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AS (2017) CR 15

SESSION ORDINAIRE DE 2017

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(Deuxième partie)

COMPTE RENDU

de la quinzième séance

Mercredi 26 avril 2017 à 15 h 30

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 15 h 35 sous la présidence de Mme Schou, Vice-Présidente de l’Assemblée.

LA PRÉSIDENTE* – La séance est ouverte.

1. Modifications dans la composition des commissions

LA PRÉSIDENTE* – Des propositions de modifications dans la composition de la commission des questions politiques et de la démocratie ont été publiées dans le Doc. Commissions (2017) 04, Addendum 3.

Ces modifications sont adoptées.

2. Rapport annuel d’activité 2016 
du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

LA PRÉSIDENTE* – L’ordre du jour appelle le discours de M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur le rapport annuel d’activité 2016 (CommDH(2017)3).

Monsieur le Commissaire, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Votre participation à nos débats et à nos réunions en commissions est une véritable valeur ajoutée au travail parlementaire de notre Assemblée. Nous apprécions également vos échanges avec les autorités nationales visant à améliorer la mise en œuvre des droits de l’homme partout en Europe. Votre rapport annuel d’activité décrit les nombreuses initiatives qui ont été prises l’an dernier.

Je soulignerai deux points en particulier. D’abord, la situation précaire des militants des droits de l’homme et une tendance à restreindre la liberté d’association dans de nombreux États membres. Cette tendance est inquiétante, le travail des militants des droits de l’homme et des ONG étant crucial pour faire progresser les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.

Vous avez souligné qu’il était nécessaire de veiller à ce que les mesures de lutte contre le terrorisme ne soient pas prises au détriment des droits de l’homme. Vous insistez également sur le rôle des structures nationales de défense des droits de l’homme et sur le fait que les États doivent les consulter.

Monsieur Muižnieks, vous allez à présent nous en dire plus sur vos activités et je suis certaine que les membres de l’Assemblée auront de nombreuses questions à vous poser.

M. MUIŽNIEKS, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe* – Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, c’est un plaisir et un honneur de vous présenter mon cinquième rapport annuel.

L’année 2016 a été un tournant en Europe. Les défis posés aux droits de l’homme se sont accumulés à une vitesse vertigineuse. Cette année sera inscrite dans l’Histoire pour de nombreuses raisons. D’abord, le Brexit, un vote d’opposition à l’immigration. Ensuite, plusieurs pays ont adopté des législations minant le droit à l’asile et permettant le refoulement. Enfin, la déclaration problématique de la Turquie sur les migrations.

Le thème des migrations a en effet dominé les thèmes de l’année 2016. J’en ai tenu compte dans mes rapports et mes visites en Croatie, à Chypre et en Turquie. J’ai envoyé des courriers aux autorités belges, danoises, françaises et espagnoles. Je suis intervenu comme tierce partie devant la Cour européenne des droits de l’homme. J’ai beaucoup communiqué sur les migrations et les droits de l’homme auprès des médias, des États membres et de l’Union européenne pour que chacun satisfasse à ses obligations. J’ai tenté d’orienter et d’aider les États membres en publiant un document relatif aux migrations. En dépit de tous ces efforts, il s’agit d’un domaine où les États membres coopèrent peu et ne satisfont pas toujours à leurs obligations.

L’année 2016 a aussi été importante pour la Turquie et les droits de l’homme dans ce pays. Je m’y suis rendu à deux reprises, en avril et en septembre, après la tentative de coup d’État. J’ai adressé trois mémos aux autorités turques: en octobre, sur les mesures d’urgence et les droits de l’homme; en décembre, sur le contre-terrorisme dans le sud-est du pays et les droits de l’homme; et en février, sur la liberté d’expression et la liberté des médias.

Je continue à suivre la situation avec beaucoup de préoccupation. Je viens d’apprendre qu’un millier de personnes ont été exclues aujourd’hui de la fonction publique et de la police. Les mesures d’urgence sont toujours en place et les opérations antiterroristes restreignent encore les droits et la liberté d’expression. Elles touchent les blogueurs, les journalistes, un grand nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux, d’opposants politiques et d’universitaires.

En 2016, le Gouvernement polonais a aussi pris un certain nombre de mesures qui limitent les compétences des juridictions, entraînant une menace systémique de l’État de droit, d’après les propos mêmes de la Commission européenne. Je me suis rendu trois fois dans le pays pour dialoguer avec les autorités. Je continue à suivre avec préoccupation l’évolution dans le pays.

Nous ne pouvons oublier la catastrophe humanitaire en Ukraine et la violation des droits de l’homme dans l’est et en Crimée. Je m’y suis rendu et j’ai publié un rapport sur les violations graves des droits de l’homme dans le contexte du conflit. Cette année je me suis rendu à nouveau dans ce pays – septième visite en cinq ans – pour faire le bilan des derniers développements.

Les pressions sur les défenseurs des droits de l’homme se sont poursuivies dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe. Je suis tierce partie intervenante dans des affaires contre la Russie et l’Azerbaïdjan. J’ai fait des déclarations, j’ai organisé des tables rondes avec des défenseurs des droits de l’homme, j’ai coopéré avec des partenaires de l’Union européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques et les Nations Unies, pour essayer de soutenir les défenseurs des droits de l’homme partout en Europe.

Des pressions sont exercées sur les journalistes. Outre mon travail en Turquie, j’ai examiné la liberté des médias dans les rapports nationaux de Pologne et de Croatie. J’ai exprimé mes préoccupations faces aux menaces contre les journalistes en Fédération de Russie et en Azerbaïdjan. La situation continue cependant de se détériorer.

J’ai effectué des visites dans 41 des 47 États membres du Conseil de l’Europe, avec des visites de suivi dans beaucoup d’entre eux. Je me rendrai dans les six pays restants cette année. Si je ne me suis pas encore rendu dans votre pays, attendez-vous à m’y voir très bientôt.

Ma coopération avec l’Assemblée parlementaire, les délégations individuelles, les commissions et la séance plénière s’est poursuivie tout au long de l’année dernière. Je me suis présenté devant la commission de l’égalité de l’année dernière, j’ai pris part à une audition des commissions des affaires politiques et juridiques en avril, j’ai rencontré de nombreuses délégations lors de mes visites dans les pays et ici à Strasbourg.

En introduction de mon rapport annuel, j’en appelle aux membres de l’Assemblée parlementaire. Je vous demande de parler chez vous, à vos collègues, de la gravité des défis qui s’imposent aux droits de l’homme en Europe, de la gravité de la régression dans de nombreux pays, et d’expliquer que cette régression n’est pas normale. Je vous invite à jouer un rôle plus actif au niveau national pour la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de pousser vos gouvernements à respecter ces droits et à donner les moyens financiers nécessaires à leur application. Je vous invite aussi à améliorer le système d’accueil des réfugiés. Si certains pays ne renforcent pas leur politique de soutien à l’intégration des réfugiés, ces derniers se déplaceront et créeront des problèmes ailleurs. Faites-le comprendre dans vos pays respectifs, veillez à ce que l’on fasse suffisamment pour que ces réfugiés trouvent leur place dans les pays d’accueil.

Je vous invite aussi à contester les prorogations presque systématiques des états d’urgence, qui impliquent des restrictions à l’application de la Convention européenne des droits de l’homme. Les gens s’habituent aux états d’urgence, aux dérogations qui ne devraient s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles et pour des délais très limités. Faites de la protection des médias et des défenseurs des droits de l’homme des priorités. Sans journalistes, sans défenseurs des droits de l’homme libres, le système ne saurait fonctionner. Nous avons besoin d’eux pour qu’ils signalent les problèmes, suggèrent des solutions, fournissent des informations venant du terrain. Toute menace qui pèse sur eux est une menace sur les droits de l’homme en tant que tels.

Je me félicite de la coopération avec l’Assemblée. Je crois savoir qu’il y a beaucoup de questions, j’y répondrai avec plaisir.

LA PRÉSIDENTE* – Monsieur Muižnieks, je vous remercie pour votre discours, qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Un nombre important de collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question.

Je leur rappelle que leurs questions doivent avoir un caractère vraiment interrogatif et ne pas dépasser 30 secondes. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. FARMANYAN (Arménie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Vous demandez à plusieurs pays, dans votre rapport, d’adopter une loi plus libérale sur les avortements. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt selon lequel la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être interprétée comme donnant droit à l’avortement. La Cour a parfois du mal à respecter les traditions des différents États membres. Vos propos ne viennent-ils pas saper l’autorité de la Cour? Il faut promouvoir les droits, mais cette architecture post-Seconde Guerre mondiale est confrontée à de nombreux défis. Êtes-vous prêts à discuter de cela avec nous?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je me suis occupé des droits sexuels et reproductifs des femmes dans un certain nombre de pays. Ces questions sont aussi liées à la parité. Le droit à la vie ne s’applique pas à la vie prénatale, mais s’applique aux femmes. Les droits qui peuvent être violés dans le cadre de la santé reproductive sont le droit à la vie privée, le droit à la santé, le droit à l’intégrité physique, l’interdiction des mauvais traitements, le droit à la non-discrimination, etc. Une jurisprudence existe au sein de la Cour et de la Charte sociale européenne, ainsi qu’au niveau des Nations Unies. Je n’hésite pas à invoquer les normes des Nations Unies et leurs lignes directrices. Je vais effectivement au-delà de la jurisprudence stricto sensu de la Cour européenne des droits de l’homme. Je le fais partout, et non seulement ici. Je pourrai poursuivre ce débat avec vous par la suite. Je publierai un document sur les droits à la santé sexuelle et les droits reproductifs des femmes. Je crois qu’il faut effectivement approfondir ce débat.

M. LE BORGN’ (France), porte-parole du Groupe socialiste – Je partage votre analyse selon laquelle l’année 2016 a été très largement une annus horribilis pour les droits de l’homme. Je le ressens profondément, comme beaucoup de collègues ici, car j’ai inscrit au cœur de ma vie parlementaire la défense des droits et des libertés. Je suis révolté par les attaques contre les défenseurs des droits, la liberté des médias et les migrants, révulsé par la montée du discours et des actes de haine. Votre fonction est essentielle au système du Conseil de l’Europe.

Que faire, selon vous, pour réveiller les consciences, en particulier dans nos parlements nationaux, où l’on peut penser que, pour les droits de l’homme, c’est business as usual, alors qu’il n’en est rien?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Vous devez expliquer à vos collègues qu’il y a des reculs dans nombre de pays: voyez nos discussions ici. Parlez aussi des attaques directes et indirectes sur l’ensemble du système de protection des droits de l’homme. Quant à la question de la haine et de l’intolérance, je crois que les parlementaires peuvent jouer un rôle actif dans la campagne du Conseil de l’Europe «Ni Haine Ni Peur». Il faut expliquer pourquoi il est si important de cohabiter dans la paix, dans le respect de la diversité et de la dignité de toutes les personnes. Voilà qui est indispensable à la cohésion sociale et à la démocratie.

J’aimerais que les parlementaires jouent un rôle plus actif, qu’ils parlent plus, qu’ils distribuent plus largement les documents de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (Ecri). Lorsque j’étais membre et président de cette commission, j’ai trouvé qu’il était extrêmement difficile d’encourager les parlementaires à s’intéresser à nos travaux. Avec la diversité croissante des sociétés européennes et l’immigration, le travail de l’Ecri est d’autant plus pertinent. Vous pouvez jouer un rôle majeur en informant les citoyens des activités et des constatations de cette commission.

M. GONCHARENKO (Ukraine), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Tout d’abord, merci beaucoup pour votre travail, Monsieur le Commissaire.

Comment évaluez-vous la situation des droits de l’homme en Crimée, territoire illégalement occupé par la Russie? Et que faites-vous pour l’améliorer?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je suis très préoccupé par l’évolution de la situation en Crimée, que je continue de suivre. Je m’y étais rendu au mois de septembre 2014 et j’avais publié un rapport dans lequel j’examinais des questions telles que la liberté des médias, les pressions sur les défenseurs des droits de l’homme, les pressions sur les Tatars de Crimée et les communautés minoritaires ukrainiennes, le manque d’enquêtes effectives dans le cas de disparitions et de meurtres aux motifs politiques, la question de la citoyenneté. Toutes ces questions restent d’actualité. La répression contre les Tatars de Crimée a tout particulièrement retenu l’attention de mon bureau. Lorsque le Mejlis, l’assemblée des Tatars de la Crimée, a été classé dans la catégorie des «organisations extrémistes», cela a eu des répercussions sur tous les Tatars vivant dans la péninsule. Je réfléchis actuellement aux suites à donner à mon rapport de 2014, certaines questions restant d’une actualité brûlante.

Le mois dernier, en Ukraine, j’ai rencontré des personnes déplacées, des représentants d’organisations non gouvernementales et des responsables gouvernementaux, pour qu’ils m’informent des derniers développements de la situation. J’espère que les rapporteurs de l’Assemblée parlementaire, les personnes impliquées dans les mécanismes de suivi et moi-même pourront nous rendre sur place. Poursuivons nos efforts, même s’ils n’ont pas été couronnés de succès. Nous n’avons pas d’autre option que celle d’utiliser les outils à notre disposition. Nous devons persévérer et chercher à obtenir l’accès à la péninsule de Crimée pour y faire notre travail.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – J’aimerais vous remercier, Monsieur le Commissaire, et vous féliciter pour votre excellent travail. Vous êtes notre voix. En tant que responsables politiques, nous recourons bien trop souvent à un langage diplomatique pour évoquer ces graves questions, mais, vous l’avez dit, la situation se détériore. Dès lors, il est heureux que le Conseil de l’Europe se fasse entendre par votre voix. Vous vous êtes toujours fait entendre pour défendre les droits des plus vulnérables, notamment ceux du peuple rom. C’est votre voix qui se fait entendre à l’extérieur des murs de notre Organisation. Je ne vous poserai pas de question, mais j’exprime le vif regret que votre mandat ne puisse être renouvelé. On vous critique parce que vous faites entendre votre voix, on prétend que vous seriez la marionnette de je ne sais qui, mais vous pouvez être fier de votre travail! À titre personnel, je vous remercie vivement. Merci, particulièrement, pour cette excellente coopération, à l’époque où je la présidais, entre notre Assemblée et vous-même.

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Il me paraît très positif que mon mandat ne puisse pas se prolonger. Ainsi puis-je être indépendant jusqu’au dernier jour, sans me préoccuper de mon éventuelle réélection. Ceux qui ont conçu le mandat du Commissaire aux droits de l’homme comme un mandat non renouvelable ont très bien fait! Une période de six ans est en outre suffisamment longue pour permettre une réflexion à long terme, mais je crois que vous aurez besoin de sang frais, d’un regard neuf. Il est très positif que ce mandat ne soit pas renouvelable; cela me permet de rester fidèle à mes principes jusqu’au dernier jour de mon mandat, sans me soucier de ma réélection. Ensuite, il reviendra à quelqu’un d’autre d’exercer ce mandat. C’est maintenant à vous qu’il incombe de réfléchir au choix de cette personne, de vous entretenir avec les candidats, que j’espère nombreux et très compétents, car c’est un poste très important. Cela dit, vous devrez encore faire avec moi pendant encore un an.

Mme KAVVADIA (Grèce), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Tout d’abord, je vous remercie et je vous félicite pour votre travail de qualité, Monsieur le Commissaire.

Votre rapport montre bien que la réponse de l’Europe à la crise des réfugiés est largement insuffisante, mais si l’Europe est incapable d’y faire face d’une manière conforme à ses propres valeurs, le principe pacta sunt servanda («les pactes sont faits pour être respectés») ne doit-il pas s’appliquer? Si l’on cherche, face à des questions humanitaires, des échappatoires politiques, si cette Europe qui prétend défendre les droits de l’homme ne peut respecter ses propres obligations et ses propres principes, quelle est sa crédibilité?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je crois que le droit d’asile est au cœur du projet européen et du système européen et mondial des droits de l’homme. Beaucoup de gens qui souffrent et sont dans le besoin cherchent un asile sûr, et nous n’avons pas pu répondre à leur appel. La coopération européenne a été radicalement insuffisante. La mer Méditerranée n’est pas une mer italienne! On ne peut attendre de la marine italienne qu’elle sauve toutes les personnes qui s’embarquent. La Grèce ne peut être le seul pays sur la ligne de front. Cela ne peut être une solution durable ni juste.

Le nombre de migrants morts en Méditerranée a baissé cette année, mais nous pouvons faire mieux. C’est pourquoi le système de réinstallation doit fonctionner. Nous devons maintenant songer à l’intégration à long terme des réfugiés. Sinon, ils se déplaceront, et ces déplacements secondaires de populations seront sources de problèmes en aval pour toutes nos sociétés. J’exhorte donc chacun à s’intéresser activement à cette question. Si ce système ne fonctionne pas, nous allons déchirer nos sociétés et nous ferons peser un fardeau insupportable sur les pays en première ligne comme la Grèce et l’Italie.

LA PRÉSIDENTE *– Nous allons prendre maintenant les questions par séries de trois.

Mme BLONDIN (France) – Hier, ici même, nous avons évoqué à plusieurs reprises les arrestations, les persécutions, les tortures, les assassinats perpétrés en Tchétchénie sur les personnes LGBT, au mépris de tous les droits humains. Pour ces personnes, c’est l’exil ou la mort. Que comptez-vous faire, en lien avec les autorités russes, pour faire cesser ces pratiques inacceptables, qui illustrent la persistance d’une homophobie d’État?

M. SCHWABE (Allemagne)* – Je vous remercie, Monsieur le Commissaire, pour votre excellent rapport. J’avais voté pour un autre candidat, mais vous étiez le bon choix.

Nous avons discuté du rôle que jouent les ONG dans différents pays, surtout en Hongrie, actuellement. Quelle est la différence entre les ONG financées par les gouvernements et celles qui s’occupent véritablement des droits de l’homme? Peut-être pourriez-vous nous en dire plus sur le distinguo que vous faites.

M. GUTIÉRREZ (Espagne)* – La crise économique a entraîné une perte de droits sociaux, de droits personnels, notamment un mauvais accès à la justice. Beaucoup de personnes se retrouvent sans défense. En 2012, vous aviez proposé des améliorations pour que les personnes vulnérables, particulièrement les femmes, puissent se défendre directement face à l’administration. Quelles ont été les suites données à votre proposition dans les différents pays?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – En ce qui concerne la Tchétchénie, les rapports, assez crédibles, que j’ai reçus, mentionnent tous les faits évoqués par Mme Blondin: enlèvements, tortures, assassinats de personnes LGBT. C’est très grave.

Mes services et moi-même avons réagi immédiatement: nous avons contacté le Conseil présidentiel des droits de l’homme de Russie, ainsi que l’ombudsman russe. J’ai envoyé une lettre à la commission d’enquête de la Fédération de Russie, avec des questions précises. Nous attendons encore la réponse. J’ai rencontré cette semaine un journaliste et militant qui m’a fourni de plus amples informations: il faut évidemment traiter cela avec beaucoup de sérieux. Si ces rapports sont véridiques – et ils me semblent très crédibles – alors nous serions confrontés à de très graves violations des droits de l’homme. Notre institution doit y répondre avec force: pour ma part, je jouerai mon rôle.

Les États membres devraient envisager d’offrir l’asile aux personnes qui fuient cette situation. Je sais bien qu’accorder le droit d’asile n’est pas une politique très populaire ces derniers temps, mais ces personnes ont besoin de protection. Elles ont besoin d’un environnement sûr et il est certain que ce n’est pas en Tchétchénie qu’elles le trouveront.

Vous m’avez interrogé à propos des ONG. J’en ai déjà parlé à plusieurs reprises dans différents contextes: le problème est de savoir s’il est opportun, pour un État, d’imposer des restrictions au financement, par des donateurs étrangers, des ONG opérant sur son territoire, ou de leur imposer des exigences supplémentaires. J’ai beaucoup critiqué à cet égard la loi russe sur les ONG étrangères: j’ai dit qu’elle n’est pas compatible avec les conventions européennes. J’ai dénoncé l’arbitraire avec lequel cette loi est appliquée. Je suis en train d’analyser une loi semblable qui a été adoptée en Hongrie.

Il ne faut pas faire de différence entre les financements publics et privés, étrangers et nationaux: toute source de financement est légitime. Il ne faut pas mettre trop de barrières, trop d’obstacles administratifs à l’action des ONG. Bien entendu, toutes les ONG doivent présenter des comptes aux ministères des finances et de la justice: c’est une obligation légale. Mais il ne faut pas stigmatiser celles qui reçoivent des financements de l’étranger. Très souvent, en effet, les gouvernements nationaux ne veulent pas donner d’argent à des organisations défendant des causes polémiques, controversées, en matière de droits de l’homme. Ils essayent donc de fermer le robinet, de couper les vivres à certaines ONG qui s’adressent alors à des donateurs internationaux: elles ne doivent pas être punies pour cela. Je suis assez critique vis-à-vis de ce genre d’initiative: cela ne me semble pas légitime, cela ne me paraît pas conforme à nos normes.

La crise économique que vous avez mentionnée continue en effet de faire des ravages en Europe. Je l’ai constaté dans de nombreux pays, tout récemment en Slovénie, mais aussi ailleurs. Au plus fort de la crise, les budgets consacrés à l’aide juridique ont été drastiquement réduits: les victimes de violence domestiques, les Roms, etc., ne pouvaient donc pas y recourir. Les frais d’avocat, en outre, n’ont cessé d’augmenter: il est de plus en plus difficile pour les victimes de violations des droits de l’homme d’obtenir justice devant les tribunaux. D’autres budgets ont été réduits, par exemple ceux des médiateurs pour les droits de l’homme. Ceux qui en souffrent, ce sont les victimes de violations des droits de l’homme.

J’ai l’impression que depuis un moment, la tendance s’est inversée: les budgets consacrés à l’assistance juridique augmentent de nouveau. Même chose pour toutes les structures nationales dédiées aux droits de l’homme. C’est une bonne chose, car c’est absolument nécessaire.

M. CORLĂŢEAN (Roumanie) – Je vous remercie, Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme ainsi que votre équipe pour la qualité de votre travail. Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires que vous avez présentés dans votre rapport annuel d’activité au sujet de l’Ecri, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance. Le combat contre le racisme, l’intolérance et l’antisémitisme est en effet très important.

Je voudrais vous interroger sur les conséquences du Brexit en matière de respect des droits de l’homme. Le Brexit pose des problèmes aux Roumains qui travaillent ou étudient au Royaume-Uni. Il a aussi une incidence sur les expulsions des familles Roms.

Je voudrais en outre souligner l’importance d’un contrôle démocratique solide des services de renseignement dans nos différents États – cette question se pose aussi pour la Roumanie. L’activité des commissions parlementaires est importante, et vous les encouragez par votre activité.

M. Rafael HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme, des informations désagréables sont parues récemment à propos des activités illégales de certaines personnes travaillant dans divers organes du Conseil de l’Europe. L’un des rapports publiés récemment mentionne, malheureusement, vos relations avec un réseau arménien secret. Je pense qu’il y aura certainement une enquête sur cette question, et que vous aurez à y répondre à l’avenir, mais je vous encourage dès maintenant à vous montrer prudent dans vos relations.

Ma question porte sur un autre objet. Un ressortissant azerbaïdjanais, Diligam Askerov, a été arrêté alors qu’il se rendait sur la tombe de ses parents dans le district de Kalbajar, occupé par l’Arménie. Il a été condamné à une peine de prison à vie par un tribunal illégal du régime séparatiste du Haut-Karabakh. Il court à présent le risque de subir des tortures. En votre qualité de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, quelles sont les mécanismes que vous pourriez utiliser pour faire libérer ce ressortissant azerbaïdjanais arrêté illégalement?

M. GHILETCHI (République de Moldova)* – Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme, j’apprécie, moi aussi, les efforts que vous faites pour promouvoir les droits de l’homme. Sur certains points, cependant, nous sommes en désaccord. Dans votre rapport, vous faites référence aux critiques adressées à ce que vous appelez la prétendue idéologie du genre ou théorie du genre. Ne croyez-vous pas que cette idéologie peut représenter un réel problème pour les parents qui souhaitent exercer leur droit à être les premiers éducateurs de leurs enfants, conformément à l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel «Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.»?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je commencerai par répondre à la dernière question, à propos de la prétendue théorie ou idéologie du genre. Il y a, à ce sujet, beaucoup de désinformation, et beaucoup d’incompréhension quant au sens à donner au concept de «genre». Très souvent, ces expressions sont employées pour s’opposer à la ratification de la Convention d’Istanbul, qui est l’instrument de lutte contre la violence domestique le plus moderne. Ce ne sont pas les prétendues théories du genre qui détruisent les familles, mais bien la violence domestique. Or le meilleur outil pour lutter contre cette violence, je le répète, c’est la Convention d’Istanbul.

Bien sûr, les parents ont le droit d’éduquer leurs enfants conformément à leurs croyances philosophiques ou religieuses. Mais les enfants ont aussi des droits: ils ont droit à une information appropriée dans tous les domaines, y compris au sujet de leur sexualité ou homosexualité. Il est dans leur intérêt d’être informé, éduqué de manière scientifique, au lieu d’être soumis à différentes idéologies. Je suis d’accord avec vous, mais je n’opposerais pas les droits des parents aux droits des enfants. Au contraire, je crois qu’il faut rechercher un équilibre.

Un parlementaire d’Azerbaïdjan a mentionné un texte dans lequel je suis appelé «M. X», et que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Je n’en connais pas les auteurs: ils ne se sont jamais adressés à moi, sans quoi il y aurait eu moins d’erreurs dans leur texte. Je ne sais pas qui les finance. Ils disent que j’ai participé à des manifestations auxquelles j’ai été invité. En effet, j’ai participé à des événements organisés dans cette institution, exactement cinq en cinq ans: trois à propos de l’Azerbaïdjan, une à propos de l’islamophobie, et une à propos de l’est de l’Ukraine.

Pourquoi ai-je participé à des conférences sur l’Azerbaïdjan ici, en marge de l’Assemblée parlementaire? La situation des droits de l’homme se détériore dans ce pays: c’est le seul pays du Conseil de l’Europe où la plupart des défenseurs des droits de l’homme, qui sont mes partenaires, se sont retrouvés à un moment ou à un autre en prison, sous de faux chefs d’inculpation – la Cour européenne des droits de l’homme l’a confirmé dans certains cas. Il a été reconnu, par exemple, que les autorités avaient emprisonné M. Mammadov dans le but de le faire taire et non parce qu’il était coupable d’un crime. Je me suis intéressé à l’Azerbaïdjan: en raison des problèmes liés aux droits de l’homme qui s’y posent. Toute personne dans ma situation aurait agi de même. Je fais partie d’un lobby et d’un seul: celui des droits de l’homme.

S’agissant de la situation des personnes détenues, faites prisonnières lors du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, j’ai été contacté par les deux parties pour jouer un rôle dans le processus. Organiser des échanges de prisonniers va bien au-delà de mon mandat mais, comme le Secrétaire Général, j’ai encouragé un échange de prisonniers rapide et demandé que tous soient traités conformément au droit humanitaire international.

Vous m’avez également posé une question sur le Brexit et sur le contrôle démocratique des services de sécurité.

Le Brexit illustre ce que je disais en réponse à M. Le Borgn’ à propos du rôle des parlementaires: il montre que les mots ont un poids. Le débat, lors de la campagne, a été toxique et ce mauvais débat a permis des actes et des discours intolérants. Donc restons prudents dans le choix des mots. Le Royaume-Uni n’est pas seul en cause. D’autres campagnes, en cours ou à venir, prouvent combien nous avons l’obligation d’être responsables dans la manière dont nous parlons de l’immigration et des réfugiés.

Pour ce qui est du contrôle démocratique des services de sécurité, je suis d’accord avec vous. Nous avons publié l’an dernier un document thématique sur les bonnes pratiques en la matière. Presque tous les pays que j’ai étudiés au regard de cette question posent problème, d’une manière ou d’une autre. Il faut prévoir un meilleur contrôle des services de sécurité, surtout si on leur accorde plus de ressources et plus de pouvoirs, grâce notamment au développement rapide des technologies. Très souvent, on fait les choses parce qu’on peut les faire. Il faut donc contrôler les services de sécurité. Ils jouent un rôle important, nous en avons besoin. Mais nous avons tout autant besoin du contrôle parlementaire et du pouvoir judiciaire pour que les droits de l’homme ne soient pas violés dans la lutte contre le terrorisme.

M. CSENGER-ZALÁN (Hongrie)* – La Hongrie a géré la crise des réfugiés en protégeant les frontières et en respectant pleinement ses obligations. Le Parlement hongrois a modifié quelques aspects concernant la gestion des frontières. Vous avez beaucoup critiqué ces amendements, prétendant que la nouvelle législation n’était pas compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Monsieur le Commissaire, si la législation de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme étaient contradictoires, que diriez-vous?

LA PRÉSIDENTE* – M. Kandemir, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. HERKEL (Estonie)* – Monsieur Muižnieks, un grand merci pour tout le travail que vous accomplissez!

Hier, nous avons entendu un rapport sur la situation dans le Caucase du Nord, sept ans après l’adoption d’une résolution sur le sujet. Le délai était excessif, nous avons attendu trop longtemps pour revenir sur la question.

Notre rapporteur n’a pas pu se rendre sur place pour l’établissement des faits. Connaissez-vous de semblables difficultés pour vous rendre sur place? Quelle est votre évaluation de la situation dans le Caucase du Nord? Comment évaluez-vous la coopération avec les ONG locales, Memorial et autres partenaires?

Mme CHRISTOFFERSEN (Norvège)* – Le Parlement norvégien examine à l’heure actuelle un projet de loi. Il s’agit de veiller à ce que nos systèmes de sécurité sociale ne soient pas plus favorables pour les réfugiés que ceux d’autres pays.

Dans un autre discours, vous avez souligné que l’élément moteur de la crise des réfugiés n’était pas l’attrait de l’Europe, mais le fait que les réfugiés étaient chassés de leur pays. Est-ce toujours votre opinion? Pensez-vous que la réduction des prestations pourrait avoir un effet sur le nombre de personnes qui demandent l’asile dans nos pays?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Pour répondre à la dernière question, je persiste à penser que le facteur essentiel des migrations est un facteur d’expulsion, qui chasse les gens de leur pays. Les migrants fuient leurs pays pour des raisons de sécurité et cherchent à rejoindre des proches. Ils ne sont pas nécessairement attirés par des prestations, quel que soit le niveau de ces dernières.

La réduction des prestations pour les réfugiés est, à mon avis, un risque, celui que ces personnes tombent dans la misère, ne puissent subvenir à leurs besoins, qu’elles soient exclues, marginalisées, et que cela ne fasse que renforcer les problèmes sociaux liés aux migrants. L’argument trompeur, souvent entendu, est celui de nos pauvres retraités, qui survivent à peine avec leurs retraites misérables. N’oublions jamais que la situation des réfugiés est bien pire: ils n’ont aucun bien, pas de réseau social, ils ne connaissent pas la langue du pays et ne savent pas comment fonctionne le système social. Ils ont besoin d’aide pour être remis sur pied et, alors, lorsqu’ils seront intégrés et auront un travail, ils contribueront aussi au système et paieront des impôts. Réduire les prestations ne contribuera pas à cet objectif.

Dans le Caucase du Nord, la situation est alarmante, pas seulement pour ce qui est des droits des personnes LGBTI, mais pour ce qui est des défenseurs des droits de l’homme, de la liberté des médias, de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de bien d’autres domaines encore. L’an dernier, ou peut-être il y a deux ans, j’ai participé en tant que partie tierce à l’examen du cas de Mme Estemirova, défenseure des droits de l’homme, tuée dans le Caucase du Nord.

La situation n’a guère varié depuis. L’environnement dans lequel travaillent les défenseurs des droits de l’homme y est toujours extrêmement difficile. Des campagnes de diffamation, de dénigrement sont lancées. Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme font l’objet de violences et d’attaques. La semaine où j’ai publié mon intervention en tant que partie tierce pour souligner le caractère endémique de ces problèmes dans la région, de nouvelles attaques ont été lancées.

Des problèmes se posent dans toutes les républiques. Une attaque avait été lancée sur le Groupe mobile conjoint des défenseurs des droits humains (JMG) qui se déplace dans le Caucase du Nord pour se pencher sur les violations graves des droits de l’homme dans les lieux de détention. Il existe toutefois des nuances entre ces républiques. Les autorités de l’Ingouchie se sont révélées bien plus ouvertes que celles de Tchétchénie. Il ne faut donc pas toutes les mettre dans le même sac. Mais on peut dire que, de manière générale, l’environnement dans la région est très dur.

J’espère pouvoir me rendre dans le Caucase du Nord pour y travailler sur les droits de l’homme. Jusqu’à présent, je n’ai pas pu le faire car, comme vous avez pu le lire sans doute dans mon rapport annuel, j’ai dû annuler l’an dernier mon voyage en Fédération de Russie, en raison des conditions que l’on avait voulu poser à ma visite sur place.

Quant aux pratiques hongroises en matière d’immigration, j’ai été très critique des politiques dans ce domaine. Organiser des campagnes gouvernementales qui répandent de fausses informations et des clichés sur les migrants est inacceptable. Aucun gouvernement ne devrait agir de la sorte et c’est ce que font les autorités hongroises depuis deux ans. Et, depuis deux mois, ce qui est particulièrement alarmant, est que l’on met de façon quasi-systématique les nouveaux arrivants en détention à la frontière. Cela n’est pas conforme aux règles européennes. Détenir un enfant n’est jamais dans l’intérêt de l’enfant. Qu’il soit isolé ou avec sa famille, cela ne devrait jamais se produire.

Détenir ainsi des personnes sans raison impérative de le faire, simplement parce qu’elles sont arrivées en situation irrégulière, n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Pour placer quelqu’un en détention, il faut qu’il y ait une raison objective. Il existe d’autres façons de faire en sorte que des personnes assistent bien à leurs auditions; il n’est nul besoin de les jeter en prison pour cela.

J’ai été aussi critique à l’égard de l’Union européenne quand elle n’appliquait pas ses propres règles, que ce soit en matière de migration ou dans d’autres domaines. Le fait que l’Union européenne elle-même n’applique pas ces règles ne justifient pas à mes yeux le fait que les États membres ne les respectent pas. Tous les États membres du Conseil de l’Europe sont liés par les règles du Conseil de l’Europe et par la jurisprudence de la Cour. Trop souvent, nous ne respectons pas nos propres règles.

M. SILVA (Portugal)* – Monsieur le Commissaire, dans votre rapport, vous soulevez la question de la situation sociale des personnes handicapées. En particulier, vous exprimez des préoccupations quant au taux élevé, et qui perdure, de placement en institution d’enfants présentant des handicaps. Nous devrions tous reconnaître que ce phénomène qui touche des enfants juste du fait de leur handicap est totalement inacceptable.

Permettez-moi de vous poser deux questions. En tant que Commissaire aux droits de l’homme, quelle est votre stratégie pour promouvoir la pleine intégration sociale des enfants handicapés? Pensez-vous que la Stratégie du Conseil de l’Europe sur le handicap serve les enfants handicapés?

Mme HUOVINEN (Finlande)* – Monsieur le Commissaire, je vous remercie également pour votre excellent travail. Beaucoup d’enfants sont arrivés en Europe ces dernières années, nombre d’entre eux non accompagnés et sans protection des adultes. De ce fait, ils se retrouvent en situation très vulnérable. Beaucoup d’entre eux ont perdu leurs proches et ont subi violences et exploitations, chez eux ou ici. Que pensez-vous de la manière dont les États membres identifient ces enfants traumatisés, et de l’aide qu’ils leur apportent?

M. Vusal HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Monsieur le Commissaire, en réponse à la question de mon collègue, vous avez déclaré que vous aviez participé à des conférences en marge de l’Assemblée sur l’Azerbaïdjan, car votre travail le requiert.

En Arménie, dans un cas choquant, un défenseur des droits de l’homme qui faisait la grève de la faim depuis vingt-cinq jours est décédé. Des protestations ont eu lieu en Arménie, et beaucoup d’organisations ont publié des communiqués, mais je n’ai vu aucune réaction de votre part.

Vu la gravité de la situation, et à la lumière de votre rapport, il semble que vos interventions soient soumises à certains critères: vous intervenez dans certains cas, mais pas dans d’autres. Si ces faits s’étaient déroulés en Azerbaïdjan, seriez-vous intervenu?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – A cette dernière question, je répondrai que la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan est grave. En plus de mes propres interventions, je vous renvoie aux travaux du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui s’intéresse aussi à ce pays. Il a engagé une enquête au titre de l’article 52, demandant pourquoi certains arrêts de la Cour n’ont pas été exécutés. Cette procédure très rare est utilisée uniquement dans des cas particulièrement graves. L’Azerbaïdjan est un cas particulier, qui exige une attention spécifique de ma part, de celle de la Cour, du Secrétaire Général et d’autres acteurs encore.

Si vous vous intéressez à mon travail sur l’Arménie, sachez que je m’y suis rendu il y a quelque 18 mois et que j’ai publié un rapport sur ce pays. Je me suis exprimé à de nombreuses reprises sur l’Arménie – tout est public et disponible sur mon site – et j’ai constaté des défaillances dans les droits de l’homme en Arménie comme dans beaucoup d’autres pays. Mais je pense que la situation en Azerbaïdjan impose une attention particulière.

S’agissant des enfants traumatisés, ils ne sont pas très bien repérés, et l’identification des personnes traumatisées laisse à désirer de manière générale. J’ai constaté dans de nombreux pays qu’il n’existait pas de prise en charge médicale suffisante, ni de médecins spécialisés capables d’apporter leur aide. Des choses extraordinaires sont faites grâce aux bénévoles ou aux services de l’État, mais c’est insuffisant. Il ressort de mes propres observations et des entretiens que j’ai eus avec des experts que la plupart des migrants sont traumatisés. Une prise en charge médicale est donc importante, surtout pour les enfants abusés et exploités tout au long de leur voyage. Ils seront traumatisés à vie si nous ne nous occupons pas d’eux maintenant.

À propos de la ségrégation sociale des enfants handicapés, je suis entièrement d’accord sur le fait qu’il s’agit d’une question de droits de l’homme. J’ai essayé de l’aborder lors d’un grand nombre de visites. La Stratégie du Conseil de l’Europe sur le handicap me semble bonne et souligne les éléments principaux à prendre en considération. Je m’appuie également sur la Convention des Nations Unies en la matière. Chaque fois, je constate que les institutions ne sont pas une bonne solution, ni pour les enfants, ni pour les adultes handicapés. L’histoire de la négligence, des abus physiques et sexuels dans ces institutions, a été fort bien documentée par la jurisprudence de la Cour et par le CPT, entre autres.

Si l’on souhaite l’inclusion des personnes handicapées, la seule manière de la promouvoir est de les impliquer, de les faire participer à la vie de la société, au lieu de les reléguer dans un bâtiment construit au milieu de la forêt, même si le bâtiment est très moderne et très agréable. Il faut qu’ils soient indépendants, les plus autonomes possible, et pleinement insérés dans la société.

La première étape dans la voie de la désinstitutionalisation est de mettre fin au placement dans ces institutions. Une fois institutionnalisé, l’être humain perd son autonomie, perd sa faculté à prendre des décisions et à vivre indépendamment. Il faut arrêter de placer ces personnes en institution, et surtout leur apporter le soutien dont elles ont besoin au sein de la communauté, dans nos sociétés.

Il faut ensuite se montrer ambitieux. Les 27 États membres de l’Union européenne ont accès à ses importantes dotations. Les pays candidats, eux aussi, peuvent profiter un peu de ces fonds pour faire sortir les gens de ces institutions, les intégrer dans la communauté et leur permettre de mener des vies aussi indépendantes que possible. C’est la seule solution, ces institutions existent depuis trop longtemps. C’est déprimant. Si vous n’avez jamais vu une institution pour adultes ou enfants handicapés, je vous recommande fortement de vous y rendre. Imaginez quel soutien il faudrait à ces personnes pour mener une vie décente, en prenant part à la société. C’est possible si nous nous montrons vraiment ambitieux.

Mais le maintien de ces institutions est au cœur de nombreux intérêts. Les élus locaux ont peur de perdre des voix, les gens de perdre leurs emplois. Il y a un risque de voir les budgets affectés ailleurs. Il faut répondre à tous ces soucis, aux craintes des parents et des proches de se retrouver seuls, sans aide, avec ce fardeau. L’aide doit être organisée.

Mme DURRIEU (France) – Israël siège au sein de notre Assemblée et je salue ses représentants. Les Palestiniens siègent ici au titre de « partenaires pour la démocratie » et je les salue également.

Nous attendons une paix introuvable depuis 60 ans. La colonisation se poursuit, et l’État d’Israël vient de déclarer légales des constructions de colonies sur des terres privées en Cisjordanie. Qu’en pensez-vous?

LA PRÉSIDENTE* – M. Kross, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. KÜRKÇÜ (Turquie)* – Monsieur le Commissaire, j’aimerais exprimer ma gratitude pour vos efforts de protection des droits de l’homme dans tous les États membres du Conseil de l’Europe, y compris la Turquie. Comme l’Assemblée l’a montré hier, les violations des droits de l’homme au cours des deux années écoulées depuis votre dernier rapport ont atteint, dans mon pays, des niveaux impressionnants. Pourquoi, en dépit de vos rapports, le Conseil de l’Europe n’a-t-il pas été capable d’empêcher un État membre de régresser de cette manière en matière de droits de l’homme?

Mme CHRISTODOULOPOULOU (Grèce)* – Êtes-vous inquiet, Monsieur le Commissaire, de l’attitude des gouvernements européens qui n’appliquent plus le Traité de Schengen en invoquant le problème des réfugiés et les attaques terroristes? Ce faisant, ils restreignent les libertés des citoyens européens.

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – S’agissant d’Israël, je ne suis pas un spécialiste de ce pays, qui ne fait pas partie de mon mandat. Il serait donc présomptueux de ma part de faire des commentaires sur ce sujet qui m’intéresse, évidemment, mais j’ai suffisamment de travail à faire dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe pour m’occuper du matin au soir.

Pourquoi n’avons-nous pas réalisé de progrès s’agissant de la Turquie? C’est une question de volonté politique, car l’expérience nous montre que des progrès sont possibles avec la Turquie. En coopération avec les autorités, le pouvoir judiciaire et la société civile turcs, nous avons pu aider les autorités à réduire les mauvais traitements et les cas de torture dans les lieux de détention, alors qu’ils représentaient un problème important par le passé. Beaucoup a été fait avec le Conseil de l’Europe, jusqu’à il y a quelques années, pour aider les autorités turques à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et à améliorer la jurisprudence en matière de liberté d’expression et de médias. La jurisprudence sur la liberté d’expression de la Cour constitutionnelle est un excellent exemple du fruit de ces efforts.

Malheureusement, nous avons été témoins, ces dernières années, d’une détérioration: refus frappant l’opposition d’exercer son droit à la critique, emprisonnement de 150 journalistes, fermetures d’organes de presse et plus généralement de médias en dehors de toute procédure. C’est le signe de l’intolérance face à la critique, qui s’insinue dans tous les aspects de la vie. Si vous êtes en désaccord avec le pouvoir et si vous êtes policier ou juge, vous prenez des risques réels.

Je suis convaincu que nous devons continuer de travailler avec la Turquie, et notamment avec la société civile turque. Nous ne pouvons pas tourner le dos au grand nombre de défenseurs des droits de l’homme qui se tournent vers le Conseil de l’Europe, aux membres de l’opposition qui nous regardent du fond de leur cellule de prison, aux journalistes et aux universitaires qui ont été licenciés ou qui ont subi des pressions. Toutes ces personnes méritent notre soutien et notre aide. Ce qu’elles veulent, ce n’est pas que nous menions leur combat à leur place: c’est que nous leur apportions notre soutien, et notamment des munitions politiques.

Je suis le plus grand fan de Schengen. Me déplaçant toutes les semaines, je suis heureux qu’il n’y ait plus de restrictions au passage des frontières, par exemple à Kehl.

Nous avons pensé que cette liberté de circulation nous était acquise. C’est pourquoi il nous est douloureux de revenir au système du passé. Je suis préoccupé de voir que certains se cachent derrière le terrorisme pour restreindre les migrations et la liberté de circulation entre les États membres de l’Union européenne. C’est une erreur: la majorité des attentats terroristes ont été commis par des ressortissants des pays où ils se sont déroulés; les terroristes y ont grandi. Ils sont déjà ici, ils ne viennent pas de l’extérieur. Ce qui est en cause, c’est la radicalisation en cours au sein de notre société. Tel est le phénomène qu’il faut prendre en considération. Il faut regarder ce qui se passe dans nos prisons et nos quartiers, au sein de nos sociétés. Il serait plus utile de mieux lutter contre le terrorisme au sein de nos pays en répondant à ses causes réelles que de restreindre inutilement la libre circulation sous de faux prétextes, pour des raisons que rien ne justifie.

Mme CHUGOSHVILI (Géorgie)* – Je vous remercie pour votre excellent rapport. Nous les étudions toujours avec grande attention et notre parlement a déjà adopté plusieurs législations en réaction à vos recommandations sur la Géorgie.

Les territoires occupés de Géorgie sont autant de trous noirs en Europe: il est très difficile d’y assurer un suivi des droits de l’homme. Quelle est votre stratégie en matière de suivi des droits de l’homme dans ces territoires?

M. SABELLA (Palestine, partenaire pour la démocratie)* – Votre mandat ne couvre ni les pays partenaires pour la démocratie, ni les États observateurs. Serait-il possible d’envisager une extension de votre mandat à ces pays? Si je vous pose la question, c’est qu’au Proche-Orient, et ailleurs dans le monde, on a parfois l’impression que l’Europe applique le deux poids deux mesures. Plus l’Europe s’efforcera de contrecarrer cette impression, mieux les relations internationales s’en porteront.

M. HONKONEN (Finlande)* – Nous évoquerons demain la situation en Hongrie. L’évolution de la législation hongroise sur la transparence est en effet susceptible d’y mettre en péril les activités des ONG. Nous l’avons entendu: à Budapest, des attaques violentes ont visé des militants qui défendent la liberté d’association.

Quelles actions est-il possible de mener pour remédier à cette situation?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – S’agissant du suivi des droits de l’homme dans les zones grises, je tiens à souligner que je me suis rendu moi-même à Donetsk à deux reprises, dans l’est de l’Ukraine, pour y assurer un suivi des droits de l’homme, mais je n’ai pas pu y faire la même chose qu’ailleurs. En effet, je n’ai vu que ce qu’on m’a permis de voir. Un vrai suivi de l’application des droits de l’homme suppose que j’aie accès partout et que je puisse évoquer avec les gens les problèmes de droits de l’homme et rencontrer les ONG. Or le problème est que, dans de nombreuses régions, notamment dans l’est de l’Ukraine, il n’y a pas, ou il n’y a que très peu, d’ONG ou de médias indépendants, qui sont des sources fondamentales d’information pour ceux qui sont chargés du suivi des droits de l’homme.

J’ai effectué une visite en Crimée, où j’aimerais retourner. J’ai envisagé, il y a un an, de me rendre en Abkhazie et en Ossétie du Sud: cela n’a pas été possible, bien que j’aie tout fait pour y aller. J’espère qu’en octobre, lorsque je me rendrai en République de Moldova, je pourrai également aller en Transnistrie.

Le plus grave, pour ces régions, est de rester isolées du reste de l’Europe et de la procédure de suivi des droits de l’homme. C’est dans ce type de situation que les violations des droits de l’homme sont les plus graves.

Peut-on, et doit-on, étendre mon mandat pour inclure d’autres pays? Je crois que mon mandat est bien fait. Je crains le résultat si nous commencions à discuter d’une telle éventualité. Je dispose actuellement d’un mandat très fort, qui ne m’interdit pas ou n’interdit pas au Conseil de l’Europe de visiter un pays partenaire et d’y rencontrer des personnes travaillant dans le secteur des droits de l’homme pour un partage d’expérience. Je me réjouirais d’un tel échange avec des homologues de pays partenaires.

Je le répète: je ne me suis pas encore rendu dans tous les pays membres du Conseil de l’Europe, lesquels méritent en priorité mon attention. Bien entendu, je souhaiterais également me rendre dans les pays partenaires.

S’agissant de la Hongrie, j’ai suivi moi aussi avec une grande préoccupation la rhétorique entourant la législation relative aux ONG. J’ai préparé mes propres observations sur cette législation, que je transmettrai très rapidement aux autorités hongroises. Je les publierai également rapidement. J’espère qu’elles pourront alimenter le débat.

Je suis également très préoccupé par la situation de l’Université d’Europe centrale de Budapest: je connais un grand nombre de diplômés de cette excellente université. Ce qui se passe là-bas porte atteinte à la liberté universitaire, sujet qui n’a pas été abordé de manière aussi systématique qu’il aurait fallu. La conclusion de mon futur rapport trimestriel portera précisément sur la liberté universitaire et les menaces pesant sur cette liberté.

J’espère que mon travail sur la loi portant sur les ONG sera utile aux autorités hongroises et à tous ceux qui s’intéressent à ce problème.

LA PRÉSIDENTE* – Nous en avons terminé avec les questions à M. Muižnieks, que je remercie pour son intervention et ses réponses aux parlementaires.

Sir Roger Gale, Vice-Président de l’Assemblée, remplace Mme Schou au fauteuil présidentiel.

3. Les valeurs européennes en danger: faire face à la montée de la xénophobie,
de l’antisémitisme et de l’islamophobie en Europe
(Débat d’actualité)

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle notre débat d’actualité sur «Les valeurs européennes en danger: faire face à la montée de la xénophobie, de l’antisémitisme et de l’islamophobie en Europe».

Je vous rappelle que le débat d’actualité est limité à une heure et demie. Le temps de parole de chaque intervenant est fixé à 3 minutes, à l’exception du premier orateur, désigné par le Bureau parmi l’un des initiateurs du débat, qui dispose de dix minutes.

En l’absence de M. Küçükcan, qui devait ouvrir le débat, nous passons directement aux porte-parole des groupes.

Mme De SUTTER (Belgique), porte-parole du Groupe socialiste* – Je me félicite de la tenue de ce débat qui nous permet de nous exprimer clairement sur ce sujet tant il est vrai que notre Assemblée est l’institution la plus puissante en matière des droits de l’homme dans le monde.

Le Pew Research Center souligne que les musulmans se sont heurtés à des actes de xénophobie dans 71 % des pays européens en 2015. Les juifs se sont heurtés à une même hostilité dans 73 % des pays la même année. Et il faut savoir que ces chiffres progressent tous les ans.

La vague d’attaques terroristes commises dans le monde entier au nom de l’islam conduit de nombreux Européens à considérer que nous sommes en guerre contre l’islam et les personnes qui adhèrent à cette religion. Voilà une perception qui va à l’encontre des fondements mêmes du système des droits de l’homme, fondé sur le respect mutuel et la dignité de tous les êtres humains: peu importe que l’on soit chrétien, bouddhiste, sans religion, juif ou musulman.

Si l’on s’en tient à l’idée erronée selon laquelle nous sommes les ennemis les uns des autres, tout cela finira par une guerre contre nos propres principes, notre propre identité européenne, laquelle doit être fondamentalement humaniste et inclusive: nous ne devons laisser personne à l’écart.

Nous ne sommes pas en guerre contre les tenants d’une autre religion, contre les personnes qui sont d’une autre nationalité, ou celles qui ont une autre couleur de peau. En revanche, nous combattons les idées fausses, car ce sont elles qui empêchent les gens de percevoir le monde de manière nuancée et qui les mènent à la haine aveugle et à l’extrémisme politique sous toutes ses formes.

Nous devons combattre la pauvreté, les inégalités, la crise économique: tels sont les facteurs qui érodent la foi des personnes dans un avenir meilleur et qui suscitent la crainte et la haine à l’égard de personnes différentes. Ce mois-ci, le centre de recherche Innocenti de l’Unicef a lancé un mot dièse relatif aux «enfants de l’austérité», qui place ce sujet au cœur du problème. Les recherches menées par cet institut montrent que les familles avec enfants sont frappées plus durement que les autres par la crise économique qui secoue l’Europe. Non seulement la pauvreté est plus grande parmi ces groupes, mais la gravité de la pauvreté est encore plus profonde que celle que nous connaissons depuis des décennies sur notre continent. Cette pauvreté est liée au manque d’éducation, à l’ignorance et nous conduit aux troubles électoraux, au terrorisme, aux discriminations, aux conflits et à la violence.

Mes chers collègues, n’oublions pas non plus que nous sommes en guerre contre le changement climatique. C’est la longue sécheresse de 2006 à 2010 qui a, entre autres, déclenché le mouvement du Printemps arabe. La misère et la faim ouvrent la voie aux groupes terroristes comme Daech, plongeant ces régions et la nôtre dans une instabilité politique catastrophique.

Je dis tout cela afin que nous changions le cours de l’histoire et, pour ce faire, que nous commencions par changer d’ennemis. Nous devons défendre tout le monde si nous ne voulons pas ne plus avoir personne à défendre.

M. HOWELL (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Je traiterai de l’antisémitisme et de l’islamophobie, deux exemples qui illustrent l’esprit de haine qui se manifeste dans nos sociétés.

En premier lieu, l’antisémitisme. Nous sommes préoccupés par la sécurité des populations juives dans nos pays après une série d’attentats qui ont visé la communauté juive en France et en Belgique. L’antisémitisme, au Royaume-Uni, a atteint des niveaux sans précédent en 2016, enregistrant une progression de 36 % des incidents si l’on compare à l’année précédente, soit 1 309 incidents signalés en 2016, ce qui constitue un record.

Afin d’éradiquer l’antisémitisme, le Royaume-Uni en a adopté une définition large, qui est celle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, soutenue par 31 pays. Cette définition illustre la manière dont l’antisémitisme peut se manifester; elle sera utilisée dorénavant par la police, les collectivités, les universités et autres instances publiques.

La définition de l’antisémitisme peut être comprise universellement. Le phénomène exige l’action de tous, y compris des universités. Il est nécessaire d’instaurer une politique de tolérance zéro. À cette fin, le Royaume-Uni a engagé 13,4 millions de livres sterling en faveur de mesures de sécurité destinées à protéger de ce fléau la communauté juive, ses écoles, ses universités, ses jardins d’enfants et ses synagogues.

Éradiquer l’antisémitisme suppose de le définir au préalable pour évacuer tout doute sur l’inacceptable, pour que personne ne puisse plaider l’ignorance ou se cacher derrière des prétextes, quels qu’ils soient.

Au Royaume-Uni, des membres de deux partis politiques – dont les libéraux démocrates – sont accusés d’antisémitisme. Je les appelle à prendre une position claire, car les partis politiques doivent montrer l’exemple.

S’agissant en second lieu de l’islamophobie, les groupes religieux ont un rôle central à jouer. En effet, ils peuvent exercer une influence apaisante sur nos sociétés. Après le terrible attentat qui a visé le Parlement britannique, j’ai été fortement impressionné par le fait qu’un groupe d’imans se réunisse pour affirmer que de tels actes n’avaient rien à voir avec l’islam.

Il convient, en effet, de reconnaître que les communautés ne sont pas des blocs monolithiques de personnes qui partageraient toutes le même point de vue. J’ai, pour ma part, travaillé avec des musulmans extrêmement pacifiques.

Nous avons besoin de plus d’éducation: nous le voyons à l’occasion des événements organisés par le Mémorial de l’Holocauste. Il faut multiplier de telles initiatives partout dans le monde.

Mme RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ (Espagne), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – J’évoquerai la responsabilité des politiques au regard de la haine qui existe dans la société. Des deux côtés de l’Atlantique, nous assistons à la montée de mouvements populistes qui sont, du reste, assez semblables. En France, par exemple, si l’on compare le programme de M. Mélenchon et celui de Mme Le Pen, on relève bien des similitudes. Il s’agit d’un changement dans le paysage politique. Ce sont des mouvements de rupture qui prônent la haine, qui cherchent à détruire le sentiment d’appartenance à l’Europe et à une société. Ils ont en commun de dénoncer un ennemi, un coupable contre lequel lutter. Ils veulent polariser la société et la détruire.

Des actions politiques de différents partis ont mené à la rupture dans certains pays. Par exemple, le Brexit a véritablement divisé le peuple britannique et l’a éloigné du projet européen.

Toutefois, cette situation nous offre également la chance de dire clairement quelles sont les valeurs que nous souhaitons pour notre pays et pour l’Europe, et comment nous entendons faire en sorte qu’elles se concrétisent.

Nous avons besoin non pas de discours populistes, mais d’une politique qui relève du sens commun. Nous ne voulons pas de mouvements qui polarisent la société. Nous voulons des sociétés ouvertes, dans lesquelles des personnes de croyances, d’ethnies et de convictions différentes puissent vivre ensemble. Nous devons lutter contre le nationalisme, le retour de la xénophobie et le racisme. Nous devons également mieux défendre les droits des personnes.

Le paysage politique a énormément changé. Le problème n’est plus l’opposition entre la droite et la gauche. Le populisme et le radicalisme représentent un véritable danger, et ne nous mèneront nulle part. Nous avons besoin de bon sens et de projets qui garantissent l’égalité de tous les citoyens.

Nous, nous sommes véritablement engagés et souhaitons que l’Europe vainque les mouvements radicaux. Mais la seule façon d’y parvenir est d’agir car, pour ce qui est des beaux discours, les mouvements populistes s’en chargent. Il faut avoir un projet commun qui défende la liberté des citoyens, l’égalité et le vivre ensemble.

Mme JAKOBSDÓTTIR (Islande), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Avant la crise financière, nous pouvions dire que l’Europe avançait vers une idéologie de la migration et vers le pluralisme. Depuis, la crise a conduit à la montée du chômage, à la xénophobie et à la fermeture brutale des frontières.

Certains responsables politiques européens fournissent des explications simples aux défis socio-économiques de notre temps. Ils se contentent de propager la haine. Le chômage, les problèmes sociaux et la crise des systèmes sociaux seraient dus aux étrangers et aux migrants. Ces explications simples sont nourries par la crainte de l’inconnu, de la différence.

Ce discours politique simplifie de manière excessive les défis et les difficultés que nous connaissons actuellement. On ne parle jamais de la manière dont les inégalités sont devenues l’une des plus grandes menaces à la stabilité de nos sociétés. Le fossé entre les plus riches et les plus pauvres est incroyablement grand. Certains sont excessivement riches, bien au-delà de ce que permet la croissance de l’économie, quand les revenus faibles et moyens connaissent une stagnation.

On privatise le bien commun, on crée de nouveaux profits pour un petit nombre de propriétaires et non pour la communauté dans son ensemble. Ces inégalités entre les classes nourrissent les discours politiques qui désignent les migrants comme les seuls responsables de tous nos maux, au lieu de rappeler que la véritable origine de la crise est à chercher du côté d’un système inégalitaire. Les moins privilégiés sont tous confrontés aux injustices, quelle que soit leur nationalité ou leur origine.

Hier, nous avons débattu sur l’importance de l’égalité pour le développement social et économique. Le pluralisme pourrait permettre de construire une société plus égale, plus démocratique. L’économiste français Thomas Piketty a souligné que la population de l’Union européenne était de 510 millions en 2015, contre 485 millions en 1995. Cette progression est faible si on la compare avec la démographie mondiale, d’autant que cette augmentation est due pour les trois quarts aux migrations. Cet apport de sang neuf pourrait permettre de relancer l’économie du continent et d’investir dans les infrastructures, le logement, l’éducation ou encore les assurances sociales.

Le pluralisme n’est pas seulement une opportunité sociale, il est essentiel dans une démocratie. Une démocratie implique des compromis, un dialogue, l’acceptation de la culture de l’autre. La xénophobie, l’islamophobie et l’antisémitisme ne peuvent que détruire les sociétés démocratiques, et il en va de même pour les inégalités qui sont de plus en plus criantes dans le monde entier: l’accumulation de richesses par quelques-uns détruira la démocratie qui appartient à tous. Préservons donc notre démocratie en redistribuant de manière plus équitable les biens, et ce dans le respect du pluralisme, une valeur qui nous tient particulièrement à cœur.

Mme CENTEMERO (Italie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Nous débattons cet après-midi de la xénophobie, de l’antisémitisme et de l’islamophobie qui menacent nos valeurs fondamentales.

Aujourd’hui, le Président de la République hellénique, avec la sagesse de son pays qui a fondé la démocratie, nous a rappelé la valeur essentielle du Conseil de l’Europe: la démocratie.

La liberté de religion est l’une des valeurs fondamentales de l’Europe. Nous parlons aujourd’hui d’antisémitisme et d’islamophobie, en oubliant les persécutions dont sont victimes les chrétiens.

Au cours des décennies écoulées, la liberté de religion a été bien souvent mise à mal. Les conditions d’exercice de cette liberté fondamentale se dégradent; parfois, on en arrive à une véritable persécution. Les chrétiens sont de plus en plus souvent victimes de ces persécutions, même s’ils ne sont pas les seuls. La liberté de religion est étroitement liée à la démocratie.

Si elle ne préserve pas ce lien étroit entre liberté de religion et démocratie, l’Europe ira à l’encontre de son histoire et sera incapable de se donner un avenir. Un État laïque est un État conscient de la valeur des références religieuses de ses citoyens, un État qui garantit à chaque citoyen le droit de vivre conformément à sa croyance religieuse. Les aspects organisationnels ne doivent pas être ignorés. Or les religions ne peuvent pas devenir de simples associations.

Je voudrais, pour conclure évoquer quelques chiffres. Selon l’Observatoire sur l’intolérance et la discrimination contre les chrétiens, 1 700 chrétiens ont fait l’objet de persécutions en Europe en 2016 et 90 000 ont été tués. J’évoquerai la mémoire du père Hamel, égorgé l’été dernier en France, et lancerai un appel pour que nous défendions ensemble la liberté de religion.

LE PRÉSIDENT* – Mme Günay, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

Mme GOSSELIN-FLEURY (France) – «On est toujours l’étranger de quelqu’un. Apprendre à vivre ensemble, c’est cela lutter contre le racisme.» Tahar Ben Jelloun, en écrivant ces mots, ne pensait sûrement pas combien ils résonneraient aujourd’hui dans notre Europe. Ils rappellent que le racisme nous concerne tous et que la remise en cause de nos valeurs, au cours des dernières années, représente un danger pour chaque citoyen, quelle que soit son origine ou sa religion.

Remettre en cause nos valeurs, c’est ériger des murs et prôner des lois antimigrants quand le désespoir et la guerre poussent des civils vers l’Europe qu’ils considéraient comme le havre de paix et de liberté. Rejeter l’étranger, c’est oublier que ce qui nous distingue des autres continents, ce sont nos valeurs, reflet d’une volonté: «plus jamais ça» – plus jamais de déferlements de haine.

Comment alors ne pas craindre le pire face à la montée des extrêmes droites xénophobes dans toute l’Europe, à commencer par la France? Remettre en cause nos valeurs, c’est tergiverser et soutenir l’idée qu’une présidente extrémiste ou un démocrate, c’est pareil. Ceux qui le prétendent semblent oublier que, sous couvert, d’une prétendue «priorité nationale», il ne s’agit que d’exclure et de discriminer ceux qui ne feraient pas – et peut-être bientôt plus – partie de la nation.

L’Histoire a montré qu’une nationalité ne protège pas de la haine. Il en va ainsi pour ces juifs citoyens français, anciens combattants, décorés de Verdun, qui furent déchus de tous leurs droits et déportés après les juifs étrangers.

L’Europe s’est nourrie de métissages. Le terrorisme et la crise économique ne sauraient servir de prétexte à un rejet des populations musulmanes, pas plus que le conflit israélo-palestinien ne saurait servir de prétexte pour agresser des personnes juives. Nous devons nous ressaisir et agir pour que la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie ne gagnent pas la bataille des idées, pour que les Lumières ne s’éteignent plus jamais en Europe.

Pour cela, je crois que nous devons être capables en premier lieu de transmettre dans nos écoles nos valeurs démocratiques. Mais cela ne suffira pas. Les idées extrêmes prospèrent, comme l’a justement souligné le spécialiste Jean-Yves Camus, lorsque trois crises se déroulent simultanément: une crise de la représentativité, c’est-à-dire du fonctionnement de nos institutions, une crise de la redistribution, c’est-à-dire une remise en question du caractère équitable de l’impôt, et une crise de l’identité.

Pour défendre la démocratie sur notre continent, nous devrons agir sur ces trois phénomènes. Voici un défi immense pour nous, politiques, et une obligation pour l’Europe: ne plus laisser ses membres s’égarer dans des politiques liberticides, sans réagir.

Mme BARTOS (Hongrie)* – L’idée de base des pères fondateurs de l’Europe doit être présente à notre esprit: l’unité dans la diversité. Après les horreurs des guerres du XXe siècle, la seule façon de créer la paix en Europe était la réconciliation et la réflexion commune. Pour se comprendre, il est indispensable de se reconnaître les uns les autres et d’avoir tous une importance égale. L’éducation et l’information sont un élément essentiel de cette reconnaissance de l’autre. L’Histoire contribue tout particulièrement au développement de l’identité d’un individu. C’est également un facteur crucial pour établir le respect et la confiance envers les autres nations. Prenons tout cela en compte lorsque nous interprétons les événements passés dans les cours d’histoire. On ne saurait dire qu’une nation – ou un peuple – est meilleure ou moins bonne qu’une autre. Toutes les nations et tous les peuples ont contribué à l’établissement des valeurs communes de l’humanité. Il faudrait aussi éliminer toute idée de culpabilité collective. Malheureusement, l’un des États membres du Conseil de l’Europe alimente la xénophobie par sa législation nationale. La reconnaissance est la condition préalable à la compréhension mutuelle des uns et des autres.

La population rom est importante en Hongrie. Nous sommes engagés dans la protection de la culture et de la communauté roms, qui n’ont pas d’État qui puisse défendre leurs intérêts. C’est sous la présidence hongroise de l’Union européenne que le nouveau cadre stratégique pour les Roms a été adopté, mettant en place un nouveau plan d’action complet pour les États membres de l’Union européenne. La Hongrie est le premier pays du monde où la culture et l’histoire roms sont intégrées dans les enseignements scolaires.

Les membres de la communauté juive sont aussi très nombreux en Hongrie. Ils sont respectés dans notre société. Un festival juif existe, qui rapproche la culture hongroise de la culture juive. Des ponts seront bientôt lancés entre les peuples grâce à ces efforts de l’État, efforts que reconnaissent les organisations juives, tout comme le fait que la Hongrie est l’un des pays les plus sûrs pour la communauté juive.

C’est la réconciliation qui a fait de l’Europe le continent de la paix. Mais ce processus ne peut réussir que s’il est fondé sur la réciprocité. Les personnes qui arrivent ici doivent respecter l’histoire, les traditions et les valeurs des autres, ils doivent respecter nos règles du vivre ensemble, qu’elles soient écrites ou non. C’est ainsi que l’Europe est devenue le continent de la paix. Il doit le rester.

M. CORLĂŢEAN (Roumanie)* – Voilà un débat bien actuel. Nous avons raison d’aborder ce sujet au sein de notre Assemblée, au sein d’une organisation – le Conseil de l’Europe – qui a longtemps mis au premier rang de ses priorités la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme.

Mon expérience politique, notamment en tant que représentant de la commission des affaires politiques auprès de l’Ecri – la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance –, m’amène à dire, au même titre que mon expérience en Roumanie, que nous observons des tendances extrêmement préoccupantes, et qui du reste s’exacerbent au fil des années en Europe. Ces tendances s’observent également au sein des anciennes démocraties européennes. Je veux parler du développement d’une rhétorique politique venant de partis d’extrême droite ou populistes, mais aussi de mesures institutionnelles qui encouragent la xénophobie et l’intolérance, de formes plus sophistiquées et complexes d’antisémitisme et de sentiments qui suscitent de l’islamophobie.

Le message politique que nous devrions donner est clair: notre Europe est essentiellement fondée sur les valeurs que sont la tolérance, la compréhension, l’acceptation mutuelle des différences, la solidarité – voilà un mot que nous devrions utiliser plus souvent –, ainsi que le principe de responsabilité politique. Nous devons rejeter de manière explicite et claire tout ce qui va à l’encontre de ces valeurs, même lorsqu’il peut y avoir la tentation d’obtenir des voix lors d’une élection.

Le Conseil de l’Europe dispose d’instruments très précieux: l’Ecri, les différents rapports que nous produisons, la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des Ministres et notre Assemblée parlementaire. Il faut consolider ces outils et les utiliser à bon escient.

À propos des meilleures pratiques, je voudrais citer une expérience positive. Certains de mes collègues ont fait référence à l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. La présidence qui vient de s’achever au mois de mars a mis au point une définition de travail de l’antisémitisme, ce qui n’existait pas jusqu’à présent. Nous avons aussi eu des formations de magistrats et de responsables de police. Il est donc possible d’agir, mais il faut pour cela une volonté politique. C’est précisément le rôle de notre Assemblée parlementaire.

LE PRÉSIDENT* – MM. Gülpinar, Önal et Divina, inscrits dans le débat, ne sont pas présents dans l’hémicycle.

M. ELALOUF (Israël, observateur) – C’est avec beaucoup d’émotion que je prends pour la première fois la parole au sein de cet hémicycle, sur un sujet qui en permanence touche mon peuple. L’antisémitisme, la xénophobie et l’islamophobie sont le résultat d’une certaine culture du racisme dans le monde, et en Europe en particulier. L’antisémitisme, qui provient du racisme, possède aujourd’hui une dimension planétaire, comme l’a dit le philosophe français Bernard-Henri Lévy. Nous le retrouvons partout en Europe – puisque c’est de l’Europe qu’il s’agit dans ce débat. Ce racisme fait que certaines expressions visant l’État d’Israël sont traduites comme des expressions antisémites.

Je tiens à recadrer tout cela. Le conflit israélo-palestinien – qui n’est déjà plus le conflit israélo-arabe, grâce aux accords conclus par l’Égypte et la Jordanie avec Israël, grâce aussi aux accords d’Oslo, aux termes desquels Israël a reconnu l’Autorité palestinienne – est un conflit politique. Il ne peut en aucun cas servir d’excuse à l’antisémitisme. Certains pays d’Europe, en particulier la France, l’Allemagne et l’Angleterre, ont réussi – l’un des orateurs précédents en a parlé –, d’après le rapport du Centre Kantor, à réduire substantiellement le nombre d’actes antisémites en 2016. N’oublions cependant pas qu’une part de cette réduction est le fait d’actions gouvernementales. Israël, pour sa part, est le seul pays juif et démocratique de ce monde – les deux principes sont importants. Les habitants d’Israël ont tous les mêmes droits.

La lutte contre l’antisémitisme est permanente, elle ne saurait en aucun cas être ponctuelle. Le racisme ne sera jamais entièrement éradiqué dans le monde, mais il faut le combattre. Il faut le faire si nous voulons améliorer la situation des migrants; il faut le faire si nous voulons sauver des cultures entières, comme celle des Yézidis; il faut le faire si nous voulons mettre un terme aux massacres interreligieux de l’Islam.

Israël n’a pas d’autre choix que d’intervenir là où les communautés juives sont en danger, là où elles ont besoin de son savoir et de ses moyens. Nous le ferons et continuerons à le faire, dans le strict respect des lois internationales et mus par le désir fou de parvenir à la paix au Moyen-Orient.

Mme GAFAROVA (Azerbaïdjan)* – Tout d’abord, chers collègues, ce débat, nécessaire, arrive à point nommé. Depuis quelques années, des élus expriment des points de vue xénophobes et racistes qui ne peuvent que nous inquiéter. Partout dans le monde, le terrorisme fait des victimes, tandis que la discrimination religieuse, la xénophobie, l’antisémitisme progressent. Il faut condamner ces démarches populistes qui visent à manipuler l’opinion publique. Elles ne sont pas soutenues au sein de la communauté européenne, mais il ne faut pas les laisser se répandre. L’Europe appartient à chacun d’entre nous. Trop d’années ont dû être consacrées, sur ce continent, à combattre le racisme et la discrimination. Et voici que certains souhaiteraient que l’Europe retourne à cette époque où le racisme et la discrimination régnaient. Si nous n’élevons pas la voix aujourd’hui contre ce phénomène, alors nous aurons encore plus de problèmes demain.

N’oublions pas nos valeurs communes de tolérance et de démocratie. Protéger le multiculturalisme et le dialogue interculturel est aujourd’hui vital. Le but du dialogue interculturel ne doit pas être d’acquérir une connaissance théorique et une compréhension purement superficielle de l’autre: il s’agit de vraiment le connaître, d’engager un dialogue avec ceux dont les expériences peuvent enrichir notre société. Autrement dit, cette démarche doit être non pas utilitaire mais sincère.

Dans mon pays, les représentants de différentes nations et religions vivent – je suis fière de le dire – en bonne intelligence. Tout cela ne peut pas être imposé par l’administration, parce que la tolérance est un geste volontaire. Le respect ne peut pas s’imposer lorsque l’on est en conflit. C’est une partie intégrante de notre tradition culturelle. En Azerbaïdjan, les communautés juive et chrétienne jouissent des mêmes droits que la communauté musulmane, majoritaire. Les gens n’y ont jamais été maltraités pour leur origine ethnique ou leur religion. L’Azerbaïdjan est un pays où les églises et les synagogues – au fil des années, notre gouvernement les a rouvertes – peuvent coexister en paix avec les mosquées.

Je suis convaincue qu’aujourd’hui l’intégration permet une coexistence pacifique dans la tolérance culturelle et religieuse.

LE PRÉSIDENT* – M. Tarczyński et M. Wilk, inscrits dans le débat, ne sont pas présents dans l’hémicycle.

Mme PRUNĂ (Roumanie)* – C’est un grand honneur pour moi que de prendre la parole pour la première fois dans cet hémicycle. Je représente l’Union sauvez la Roumanie, parti le plus récemment entré au Parlement roumain et d’orientation libérale, antipopuliste, fondé sur les valeurs européennes, qui a pour principal objectif de renforcer la démocratie.

Bien sûr, en tant que députés, nous représentons l’ensemble de nos concitoyens, mais mes électeurs souhaitent une nouvelle façon de faire de la politique en Roumanie. Nous voulons répondre au populisme, à l’extrémisme, à la corruption, à l’incompétence et à ce qu’Adam Michnik appelle le nationalisme primitif. Adam Michnik pensait qu’un espace resté vacant après la chute du communisme avait été rempli par une sorte de nationalisme grossier et primitif. Un tel nationalisme primitif, déguisé en populisme, n’est cependant pas inédit de la part des hommes politiques de notre région. La nouveauté tient à ce que le nouveau populisme est plus agressif que l’ancien. Au lieu de bercer de faux espoirs, il encourage des peurs irrationnelles et foule aux pieds nos valeurs européennes fondamentales, les valeurs humanistes et libérales.

Ce type de populisme recourt souvent au référendum comme à un outil de légitimité démocratique, mais c’est une fausse légitimité démocratique. S’en trouvent favorisées des décisions reposant sur l’émotion, des solutions de court terme, plutôt que des politiques durables, fondées sur une vision à long terme. Ce nouveau type de populisme peut être extrêmement nocif, c’est évident – nous en voyons aujourd’hui les effets dans le monde entier. Le sentiment de dégoût que ressentent les citoyens lorsqu’ils voient trahies les promesses qu’on leur avait faites suscite en eux une frustration, terreau sur lequel prospèrent la division, la peur et la haine. C’est une menace directe et très grave pour la démocratie.

Notre mission, dans cette enceinte comme dans tous les parlements européens, devrait être de créer un espoir fondé sur les principes authentiquement démocratiques, sur des solutions rationnelles et plausibles. Voilà, je crois, la seule façon de combattre pour nos valeurs et nos principes européens, de repousser les politiques de la haine et de la division.

Le second tour de l’élection présidentielle française illustre très bien ce clivage entre le nouveau populisme, réactionnaire, plein de haine, et une réflexion antipopuliste, tournée vers l’avenir, pro-européenne. Ce qui est effrayant, c’est de penser que quatre électeurs sur dix ont pu choisir un candidat extrémiste dans un pays fondé sur les principes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Voilà qui devrait nous rappeler à tous que la démocratie n’est jamais chose acquise une fois pour toutes, et qu’il faut sans cesse combattre pour la préserver.

L’Europe ne peut être un continent pacifique que si les droits de l’homme, l’État de droit, mais aussi le principe de la diversité dans l’unité, en sont les valeurs fondamentales. Nous devons pouvoir parler de nos différences sans nous exclure l’un l’autre, nous devons inspirer aux gens l’envie de s’enrichir mutuellement. Tout cela ne sera cependant possible que si nous-mêmes pouvons esquisser un avenir fondé sur ces valeurs et non pas sur la haine.

Il nous faut rejeter la tentation du nationalisme primitif ou d’un populisme reposant sur des promesses creuses; il nous faut créer une perspective durable de croissance et de réforme dans notre manière de faire de la politique.

LE PRÉSIDENT* – Je vous félicite, chère collègue, pour cette première intervention dans l’hémicycle de notre Assemblée.

M. OLIVER (Canada, observateur)* – On dit que le Canada est tout autant une nation de rivières qu’une rivière de nations. Nous vivons en effet au sein de l’une des communautés culturelles les plus diverses du monde. Par exemple, lors d’une récente cérémonie de naturalisation, 35 personnes originaires de 17 pays différents, représentant huit groupes religieux différents, ont prêté serment. Ma femme est issue d’une famille de réfugiés en provenance de Pologne; sa sœur a épousé un jeune homme issu d’une famille de réfugiés en provenance du Vietnam. Lorsque je dîne avec ma sœur et sa famille élargie, je suis le seul à table à ne pas être un réfugié. Aucune de ces personnes ne se considère comme un réfugié ou un immigrant: elles se considèrent comme des Canadiens, travaillant dur et contribuant à l’édification de notre grande nation.

Mon expérience me convainc que le seul remède à la xénophobie, à la peur, à la méfiance envers ceux qui s’habillent, parlent ou prient différemment, est une intégration réussie. Quand on travaille côte à côte avec des personnes issues de différentes cultures, qui fondent des familles, travaillent, contribuent à la vie de la communauté et participent à la construction de la nation, alors on apprend à se faire confiance, on apprend à tolérer les différences. Au bout du compte, on apprend à apprécier et à célébrer les différences qui, au départ, faisaient peur.

Le Canada a adopté un cadre juridique solide, fondé sur les mêmes principes que la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège contre les discriminations et défend la liberté de religion. Comme l’a dit le Premier ministre du Canada, la diversité est notre force. La situation de notre pays, cependant, est loin d’être utopique: les violences contre les minorités augmentent. En tant que parlementaire, je suis inquiet d’entendre des voix, au Canada, qui s’appuient sur le mécontentement pour promouvoir une forme de nationalisme qui diviserait notre société, et ferait perdre leur légitimité à certains groupes.

En dépit de nos efforts, la xénophobie reste une réalité. En 2014, nous avons enregistré un très grand nombre d’incidents antisémites. L’année dernière, des croix gammées ont été peintes sur des églises, des mosquées, des synagogues, un peu partout dans la capitale. Ces actes criminels, commis par une minorité, doivent être combattus par nos dirigeants. En tant que parlementaires, nous devons aussi nous engager de manière constructive, nous devons proposer des politiques inclusives et utiliser les bonnes pratiques pour réussir l’intégration. Nous devons parler d’éducation, nous devons dialoguer pour qu’il y ait plus de tolérance entre les membres de notre société.

Cela me met du baume au cœur de savoir que l’actuel Parlement canadien est le plus diversifié de son histoire: il comprend plus de musulmans, de sikhs, d’hindouistes, de juifs et d’autochtones qu’aucun auparavant. Cela ne peut que nous aider dans nos efforts pour construire un pays de tolérance.

M. KIRAL (Ukraine)* – L’islamophobie, l’intolérance religieuse, l’antisémitisme, la xénophobie ne sont que des stratégies cherchant à rejeter les problèmes sur des boucs émissaires. Nous devons lutter contre ces phénomènes: pour cela nous devons retrousser nos manches et nous attaquer à leurs causes profondes. La mondialisation a certes permis, d’après les Nations Unies, de réduire la pauvreté à l’échelle mondiale, mais elle a aussi entraîné des délocalisations, une baisse des revenus pour certains. D’une manière générale, elle cause une instabilité dont souffrent les classes moyennes.

Les migrations sont le résultat du fossé qui s’est creusé entre les pays en développement et les pays développés. Elles sont aussi le produit de conflits non résolus, par exemple à cause de l’utilisation de son droit de veto par un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’ère de l’information et de l’automatisation ont résolu certains problèmes, mais ont aussi causé une dégradation de la qualité des emplois. Nous n’avons pas su répondre à ces défis.

La technologie a en outre permis la démocratisation à l’échelle mondiale. Mais avons-nous su répondre au besoin de sécurité qui s’est fait jour dans le même temps? C’est une tendance typique de l’ère contemporaine. Les flux de capitaux, les régimes autoritaires qui subsistent, les flux de migrations: tout cela représente de véritables défis pour nos institutions, qu’elles soient nationales ou supranationales. L’absence de réponse à ces défis a des conséquences négatives, comme l’islamophobie, la xénophobie et l’antisémitisme, qui font l’objet de ce débat d’actualité.

Pour réagir, pour lutter contre la montée du populisme dans la plupart de nos États, nous devons en appeler à nos gouvernements afin qu’ils adoptent les réformes nécessaires, qu’ils révisent leurs politiques et trouvent de nouveaux outils pour que les institutions offrent de meilleurs services à leurs citoyens. Il faut que nos sociétés soient plus inclusives, il faut mener un dialogue multiculturel dans la solidarité et le plein respect des droits de l’homme et de l’État de droit.

M. WOLD (Norvège)* – Les valeurs européennes sont remises en question. L’Europe que nous connaissions se transforme, non que les Européens l’aient souhaité, mais parce que nous, parlementaires, l’avons laissé faire. Pourquoi autorisons-nous la construction de mosquées, sans nous soucier des réactions? Pourquoi acceptons-nous les réunions de musulmans extrémistes qui souhaitent l’instauration de la charia?

L’Europe est plus diverse, plus multiculturelle que jamais encore auparavant. Il faut le reconnaître: c’est un défi pour la stabilité des sociétés européennes. Tout ce que nous voulons, c’est la cohabitation pacifique au sein de nos sociétés. Malheureusement, ce n’est pas toujours ainsi que les choses se passent. Il faut apprendre à faire preuve de tolérance les uns envers les autres: dans le Nord de l’Europe, nous avons l’habitude de vivre dans des sociétés où tout fonctionne bien grâce au dialogue. Malgré cela, en Suède, des voitures ont été incendiées, des manifestations ont lieu dans les rues de quartiers où la police ne met plus les pieds. Il n’est pas nécessaire d’être islamophobe pour avoir peur de cela: on aurait peur à moins.

Pourtant, nous avons tout ce qu’il faut pour intégrer les autres; simplement, tout ce que nous faisons en tant que parlementaires ne sert à rien si ceux que nous voulons assister ne veulent pas s’intégrer. Lorsque des immigrés arrivent dans un pays, ils devraient en apprendre la langue, la culture et les traditions; ils devraient laisser leurs femmes libres, respecter la liberté d’expression et encourager les membres de leur famille à devenir les citoyens d’une société moderne et civilisée.

Les musulmans modérés devraient s’exprimer contre les radicaux – certains le font, mais pas tous. La majorité des Turcs qui vivent en Norvège étaient d’accord pour donner plus de pouvoirs à M. Erdoğan, alors qu’eux vivent dans une société où la parole est libre.

Mme Rodríguez Hernández a dit tout à l’heure qu’il faut se débarrasser des groupes populistes et radicaux. Selon elle, l’intégration et la coexistence en seraient facilitées. Cela semble si facile présenté de cette manière… C’est bien plus difficile à accomplir dans les faits.

Mme ÆVARSDÓTTIR (Islande)* – On dit qu’il est impossible de faire quoi que ce soit sans connaître la force des mots. C’est dans cet esprit que je m’adresse à cette Assemblée: comment faire face à la montée de la xénophobie en Europe? On considère que la montée des inégalités économiques et la dernière crise financière sont les raisons essentielles de cette tendance dangereuse. Pour ma part, je pense que le problème vient aussi des termes que nous employons, et qui ont d’autant plus d’impact qu’ils se retrouvent dans la bouche de nos hommes politiques – qu’il s’agisse de membres de parlements, de gouvernements, ou de fonctionnaires, dans les institutions nationales et internationales.

Je pense en particulier aux mots que nous utilisons pour désigner ces personnes qui sont venues chercher refuge dans nos pays, en Europe, face aux persécutions. Nous les appelons «migrants» car si nous les appelions «réfugiés», cela limiterait les marges de manœuvre dont nous disposons pour les garder à l’extérieur de notre continent. Nous disons qu’ils sont en situation irrégulière ou illégale lorsqu’ils traversent nos frontières sans permission, pour justifier ensuite leur renvoi dans leurs pays d’origine. Nous disons qu’il faut protéger les frontières, comme si les personnes qui franchissent ces frontières nous attaquaient.

Tout cela, sachant que la plupart des réfugiés ne disposent d’aucun moyen juridique d’entrer en Europe. Nous disons ces mots en étant conscients de leur force, en sachant qu’ils servent à déshumaniser les réfugiés, à les avilir aux yeux du grand public. Nous savons qu’ils sont des armes aux mains de ceux qui utilisent le sort des réfugiés pour faire passer un message de division, de peur et de haine.

Chers collègues, n’oublions pas les origines de la Convention relative au statut des réfugiés. Celle-ci a été créée pour protéger les droits des innombrables réfugiés qui ont fui l’Europe lors de la Seconde Guerre mondiale. Alors, qu’en est-il des valeurs européennes lorsque les dirigeants européens oublient leur histoire, l’histoire des conflits et des divisions qui ont dévasté l’Europe? Qu’en est-il de ces valeurs lorsque nos dirigeants, qui devraient être un phare de tolérance pour les droits humains de toute l’humanité, maltraitent ceux qui viennent chercher refuge sur les rives de l’Europe? Comment le citoyen européen ordinaire respecterait-il les valeurs européennes si leurs propres dirigeants ne le font pas?

Il a été dit que les actes parlent plus que les paroles et que c’est le cas lorsque nous envoyons des missions pour sauver des réfugiés qui meurent en mer. Mais lorsque nous refusons de reconnaître notre responsabilité dans les conflits qui forcent ces migrants à quitter leur pays, notre silence est coupable. Aussi permettez-moi de conclure en reprenant les paroles de Martin Luther King: «À la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis mais du silence de nos amis.» Ne gardons pas le silence, ne restons pas passifs. Luttons avec des mots et des actes qui encouragent le pluralisme et la tolérance contre les mots qui incitent au racisme, à la haine et à la xénophobie.

M. Rafael HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Pourquoi, depuis des années, l’Europe et le monde parlent-ils d’une «crise des valeurs» à laquelle l’Europe aurait contribué? Pourquoi ces valeurs ne fonctionnent-elles plus aussi bien qu’auparavant? Cette crise va-t-elle encore s’aggraver? Je pense pour ma part qu’il existe des solutions qui permettraient de régler la plupart des problèmes.

L’islamophobie a fait l’objet de nombreuses discussions depuis le début du siècle. Mais en mettant de côté nos phobies, nous pourrions trouver la solution dans la parole du Prophète. Un conte, tiré de sources historiques, pourrait éclairer notre débat.

Une personne regrettait auprès du Prophète ses nombreux défauts, tels que le mensonge, l’envie, la jalousie – et bien d’autres. Mahomet lui répondit que la solution à ses difficultés était de ne plus jamais dire de mensonges. L’homme lui dit que la propension à mentir n’était qu’un de ses défauts et demanda ce qu’il pouvait faire pour les corriger tous. Le Prophète lui répondit qu’en arrêtant de mentir, tous ses autres défauts se trouveraient corrigés.

Quelle est la terrible maladie qui nous affecte et explique l’islamophobie et l’antisémitisme? C’est le fait qu’il y ait deux poids, deux mesures. Tous nos problèmes viennent de là. Ils viennent de la violation de la règle de l’égalité et de la justice. L’hypocrisie, les mensonges et les discriminations naissent de là. En restant objectifs face à toute situation, toute personne, tout pays ou toute religion, nous ne connaîtrions plus de tels problèmes.

Pour ma part, je parle de crise en Europe. Je m’adresse à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui s’est exprimée bien plus durement encore, parlant notamment de «fractures». Le fait qu’il y ait deux poids, deux mesures est un problème que nous rencontrons dans cette Organisation, mais aussi dans d’autres, et dont le traitement n’exige pas un médecin extérieur.

LE PRÉSIDENT* – La liste des orateurs est épuisée.

Je vous rappelle qu’à l’issue du débat d’actualité, l’Assemblée n’est pas appelée à voter. Ce débat aura néanmoins permis un échange de vues intéressant entre les membres de l’Assemblée. Le Bureau peut, à un stade ultérieur, proposer que la question traitée soit renvoyée à la commission compétente pour rapport.

M. Corlăţean, Vice-Président de l’Assemblée, remplace Sir Roger Gale au fauteuil présidentiel.

4. Vingt-cinq ans de CPT : progrès accomplis et améliorations à apporter

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Xuclà, au nom de la commission des questions juridiques, sur les «25 ans de CPT: progrès accomplis et améliorations à apporter» (Doc. 14280).

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance de lundi matin, de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. XUCLÀ (Espagne), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Depuis 25 ans, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, plus connu sous le nom de CPT, travaille avec succès.

L’un des objectifs du Conseil de l’Europe est l’éradication de toute torture, peine ou traitement inhumain ou dégradant, lesquels sont contraires aux droits de l’homme.

On s’interroge parfois pour savoir s’il existe des droits absolus, qui ne connaissent aucune exception, ou si tous les droits sont limités par d’autres. Ce dont nous parlons ce soir est bien un exemple de prohibition absolue: la torture et les traitements inhumains ou dégradants ne sauraient faire l’objet de négociations. Le Conseil de l’Europe est une région du monde où il n’y a pas de peine de mort – et il est important de le rappeler alors qu’un pays réfléchit à haute voix à l’opportunité de la réintroduire – et où il est absolument interdit de pratiquer la torture ou d’appliquer des peines ou des traitements inhumains ou dégradants.

Notre institution s’est dotée d’un instrument extraordinaire à cette fin, le Comité européen pour la prévention de la torture, qui a présenté la semaine dernière son rapport pour 2016. Le Comité a effectué 10 visites périodiques dans 10 États différents et 9 visites ad hoc. Au total, ces 19 visites représentent 170 jours pendant lesquels les membres du CPT se sont rendus sur le terrain dans différents pays pour s’acquitter de leur mission et vérifier concrètement si la torture n’était pas pratiquée.

Je ne vais pas vous présenter maintenant ce rapport annuel, que vous pouvez consulter sur le site internet de notre Organisation. Je me contenterai d’en évoquer les grandes lignes. Plusieurs membres de la commission des questions juridiques, dont M. Kox, ont demandé que l’Assemblée réfléchisse à la manière de renforcer les mécanismes du CPT. Nous devons envoyer ce message aux États membres et au Comité des Ministres, car nous savons que le CPT a besoin de plus de soutien de la part de notre Assemblée. Il faut donc adresser un message très clair d’appui et de reconnaissance et, dans la mesure du possible, il faut également essayer de s’engager davantage dans le travail du CPT.

Par exemple, comment pouvons-nous veiller à ce que les meilleurs candidats soient choisis pour siéger au CPT? Deux auditions ont été organisées au sein de la commission des questions juridiques, au cours desquelles ont été proposées des améliorations sur de nombreux points. Il faudrait par exemple que les candidats connaissent au moins les deux langues officielles du Conseil de l’Europe pour travailler de manière efficace.

Un autre aspect fondamental a été évoqué dans le rapport antérieur du CPT: l’Assemblée parlementaire devrait être plus impliquée dans l’élection des membres de cet organisme. C’est difficile, car pour que ces derniers soient élus par nous, il faudrait modifier la Convention. C’est d’autant plus délicat que nous devons, pour le moment, lutter pour maintenir notre capacité à élire les juges de la Cour européenne des droits de l’homme par l’intermédiaire de la commission sur l’élection des juges.

Toutefois, nous devons faire savoir que nous souhaitons participer plus activement au processus de désignation des membres du CPT. Une sous-commission de la commission des questions juridiques est responsable de l’audition des candidats. Nous avons une énorme responsabilité, et nous devrions mieux structurer ces auditions, mieux vérifier et analyser les compétences des candidats. Il conviendrait également de sensibiliser davantage les délégations nationales, qui présentent parfois des candidats n’ayant aucune connaissance de ces sujets. Or ce sont eux qui transmettent aux parlements nationaux les rapports et les débats, qui font l’objet de discussions au sein des commissions en charge des questions de justice et de droit.

Pour que cela soit possible, il est important que les rapports et autres publications du CPT soient publics. Mais cela n’est possible que si l’État membre concerné est d’accord pour que ces travaux soient publiés. Certains pays, dont le nom figure dans mon rapport, n’y sont pas favorables. Par ailleurs, il faut les inviter – il s’agit là d’une formulation diplomatique – les États membres à réagir aux déclarations publiques effectuées par le CPT.

J’en reste là pour avoir le temps de réagir et répondre aux questions.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. MAHOUX (Belgique), porte-parole du Groupe socialiste – Le Comité pour la prévention de la torture a toujours constitué pour notre Assemblée un moyen essentiel de renforcer les mesures visant à empêcher la torture et à en détecter les manifestations insidieuses.

S’il apparaît clair que la torture physique est immédiatement détectable, la torture psychique l’est beaucoup moins. À cet égard, les mesures d’isolement prolongé, l’éloignement des familles, la durée injustifiée des procédures, les conditions de détention – parmi lesquelles la surpopulation carcérale –, l’absence ou l’insuffisance de prise en compte de l’état de santé et particulièrement de santé mentale, sont autant de facteurs qui sont de la torture ou s’y apparentent. J’ajouterai personnellement à ces facteurs la succession de détentions administratives car, dans le cadre de cette pratique, l’absence d’inculpation clairement établie et la répétition des détentions constituent des éléments d’interrogation pour ceux qui sont ainsi privés de liberté. Les inculpations et les arrestations collectives peuvent elles aussi s’apparenter, pour ceux qui en sont victimes, à la torture.

Je crois qu’il était important de rappeler ces éléments, même si le rapporteur s’est penché davantage sur les moyens d’améliorer la sélection des membres du Comité, son fonctionnement et le suivi de ses rapports – ce qu’il a eu tout à fait raison de faire. En ce qui concerne la sélection des candidats, le projet de résolution insiste sur la transparence des procédures de sélection nationale.

Les relations avec les parties constituent le deuxième point important. Nous avons évoqué l’autorisation préalable de publication des rapports du Comité, qui marquerait un progrès dans la confiance.

Autre point important: les relations avec les organismes des Nations Unies qui s’intéressent aux mêmes domaines, à savoir à la torture et au respect des droits de l’homme. La concertation au sein des États doit exister en la matière.

Enfin, puisque le Comité des Ministres a été évoqué, il convient de lui rappeler qu’il s’est engagé à donner les moyens adéquats au CPT et, surtout, à mettre à l’ordre du jour les rapports de ce comité. Cet engagement, le Comité des Ministres ne l’a toujours pas tenu.

Mme GOGUADZE (Géorgie), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Permettez-moi en premier lieu de souligner que le CPT est un instrument très efficace du Conseil de l’Europe pour prévenir la torture et les peines ou traitements inhumains et dégradants dans les États membres. Les activités du CPT ont joué un rôle fondamental pour amener des changements et des améliorations essentiels dans les pays européens.

Dans le cas de la Géorgie, les rapports et les recommandations du CPT ont été très importants pour transformer un système correctionnel axé sur la punition en un système moderne d’application des sanctions pénales, ce qu’il est aujourd’hui. Des réformes très importantes ont été opérées. La Géorgie a pu ainsi diviser par trois sa population carcérale jusqu’à 2012 et, au cours des cinq dernières années, le nombre de prisonniers n’a plus beaucoup évolué, ce qui montre que ces réformes ont été un succès puisqu’elles sont durables. La Géorgie a également réhabilité 80 % de ses prisons grâce à de gros investissements d’infrastructure pour améliorer les conditions de détention.

La prévention de la torture ne concerne pas que les coups, l’intimidation et les actes de torture proprement dits. Elle concerne aussi les cellules surpeuplées, un espace minimal ou encore des normes minimales d’hygiène pour les personnes privées de liberté. Les transformations les plus importantes du système pénal visent aujourd’hui à passer d’un système répressif et punitif à un système favorisant la réinsertion des anciens détenus. Les rapports et les recommandations du CPT ont, dans ce domaine, joué un rôle crucial en Géorgie.

S’agissant du rapport lui-même, l’efficacité des activités du CPT dépend fortement du professionnalisme et de l’impartialité de ses membres. Je me félicite de toute initiative visant à augmenter la durabilité et à améliorer l’efficacité du Comité européen pour la prévention de la torture. Je pense que le projet de résolution qui nous est soumis permettra d’améliorer encore son fonctionnement. Je voterai donc avec plaisir le projet de résolution et le projet de recommandation.

M. DAEMS (Belgique), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Je tiens à remercier M. Xuclà pour la haute qualité de son rapport. Il y a trente ans, chers collègues, le Conseil de l’Europe a franchi une importante étape vers l’État de droit en Europe en adoptant la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Le Comité européen pour la prévention de la torture a été instauré sur cette base. Il a effectué un travail remarquable dans l’élimination de la torture et des graves violations des droits de l’homme.

Les informations qui nous parviennent sans cesse sur des violations des droits de l’homme commises dans les commissariats, les prisons et toutes institutions prouvent qu’il reste encore beaucoup à faire. Quant au travail réalisé par le CPT, je tiens à mettre en avant l’expansion importante de ses activités depuis la signature de la Convention ratifiée par presque tous les États membres du Conseil de l’Europe. L’acceptation de la Convention a donné une marge d’action au CPT. Nous encourageons toutes les institutions à adopter, dans leurs actions, les procédures de la Convention par le biais de sa ratification.

Lorsque nous évoquons l’expansion des activités du CPT, il est nécessaire de clarifier ce que nous entendons par là. Cette expansion n’est pas seulement géographique. Des institutions de plus en plus nombreuses et variées ont reçu des visites du CPT. À l’origine, le CPT visitait les prisons et les commissariats de police. Aujourd’hui, d’autres institutions, telles que les établissements psychiatriques, les maisons de retraire, les centres de rétention de migrants – la liste n’est pas exhaustive –, reçoivent la visite du CPT, qui a une fonction préventive. Celle-ci a été mise en place dans le cadre des visites du CPT, du dialogue qu’il entretient avec les gouvernements nationaux, ou dans celui de ses recommandations. Les visites ne sont pas un objectif en soi: elles servent de base au développement de normes visant à éliminer la torture et à améliorer les conditions de détention.

L’Assemblée et le Comité des Ministres doivent promouvoir la mise en œuvre de ces normes dans les États membres en soutenant totalement au plan politique les États qui adoptent les recommandations du CPT et en réagissant contre ceux qui ne les adoptent pas.

L’éradication de la torture – une pratique totalement illégale et absolument inhumaine – peut paraître impossible. Mais, grâce aux efforts fournis non seulement par le CPT mais également par tous les organes du Conseil de l’Europe, et, comme l’a souligné M. Mahoux, grâce à des synergies avec toutes les institutions internationales qui visent le même objectif, la lutte contre la torture doit être renforcée jour après jour pour atteindre l’objectif d’un monde sans torture.

Mme GORROTXATEGUI (Espagne), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je tiens tout d’abord à féliciter l’auteur du rapport car il insiste bien sur l’importance fondamentale du CPT au sein de la mission du Conseil de l’Europe.

Ce rapport évoque les différents points sur lesquels le travail du CPT peut être amélioré. Au nom de mon groupe je souhaite revenir sur les points qui me paraissent essentiels, s’agissant surtout de la mise en œuvre efficace des droits: la question de la publication des rapports en fait partie.

Le CPT reconnaît lui-même que la crédibilité de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains est liée à l’action des agents gouvernementaux. Si on ne répond pas rapidement aux mauvais traitements, surtout ceux qui visent les personnes privées de liberté, alors, rapidement prévaudra le principe selon lequel ces traitements peuvent être commis en toute impunité.

Le CPT effectue assurément un travail fondamental. Toutefois, pour améliorer encore son efficacité, il faut que tous ses rapports soient publiés. Chacun pourra alors connaître le diagnostic du CPT sur des cas concrets et savoir si les plans d’actions des États membres répondent bien à ses recommandations: il sera dès lors possible d’assurer un véritable suivi de la mise en œuvre des plans d’actions.

La publication des rapports du CPT est donc essentielle.

Je tiens à revenir sur la Turquie, où l’instauration de l’état d’urgence a permis de restreindre des droits fondamentaux, surtout ceux des détenus et des prisonniers. Le CPT s’est rendu trois fois en Turquie en 2016 et a rédigé trois rapports. Or nous n’en connaissons pas le contenu.

Un véritable travail d’accompagnement s’impose auprès de la Turquie afin que l’État de droit soit une réalité, mais comment voulez-vous que ce soit possible si nous ignorons le contenu des rapports du Comité des droits de l’homme, qui sont inaliénables, imprescriptibles et universels? Ces droits s’appliquent aux personnes qui sont en liberté, mais également aux prisonniers. Afin de garantir les droits de ces personnes, il faudrait que les rapports du CPT soient publiés et rapidement après les visites effectuées par le comité.

M. Vusal HUSEYNOV (Azerbaïdjan), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Je remercie à mon tour M. Xuclà de son rapport très fouillé qui, non seulement résume l’activité du CPT au cours des 25 dernières années, mais présente des recommandations très utiles pour l’avenir.

Ce rapport nous informe de tout ce qui a été fait et de tout ce qu’il reste à faire pour prévenir les mauvais traitements et la torture en Europe. Bien sûr, de nombreux défis restent à relever dans différentes régions d’Europe. Cela dit, les résultats de ces dernières décennies ne peuvent être passés sous silence car l’activité du CPT a permis de modifier profondément la situation. C’est ainsi que la transparence dans les lieux de détention est dorénavant largement acceptée, que de nombreuses recommandations des rapports du CPT ont été mises en œuvre et que les conditions matérielles de détention, la sélection et la formation des personnels de police, de prison et de soins ont été améliorés. En outre, des sauvegardes fondamentales existent: l’accès à l’avocat est autorisé immédiatement après l’arrestation, et ce dans quasiment tous les États européens. Je pense que l’ensemble de ces mesures conformes à la convention explique en partie la réduction du nombre d’affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme relatives à l’article 3.

Je dirai quelques mots sur l’importance de ce rapport au regard de tout ce qu’il reste encore à faire pour améliorer davantage encore la situation. À cet égard, je reviendrai sur les propositions figurant dans le rapport tant il est vrai qu’il me paraît utile de revenir sur les lacunes existantes et sur les mesures visant à surmonter les difficultés qui subsistent.

Ainsi, par exemple, les propositions relatives à la procédure de sélection des candidats afin d’améliorer l’impartialité du CPT et son efficacité sont centrales. Il s’agit de sélectionner des candidats avec une plus grande expertise. Des entretiens à distance et un modèle de CV unique sont des pistes destinées à sélectionner les candidats éligibles sur la base d’un bon ratio coût/efficacité.

Une autre proposition importante est relative à la nécessité de publier les rapports du CPT sur une base volontaire.

Je dirai un mot au titre de l’Azerbaïdjan. Nous avons accès à des informations sur le site internet du Conseil de l’Europe. Il serait utile d’instaurer des procédures de publication automatiques, permettant ainsi une meilleure transparence et coopération.

Les propositions de la recommandation présentée n’engendrent pas de processus très longs ou très complexes à mettre en œuvre et permettraient une plus grande efficacité du CPT.

Le travail du CPT est lié au soutien politique des États membres. Il nous appartient donc de continuer à œuvrer pour éliminer la torture et éradiquer les violations qui sévissent encore. Atteindre cet objectif nécessite d’améliorer les outils nécessaires. C’est pourquoi nous devrions tous soutenir et voter le rapport.

M. FARMANYAN (Arménie)* – Ce rapport arrive à point nommé et révèle le rôle central du CPT dans la garantie des droits de l’homme et des normes du Conseil de l’Europe pour les systèmes pénitentiaires de nos pays.

Je suis d’accord avec mes collègues qui ont manifesté leur appréciation positive du travail réalisé par le CPT au cours des 25 dernières années.

La torture est un crime incompatible avec nos aspirations et nos normes. C’est un crime déplorable et il est essentiel que les États membres du Conseil de l’Europe fassent de leur mieux pour prévenir les actes de torture conformément à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’Arménie a ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture en 2002, ce que nous prenons très au sérieux. La révision de la législation en la matière a fait partie intégrante de la réforme judiciaire en cours dans mon pays, l’objectif ultime étant d’amender la législation et de la mettre en œuvre afin qu’elle soit conforme aux normes internationales.

De surcroît, pour garantir une enquête complète sur les affaires de mauvais traitement, un nouvelle unité d’enquêteurs, l’unité pour l’investigation sur les allégations de torture, a été créée dans le cadre du service spécial d’investigations arménien.

Dans leur ensemble, les recommandations et l’expertise du CPT du Conseil de l’Europe sont essentiels à ces réformes.

À ce jour, neuf visites ont été réalisées par les experts du CPT en Arménie. Sur les neuf cas, les rapports du CPT ainsi que les réponses fournies par le Gouvernement ont été rendus publics, marquant ainsi la volonté des autorités arméniennes à coopérer avec les organisations internationales concernées et à contribuer à une meilleure défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’autorisation par les États membres concernés des rapports nationaux reflète une approche transparente et constructive et une politique de coopération avec le CPT. C’est essentiel, notamment pour l’Azerbaïdjan. Mais ce n’est pas le cas de tous les États membres, ainsi que le relève le rapport.

Hier, à la veille de notre débat, deux rapports sur l’Azerbaïdjan ont été publiés, qui remontent à 2005 et 2006. Publier des rapports aussi anciens n’est-il pas une façon de se moquer de l’institution? C’est ridicule et encore plus honteux que de refuser de publier de tels documents.

Dans l’idéal, les conclusions devraient faire l’objet d’un engagement commun au niveau national pour prévenir et éradiquer la torture dans les prisons. Effectivement, les squelettes ne permettront pas de contribuer à cet objectif! Cela ne nous empêchera pas de trouver une réponse appropriée aux problèmes actuels.

LE PRÉSIDENT* – M. Bereza, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

Mme KERESTECİOĞLU DEMIR (Turquie)* – Je remercie notre rapporteur, M. Xuclà qui nous a présenté un sujet extrêmement important.

Il est essentiel qu’un tel rapport sur la structure du CPT soit présenté aujourd’hui. La semaine dernière, le comité a annoncé un rapport très important pour les Turcs, mais il n’a pu le publier parce que le Gouvernement turc ne l’y a pas autorisé, de la même façon qu’il n’a pas non plus publié les deux rapports précédents. Quant à la Fédération de Russie, elle n’a autorisé la publication que de trois rapports après 26 visites.

Une équipe de spécialistes du comité s’est rendue dans des établissements pénitentiaires à Ankara, Istanbul et à Izmir afin d’examiner les conditions de détention après le coup d’État au 15 juillet. Selon les déclarations du ministère de l’Intérieur turc, environ 47 000 personnes seraient détenues en raison de leur affiliation au mouvement güleniste.

Mais le président du Comité, M. Mykola Gnatovskyy, a déclaré: «Nous nous sommes entretenus avec des centaines de personnes et nous avons suffisamment de documents. Bien entendu, nous souhaitons parler de nos conclusions, mais je ne peux rien vous dire». Cela montre à quel point il est urgent de renforcer l’efficacité du CPT.

Selon la Convention européenne pour la prévention de la torture, qui a été ratifiée par la Turquie, les représentants des droits de l’homme ont accès aux documents relatifs aux prisons et aux détenus depuis 1989. Or, les rapporteurs de la commission de suivi du Conseil de l’Europe n’ont pas pu se rendre dans les prisons pour rencontrer certains prisonniers. Moi-même, alors que j’ai été avocate durant 32 ans, je n’ai pu visiter les prisons, le ministère de la Justice me l’ayant interdit.

La pression exercée sur les prisonniers dans les prisons turques s’est renforcée, au motif de l’état d’urgence. Le CPT n’a pas été en mesure de faire des commentaires relatifs à la répression et aux conditions de détention, alors que certains prisonniers suivent une grève de la faim depuis deux ans. Un grand nombre d’entre eux vivent dans de mauvaises conditions, alors qu’ils n’ont pas pris part au coup d’État. Des journalistes et des parlementaires sont détenus parce qu’ils avaient exercé leur droit de liberté d’opinion. Ils ont été accusés d’avoir insulté le Président, or l’insulte est, en Turquie, considéré comme un crime.

J’exprime tout mon soutien à ce rapport important.

Mme ÆVARSDÓTTIR (Islande)* – J’aimerais tout d’abord dire que j’ai beaucoup d’admiration pour le travail remarquable de M. Xuclà.

Plus que jamais, le Comité de prévention de la torture est indispensable au bon fonctionnement du Conseil de l’Europe, de la démocratie et de la protection des citoyens. Il s’agit de protéger les plus vulnérables, une mission également essentielle de notre Organisation. Or ceux qui ont été privés de liberté par l’État font partie des plus vulnérables, et ce sont mêmes eux qui risquent d’être victimes des crimes les plus horribles qui existent: la soumission à la souffrance physique ou psychologique.

Nous devons donc tout faire pour renforcer les travaux du CPT et leur impact. J’attirerai votre attention sur le paragraphe 9 du projet de résolution, qui envisage que la commission juridique et la commission de suivi, ensemble, procèdent à un échange de vue annuel avec le président du CPT. Celui-ci pourrait, à cette occasion, défendre le rapport annuel du Comité. Et les présidents des délégations nationales auprès de l’Assemblée parlementaire des pays visités par le CPT durant l’année précédente pourraient être invités à participer à cet échange de vues.

Je crois sincèrement qu’un tel échange permettrait d’accroître la pression sur les parlements et les gouvernements nationaux afin que ceux-ci appliquent les recommandations formulées par le CPT. Je suis certain que dans le cas de mon pays, l’Islande, un tel échange serait l’occasion de mieux faire comprendre aux parlementaires et aux dirigeants la nécessité de respecter les principes du CPT.

Certes, il reste bien des possibilités d’améliorer le fonctionnement du CPT, mais il y a surtout des progrès à réaliser dans la mise en œuvre des recommandations qui restent souvent lettre morte pendant trop longtemps. Par exemple, alors qu’il a été demandé à l’Islande d’adopter des mesures relatives aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, rien n’a été fait depuis 1994! Une détention, c’est toujours une première étape vers le risque de soumission à des traitements pouvant être assimilés à de la torture ou à des traitements dégradants.

Je demande donc que ce paragraphe 9 soit mis en œuvre le plus rapidement possible et que toutes les dispositions soient prises par l’Assemblée pour qu’un échange avec le président du CPT et les délégations concernées puissent avoir lieu.

Chers collègues, je vous encourage à voter en faveur des projets de résolution et de recommandation.

M. MALTAIS (Canada, observateur) – Je remercierai tout d’abord le rapporteur pour son excellent rapport qui couvre les 25 dernières années des travaux du CPT en Europe.

La peine de mort a été abolie dans tous les pays européens, mais je me pose la question suivante: a-t-elle été remplacée par le terrorisme? En effet, combien de personnes sont décédées en 2016 suite à des actes de terrorisme? Combien de jeunes ont été amputés, de femmes assassinées par des attaques terroristes?

Le Canada est un jeune pays, nous fêtons cette année notre 150e anniversaire. Le Canada est un pays fondé par des émigrés venant de toute la planète; nous sommes tous des émigrés.

Aujourd’hui, le Canada fait tout son possible pour accueillir des migrants et leur donner une nouvelle chance. Ces personnes quittent leur pays car elles sont en danger de mort; les enfants n’ont plus d’avenir et les maris pas de travail. Alors ces personnes arrivent chez nous avec beaucoup d’espoir.

Les Canadiens sont de nature très accueillante, nous l’avons démontré tout au long de notre histoire. En revanche, les migrants qui viennent chez nous doivent comprendre que nous n’avons pas la même culture: la torture, le terrorisme n’est pas le langage courant des Canadiens et des Canadiennes. Malgré certains actes que nous avons eu à déplorer ces dernières années, le peuple canadien n’est pas un peuple de guerriers; c’est un peuple d’ouverture.

Nous disposons également d’un Comité de surveillance dans nos pénitenciers, afin de nous assurer que les droits de l’homme des prisonniers sont respectés. Les rapports sont soumis au Parlement canadien qui, s’il détecte des illégalités, a le pouvoir de les corriger immédiatement. Je comprends l’inquiétude des milliers de migrants déracinés, mais le racisme est-il une maladie incurable? Nous ne le pensons pas.

LE PRÉSIDENT* – M. Kox, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. TILSON (Canada, observateur)* – Le projet de résolution encourage les États membres qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Protocole facultatif de la Convention contre la torture et à désigner un mécanisme indépendant national de prévention qui réponde aux exigences de la Convention.

Le Gouvernement canadien va consulter les gouvernements provinciaux et territoriaux et la société civile afin de signer ce protocole. Ces consultations sont un préalable nécessaire à la ratification du protocole par le Canada, étant donné que ces affaires, conformément à la Constitution du Canada, relèvent des compétences de ses provinces.

A la suite de l’affaire Maher Arar, citoyen canadien qui a fait l’objet d’une expulsion extraordinaire en Syrie en 2002, où il a été interrogé, torturé, et retenu dans des conditions dégradantes et inhumaines pendant presque une année, une commission d’enquête a été mise en place afin de renforcer les contrôles et les recours, notamment à l’encontre de l’État et de la police.

En 2013, le parlement a adopté une loi qui crée une nouvelle commission de contrôle et de recours contre la police montée canadienne royale. Cet organe étudie la mise en œuvre des précédentes recommandations. Le parlement envisage actuellement d’adopter une loi qui autoriserait un autre système de contrôle des activités de renseignement de la part d’une commission de parlementaires. Un certain nombre d’autres commissions parlementaires se sont rendues dans des institutions pénitentiaires fédérales et préparent une étude sur les conditions de détention et le traitement des détenus. Tous les parlementaires canadiens ont un droit d’accès aux établissements pénitentiaires du Canada. Bien préparées, ces visites permettent de compléter efficacement le travail réalisé par les mécanismes nationaux et internationaux.

M. CROWE (Irlande)* – L’histoire des prisons en Irlande est dominée par l’histoire des luttes et des conflits dont nous avons beaucoup parlé. Nous devons veiller à ce que les prisons ne créent pas davantage d’instabilité.

Je suis préoccupé par l’une de ces prisons. Sur place, un état d’esprit très sécuritaire continue de dominer, plutôt qu’une culture de la réhabilitation. La transparence, la cohérence, l’adhésion aux meilleures pratiques et aux droits de l’homme doivent être au cœur de la gestion des prisons. Ces derniers mois des déficiences majeures ont eu lieu et ont attiré l’attention du public. Dans les «ailes intégrées», les détenus ne disposaient que d’une heure pour sortir de leurs cellules; ils y passaient 23 heures par jour, et mangeaient dans des endroits confinés. Leur alimentation n’a aucune valeur nutritionnelle, il ne s’agit souvent que d’un petit sandwich. Les installations se sont améliorées, notamment sur le plan de l’accès à l’éducation. Mais les détenus rencontrent des difficultés dans l’accès à la formation et à la culture et à la langue irlandaises. Les prisons doivent être gérées sur la base de la dignité humaine et des droits de l’homme. Nous souhaitons encourager le CPT à se pencher sur la situation dans cette prison.

M. Taylor a été arrêté et détenu dans cette prison en mars 2016, sans jamais avoir été inculpé, ni avoir pu être jugé. Aucun élément de preuve n’a été présenté l’année passée, et il est toujours détenu. Cette détention est une violation des droits humains fondamentaux, ainsi que de son droit à un procès équitable. Il n’a pas accès aux soins de santé, et se trouve dans une unité particulière de cette prison. Ces conditions de détention sont injustes et indéfendables. Nous devons régler ce problème.

LE PRÉSIDENT* – M. Dişli, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

Monsieur Xuclà, vous disposez de 4 minutes et 30 secondes de temps de parole.

M. XUCLÀ (Espagne), rapporteur* – Je souhaite remercier tous mes collègues qui sont intervenus pour soutenir ce rapport. En Géorgie la législation s’est améliorée, tout comme en Irlande, où le contrôle est important, par exemple pour les questions linguistiques. Nous constatons que les observateurs du Canada ont parlé français et anglais. Je suis moi-même catalan, et j’exprime donc ma sympathie pour cette diversité des langues, réalité qui existe dans nos pays.

Je reviens au sujet de notre débat. Vous avez soulevé une question très importante: la publication des rapports. Je voudrais saluer M. Huseynov, qui a fait preuve de courage en disant qu’il avait soutenu leur publication. Je le prends au mot, car l’Azerbaïdjan est l’un des trois pays qui ne les publient pas. Je l’invite très sincèrement à prendre toutes les mesures nécessaires pour que, dans son pays, les rapports soient publiés. En Russie, seules trois des 26 études réalisées ont été publiées. Mes inquiétudes portent aussi sur la Turquie, où les trois derniers rapports n’ont pas été publiés, comme l’a indiqué notre collègue turc; je le salue pour sa présence lors de cette partie de session. Il est essentiel que nous continuions à discuter malgré nos désaccords, et ce de façon digne.

Quant à la proposition, contenue dans le rapport, d’une réunion annuelle commune entre la commission de suivi et la commission des affaires juridiques, elle vient à point nommé. Nous pourrons ainsi travailler de manière plus coordonnée, et faire en sorte que nos collègues soient mieux informés de l’action du CPT et des violations ou manquements constatés dans un certain nombre de pays.

Il est important aussi qu’une réponse soit rapidement donnée par les gouvernements. Il est tout aussi important qu’une plus grande familiarité avec ces questions règne au sein des parlements des États membres et que des débats y soient organisés.

Je reprendrai en conclusion les propos tenus par un collègue. La torture n’est pas que physique – même si c’est la torture physique qui se voit –, elle peut aussi être psychologique, et, dans ce cas aussi, c’est un traitement inhumain et dégradant. Ce message doit être adressé à certains pays qui recourent parfois à des rétentions administratives très longues: de telles pratiques sont aussi contraires à nos normes. Nous devons tous ensemble agir pour parvenir à des progrès.

Il ne me reste plus qu’à vous remercier tous, chers collègues, de vos interventions. J’espère que ce rapport sera utile et permettra d’envoyer un message clair au CPT. J’espère que nous continuerons de soutenir le travail de ce dernier, avec le souci de renforcer sa visibilité et celle de notre Assemblée.

M. FABRITIUS (Allemagne), vice-président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – En tant que premier vice-président de notre commission, je veux confirmer que celle-ci a toujours approuvé les travaux effectués sur le CPT ou avec le CPT, dont les rapports sont toujours riches d’enseignement. Notre commission a toujours appuyé les travaux du CPT. D’ailleurs, nous formulons des recommandations quant au choix de ses membres. Encore aujourd’hui, nous avons examiné sept candidatures. Le CPT est un succès du Conseil de l’Europe. Les liens entre le CPT et notre commission permettent de garantir la pérennité de cette réussite. Nous devons tout faire pour aider le CPT, particulièrement en un moment où le climat devient plus tendu et où la question de la torture se pose à nouveau dans certains pays. Il faut vraiment protéger les gens contre la torture.

Je félicite notre rapporteur pour la qualité de son travail, et vous demande, chers collègues, de tous approuver les textes présentés.

LE PRÉSIDENT* – La commission des questions juridiques a présenté un projet de résolution et un projet de recommandation sur lesquels aucun amendement n’a été déposé.

Nous allons procéder au vote sur le projet de résolution contenu dans le Doc. 14280.

Le projet de résolution est adopté à l’unanimité des 58 votants.

LE PRÉSIDENT* – Nous allons maintenant procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le Doc. 14280.

Le projet de recommandation est adopté à l’unanimité des 58 votants.

5. Détournement du système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Fabritius, au nom de la commission des questions juridiques, sur le «Détournement du système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes» (Doc. 14277).

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance de lundi matin, de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. FABRITIUS (Allemagne), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Chers collègues, vous serez appelés dans quelques minutes à vous prononcer sur le détournement du système d’Interpol et la nécessité de garanties légales plus strictes. Nous étudions le sujet depuis plus de deux ans. Nous avons notamment procédé à trois séries d’auditions de représentants d’Interpol, mais aussi d’experts et de membres de la société civile: au mois de mai 2015, à Erevan; un an plus tard, à Rome; au mois de décembre dernier, à Paris, avec le Secrétaire général d’Interpol, M. Stock. Je veux évidemment remercier celui-ci pour son apport, de même qu’Interpol et tous les experts indépendants et représentants de la société civile.

La question de la confiance est au cœur de notre sujet. Une confiance mutuelle est la condition sine qua non d’une coopération policière réussie. Or Interpol a précisément pour mission d’organiser une telle coopération, pour poursuivre la criminalité organisée et les terroristes. Criminels et terroristes ne doivent se sentir en sécurité nulle part. Voilà pourquoi il faut renforcer Interpol. Malheureusement, certains participants au système d’Interpol sapent eux-mêmes, par des abus, par des détournements du système, la confiance entre administration, entre services de police, entre services de police et Interpol. Parfois, certaines notices rouges sont diffusées de façon totalement abusive. Interpol a essayé d’y trouver un remède, avec la société civile, et avec moi-même en tant que rapporteur de la commission des affaires juridiques de notre Assemblée. Plusieurs réformes ont été envisagées pour empêcher tout abus du système, tout détournement. Toute une série de mesures ont été prises lors de l’assemblée générale qui s’est tenue au mois de novembre dernier à Bali, qui sont entrées en vigueur au mois de mars dernier. Très bienvenues, elles sont expliquées en détail dans le rapport.

La commission de contrôle des fichiers d’Interpol va être renforcée. Elle doit vraiment devenir une chambre de recours pour les personnes qui seraient abusivement l’objet d’une notice rouge. Sinon, comment justifier l’immunité d’Interpol devant toute juridiction nationale ou internationale, surtout au regard de la jurisprudence la plus récente, tant celle de la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg que celle de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg? Il s’agit de développer cette commission de contrôle des fichiers en lui donnant plus de ressources pour que puisse vraiment être vérifiée la validité de ces notices demandant l’arrestation ou la poursuite des personnes qui en sont l’objet. Il faut donc en renforcer les ressources en une période de vaches maigres. De 2005 à 2015, le nombre de notices rouges a quintuplé, et il a encore très nettement augmenté. Et, puisqu’on ne peut pas étendre les ressources à l’infini, il faut mieux les utiliser et, surtout, se pencher sur le cas des bureaux centraux nationaux, qui, le plus souvent, ont cherché à abuser du système et à le détourner de son objectif. Il faudrait en quelque sorte créer une liste noire des bureaux centraux nationaux peu fiables.

Il faudrait appliquer, en fait, un principe qui s’est imposé dans le domaine du droit de l’environnement. Le principe pollueur-payeur est aujourd’hui largement accepté: c’est une simple déclinaison du principe de responsabilité. De la même manière, ceux qui sont responsables de ces notices abusives devraient payer pour réparer les dégâts qu’ils ont commis, pour indemniser les gens à qui ils ont porté tort. Cela devrait les amener à renoncer totalement à émettre des notices rouges pour des motifs abusifs.

La simple mise en place d’un outil statistique permettrait de voir qui abuse du système de façon réellement flagrante: ce serait très dissuasif. Les bureaux nationaux qui reçoivent les notices rouges pourraient aussi, de cette manière, savoir si le bureau demandeur est fiable ou non. Cela permettrait de vérifier de façon plus pointilleuse les motifs invoqués.

Un mot encore à propos de la publicité, de la transparence des travaux d’Interpol. Dans certains cas, évidemment, la confidentialité est nécessaire et doit être préservée. Néanmoins il faut aussi établir des exceptions à cette règle, car il faut que les personnes poursuivies soient informées pour qu’elles puissent se défendre contre les accusations qui sont portées contre elles. Dans certains cas, la confidentialité n’est donc pas défendable. La confidentialité des travaux d’Interpol n’est pas toujours primordiale!

Un autre problème se pose, concernant l’application des articles 2 et 3 des statuts d’Interpol: il s’agit surtout des notices rouges visant des réfugiés. Quelques jours après la publication de notre projet de rapport, Interpol a publié une interprétation de l’article concernant les réfugiés. Interpol doit s’interdire toute poursuite pour des motifs politiques ou religieux. Il faudrait pour cela établir une liste des réfugiés dûment reconnus comme tels.

Je voudrais mettre en exergue un cas: celui du blogueur russe, ukrainien et israélien Alexandre Lapchine. Son cas est vraiment particulier. Nous n’avons obtenu, au sujet de l’existence d’une notice rouge à son encontre, ni confirmation ni infirmation. Certains ont dit qu’il a fait l’objet d’une telle notice rouge de la part de l’Azerbaïdjan – c’est aussi ce que j’ai dit – en raison d’une mission d’enquête qu’il avait menée au Karabakh. Il a été arrêté par la suite, et j’ai dit que c’était en raison de cette notice rouge: c’était une erreur. En réalité, le système de filtrage d’Interpol a fonctionné, et si M. Lapchine a eu des ennuis lors d’un voyage ultérieur au Bélarus, c’est en raison d’un accord bilatéral entre l’Azerbaïdjan et ce pays: je tenais à faire cette rectification. Je le répète: dans ce cas d’espèce, les filtres prévus par Interpol ont bien fonctionné.

Quoi qu’il en soit, notre objectif est de renforcer ce système interne à Interpol. C’est un instrument très important. Il faut empêcher – du moins rendre le plus difficile possible – tout détournement de cette procédure. Je crois que nous serons tous d’accord sur ce point; j’attends donc le débat avec impatience.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. ÁRNASON (Islande), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Les services de sécurité peuvent être considérés comme les pierres angulaires des sociétés démocratiques. Ils protègent la démocratie et les droits de l’homme. Ces services, par l’application de la loi, font respecter l’ordre et rendent nos sociétés plus sûres. Néanmoins, pour que cela fonctionne, ils doivent bénéficier de la confiance des citoyens. Je suis convaincu que les services tels qu’Interpol fondent leurs actions sur ces principes. En tant qu’ancien policier, je peux vous dire que ce qui m’importait le plus, c’était la confiance de ceux au service de qui je travaillais.

Le plus important, pour les citoyens, c’est leurs droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et la liberté de mouvement. Nous sommes tous d’accord sur ce point: personne, ici, ne souhaiterait voir ses droits fondamentaux bafoués! Il y a peu, des accusations ont été portées contre certains membres d’Interpol, qui auraient détourné cette organisation de son objet premier, en demandant l’extradition de personnes présentées comme des criminels sans qu’un procès ait lieu, au prétexte de la lutte contre la criminalité internationale ou la menace terroriste. Que ces accusations soient fondées ou non, il est clair que nous devons protéger Interpol. De tels abus ne peuvent être tolérés, car ils sapent la confiance des citoyens vis-à-vis d’Interpol.

Des mesures doivent donc être prises pour éviter que cette organisation soit détournée, faute de quoi elle risque de ne plus pouvoir mener à bien ses importantes missions. Comme le Conseil de l’Europe, comme d’autres organisations internationales, la force d’Interpol dépend exclusivement de la volonté des États qui y participent, en respectant la lettre et l’esprit des règles qui la constituent.

M. KROSS (Estonie), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Tout d’abord, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, et en mon nom propre, je tiens à remercier M. Fabritius pour l’excellent travail qu’il a accompli. On ne dira jamais assez combien le détournement systématique des notices rouges par certains régimes autoritaires et corrompus est un problème important. Nous avons entendu les chiffres: cela fait longtemps que cette organisation aurait dû s’intéresser sérieusement à cette question. Je suis ravi que nous en débattions à présent.

À la lecture de ce rapport, on comprend qu’il s’agit avant tout d’un problème de coopération juridique, technique, entre les différents services de police et les différents systèmes judiciaires. Il y a aussi une dimension politique, touchant à la sécurité. Les affaires présentées dans le rapport montrent clairement que le détournement des notices rouges d’Interpol résulte du comportement systématiquement agressif de certains États, notamment la Russie. Il ne s’agit pas d’incidents isolés. Ce serait déjà bien assez grave comme cela, mais ce n’est pas le cas. La Russie, en particulier, abuse de façon systématique de ce système, à l’encontre de ses adversaires politiques, non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi à l’extérieur.

Il faut replacer tout cela dans un contexte plus large: les cyberattaques, les piratages, les fake news, les enregistrements illégaux visant à discréditer des gouvernements, les opérations médiatiques politiquement concertées… Tout cela peut être rassemblé sous le vocable de «menaces hybrides». Nous devrions tous y réfléchir: Interpol doit-elle devenir un instrument au service de cette guerre hybride menée contre nos valeurs libérales, au service de la violation des droits de l’homme? Cela discréditerait Interpol. Cela détruirait la vie de certaines personnes – c’est déjà le cas – qui auraient plutôt besoin de la protection de notre institution. Surtout, cela détruirait la confiance que les citoyens accordent, dans un État de droit, aux services de sécurité, et porterait atteinte au tissu même de nos démocraties.

Donc, Interpol devrait devenir une unité de petits hommes verts. Je n’exagère pas en disant cela.

C’est un bon rapport, qui comporte bonnes recommandations. J’espère qu’elles seront rapidement mises en œuvre et que nous pourrons continuer d’améliorer encore ce travail à l’avenir.

M. FEIST (Allemagne), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Au nom de mon groupe, j’aimerais remercier le rapporteur et surtout relever le caractère nuancé et équilibré de son rapport.

Notre monde présente de bons aspects, mais aussi de mauvais aspects: la criminalité en fait partie. Interpol est là, justement, pour empêcher la criminalité organisée ou le terrorisme de prospérer. Cela dit, tout système se prête à certains abus, et notre préoccupation est d’empêcher ces abus. L’objectif de ce rapport est précisément d’empêcher les détournements du système.

Notre rapporteur a déjà expliqué comment nous pourrions procéder: en établissant des listes noires, en mettant en œuvre le principe de responsabilité causale, etc. Nous pourrions employer bien des méthodes pour réduire les risques de détournement du système, mais il faut aussi veiller à ne pas sur-réglementer au point que le système ne puisse plus fonctionner efficacement. Il convient donc de réglementer à bon escient.

J’ai grandi dans un pays aujourd’hui disparu. Il s’appelait la République démocratique allemande, un État où l’injustice prévalait. En RDA, on ne faisait aucune distinction entre un criminel et un opposant. Je viens de Leipzig, la ville où a commencé la révolution pacifique. Quand les premières personnes sont descendues dans la rue pour manifester, on a parlé de ces personnes tout à fait pacifiques comme de criminels. Interpol n’est pas là pour que de telles personnes se retrouvent sur des listes de personnes à poursuivre, mais pour empêcher la criminalité organisée de prévaloir ou le terrorisme de l’emporter.

Notre rapporteur a déjà dit que, dès la publication préalable du rapport, Interpol a saisi la balle au bond et compris les enjeux. C’est une très bonne chose. Nous nous devons d’être très vigilants, car nous sommes là pour défendre en priorité la démocratie et les droits de l’homme. Si Interpol a réagi à nos suggestions, c’est donc une bonne chose. Si le fait que l’Assemblée parlementaire prévoit un rapport sur ce sujet provoque une réaction d’Interpol, c’est un bon signe. J’espère qu’à l’avenir, grâce à nos travaux, il n’y aura plus de détournement possible du système Interpol.

LE PRÉSIDENT* – M. Cepeda, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. YEMETS (Ukraine)* – Permettez-moi tout d’abord de remercier M. Fabritius pour son excellent rapport sur un sujet extrêmement important pour tous nos pays.

Interpol est l’un des instruments les plus efficaces en matière de coopération internationale et de lutte contre la criminalité transnationale, y compris contre le terrorisme. Mais à l’heure actuelle, cet organisme réunit des pays ayant atteint des niveaux différents en matière de démocratie, et qui traitent donc différemment leurs opposants politiques ou les réfugiés. Dans certains d’entre eux, la violence est souvent utilisée pour les persécuter.

Le détournement abusif de ce système est également utilisé pour intimider d’autres États. Cela a été le cas, récemment, lorsque la Fédération de Russie a tenté de lancer un mandat d’arrêt international à l’encontre d’un ancien ministre ukrainien. Mais nous pourrions citer maints exemples de manipulation. Il en est d’ailleurs fait état dans le rapport.

De telles manipulations ont un impact direct sur les droits de l’homme et discréditent Interpol. Je suis convaincu que cet organisme devrait prendre des mesures concrètes pour prévenir de tels abus, pour fournir, conformément aux principes du Conseil de l’Europe, une aide aux victimes de telles manipulations et être en mesure de faire la distinction entre les différentes affaires, notamment celles motivées par des raisons politiques.

Des mesures doivent être prises afin d’aider Interpol à gérer l’utilisation croissante de ces services. Il faut donc que toutes les mesures nécessaires soient prises pour assurer l’efficacité d’Interpol et protéger l’agence de toute manipulation.

Je souhaite redire ici que je soutiens Interpol et ses activités. La résolution qui nous est présentée aujourd’hui sera utile pour renforcer l’efficacité de cette organisation.

LE PRÉSIDENT – M. Uysal, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

M. TILSON (Canada, observateur)* – Nous sommes ce soir invités à parler du détournement des notices rouges d’Interpol et de l’importance de la coopération de la police pour lutter contre le crime international, tout en veillant à respecter les droits de l’homme et l’État de droit.

Comme vous le savez, ces notices rouges sont des alertes électroniques publiées par Interpol à la demande d’un pays pour essayer de localiser et d’arrêter une personne recherchée. C’est un outil très important pour les agences de répression.

En 2009, le Canada a été l’un des premiers pays à donner accès à ses officiers aux bases de données d’Interpol. Cela a permis de rendre les enquêtes de police plus efficaces. Le Canada considère le respect de l’État de droit comme essentiel, quelle que soit l’enquête pénale. C’est la raison pour laquelle les agences de répression canadiennes ne peuvent demander une notice rouge que lorsqu’elles ont de bonnes raisons de penser qu’un crime ou une infraction a été commise. Ces raisons doivent être justifiées de manière objective. Lorsqu’elles adressent une demande à Interpol, elles doivent également réexpliquer les principes de la charte canadienne des droits et des libertés, comme la liberté d’expression, la présomption d’innocence et le droit de ne pas être détenu de manière arbitraire.

J’appuie pleinement les réformes proposées dans le rapport, telles que le renforcement de l’indépendance de la commission chargée des contrôles des dossiers et la création d’un fonds pour l’indemnisation des victimes de ces notices rouges.

En 2013, le Canada a renforcé le contrôle de la police montée royale canadienne, l’organisme responsable du bureau central national, qui fait les demandes de notices rouges. Le projet de loi C-42 a permis de mettre en place un mécanisme de recours pour permettre de renforcer la responsabilité de cette police montée face au public.

En 2015, le Canada a également adopté la déclaration des droits des victimes renforçant ainsi le droit de victimes. Je pense qu’effectivement, cela permettra de renforcer la crédibilité d’Interpol et lui permettra de lutter contre le crime transnational, y compris le crime de terrorisme.

M. KANDELAKI (Géorgie)* – L’augmentation du nombre de tentatives d’abus du système Interpol a une raison essentielle: la Fédération de Russie a essayé d’accroître son influence au sein de cette institution très importante. La Russie et d’autres États aux régimes autoritaires ont essayé, de plus en plus fréquemment, d’abuser du système Interpol.

M. Prokopchuk est devenu numéro deux d’Interpol, responsable des affaires européennes. C’est un ancien général, et sa biographie indique qu’il avait dirigé une partie de la campagne russe contre mon pays en 2008. Ce n’est donc pas étonnant que trois officiers décorés géorgiens aient tout à coup fait l’objet de notices rouges. En 2013, mon collègue parlementaire Givi Targamadze a également fait l’objet d’une notice rouge pour avoir prétendument participé à la tentative de fomenter un coup d’État en Russie. Cette notice a été annulée par la suite, car elle était sans objet, mais dans l’attente, ces personnes se retrouvent en situation fâcheuse, notamment empêchées de voyager.

Il est vrai que mon pays n’est peut-être pas au-dessus de tout reproche. Il y a certainement des cas d’abus et de tentatives d’utilisation des leviers d’Interpol pour persécuter l’opposition. Mais Interpol, heureusement, a bien réagi et a refusé qu’un ancien ministre de la défense soit poursuivi. Un tribunal français a conclu que la demande de poursuite et d’extradition était motivée uniquement par des considérations politiques et devait être purement et simplement ignorée.

Monsieur Fabritius, votre rapport est une première étape très importante pour mettre un terme à une situation déplorable. J’encourage tous les collègues ici présents – et tous les absents – à se mobiliser auprès des autorités pour qu’elles soient attentives à ces tentatives de détournement et y mettent fin, car c’est une honte.

Mme Gambaro, Vice-Présidente de l’Assemblée, remplace M. Corlãţean au fauteuil présidentiel.

Mme KARAPETYAN (Arménie)* – Permettez-moi tout d’abord de remercier le rapporteur pour son excellent travail. Il s’agit d’un sujet essentiel qui mérite toute notre attention du fait de ses implications sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Oui, nous devons souligner l’importance d’Interpol en tant qu’instrument de coopération internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale. Mais il faut affirmer sans ambiguïté qu’aucun pays n’est autorisé à faire usage de la réputation et du nom d’Interpol pour atteindre ses propres objectifs, particulièrement s’ils sont de nature politique.

Le rapport mentionne à juste titre des exemples d’abus du système Interpol. Plusieurs États membres, souvent de manière délibérée, ont cherché à violer l’article 3 du statut d’Interpol qui interdit clairement toute utilisation pour des motifs politiques, militaires, religieux ou racistes.

Certains cas concernent l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan a demandé au Bélarus d’arrêter M. Lapchine, blogueur accusé de s’être montré critique à l’égard du Gouvernement azerbaïdjanais et de s’être rendu dans le Haut-Karabakh, province qui s’est séparée de l’Azerbaïdjan il y a un quart de siècle. Interpol a rejeté la demande de l’Azerbaïdjan, mais le blogueur, qui a les nationalités russe et israélienne, a néanmoins été arrêté et extradé vers Bakou.

Lamentablement, pour tenter de justifier ses actes en faveur de son ami le président Azerbaïdjanais Ilham Aliev, le Président du Bélarus a cité un mandat d’arrêt d’Interpol. Cela constitue sans doute une autre forme d’abus, le nom de l’organisation étant cité à mauvais escient sans aucune conséquence pour la personne responsable.

Cet usage abusif d’Interpol a connu une suite encore plus ridicule. Seulement deux semaines après l’extradition de M. Lapchine, les autorités d’Azerbaïdjan ont lancé des mandats d’arrêt contre trois membres du Parlement européen qui s’étaient rendu au Haut-Karabakh pour y observer le déroulement d’un référendum constitutionnel. Dans d’autres cas, des archéologues sont recherchés par l’Azerbaïdjan pour leurs activités professionnelles.

J’espère que nos efforts permettront de veiller à ce qu’une organisation aussi importante qu’Interpol soit respectée et continue d’œuvrer afin de lutter contre la criminalité, et qu’elle ne soit pas utilisée comme tribune politique.

M. HOWELL (Royaume-Uni)* – Je me félicite également de ce rapport. Aujourd’hui, nous constatons que le système judiciaire fait l’objet de détournements. Il ne s’agit pas uniquement d’Interpol, mais aussi du mandat d’arrêt européen: la Pologne l’utiliserait pour émettre des mandats pour des amendes de stationnement.

Interpol joue un rôle dans le combat contre la criminalité la plus grave, et notamment le terrorisme. Cette organisation devrait être utilisée par les États membres pour partager des informations, nous en avons grand besoin, c’est essentiel dans la répression de la criminalité internationale. Les bases de données et les outils d’Interpol sont essentiels pour combattre la criminalité transnationale, arrêter les personnes dangereuses et protéger les personnes vulnérables.

Ce sont les notices rouges, qui permettent d’arrêter et de localiser des personnes, qui font l’objet d’abus. Actuellement, près de 50 000 notices rouges ont été établies, dont certaines sont publiques. L’abus de ces notices rouges peut entraîner une détention, empêcher une personne de voyager, porter atteinte à sa réputation et susciter l’angoisse de se savoir internationalement recherché. Il est donc très important de s’assurer que ce système est utilisé à bon escient.

Ce rapport n’est pas le premier à appeler l’attention sur le détournement des notices rouges. Nous avons déjà dit à quel point de tels abus portaient atteinte aux droits de l’homme et allaient à l’encontre de l’impossibilité, pour Interpol, de s’immiscer dans les affaires militaires, politiques ou religieuses. Mais comme le montre clairement ce rapport, une personne qui fait l’objet d’une telle notice ne peut la contester devant une cour nationale ou internationale. Cela donne à Interpol le pouvoir de se placer au-dessus de la loi, et les personnes qui ont été ciblées pour des raisons politiques sont désavantagées. Le mécanisme de recours est limité, et le rapport appelle à juste titre à le réformer, il faut y consacrer plus de ressources.

Interpol fait partie de notre arsenal de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, il est important qu’il fonctionne correctement et ne fasse pas l’objet de détournements.

M. ZINGERIS (Lituanie)* – Ce rapport est évidemment très précieux. Il en est de même de ce débat et du projet de résolution de notre ami Bernd Fabritius.

Il est bien sûr nécessaire de disposer d’un instrument qui ne puisse pas être détourné de son objet par les États autoritaires, qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreux sur la planète. Interpol ne doit pas servir d’instrument pour pourchasser les opposants politiques et les persécuter.

Il y a quelques mois, la Lituanie a été saisie d’une demande concernant un opposant russe. Cette personne se trouvait en Lituanie. Elle avait publié des écrits contre Moscou. Or elle s’est fait arrêter à Chypre parce qu’elle faisait l’objet d’une notice rouge, alors qu’il s’agissait d’un réfugié politique. Nous avons mobilisé notre gouvernement qui a soumis tous les éléments probatoires nécessaires aux autorités chypriotes pour éviter que cet opposant ne continue d’avoir des ennuis. Comme cela a déjà été souligné, certains usent et abusent du système Interpol pour traquer ceux qu’ils appellent des ennemis de l’État.

Le Conseil de l’Europe doit tout faire pour éviter ces abus. Interpol réunit quelque 180 États. L’Union européenne dispose du mandat d’arrêt européen. Nos sociétés démocratiques, où existe une véritable séparation des pouvoirs, font confiance à la justice et au parquet. Malgré tout, en raison de rivalités politiques, il peut y avoir chez nous la tentation d’utiliser un système à des fins partisanes. Je pourrais citer des exemples. Nous-mêmes ne sommes pas à l’abri du déclenchement de procédures en notices rouges abusives. Je pense au cas troublant de M. Adamescu, il y a quelques mois, un rédacteur en chef d’un journal roumain, ou à des personnes qui se trouvent en Allemagne et qui font, elles aussi, l’objet de notices rouges.

Il faut vraiment mettre un terme à l’utilisation abusive d’Interpol, en particulier par des États autoritaires. Ce que le rapport de M Fabritius préconise va vraiment dans le bon sens. Je le félicite. Je vous remercie, chers collègues, pour votre travail fantastique. Je félicite également toute l’équipe qui a travaillé avec vous.

M. Vusal HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Je souhaite féliciter à mon tour M. Fabritius pour son rapport fort bien préparé. Il contribuera à l’élimination des abus du système Interpol en matière de droits de l’homme.

Si j’ai demandé à intervenir, c’est que je savais que la question d’Alexandre Lapchine serait abordée ici. M. Fabritius l’a évoquée dans son propos liminaire. Je tiens auparavant à rappeler que le Haut-Karabakh est un territoire de l’Azerbaïdjan actuellement occupé par l’Arménie, comme l’ont reconnu des résolutions récentes. J’invite donc nos collègues arméniens à ne pas inverser la situation: chacun sait que le Haut-Karabakh est un territoire sous juridiction azerbaïdjanaise.

Je reviens à Alexandre Lapchine, un homme qui possède trois nationalités et qui, en dépit des avertissements du ministère des Affaires étrangères, s’est rendu illégalement sur le territoire azerbaïdjanais occupé illégalement par l’Arménie. Il y a violation de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Alors qu’il savait qu’il était sur la liste des personnes indésirables, il est entré en utilisant un autre passeport, bafouant ainsi le droit azerbaïdjanais. Une procédure pénale a été évidemment lancée à son encontre, puisqu’il était, je le répète, sur la liste des personnes recherchées.

Il ne faut pas se livrer à des provocations politiques. L’Arménie attire de manière illégale et frauduleuse des étrangers au Haut-Karabakh, en vue de les utiliser pour sa propre propagande politique. Tout le monde devrait respecter l’intégrité territoriale et la législation nationale de tous les États. Nous ne devons donc pas imaginer ici un contexte politique: il faut examiner cette affaire d’un point de vue purement juridique.

Ce rapport contribuera à l’amélioration d’Interpol et du système des notices rouges. Interpol continuera d’être un outil important de coopération entre toutes les agences de répression de nos différents États membres.

LA PRÉSIDENTE – La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

Monsieur Fabritius, il vous reste 4 minutes.

M. FABRITIUS (Allemagne), rapporteur* – J’essaierai de faire le point rapidement.

Monsieur Árnason, en tant qu’ancien policier vous avez confirmé que la confiance dans Interpol est essentielle. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je vous remercie de voir, en tant que policier, les choses de la même façon que moi.

Monsieur Kross, je vous remercie également pour avoir dit qu’il s’agit d’un problème politique. Vous avez raison, vous aussi. C’est, de la part de certains pays, un manque de conscience démocratique qui entraîne les détournements de procédure d’Interpol. C’est la raison pour laquelle il faut prévoir des sanctions en cas d’abus. Comme il s’agit de relations interétatiques, il faut taper au portefeuille les États coupables.

Monsieur Feist vous avez bien compris, vous aussi, les enjeux et proposé des mesures. C’est vrai que nous sommes face à un exercice de funambulisme. Il faut respecter un équilibre entre la transparence et la justification de l’action d’Interpol, d’une part, et, d’autre part, l’efficacité de cette organisation qu’il ne faut pas affaiblir mais qui doit rester pleinement fonctionnelle.

Monsieur Yemets, vous avez évoqué la Russie. Mais la Russie n’est pas le seul pays à abuser du système. Malheureusement, parmi les 190 États membres d’Interpol, plusieurs usent et abusent du système, qu’il faut précisément protéger contres ces manipulations.

Je remercie M. Tilson d’avoir pris la parole pour le Canada, car ce pays est un des premiers à avoir utilisé Interpol. La Charte canadienne des droits et libertés que vous avez évoquée est méritoire et ce ne sont pas des pays comme le vôtre qui pose des problèmes au sein d’Interpol. Ce sont ceux qui cherchent à détourner le système.

Monsieur Kandelaki, vous aussi avez chargé la Russie: je le répète, on ne peut pas se contenter de faire de la Russie la source de tous les maux et de tous les abus. Interpol réunit 190 pays, et parmi eux il y a aussi le Kenya, le Bangladesh ou la Chine. De nombreux pays ne cherchent pas à utiliser Interpol à bon escient, c’est-à-dire en respectant les valeurs que nous cherchons à défendre. Il s’agit d’empêcher tout détournement, d’où qu’il vienne.

Madame Karapetyan, vous avez évoqué notamment le cas Lapchine: Interpol a été calomnié dans cette affaire en alléguant que c’est Interpol qui avait violé les droits de cette personne. Pas du tout! C’est sur la base d’une entente bilatérale que l’affaire Lapchine a éclaté.

Interpol n’y était pour rien. C’est pourquoi il est nécessaire de savoir si une notice rouge a été établie.

Monsieur Howell et Monsieur Zingeris, vous avez tous deux évoqué le mandat d’arrêt européen. Mais, en fait, il n’existe aucun lien entre le mandat d’arrêt européen de l’Union européenne et les notices rouges produites par Interpol. Le mandat d’arrêt européen est exclusivement un instrument de l’Union européenne qui existe depuis 2002 et qui permet d’exécuter, au niveau de l’Union européenne, des mandats d’arrêt émis dans un État membre de l’Union européenne. Cela n’a aucun rapport avec les risques de détournement de procédure Interpol. Si vous pensez qu’il est également nécessaire de se livrer à une enquête sur le mandat d’arrêt européen de l’Union européenne, il conviendrait d’y procéder de manière séparée.

Monsieur Huseynov, vous avez également évoqué l’affaire Lapchine, au sujet de laquelle j’ai déjà répondu.

Merci à tous de vos interventions. Je peux vous promettre une chose: je serai extrêmement vigilant quant à la mise en œuvre des mesures correctives qui ont été décidées. J’espère que nous en reparlerons.

M. SCHWABE (Allemagne), vice-président de la commission des questions juridiques* – Au nom de la commission, je remercie très chaleureusement M. Fabritius. Le débat a montré à quel point il maîtrisait le sujet et à quel point il s’y est investi. En tant que vice-président de la commission, je veux encore une fois le féliciter. J’avais eu moi-même l’occasion de me pencher sur le sujet. J’avais constaté un certain nombre d’affaires absurdes, kafkaïennes. M. Fabritius a parfaitement mesuré les enjeux. Il est nécessaire, en effet, que les choses se passent de manière plus correcte et transparente.

Le fait que notre Assemblée se soit penchée sur la question a permis d’améliorer le système Interpol et d’en libérer des victimes.

Je vous informe qu’une réunion a eu lieu aujourd’hui avec notre ancienne ministre Däubler-Gmelin, réunion qui a permis d’évoquer l’ensemble des enjeux.

J’ai eu l’occasion de présenter hier un rapport sur le Caucase du Nord, qui nous a également offert l’occasion de constater des faits passionnants.

M. Fabritius a réalisé un travail remarquable qui permet de progresser dans certains dossiers individuels, mais aussi sur un plan plus général. Au nom de la commission, j’espère que le rapport de M. Fabritius recueillera un très large assentiment.

LA PRÉSIDENTE* – La discussion générale est close.

Nous allons maintenant procéder au vote sur le projet de résolution contenu dans le Doc. 14277.

Le projet de résolution est adopté à l’unanimité des 51 votants.

6. Prochaine séance publique

LA PRÉSIDENTE* – La prochaine séance publique aura lieu demain à 10 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 19 h 25.

SOMMAIRE

1. Modifications dans la composition des commissions

2. Rapport annuel d’activité 2016 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

M. Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme

Questions: MM. Farmanyan, Le Borgn’, Goncharenko, Mmes Brasseur, Kavvadia, Blondin, MM. Schwabe, Gutiérrez, Corlăţean, Rafael Huseynov, Ghiletchi, Csenger-Zalán, Herkel, Mme Christoffersen, M. Silva, Mme Huovinen, M. Vusal Huseynov, Mme Durrieu, M. Kürkçü, Mmes Christodoulopoulou, Chugoshvili, MM. Sabella, Honkonen

3. Les valeurs européennes en danger: faire face à la montée de la xénophobie, de l’antisémitisme et de l’islamophobie en Europe (Débat d’actualité)

Orateurs: Mme De Sutter, M. Howell, Mmes Rodríguez Hernández, Jakobsdóttir, Centemero, Gosselin-Fleury, Bartos, MM. Corlăţean, Elalouf, Mmes Gafarova, Prună, MM. Oliver, Kiral, Wold, Mme Ævarsdóttir, M. Rafael Huseynov

4. Vingt-cinq ans de CPT: progrès accomplis et améliorations à apporter

Présentation par M. Xuclà du rapport de la commission des questions juridiques (Doc. 14280)

Orateurs: M. Mahoux, Mme Goguadze, M. Daems, Mme Gorrotxategui, MM. Vusual Huseynov, Farmanyan, Mmes Kerestecioğlu Demir, Ævarsdóttir, MM. Maltais, Tilson, Crowe

Réponses du rapporteur et de M. Fabritius, vice-président de la commission des questions juridiques

Votes sur un projet de résolution et un projet de recommandation

5. Détournement du système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes

Présentation par M. Fabritius du rapport de la commission des questions juridiques (Doc. 14277)

Orateurs: MM. Árnason, Kross, Feist, Yemets, Tilson, Kandelaki, Mme Karapetyan, MM. Howell, Zingeris, Vusal Huseynov

Réponses du rapporteur et de M. Schwabe, vice-président de la commission des questions juridiques

Vote sur un projet de résolution

6. Prochaine séance publique

Appendix / Annexe

Representatives or Substitutes who signed the register of attendance in accordance with Rule 12.2 of the Rules of Procedure.The names of members substituted follow (in brackets) the names of participating members.

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement.Le nom des personnes remplacées suit celui des Membres remplaçant, entre parenthèses.

ÅBERG, Boriana [Ms]

ÆVARSDÓTTIR, Thorhildur Sunna [Ms]

ALLAVENA, Jean-Charles [M.]

ANDERSON, Donald [Lord]

ARIEV, Volodymyr [Mr]

ÁRNASON, Vilhjálmur [Mr]

ARNAUT, Damir [Mr]

BALIĆ, Marijana [Ms]

BARTOS, Mónika [Ms] (CSÖBÖR, Katalin [Mme])

BAYKAL, Deniz [Mr]

BERGAMINI, Deborah [Ms]

BERNACKI, Włodzimierz [Mr]

BİLGEHAN, Gülsün [Mme]

BILLSTRÖM, Tobias [Mr]

BÎZGAN-GAYRAL, Oana-Mioara [Ms] (BRĂILOIU, Tit-Liviu [Mr])

BLONDIN, Maryvonne [Mme]

BOSIĆ, Mladen [Mr]

BRASSEUR, Anne [Mme]

BRUYN, Piet De [Mr]

BÜCHEL, Roland Rino [Mr] (MÜLLER, Thomas [Mr])

CENTEMERO, Elena [Ms]

CEPEDA, José [Mr]

CHRISTODOULOPOULOU, Anastasia [Ms]

CHRISTOFFERSEN, Lise [Ms]

CHUGOSHVILI, Tamar [Ms]

CILEVIČS, Boriss [Mr] (LĪBIŅA-EGNERE, Inese [Ms])

CORLĂŢEAN, Titus [Mr]

CORSINI, Paolo [Mr]

CROWE, Seán [Mr]

CRUCHTEN, Yves [M.]

CSENGER-ZALÁN, Zsolt [Mr]

DAEMS, Hendrik [Mr] (DUMERY, Daphné [Ms])

DALLOZ, Marie-Christine [Mme] (MARIANI, Thierry [M.])

DIVINA, Sergio [Mr]

DURRIEU, Josette [Mme]

EBERLE-STRUB, Susanne [Ms]

ESEYAN, Markar [Mr]

ESTRELA, Edite [Mme] (ROSETA, Helena [Mme])

FABRITIUS, Bernd [Mr] (HENNRICH, Michael [Mr])

FARMANYAN, Samvel [Mr]

FATALIYEVA, Sevinj [Ms] (HAJIYEV, Sabir [Mr])

FAZZONE, Claudio [Mr] (BERNINI, Anna Maria [Ms])

FEIST, Thomas [Mr] (OBERMEIER, Julia [Ms])

FOURNIER, Bernard [M.]

FRANKOVIĆ, Mato [Mr]

FRESKO-ROLFO, Béatrice [Mme]

FRIDEZ, Pierre-Alain [M.]

GAFAROVA, Sahiba [Ms]

GALATI, Giuseppe [Mr] (SANTANGELO, Vincenzo [Mr])

GALE, Roger [Sir]

GAMBARO, Adele [Ms]

GATTI, Marco [M.]

GHILETCHI, Valeriu [Mr]

GIRO, Francesco Maria [Mr]

GOGUADZE, Nino [Ms] (KVATCHANTIRADZE, Zviad [Mr])

GONCHARENKO, Oleksii [Mr]

GORROTXATEGUI, Miren Edurne [Mme] (BALLESTER, Ángela [Ms])

GOSSELIN-FLEURY, Geneviève [Mme] (KARAMANLI, Marietta [Mme])

GOY-CHAVENT, Sylvie [Mme]

GUTIÉRREZ, Antonio [Mr]

HAGEBAKKEN, Tore [Mr] (SCHOU, Ingjerd [Ms])

HEER, Alfred [Mr]

HERKEL, Andres [Mr] (MIKKO, Marianne [Ms])

HETTO-GAASCH, Françoise [Mme]

HOFFMANN, Rózsa [Mme] (VEJKEY, Imre [Mr])

HOLÍK, Pavel [Mr] (MARKOVÁ, Soňa [Ms])

HONKONEN, Petri [Mr] (PACKALÉN, Tom [Mr])

HOPKINS, Maura [Ms]

HOWELL, John [Mr]

HUOVINEN, Susanna [Ms] (GUZENINA, Maria [Ms])

HUSEYNOV, Rafael [Mr]

HUSEYNOV, Vusal [Mr] (PASHAYEVA, Ganira [Ms])

JAKOBSDÓTTIR, Katrín [Ms]

JENIŠTA, Luděk [Mr]

JENSEN, Mogens [Mr]

JENSSEN, Frank J. [Mr]

JOVANOVIĆ, Jovan [Mr]

KALMARI, Anne [Ms]

KANDELAKI, Giorgi [Mr] (BAKRADZE, David [Mr])

KANDEMİR, Erkan [Mr]

KARAPETYAN, Naira [Ms] (ZOHRABYAN, Naira [Mme])

KARLSSON, Niklas [Mr]

KAVVADIA, Ioanneta [Ms]

KERESTECİOĞLU DEMİR, Filiz [Ms]

KIRAL, Serhii [Mr] (LABAZIUK, Serhiy [Mr])

KORUN, Alev [Ms]

KOX, Tiny [Mr]

KRIŠTO, Borjana [Ms]

KROSS, Eerik-Niiles [Mr]

KÜRKÇÜ, Ertuğrul [Mr]

KYRIAKIDES, Stella [Ms]

LE BORGN’, Pierre-Yves [M.]

LEITE RAMOS, Luís [M.]

LEŚNIAK, Józef [M.] (POMASKA, Agnieszka [Ms])

LOGVYNSKYI, Georgii [Mr]

LOUCAIDES, George [Mr]

MAHOUX, Philippe [M.]

MAROSZ, Ján [Mr]

MARQUES, Duarte [Mr]

MASIULIS, Kęstutis [Mr] (ŠAKALIENĖ, Dovilė [Ms])

MAURY PASQUIER, Liliane [Mme]

MAVROTAS, Georgios [Mr] (KASIMATI, Nina [Ms])

MILEWSKI, Daniel [Mr]

MULLEN, Rónán [Mr] (COWEN, Barry [Mr])

MUNYAMA, Killion [Mr] (HALICKI, Andrzej [Mr])

NENUTIL, Miroslav [Mr]

NICOLINI, Marco [Mr] (D’AMBROSIO, Vanessa [Ms])

OBRADOVIĆ, Marija [Ms]

OBREMSKI, Jarosław [Mr] (BUDNER, Margareta [Ms])

OHLSSON, Carina [Ms]

O’REILLY, Joseph [Mr]

PALIHOVICI, Liliana [Ms] (BULIGA, Valentina [Mme])

PALLARÉS, Judith [Ms]

PANTIĆ PILJA, Biljana [Ms]

PAŠKA, Jaroslav [M.]

PECKOVÁ, Gabriela [Ms] (KOSTŘICA, Rom [Mr])

POCIEJ, Aleksander [M.] (KLICH, Bogdan [Mr])

PODOLNJAK, Robert [Mr] (HAJDUKOVIĆ, Domagoj [Mr])

POZZO DI BORGO, Yves [M.] (GROSDIDIER, François [M.])

PREDA, Cezar Florin [M.]

PRUNĂ, Cristina-Mădălina [Ms]

PSYCHOGIOS, Georgios [Mr] (ANAGNOSTOPOULOU, Athanasia [Ms])

REISS, Frédéric [M.] (ZIMMERMANN, Marie-Jo [Mme])

RIGONI, Andrea [Mr]

ROCA, Jordi [Mr] (BARREIRO, José Manuel [Mr])

RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ, Melisa [Ms]

ROUQUET, René [M.]

RUSTAMYAN, Armen [M.] (ZOURABIAN, Levon [Mr])

SANTA ANA, María Concepción de [Ms]

SCHENNACH, Stefan [Mr]

SCHNABEL, Paul [Mr]

SCHNEIDER, André [M.] (ROCHEBLOINE, François [M.])

SCHNEIDER-SCHNEITER, Elisabeth [Mme] (LOMBARDI, Filippo [M.])

SCHRIJVER, Nico [Mr]

SCHWABE, Frank [Mr]

ŠEPIĆ, Senad [Mr]

SILVA, Adão [M.]

SOBOLEV, Serhiy [Mr]

SOTNYK, Olena [Ms]

SPADONI, Maria Edera [Ms] (CATALFO, Nunzia [Ms])

STROE, Ionuț-Marian [Mr]

SUTTER, Petra De [Ms] (DESTEXHE, Alain [M.])

THIÉRY, Damien [M.]

TILKI, Attila [Mr] (GULYÁS, Gergely [Mr])

TORNARE, Manuel [M.] (FIALA, Doris [Mme])

TRUSKOLASKI, Krzysztof [Mr]

VÁHALOVÁ, Dana [Ms]

VALEN, Snorre Serigstad [Mr]

VAREIKIS, Egidijus [Mr]

VEN, Mart van de [Mr]

VENIZELOS, Evangelos [M.] (BAKOYANNIS, Theodora [Ms])

VERCAMER, Stefaan [M.]

VIROLAINEN, Anne-Mari [Ms]

WENAWESER, Christoph [Mr]

WERNER, Katrin [Ms]

WIECHEL, Markus [Mr] (NISSINEN, Johan [Mr])

WILK, Jacek [Mr]

WOJTYŁA, Andrzej [Mr]

WOLD, Morten [Mr]

WURM, Gisela [Ms]

XUCLÀ, Jordi [Mr] (BILDARRATZ, Jokin [Mr])

YEMETS, Leonid [Mr]

ZELIENKOVÁ, Kristýna [Ms]

ZINGERIS, Emanuelis [Mr]

Also signed the register / Ont également signé le registre

Representatives or Substitutes not authorised to vote / Représentants ou suppléants non autorisés à voter

BESELIA, Eka [Ms]

BONET, Sílvia Eloïsa [Ms]

CORREIA, Telmo [M.]

FIALA, Doris [Mme]

MAGAZINOVIĆ, Saša [Mr]

MOŻDŹANOWSKA, Andżelika [Ms]

OVERBEEK, Henk [Mr]

ÖZSOY, Hişyar [Mr]

RIBERAYGUA, Patrícia [Mme]

SCHOU, Ingjerd [Ms]

ZAVOLI, Roger [Mr]

Observers / Observateurs

DAVIES, Don [Mr]

DOWNE, Percy [Mr]

ELALOUF, Elie [M.]

LARIOS CÓRDOVA, Héctor [Mr]

MALTAIS, Ghislain [M.]

O’CONNELL, Jennifer [Ms]

OLIVER, John [Mr]

ROMO MEDINA, Miguel [Mr]

TILSON, David [Mr]

Partners for democracy / Partenaires pour la démocratie

ALQAWASMI, Sahar [Ms]

AMRAOUI, Allal [M.]

KHADER, Qais [Mr]

SABELLA, Bernard [Mr]

Representatives of the Turkish Cypriot Community (In accordance to Resolution 1376 (2004) of

the Parliamentary Assembly)/ Représentants de la communauté chypriote turque

(Conformément à la Résolution 1376 (2004) de l’Assemblée parlementaire)

Mehmet ÇAĞLAR

Erdal ÖZCENK