouest; une zone très importante pour nous. Nous avons, à l’égard de ce pays, une responsabilité morale car il joue un rôle essentiel dans toutes nos décisions. Je me souviens que c’était un membre important de l’Otan au moment de la chute du mur de Berlin.

On ne peut avoir une démocratie sans y travailler dur. Et si le Président de la Turquie a le droit de prendre des mesures extrêmement fermes, peut-être faut-il aussi souligner, en tant que démocrates, que le moment viendra où il faudra lever certaines de ces mesures, laisser la justice agir.

Mais pour l’instant, regardons ce qui s’est passé en Turquie: des personnes ont été tuées, d’autres blessées et nous comprenons bien la gravité de la situation. À la frontière même du pays, nous sommes les témoins d’un génocide perpétré à Alep et de destructions sans précédent, dans un territoire qui ne connaît ni gouvernement, ni démocratie. Là encore, la Turquie agit comme un rempart. Elle a accueilli plus de réfugiés que quiconque et gère les problèmes graves qui surviennent à ses frontières. J’éprouve donc plein de sympathie pour ce pays au regard de la situation qu’il traverse.

Il s’agit finalement pour nous de donner à la Turquie les outils qui lui permettront de rester dans notre famille et pour que ce type de situation ne se reproduise plus. J’ai lu ce matin dans le Financial Times, un quotidien britannique, que le Président Erdoğan souhaitait attribuer plus de pouvoirs à la présidence, afin de disposer des moyens d’éviter de nouveaux coups d’Etat. Cela me pose-t-il un problème en tant que démocrate? Je pense qu’un chef d’Etat devrait pouvoir se prémunir de ce type de situation. D’ailleurs de nombreux autres chefs d’Etat sont dotés de tels instruments. Le Président Erdoğan souhaite simplement se doter d’outils qui permettent à la Turquie d’assurer la stabilité de ses institutions. J’ai entendu certains d’entre nous exprimer leurs préoccupations sur cette question. Je ne fais pas partie de ceux-là. Je pense, au contraire, que de tels outils lui sont nécessaires.

Par ailleurs, les Turcs doivent retrouver leur quotidien le plus rapidement possible et j’appelle le Président Erdoğan à œuvrer dans ce sens. S’agissant des personnes qui ont été placées en détention pour des raisons impérieuses, il faut désormais laisser le pouvoir judiciaire se pencher sur leur situation, en toute équité et de façon transparente. En outre, les autorités turques doivent pouvoir accueillir tous ceux qui se proposent de les rencontrer.

J’ai sous les yeux le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Sa lecture est très intéressante, le Commissaire ayant pu avoir accès à tout ce qu’il lui était utile, sans entraves.

Faisons en sorte de bien comprendre ce qui se passe en Turquie. Nous réaliserons alors que ce qu’elle fait est bon pour nous tous. Pour m’entretenir avec nos collègues turcs au sein du Groupe des conservateurs européens, je puis d’ailleurs dire que ce sont les personnes les plus ouvertes au monde. Ne viennent-ils pas d’inviter le Comité des présidents à se rendre à Ankara pour qu’il puisse voir de ses propres yeux ce qui se passe sur place? Je salue le chef de la délégation turque pour le travail admirable qu’il accomplit.

Ainsi, selon moi, ce débat porte sur ce que nous incarnons, à savoir les raisons pour lesquelles cette maison a été construite. Nous parlons de ce qui est au cœur du Conseil de l’Europe. À cet égard, les trois piliers que j’évoquais en début d’intervention, la Turquie fait en sorte qu’ils restent bien dressés pour garantir son avenir.

Il y dans ce monde bien des organisations – l’Union interparlementaire, les Nations Unies, l’OCDE, etc. – qui jouent un rôle important. Mais une seule a la capacité de faire bouger les choses: le Conseil de l’Europe. Pourquoi? Parce que nous sommes tous des représentants élus par le peuple, choisis pour siéger ici. Nous pouvons nous asseoir face aux représentants d’un pays pour leur dire dans les yeux que nous comprenons ce qu’ils traversent, et que nous allons les aider.

J’ouvre ce débat avec beaucoup de fierté et animé de l’espoir que cette Assemblée saura faire ce qu’elle a toujours fait ces 60 dernières années: se dresser pour défendre la démocratie et la bonne gestion des affaires publiques. Aussi devons-nous prendre notre rôle au sérieux et aider la Turquie. Nous sommes des démocrates, nous comprenons la situation et, à terme, nous pourrons dire que nous avons apporté à nos amis une aide quand ils en avaient le plus besoin.

Mme FIALA (Suisse), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe*
L’engagement du Président Erdoğan à défendre les valeurs du Conseil de l’Europe a suscité dans le passé de nombreux espoirs. Depuis soixante ans, les relations entre l’Europe et la Turquie se sont construites autour d’un rapprochement autour de nos valeurs, mais aussi d’intérêts communs. Toutefois, nous ne pouvons pas accepter d’être aujourd’hui l’otage de la Turquie. Je respecte l’attitude qui a été la sienne dans la crise des réfugiés. Aucun pays ne pourrait accueillir avec facilité 3,5 millions de réfugiés comme elle l’a fait et bon nombre de pays du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne se sont soustraits à cette responsabilité commune. C’est une honte et c’est inacceptable.

Toutefois, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, je voudrais vous faire part de notre tristesse de voir la Turquie s’écarter de nos valeurs communes dans le cadre d’une évolution autocratique de la politique de M. Erdoğan. Certes, un coup d’Etat a eu lieu, qui n’aurait pas conduit à mettre en place des structures pacifiques. Cependant, il faut renforcer la démocratie par le biais de mesures démocratiques et non par le biais de mesures dictatoriales. Nous demandons donc à la Turquie de faire cesser l’état d’urgence, qui a été prolongé jusqu’au 15 janvier 2017. Nous sommes très défavorables à cette prorogation et nous sommes inquiets de voir que la Turquie évolue de plus en plus vers un Etat autocratique. Elle commence même à exporter son autoritarisme puisqu’elle mène des campagnes d’intimidation à l’égard de ses citoyens vivant à l’étranger, violant ainsi la souveraineté des autres Etats. Elle mène en outre une purge au sein de l’armée et de l’administration.

Mes chers collègues, nous espérons que vous aurez la force, le courage et la sagesse de défendre nos valeurs communes. Nous pouvons accepter la différence, mais nous misons sur une Turquie ouverte sur l’avenir et qui renonce au populisme nationaliste et religieux. Nous demandons à la Turquie de respecter nos valeurs communes, l’Etat de droit et les droits de l’homme.

LE PRÉSIDENT* – Nous poursuivons la liste des orateurs, en écoutant d’abord les porte-parole des groupes.

M. ÖNAL (Turquie), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet dernier, nous sommes réunis ici aujourd’hui pour débattre de la situation en Turquie. Voilà tout juste quelques instants, j’ai écouté notre collègue, M. Liddell-Grainger, et je tiens à le remercier pour l’opinion qu’il a exprimé de manière très franche et très ouverte sur la Turquie.

Je m’exprime ici au nom du Groupe des conservateurs européens et je ne veux donc pas mettre trop d’émotion dans mon intervention, mais j’ai moi-même vécu les événements du 15 juillet. Je me trouvais à trente mètres à peine du lieu où une bombe a explosé dans les bâtiments du Parlement turc. J’ai survécu à l’événement et peut-être que si j’avais perdu la vie ce jour-là, vous rendriez hommage aujourd’hui à ma mémoire. Je suis en tout cas bien placé pour vous dire ce qui s’est passé ce jour-là en Turquie.

Au sein de l’armée, un groupe s’est formé, qui dépendait entièrement de Fethullah Gülen et qui lui obéissait aveuglement. Le coup d’Etat visait à annihiler la démocratie en Turquie, à renverser le gouvernement issu d’un parti élu par 50 % de la population, sachant que les instigateurs du coup d’Etat cherchaient même à assassiner le Président Erdoğan. Ces personnes se sont rendues coupables de violations des droits de l’homme. Elles ont tué 241 individus et fait plus de 2 500 blessés au cours de la tentative de coup d’Etat. On évoque la liberté de la presse et la liberté des médias mais, ce soir-là, les auteurs du coup d’Etat ont voulu les faire taire, effectuant un raid dans une chaîne de télévision, imposant le couvre-feu et déclarant l’état d’urgence. La population a descendu dans les rues pour tenter de les empêcher d’agir.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe doit bien évidemment exprimer son appui à la population de la Turquie, au gouvernement et à l’opposition, qui ont su résister à cette tentative de coup d’Etat, et insister sur la prééminence du droit et sur la démocratie. Certes, l’état d’urgence a été instauré, mais il n’est pas dirigé contre la population turque. Il vise au contraire à la protéger en évitant que de tels événements ne puissent se reproduire. C’est pourquoi la population turque s’en félicite.

M. ÖZSOY (Turquie), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – La question n’est pas de savoir si la Turquie a le droit ou non de lutter contre une tentative de coup d’Etat, mais plutôt de savoir comment cette lutte doit être menée.

Au départ, il existait un consensus entre les quatre partis représentés au Parlement. Nous avons tous clairement pris position contre la tentative de coup d’Etat - je suis moi-même membre du Parti démocratique des peuples (HDP). C’était alors l’occasion de démocratiser la société et la politique de manière inclusive et pluraliste, mais le gouvernement a choisi une autre voie en décidant de mettre en œuvre ce que nous considérons comme un contre-coup d’Etat, pour réformer la Turquie selon les ambitions du Président Erdoğan.

Lundi dernier, le Commissaire Muižnieks a partagé ses impressions sur la Turquie dans un mémorandum dénonçant les graves violations des droits fondamentaux et des libertés dans ce pays. Monsieur Liddell-Grainger, je vous invite à lire ce texte. Certes, le ministre des Affaires étrangères turc s’exprimant hier devant notre Assemblée a donné une image bien différente de la période qui a suivi le coup d’Etat du 15 juillet: le gouvernement aurait déclaré l’état d’urgence dans l’objectif prétendu d’éliminer les partisans de M. Gülen au sein des institutions sachant que les autres citoyens n’étaient pas touchés par les mesures prises pendant cette période. Ce n’est pas vrai! Les universités, les tribunaux, la société civile, les entreprises, les ONG et les partis d’opposition sont tous la cible d’une terrible répression. Différents observateurs indépendants en font d’ailleurs état, tout comme les autorités du Conseil de l’Europe.

Il n’y pas en Turquie d’Etat de droit, d’indépendance des pouvoirs, d’impartialité des tribunaux. Il n’y a pas de droit constitutionnel dans le pays. Ainsi, 130 000 fonctionnaires ont été mis à la porte, 3 000 juges et procureurs ont été mis à pied du jour au lendemain, des chaînes de télévision kurdes ont été fermées. Même une chaîne de télévision destinée aux enfants a été interdite au nom de la lutte contre les auteurs du coup d’Etat. En outre, 180 membres du HDP ont été placés en détention provisoire. Tous nos bureaux font l’objet de perquisitions au quotidien. La réalité, c’est donc qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement terrorise la société, créant un climat d’insécurité, de peur et de chaos pour consolider le pouvoir du Président Erdoğan.

M. NÉMETH (Hongrie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Au nom de mon groupe, j’exprime notre soutien à la Turquie et nos condoléances aux familles des 241 victimes du coup d’Etat. Ce pays occupe une place exceptionnelle en Europe. Il est un modèle pour un Islam politique démocratique, l’un des plus grands défis de notre époque. La Turquie joue un rôle exceptionnel dans le processus d’accueil des réfugiés, en application de l’accord avec l’Union européenne. Enfin, la Turquie est exceptionnelle car elle est un pays clé dans les conflits en Syrie et au Moyen-Orient.

Dans de telles circonstances, le Conseil de l’Europe est la voix de l’Europe, et si d’autres organisations interviennent, nous préférons faire preuve de solidarité plutôt que d’exercer une sorte de pression artificielle. Nous rejetons la menace d’un placement sous suivi, ou une suspension des pouvoirs. Certes, comme l’ont dit les autres orateurs, il y a des problèmes. Mais nous pensons que la solution, c’est le dialogue. À cet égard, je veux remercier le Secrétaire Général, M. Jagland.

L’Etat de droit et les droits de l’homme sont nos règles de base. Nous avons nos institutions, la Commission de Venise, le Commissaire aux droits de l’homme et le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT). Pour ce qui est de la législation en matière de terrorisme, notre contribution serait à cet égard importante dans le cadre de la libéralisation des visas. Car il faut être deux pour danser un tango! L’Europe, elle aussi, doit respecter ses engagements. Si nos attentes sont légitimes, nous devons reconnaître aussi que nous avons notre propre rôle à jouer au sein du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

Sommes-nous satisfaits de la politique menée ces deux dernières années à l’égard de la Turquie? Avons-nous par exemple fait ce qui était promis dans le cadre de la politique de libéralisation des visas? Si nous ne sommes pas en mesure de tenir nos engagements, alors il nous sera difficile de maintenir le dialogue avec la Turquie. Pour cette partie du monde, la perspective européenne a toujours été essentielle pour favoriser la démocratisation. Mais si nous ne sommes pas en mesure de produire des résultats, cela risque de saper ce processus. Commençons donc par regarder nos propres responsabilités. C’est ce que nous pouvons faire pour ce pays, ce peuple, cette région et plus largement, pour nos valeurs et notre avenir commun.

Mme RODRIGUEZ RAMOS (Espagne), porte-parole du Groupe socialiste* – Nous ne voulons pas qu’il y ait le moindre doute: nous condamnons dans les termes les plus fermes la tentative de coup d’Etat du 15 juillet et renouvelons notre solidarité et notre soutien au peuple turc. Nous saluons le courage qu’il a manifesté au moment de lutter contre cette tentative.

Cependant, notre Assemblée doit exprimer ses doutes sur la situation qui prévaut en Turquie, dans le cadre de l’état d’urgence qui y a été déclaré. Cet état d’urgence est très vaste et ne peut être comparé à celui qui a été décrété dans d’autres Etats. Il vise tous les droits constitutionnels, l’intégralité du peuple kurde. Nous avons pu le voir hier, lors de l’intervention du ministre des Affaires étrangères. Les travailleurs peuvent être renvoyés sans respect des accords collectifs; des fouilles et des perquisitions sont menées sans ordonnance judiciaire; tout un peuple, soupçonné d’avoir participé à cette tentative de coup d’Etat, est visé.

Alors oui, nous devons exprimer nos préoccupations. Certains droits ne sauraient être suspendus, comme la présomption d’innocence, le droit à exercer des recours juridiques, le droit à la responsabilité personnelle; en aucun cas un proche, un parent d’une personne détenue ou considérée comme suspecte ne peut se voir appliquer des sanctions. C’est pourtant ce qui se passe en Turquie.

La plus grande preuve d’amitié que nous puissions offrir au Gouvernement turc, que nous respectons, c’est de l’aider afin que, le plus rapidement possible, il puisse retrouver la voie de la démocratie, l’exercice quotidien des droits, la pleine application de la Convention européenne des droits de l’homme. Une enquête doit être menée sur cette tentative de coup d’Etat. Il faut, dès que possible, que la Turquie retrouve la normalité démocratique. C’est la plus grande et la meilleure des garanties, dès lors qu’il s’agit d’empêcher la menace d’un nouveau coup d’Etat militaire.

Chers collègues, il n’est pas possible, compte tenu de notre devoir de défendre la Convention européenne des droits de l’homme, de ne pas exprimer nos doutes sérieux, nos préoccupations, nos inquiétudes. Nous encourageons les collègues de ce pays, que nous respectons, à comprendre qu’un état d’urgence ne saurait jamais se substituer à un Etat de droit. Il faut travailler dur pour défendre la démocratie mais cela ne peut être en aucun cas invoqué comme excuse pour poser des limites aux valeurs centrales de cette démocratie. Je vous renvoie encore une fois à la Convention européenne des droits de l’homme, que nous incarnons aujourd’hui.

M. MIGNON (France) – Je suis tout à fait d’accord avec ce que vient de dire Mme Soraya Rodriguez Ramos. Il est bien, qu’aujourd’hui, dans cette maison de la démocratie, nous puissions avoir un débat d’actualité sur ce qui se passe en Turquie. Je n’ai pas forcément été convaincu par tout ce qu’a dit hier l’un de mes prédécesseurs à la présidence de l’Assemblée parlementaire, mon ami M. Mevlüt Çavuşoğlu. L’état d’urgence n’explique pas tout. Mon pays est bien placé pour le savoir, puisque nous avons, nous aussi, été confrontés à des situations épouvantables ces derniers mois. L’état d’urgence a été décrété et le Parlement français a accepté de le prolonger, mais à certaines conditions.

Il se trouve qu’hier, une question a été posée à M. Mevlüt Çavuşoğlu sur la volonté de M. Erdoğan et de la Turquie de rétablir la peine de mort. Je vous en conjure, ne rétablissez pas la peine de mort! Ne revenez pas en arrière! Notre ligne directrice, c’est effectivement la Convention européenne des droits de l’homme. Nous avons des outils pour faire en sorte que le droit soit respecté. La pire erreur dans un pays comme la Turquie, l’un des plus anciens dans cette maison, serait de rétablir la peine de mort. Bien sûr, nous subissons les uns et les autres des pressions dans la rue, tous les jours, surtout lorsque des événements dramatiques surviennent. Mais la responsabilité des politiques, surtout lorsqu’ils sont représentants au Conseil de l’Europe, c’est de ne pas tomber dans ce travers. Rien ne pourrait expliquer qu’un pays, quel qu’il soit, rétablisse la peine de mort. Nous avons déjà suffisamment de difficultés pour faire entendre raison à certains pays observateurs du Conseil de l’Europe afin qu’ils abolissent définitivement la peine de mort.

Cela fait trente-cinq ans que la France a aboli la peine de mort. Je n’étais pas encore parlementaire lorsque M. Robert Badinter, pour lequel j’ai le plus grand respect, est monté à la tribune et a réussi à convaincre le parlement. C’était une grande avancée! Chers amis turcs, je me réjouis de votre présence ici, dans ce débat, et de la possibilité de discuter avec vous – car il faut être au moins deux pour dialoguer. Vous savez comment fonctionne cette maison, vous savez que nous sommes à votre disposition, que vous avez tous les outils en main pour faire respecter l’Etat de droit. Rien ne peut expliquer un coup d’Etat dans un pays qui se dit démocratique. Mais je vous en conjure, vous avez la voie démocratique, vous avez l’Etat de droit avec vous. Ne tombez pas dans ce piège, ne rétablissez pas la peine de mort dans votre pays!

M. RUSTAMYAN (Arménie) – Dès le 16 juillet, le Conseil de l’Europe à travers ses hauts représentants a condamné fermement la tentative de coup d’Etat en Turquie, en la qualifiant d’attaque contre nos valeurs et contre la démocratie. Mais la question qui se pose maintenant est cruciale: la réponse apportée est-elle adéquate, proportionnée, fondée sur les faits et conforme aux normes du Conseil de l’Europe?

La réaction du Gouvernement turc à la tentative de coup d’Etat a d’ores et déjà été extrêmement dure: des dizaines de milliers de responsables des forces armées, de même que des officiers de police, des gouverneurs, des fonctionnaires et des juges ont été arrêtés ou suspendus de leurs fonctions sans enquête ni droit de recours. L’ampleur de la répression est sans précédent: rien de tel n’a jamais été vu dans un autre Etat membre du Conseil de l’Europe. En outre, on dispose de signalements fiables concernant des violences graves, - tortures et viols - dans les prisons. De plus, la Turquie a déclaré vouloir déroger à la Convention européenne des droits de l’homme.

Clairement, l’attitude du Gouvernement turc va bien au-delà des mesures nécessaires pour neutraliser toutes les menaces possibles; elle ne peut être tolérée de la part d’un Etat membre du Conseil de l’Europe. Il est tout à fait clair que M. Erdoğan, en utilisant cette tentative de coup d’Etat, organise une véritable chasse aux sorcières visant à éliminer ses adversaires politiques et à renforcer son régime autoritaire.

Chers collègues, les événements actuels en Turquie mettent en évidence la menace systématique qui pèse contre l’Etat de droit dans ce pays et le fait que celui-ci déroge à tous les critères démocratiques. Par conséquent, notre Assemblée devrait considérer attentivement la situation des droits de l’homme en Turquie et rouvrir sa procédure de suivi à l’égard de ce pays.

M. FARMANYAN (Arménie)* – La démocratie turque a été une nouvelle fois ébranlée le 15 juillet. Cette fois, le coup d’Etat militaire a échoué, et l’on a beaucoup parlé de cette nuit où le sang a coulé. Le renversement d’un gouvernement démocratiquement élu au moyen d’un coup d’Etat militaire représente une menace pour toute démocratie. Le peuple turc a donc été sage de préserver les graines de la démocratie. Toutefois, ce qui s’est passé après a constitué un retour en arrière absolument évident du point de vue démocratique. On peut même parler d’un contre-coup d’Etat: arrestations, punitions illégales, détentions prolongées et mauvais traitements de milliers de personnes suspectes, y compris des journalistes et des intellectuels, répression des médias et de la société civile, chasse aux sorcières dans toutes les institutions de l’Etat dans le pays tout entier, ou encore prolongation de l’état d’urgence. Certaines voix se sont même élevées pour réclamer la réintroduction de la peine de mort en Turquie – c’est là un autre signal très fort qui a été envoyé à Strasbourg et à Bruxelles. On pourrait même dire qu’il n’y a finalement pas beaucoup de différences entre ce que les auteurs du coup d’Etat militaire de 1980 ont fait et les actes récents du Président Erdoğan.

Les nouvelles qui nous arrivent de Turquie me rappellent le cauchemar et l’horreur de l’époque stalinienne. À l’époque, des millions de personnes vivant dans des villages éloignés de l’Union soviétique ont été officiellement accusées d’être des agents de l’impérialisme occidental et jetées en prison ou exécutées. Eh bien, aujourd’hui, Erdoğan agit comme Staline, à cette différence près qu’au lieu de l’impérialisme occidental, il accuse le mouvement güleniste. En effet, des milliers de personnes sont accusées aujourd’hui d’être membres du mouvement initié par Gülen, alors que personne ne sait exactement ce qu’il est, quelles sont ses visées et comment des centaines de milliers de personnes auraient pu en devenir membres dans un pays où presque tout est contrôlé par l’Etat.

Quels que soient les propos qu’a tenus hier devant l’Assemblée le ministre des Affaires étrangères turc, M. Çavuşoğlu, ce qui se passe en Turquie est évident: M. Erdoğan cherche à concentrer davantage de pouvoirs entre ses mains et essaie de bâtir un régime autocratique sans précédent. Les modifications à la Constitution qui sont proposées ne font que démontrer ses intentions. En outre, l’engagement accru du pays en Syrie, la manipulation dont fait l’objet la lutte contre les organisations terroristes, en Turquie comme à l’étranger, la remise en question du Traité de Lausanne, l’absence de volonté de rouvrir la frontière avec l’Arménie et l’appui à l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabakh sont autant de signes des ambitions néo-ottomanes d’Erdoğan. Celui-ci se sert des millions de réfugiés syriens comme d’otages politiques pour exercer un véritable chantage sur l’Europe.

Mes chers collègues, le débat que nous tenons aujourd’hui sur la démocratie turque revient à discuter de la sécurité dans l’Europe de demain et dans son voisinage. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est un organe politique. Notre réponse doit donc être politique. Que devrait donc faire de plus Erdoğan pour nous pousser à rouvrir la procédure de suivi à l’égard de la Turquie?

LE PRÉSIDENT* – Je voudrais demander au public de rester silencieux, faute de quoi je demanderais aux huissiers d’intervenir et de faire évacuer les tribunes.

Lord ANDERSON (Royaume-Uni)* – Les Turcs sont un peuple fier et la Turquie est un havre de stabilité dans une région secouée par des turbulences. Nos collègues turcs, qui ont subi une tentative de coup d’Etat, nous demandent d’être compréhensifs, et je crois que nous devons effectivement l’être. N’oubliez pas que, si ce coup d’Etat avait réussi, nos collègues turcs – majorité et opposition – ne seraient plus avec nous aujourd’hui. Nous avons donc l’obligation de faire preuve de compréhension et d’essayer de nous mettre à leur place.

En même temps, nous avons aussi, à mon sens, l’obligation de leur faire comprendre nos préoccupations eu égard à ce qui s’est passé après la tentative de coup d’Etat: le Président turc évolue vers l’autoritarisme, les contre-pouvoirs connaissent une érosion. Nous comprenons évidemment que les militaires ayant participé au coup d’Etat doivent être sanctionnés pour cette atteinte à la démocratie mais, en tant que juriste, je voudrais aussi parler de la situation de la justice en Turquie. Dans les 24 heures qui ont suivi le coup d’Etat, 2 700 juges ont été renvoyés. On nous dit qu’ils faisaient partie de la conspiration de Gülen. Evidemment, il est difficile de savoir qui a vraiment été influencé par Gülen. Ceux qui l’ont été n’ont pas de carte d’adhésion au mouvement, donc on ne peut pas dire clairement qui en fait partie ou pas. Cela dit, comment le simple fait d’avoir de la sympathie pour ce mouvement peut-il affecter le jugement de chaque juge pris individuellement? Des enseignants et des universitaires ont également été renvoyés et des membres de leur famille ont été inquiétés. Les questions qui se posent ont été soulignées, à juste titre, par notre Commissaire aux droits de l’homme, dans un excellent rapport: oui, un grand nombre d’innocents ont été touchés. Et de quels recours ceux qui ont été injustement pris dans le filet de la répression disposent-ils?

Lorsque le ministre des Affaires étrangères turc, notre ancien Président, est venu nous parler, il a reconnu qu’un grand nombre d’erreurs avaient été commises par son gouvernement à la suite du coup d’Etat. Il convient maintenant de voir comment on essaie d’y remédier. J’attends déjà avec impatience, pour ma part, un autre rapport de notre Commissaire aux droits de l’homme pour voir comment le gouvernement a répondu à ce qui s’est passé. Si aucune solution démocratique n’est trouvée, la sympathie dont nous faisons preuve pour le moment ne sera plus de mise.

M. Michael Aastrup JENSEN (Danemark)* – Nombre de nos collègues sont déjà intervenus pour évoquer la tentative de coup d’Etat mais personne ici, me semble-t-il, n’a dit qu’il était favorable à cette tentative. Nous sommes tous des démocrates et nous déplorons tous ce qui s’est passé. Il faut plutôt continuer à parler de l’évolution démocratique de la situation en Turquie.

Or nous constatons que des mesures sans précédent ont été imposées, que des milliers et des milliers de fonctionnaires, de juges, d’avocats ont été mis en état d’arrestation et détenus - 2 700 juges ont été arrêtés et placés en détention dès le lendemain de cette tentative. Je ne connais pas de pouvoirs spéciaux donnés à des enquêteurs qui puissent permettre, vingt-quatre heures après un coup d’Etat, de savoir exactement quels juges arrêter pour participation supposée à une tentative de coup d’Etat!

Hier, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie n’a pas exclu le rétablissement de la peine de mort. Nous le constatons, la Turquie, à de nombreuses reprises, a franchi ce qui, pour notre Institution, est une ligne rouge. Nous sommes la voix de la démocratie, de la liberté de la presse, de la lutte contre la peine de mort, mais au lieu de parler en ce sens, nous prononçons des discours très politiques pour souligner combien la Turquie est importante en raison de l’accord passé avec l’Union européenne sur les réfugiés et de la lutte contre Daech. Tous ces aspects sont, bien entendu, très importants mais le sont-ils plus que ce que nous incarnons en tant qu’organisation démocratique? Je réponds par la négative.

C’est la raison pour laquelle j’ai élaboré une proposition de résolution visant à placer à nouveau la Turquie sous procédure de suivi. Il ne s’agit pas de prendre une sanction à l’encontre du Gouvernement de la Turquie, mais d’épauler ses citoyens. Nous pensons qu’il est important que la Turquie soit remise sur la bonne voie. On ne peut tout simplement pas fermer comme cela s’est fait des organes de presse et des chaînes de télévision, ou encore interpeller des milliers de gens tout simplement parce qu’ils figurent sur une liste de personnes considérées comme des opposants au gouvernement. Cela n’est pas possible, et ne devrait jamais être possible pour nous qui représentons le Conseil de l’Europe! Nous devons aujourd’hui envoyer un message très clair, très ferme: nous voulons aider le peuple turc, et c’est la raison pour laquelle nous voulons que la Turquie soit placée sous procédure de suivi.

M. SILVA (Portugal)* – Je tiens avant tout à dire combien je déplore et condamne la tentative de coup d’Etat du 15 juillet dernier en Turquie. C’était un coup porté à l’Etat de droit et à des institutions élues démocratiquement, comme j’ai pu l’observer en 2014 et 2015 en tant qu’observateur. C’était aussi un coup contre le peuple. C’est tout simplement inacceptable.

C’est la raison pour laquelle je tiens, à titre personnel, à exprimer ma solidarité avec le peuple turc qui a été pris pour cible et qui a largement subi les conséquences de la tentative de coup d’Etat, et à faire part de toute mon admiration envers ce peuple courageux qui a risqué sa vie en bravant les auteurs du coup d’Etat.

L’état d’urgence a été déclaré, et cela se comprend. La Turquie connaît une situation difficile, mais il est nécessaire que les auteurs du coup d’Etat soient arrêtés dans le strict respect des règles légales. Le peuple, les institutions démocratiques doivent être protégés. Néanmoins, les procédures doivent être transparentes, sans aucun écart par rapport aux garanties qu’elles offrent, tant en matière de droit administratif que de droit pénal. La réponse après la tentative de coup d’Etat doit être proportionnée. Il doit y avoir un contrôle indépendant des mesures prises. Celles prises par la Turquie doivent être des mesures sages, prudentes, précautionneuses qui, jamais, n’affecteront la vie de sa population en termes de liberté et de primauté du droit.

Hier, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie a dit qu’aucun pays ne serait sûr tant que tous ne le seraient pas. J’ai été tout à fait sensible à cette affirmation et considère que la Turquie et le peuple turc jouent un rôle important, non seulement au Proche-Orient, mais également en Europe et partout dans le monde. C’est la raison pour laquelle, en tant que membres du Conseil de l’Europe, nous devons aider la Turquie et son peuple à surmonter la situation actuelle, à retrouver une vie normale, y compris au niveau institutionnel, et à créer une démocratie plus forte dans l’intérêt de tous.

M. KÜÇÜKCAN (Turquie)* – Nous parlons aujourd’hui de l’échec du coup d’Etat en Turquie. Mais si ce coup d’Etat avait réussi, que ce serait-il passé? Tout d’abord, et cela a déjà été dit, nous ne serions pas ici puisque le parlement, bombardé, était visé.

Je le dis pour que vous compreniez la gravité de la menace qui a pesé sur la démocratie turque, ce ne sont pas seulement les valeurs de la Turquie, mais bien les valeurs du Conseil de l’Europe qui ont été attaquées. C’est la raison pour laquelle nous devons nous opposer tous ensemble à ce type d’attaque.

Je puis vous assurer que vous n’avez pas à vous préoccuper de l’avenir de la démocratie en Turquie. En effet, nous avons encore une fois, pu constater que le gardien de la démocratie en Turquie c’était le peuple. Si je suis là, et mes collègues aussi, c’est parce que ce soir du 15 juillet, des Turcs, des Kurdes, des musulmans, des non-musulmans, des sunnites, des alévis ont gagné la rue pour protéger la démocratie, pour protéger la Constitution et le Gouvernement élu de la Turquie. C’est grâce à eux que nous sommes encore là aujourd’hui. Donc, ne vous préoccupez pas de l’avenir démocratique de la Turquie.

Nous comprenons bien évidemment vos préoccupations mais, s’agissant de l’avenir de la démocratie en Turquie, mais je puis vous assurer que nous pouvons avoir une foi inébranlable dans la population, comme cela a été démontré le 15 juillet dernier.

Deux cent quarante personnes ont perdu la vie. Deux mille personnes ont été blessées, par nos propres soldats, malheureusement. Nombre de femmes et d’enfants ont été privés de leur mari et de leur père. C’est une tragédie. S’agissant des personnes qui ont pris part à cette attaque sanglante contre la démocratie turque dans les rues de notre pays, notre devoir en tant que gouvernement et en tant qu’hommes politiques est de faire en sorte qu’elles aient à répondre de leurs actes devant les tribunaux. Nous pensons que l’organisation de M. Gülen qui vit en Pennsylvanie est derrière ces actes. Il doit en répondre devant la justice. Nous l’avons promis au peuple turc. Déférer ces personnes en justice n’est pas une violation de la démocratie ou de l’Etat de droit; au contraire, c’est notre devoir. Nous allons donc les poursuivre où qu’elles soient, en Turquie ou hors de frontières de la Turquie, qu’elles se disent intellectuelles ou autres, peu importe. C’est une question existentielle pour nous: nous les pourchasserons où qu’elles se trouvent!

Mais je puis vous assurer que tous les canaux de communication entre la Turquie et le Conseil de l’Europe sont ouverts. Nous avons invité en Turquie le Comité des présidents, nous allons inviter le Bureau de façon que chacun puisse se rendre compte par lui-même de la transparence qui règne dans notre pays.

Permettez-moi en conclusion d’ajouter ceci: nous avons le sentiment qu’il règne une sorte d’erdoğanophobie en Europe, mais M. Erdoğan a été élu démocratiquement et nous sommes fiers de le voir à la présidence de la Turquie!

M. GUTIÉRREZ (Espagne)* – Je voudrais commencer par exprimer ma reconnaissance à la Turquie et au peuple turc, pour au moins trois raisons. Premièrement, eu égard aux faits. La Turquie est sans doute l’un des pays les moins bien entourés du monde: la plupart de ses voisins sont en situation de guerre ou de conflit grave. Deuxièmement, c’est un pays qui a beaucoup souffert, le 15 juillet, lorsqu’il a été victime d’une tentative de coup d’Etat, et c’est celui qui connaît le plus grand nombre d’attentats terroristes, depuis plusieurs années, le dernier en date étant celui de dimanche dernier. Troisièmement, c’est le pays qui accueille le plus grand nombre de migrants, en l’absence de coresponsabilité de l’Union européenne. Il faut donc reconnaître le courage de la Turquie et le travail qu’elle accomplit pour faire face à tous les problèmes auxquels elle doit faire front simultanément.

Je souhaite rendre hommage à la contribution de la Turquie à l’amélioration de l’ordre qui prévaut au niveau mondial. La Turquie est toujours du côté des solutions, elle essaie systématiquement de faire en sorte que prévale un meilleur ordre sur notre planète. Évidemment, cela ne signifie pas que le Conseil de l’Europe reste inactif: notre première obligation consiste à rappeler que l’Etat de droit et le respect des libertés publiques et droits fondamentaux doivent toujours prévaloir. N’oublions pas que l’état d’exception qui s’applique en Turquie nuit à l’exercice de ces droits. Nous devons donc dire ce qui se passe, tout en continuant à affirmer que la Turquie fait intrinsèquement partie de l’Europe. L’avenir de la Turquie ne peut passer que par plus de démocratie et plus d’Europe. Nous devons bien sûr analyser les problèmes et nous pencher sur la question des libertés publiques et des droits fondamentaux, mais aussi faire comprendre que nous voulons aider la Turquie à construire une Europe meilleure.

J’ai assisté hier à l’intervention de notre hôte, M. Çavuşoğlu, le ministre des Affaires étrangères turc –
Je remercie d’ailleurs notre Président d’avoir permis que nous entendions, au cours de la même semaine, le Président de la République française et le ministre des Affaires étrangères turc. J’ai été frappé de constater qu’aucune question ne lui a été posée sur la situation en Syrie et sur le fait que la Fédération de Russie a opposé son veto à la proposition faite par la France, devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, de décider en urgence d’une trêve à des fins humanitaires. Que devons-nous faire face à Daech et face aux réfugiés syriens, que devons-nous faire pour reconstruire la Syrie? Allons-nous laisser ce pays sans aide? L’inaction de la communauté internationale, notamment celle du Conseil de l’Europe, remet en cause sa crédibilité.

Mme SCHOU (Norvège)* – Rechercher le changement au moyen d’un coup d’Etat est déplorable, et la tentative en Turquie le 15 juillet était clairement une atteinte à la démocratie. Je félicite notre Secrétaire Général, M. Jagland, d’avoir réagi rapidement en déclarant que la tentative de renversement des dirigeants élus, survenue en Turquie le 15 juillet dernier, était inacceptable. Depuis, un concert de protestations s’est élevé, et nous soutenons tous la Turquie en cette période de grande difficulté.

Dans la situation actuelle, il est important de rappeler qu’être une démocratie et membre du Conseil de l’Europe vaut engagement à veiller au respect des principes démocratiques, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.

Je m’inquiète de l’évolution de la situation après la tentative de coup d’Etat. Le nombre de suspensions et d’arrestations en Turquie est anormalement élevé et disproportionné. Depuis le 15 juillet, j’ai essayé d’obtenir des informations de différentes sources. Si je comprends que les autorités turques suivent le réseau Gülen depuis longtemps, ce qui peut expliquer que l’on ait arrêté ou suspendu tant de personnes immédiatement après les faits, nombre de questions restent sans réponse. Le simple fait d’être affilié au réseau Gülen a-t-il suffi à provoquer la suspension ou l’arrestation des personnes concernées? Cela a-t-il été assimilé à une participation à la tentative de coup d’Etat? A-t-on procédé à un réel examen de l’implication de chaque individu concerné avant les suspensions et les arrestations? Comment le droit de tout un chacun à un procès équitable sera-t-il garanti dans le cadre de la procédure judiciaire? Il est indispensable de défendre les droits individuels et d’éviter les sanctions collectives.

Le 15 juillet, le peuple turc a fait preuve d’un grand courage en soutenant ses élus et ses dirigeants et en combattant les auteurs du coup d’Etat. C’est ainsi que près de 250 personnes ont été tuées, tandis qu’un grand nombre étaient blessées. J’encourage les élus turcs à montrer à leur peuple qu’ils sont dignes des efforts réalisés par ce peuple, en traitant les personnes qui le composent comme des individus, et non de manière collective. Ils doivent montrer à leur peuple, mais aussi à l’Europe, que la démocratie et la primauté du droit l’emportent.

Mme Guzenina, Vice-Présidente de l’Assemblée, remplace M. Agramunt au fauteuil présidentiel.

Mme BİLGEHAN (Turquie) – Je voudrais d’abord remercier toutes et tous mes amis de cet hémicycle qui m’ont accordé leur soutien dès la nuit du coup d’Etat de 15 juillet. Comme vous, je pensais sincèrement que le temps des coups d’Etat militaires était révolu en Turquie, et cette tentative de putsch m’est apparue complètement inattendue et irrationnelle. Oui, nous avons échappé de justesse, cette nuit-là, à la destruction totale de la démocratie en Turquie, et tous les partis politiques étaient unis pour combattre les putschistes.

Le coup d’Etat a avorté grâce, d’abord, à la volonté démocratique des citoyens qui sont descendus dans la rue dès les premières heures, au risque de leur vie; puis, grâce à la prise de position immédiate des médias, qui ont transmis l’appel du Président de la République à la résistance. Il est important de noter que ce geste courageux est venu en premier des chaînes supposées d’opposition et que les médias sociaux, tant critiqués par les dirigeants du pays, ont largement contribué à renverser la situation. Une grande leçon doit en être tirée pour comprendre le rôle des médias dans les démocraties.

Trois mois après les événements, se posent trois grandes questions.

Premièrement, comment en est-on arrivé là? Je peux vous assurer au nom de mon parti, le premier parti d’opposition, que nous avons toujours été soucieux de l’infiltration de la confrérie ou du mouvement Gülen dans l’administration, l’éducation, la justice, l’armée; cependant, nos questions parlementaires et nos demandes de commissions d’enquête sur ce sujet sont restées lettre morte ou ont été rejetées par la majorité. Nos dirigeants avouent avoir été trompés sur leurs alliés. Dont acte.

Deuxièmement, oui, comme en France, l’état d’urgence a été déclaré en Turquie. C’était légitime, mais sommes-nous en train de vivre un autre coup d’Etat? Même le Président Erdoğan a fait part de ses préoccupations concernant une possible chasse aux sorcières et des injustices dans les décisions. L’état d’urgence, qui a été prolongé de trois mois supplémentaires, permet au gouvernement de diriger par décret sans l’aval du parlement. En ce moment, plus de 100 journalistes sont emprisonnés; je me félicite que deux d’entre eux aient été libérés hier.

Troisièmement, comment sortir de cette situation? La Turquie est membre fondateur du Conseil de l’Europe. Nous allons surmonter nos difficultés en respectant nos valeurs fondamentales et en maintenant une étroite collaboration avec les institutions démocratiques européennes. La délégation de Turquie, désormais composée de 18 membres, présente la particularité de disposer d’une indépendance politique lui permettant d’exprimer ses propres opinions au sein de cet hémicycle. Tant que nous aurons cette possibilité, l’espoir subsistera de ne pas perdre la Turquie. Espérons que cette période de transition sera de courte durée.

M. FISCHER (Allemagne)* – Nous avons aujourd’hui un débat sur la situation en Turquie dans le contexte de la tentative de coup d’Etat. Mais il convient de dire qu’avant même cette tentative, nous nous penchions déjà attentivement sur l’état de la démocratie et du respect des droits de l’homme en Turquie.

J’évoquerai deux points: la liberté des médias et le fait que, du jour au lendemain, plus de 100 députés ont perdu leur immunité parlementaire. Vous savez l’importance de cette immunité pour un parlementaire. Je suis reconnaissant au Secrétaire Général et notre Président d’avoir réagi très rapidement. M. Jagland a rappelé que si le coup d’Etat avait réussi, à l’évidence, la Turquie aurait été exclue un certain temps du Conseil de l’Europe, comme ce fut le cas autrefois pour la Grèce. De nombreux chefs d’Etats, en tant que démocrates, ont exprimé un point de vue identique. Le Conseil de l’Europe est la maison de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.

Nous allons continuer de discuter de ces sujets avec les responsables de la Turquie et notamment avec son gouvernement. Après la visite du ministre des Affaires étrangères turc, qui fut président de notre Assemblée, nous examinerons, notamment au sein des groupes de travail déjà en place, comment cette collaboration doit se poursuivre. Des membres de la commission des questions politiques doivent se rendre sur le terrain pour poursuivre le dialogue et dire clairement à nos collègues de la délégation turque que nous entendons que nos valeurs démocratiques soient respectées par le Parlement turc. Il convient de s’assurer que les procédures, notamment judiciaires, soient conformes à l’Etat de droit. Il serait néfaste que la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, soit saisie de milliers d’affaires. Cela doit se régler sur le terrain, en Turquie.

C’est pourquoi, à l’heure actuelle, je suis opposé à une procédure de suivi concernant la Turquie. En revanche, en janvier, nous devrons une fois de plus évaluer la situation et prendre une décision.

M. CRUCHTEN (Luxembourg)* – En devenant membre de cette auguste Assemblée, il y a deux ans, j’étais enthousiaste. Malheureusement, aujourd’hui, je le suis beaucoup moins. Je regrette et je ne comprends pas que nous n’adoptions aucune résolution, aucun rapport et aucune recommandation relative à la situation critique de la Turquie. Au lieu de prendre le problème à bras-le-corps et de nous engager pour le maintien de l’Etat de droit en Turquie, avec les modestes moyens qui sont les nôtres, nous nous contentons d’un débat d’actualité, qui n’a pas plus de poids qu’une table ronde à la télévision. Cela ne nous grandit pas. Nous faisons de cette maison un club de discussion qui évite de prendre des décisions. Qui nous prendra au sérieux, si nous-mêmes, les défenseurs de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme, renonçons à agir face à des violations si flagrantes? Soyons clairs: cette tentative de coup d’Etat doit être condamnée sans équivoque, aussi, par cette Assemblée.

Nous devons reconnaissance et respect au peuple turc, ce peuple qui, au péril de sa vie, est descendu dans la rue pour faire échouer le coup d’Etat. Beaucoup de Turcs l’ont payé de leur vie, et je les admire grandement. La Turquie peut être fière d’elle. Mais si l’on condamne ce coup d’Etat, il faut aussi condamner ce qui a suivi.

En Turquie, les responsables politiques envisagent de rétablir la peine capitale. Plus de 100 000 professeurs, enseignants, juges, policiers et autres fonctionnaires ont été suspendus de leurs fonctions ou incarcérés. 125 journalistes ont été mis derrière les barreaux, sur la base non d’indices, mais de listes de personnes soupçonnées d’avoir un quelconque lien avec le groupe Gülen. Que va-t-il advenir de ces personnes?

Je suis étonné que notre Président, dont je regrette qu’il se soit momentanément absenté, n’ait rien dit à ce sujet dans ses propos de bienvenue à M. Çavuşoğlu. Au mois de juillet, nous avions déjà parlé de la façon dont le parti d’opposition HDP était traité. Beaucoup de maires et de députés ont été muselés, incarcérés ou destitués. Vue de l’extérieur, nous avons de plus en plus l’impression que la Turquie évolue vers l’absolutisme.

Et nous, les apôtres de la démocratie, que faisons-nous à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe? Nous en faisons un débat d’actualité, une affaire courante, habituelle! Ce type d’affaires est-il devenu une banalité pour le Conseil de l’Europe? Il est urgent de dialoguer avec nos collègues de la Turquie pour qu’elle reste un Etat de droit et une démocratie.

M. KÜRKÇÜ (Turquie)* – Aux dires de certains, l’Assemblée représenterait les peuples de l’Europe. Mais ce n’est pas, comme l’Otan, une coalition intergouvernementale pour la défense et la sécurité, reposant sur une analyse d’intérêts géostratégiques. Nous sommes ici pour faire prévaloir l’Etat de droit, la démocratie pluraliste et les libertés fondamentales. La situation actuelle doit être abordée sous l’angle de la démocratie et du respect des droits humains. Le Conseil de l’Europe ne doit pas mettre en balance les bénéfices potentiels de telle ou telle action avec les droits et les libertés.

La tentative de coup d’Etat du 15 juillet a échoué. Toutes sortes de récits ont été propagés au sujet de ses auteurs. Cette tentative était bien réelle, mais qui se tenait derrière ces événements? D’aucuns accusent l’organisation terroriste Gülen, mais qui a placé nombre de membres de ce réseau aux postes d’influence? D’après un rapport de 2004 du Conseil national de la sécurité de Turquie, la secte güleniste a été déclarée menace nationale devant faire l’objet de mesures. Lorsque ce document a fuité dans la presse turque, l’AKP, toutes les instances gouvernementales et tous les ministères ont indiqué qu’il n’avait jamais été traduit dans les faits. Neuf ans durant, le gouvernement de l’AKP a agi en étroite collaboration avec le mouvement güleniste afin que les postes importants de l’administration, de la justice, de l’armée et de l’université soient occupés par des membres de ce réseau. Puis, le 15 juillet, a au lieu ce que l’on appelle le coup d’Etat des gülenistes. Mais aujourd’hui, qui en paie le prix, sinon le peuple turc, qui perd ses droits et ses libertés fondamentales.

Lors de la tentative de coup d’Etat, la démocratie n’était pas fermement ancrée, elle ne fonctionnait pas bien. Une guerre coloniale était menée dans les provinces kurdes, dans le cadre du «plan de reprise en main». Conformément à ce plan, évoqué dans les médias turcs depuis 2015, le gouvernement a essayé de faire régner l’ordre dans ces provinces au prix de 15 000 assassinats.

Avant la tentative du coup d’Etat, la Turquie n’était pas sur la voie de la démocratie. L’état d’urgence va devenir la situation permanente en Turquie. J’en veux pour preuve des décisions prises récemment…

LA PRÉSIDENTE* – Monsieur Kürkçü, vous avez dépassé votre temps de parole. Les temps de parole doivent être respectés. Mais sachez que vous pouvez déposer la fin du texte de votre intervention auprès du service de la séance.

M. DIVINA (Italie)* – Si nous essayons de porter un regard objectif sur la Turquie, force est de constater que la situation est extrêmement confuse. Cette tentative de coup d’Etat s’est soldée par une répression que nous jugeons excessive et trop rapide. La liste des personnes concernées par la purge avait visiblement été préparée à l’avance, et le nombre de ceux qui en ont fait l’objet est impressionnant. Au-delà des auteurs du coup d’Etat, cette liste comporte aussi des magistrats, des journalistes, des policiers et d’autres fonctionnaires. Il s’agissait d’une purge administrative, d’une épuration sans précédent. Certes, l’on pourrait estimer qu’il s’agit d’une affaire interne à la Turquie, mais il nous semble que l’ensemble de ces personnes ne peuvent être qualifiées de terroristes.

Le terrorisme international représente la vraie menace pour les populations occidentales, et la prolifération des mouvements terroristes dans le monde entier procède des démonstrations de force des intégristes. C’est ce qui fonde leur prosélytisme.

À l’heure actuelle, Daech est le point de référence de tous ces mouvements terroristes. Dès lors, pourquoi la Turquie, qui a le regard tourné vers l’Occident et vers nous, n’a-t-elle pas immédiatement adopté une position ferme pour combattre l’expansion du prétendu Etat islamique? Sans doute parce que le peuple kurde est sa première préoccupation. Je rappelle à cet égard que les premiers opposants à l’expansion de l’Etat islamique ont été les Kurdes. L’attitude de la Turquie a alors été extrêmement ambiguë: en raison de sa position vis-à-vis des Kurdes, elle a laissé faire.

Selon nous, ce qui s’est passé en Turquie est bien plus grave que ce qui s’est produit à ces frontières. N’oublions pas qu’un avion russe, envoyé par un gouvernement légitimement élu, combattant l’Etat islamique et les terroristes, a été abattu. Fort heureusement, cela n’a pas été le cas, mais un tel incident aurait pu avoir des conséquences dramatiques et décisives pour l’avenir de tous nos pays.

La solidarité à l’égard du peuple kurde est nécessaire, et nous pensons que le gouvernement turc doit apporter la clarté sur l’ensemble de ces questions.

M. TILSON (Canada, observateur)* – Madame la Présidente, je vous remercie de m’autoriser à prendre la parole devant l’Assemblée sur un sujet aussi important.

Le Canada, en tant qu’allié de la Turquie, a rapidement réagi à la tentative de coup d’Etat du 15 juillet en soutenant le gouvernement élu démocratiquement et en condamnant toute tentative de renversement par la force.

Le 15 juillet, les partis d’opposition turcs se sont mobilisés avec le gouvernement en place pour préserver la démocratie, tandis que des milliers de citoyens descendaient dans la rue pour manifester leur soutien à la démocratie.

Si les Canadiens comprennent et respectent la nécessité d’engager des enquêtes approfondies et des poursuites contre les auteurs de cette tentative de coup d’Etat, conformément au droit turc et au droit international, ils sont profondément inquiets de savoir que 70 000 fonctionnaires – juges, responsables militaires, journalistes – ont été contraints de quitter leur poste, licenciés par le Gouvernement turc, et que 18 000 personnes - fonctionnaires, enseignants, universitaires, chercheurs, responsables du monde judiciaire, membres de la société civile, des médias ou des services de renseignement - ont été arrêtées et mises en détention.

Nous sommes très préoccupés par les déclarations du Président Erdoğan en faveur de la réintroduction de la peine de mort en Turquie. Aller en ce sens empêcherait la Turquie de respecter pleinement ses obligations au regard du droit international et les élus turcs de s’adresser à notre Assemblée.

L’Etat de droit, le respect des procédures, la conduite d’enquêtes et de poursuites, la garantie d’un procès équitable doivent renforcer la démocratie menacée le 15 juillet. Le Gouvernement turc a le droit et même la responsabilité de rétablir la stabilité et l’ordre dans le pays, mais il a également la responsabilité de respecter la primauté du droit et de protéger les droits de l’homme.

Il est évident que la manière dont les autorités turques ont mené leurs enquêtes, engagé leurs poursuites et prononcé leurs condamnations pèsera lourdement sur la façon dont le Canada et les alliés de la Turquie percevront ce pays en tant que démocratie et allié.

En examinant la situation en Turquie, tous les pays, sans exception, représentés au sein de notre Assemblée ont le devoir de rappeler que les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, lesquelles sont partagées par le Canada, notamment les droits de l’homme, la démocratie et la primauté du droit, doivent être respectées, et de s’assurer qu’elles le soient.

M. BÜCHEL (Suisse)* – La tentative de coup d’Etat en Turquie a été sévèrement condamnée par nombre de mes collègues. J’exprimerai à mon tour ma solidarité à l’égard des victimes et des familles, sans exclure les institutions démocratiquement élues de la Turquie.

Le Conseil de l’Europe représente une enceinte indépendante pour agir en faveur d’une coopération constructive avec la Turquie. Ainsi, le Conseil de l’Europe est-il devenu un partenaire privilégié de ce pays.

J’enregistre les déclarations et la volonté affichée de la Turquie de respecter les normes du Conseil de l’Europe. Même quand on lutte contre le terrorisme, les principes de proportionnalité et d’égalité doivent être respectés. C’est en effet ce qui fonde l’Etat de droit et la démocratie. C’est la raison pour laquelle je salue cette coopération étroite et intense des experts entre la Turquie et le Conseil de l’Europe.

Cela étant, je suis de plus en plus inquiet des informations que nous recevons sur les mises à pied massives et les incarcérations de juges, de policiers, d’enseignants, de professeurs, de journalistes. J’estime que les décrets d’exception sont disproportionnés, car s’appliquant à des personnes qui ont «peut-être» un vague lien avec les auteurs de la tentative du coup d’Etat.

Le prolongement de l’état d’urgence est-il indispensable pour protéger les institutions? Ces décrets sont-ils proportionnés à la menace? Je sais bien que nous devons attendre le rapport d’évaluation élaboré par les instances indépendantes du Conseil de l’Europe. Sur la base de leurs appréciations, nous pourrons nous forger une idée plus précise de la situation sur le terrain.

En guise de conclusion, je demande à la Turquie, au moment où elle lutte contre le terrorisme et engage des poursuites à l’encontre des auteurs du coup d’Etat, de tenir compte des droits de l’homme inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. Des milliers de plaintes sont pendantes devant les juridictions turques. Nous risquons d’assister un raz de marée de requêtes devant la Cour. Il convient de l’éviter, notamment en respectant strictement cette convention.

M. DİŞLİ (Turquie)* – J’avais préparé un discours rédigé en turc, mais beaucoup de choses ayant été dites, je modifierai quelque peu mon projet d’intervention. Je demande au secrétariat de bien vouloir m’en excuser.

Je remercie le Président Agramunt. Au moment de la tentative de coup d’Etat, je participais à une fête familiale à Sakarya, dans ma circonscription. Ma priorité a été de protéger les enfants, puis je me suis rendu à mon domicile. Le gouverneur de Sakarya m’a envoyé quatre gardes armés jusqu’aux dents qui m’ont dit qu’ils m’emmèneraient dans un lieu sûr. Je n’étais pourtant pas rassuré, car je savais que parmi les forces de l’ordre se trouvaient des membres du mouvement Gülen. Fort de mon expérience au Conseil de l’Europe, j’ai alors appelé M. Agramunt, qui m’a immédiatement répondu, ce dont je le remercie de nouveau. Je l’ai invité à diffuser les informations que je lui transmettais, en indiquant qu’il ne nous reverrait peut-être plus dans l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Pourquoi qualifions-nous de terroristes les personnes à l’origine de la tentative de coup d’Etat? Parce qu’elles ont commencé par terroriser ceux qui, comme moi, ont certaines croyances religieuses. On nous a fait croire que ces personnes soutenaient un islam modéré et ne sauraient tuer quiconque puisque, selon l’islam, tuer un homme, c’est tuer l’humanité tout entière. Or elles ont abattu 240 personnes et blessées beaucoup d’autres. Elles ont également semé le doute dans notre confiance en nos forces armées. Pour nous, l’armée est la maison du Prophète et nous appelons nos soldats «nos petits Mohammed». Pourtant ce sont bien ces soldats qui se sont retournés contre le peuple, ce peuple qui les a mis en place, et qui ont introduit le désastre dans notre économie.

Pendant 26 trimestres consécutifs, la croissance économique en Turquie était de 4 %. Aujourd’hui, le dollar a atteint un niveau sans précédent, notre croissance ralentit et le moral des Turcs, dirigeants et citoyens, est au plus bas.

Certains de nos collègues se demandent pourquoi tant de personnes ont été emprisonnées. Mais parce que ce n’est pas la première fois qu’elles tentent de prendre le pouvoir par la force. Nous les connaissions, mais il est vrai que nous ne nous attendions pas à ce qu’elles récidivent.

M. SEYIDOV (Azerbaïdjan)* – Je serai franc, mes chers collègues. Confrontés à une telle menace, à des bombardements et des chars d’assaut, tous les Etats membres du Conseil de l’Europe réagiraient de façon similaire. Il faut bien comprendre que la Turquie, aujourd’hui, non seulement combat des groupes terroristes sur son territoire mais, ce faisant, lutte pour la démocratie dans le monde entier.

Alors, j’entends des collègues et amis critiquer la Turquie. Je pense qu’ils manquent d’informations, et ne savent pas ce qui se passe réellement dans ce pays. Personne ne souhaite voir un mouvement terroriste accéder au pouvoir en Turquie. Ce mouvement terroriste pensait utiliser la société démocratique pour prendre le pouvoir, mais quand il a compris qu’il n’arriverait pas à ses fins, il a fomenté un coup d’Etat militaire.

La réaction de la Turquie contre ce mouvement peut être considérée comme particulière, mais nous devons tenir compte du fait que le gouvernement et le Parlement turcs font tout leur possible pour restaurer la démocratie. Mes amis et mes collègues turcs ont raison de dire que le peuple turc est aujourd’hui à l’avant-garde de la lutte pour la démocratie. C’est d’ailleurs la meilleure garantie de la démocratie en Turquie.

La Turquie est actuellement confrontée à trois grandes menaces. D’abord, les mouvements terroristes à l’intérieur de la Turquie qui cherchent à tirer parti de l’environnement démocratique. Ensuite, la menace qui vient du FETÖ mais aussi du PKK et des autres organisations terroristes qui, comme Daech, combattent la démocratie et les libertés en Turquie. La troisième menace très importante ne se situe pas en Turquie, elle vient de cette organisation où nous voyons l’application du deux poids deux mesures. Un pays qui en occupe un autre, le mien, a critiqué la Turquie pour avoir pris des mesures antidémocratiques. C’est une approche cynique qui est inacceptable.

M. ROUQUET (France) – La Turquie a été victime d’une inacceptable tentative de coup d’Etat que tout démocrate ne peut que fermement condamner sans réserve. Heureusement, les armes ne l’ont pas emporté, ce dont nous pouvons tous nous réjouir. Nous pouvons même penser que c’est la dernière manifestation d’une tradition de coup d’Etat militaire profondément ancrée dans l’histoire du XXe siècle de la Turquie. Militent en ce sens la réaction du peuple turc contre ce putsch avorté, mais également le soutien limité qu’il a recueilli au sein des forces armées.

Il est légitime que les auteurs de cette tentative criminelle soient poursuivis avec toute la rigueur de la loi. Et je comprends que l’état d’urgence puisse être proclamé. Je comprends de même parfaitement l’émotion légitime qui s’est emparée du peuple turc et de ses dirigeants.

Comme nombre de mes collègues, je ressens cependant une certaine inquiétude devant l’ampleur de la répression, et en particulier les révocations dans l’appareil d’Etat. Cette ampleur, et la quasi-immédiateté des sanctions, peuvent conduire à s’interroger sur le caractère individualisé des mesures prises, même en tenant compte de la violence de ce pronunciamiento d’un autre âge et de l’émotion qu’il a provoqué en retour. Il suffit à chacun d’imaginer son propre parlement national bombardé par les forces mêmes supposées protéger le pays pour comprendre cette émotion. La suspicion naît de ce que ces purges s’inscrivent dans le contexte d’une dérive autoritaire du Président Erdoğan, antérieure à la tentative du coup d’Etat.

Que devons-nous faire? Certains, animés d’une compréhensible inquiétude, seraient tentés de contester les pouvoirs de la délégation turque ou de remettre la Turquie sous procédure de suivi. Une telle démarche me semblerait précipitée et inopportune.

Précipitée, car nous devons attendre d’en savoir plus. En outre, les autorités turques ont promis de corriger les erreurs et abus qui pourraient se produire et de collaborer avec les organes pertinents du Conseil de l’Europe. Laissons une chance à ces engagements de se concrétiser.

Mes chers collègues, je suis donc d’avis de suivre avec une grande vigilance l’évolution de la situation en Turquie tout en apportant à son peuple toute l’aide et le soutien que nous sommes en mesure de lui apporter.

M. VAREIKIS (Lituanie)* – Je suis ce débat avec la plus grande attention et je me sens aujourd’hui comme un petit garçon naïf et inquiet. Notre Organisation est supposée incarner la démocratie et les droits de l’homme, mais ces valeurs ne sont-elles pas un vœu pieux, un but inaccessible? La tentative de coup d’Etat était-elle l’expression d’une revendication légitime? Je me demande, en réalité, si nous ne sommes pas en train de défendre les responsables de ce coup d’Etat. À titre personnel, il me semble que ce sont les autorités turques qui ont raison. Un coup d’Etat n’a rien à voir avec la démocratie. Ses auteurs ne se sont aucunement réclamé des droits de l’homme. Je fais donc partie de ceux qui soutiennent les mesures de répression prises par les autorités turques après la tentative de coup d’Etat, mesures qui visent à restaurer l’Etat de droit. C’est bien cela, travailler dans le sens de la démocratie.

Quant à la question de savoir si déclarer l’état d’urgence est démocratique ou sert la dictature, il me semble que, dans certains cas de figure, cela fait aussi partie de la démocratie. Un pays a le droit de déclarer l’état d’urgence. La question doit ensuite être posée de savoir comment l’exercer. Ceux de ma génération ont combattu dans des guerres et nous savons que l’objectif d’une guerre est de la gagner. Le gouvernement turc lutte contre ceux qui ont essayé de renverser l’Etat et cherche à sortir victorieux de cette lutte.

Carl von Clausewitz, grand théoricien de la guerre, considérait que la meilleure issue d’une guerre n’était pas la victoire, mais la paix. Je crois que les autorités turques ont comme premier objectif de faire prévaloir la paix parmi toutes les composantes de la société. Mon vœu ultime est que nos amis turcs y parviennent. Ils ont la possibilité aujourd’hui de faire prévaloir la démocratie.

Mme JANSSON (Suède)* – Les événements de ces dernières années ont constitué des épreuves très difficiles pour la Turquie: elle a subi des attaques terroristes; elle a vu la fin des pourparlers de paix avec le PKK; des millions de réfugiés affluent dans le pays; et enfin, elle a dû affronter une tentative de coup d’Etat au mois de juillet dernier. Il s’agit de menaces bien réelles à la sécurité de la Turquie. Elle a donc le droit de prendre des mesures pour y faire face. Ce droit, cependant, ne saurait justifier la détention, l’emprisonnement et le licenciement par milliers de journalistes, d’opposants politiques, de militants des droits de l’homme, d’enseignants, d’universitaires, de magistrats et de fonctionnaires. Ce droit ne peut justifier non plus le recours disproportionné à la force militaire contre les populations civiles kurdes dans le sud-est du pays.

Le grave recul des libertés de parole, d’expression et d’opinion, en ligne et dans les médias, au cours des deux dernières années, doit être condamné. La Turquie est l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés. Le nombre d’attaques physiques et verbales à leur encontre s’est accru, de même que le recours à la diffamation et à la législation antiterroriste. Il y a quelques jours, une chaîne de télévision kurde, dont le site est basé en Suède, a été coupée par un opérateur de satellites français. Nous soupçonnons que cela s’est produit à la suite de pressions exercées par les autorités turques.

Au mois de mai, le Gouvernement turc a approuvé la levée de l’immunité parlementaire de 138 membres de l’opposition. Le Parti démocratique des peuples (HDP) a déclaré que la grande majorité de ses députés pourraient être jetés en prison, essentiellement pour les opinions qu’ils ont exprimées. C’est là une mesure inacceptable, et une façon, pour le Président Erdoğan, de modifier le résultat des élections en sa faveur. En expulsant le HDP, parti pro-kurde, il fait par ailleurs taire les voix critiques au sein du parlement.

Sur le plan local, un responsable politique du sud-est de la Turquie a été récemment démis de ses fonctions. C’est également inacceptable. La Turquie a l’obligation d’autoriser les journalistes et les médias à travailler librement et à critiquer le gouvernement. Elle est tenue de garantir aux minorités le respect de leurs droits. Nous avons le devoir de continuer à pousser la Turquie dans le sens de la démocratie. Le pays dépasse et de loin ses dirigeants actuels.

M. Vusal HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Après le coup d’Etat avorté, de nombreuses critiques se sont élevées contre la Turquie. C’est sans doute parce que l’on ne comprend pas bien le contexte actuel et les sentiments du peuple turc. Je ne reviendrai pas sur la terrible nuit du 15 juillet, au cours de laquelle des massacres ont été perpétrés et des institutions bombardées. Je voudrais simplement souligner que la population turque est descendue dans la rue immédiatement après la tentative de coup d’Etat et qu’un message de soutien clair a été envoyé au Président Erdoğan, pour une Turquie forte et démocratique.

Le ministre des Affaires étrangères de la Turquie s’est exprimé hier devant notre Assemblée. Il a rappelé à quel point la Turquie est attachée à ses engagements et au dialogue. Il faut tenir compte du message envoyé par le peuple et du discours tenu par les autorités turques. Un autre élément doit être pris en compte lorsque l’on juge la situation de la Turquie. Plusieurs menaces terroristes pèsent sur ce pays, et pas simplement de la part d’une organisation, mais ceux qui vivent dans des pays proches la considèrent comme un havre de paix, où l’on peut se réfugier.

Je remercie nos collègues qui ont appelé à soutenir la Turquie dans son développement démocratique et je réitère mon soutien au peuple turc, auquel je souhaite prospérité.

M. ESEYAN (Turquie)* – En tant que parlementaire turc, je voudrais remercier le Président Agramunt et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour le soutien qu’ils ont apporté à notre pays. Nous traversons une période très difficile. Lorsque le coup d’Etat a eu lieu, j’étais chez moi et j’attendais avec crainte que l’on vienne me chercher. Si la tentative avait abouti, je me demande ce qui se serait passé en Turquie. J’y ai beaucoup réfléchi et je pense que le 15 juillet serait devenu une journée noire pour le peuple turc.

Nous vous avons raconté les épreuves que nous avons traversées et nous avons évoqué les 250 personnes qui ont perdu la vie, les 2000 personnes qui ont été blessées. Nous tentons de vous expliquer les difficultés que nous affrontons aujourd’hui et nous vous remercions de nous écouter, et de nous garder présents à votre esprit.

Dans notre lutte contre le mouvement de Fethullah Gülen, nous ne cherchons pas à nous détourner d’autres questions importantes. La tâche est rude car cette organisation a quarante années d’existence et a infiltré tous les réseaux de l’administration. Ses membres, qui reçoivent leurs consignes de Pennsylvanie, se trouvent aussi dans les ONG et dans les médias. Ils exploitent les organisations qu’ils ont infiltrées et il est très difficile de lutter contre eux. Ils ont des pouvoirs dans 170 pays. Le problème ne concerne donc pas seulement la Turquie et va aller en augmentant. Aux Etats-Unis, mais aussi dans les pays de l’Asie centrale, ce mouvement est très présent.

Les pays du Conseil de l’Europe demanderont peut-être un jour à la Turquie de les aider à combattre des menaces similaires. Nous devons à tout prix combattre le mouvement de Fethullah Gülen, qui constitue un phénomène sans précédent, mais nous nous efforçons de respecter le cadre de l’Etat de droit et de la démocratie. Nous devons nous débarrasser de l’«erdoğanophobie». La situation décrite par certains membres de l’Assemblée n’est pas représentative de la réalité de la Turquie. Trois membres de l’AKP ont été tués, il y a à peine trois jours, par des membres du PKK. Voilà une autre des difficultés auxquelles nous faisons face et dont vous devez tenir compte.

LA PRÉSIDENTE – Mme Centemero, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

Mme GAFAROVA (Azerbaïdjan)* – Il est essentiel que nous ayons un débat sur la Turquie, après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet. Celle-ci a échoué grâce à l’action de la glorieuse nation de Turquie, qui a montré avec résolution à quel point les notions de démocratie et d’Etat de droit sont solidement ancrées. Il n’y aura pas de retour en arrière sur le chemin de la démocratie.

Le soir du 15 juillet, le peuple turc a vécu des événements sans précédent. J’ai moi-même assisté aux développements tragiques de ces événements, en particulier à Istanbul et Ankara, retransmis par la télévision turque. Le pont du Bosphore a été fermé par des chars, tandis que des manifestants pacifiques étaient été abattus sur place. Les tanks roulaient dans les rues, écrasant les personnes. Des hélicoptères d’attaques tiraient sur les civils qui protestaient contre le coup d’Etat. Les membres du complot terroriste ont également mené des raids sur les médias, privés ou d’Etat, pour les forcer à délivrer leur message ou pour les museler.

Le Gouvernement turc est confronté à un défi sans précédent et a déclaré le Fetö organisation terroriste. Nous ne doutons pas que les autorités turques prennent et prendront toutes les mesures nécessaires, dans les limites de l’Etat de droit, des droits et des libertés fondamentaux et dans le strict respect de ses obligations internationales, pour lutter contre cette organisation terroriste. J’appelle la communauté internationale à jouer son rôle en soutenant la Turquie.

N’oublions pas non plus que la Turquie doit relever un autre défi, celui de la crise migratoire, qui pose de grandes difficultés à l’ensemble de l’Europe. La Turquie poursuit sa politique de portes ouvertes à l’endroit des Syriens, sans aucune forme de discrimination. Le nombre total de Syriens vivant en Turquie avoisine les 3 millions. Selon le HCR, la Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde. Le ministère de la Famille et des affaires sociales porte une attention toute particulière aux mineurs non accompagnés – à propos desquels nous aurons un débat cet après-midi, dans cette enceinte. Les enfants non accompagnés, ainsi que les personnes handicapées reçoivent tout le soutien et les services nécessaires. La Turquie a dépensé plus de 12 milliards de dollars pour répondre aux besoins des Syriens, alors que la contribution de la communauté internationale s’élève à 500 millions de dollars seulement.

Chers collègues, la crise migratoire est un problème grave, qui exige une réaction internationale. Nous devons faire tout notre possible pour gérer correctement cette crise mondiale et trouver une solution durable.

M. KOÇ (Turquie) – Ce coup d’Etat est le troisième que j’aie vécu en Turquie, après ceux de 1971 et de 1980. Mais cette fois-ci, les choses se sont déroulées de façon tout à fait différente. Le Parti républicain du peuple – CHP – premier parti d’opposition, a très vite condamné les auteurs de la tentative de coup d’Etat. M. Kemal Kılıçdaroğlu, qui s’est opposé publiquement à la tentative, a déclaré dès les premières heures qu’il s’agissait d’une action lâche et sanglante contre la démocratie et les personnes. Sous les bombes larguées par les F16, les députés se sont rendus au Parlement pour protéger le symbole de la légitimité démocratique.

Par le passé, notre pays a beaucoup souffert des coups d’Etat militaires. Pour autant, le CHP n’est pas prêt à accepter les dérives autoritaires de M. Erdoğan. Celui-ci gouverne le pays depuis quatorze ans. N’oublions pas que c’est son parti, l’AKP, qui a nommé ces juges, ces procureurs, ces policiers et ces militaires, accusés aujourd’hui de la tentative de coup d’Etat.

Nous estimons que le débat sur la démocratie doit se poursuivre pour préserver l’Etat de droit, les libertés, l’indépendance de la justice, la liberté d’expression et la laïcité. Le 20 juillet, le gouvernement a annoncé que la Turquie proclamerait l’état d’urgence pour une durée de trois mois, en vertu de l’article 120 de la Constitution turque. Dans ce cadre, plusieurs décrets ayant force de loi ont été promulgués. Ces derniers réglementent la révocation de milliers de fonctionnaires, dans la justice, la police, l’éducation et l’armée. Des établissements d’éducation privés, des logements privés pour étudiants, des syndicats et des fédérations ont été fermés au motif qu’ils étaient liés à Gülen. Des stations de radio, des chaînes de télévision, des quotidiens ont dû cesser leurs activités.

Hier, le gouvernement a prolongé l’état d’urgence de trois mois. La situation continue d’évoluer. Le CHP a recueilli jusqu’à maintenant plus de 30 000 plaintes pour des traitements inéquitables. Pour la Turquie, le défi est de ne pas tomber dans la spirale d’une chasse aux sorcières dépassant le cercle des comploteurs qui ont mis sur pied cette tentative de coup d’Etat. La société turque a besoin de guérison et de compromis, non d’une polarisation plus forte encore. C’est pourquoi l’influence constructive des institutions européennes, à commencer par le Conseil de l’Europe, est essentielle.

M. BILLSTRÖM (Suède)* – La situation en Turquie, à la suite de la tentative de coup d’Etat, est grave. Je commencerai par énoncer une évidence: toute tentative de renverser un gouvernement élu par des moyens antidémocratiques doit être condamnée dans les termes les plus stricts. Le Conseil de l’Europe est le gardien des droits fondamentaux et nous souhaitons que tous les peuples puissent élire leurs représentants. Nul n’a le droit de violer ce droit.

Cela dit, nous constatons que c’est une véritable purge qui se produit en Turquie, de manière arbitraire et contraire aux principes que nous chérissons au sein de cette Assemblée, ceux qui sont inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. Comment imaginer que plus de 20 000 enseignants, à ce jour, aient été rayés de la fonction publique? Comment imaginer que tous les fonctionnaires qui ont été démis de leurs fonctions pourraient être coupables de ce qu’on leur reproche?

Hier, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie a déclaré que son gouvernement disposait de preuves. Si tel est le cas, ces preuves doivent être rendues publiques et dûment examinées. À ce jour, nous n’avons rien vu de concret.

Ces événements doivent nous préoccuper et les suggestions qui ont été faites de réintroduire la peine de mort en Turquie sont extrêmement préoccupantes. Cela constituerait une violation inacceptable de la Convention européenne des droits de l’homme.

C’est aux autorités turques et, en définitive, à la population de Turquie, de décider de son avenir. Mais nous avons la responsabilité de poser des questions, de donner des conseils et de prendre les décisions qui s’imposent, conformément aux règles qui régissent le travail de notre Assemblée.

LA PRÉSIDENTE*– Il nous faut maintenant interrompre la liste des orateurs.

Les orateurs inscrits qui, présents pendant le débat, n’ont pu s’exprimer, peuvent transmettre dans les quatre heures leur intervention dactylographiée au service de la séance, pour publication au compte rendu. Cette transmission doit être effectuée, dans la mesure du possible, par voie électronique.

Je vous rappelle qu’à l’issue du débat d’actualité, l’Assemblée n’est pas appelée à voter. Ce débat aura néanmoins permis un échange de vues intéressant entre les membres de l’Assemblée. Le Bureau peut, à un stade ultérieur, proposer que la question traitée soit renvoyée à la commission compétente pour rapport.

M. Agramunt, Président de l’Assemblée, reprend place au fauteuil présidentiel.

2. Discours de M. Steinmeier, ministre fédéral des Affaires étrangères de l’Allemagne

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle maintenant le discours de M. Steinmeier, ministre fédéral des Affaires étrangères de l’Allemagne. Il répondra aux questions posées par les membres de notre Assemblée à l’issue de son allocution.

Monsieur le Ministre, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue dans l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. L’Allemagne a été l’un des acteurs incontournables de la construction européenne. Aujourd’hui, elle joue un rôle de premier plan pour ce qui est de définir la politique commune de l’Europe face aux défis auxquels celle-ci est confrontée. Je pense notamment à la crise des réfugiés et au phénomène des migrations, mais aussi à l’instabilité qui règne aux frontières du sud de l’Europe, à la menace que le terrorisme fait peser sur toute la planète, ou encore à la solution que nous essayons de trouver aux conflits gelés ou au contraire brûlants qui sévissent sur notre continent, par exemple en Ukraine. Je suis certain que les membres de notre Assemblée souhaiteront vous poser de nombreuses questions sur ces sujets complexes et importants.

Monsieur le ministre, nous vous accueillons également aujourd’hui en tant que président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Les défis aux multiples facettes que j’évoquais sont si complexes qu’aucun pays, aucune organisation ne sauraient y apporter seuls une réponse efficace. Votre visite à Strasbourg nous aidera à mieux coordonner les efforts déployés par deux grandes organisations européennes.

Monsieur le Ministre, avant de vous donner la parole, permettez-moi de souligner encore une chose. Le processus de réconciliation a commencé grâce aux efforts courageux déployés par des hommes politiques européens visionnaires qui, pour la plupart, venaient de France et d’Allemagne; ils ont décidé de concentrer leur action sur notre avenir commun et sur les questions qui unissent. Alors que nous constatons, en Europe, une absence croissante de cohésion, j’ai le sentiment que l’esprit de réconciliation, d’unité et de coopération que j’évoquais va s’évanouissant.

Nous avons besoin d’un nouvel élan politique pour notre action commune, qui nous aidera à préserver notre unité, à renforcer la coopération et à prévenir l’émergence de nouvelles lignes de clivage. Vous le savez, l’idée d’organiser un 4e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de nos Etats membres a été mise en avant, et notre Assemblée la soutient. Votre point de vue sur cette question sera pour nous du plus vif intérêt.

M. STEINMEIER, ministre fédéral des Affaires étrangères de l’Allemagne* – Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, Excellences, Mesdames, Messieurs, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité ici à Strasbourg, au Conseil de l’Europe. Je puis vous assurer que c’est non seulement pour moi une joie mais également un honneur de pouvoir m’exprimer devant vous aujourd’hui.

En tant que ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, c’est avec un très grand plaisir que je viens à Strasbourg. En effet, c’est ici que l’on peut voir de ses propres yeux qu’il est possible de mettre un terme à la guerre grâce au droit, à l’entente et à la protection des libertés individuelles. Ce matin, j’ai eu brièvement l’occasion de flâner dans les rues et ruelles de cette ville; il est difficile d’imaginer qu’il n’y a pas si longtemps Strasbourg était au cœur même des conflits qu’ont connus l’Allemagne et la France au XIXe siècle et des terribles guerres mondiales du XXe siècle. Il est miraculeux qu’un ministre allemand puisse venir au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, en tant que partenaire, parmi ses pairs, dans cette maison des valeurs communes.

Ne vous inquiétez pas: mon intention n’est pas de me pencher sur le passé. En effet, le présent, avec tous les problèmes qu’il pose, exige toute notre attention, et c’est de lui qu’il sera question aujourd’hui. Néanmoins, un regard rétrospectif, en particulier ici, à Strasbourg, peut nous aider à comprendre quelles sont les structures qui se sont révélées décisives afin d’établir l’ordre de paix européen qui s’est développé au cours des 70 dernières années. C’est d’autant plus important en cet instant où le monde semble sortir de ses rails, où l’ordre juridique établi au prix de tant de peine et d’efforts est menacé, partout en Europe, par des conflits. La remise en question de l’ordre de paix européen par l’annexion de la Crimée par la Russie, contraire au droit international, mais aussi par l’ensemble des forces centrifuges qui menacent la cohésion de l’Union européenne elle-même – par exemple, dernièrement, le référendum sur le Brexit – et par les tensions, voire les divisions qui vont croissant au sein de nos propres sociétés, dans nombre de nos Etats membres, y compris dans mon pays, l’Allemagne.

Quelle réponse pouvons-nous apporter à la question: comment retrouver un ordre juridique international, un ordre de paix durable?

À mon sens, une partie de la réponse se trouve dans le concept lui-même: ordre de paix, à savoir la paix grâce à l’ordre. Il s’agit d’une paix qui repose sur le fait que les règles sont fixées par le monde lui-même, d’une paix qui repose sur la force du droit et non sur le droit du plus fort, d’une paix qui se fonde sur les règles multilatérales du droit international – et non pas seulement sur des règles régissant les relations entre les Etats, ce qui serait loin d’être suffisant, mais sur des règles et des structures résistant aux pressions externes et internes et qui permettent de régler les tensions de manière pacifique, grâce à des débats publics, pluralistes et ouverts.

Il est indispensable, à cette fin, de se préoccuper de la constitution et de la perception interne de nos sociétés. En un mot, il convient de s’assurer du respect des droits de l’homme. En effet, les violations des droits de l’homme ne sont pas que la conséquence des conflits et des guerres. Bien trop souvent, les limitations et violations des droits fondamentaux sont non pas la conséquence mais la cause même des conflits et des guerres.

Que les choses soient claires, les droits de l’homme ne sont pas un instrument que l’on met en œuvre au gré de sa volonté sur la voie de la paix. Les droits de l’homme sont le fondement même, la base sur laquelle doit être bâti un ordre juridique international stable.

Les Etats membres de cette Organisation du Conseil de l’Europe ont réalisé de grandes avancées, ensemble et en s’appuyant sur les droits de l’homme. Ces grandes réalisations communes ne sont pas négociables et ne doivent jamais le devenir. Dans tous les conflits que connaît notre planète et qui exigent un difficile travail diplomatique et une persévérance dans les négociations, nous devons toujours réaffirmer haut et fort que la défense des droits de l’homme n’est pas en contradiction avec l’objectif de stabilité en matière d’affaires étrangères ou ne peut être mise en balance avec la recherche de l’intérêt des Etats. Au contraire, l’un et l’autre se conditionnent. Nous devons donc nous doter d’instruments qui nous permettront de prendre avec précision la température d’un Etat et de sa société, et ce le plus tôt et le plus régulièrement possible.

C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Europe est si important: il donne à ses 47 Etats membres, soit quelque 800 millions de femmes et d’hommes, des règles communes contraignantes. Il nous permet de connaître la situation des droits de l’homme dans nos pays. Le Conseil de l’Europe regarde ce qui se passe en coulisse. Aussi, mon message ici aujourd’hui sera-t-il le suivant: le Conseil de l’Europe n’est pas seulement le gardien d’un ordre normatif; en temps de crise, il doit également être un instrument essentiel pour s’assurer que l’ordre règne bel et bien, qu’il est mis en œuvre. Je reviendrai par la suite sur le sujet de la Turquie, mais voilà un exemple qui démontre que le Conseil de l’Europe a su jouer son rôle, et je souhaite aujourd’hui apporter tout mon soutien au Conseil de l’Europe dans la poursuite de ce travail.

Les représentants allemands ici présents le savent, je suis un juriste. C’est peut-être pour cela, entre autres, que je suis également un réaliste: là où existent des règles et des lois, il existe toujours des violations de celles-ci. De telles violations ne m’étonnent pas en soi, même si je dois admettre que j’ai été très impressionné par les chiffres que j’ai lus: 76 000 requêtes seraient pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme. Néanmoins, ces seules violations, et quelle que soit l’urgence du traitement des requêtes, ne doivent pas à elles-mêmes remettre en question l’ordre juridique, le Conseil de l’Europe ni la Convention européenne des droits de l’homme. C’est en effet grâce à l’existence de ces normes communes que l’on peut constater ces violations. C’est ainsi qu’elles apparaissent au grand jour et qu’elles sont identifiées. Mais je le dis ouvertement: en Europe, en tant que partenaires du Conseil de l’Europe, nous devons nous poser des questions en exerçant de l’autocritique: en faisons-nous assez? Agissons-nous suffisamment pour apporter la protection nécessaire à ce système, unique en son genre, de règles de droit contraignant? Agissons-nous suffisamment pour protéger ce système de dommages durables? Car si l’on regarde la situation honnêtement, dans certaines régions d’Europe, les règles et normes du Conseil de l’Europe en matière de respect des droits de l’homme et d’Etat de droit sont aujourd’hui gravement sous pression.

Il ne s’agit pas d’incidents isolés ou de cas uniques. Le Secrétaire Général, M. Jagland, présentait voici quelques mois son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme en Europe. Ce document extrêmement utile est, malheureusement, aussi très parlant. Il pointe du doigt les déficits et lacunes structurels qui risquent de saper les fondements-mêmes de notre Conseil de l’Europe.

Ainsi, aujourd’hui, les libertés d’opinion et de réunion sont largement remises en question dans certains de nos Etats membres. La société civile, dès lors qu’elle se montre critique, fait l’objet de diffamations, d’intimidations. On assiste à des violations de l’exercice des droits par les minorités. Dans certains pays, les voix critiques, les voix de l’opposition font l’objet d’accusations douteuses et, quand la justice n’est pas indépendante, il est impossible d’obtenir un procès équitable. Dans d’autres pays, les règles du jeu de la démocratie, en particulier lors d’élections, ne sont toujours pas suffisamment respectées. Pour compléter cette liste, je suis également préoccupé par le fait que, depuis de longues années, toute une série d’Etats membres ne mettent toujours pas, ou insuffisamment, en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Nombre de problèmes auraient d’ores et déjà été réglés si ces arrêts de la Cour avaient été mis en œuvre de manière conséquente, comme l’exige l’article 46 de la Cour européenne des droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs, lorsque je parle de la crise que nous connaissons à l’heure actuelle, je songe également au conflit en Ukraine. Qui d’entre vous aurait pu imaginer qu’au début du XXIe siècle un pays européen verrait une partie de son territoire annexé illégalement par un autre Etat? Qui aurait imaginé que la question de la guerre et de la paix se poserait à nouveau sur le continent européen dans le cadre du conflit en Ukraine?

Au sein de l’Union européenne et de l’Otan, nous avons réagi avec fermeté à l’annexion de la Crimée par la Russie ainsi qu’au conflit alimenté militairement par la Russie dans l’est de l’Ukraine. En cette période de turbulences, l’Allemagne a assumé la présidence de l’OCDE et, comme vous le savez, nous œuvrons dans le cadre du Format Normandie avec la France, la Russie et l’Ukraine, à une solution politique pour l’est de l’Ukraine, comme le prévoient les Accords de Minsk.

Je sais que le Conseil de l’Europe n’a pas été conçu pour être une force d’intervention rapide, mais je crois que c’est précisément cette crise en Ukraine qui montre que l’on ne peut rester passif face aux violations du droit en Europe. Or cette Organisation dispose d’outils utiles et efficaces.

Je voudrais citer, par exemple, l’excellent travail de la Commission de Venise, ainsi que le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et la Commission contre le racisme et l’intolérance, sans oublier le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dont je loue le travail remarquable. Je me félicite donc que le Conseil de l’Europe continue de s’engager en Ukraine.

L’expertise de la Commission de Venise s’est révélée particulièrement importante. Le plan d’action du Conseil de l’Europe en Ukraine contribue à faire avancer les transformations démocratiques, c’est pourquoi j’appuie tous les efforts déployés par le Conseil de l’Europe pour avoir régulièrement un accès à la Crimée, lui permettant de suivre l’évolution de la situation sur le terrain – cela vaut d’ailleurs également pour l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie, la Transnistrie et le Haut-Karabakh.

Sur notre continent européen, il ne doit pas y avoir de grosses taches blanches marquant des zones où la situation en termes de respect des droits de l’homme ne pourrait être observée. Depuis toujours, l’Assemblée parlementaire est l’enceinte où se tiennent des débats politiques d’urgence. Il y a parfois des controverses houleuses, et c’est d’ailleurs ici qu’elles ont leur place, surtout à un moment où les conflits gagnent en ampleur et où les tensions s’intensifient.

Pour ce qui est de la Russie, j’espère que, suite à nos efforts pour trouver une solution pacifique au conflit, on pourra rétablir des conditions qui permettront aux délégués russes de participer à nouveau au travail de l’Assemblée. Cela dit, c’est évidemment à la Russie qu’il revient en priorité d’apporter sa contribution. Si l’enceinte commune de l’Assemblée parlementaire a vocation à jouer un rôle important et à définir des règles du jeu, il est fondamental que les Etats membres respectent ces règles. C’est précisément ici, dans cet hémicycle, que l’on ne peut ignorer les manquements au droit. Par le passé, l’Assemblée parlementaire a d’ailleurs réagi à des manquements en suspendant des droits de vote de la délégation.

À la suite des élections à la Douma, les représentants élus des régions illégalement annexées ne peuvent être acceptés dans cette maison: il faut le dire très clairement. Nous allons également travailler, au sein de l’Union européenne, à un règlement commun sans équivoque. Le dialogue et l’entente parlementaires ont tout leur sens et toute leur place, mais ils doivent reposer sur les valeurs et le Statut du Conseil de l’Europe.

Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous avons été consternés et ébranlés par la tentative de coup d’Etat en Turquie – une atteinte aux institutions du pays qui, fort heureusement, a rapidement été tenue en échec. Ceux qui ont perdu la vie en combattant le coup d’Etat méritent notre admiration, et nous respectons cette société civile qui a réagi avec promptitude pour défendre les institutions démocratiques. Il est nécessaire et légitime de réagir à cette tentative de coup d’Etat, sur le plan politique, mais aussi sur le plan juridique. En tant que parlementaires, nous voulons également que la réaction des autorités turques tienne compte des normes de droit et se fasse dans le respect des principes du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres.

J’exprime mon respect au Conseil de l’Europe pour le rôle constructif qu’il a joué durant cette période difficile pour la Turquie – un rôle qu’il doit continuer à jouer. Le Secrétaire Général Jagland a été l’un des premiers à se rendre sur place pour condamner la tentative de coup d’Etat et immédiatement entamer des pourparlers en soutenant le travail fait en aval.

Je rends également hommage à la visite du CPT, en me félicitant que la Turquie ait accepté cette offre de coopération – ce que le ministre des Affaires étrangères de Turquie nous a confirmé hier. Il est important que le Conseil de l’Europe continue ce travail à la fois en Turquie et avec la Turquie.

En ces temps de turbulences et de grandes mutations, l’Assemblée parlementaire joue un rôle essentiel. Pour cette raison, il faut absolument qu’elle puisse compter sur une relève parlementaire sage et engagée. À une époque où la politique internationale reprend ses droits après de longues années où elle a été moins présente, il faut que les enceintes parlementaires internationales veillent à attirer les éléments les plus prometteurs des parlements nationaux – je me suis moi-même engagé de longue date en faveur de cette relève parlementaire internationale.

Pour que cette relève puisse avoir lieu, je vous encourage vivement à faire connaître le travail qui est fait au sein de cette Assemblée, car notre monde en proie aux crises a grand besoin que les parlements internationaux continuent à jouer leur rôle essentiel – c’est vrai en particulier pour cette précieuse institution qu’est l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Certains de nos collègues ont exprimé le souhait de vous poser des questions. Je leur rappelle que les questions ne sont pas des discours, et ne doivent pas dépasser 30 secondes.

Nous commençons par les porte-parole des groupes politiques.

M. ARIEV (Ukraine), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Monsieur Steinmeier, notre Assemblée a adopté hier une résolution reconnaissant que l’organisation d’élections au Donbass était impossible, pour des raisons de sécurité. Allez-vous suivre la position de notre Assemblée sur ce point?

Par ailleurs, à Alep, après les résultats des enquêtes sur le Parlement des Tatars de Crimée, pensez-vous qu’il soit approprié de lever les sanctions contre la Russie?

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE– Je vous remercie pour cette question qui, à maints égards, porte sur le rôle de la Russie.

Pour ce qui est de l’Ukraine, à l’heure actuelle, la situation ne nous permet pas même d’imaginer que des élections se tiennent. Comme je l’ai dit, il n’y pas d’autre solution que celle consistant au respect des Accords de Minsk. C’est pourquoi, en tant que membre du Gouvernement allemand, mais aussi en tant que président allemand de l’OSCE pour 2016, je travaille d’arrache-pied à ce que les dispositions contenues dans les Accords de Minsk soient mises en œuvre. Je m’efforce donc de faire en sorte que l’accord de cessez-le-feu, qui a été négocié mais n’est jamais respecté très longtemps, soit stabilisé. Il y a une dizaine de jours, un accord de désengagement a été conclu pour trois régions: j’espère que cela permettra de donner une réalité durable à l’accord de cessez-le-feu.

Mais ce qui est plus difficile, c’est le travail sur l’ensemble des mesures politiques. Trois projets législatifs sont en cours: un statut spécial, les élections locales et l’amnistie. Les positions divergent, et il faut jeter des ponts entre elles. Nous n’y sommes, pour l’heure, toujours pas parvenus. Mais le jeu en vaut la chandelle, il est l’objet de tous nos efforts. J’espère que nous serons bientôt en mesure de mettre en place les conditions indispensables pour qu’une loi puisse être adoptée. Il faudra ensuite assurer la sécurité nécessaire à la bonne tenue d’élections. Là encore, beaucoup de temps sera nécessaire pour convaincre et négocier. À l’heure actuelle, les conditions ne sont pas réunies pour des élections, mais nous faisons tout en ce sens.

Quant à la situation en Syrie et à Alep en particulier, nous sommes du même avis au sein de cette maison. Nous condamnons les bombardements et les attaques qui visent tout particulièrement la population civile à l’est d’Alep. Il y a quelques jours, au début de l’Assemblée générale des Nations Unies nous avions quelques espoirs de voir signer un accord de cessez-le-feu. Malheureusement il n’en fut pas ainsi. La base nécessaire pour conclure un cessez-le-feu s’est vue érodée dans les jours qui ont suivi. De nouvelles négociations sont prévues ce week-end à Lausanne. Gardons espoir, et allons plus loin qu’à New-York.

Comme je l’ai dit dans mon discours officiel en Allemagne, il s’agit non seulement de mettre un terme à une guerre – c’est une obligation politique indispensable pour nous tous –, mais aussi de préserver la crédibilité des hommes politiques et de la politique. Il faut mettre un terme à ces morts à Alep, en Syrie.

M. SCHENNACH (Autriche), porte-parole du Groupe socialiste* – La politique des années 1970 a permis à l’Europe de connaître la paix. Nous sommes aujourd’hui dans l’impasse. Sanctions et boycotts sont monnaie courante. Comment sortir de cette situation? Comment la participation de la Fédération de Russie pourrait-elle permettre le retour à une situation de paix?

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – Comme je l’ai dit dans mon allocution, il faut travailler à créer les conditions pour que la délégation de la Fédération de Russie puisse participer à vos travaux, en récupérant ses droits. Mais cela ne dépend pas uniquement de nous. Cela dépend beaucoup d’eux. La Russie doit trouver une solution apaisée pour la situation en Ukraine. Je suis réaliste, et vois le monde tel qu’il est: on ne peut ignorer que le fossé se creuse entre l’Ouest et l’Est, y compris avec la Fédération de Russie. Quelles conclusions en tirer? Au sein du monde politique, y compris en Allemagne, les approches sont différentes: certains insistent sur les injustices et les violations du droit, d’autres essaient de ne pas en arriver à une position d’isolement. Nous sommes face à un réel défi.

Au sein de l’OSCE, j’ai toujours rappelé qu’il fallait veiller à renouer le dialogue et à le maintenir, même dans des conditions difficiles. Depuis la politique des années 1970 et la guerre froide, le monde a bien changé. Les Etats ne regardent plus vers Moscou ou vers Washington. Le monde n’est plus divisé en deux. Les acteurs sont désormais beaucoup plus nombreux; il est d’autant plus difficile de trouver des solutions, comme c’est le cas pour la Syrie. Plus de parties doivent désormais s’asseoir autour des tables de négociation. Auparavant nous devions négocier dans deux grandes capitales. Il nous semble parfois que nous revenons à une guerre froide, mais ce n’est pas une bonne perception des événements, même si Washington et Moscou peuvent contribuer à trouver des solutions.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Nous constatons dans de nombreux Etats membres que l’Etat de droit fait l’objet de violations. Les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas respectées, les principes même de l’Etat de droit ne sont pas pris en compte, les populistes avancent à grands pas et mènent une politique de la haine et de la peur. Dans ces circonstances, le Conseil de l’Europe me semble revêtir encore plus d’importance que jamais. Pouvez-vous en convaincre vos collègues du Comité des Ministres? Je parle en termes de moyens pour le Conseil de l’Europe.

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – Je ne peux qu’être d’accord. Voici la base du Conseil de l’Europe: les Etats membres doivent reconnaître et appliquer ses règles. Le cas par cas n’est pas possible, en particulier en situation de conflit entre nous, ce qui arrive souvent lorsque les affaires sont portées devant la Cour européenne des droits de l’homme. Je l’ai mis en exergue dans mon intervention. Il faut reconnaître ces règles et mettre en œuvre les arrêts de la Cour. Voilà la base de notre entente commune au sein du Conseil de l’Europe, et nous allons défendre cette position contre les Etats membres qui ne la partagent pas.

M. PRITCHARD (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Monsieur le ministre, si un Etat membre de l’Otan était attaqué, est-ce que l’Allemagne se montrerait faible ou forte? Au titre de l’article 5 du Traité de Washington, est-ce que l’Allemagne accepterait de mener une action militaire contre, par exemple, une action agressive de la Russie? Voterait-elle contre une réaction?

S’agissant de la Géorgie, dans la mesure où un parti anti-Union européenne vient d’être élu pour la première fois, l’Allemagne entend-elle faire davantage pour encourager ceux qui souhaitent des réformes en Géorgie et ceux qui soutiennent la libéralisation du régime des visas Schengen? Ma question vaut également pour l’Ukraine et le Kosovo.

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – S’agissant de la première question, oui, l’Allemagne fera preuve de fermeté.

S’agissant de la Géorgie, si vous en discutez avec vos collègues géorgiens, que ce soit au Conseil de l’Europe ou au Parlement géorgien, vous comprendriez à quel point nous avons encouragé la voie de la réforme. Je me suis rendu à plusieurs reprises en Géorgie; j’y étais présent quatre semaines avant les élections. Nous avons essayé de trouver une solution de compromis pour libéraliser la délivrance des visas. À l’occasion des derniers pourparlers au sein du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, nous sommes parvenus à trouver un terrain d’entente.

Nous avons, je le pense, une position constructive vis-à-vis de la Géorgie. Je m’en suis encore entretenu tout récemment avec le ministre qui préside ce conseil. Je crois que nos efforts ont été reconnus.

M. VILLUMSEN (Danemark), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Monsieur le ministre des Affaires étrangères, mardi dernier, le Président de la République française a appelé à la tenue d’un nouveau Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe. Soutenez-vous cet appel? Etes-vous d’accord pour dire que, tout particulièrement en ce temps de crise pour l’Union européenne, que le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important dans la construction de l’avenir de l’Europe?

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – Je répondrai oui à vos deux questions. Je me suis entretenu avec le Président de l’Assemblée parlementaire et le Secrétaire Général de l’Organisation. Oui, je soutiens la proposition et le souhait d’organiser un quatrième sommet. Je me réjouis que le Président Hollande, non seulement soutient une telle proposition, mais a lui-même proposé la tenue de ce quatrième sommet en 2017.

Cela m’amène à la réponse à votre seconde question sur le rôle du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée parlementaire. Vous le savez, j’effectue mon deuxième mandat, j’ai assuré ces mêmes fonctions entre 2005 et 2009. En jetant un regard rétrospectif, je dirai que jamais au cours des quinze dernière années, le travail de coopération entre les Etats membres de l’Union européenne, d’une part, et le Conseil de l’Europe d’autre part, n’a été aussi intense. J’en ai cité des exemples dans mon discours. J’ai notamment évoqué la situation critique qui a vu le jour en Turquie.

Je lui en suis reconnaissant et j’éprouve un grand respect pour le Conseil de l’Europe, qui, en ces circonstances, a joué son rôle et réagi comme il se devait.

LE PRÉSIDENT* – Je vous propose maintenant, Monsieur le ministre, de répondre aux questions par groupes de trois.

Mme CERİTOĞLU KURT (Turquie)* – On assiste en Allemagne à une montée préoccupante de la xénophobie. Nous avons vu, malheureusement, se multiplier les attaques contre des mosquées. Au cours des mois qui viennent de s’écouler, onze attaques ont été recensées. Quelles mesures prendront les autorités allemandes? Nous comptons sur votre appui pour prévenir de telles attaques.

Mme BLONDIN (France) – Monsieur le Ministre, mes chers collègues, si nous nous réjouissons tous de l’échec d’un coup d’Etat dans un pays démocratique, nous sommes tout aussi nombreux à nous inquiéter de l’évolution pour le moins autoritaire observée en Turquie.

Aussi aurais-je souhaité connaître votre appréciation de la situation dans ce pays et surtout de ses conséquences sur ses relations à venir avec le reste de l’Europe.

M. MULARCZYK (Pologne)* – Monsieur le Ministre, la politique étrangère agressive de la Fédération de Russie porte atteinte à l’ordre international et à la sécurité internationale. Des sanctions ont été prises à l’encontre de la Russie; c’est la raison pour laquelle l’Otan est en train de renforcer son flanc est.

Par ailleurs, l’Allemagne soutient le projet ambitieux Nord Stream 2 qui remet en péril la sécurité énergétique de l’Ukraine et de l’ensemble de l’Europe de l’Est. Monsieur le ministre, n’avez-vous pas le sentiment que cette position vient saper la crédibilité de l’Allemagne alors que sont renforcés les systèmes permettant d’assurer la sécurité internationale?

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – La première question porte sur la montée de la xénophobie en Allemagne et les agressions à l’encontre des mosquées. Chaque fois que des agressions se sont produites à l’encontre d’étrangers ou des mosquées, nous avons appliqué le code pénal allemand. Soyez convaincu que la police, les procureurs et les juges y veillent. Il n’est nullement dans l’intérêt de l’Allemagne que ces formes d’agression restent impunies ou que ces actes se développent. Cela mis à part, depuis un an, ainsi que cela s’est produit dans d’autres pays européens, l’Allemagne a lancé un débat sur les questions migratoires, à ne pas confondre avec le débat sur l’impunité comme cela semble transparaître dans la seconde partie de la question. En matière de migration, nous avons montré que nous assumions nos engagements et nos responsabilités. Nous avons accueilli près d’un million de personnes dont bon nombre y resteront un temps. Nous sommes engagés, nous leur proposons des cours de langue, des cours à l’école et les encourageons à trouver un emploi sur le marché du travail.

Un tel mouvement a également suscité des débats entre responsables politiques. J’imagine que vous avez suivi cela de près. Bien sûr, le contenu de ces débats a été utilisé par des partis populistes et nationalistes, pour, au moment des élections régionales, obtenir des suffrages. Tous les partis représentés au Parlement allemand ont condamné, me semble-t-il, ces agressions à l’encontre des migrants. Nous devons assumer notre responsabilité face à cette crise migratoire et essayer de trouver, avec les autres pays de l’Union européenne, une politique migratoire plus équilibrée. Pour ce faire, nous avons besoin du soutien des pays d’origine des migrants et des réfugiés.

Pour ce qui est de l’évolution autoritariste du régime en Turquie, j’ai déjà évoqué cette question dans mon allocution. J’ai rappelé que, suite à une tentative de coup d’Etat, au cours de laquelle des personnes ont perdu la vie et d’autres ont été agressées, il n’était pas possible de faire comme si rien ne s’était passé. Il fallait bien évidemment réagir, sur le plan politique comme sur le plan judiciaire. Cependant, nous attendons que les normes du droit soient respectées. Et j’espère que les craintes qui ont été exprimées ici ne se concrétiseront pas et que le Conseil de l’Europe, dans le cadre de sa coopération avec la Turquie, réussira à maintenir l’Etat de droit.

Concernant la position de l’Allemagne vis-à-vis de la Fédération de Russie, je ne sais pas si, en Europe, un seul Etat a été plus déterminé que nous à la suite de l’intervention des Russes en Crimée et à la déstabilisation de l’Ukraine orientale pour éviter que toute une région ne s’embrase.

La politique, ce ne sont pas simplement des déclarations, il faut également agir. Et quand on prend des mesures, on s’expose à la critique. Mais dans une telle situation, il est plus responsable de veiller à l’apaisement et à trouver une solution que de faire, chaque jour, des déclarations tonitruantes.

Nous partageons le même avis que tous les autres Etats européens. L’annexion de la Crimée a été condamnée, tout comme la déstabilisation de l’Ukraine orientale par la Russie. Mais, je le répète, les déclarations ne sont pas suffisantes, des mesures doivent être prises et c’est ce que nous essayons de faire, sur la base des Accords de Minsk. Il n’y a, de toute façon, pas d’autre alternative. Je ne comprends donc pas la question relative à la position de l’Allemagne qui saperait notre crédibilité. Car nous souhaitons éviter une escalade du conflit en Ukraine et trouver des solutions pour y mettre un terme. Il serait d’ailleurs bon que d’autres pays nous soutiennent.

Enfin, concernant Nord Stream 2, vous savez comme moi qu’il s’agit d’une initiative prise par six pays européens et que le projet sera mené en conformité aux règlements européens. Je ne peux donc accepter le reproche qui a été adressé au Gouvernement allemand.

M. HUNKO (Allemagne)* – Le Conseil de l’Europe est une organisation qui repose sur des conventions, et notamment sur la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte sociale européenne, particulièrement importante à un moment où les gens tournent le dos à l’Europe pour des raisons sociales.

La Charte sociale européenne révisée a été ratifiée par 33 Etats membres, mais pas par l’Allemagne. Le Gouvernement allemand va-t-il procéder, comme il l’a annoncé, à sa ratification?

M. HONKONEN (Finlande)* – Après le Brexit, l’Union européenne ne sera plus un acteur aussi puissant en matière de politique étrangère que par le passé. Mais le dialogue reste la meilleure manière de produire des solutions.

Quel est l’avenir des relations de l’Union européenne avec l’est du continent et comment envisagez-vous le rôle du Conseil de l’Europe dans cette perspective?

M. MARQUES (Portugal)* – Les pays européens ont tous des positions différentes quant à la crise migratoire. M. Guterres vient d’être élu Secrétaire général de l’Onu et nous savons tous le travail remarquable qu’il a accompli en tant que haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Je souhaiterais d’ailleurs qu’il soit invité à venir s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Pensez-vous que toutes ces prises de position divergentes démontrent que l’Union européenne devrait peser plus lourd dans l’équilibre mondial?

M. LE MINISTRE FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE L’ALLEMAGNE* – Nous n’avons pas encore pris la décision de ratifier la Charte sociale européenne révisée. Elle propose une certaine marge de manœuvre et nous allons nous concentrer tout particulièrement sur l’impact qu’aurait une ratification sur la législation et le droit allemands.

Concernant le Brexit, le rôle de l’Union européenne sera particulièrement important dans les relations entre l’Est et l’Ouest. Mais votre question porte sur le rôle que pourrait jouer le Conseil de l’Europe. Cette question me ramène à ce que j’ai indiqué en évoquant la Turquie. À une époque où les tensions s’aggravent, le rôle du Conseil de l’Europe est plus important encore que par le passé, notamment quand il s’agit de maintenir des canaux de dialogue entre parlementaires. Non seulement, le Conseil de l’Europe fixe des normes en matière de défense des droits de l’homme – et je pense là à ce qui se passe en Russie –, mais il est une plateforme de dialogue durable entre l’Est et l’Ouest. Dans les dix prochaines années son rôle sera encore plus important.

Enfin, je voudrais féliciter le Portugal pour l’élection de M. Guterres; c’est un excellent choix. Nous savons tous quel a été son engagement en tant que haut-commissaire aux Nations Unies pour les réfugiés, il sait ce qu’est le multilatéralisme et je suis convaincu qu’il sera un excellent Secrétaire général pour les Nations Unies.

Quant à l’Union européenne, doit-elle jouer un rôle plus important dans le cadre des Nations Unies? Deux conditions doivent être réunies pour cela. J’exprime, tout d’abord, l’espoir d’une réforme des Nations Unies. Des propositions en ce sens ont été formulées depuis quinze ans mais, jusqu’alors, peu de réformes ont été mises en œuvre.

Je crois, ensuite, que l’Union européenne doit se mettre en condition elle-même de pouvoir jouer un rôle accru au sein des Nations Unies. Après la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne et après les réactions qu’elle a suscitées chez les partenaires européens, il est temps désormais de travailler à l’avenir de l’Union européenne et de trouver des réponses aux questions que se posent les citoyens européens. Ils s’interrogent tout particulièrement sur la négociation d’une politique harmonieuse en matière de migration au niveau européen. L’Union européenne doit devenir un acteur plus convaincu et sûr de lui au sein de la communauté internationale.

LE PRÉSIDENT* – Nous devons maintenant conclure cette séance de questions à M. Steinmeier. Monsieur le ministre, nous vous remercions vivement de votre venue devant notre Assemblée.

3. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT* – La prochaine séance publique aura lieu à 15 h 30 avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 13 heures.

SOMMAIRE

1. La situation en Turquie dans le contexte de la tentative de coup d’Etat (Débat d’actualité)

Orateurs: M. Liddell-Grainger, Mme Fiala, MM. Önal, Özsoy, Németh, Mme Rodríguez Ramos, MM. Mignon, Rustamyan, Farmanyan, Lord Anderson, MM. Michael Aastrup Jensen, Silva, Küçükcan, Gutiérrez, Mmes Schou, Bilgehan, MM. Fischer, Cruchten, Kürkçü, Divina, Tilson, Büchel, Dişli, Seyidov, Rouquet, Vareikis, Mme Jansson, MM. Vusal Huseynov, Eseyan, Mme Gafarova, MM. Koç, Billström

2. Discours de M. Steinmeier, ministre fédéral des Affaires étrangères de l’Allemagne

Questions: MM. Ariev, Schennach, Mme Brasseur, MM. Pritchard, Villumsen, Mmes Ceritoğlu Kurt, Blondin, MM. Mularczyk, Hunko, Honkonen, Marques

3. Prochaine séance publique

Appendix / Annexe

Representatives or Substitutes who signed the register of attendance in accordance with Rule 12.2 of the Rules of Procedure.The names of members substituted follow (in brackets) the names of participating members.

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement.Le nom des personnes remplacées suit celui des Membres remplaçant, entre parenthèses.

ANDERSON, Donald [Lord]

ANTTILA, Sirkka-Liisa [Ms]

ARIEV, Volodymyr [Mr]

ARNAUT, Damir [Mr]

BADEA, Viorel Riceard [Mr] (TUDOSE, Mihai [Mr])

BARILARO, Christian [M.] (ALLAVENA, Jean-Charles [M.])

BARNETT, Doris [Ms]

BARTOS, Mónika [Ms] (CSÖBÖR, Katalin [Mme])

BAYKAL, Deniz [Mr]

BECK, Marieluise [Ms]

BERNACKI, Włodzimierz [Mr]

BILDARRATZ, Jokin [Mr]

BİLGEHAN, Gülsün [Mme]

BILLSTRÖM, Tobias [Mr]

BILOVOL, Oleksandr [Mr]

BLONDIN, Maryvonne [Mme]

BOJIĆ, Milovan [Mr]

BRASSEUR, Anne [Mme]

BRUYN, Piet De [Mr]

BÜCHEL, Roland Rino [Mr] (MÜLLER, Thomas [Mr])

BUDNER, Margareta [Ms]

BULIGA, Valentina [Mme]

CATALFO, Nunzia [Ms]

CENTEMERO, Elena [Ms]

CERİTOĞLU KURT, Lütfiye İlksen [Ms] (MİROĞLU, Orhan [Mr])

ČERNOCH, Marek [Mr] (BENEŠIK, Ondřej [Mr])

CHRISTOFFERSEN, Lise [Ms]

CILEVIČS, Boriss [Mr] (BĒRZINŠ, Andris [M.])

CIMOSZEWICZ, Tomasz [Mr] (POMASKA, Agnieszka [Ms])

CROZON, Pascale [Mme] (BAPT, Gérard [M.])

CRUCHTEN, Yves [M.]

CSENGER-ZALÁN, Zsolt [Mr]

DAVIES, Geraint [Mr]

DESTEXHE, Alain [M.]

DI STEFANO, Manlio [Mr]

DİŞLİ, Şaban [Mr]

DIVINA, Sergio [Mr]

DJUROVIĆ, Aleksandra [Ms]

DZHEMILIEV, Mustafa [Mr]

ECCLES, Diana [Lady]

ESEYAN, Markar [Mr]

EVANS, Nigel [Mr]

FARMANYAN, Samvel [Mr]

FATALIYEVA, Sevinj [Ms] (HAJIYEV, Sabir [Mr])

FAZZONE, Claudio [Mr] (BERNINI, Anna Maria [Ms])

FIALA, Doris [Mme]

FILIPIOVÁ, Daniela [Mme]

FINCKH-KRÄMER, Ute [Ms]

FISCHER, Axel E. [Mr]

FISCHEROVÁ, Jana [Ms] (ZELIENKOVÁ, Kristýna [Ms])

FOURNIER, Bernard [M.]

FRÉCON, Jean-Claude [M.] (DURRIEU, Josette [Mme])

GAFAROVA, Sahiba [Ms]

GALE, Roger [Sir]

GARCÍA ALBIOL, Xavier [Mr]

GHASEMI, Tina [Ms]

GIRO, Francesco Maria [Mr]

GONÇALVES, Carlos Alberto [M.]

GONCHARENKO, Oleksii [Mr]

GOPP, Rainer [Mr]

GORROTXATEGUI, Miren Edurne [Mme] (DOMENECH, Francesc Xavier [Mr])

GOSSELIN-FLEURY, Geneviève [Mme] (LONCLE, François [M.])

GRECEA, Maria [Ms] (STROE, Ionuț-Marian [Mr])

GÜNAY, Emine Nur [Ms]

GUTIÉRREZ, Antonio [Mr]

GUZENINA, Maria [Ms]

HAMID, Hamid [Mr]

HEER, Alfred [Mr]

HEINRICH, Gabriela [Ms]

HETTO-GAASCH, Françoise [Mme]

HIGGINS, Alice-Mary [Ms] (CROWE, Seán [Mr])

HOLÍK, Pavel [Mr] (MARKOVÁ, Soňa [Ms])

HONKONEN, Petri [Mr] (KALMARI, Anne [Ms])

HOPKINS, Maura [Ms]

HÜBINGER, Anette [Ms]

HUNKO, Andrej [Mr]

HUSEYNOV, Vusal [Mr] (HUSEYNOV, Rafael [Mr])

JAKAVONIS, Gediminas [M.]

JANSSON, Eva-Lena [Ms] (KARLSSON, Niklas [Mr])

JENSEN, Michael Aastrup [Mr]

JENSEN, Mogens [Mr]

JOHNSEN, Kristin Ørmen [Ms] (JENSSEN, Frank J. [Mr])

JOHNSSON FORNARVE, Lotta [Ms] (GUNNARSSON, Jonas [Mr])

JÓNASSON, Ögmundur [Mr]

JORDANA, Carles [M.] (ZZ...)

JORDANA, Carles [M.] (ZZ...)

JOVANOVIĆ, Jovan [Mr]

KANDEMIR, Erkan [Mr]

KARAMANLI, Marietta [Mme]

KERESTECİOĞLU DEMİR, Filiz [Ms]

KESİCİ, İlhan [Mr]

KIRAL, Serhii [Mr] (SOTNYK, Olena [Ms])

KLEINBERGA, Nellija [Ms] (LAIZĀNE, Inese [Ms])

KOÇ, Haluk [Mr]

KÖCK, Eduard [Mr] (AMON, Werner [Mr])

KOSTŘICA, Rom [Mr]

KOVÁCS, Elvira [Ms]

KOX, Tiny [Mr]

KÜÇÜKCAN, Talip [Mr]

KÜRKÇÜ, Ertuğrul [Mr]

KVATCHANTIRADZE, Zviad [Mr] (JAPARIDZE, Tedo [Mr])

KYRIAKIDES, Stella [Ms]

LE BORGN’, Pierre-Yves [M.]

LE DÉAUT, Jean-Yves [M.]

LEYDEN, Terry [Mr] (COWEN, Barry [Mr])

LIDDELL-GRAINGER, Ian [Mr]

LOGVYNSKYI, Georgii [Mr]

LOMBARDI, Filippo [M.]

LOUCAIDES, George [Mr]

LOUHELAINEN, Anne [Ms] (PELKONEN, Jaana [Ms])

LUIS, Teófilo de [Mr] (BARREIRO, José Manuel [Mr])

MARKOVIĆ, Milica [Mme]

MARQUES, Duarte [Mr]

MASSEY, Doreen [Baroness] (SHERRIFF, Paula [Ms])

MAURY PASQUIER, Liliane [Mme]

MEIMARAKIS, Evangelos [Mr]

MIGNON, Jean-Claude [M.]

MIKKO, Marianne [Ms]

MILEWSKI, Daniel [Mr]

MILTENBURG, Anouchka van [Ms]

MULARCZYK, Arkadiusz [Mr]

MUNYAMA, Killion [Mr] (HALICKI, Andrzej [Mr])

NAGHDALYAN, Hermine [Ms]

NÉMETH, Zsolt [Mr]

NENUTIL, Miroslav [Mr]

NICOLETTI, Michele [Mr]

NIKOLOSKI, Aleksandar [Mr]

NISSINEN, Johan [Mr]

OBRADOVIĆ, Marija [Ms]

OBRADOVIĆ, Žarko [Mr]

OHLSSON, Carina [Ms]

ÖNAL, Suat [Mr]

O’REILLY, Joseph [Mr]

PACKALÉN, Tom [Mr]

PALIHOVICI, Liliana [Ms] (NEGUTA, Andrei [M.])

PALLARÉS, Judith [Ms]

PANTIĆ PILJA, Biljana [Ms]

PASHAYEVA, Ganira [Ms]

POPA, Ion [Mr] (GORGHIU, Alina Ștefania [Ms])

POSTOICO, Maria [Mme] (VORONIN, Vladimir [M.])

PREDA, Cezar Florin [M.]

PRITCHARD, Mark [Mr]

QUÉRÉ, Catherine [Mme] (ALLAIN, Brigitte [Mme])

RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ, Melisa [Ms]

RODRÍGUEZ RAMOS, Soraya [Mme] (BATET, Meritxell [Ms])

ROSETA, Helena [Mme]

ROUQUET, René [M.]

RUSTAMYAN, Armen [M.] (ZOURABIAN, Levon [Mr])

RZAYEV, Rovshan [Mr] (MAMMADOV, Muslum [M.])

SANDBÆK, Ulla [Ms] (BORK, Tilde [Ms])

SAVCHENKO, Nadiia [Ms]

SCHENNACH, Stefan [Mr]

SCHNEIDER, André [M.] (MARIANI, Thierry [M.])

SCHOU, Ingjerd [Ms]

SCHRIJVER, Nico [Mr]

SCHWABE, Frank [Mr]

ŠEPIĆ, Senad [Mr]

SEYIDOV, Samad [Mr]

SIEBERT, Bernd [Mr]

SILVA, Adão [M.]

SOBOLEV, Serhiy [Mr]

SPADONI, Maria Edera [Ms] (ASCANI, Anna [Ms])

SUTTER, Petra De [Ms] (VERCAMER, Stefaan [M.])

TARCZYŃSKI, Dominik [Mr]

THIÉRY, Damien [M.]

TILKI, Attila [Mr] (GULYÁS, Gergely [Mr])

TORNARE, Manuel [M.] (FRIDEZ, Pierre-Alain [M.])

TORUN, Cemalettin Kani [Mr]

TRUSKOLASKI, Krzysztof [Mr]

TZAVARAS, Konstantinos [M.]

UYSAL, Burhanettin [Mr] (BABAOĞLU, Mehmet [Mr])

VÁHALOVÁ, Dana [Ms]

VALEN, Snorre Serigstad [Mr]

VAREIKIS, Egidijus [Mr] (SKARDŽIUS, Arturas [Mr])

VARVITSIOTIS, Miltiadis [Mr] (CHRISTODOULOPOULOU, Anastasia [Ms])

VEN, Mart van de [Mr]

VĖSAITĖ, Birutė [Ms]

VILLUMSEN, Nikolaj [Mr]

WILK, Jacek [Mr]

WURM, Gisela [Ms]

XUCLÀ, Jordi [Mr]

YEMETS, Leonid [Mr]

ZOHRABYAN, Naira [Mme]

Also signed the register / Ont également signé le registre

Representatives or Substitutes not authorised to vote / Représentants ou suppléants non autorisés à voter

ÅBERG, Boriana [Ms]

BEREZA, Boryslav [Mr]

CORREIA, Telmo [M.]

EATON, Margaret [Baroness]

EFSTATHIOU, Constantinos [M.]

EROTOKRITOU, Christiana [Ms]

HUSEYNOV, Rafael [Mr]

KARAPETYAN, Naira [Ms]

MAMMADOV, Muslum [M.]

MELKUMYAN, Mikayel [M.]

MULLEN, Rónán [Mr]

ÖZSOY, Hişyar [Mr]

Observers / Observateurs

DAVIES, Don [Mr]

DOWNE, Percy [Mr]

LARIOS CÓRDOVA, Héctor [Mr]

LUNA CANALES, Armando [Mr]

RAMÍREZ NÚÑEZ, Ulises [Mr]

SIMMS, Scott [Mr]

TILSON, David [Mr]

WELLS, David M. [Mr]

Representatives of the Turkish Cypriot Community (In accordance to Resolution 1376 (2004) of the Parliamentary Assembly)/ Représentants de la communauté chypriote turque (Conformément à la Résolution 1376 (2004) de l’Assemblée parlementaire)

Mehmet ÇAĞLAR

Partners for democracy / Partenaires pour la démocratie

ABUSHAHLA, Mohammedfaisal [Mr]

SABELLA, Bernard [Mr]