FR18CR17

AS (2018) CR 17

SESSION ORDINAIRE DE 2018

________________

(Deuxième partie)

COMPTE RENDU

de la dix-septième séance

Jeudi 26 avril 2018 à 15 h 30

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 15 h 35 sous la présidence de M. Jonas Gunnarsson, Vice-Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. Le rôle de l’Europe dans les initiatives de processus de paix en Syrie
(Débat d’actualité)

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle notre débat d’actualité sur «Le rôle de l’Europe dans les initiatives de processus de paix en Syrie».

Le temps de parole de chaque intervenant est fixé à 3 minutes, à l’exception du premier orateur, désigné par le Bureau parmi l’un des initiateurs du débat, qui dispose de 10 minutes.

La parole est à Mme Brynjólfsdóttir, première oratrice désignée par le Bureau.

Mme BRYNJÓLFSDÓTTIR (Islande)* – Mes chers collègues, ce qui a commencé par une répression brutale menée par les forces de sécurité syriennes en 2011 contre des manifestants hostiles au régime de Bachar el-Assad a entraîné 7 longues et sombres années d’une guerre atroce.

Au cours de ces années, la Syrie est devenue le champ de bataille de puissances internationales et régionales, où s’affrontent notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, la Fédération de Russie, la France, la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, Israël, le Qatar, ainsi que les Émirats arabes unis. Au fil des années, en effet, le conflit en Syrie est devenu plus qu’une guerre civile entre les soutiens et les opposants du régime d’Assad. C’est désormais une scène pour des puissances étrangères qui ont forgé des alliances complexes basées sur des intérêts contradictoires. La situation sur le terrain est extrêmement complexe, de sorte que la solution politique et pacifique du conflit est encore moins probable.

Un nombre incalculable de groupes militaires, qui représentent des groupes ethniques et des intérêts différents, aux interconnexions complexes, mais aussi des combattants étrangers, des individus qui se rendent de façon indépendante en Syrie pour prendre part à la guerre, s’y affrontent.

Cette guerre a été décrite comme étant la pire crise humanitaire de notre temps. Cette catastrophe humanitaire a pris des proportions terribles: des crimes atroces, les déplacements forcés, le recours aux armes chimiques, les attentats visant les civils y sont devenus monnaie courante.

Le conflit a poussé près de 6 millions de personnes à fuir la Syrie, dont la plupart sont des femmes et des enfants selon les chiffres des Nations Unies. En outre, 6,3 millions de Syriens sont déplacés au sein de leur propre pays. De surcroît, 2,9 millions de personnes ne peuvent être atteintes par les organisations humanitaires qui sont présentes en Syrie pour leur apporter une assistance et répondre à leurs besoins fondamentaux. Ces chiffres sont si élevés qu’il nous est difficile de comprendre la réalité qu’ils traduisent. Il faut bien se souvenir que derrière chaque chiffre, il y a un être humain, une vie humaine, souvent une femme ou un enfant.

La vaste majorité des Syriens réfugiés se sont rendus dans les pays voisins qui ont assumé leurs responsabilités et les ont accueillis. Alors même que ces pays, comme la Jordanie, ont une longue histoire d’accueil de réfugiés venus des pays voisins, les autorités jordaniennes et le roi de Jordanie lui-même ont confirmé, lors d’une réunion de la commission des migrations qui s’est tenue à Amman au mois de mars que la tâche exigeante de recevoir ces Syriens qui fuient la guerre a poussé la Jordanie à atteindre la limite de ses capacités, ce qui pourrait mener à une révision de la politique d’accueil de ce pays.

Le taux de chômage et la situation économique dégradée en Jordanie n’aident pas. L’Assemblée parlementaire ne saurait ignorer ce risque toujours plus important d’instabilité et d’insécurité en Jordanie, au Liban et en Turquie, lié à la catastrophe humanitaire.

Ces pays ont reçu la majorité des réfugiés syriens. L’Europe, elle, n’en a accueilli que 10 % alors qu’ils fuient des conditions de vie intenables. Notre humanité est mise à l’épreuve, et l’Europe a failli dans cette épreuve.

Quel peut être le rôle de l’Europe, désormais, dans une initiative de paix en Syrie? Certes, l’Europe contribue à l’aide humanitaire. L’Union européenne a ainsi mobilisé plus de 10,6 milliards de dollars. Mais comme continent, nous ne pouvons apaiser notre conscience par de seuls dons aux ONG ou des soutiens financiers aux gouvernements de la région, tout en restant les bras croisés, laissant aux autres le soin de trouver des solutions pérennes.

Nos solutions ne s’intéressent qu’aux symptômes, et non aux causes profondes du problème: voyez l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie concernant les migrants. Cette solution règle pour le moment, du point du vue européen, la crise migratoire; mais les réfugiés syriens, eux, sont dans des situations qui violent leurs droits les plus fondamentaux, non seulement dans les pays voisins de la Syrie, mais également en Europe. Les critiques sur les camps de détention en Grèce émises par la communauté internationale et les ONG le montrent.

Chers collègues, assumons nos responsabilités et nos devoirs. Mettons un terme à l’horreur en Syrie. L’action militaire menée par la France et le Royaume-Uni le 14 avril dernier, aux côtés des États-Unis et avec le soutien de nombreuses puissances occidentales, ne saurait nous dédouaner. Ne vous méprenez pas sur mes propos. Le recours aux armes chimiques est un crime et les responsables devront répondre de leurs actes, au regard du droit international. La Résolution 2118 (2013) du Conseil de sécurité des Nations Unies demande d’ailleurs au régime syrien de se débarrasser de ses stocks d’armes chimiques. Cependant, l’intervention militaire comme forme de réponse à l’utilisation d’armes chimiques entraîne le risque d’une escalade de violence encore plus aigüe, et une perte possible de contrôle, renforçant le risque d’une confrontation militaire directe entre les États-Unis, la Fédération de Russie et l’Iran, avec une possible intervention de la Turquie et d’Israël. Les frappes aériennes ne vont pas résoudre le problème de la guerre en Syrie. Les cycles de pourparlers innombrables lancés par les Nations Unies, par la Fédération de Russie et les États Unis, à Genève, à Astana ou Sotchi, n’ont obtenu que des résultats très limités. Il est possible de changer la situation. L’Europe doit combler le vide manifeste laissé par la communauté internationale. Elle doit s’appuyer sur les leçons de son histoire et des deux guerres mondiales.

La Syrie est la plus grande menace qui pèse sur la paix et la sécurité mondiales. Nous ne pouvons rester des témoins passifs. Notre Assemblée a analysé le conflit syrien de très près au cours des 7 dernières années; je citerai la Résolution 2107 (2016) sur «Une réponse renforcée de l’Europe à la crise des réfugiés syriens» et la Résolution 2190 (2017) sur «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech»; enfin, le rapport en préparation de Mme Bakoyannis synthétisera un travail très approfondi sur la situation en Syrie et sur ses conséquences sur les pays voisins.

Mes chers collègues, notre rôle est vital, et notre message, en tant qu’Assemblée parlementaire, doit être limpide. Nous devons mettre l’accent sur les négociations, en vue de trouver une solution politique au conflit, avec un accès au processus de paix pour toutes les parties prenantes. Il faut un plan de paix d’urgence pour la Syrie. La communauté internationale doit y apporter un soutien actif. L’Europe doit jouer un rôle plus important, et être plus unie. Seule une diplomatie européenne active permettra une désescalade du conflit. Il faut trouver une stratégie pour retrouver la paix et proposer une transition vers un système politique équitable. L’accent doit être mis sur un environnement sûr et stable pour tous les Syriens.

Par-dessus tout, nous devons toujours garder notre humanité, et rester les combattants pacifiques de l’humanité. C’est notre humanité qui est la source de notre empathie, qui nous permet de surmonter les problèmes les plus difficiles, comme la guerre et la pauvreté. Nous, membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, avons une place de choix pour trouver une solution pacifique. Nous devons aborder ainsi ce débat ici et dans nos parlements nationaux. J’espère qu’il ne deviendra pas un jeu d’attribution des culpabilités, car toutes les parties en présence ont commis des atrocités, et les civils en souffrent. Ils ont soif de paix. Nous devons, désormais, trouver tous ensemble une solution pacifique.

LE PRÉSIDENT* – Nous poursuivons notre débat par les porte-paroles des groupes.

M. DAEMS (Belgique), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des Libéraux pour l’Europe* –
Dans ce pays de 23 millions d’habitants, 6,1 millions de personnes ont été déplacées, 5,6 millions ont fui, ce qui représente 50 % de la population, et 350 000 personnes sont mortes. Pour éviter une intensification du conflit, il faut répondre aux besoins de la population, notamment humanitaires. Idlib ne doit pas devenir une seconde Alep. Il nous faut une solution politique au conflit, avec un État non sectaire, respectant la primauté du droit. Les pourparlers de Genève sont dans l’impasse. La guerre syrienne est une catastrophe. Les intérêts géopolitiques des grandes puissances passent avant la vie humaine. Cela est honteux.

Plus nous voyons de destructions sur le terrain, plus une solution politique devient urgente. Soyons explicites: l’Europe et le Conseil de l’Europe doivent dénoncer les intérêts géopolitiques qui détruisent les pays et tuent des innocents. J’appelle instamment les membres de cette Assemblée à transmettre ce message chez eux pour que les négociations reprennent sous l’égide des Nations Unies. Que des intérêts géopolitiques détruisent les pays et tuent des innocents est honteux!

M. KÜRKÇÜ (Turquie), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je félicite le Bureau d’avoir choisi de consacrer le débat d’actualité au rôle de l’Europe dans les initiatives de paix en Syrie et je remercie Mme Brynjólfsdóttir pour ses remarquables propos liminaires.

Il est évident que l’Europe a encore un potentiel inexploité, qui pourrait permettre à la Syrie de sortir de la situation apocalyptique dans laquelle elle est plongée. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe doit, elle aussi, assumer ses responsabilités et apporter sa contribution à l’établissement de la paix.

Cependant, nous devons nous livrer à un exercice d’autocritique. En effet, l’Europe porte une partie de la responsabilité dans l’ouverture de la boîte de Pandore syrienne. La guerre en Syrie est d’abord due au choix du régime de ne pas changer. Cela a attisé bien des colères au niveau interne qui, très rapidement, se sont transformées en un soulèvement généralisé, sans qu’aucune démarche politique cohérente ne soit menée.

Une partie de l’Europe, avec le soutien de la Fédération de Russie, a ensuite rendu la situation encore plus complexe, en donnant aux djihadistes plus de capacités d’initiative dans la guerre. Une fois le pays dans l’impasse, l’État islamique en a profité. S’il est en échec aujourd’hui, c’est grâce à la coopération des groupes révolutionnaires turcs. L’Europe devrait donc aujourd’hui utiliser sa puissance politique et diplomatique pour mettre en place une Syrie intégrée, multiethnique et multireligieuse, qui puisse s’appuyer sur les principes d’une République séculaire.

L’Europe doit également demander le retour des combattants étrangers dans leurs pays, et lancer des pourparlers avec l’ensemble des parties prenantes au conflit. Elle devrait également demander instamment à la Turquie de cesser son invasion militaire des zones kurdes de Syrie, en particulier celle d’Afrine. Rendons la Syrie aux Syriens, car seul le droit des peuples à l’autodétermination, ce principe fondamental, permettra de trouver une solution à la situation syrienne.

M. AMORUSO (Italie), porte-parole du Groupe des démocrates libres* – Au cours des dernières semaines, la crise en Syrie a connu une série d’événements dramatiques. Le conflit armé ravage un territoire devenu le lieu de confrontations pour des intérêts régionaux et internationaux: la population kurde, l’Iran et ses alliés perçus comme une menace par Israël, la Fédération de Russie présente sur la scène moyen-orientale et méditerranéenne avec des moyens de plus en plus questionnables… Dans ce conflit, la population civile est utilisée comme bouclier humain, des millions de personnes sont réfugiées ou déplacées, des minorités religieuses sont persécutées. Se posent également les problèmes de l’évacuation des combattants de Daech et du retour des combattants étrangers dans leurs pays.

Nous le savons tous: la solution purement militaire n’est pas une option. Seule une résolution politique avec l’Iran, la Turquie, la Fédération de Russie, et les pays de la coalition actifs dans la région permettra de sortir de la crise. Car, que cela nous plaise ou non, le gouvernement au pouvoir en Syrie est le gouvernement légitime!

Ces derniers jours, des efforts ont été faits par les Nations Unies, dont le représentant spécial a rencontré les principaux acteurs du conflit syrien. Les pourparlers de Genève étant dans l’impasse, M. de Mistura est lui-même entré en contact avec l’opposition au régime de Bachar el-Assad. Par ailleurs, les relations bilatérales entre Mme Mogherini, Haute-représentante de l’Union européenne et M. de Mistura visent à ce que l’Europe et ses institutions jouent un rôle plus important dans la recherche d’une solution en Syrie. En effet, si l’Europe a joué un rôle fondamental sur le plan humanitaire, elle est la grande absente sur le plan politique. Cela est vrai pour la Syrie, mais plus largement pour l’ensemble de la question de l’immigration et des réfugiés.

Nous ne pouvons qu’espérer qu’à l’avenir, l’Europe adoptera une position plus cohérente et s’impliquera davantage dans la recherche d’une paix durable qui apportera stabilité non seulement à la région, mais aussi au monde entier.

M. BEREZA (Ukraine), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Les médias européens nous informent régulièrement de la mort d’innocents en Syrie. Mais, malgré la profonde préoccupation des dirigeants du monde devant cette situation, les hostilités sont loin de toucher à leur fin.

Cette guerre revêt aujourd’hui un caractère international, et l’Europe, par sa passivité, porte une responsabilité dans la situation actuelle. Tout est parti d’une opposition à Assad; puis le conflit est devenu le soulèvement de civils contre un dictateur. Le résultat de cette guerre civile, ce sont des millions de personnes déplacées ou réfugiées et des centaines de milliers de morts. Lorsque l’État islamique s’est étendu en Syrie, différents États se sont unis à la lutte. Seulement, certains d’entre eux, au prétexte de combattre Daech, fournissent en réalité un soutien au régime d’Assad – c’est le cas de la Fédération de Russie.

Par ailleurs, certaines entreprises privées et de mercenaires tentent de s’emparer des compagnies pétrolières et gazières syriennes: la Fédération de Russie a déjà procédé de la sorte en Ukraine, au Donbass, et en Transnistrie. Ces territoires servent aussi de terrain de test pour les nouvelles armes. Nous avons également pu constater ce qui arrive à ceux qui osent décrire ce qu’il se passe: je pense à Maxime Borodine, mort défenestré. S’il y a un appel à lancer ici, le voici: nous devons unir nos forces pour combattre ces phénomènes et lutter contre ces entreprises privées et ces mercenaires. Il faut les traduire en justice, ce sont des hors-la-loi.

Quelques mots sur la barbarie qui fait rage en Syrie. Le régime en place a recours aux armes chimiques contre sa propre population: en Ghouta orientale, plus de 40 personnes, dont des femmes et des enfants, ont trouvé la mort dans ces circonstances, des centaines d’autres ont dû être hospitalisées. Nous ne pouvons pas rester passifs alors que nous savons que le régime d’Assad est protégé par la Fédération de Russie.

Nous devons absolument unir nos forces pour lutter contre ce régime, et, pour ce faire, utiliser tous les moyens à notre disposition: mesures économiques, politiques, tout est bon pour isoler ce régime politique et aider les millions de réfugiés. La sortie du conflit passe par la recherche d’une solution pacifique. Il faut réunir autour de la table l’ensemble des belligérants et instaurer un système équilibré entre les chiites et les sunnites. Là réside sans doute le véritable rôle de l’Europe et du Conseil de l’Europe: devenir une plateforme pour ces discussions.

M. LACROIX (Belgique), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts – Nous avons tous été profondément choqués par les images qui nous viennent de Syrie, notamment après l’utilisation présumée d’armes chimiques par le régime syrien contre son propre peuple: une attaque contre des enfants, des femmes et des hommes, une attaque contre l’humanité, une attaque inacceptable, odieuse et ignoble.

Chaque jour, depuis 2011, la guerre en Syrie repousse un peu plus les limites de l’horreur. Dans ce véritable bourbier à dimension régionale et internationale, toutes les lignes rouges ont été franchies avec l’utilisation à plusieurs reprises d’armes chimiques. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) doit pouvoir, sans délai, mener son travail sans aucune entrave.

L’impunité d’un tel régime n’est pas une option envisageable. J’en suis d’autant plus convaincu que je viens de Belgique, pays frappé durement, au cours de son histoire, par le recours aux armes chimiques.

En raison notamment de nombreux veto au sein du Conseil de sécurité et des enjeux géopolitiques et régionaux majeurs, la communauté internationale est aujourd’hui totalement incapable d’apporter une solution à long terme. C’est un aveu douloureux d’impuissance.

J’aimerais rappeler néanmoins que toute opération militaire doit prendre place dans un cadre onusien et dans le strict respect du droit international. Le recours à la force doit toujours être le dernier recours. Il constitue toujours un échec au détriment d’une solution politique et diplomatique, pourtant clef de voûte de toute solution durable. Une opération militaire doit par ailleurs toujours prendre place dans une approche dite 3D globale mêlant Défense mais aussi Diplomatie et Développement comme gage d’une paix durable.

Comme nous tous, je n’ai pu que prendre acte des dernières frappes ciblées par les États Unis, la France et la Grande Bretagne en représailles à une attaque chimique présumée le 7 avril à Douma. Ces raids visaient des sites militaires liés aux armes chimiques du régime syrien.

L’heure est désormais, plus que jamais, à l’offensive diplomatique, avec des négociations politiques – avec tous les acteurs – et des réponses humanitaires urgentes afin d’éviter toute escalade.

Le problème est que tout le monde nous parle d’une approche 3D mais que personne ne s’inscrit dans une démarche sur le long terme. Une fois l’attention médiatique retombée, le politique semble oublier les enjeux de long terme.

Aucune frappe militaire, aussi précise soit-elle, n’a apporté une solution durable à un conflit. Il ne s’agit évidemment pas de dire que le recours à la force ne se justifie jamais, notamment lorsque de telles lignes rouges inacceptables sont franchies, mais, dans ce contexte et au-delà de la situation syrienne, je pense que le Conseil de l’Europe a une expertise à apporter aux États de la région demandeurs en matière de construction de l’État de droit et de consolidation de la démocratie.

Sir Roger GALE (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – La guerre chimique n’est pas acceptable. Elle est inacceptable dans les rues de Salisbury, au Royaume-Uni, où des agents de la Fédération de Russie ont essayé de tuer un citoyen britannique; elle est inacceptable également en Syrie, où le dictateur Bachar el-Assad a essayé d’assassiner des hommes, des femmes, des enfants, ressortissants de son propre pays, en utilisant des armes chimiques, chlore et autres.

Je comprends que l’on souhaite négocier, dialoguer, mais, en fait de dialogue, c’est une fin de non-recevoir que la Fédération de Russie a opposé, à six reprises, aux Nations unies. C’est la raison pour laquelle le Royaume-Uni, la France, ainsi que les États-Unis, ont dû mener des frappes ciblées pour détruire les stocks d’armes chimiques et les sites de production de Bachar el-Assad. Ne rien faire n’était pas une option. Nous ne pouvons tout simplement pas permettre l’utilisation d’armes chimiques interdites depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et nous ne pouvons permettre que ce soit considéré comme acceptable. Les États qui ont recours à ce type d’armes doivent être considérés comme des États parias. Et on peut discuter, exercer des pressions, mais tout cela ne me persuadera pas qu’ils doivent avoir voix au chapitre, directement ou par procuration, au sein de cette Assemblée parlementaire.

En ayant recours à des armes chimiques, la Fédération de Russie a tout simplement porté atteinte à sa propre crédibilité morale et renoncé à son droit de compter parmi les nations civilisées. M. Slutsky, voix de M. Poutine au sein de la commission ad hoc, a dit il y a à peu près un an, dans les murs de ce bâtiment, que les Russes n’ont que des obligations et pas de droits. Au titre de la Convention, ils n’ont effectivement pas le droit de détenir des prisonniers politiques, de s’ingérer dans les affaires d’autres États membres, ni d’en annexer les terres. Surtout, dans un monde civilisé, ils n’ont pas le droit d’avoir recours à des armes chimiques.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Catastrophe humanitaire, crise migratoire, exilés de l’intérieur, meurtres, armes chimiques… Voilà les termes que l’on associe à la guerre en Syrie. Il en est un autre selon moi: celui d’impunité.

Je poserai une question très simple. Pense-t-on que la Fédération de Russie se comporterait comme elle le fait si la réponse appropriée lui était opposée quand elle annexe une partie du territoire de la République de Moldova, quand elle déclenche une guerre en Géorgie et au Donbass, quand elle annexe la Crimée, territoire de mon propre pays, où quand elle intervient comme à Salisbury? Si c’était le cas, les Russes ne participeraient pas à la guerre en Syrie. C’est pourquoi je crois que l’Europe, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe devraient parler d’une seule voix pour s’élever contre un tel comportement. Nous avons réagi lorsque trois membres issus de groupes politiques différents se sont spontanément rendus en Syrie et y ont apporté leur soutien à Assad. Nous devons réagir de la même manière en utilisant toutes nos possibilités, toute notre autorité pour mettre un terme à la guerre en Syrie, et pour éliminer toute impunité. C’est absolument nécessaire.

Pensons-nous vraiment que les Russes adhèrent aux valeurs du Conseil de l’Europe ici à Strasbourg, à Damas, à Alep? Pensons-nous vraiment qu’ils sont favorables au dialogue, à un véritable dialogue, pas au dialogue «à la russe» qu’ils nous proposent? Je ne le crois pas.

En ce qui concerne la Syrie, il faudrait un véritable dialogue politique, réunissant tous les belligérants. Je rejoins le précédent orateur qui a parlé d’un blocage artificiel. Nous devons utiliser toutes les forces de notre Assemblée pour que soient mises en œuvre toutes nos résolutions.

Mme ÆVARSDÓTTIR (Islande)* – Une guerre terrible ravage la Syrie depuis plus de 7 ans. Pendant ce temps, des enfants sont nés en Syrie, ils ont grandi, ils ont atteint l’âge auquel ils devraient, dans la sécurité et la joie, finir leur première année de scolarité. Las! Nous savons qu’il n’y a ni sécurité ni gaieté pour les enfants de Syrie, où personne n’est vraiment à l’abri. La communauté internationale a failli dans sa tâche, elle a trahi la Syrie et la population syrienne. Le Conseil de sécurité s’est révélé complètement incapable d’assumer son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationale.

De surcroît, il a été réticent à trouver des solutions permettant, dans un avenir proche, de traduire en justice les auteurs des pires atrocités qui ont été commises en Syrie. Pourtant, la communauté internationale dans son ensemble n’a pas non plus réussi à apporter une aide humanitaire adéquate en Syrie et il ne semble pas y avoir en vue de solution à ce conflit terrible.

Quel est notre rôle, quel est le rôle de l’Europe dans de pareilles périodes? Comment pouvons-nous contribuer à l’établissement d’une solution pacifique en Syrie? Je suis convaincue que l’Europe ne mettra pas un terme à la violence en commettant plus de violences encore. Nous ne mettrons pas un terme à la guerre en menant une guerre. Nous devrions utiliser la terrible puissance militaire des armées de l’Europe pour apporter des vivres à ceux qui ont faim et des soins médicaux à ceux qui souffrent en Syrie. Et si cette Assemblée devait appeler les États membres à intervenir, il faudrait que ce soit pour mettre en place un tribunal international destiné à traduire en justice les auteurs des atrocités qui ont été commises en Syrie.

Nous pourrions commencer chez nous en prévoyant la compétence universelle pour les crimes relevant du Statut de Rome de la CPI et soutenir la commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, tant sur le plan politique que financier.

Indépendamment de savoir si un tribunal hybride ou ad hoc sera constitué à moyen ou long terme ou si la compétence universelle des tribunaux nationaux est la seule possibilité réelle de traduire en justice les criminels de guerre en Syrie, il faut garder présent à l’esprit le fait qu’il est particulièrement difficile pour des tribunaux de démontrer que de tels crimes ont été commis. Accorder à cette commission le soutien et le financement dont elle a besoin et qui a été appelé de ses vœux par Mme Carla Del Ponte, serait un pas dans la bonne direction pour la Syrie.

Mme GERASHCHENKO (Ukraine)* - Le massacre syrien, les attaques chimiques du régime de Bachar el-Assad contre les populations civiles, la destruction des villes paisibles, la mort de centaines d’enfants indignent et inspirent de la compassion.

La Fédération de Russie était censée garantir la destruction des armes chimiques. Au lieu de cela, avec le soutien total des militaires russes, le régime de Bachar el-Assad continue d’utiliser les armes chimiques interdites contre ses citoyens.

Le Conseil de sécurité de l’Onu est incapable de résoudre le problème syrien parce que la Fédération de Russie abuse du droit de veto et bloque toutes les résolutions. L’Europe vit la crise migratoire et l’augmentation du nombre de réfugiés syriens qui fuient la guerre. La Fédération de Russie, qui cherche à affaiblir l’Union européenne, a créé de nouveaux problèmes économiques et sécuritaires sur le continent, tirant profit de la crise migratoire et de l’instabilité.

L’Ukraine exprime sa sympathie avec la population civile de Syrie et est consciente des conséquences humanitaires catastrophiques de cette guerre. Depuis quatre ans, l’Ukraine et ses citoyens sont victimes de la guerre hybride commencée et menée par la Fédération de Russie. Ce pays équipe les séparatistes de nouvelles armes et de nouveaux équipements militaires. Les villages ukrainiens, récemment libérés, sont parsemés de mines antichars, interdites par la Convention d’Ottawa. Ce type de mines, recyclées par l’Ukraine en son temps, est utilisé par les Russes dans le Donbass. En Syrie, la Fédération de Russie utilise les armes chimiques. À Salisbury, elle utilise la substance chimique Novitchok. En Ukraine, ce sont les mines antipersonnel et les armes lourdes, interdites par les Accords de Minsk.

Comme la communauté internationale permet à la Fédération de Russie d’agir impunément en Ukraine, en Syrie, au Royaume-Uni, on est incapable d’arrêter le massacre de la population civile. On ne doit pas faire des avances à la Fédération de Russie. Il faut durcir les sanctions contre les Russes, sinon, nous devrons endosser globalement la responsabilité de l’incapacité à protéger les enfants ukrainiens et syriens de meurtres et de blessures.

M. GONCHARENKO (Ukraine)* - En Syrie, nous assistons à une terrible catastrophe. Pourquoi le monde n’a-t-il pas pu l’arrêter? Tout simplement parce que Poutine, le président de la Fédération de Russie soutient Assad.

Je reviens de la réunion de la commission ad hoc à laquelle certains d’entre vous participaient. Était présent M. Slutsky, le chef de la commission des affaires étrangères de la Douma. M. Slutsky a affirmé que la Fédération de Russie n’était pas présente, qu’elle n’a – Sir Roger Gale nous a déjà rappelé ce propos – que des obligations et pas de droits. La présence de M. Slutsky montrait vraiment ce que M. Poutine pense de nous tous.

Qui est M. Slutsky? C’est une personne accusée de harcèlement sexuel par quatre femmes journalistes, dont une journaliste de la BBC. M. Slutsky est l’un des sept agents russes qui ont été frappés par les États-Unis, le Canada et l’Union européenne, de sanctions après l’annexion de la Crimée.

LE PRÉSIDENT* – Mon cher collègue, pouvez-vous en tenir à la situation en Syrie ?

M. GONCHARENKO (Ukraine)* – M. Slutsky est la personne qui a été mentionnée à six reprises dans le rapport sur les allégations de corruption. Il a proposé son jet privé à M. Walter, le chef de la mission de suivi, pour rencontrer le président Aliev qui lui avait décerné une médaille.

LE PRÉSIDENT* – Vous êtes hors sujet. Vous n’avez plus la parole.

M. GONCHARENKO (Ukraine)* – Je n’ai besoin que de 20 secondes pour terminer !

Mme De SUTTER (Belgique)* – Les attaques chimiques récentes sur Douma sont inacceptables. Les frappes qui ont été menées en réaction ne changeront rien à la guerre civile. Bien au contraire, cela conduira à l’effondrement de l’ordre juridique international déjà vacillant. En représailles, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne ont pris un risque énorme, celui d’agir seules. Une démarche très dangereuse parce qu’il y avait un risque très élevé d’escalade militaire impliquant les puissances nucléaires que sont la Fédération de Russie et les États-Unis. Il y avait même un risque de guerre avec l’Iran. Cela est venu saper l’ordre international fondé sur des règles plus fragiles que jamais.

Ce type de stratégie risquée n’est pas celle que je choisirais en tant que citoyenne et représentante européenne. Je pense que l’Europe doit concevoir une stratégie politique plus avisée pour protéger les droits de l’homme des civils.

Mes chers collègues, je condamne bien sûr le recours répété aux armes chimiques, non seulement cette fois-ci mais lors des 85 précédents recours confirmés aux armes chimiques dans le cadre du conflit syrien. La plupart de ces attaques chimiques ont été menées par le régime d’Assad, comme l’ont signalé les ONG. Le recours répété à ces armes de destruction massive est absolument inacceptable. De même, sont inacceptables les exportations des produits chimiques qui permettent de mettre au point ces armes de destruction massive. Les comptes bancaires de ceux qui sont responsables de la production et de l’utilisation de ces gaz toxiques doivent être gelés.

Regardons la réalité en face. La communauté internationale n’a pas pu empêcher collectivement la perpétration de l’action criminelle la plus récente, celle commise à Douma. Plus généralement, elle n’a pas réussi à mettre un terme à la tragédie syrienne. Arrêter la guerre en Syrie est le seul moyen réel de mettre un terme aux attaques chimiques.

De surcroît les mesures de coercition non militaires doivent être envisagées et ne doivent pas rester tabous. Je citerai quelques exemples de ce type de mesures. Les inspecteurs doivent pouvoir jouir d’un mandat international complet leur permettant d’évaluer et d’enquêter sur l’utilisation des armes chimiques. Les sanctions économiques contre les pays responsables de ces attaques chimiques doivent être effectives. La Fédération de Russie et l’Iran qui ont formé, équipé et aidé l’armée et les forces aériennes d’Assad doivent rejoindre leurs actions. Pourquoi ne pas reprendre cette idée d’une zone du Moyen-Orient libre de toute arme de destruction massive?

Que l’Europe se réveille! Nos chefs d’État et de gouvernement, en particulier Mme May et M. Macron, mais aussi Mme Mogherini, doivent s’impliquer activement pour concevoir une réponse commune européenne. Seule la diplomatie permettra d’avancer dans la bonne direction, car nous avons besoin d’une solution politique. Nous devons donc redoubler d’efforts pour aider les Nations Unies à trouver une issue politique à ce conflit. Notre seul espoir de mettre un terme à la guerre en Syrie est d’adopter une stratégie européenne plus judicieuse.

LE PRÉSIDENT – Mme Sotnyk, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

M. PISCO (Portugal)* – Chers collègues, l’Union européenne peut et doit jouer un rôle bien plus affirmé et influent s’agissant de la pacification et de la stabilisation de la Syrie. Elle doit travailler à la reconstruction du pays et la réconciliation de sa population. Jusqu’à présent, l’action de l’Union européenne n’a pas été suffisante pour mettre un terme à l’une des guerres les plus barbares, décrite comme étant un «enfer» par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres.

Cela fait maintenant sept ans que cette guerre civile insensée a commencé, faisant plus d’un demi-million de morts. Le pays est ruiné, il vit dans la misère. La crise humanitaire est considérable: 11 millions de personnes ont été déplacés, 5 millions sont réfugiés et 6 millions d’enfants sont touchés. Après les allégations d’attaques à l’arme chimique à Douma, la situation semble apaisée, mais Bachar el-Assad est toujours à la tête du pays.

L’Union européenne a dépensé plus de 10 milliards d’euros pour répondre aux besoins humanitaires, mais imaginez combien la situation pourrait être encore plus grave si une institution comme l’Union européenne, fondée sur des valeurs et des principes, n’existait pas. Nous devrions être d’accord avec la position de l’Union européenne visant à ne lancer le processus de reconstruction qu’après que la stabilisation politique sera intervenue et que la bonne volonté et la bonne foi de toutes les parties auront été confirmées.

L’Europe et le monde ne doivent pas oublier les crimes contre l’humanité qui ont été commis à plusieurs reprises en recourant aux armes chimiques. Si nous le faisons, nous ne serons pas en mesure d’empêcher des crimes similaires à l’avenir. Durant pratiquement les six années de guerre, nous avons eu les preuves de plus de 200 attaques à l’arme chimique. C’est intolérable.

L’utilisation d’armes chimiques modifie les règles de guerre. Le pape François a affirmé que cette utilisation des armes chimiques était un instrument d’extermination d’innocents. Que le recours à de telles armes puisse se faire en toute impunité sape l’ordre mondial et discrédite les conventions et institutions internationales. Ces armes doivent être totalement interdites et l’Union européenne ne tolérer aucun crime contre l’humanité. L’impunité n’est pas acceptable. Les responsables de ces crimes doivent être identifiés et condamnés sans merci. L’Union européenne doit jouer un rôle décisif en la matière.

M. HUNKO (Allemagne)* – Hier soir, ici même, nous avons parlé de la situation en Libye et de nombreux orateurs ont déploré qu’elle ne corresponde pas à ce que nous attendions du « printemps arabe » et que l’intervention de l’Otan n’ait pas atteint l’objectif visé. Avec la Syrie, nous sommes aujourd’hui confrontés à un autre exemple des suites non souhaitées du « printemps arabe ».

Face au régime dictatorial de Bachar el-Assad, les manifestations de la société civile ont rapidement été militarisées: d’une part, elles ont été réprimées militairement par le régime, mais elles ont aussi conduit à des livraisons d’armes et à l’arrivée de groupes terroristes, de groupes djihadistes dont un collègue vient de parler. Profitant du soutien politique de la communauté internationale, des livraisons d’armes sont venues de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie saoudite, des États-Unis mais aussi de pays européens.

L’Europe a essayé d’agir. Je rappelle que, depuis 2012, un embargo total frappe la Syrie. On ne peut pas dire que nous n’ayons pas essayé d’agir. L’idée était d’arriver à un changement de régime par la voie militaire en pensant qu’ensuite, la situation s’améliorerait. Mais l’exemple de la Libye a bien montré que cela ne fonctionne pas ainsi. Soyons clairs, l’idée que l’on peut imposer la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit par une intervention militaire ne fonctionne pas, nous l’avons vu. L’intervention de la Fédération de Russie a beaucoup été critiquée mais elle s’est produite alors qu’il y avait déjà eu des centaines de milliers de morts.

Que pouvons-nous faire aujourd’hui? Il faut prendre du recul après les frappes ciblées des États-Unis, de la France et le Royaume-Uni, qui sont en totale contradiction avec le droit international. Au bout du compte, cela sape les règles internationales et ne fait qu’affaiblir notre crédibilité sur d’autres questions. Pour mettre un terme à cette guerre en Syrie, il faut initier un processus politique qui profitera avant tout aux citoyens syriens en leur donnant un véritable droit à l’autodétermination car, au bout du compte, c’est à eux qu’il revient de décider de leur avenir, pas à nous.

M. Espen Barth EIDE (Norvège)* – Permettez-moi tout d’abord de remercier Mme Brynjólfsdóttir d’avoir fait inscrire ce point à notre ordre du jour. Une telle discussion est extrêmement importante puisque ce qui se passe en Syrie nous interpelle tous. C’est probablement l’une des situations les plus dangereuses dans le monde, et pas uniquement pour les habitants de la Syrie, car le risque d’escalade mondiale est extrêmement sérieux.

Comme cela a été dit, ce qui ressemblait au début d’un nouveau « printemps arabe » est assez rapidement devenu un terrain de bataille pour d’autres pays ainsi que pour l’État islamique. Plusieurs grandes puissances sont intervenues, un peu comme des «frenemies», c’est-à-dire à la fois amis et ennemis. Ils étaient alliés contre l’État islamique et avaient également une vision à long terme pour la Syrie.

Bien entendu, lutter contre Daech est louable mais cela a donné lieu à une grande guerre régionale dans laquelle les acteurs clés ne sont pas les Syriens, mais des Iraniens, des Saoudiens. La Turquie est là aussi, la Fédération de Russie et les États-Unis étant de plus en plus présents. À la différence de la guerre froide où, à aucun moment, la Fédération de Russie et les États-Unis n’étaient sur le même champ de bataille puisqu’ils se battaient par procuration, aujourd’hui, ces deux puissances sont présentes sur le même champ de bataille. Elles essaient de s’éviter, mais la situation est extrêmement grave.

Les conséquences humanitaires sont désastreuses. La Syrie et ses pays voisins en ont déjà beaucoup souffert, et il se pourrait que ce soit encore pire à l’avenir. La moindre des choses que nous pourrions faire serait d’identifier le bien et le mal. J’ai de nombreux candidats pour la catégorie du mal, mais j’ai bien plus de difficulté à trouver des prétendants au bien.

Nombre de grandes puissances, régionales et mondiales poursuivent leur propre objectif, qui est de renforcer leur présence dans l’est de la Méditerranée et au Moyen-Orient. Cela doit cesser.

Je suis tout à fait d’accord pour dire que la première piste doit être d’éviter toute escalade et toute propagation. Nous devons également apporter notre soutien à l’effort de Staffan de Mistura.

Je sais que c’est extrêmement difficile. Je suis de très près la situation, car j’ai été son collègue dans le cadre d’un autre conflit, certes très différent mais se déroulant dans le voisinage. Nous devons nous préparer à trouver un arrangement, même si cela ne satisfait personne, car c’est la seule solution possible. Il faut trouver un accommodement entre les différents acteurs, lesquels nourrissent des espoirs différents. Si nous ne le faisons pas, nous n’irons pas très loin.

M. GOUTTEFARDE (France) – Je me félicite que notre Assemblée ait inscrit à son ordre du jour un tel débat, et je souhaite vous faire part des raisons pour lesquelles la France est intervenue militairement, les 13 et 14 avril derniers, sur le territoire syrien.

Le 7 avril, plusieurs attaques chimiques ont été menées sur la ville de Douma, y compris contre les infrastructures médicales. Plus de 45 personnes y ont laissé la vie. Les éléments réunis par la France et d’autres pays disposant de sources de renseignement fiables ont constitué un faisceau de preuves suffisant pour mettre en cause la responsabilité du régime syrien dans ces attaques marquées par l’utilisation de munitions à composants chimiques.

La Syrie a, une fois de plus, agi au mépris du droit international humanitaire. Elle a violé, de façon flagrante et répétée, les décisions prises par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en particulier ses Résolutions 2118, 2209 et 2235, qui toutes qualifiaient l’usage d’armes chimiques en Syrie de menaces contre la paix et la sécurité internationales. Depuis 2002, des centaines de cas de recours à des substances interdites ont été répertoriés par les ONG et constatés par les enquêtes internationales indépendantes.

Par ces résolutions, le Conseil de sécurité s’était d’ailleurs engagé à adopter, face à de telles violations, des mesures coercitives au titre du chapitre VII. Les douze vetos russes sur la Syrie, dont six avaient trait aux armes chimiques, ont malheureusement empêché la communauté internationale d’agir d’une seule voix; pour autant, il n’était ni moralement ni juridiquement possible de laisser faire le régime syrien sans réagir.

Les armes chimiques sont d’une autre nature que les armes conventionnelles; elles visent non pas les soldats, mais les populations. En utilisant régulièrement cette arme de terreur, le régime syrien viole une interdiction essentielle que la communauté internationale s’est imposée depuis près d’un siècle. Les conséquences de l’usage de telles armes sur la sécurité de la région, et au-delà sur notre sécurité collective, sont considérables.

Il y va d’ailleurs, mes chers collègues, de la crédibilité de nos engagements contre la prolifération des armes de destruction massive. Ne pas réagir, c’est aussi envoyer le signal à d’autres pays qui pourraient détenir ou chercher à détenir ces armes; ce serait leur dire qu’ils peuvent aller de l’avant, que leur détention leur confère l’impunité. C’est bien notre sécurité collective qui est en jeu.

Nous devrons rester plus que jamais mobilisés pour mettre un terme à la tragédie qu’est la crise syrienne et pour trouver une solution politique, car il n’y a pas de solution strictement militaire. La France est attachée à un multilatéralisme efficace – c’est l’un des fondements constants de sa politique étrangère. Toutefois, mes chers collègues, le camp du droit ne saurait devenir le camp des faibles.

Un régime qui est persuadé de pouvoir gagner militairement parce qu’il peut utiliser en toute impunité des armes de destruction massive n’a aucune raison de venir négocier une sortie politique. Il s’est donc agi pour la France, le Royaume-Uni et les États-Unis de sanctionner et de dissuader.

Mme KAVVADIA (Grèce)* – La perspective d’une intervention militaire de plus dans un Moyen-Orient troublé – cette fois-ci la Syrie – s’est dangereusement rapprochée; elle est devenue de plus en plus probable au cours des dernières semaines, apportant la menace d’une nouvelle guerre froide dont les conséquences pour la sécurité en Europe ne sont pas prévisibles.

Dans le même temps, la guerre civile cruelle qui se déroule en Syrie n’est pas arrivée à son terme, et personne ne sait ce que l’avenir nous réserve tant que les armes ne se seront pas tues. Il devrait être évident que la seule possibilité d’action raisonnable est de trouver une solution globale et pacifique à la tragédie syrienne. Cela aurait dû constituer, en Europe, un objectif pour chacun. D’ailleurs, un nombre important de défis auxquels l’Europe est confrontée semblent converger vers la Syrie: des tensions renouvelées entre l’Ouest et la Fédération de Russie, la montée de l’intégrisme islamique, le terrorisme lié à Daech et, surtout, la pire crise humanitaire à laquelle l’Europe a fait face depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un nombre considérable de réfugiés.

Comment l’Europe a-t-elle réagi face à ces défis? Pouvons-nous dire en toute honnêteté qu’elle a réussi à élaborer une politique fructueuse, qu’elle a accompli son ambition de devenir un pilier de stabilité et de paix dans sa zone géographique, envisagée au sens large? Manifestement, la réponse à ces questions est non.

D’ailleurs, l’Europe n’a pas su produire et présenter à la communauté internationale un plan de paix crédible pour la Syrie, qui aurait permis à toutes les parties prenantes, y compris la Fédération de Russie et les États-Unis, de se retrouver autour de la table des négociations. L’Europe n’a pas su prendre les initiatives diplomatiques qui auraient permis d’apporter la paix à un pays qui, d’un point de vue géopolitique, est destiné à entrer dans son voisinage.

Une fois de plus, l’Europe n’a pas été capable d’adopter une position véritablement commune face à la crise syrienne, et elle a encore moins réussi à concevoir une stratégie diplomatique commune pour régler cette crise. À cet égard, je dirais que l’Europe a d’ores et déjà essuyé un échec diplomatique lourd et qu’elle en subit les conséquences.

La seule question est de savoir si elle va réfléchir au projet qu’il faudra mettre en place pour le jour d’après en Syrie. Va-t-elle essayer d’engager une nouvelle dynamique, au lieu de rester désespérément absente, ce qui est humiliant? Est-il trop tard pour que l’Europe montre que déclarations quant au rôle qu’elle souhaite assumer en matière de paix, de démocratie, de droits de l’homme et de droit international, ne sont pas que des mots vides de sens? Espérons que non, mais le temps presse.

LE PRÉSIDENT* – Mme Muflih, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

M. OEHME (Allemagne)* – Je me réjouis que nous débattions aujourd’hui, au Conseil de l’Europe, du rôle de l’Europe dans les initiatives de processus de paix en Syrie.

Permettez-moi quelques rappels historiques. En mars 2003 commençait la guerre contre Saddam Hussein. On cherchait alors des laboratoires d’armes chimiques qui n’existaient pas. Maintenant, voici que nous bombardons la Syrie en disant qu’une attaque chimique a été commise par le régime d’el-Assad, alors que nous n’en avons pas de preuves concrètes.

Pour me faire une idée, je me suis rendu sur place cette année. J’ai voulu étudier la situation dans les camps de réfugiés, en particulier ceux où se trouvent les yézidis persécutés.

En Irak, il y avait 2 millions de chrétiens. Il n’en reste que 400 000. Les chiffres sont à peu près similaires pour la Syrie. Quand j’ai demandé aux yézidis ce qu’ils pensaient d’el-Assad, ils ont répondu: «Certes, c’est un dictateur, mais l’économie s’est bien développée avec son régime et les gens vivaient heureux. C’est Bachar el-Assad qui nous permet de vivre pleinement notre religion, et c’était pareil en Irak sous Saddam Hussein.»

Notre idée de la démocratie et notre volonté de l’imposer dans ces pays ne sont pas fondées. D’ailleurs, nous avons échoué. Est-ce vraiment la démocratie qui est en jeu? N’est-ce pas plutôt la géopolitique? Que disons-nous à propos de pays comme l’Afghanistan, l’Irak et la Libye? Qu’avons-nous réussi à y faire? On n’y observe pas de progrès particuliers; c’est même plutôt le chaos qui y règne.

Comment peut-on résoudre les problèmes en Orient? Un évêque catholique m’a dit un jour: «Arrêtez de donner votre argent aux milices.». Qu’attendent les gens en Orient? Tout ce qu’ils souhaitent, c’est revenir dans leur pays et vivre en paix. Pour cela, il est absolument nécessaire, bien entendu, de déminer le terrain, et sur ce point, l’Europe doit agir. Par ailleurs, il faut apporter de l’aide aux yézidis, surtout aux femmes qui ont été réduites en esclavage.

Nous devons parler du peuple syrien, et jouer les médiateurs dans ce conflit, mais pas plus.

LE PRÉSIDENT* – MM. Loucaides et Zayadin, inscrits dans le débat, ne sont pas présents dans l’hémicycle.

La liste des orateurs est épuisée.

Merci à tous ceux qui ont contribué au débat et, en particulier, à Mme Brynjólfsdóttir, qui l’a initié.

Je vous rappelle qu’à l’issue d’un débat d’actualité, l’Assemblée n’est pas appelée à voter. Le Bureau peut, à un stade ultérieur, proposer que la question traitée soit renvoyée à la commission compétente pour rapport.

M. Nicoletti, Président de l’Assemblée, remplace M. Jonas Gunnarsson au fauteuil présidentiel.

2. Déclaration de Copenhague: évaluation et suivi
(Débat selon la procédure d’urgence)

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de Mme Ævarsdóttir, au nom de la commission des questions juridiques, sur «Déclaration de Copenhague: évaluation et suivi» (Doc. 14539).

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes.

Madame la rapporteure, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

Mme ÆVARSDÓTTIR (Islande), rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la nouvelle déclaration sur la réforme du système de la Convention européenne des droits de l’homme: après Interlaken en 2010, Izmir en 2011, Brighton en 2012 et Bruxelles en 2015, la Déclaration de Copenhague a été adoptée le 13 avril 2018, lors de la conférence ministérielle organisée par la Présidence danoise du Comité des Ministres.

Le ministre des Affaires étrangères danois, M. Samuelsen, nous a dit hier que la Déclaration de Copenhague avait renforcé l’engagement de tous les États membres à respecter les droits humains fondamentaux. Il a dit, de façon très claire, que la responsabilité première de la garantie de ces droits incombait aux gouvernements nationaux, aux parlements et aux tribunaux nationaux. Cela est vrai et il faut s’en féliciter. Récemment, l’engagement de certains États membres envers le système de la Convention est devenu contestable: il est donc bon de voir cet engagement réaffirmé et même renforcé.

Cependant, la véritable question est de savoir si les belles paroles seront suivies d’actes concrets. Les mots ne coûtent rien, même lorsqu’ils prennent la forme de déclarations politiques de haut niveau, non contraignantes. Il est toujours difficile de passer à l’acte, mais c’est important de pouvoir le faire.

M. Samuelsen a ensuite poursuivi en disant que l’intention était d’améliorer la capacité de la Cour européenne des droits de l’homme à s’acquitter de sa tâche de façon plus efficace et plus équilibrée. Il a également indiqué que la Déclaration de Copenhague soulignait le besoin d’un dialogue renforcé entre toutes les parties prenantes, portant sur leur rôle respectif et sur le développement des droits de l’homme.

À ce stade, un certain nombre de problèmes se posent eu égard à la Déclaration de Copenhague. Mais avant d’aller plus loin, il est bon de prendre un peu de champ pour se souvenir de quelle façon la Déclaration de Copenhague a été négociée et ce qui a précédé cette déclaration.

La Conférence d’Interlaken de 2010 a été organisée dans une période extrêmement difficile pour la Cour: son arriéré devenait ingérable. Le Protocole n° 14, adopté en 2014 en vue de réduire cet arriéré, n’était pas encore entré en vigueur parce que la Fédération de Russie ne l’avait toujours pas ratifié. Des pourparlers de crise se sont tenus à Interlaken.

Lorsque la Conférence de Brighton a été organisée en 2012, la crise avait été évitée; le Protocole n° 14 était entré en vigueur et avait produit des effets absolument spectaculaires. Les propositions nouvelles les plus radicales pour traiter l’arriéré de la Cour n’étaient plus nécessaires et ont été retirées de la table des négociations. En lieu et place, le Gouvernement britannique a produit un projet de déclaration qui aurait raboté la compétence de la Cour, la subordonnant aux juridictions nationales. Nous connaissons tous le contexte national britannique qui prévalait à l’époque; je pense notamment à la discussion sur le droit de vote des détenus. La proposition a été catégoriquement rejetée par les États membres dans leur ensemble. Seule une trace en demeure dans l’article 1er du Protocole n° 15.

Lors de la Conférence de Bruxelles, il y a eu un retour bienvenu à un réalisme constructif. L’accent a été nettement placé sur l’un des problèmes les plus graves, à savoir le caractère inadéquat de l’exécution des arrêts de la Cour par les États. Peu de temps après, le processus d’Interlaken est arrivé à son terme, avec la production d’un rapport d’experts sur le futur à plus long terme du système de la Convention pour ajouter deux protocoles, un certain nombre d’instruments non contraignants et plusieurs rapports d’experts produits depuis 2010. L’étape suivante consistera à dresser un bilan en 2019.

Mais le Gouvernement danois voyait les choses autrement. Un certain nombre de personnes au Danemark, jusqu’au sein du gouvernement, sont contrariées parce qu’un tribunal national, s’appuyant sur la Convention européenne des droits de l’homme, est intervenu pour empêcher une expulsion. Des sources autorisées estiment que ce tribunal a mal interprété la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et aurait sans doute pu légitimement autoriser cette expulsion. Mais peu importe car l’important est que c’est à ce moment-là que la Cour est devenue très mal aimée dans certains cercles danois.

Pour des raisons de politique nationale, le Gouvernement danois a finalement décidé d’agir. Il a tout d’abord publié un premier projet de déclaration le 5 février. Il est regrettable que notre Assemblée n’ait pas été consultée alors même que nos prédécesseurs ont joué un rôle décisif dans la création de la Convention. Nous continuons à jouer ce rôle, nous élisons les juges et nous avons, au cours de nombreuses années, travaillé à l’amélioration de la mise en œuvre de la Convention à l’échelon national et à l’exécution des arrêts, ainsi qu’à renforcer le rôle des parlements nationaux.

Mais nous avons finalement fait une contribution lorsque, le 16 mars, la Commission permanente a adopté une déclaration sur le projet de Déclaration de Copenhague. La Commission permanente a rappelé que le caractère effectif du système de la Convention dépendait du fonctionnement adéquat de chacune de ses composantes, ce qui dépend au premier chef du comportement et de l’état d’esprit des États parties.

Le système de la Convention est complexe, subtil et respecte l’équilibre délicat du mécanisme qui est en son cœur. Si l’un des éléments devient dysfonctionnel, si par exemple les États n’honorent pas leurs obligations ou ne respectent pas l’indépendance de la Cour, c’est l’ensemble du système qui bascule et qui ne saurait produire les effets escomptés.

La Commission permanente a alors appelé l’attention sur quatre thèmes pour lesquels la Déclaration de Copenhague remettait en cause certains principes fondamentaux, cruciaux, du système conventionnel.

Premièrement, elle remet en cause le caractère universel des droits consacrés par la Convention, conformément à une interprétation commune et à une application tout à fait cohérente d’un État partie à l’autre.

Deuxièmement, elle contrevient à l’indépendance de la Cour, en raison de pressions indues, notamment politiques, qui s’exerceraient sans respecter les procédures judiciaires.

Troisièmement, elle remet en cause l’étendue de la compétence de la Cour à toute question relative à l’interprétation et à l’application des droits de la Convention, faute de quoi le chaos juridique le plus total règnerait.

Enfin, elle conteste le caractère absolu des obligations faites aux États parties en matière d’exécution des arrêts de la Cour.

Nous n’avons pas été les seuls à exprimer ces préoccupations. La Conférence des OING du Conseil de l’Europe, le Réseau européen des institutions nationales des droits de l’homme, ainsi qu’un groupe d’ONG internationales de premier plan au côté d’un grand nombre de commentateurs et de praticiens, ont exprimé des doutes similaires.

Malheureusement, les deuxième et troisième moutures de la Déclaration de Copenhague n’ont pas été rendues publiques. Nous ne pouvons donc pas savoir ce qui s’est passé lors des négociations qui se sont tenues à huis clos. Cependant, il est clair qu’une majorité d’États n’étaient pas d’accord avec le Gouvernement danois. Leur sagesse collective a permis d’obtenir un résultat dont nous pouvons dans l’ensemble nous féliciter. La plupart des dispositions qui, par leur combinaison, nous préoccupaient, ont été supprimées ou largement amendées.

Les États parties ont exprimé de manière claire et forte leur engagement à respecter la Convention, à remplir leurs obligations et à assurer le droit de requête individuel. Les principaux défis auxquels le système est confronté ont été correctement identifiés: la mise en œuvre au niveau national est parfois ineffective, les arrêts de la Cour ne sont pas toujours exécutés de manière adéquate, et la Cour présente un arriéré, ce qui est, bien sûr, la conséquence des deux premiers problèmes.

D’autres questions encore nous préoccupent. Nous savions déjà quels étaient les défis principaux à relever. Nous n’avons pas besoin de mots, mais d’actes, de la part des États parties. La Déclaration de Copenhague ne contient cependant aucun plan d’action, aucune proposition claire, qui permettrait de relever ces défis.

Pourtant, des propositions ont été exposées dans les nombreux rapports préparés par les comités d’experts intergouvernementaux, ainsi que par cette Assemblée. Certaines de ces recommandations ont été mises en œuvre par le Comité des Ministres. Cependant, la volonté politique, au niveau du Comité des Ministres, de conduire une action résolue et concertée, même lorsque celle-ci rencontre des résistances, n’a jamais existé.

Le recours à la procédure d’infraction, prévu à l’article 46.4 de la Convention, contre l’Azerbaïdjan, est une évolution dont il faut se féliciter, mais nous ne pouvons pas encore dire si cette décision manifeste une tendance plus générale à renforcer l’action du Conseil de l’Europe.

La référence au «dialogue» dans la Déclaration de Copenhague pose également un problème. Certes, le dialogue avec la Cour n’est pas nécessairement un problème: tout dépend de la forme du dialogue et de l’enceinte dans laquelle il a lieu. Mais si ce dialogue recouvre de vagues propositions impliquant des protagonistes mal définis, qui chercheraient à exercer des pressions politiques sur la Cour, alors il ne faut pas dialoguer. Si la Cour semble être soumise à l’influence indue d’un ou de plusieurs États membres, sa crédibilité judiciaire sera affaiblie et son autorité sera sapée. Si les États souhaitent que le système conventionnel soit soumis au contrôle d’une juridiction, ils doivent respecter scrupuleusement son indépendance.

La Cour aborde des questions liées à l’interprétation et à l’application de la Convention avec les États lorsqu’une procédure est engagée. Il est toujours possible qu’un État essaie de persuader la Cour du bien-fondé de son point de vue; il aura même parfois une deuxième occasion de le faire, devant la Grande Chambre. Si un État a un intérêt dans une question soulevée dans une affaire visant un autre État, il peut devenir une tierce partie. Ces façons de s’adresser à la Cour pour résoudre des problèmes juridiques sont adéquates et plus que suffisantes.

Enfin, la Déclaration de Copenhague ne reconnaît pas comme elle le devrait le rôle d’autres protagonistes. Le système conventionnel n’est pas seulement constitué des États et de la Cour. Qu’en est-il des requérants et de tous ceux qui représentent leur intérêt, que ce soit dans le cadre d’affaires individuelles ou de l’évolution de l’ensemble du système? Qu’en est-il de la société civile, des ONG qui interviennent en tant que tierce partie et fournissent des informations inestimables au Comité des Ministres sur l’exécution des arrêts? Qu’en est-il du rôle du Commissaire aux droits de l’homme?

L’Assemblée est invitée à «donner plein effet» à la Déclaration de Copenhague, alors même qu’elle n’a pas été officiellement consultée lors de la préparation de cette dernière. Pourquoi devrions-nous être impliqués par une déclaration à la rédaction de laquelle nous n’avons pas participé? Je pose bien entendu une question rhétorique, car nous allons continuer à suivre le processus de réforme de la Convention, à améliorer notre procédure d’élection des juges et à aider au renforcement du rôle des parlements nationaux. Nous continuerons également à demander aux États de rendre des comptes quant à leur capacité à honorer leurs obligations.

Dans cet esprit, j’espère que vous pourrez tous soutenir le projet de recommandation de notre commission.

LE PRÉSIDENT* – Madame Ævarsdóttir, vous disposerez d’une minute pour répondre tout à l’heure aux orateurs.

La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-paroles des groupes.

M. KOX (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je remercie la rapporteure pour son excellent rapport, ainsi que pour les recommandations qu’elle a préparées très rapidement.

On a dit clairement que 47 États membres ont participé à la préparation de cette déclaration. Cependant, ce qui était moins clair, c’est qu’il y avait une grande différence entre le texte adopté et le projet d’origine. C’est ce dernier qui a suscité beaucoup de critiques. En effet, plusieurs parlements nationaux ont tenu des débats sur le projet de Déclaration de Copenhague et l’Assemblée parlementaire a elle-même exprimé de nombreuses critiques. La commission des questions juridiques, notamment, a adopté une position très ferme sur le ton du projet et sur les dangers qu’il représentait pour la protection des droits de l’homme en Europe.

Nous nous plaignons bien souvent qu’il n’y ait pas suffisamment de coopération entre nous. Cependant, dans le cas présent, nous avons coopéré afin d’améliorer le texte initial. Dans la première proposition, le rôle de la Cour était affaibli et le rôle des gouvernements nationaux était renforcé. Grâce à l’intervention de cette Assemblée, plusieurs parlements nationaux, de nombreuses ONG, des organisations juridiques et nos gouvernements, ont œuvré afin de parvenir à une Déclaration de Copenhague moins dangereuse. Le texte a recueilli l’approbation de l’ensemble des États membres.

Toutefois, la question demeure: pourquoi la Présidence danoise a-t-elle choisi, dans sa proposition initiale, d’affaiblir la position de la Cour, sachant que les droits de l’homme étaient sous pression, du fait de la Turquie, de l’Ukraine, de la Fédération de Russie, de la Hongrie et de nombreux autres pays? Les citoyens de ces pays ont tout intérêt pourtant à renforcer la Cour. Affaiblir la Cour, c’est diminuer la protection des droits de l’homme. La proposition initiale répondait aux demandes de certains partis politiques nationaux. Tout pays présidant le Comité des Ministres doit cependant faire passer l’intérêt de l’ensemble des Européens avant le sien propre.

Je ferai une dernière observation, qui est positive. Dans le texte définitif de la Déclaration de Copenhague, un appel est lancé aux gouvernements nationaux afin qu’ils fournissent des fonds supplémentaires afin que la Cour résorbe son arriéré. J’espère que cet appel sera suivi par le Gouvernement danois et que le Danemark saisira cette occasion d’être vraiment chef de file, afin d’encourager d’autres gouvernements à faire de même, ce qui est dans l’intérêt de la Cour. Cette histoire se terminerait alors parfaitement bien.

M. KANDELAKI (Géorgie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – La version finale de la Déclaration de Copenhague est acceptable. Le premier projet contenait des éléments problématiques et notamment le fait que la Cour ne traitait pas des cas de violation des droits de l’homme à grande échelle. Or la Cour doit intervenir dès qu’il y a des violations systématiques de grande ampleur. Elle l’a fait dans des affaires interétatiques entre la Fédération de Russie et mon pays, la Fédération de Russie et l’Ukraine, et dans des affaires concernant des détenus politiques, où la violation de l’article 18 de la Convention était manifeste. Il faut trouver un moyen pour que la Cour soit accessible aux milliers de citoyens des États membres arrêtés ou sanctionnés sur la base de lois relevant de l’état d’urgence.

L’Assemblée a déjà donné son avis sur ces questions. La Déclaration de Copenhague contient toujours des idées assez vagues, surtout lorsqu’il s’agit de l’interprétation de droits découlant de la Convention, ce qui pourrait mettre en péril l’indépendance de la Cour. Les États ne peuvent intervenir à la Cour que sur la base des procédures habituelles.

L’Assemblée appelle donc le Comité des Ministres à prendre des mesures pour une mise en œuvre efficace de la Convention, et éviter toute action qui pourrait affaiblir l’indépendance de la Cour dans l’exercice de sa juridiction au titre de l’article 32 de la Convention. Le Comité doit demander aux États parties d’essayer d’influencer l’interprétation de la Convention en suivant seulement les procédures en cours, dans le cadre, par exemple, d’interventions tierces.

En conclusion, je souhaite parler des «poches de résistance» à l’exécution de certains arrêts. L’arrêt Ioukos a été simplement annulé par la Cour russe. Le cas de l’arrêt concernant le Royaume-Uni semble, lui, s’acheminer vers un compromis. D’autres affaires portent sur des prisonniers politiques. Deux pays, dont le mien, voient l’un de leurs anciens premiers ministres en prison, malgré l’arrêt rendu par la Cour. Le Comité des Ministres doit donc agir. La question est de savoir s’il est prêt à le faire. Veut-il aller jusqu’au bout? Il s’agit de questions très graves et il faut trouver des solutions politiques. Certains États parties refusent, pour des raisons politiques, d’exécuter les arrêts de la Cour. Il ne faut pas le tolérer car c’est mettre en péril l’ensemble du système de la Convention et de la Cour.

M. CILEVIČS (Lettonie), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts* – Je partage pleinement les conclusions de Mme Ævarsdóttir. Notre Assemblée a souligné que le système de la Convention et de la Cour était au cœur du Conseil de l’Europe. Ce système de justice transnationale est devenu le dernier recours pour des milliers d’Européens. Il a permis la restauration de leurs droits, et évite de nombreuses autres violations grâce à des mesures générales. Un engagement inconditionnel et sans équivoque de l’ensemble des États membres en faveur de l’exécution pleine et rapide des arrêts est une condition préalable essentielle permettant d’assurer l’effectivité de la Cour. Je me félicite que la Déclaration de Copenhague réaffirme cet engagement.

Cependant, nous devons dire clairement que la Déclaration adoptée suscite de graves préoccupations. Le rapport met le doigt sur cette vague idée d’un «dialogue» avec la Cour. Un arrêt doit être exécuté, et non pas discuté. Monsieur le Président, je suis letton, et nous entretenons une relation spéciale avec le Danemark. Il nous a apporté une grande aide pour restaurer notre indépendance et nous a appris comment reconstruire chez nous la démocratie, la prééminence du droit et la prévalence des droits de l’homme. Le Danemark est pour nous comme un grand frère, qui est toujours là pour nous apporter une aide amicale. Tout en tenant compte des sensibilités politiques relatives à certains arrêts de la Cour, je ressens une grande déception en voyant que, sous les auspices de la Présidence danoise, certaines initiatives qui émergent de la Déclaration de Copenhague pourraient diluer l’indépendance et l’autorité de la Cour. Je suis intimement convaincu que le Danemark est une démocratie bien installée, je dirais même une démocratie exemplaire. Il doit donc, lorsqu’il assume la présidence du Conseil de l’Europe, s’opposer fermement à toute tentative populiste de saper ou limiter l’autorité de la Cour.

Au nom du Groupe des socialistes, démocrates et verts, j’affirme notre plein soutien à ce rapport, et appelle tous les membres de l’Assemblée à voter en faveur du projet de recommandation.

Dame Cheryl GILLAN (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Mon groupe soutient le rapport. Je souhaite souligner que, l’année dernière, la question du droit de vote des prisonniers au Royaume-Uni a été tranchée, et acceptée par le Conseil de l’Europe. Le 18 avril, nous avons d’ailleurs eu un débat au sein de la Chambre des Communes sur le travail du Conseil de l’Europe, et notre ministre pour l’Europe et les Amériques a fait acter au procès-verbal quel était notre engagement envers le Conseil, la Cour et l’Assemblée. Il a déclaré que, alors que le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union européenne, le Conseil de l’Europe allait devenir plus important encore pour le Royaume-Uni, puisque notre adhésion nous permet de faire valoir des valeurs et des aspirations communes, et de promouvoir les droits de l’homme et la démocratie aux côtés de nos amis, qui vont rester nos amis, et qui sont si nombreux. En tant que membre fondateur du Conseil de l’Europe, le Royaume-Uni a aidé à rédiger et façonner le Statut sur lequel le Conseil de l’Europe est bâti, le Traité de Londres. Nous avons été au centre de tous les efforts menés pour rédiger la Convention européenne des droits de l’homme. Mais ces documents doivent toujours être mis à jour. Le parti conservateur du Royaume-Uni se félicite de cette toute dernière itération. La Déclaration de Copenhague s’inscrit dans les efforts continus déployés par les 47 États membres pour renforcer la Cour et le système de la Convention. Il s’appuie notamment sur notre Déclaration de Brighton de 2012.

Produire un document dont 47 États peuvent endosser la responsabilité n’est pas chose aisée. La forme définitive fait toujours l’objet de négociations critiques. Cependant, un certain nombre de principes doivent être dûment reconnus. Tout d’abord, la subsidiarité: le rôle de la Cour doit s’inscrire dans un équilibre avec nos systèmes judiciaires nationaux. Sans cette reconnaissance, des tensions inutiles affectent son efficacité et son rôle précieux. Deuxièmement, la doctrine de la marge d’appréciation: nous voulons que les États membres se conforment aux arrêts de la Cour, mais nous voulons qu’ils aient la latitude nécessaire pour proposer les mesures précises qui leur permettront d’assurer cette exécution comme des signataires responsables de la Convention.

Nous devons être tout à fait au clair sur les attentes concernant les États membres, du fait de la Déclaration de Copenhague et de l’évolution du système de la Convention. Il n’est pas suffisant de demander aux États membres de «donner plein effet» à la Déclaration; nous demandons sans équivoque de «mettre en œuvre» la Déclaration. Nous accordons beaucoup d’importance à ce terme. Le ministre danois de la Justice y a clairement fait référence, et j’espère qu’il sera retenu.

La Déclaration de Copenhague est une nouvelle étape sur notre chemin pour développer notre système conventionnel. C’est le socle du Conseil de l’Europe et de la Cour qui fait prévaloir partout les normes en matière des droits de l’homme. Protégeons la crédibilité de la Cour, et concentrons-nous sur les violations des droits de l’homme les plus graves. Nous devons pouvoir traiter toujours nos citoyens en toute équité.

M. DAEMS (Belgique), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – La Déclaration de Copenhague, qui porte sur la réforme du système de la Convention européenne des droits de l’homme, a été adoptée les 12 et 13 avril derniers.

Le projet de déclaration initial donnait l’impression de subordonner la Cour aux autorités nationales. Cela touche à l’essence même de la protection des droits de l’homme universels et au rôle essentiel joué par la Cour européenne des droits de l’homme au sein du système de la Convention.

Je vais être très clair: au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, j’insiste sur le rôle constitutionnel joué par la Cour. Les États doivent accepter les normes qu’elle fixe, ils doivent s’engager à les mettre en œuvre et à les transposer dans leur législation nationale sans aucune marge de manœuvre.

Plusieurs éléments sont au cœur de la protection effective des droits de l’homme et de la Cour: l’universalité des droits protégés par la Convention, l’indépendance de la Cour – exempte de toute influence politique – l’étendue de la juridiction de la Cour pour tout ce qui touche à l’application et à l’interprétation de la Convention, et l’obligation inconditionnelle des États parties d’exécuter ses arrêts.

Malgré les progrès faits dans la Déclaration de Copenhague, notre groupe a encore quelques préoccupations, qui sont énumérées dans le projet de recommandation de notre Assemblée.

Tout d’abord, le projet de recommandation appelle le Comité des Ministres à éviter toute déclaration de nature à saper l’indépendance de la Cour. Le manque d’engagement à l’égard de toutes les parties prenantes à la Convention, dont notre Assemblée, est également un point qui doit attirer notre attention.

Les objectifs de la réforme sont la promotion et la protection de l’indépendance historique du rôle de la Cour, comme cela est précisé dans le préambule de la Convention. Notre groupe appuie pleinement la recommandation faite au Comité des Ministres et félicite vivement ses rédacteurs.

Mme De SUTTER (Belgique)* – Permettez-moi tout d’abord de souligner qu’il est très important que l’Assemblée parlementaire exerce un rôle critique chaque fois que la Cour européenne des droits de l’homme est concernée, car elle remplit parfaitement son rôle.

Il y a toujours un revers à la médaille: la position de la Cour est, et restera, vulnérable face à la résistance politique et aux avis divergents de certains gouvernements. Alors, quelle expérience pouvons-nous tirer de la Déclaration de Copenhague? Il n’y a rien de nouveau. Fort heureusement, l’indignation collective qui a suivi la présentation du projet de déclaration a permis la suppression ou l’affaiblissement de toutes les parties qui en étaient inacceptables.

Pour autant, je ferai deux remarques.

Tout d’abord, le Gouvernement danois continue de défendre la position selon laquelle le niveau national est le plus approprié quand il s’agit de lutter contre les violations des droits de l’homme. Cela est précisé au paragraphe 10 de la Déclaration de Copenhague, dans lequel on peut lire que les moyens les plus efficaces de traiter les violations des droits de l’homme se situent au niveau national. Cela est inacceptable! Je vous rappelle que ces droits sont universels, et leur obligation ne saurait être limitée par aucune frontière. De même, le paragraphe 28(b) indique que les autorités nationales sont en principe mieux placées qu’une juridiction internationale pour évaluer les conditions locales. Cette idée est totalement opposée à l’esprit de la Convention, qui se fonde sur le principe d’universalité et, partant, supprime toute idée de différence dans la protection des droits.

Deuxième remarque: le texte met l’accent sur le principe de subsidiarité et sur la marge d’appréciation des États. Ces principes découlent des précédentes déclarations, qui contestaient également le rôle et la position de la Cour. Je partage l’opinion de Roisin Pillay, directrice du programme régional Europe de la Commission internationale des juristes, qui affirme que la source des difficultés du système de la Convention réside dans l’ineffectivité de l’application des droits qui y sont énoncés. Si bien que les victimes des violations de ces droits n’ont pas d’autres recours que de déposer une requête devant la Cour. Je respecte bien entendu le principe de subsidiarité et la notion de marge d’appréciation, car ils permettent un exercice plus effectif des droits de l’homme. Cependant, l’un et l’autre ne vont pas sans danger, car l’interprétation de la Convention peut s’en trouver limitée. Or, il appartient toujours à la Cour d’évaluer l’application des droits.

Je tiens, pour finir, à féliciter Mme Ævarsdóttir pour son excellent rapport.

Mme LOUHELAINEN (Finlande)* – Le système de protection des droits de l’homme créé par le Conseil de l’Europe n’a pas son pareil dans le monde. Certaines de ses caractéristiques, déjà uniques il y a 70 ans de cela, le sont encore aujourd’hui.

Depuis son adoption, en 1950, la Convention a été complétée par plusieurs protocoles additionnels. Le mécanisme de protection des droits de l’homme fondamentaux a été un véritable succès, non seulement par la portée de son action, mais également par l’étendue géographique de son application. Aujourd’hui, les 47 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la Convention et sont résolument engagés dans sa mise en œuvre. Notre Assemblée a d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises son ferme soutien à la défense de ce mécanisme de protection et aux initiatives visant à renforcer ce système.

Le 13 avril 2018, le Comité des Ministres a adopté la Déclaration de Copenhague sur la réforme du système de la Convention européenne des droits de l’homme. Quelle pourrait-être l’évolution de ce système dans l’Europe de demain? Anticipant sur la préparation de cette déclaration, la Commission permanente de notre Assemblée a adopté, le 16 mars dernier, une déclaration sur le processus de réforme. Dans cette déclaration, l’Assemblée a souligné que le Comité des Ministres devait continuer à mettre l’accent sur les principaux défis auxquels le système de la Convention fait face: la charge de travail de la Cour et ses sources principales, la mise en œuvre inadéquate de la Convention au niveau national et la non-exécution des arrêts de la Cour dans un certain nombre d’États.

Le rapport indique que certains aspects de la Déclaration de Copenhague posent problème: elle ne propose pas de solutions concrètes aux problèmes que connaît le système et fait état d’idées sur le dialogue qui pourraient être incompatibles avec l’indépendance de la Cour.

En tant que membre de la délégation finlandaise, je suis fière que la Finlande ait participé activement aux efforts déployés pour renforcer le système européen de protection des droits de l’homme. Mon pays soutient la réforme à long terme du système de la Convention, qui est en cours, et le Gouvernement finnois a adopté la Déclaration de Copenhague.

Cependant, dans le cadre du processus de réforme, la Finlande met clairement l’accent sur le besoin de respecter, de préserver et de défendre l’indépendance et l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme, afin qu’elle puisse s’acquitter de son rôle avec intégrité et efficacité. L’indépendance du système judiciaire est l’une des composantes les plus importantes de la démocratie et la pierre angulaire de l’État de droit. Un dialogue constructif est nécessaire, dans le respect du rôle de chaque protagoniste.

M. Michael Aastrup JENSEN (Danemark)* – Un système efficace de droits de l’homme représente un bénéfice pour l’ensemble de l’Europe car il a un effet direct sur plus de 800 millions de personnes au quotidien. C’est l’un des plus grands résultats de la coopération entre les États membres, et nous devons en prendre soin. Si nous ratons cette opportunité de mener les réformes qui s’imposent, nous n’aurons peut-être plus en Europe, à l’avenir, de système de droits de l’homme aussi remarquable.

La Présidence danoise s’est engagée sur une voie très ambitieuse. Nous voulions en fait garantir l’avenir de ce système. Y sommes-nous parvenus? L’Histoire le dira, mais nous avons fait de notre mieux pour réparer les dysfonctionnements que nous connaissons aujourd’hui. La Déclaration de Copenhague, adoptée par l’ensemble des 47 États membres, en est le résultat. Notre objectif est de renforcer le système des droits de l’homme, surtout en ce qui concerne les droits fondamentaux des citoyens européens. La Cour doit traiter un arriéré d’affaires important. Des centaines d’Européens attendent qu’elle examine leurs requêtes.

Plus de temps et plus de ressources sont donc nécessaires pour garantir ces droits fondamentaux, mais il faut aussi fixer des priorités. La Cour doit se pencher surtout sur les violations sérieuses des droits de l’homme. Je crois que nous pouvons tous en être d’accord, mais nous connaissons aussi des arrêts qui n’ont guère de sens pour les citoyens ordinaires, tels les arrêts qui rendent difficile l’expulsion vers leur pays d’origine de migrants criminels, au motif non du risque de persécution politique mais de la présence de leur famille sur notre sol. Comment expliquer que les arrêts de la Cour protègent ainsi des criminels? Il faut modifier cela pour continuer à garantir les droits des citoyens. Il faut protéger les citoyens victimes de traitements inéquitables et non protéger des criminels condamnés. Si nous ne faisons rien, nous mettons en péril les droits de l’homme.

La Déclaration de Copenhague est un pas dans la bonne direction, poursuivant un processus commencé en 2012 à Interlaken. Les bonnes intentions ne suffiront cependant pas. Poursuivons ce processus dont la Déclaration de Brighton aura marqué la première étape et que la Présidence danoise du Comité des Ministres a confirmé. J’espère, au nom de nos concitoyens européens, que nous participerons tous à ces travaux importants.

M. ÖZSOY (Turquie)* – Nous aussi, nous estimons que la Cour européenne des droits de l’homme doit bénéficier de tout le soutien possible, que ce soit en matière de financement ou de personnel, pour résorber son arriéré d’affaires pendantes. La Cour a joué un rôle essentiel dans l’institutionnalisation des principes fondamentaux sur lesquels le Conseil de l’Europe repose: la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. En raison de moyens humains et financiers limités, elle n’a cependant pas pu traiter rapidement les nombreuses requêtes émanant de Turquie.

J’aimerais donc vous donner lecture d’un passage d’une lettre rédigée par Selahattin Demirtas, co-président du HDP, emprisonné depuis le mois de novembre 2016, et qui sera notre candidat à l’élection présidentielle. Cette lettre, adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, porte sur la situation de la Cour européenne des droits de l’homme:

«Des milliers de dissidents, y compris des parlementaires, des maires kurdes, des journalistes, des universitaires, des étudiants, remplissent les prisons tout simplement parce qu’ils ont exprimé leurs opinions. Et en raison des pressions politiques exercées sur la justice, les conditions d’exercice du droit à un procès équitable ne sont absolument plus réunies en Turquie. Les cours ne respectent pas les principes de base de la justice, pas même la Cour constitutionnelle, et traitent les affaires de dissidents politiques dans la crainte de représailles du gouvernement.

Ces circonstances difficiles ne nous empêcheront certainement pas de rechercher la justice dans notre pays. Dans le même temps, je suis intimement convaincu que le Conseil de l’Europe et ses organes ont un rôle important à jouer en soutenant la lutte pour la justice en Turquie et en contribuant au respect des droits de l’homme dans ce pays.

La requête que nous avons adressée il y a plus de dix-huit mois à la Cour européenne des droits de l’homme, à propos de notre injuste détention préventive et de la levée de nos immunités parlementaires, est d’une importance vitale. Les requêtes déposées par les parlementaires, les maires et les journalistes devant la Cour européenne des droits de l’homme sont d’une importance qui excède la situation particulière des requérants. L’issue de ces affaires pourra avoir un effet bien plus important sur la démocratie en Turquie. Et pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme n’a malheureusement pas répondu à notre désir d’un traitement rapide de ces requêtes cruciales.

Alors que nous jugeons inapproprié de nous adresser directement à la Cour par respect pour l’indépendance des tribunaux, je ne doute pas que, comme d’autres responsables politiques européens qu’inquiète cette destruction de la démocratie en Turquie, vous approuverez des actions en notre faveur. Je veux vous remercier pour votre soutien et votre solidarité à l’égard de toutes les forces démocratiques en Turquie. J’espère pouvoir vous rencontrer librement dans un avenir proche.»

LE PRÉSIDENT* – La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

Mme ÆVARSDÓTTIR (Islande), rapporteure* – Merci, chers collègues, pour votre attention et pour votre participation à ce débat. Je remercie particulièrement la formidable équipe du secrétariat de la commission de son soutien inestimable.

Je partage la déception de M. Cilevičs eu égard aux motivations du Gouvernement danois. Il eût été bienvenu que le ministre danois puisse nous dire quelques mots de plus quant à l’engagement pris en faveur du financement des travaux de la Cour. Je suis également déçue d’avoir confirmation, à travers les propos de M. Michael Aastrup Jensen, de ce que nous craignions être les motifs pour lesquels le premier projet de déclaration avait été rédigé comme il l’avait été. Cher collègue, il ne faut pas s’intéresser à la Cour uniquement parce que le traitement de certains individus pose problème dans votre pays!

C’est tout ce que j’avais à dire. J’espère, chers collègues, que vous soutiendrez le projet de recommandation.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – J’abonde dans le sens de notre rapporteure. Il y va du droit international! Il faut le respecter et le faire respecter, même s’il peut toujours se trouver des situations dans lesquelles il est difficile de faire admettre les arrêts de la Cour par l’opinion publique. Pour en avoir parlé avec l’ambassadeur danois en Allemagne, je sais que ce fut effectivement le cas au Danemark, mais le but de notre Organisation est bien de protéger la Convention et la Cour européenne des droits de l’homme, très souvent juridiction de dernier recours pour de nombreux Européens. La commission des questions juridiques s’est très tôt penchée sur ce dossier. Au mois de mars, elle avait déjà fait une déclaration très clair sur le premier projet de Déclaration de Copenhague. Le lendemain, la Commission permanente s’en est saisie, et nous avons progressé dans la bonne direction. L’esprit de ce premier projet n’en est pas moins toujours vivant, d’où la nécessité de ce débat: de nombreux États membres ont l’intention de continuer d’œuvrer à l’affaiblissement de la Cour. C’est au bout du compte une assez mauvaise conception du principe de subsidiarité.

C’est la raison pour laquelle il est bon que nous ayons ce débat. Il est bien que Mme Brynjólfsdóttir ait été notre rapporteure et je la remercie une nouvelle fois. Le fait même qu’il n’y ait pas d’amendement montre qu’il existe un consensus au sein de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques a présenté un projet de recommandation contenu dans le Doc. 14539 sur lequel aucun amendement n’a été déposé.

Nous allons procéder au vote. Je vous rappelle que la majorité requise est celle des deux tiers des suffrages exprimés.

Le projet de recommandation est adopté (45 voix pour, 0 voix contre et 3 abstentions).

Sir Roger Gale, Vice-Président de l’Assemblée, remplace M. Nicoletti au fauteuil présidentiel.

Dame Cheryl GILLAN (Royaume-Uni)* – Rappel au Règlement!

M. Hunko a affirmé que le Royaume-Uni avait bafoué le droit international en intervenant en Syrie. Les membres de l’Assemblée doivent savoir que nous avons publié le fondement juridique de notre intervention en Syrie, ainsi que les critères que nous avons appliqués afin d’éviter la détresse humanitaire - les mêmes que nous avons utilisés lors de notre intervention au Kosovo, sous les auspices des Nations Unies. Jens Stoltenberg a également dit que les alliés de l’Otan, dont il est le Secrétaire général, appuyaient totalement cette action.

Je tenais à apporter cet éclaircissement.

LE PRÉSIDENT* – Dame Cheryl Gillan, il ne s’agissait pas d’un rappel au règlement. Je n’assurais pas la présidence lors du débat précédent et ne l’ai pas entendu mais plus qu’un rappel au Règlement, vous avez fait une mise au point qui figurera au compte rendu.

3. Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations
en matière de droits de l’homme

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la discussion du rapport «Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme», présenté par M. Cilevičs au nom de la commission des questions juridiques (Doc. 14523), ainsi que de l’avis de M. Ariev au nom de la commission de la culture, présenté par M. Comte (Doc. 14536).

Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance de lundi matin, de limiter le temps de parole des orateurs à 3 minutes.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – De nos jours, les États sont de plus en plus souvent confrontés à un phénomène de guerre hybride qui représente une nouvelle forme de menace. Celui-ci repose sur une combinaison de moyens militaires et non militaires, comme des cyberattaques, des campagnes massives de désinformation, en particulier par le biais des réseaux sociaux, la perturbation des communications d’autres réseaux et de nombreux autres types de menaces.

Lors de la préparation du rapport, j’ai dû tenir compte de deux propositions de résolution, l’une intitulée: «Restreindre les droits pour protéger la sécurité nationale – Jusqu’où peuvent aller les États?», l’autre sur les problèmes juridiques posés par la guerre hybride. J’ai essayé de traiter ces deux questions complémentaires. D’une part, j’ai cherché à identifier les vides juridiques liés à la notion même de guerre hybride et les mesures qu’un État est en droit de prendre pour se défendre contre ce type d’action. D’autre part, j’ai réfléchi à la façon dont on pouvait protéger les droits de l’homme lorsqu’un État tente de les limiter dans la perspective de se défendre contre des mesures de guerre hybride employées contre lui par un autre État.

L’un des grands obstacles dans le traitement du sujet est la terminologie. Les termes utilisés diffèrent beaucoup d’une source à l’autre: guerre hybride, conflit hybride, menace hybride… Dans ce rapport, j’ai utilisé l’expression de guerre hybride lorsqu’il s’agissait de conflits militaires ou ayant une dimension militaire. Dans les autres cas, je parle de menaces hybrides. Il n’y a pas de définition universelle de la guerre hybride. Il n’y a d’ailleurs pas de droit de la guerre hybride. Il existe toutefois un consensus sur le fait que l’une des caractéristiques de ce phénomène est l’asymétrie juridique.

Généralement, les adversaires nient leur responsabilité dans les opérations hybrides et essaient d’échapper aux conséquences juridiques de leurs actions. Mais ils n’opèrent pas dans un vide juridique. Des dispositions du droit international s’appliquent, tel que le droit humanitaire international. Si dans le cadre d’une guerre hybride, un État recourt à la violence contre un autre État, l’État agressé peut invoquer le droit à la légitime défense sur la base de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et sur la base de certaines dispositions du droit humanitaire international. Si un adversaire hybride renonce à la violence militaire, ses actions doivent être examinées à la lumière du droit pénal national et, éventuellement à la lumière d’instruments juridiques internationaux couvrant des domaines particuliers comme le droit de la mer ou les normes de lutte contre la cybercriminalité, le terrorisme, les discours de haine ou le blanchiment d’argent.

Pour lutter contre les guerres hybrides, les États doivent néanmoins respecter le droit humanitaire international. Certains États du Conseil de l’Europe ont déjà pris des mesures comme des condamnations pénales pour les déclarations en ligne, les mesures de surveillance, le blocage de sites et les expulsions. Les expulsions de journalistes posent effectivement des problèmes en matière de droits de l’homme, surtout lorsque le droit à la liberté d’expression, le droit à l’information, le droit au respect de la vie privée ou de la liberté de circulation sont en jeu.

Les États peuvent déroger à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, conformément à son article 15. Ils peuvent restreindre certains de ces droits, comme la liberté d’expression, de réunion, d’association ou de droit à la vie privée, afin de protéger la sécurité nationale. Néanmoins, toute restriction des droits ancrés dans la convention doit répondre aux critères fixés par la convention, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans les projets de résolution et de recommandation, je propose des mesures que les États membres du Conseil de l’Europe pourraient prendre pour mieux lutter contre les menaces hybrides tout en respectant pleinement les droits de l’homme. Ils pourraient notamment réfléchir à leur propre expérience dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sujet que notre Assemblée a déjà évoqué à de nombreuses reprises.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le rapporteur, il vous restera 8 minutes pour répondre tout à l’heure aux orateurs.

M. COMTE (Suisse), suppléant M. Ariev, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias* – Chers collègues, il faut rendre à César ce qui est à César, et à M. Ariev ce qui est à M. Ariev! Ce dernier aurait dû vous présenter cet avis. Je vais donc vous dire tout ce qu’il aurait souhaité vous dire ici.

Permettez-moi de commencer en exprimant le soutien de la commission de la culture au rapport de M. Cilevičs. Notre commission partage pleinement l’idée principale du rapport, à savoir que la question de la guerre hybride et les obligations relatives aux droits de l’homme dans un tel contexte sont devenues d’une actualité brûlante depuis quelques années.

Le rapport souligne, à juste titre, que les adversaires hybrides agissent par-delà les frontières légales et dans des espaces sous-réglementés. Ils exploitent les seuils légaux limitant les ripostes et sont prêts à commettre de graves violations du droit en profitant de l’ambiguïté du droit et des faits.

Parvenir à réglementer la guerre hybride est un défi, et ce pour une raison simple: l’une des parties cherche systématiquement à se soustraire à ses responsabilités légales.

Pour l’instant, l’utilisation du large éventail de moyens hybrides disponibles pour mener un conflit ne fait l’objet d’aucune limitation internationalement reconnue. Les États tentent de contrer ces nouvelles menaces à l’aide du droit pénal interne. Le problème est que certaines mesures internes prises pour faire face à des menaces hybrides peuvent, à leur tour, porter atteinte aux droits fondamentaux. À ce propos, les risques éventuels en matière de droits de l’homme peuvent être atténués en adoptant l’approche retenue pour les mesures antiterroristes. Les ripostes des États aux menaces hybrides devraient être légales et proportionnées.

Le rapporteur pour avis, M. Ariev, s’est intéressé en particulier à la question de la liberté d’expression. Il est d’accord que certaines restrictions visant à contrôler le contenu des informations peuvent être imposées, en particulier en ce qui concerne le discours de haine. Toutefois, comme le rapport l’indique justement, ces restrictions ne devraient pas être discriminatoires ni entraîner une censure générale. Ce qui rend le problème particulièrement délicat est le fait qu’il n’est pas toujours possible d’identifier l’adversaire hybride et d’attribuer la responsabilité des menaces hybrides à un État précis.

Par ailleurs, la «zone grise» juridique qui entoure actuellement les menaces hybrides met aussi en danger la coopération juridique fondée sur la confiance mutuelle et la compréhension commune des règles applicables. Voilà pourquoi la commission partage entièrement le point de vue selon lequel le Conseil de l’Europe doit jouer un rôle de premier plan en soutenant l’élaboration de réponses juridiques communes et en apportant sa grande expertise dans le domaine des droits de l’homme.

La commission de la culture approuve le projet de résolution et le projet de recommandation proposés mais suggère néanmoins de lui apporter quelques modifications pour lui conférer plus de force. J’expliquerai nos propositions ultérieurement.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

Mme Marković, porte-parole du Groupe des démocrates libres, n’est pas présente dans l’hémicycle.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Je souhaite remercier M. Cilevičs pour ce rapport extrêmement intéressant et d’une grande importance.

On le sait, la guerre fait partie de la politique. Pendant de nombreux siècles, des guerres ont eu lieu et, aujourd’hui, au XXIe siècle, les guerres sont bien différentes. Dans The Telegraph, on a pu voir une caricature très amusante : lors d’une parade militaire, les soldats ne défilaient pas avec des armes ou des missiles, mais armés d’ordinateurs et d’équipements télévisuels.

Les instruments utilisés dans la guerre hybride sont, en effet, différents et les combattants sont équipés d’ordinateurs plutôt que d’armes. La guerre change, et ses conséquences aussi. Les victimes n’endurent pas de souffrances physiques, mais des souffrances psychologiques, liées par exemple au vol de leurs données.

Nous avons donc besoin de nouvelles réglementations pour gérer au mieux ces guerres d’une nouvelle forme et leurs conséquences. Le rapporteur nous indique que nous ne disposons pas de réglementations adéquates pour protéger les victimes de la guerre hybride. Mais comment définir ces nouveaux combattants? Comment les différencier des civils? Ces combattants ne portent pas d’uniforme ni de signes particuliers. Nous avons, à l’évidence, besoin de nouvelles définitions et réglementations.

Ce rapport ne couvre pas tout ce dont nous avons besoin, mais il constitue une première tentative d’expliquer ce qu’est la guerre hybride. Il s’agit de mieux comprendre cette guerre et de mieux mettre en œuvre les droits humains dans les situations très inhabituelles.

Mon groupe est très satisfait de ce rapport et nous vous proposons, chers collègues, de le soutenir.

M. Espen Barth EIDE (Norvège), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts* – Notre groupe apporte son soutien à ce rapport et félicite M. Cilevičs pour son travail. À réfléchir à cette question, j’ai l’impression que nous anticipons, et de loin, sur les débats qui ont lieu ailleurs, notamment aux Nations Unies.

Le rapport traite de deux aspects qu’il faut appréhender conjointement. D’une part, il relève un vrai problème: la guerre hybride existe. Le défi n’est pas nouveau, mais les outils ont évolué et se sont perfectionnés. La guerre hybride fait donc désormais partie de la réalité. D’autre part, il faut veiller à apporter les bonnes réponses, et non les mauvaises. Il faut trouver des réponses pour défendre et protéger ce qui nous importe pour continuer à exister. Voilà le message que nous délivre ce rapport.

Dans notre approche juridique, nous faisons depuis des siècles la séparation entre le temps de paix et le temps de guerre. En temps de paix, il y a l’État de droit et les droits de l’homme. Mais en temps de guerre, nous considérons que la situation est exceptionnelle et que c’est le droit humanitaire international qui s’applique. La distinction est d’importance et il ne faut pas mélanger les deux. Mais certains des défis du moment et certaines des réponses apportées jusqu’à présent mettent en cause cette séparation.

À cet égard, je suis d’accord avec l’idée principale du rapport, à savoir qu’il faut être ouvert, que nos sociétés doivent rester démocratiques, qu’elles doivent devenir plus robustes sans pour cela être moins tolérantes. Il faut utiliser les instruments qui existent déjà, lesquels découlent de la Déclaration universelle des droits de l’homme. J’aimerais d’ailleurs rappeler que les auteurs de la Déclaration et ceux de la Convention ne pensaient pas que le monde était un endroit où il était simple de vivre: ils avaient connu des catastrophes, des désastres et d’immenses problèmes.

Il faut donc envisager les choses de manière à défendre nos systèmes informatiques et, plus largement, rendre nos sociétés plus robustes, sans pour autant leur faire perdre leur tolérance, sans réduire la liberté d’expression. Ce rapport est très important; il va permettre de définir des normes pour l’ensemble du continent européen.

M. HOWELL (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Non seulement ce rapport est bon, mais il arrive à point nommé: il y est question d’activités que l’on observe d’ores et déjà, d’ingérences de la part d’États dans des élections nationales, d’attaques contre la cybersécurité ou les réseaux sociaux. Visiblement, la législation et la réglementation sont très en retard par rapport aux avancées techniques.

Le rapport examine ces activités après les avoir classées en deux parties. La première rassemble celles qui sont de nature terroriste, et la seconde décrit les autres. Nous avons déjà traité du terrorisme au Conseil de l’Europe, en particulier en abordant la question du financement de Daech et la manière d’y mettre un terme.

La première catégorie devrait être subdivisée, et il convient d’insister sur les questions touchant à la cybersécurité. Nous avons en effet observé un grand nombre d’activités très dangereuses dans ce domaine, et se rapprochant d’actions militaires. Imaginez un instant une cyberattaque contre les systèmes de gestion des avions et de contrôle aérien: des avions civils pourraient s’écraser; ou bien encore – ce qui s’est déjà produit – une cyberattaque contre le NHS, le service de santé du Royaume-Uni.

Je comprends parfaitement qu’il puisse être difficile de retrouver les auteurs de ces attaques ou de désigner leurs responsables, mais il est clair que nous sommes mal armés pour lutter contre les cyberattaques. Comment pourrait-on y remédier sur le plan technologique? Il ne s’agit pas de se lancer dans une course technologique: au Royaume-Uni, l’un des objectifs du développement cybernétique est de construire un cyberespace vivant, qui soit à la disposition des utilisateurs, pour préserver des sociétés ouvertes.

Du point de vue des droits de l’homme, la manière de prendre en compte les cyberattaques devrait être la même que pour les actions militaires. C’est là un point important. Or, comme le montre le rapport, certaines mesures prises à l’heure actuelle peuvent sembler futiles. Par exemple, dans un pays, des personnes ont été appréhendées pour avoir soutenu la Fédération de Russie et les États-Unis. Les principes du Conseil de l’Europe doivent avoir cours partout, y compris dans le cyberespace. L’un des principes dont il est question tout au long du rapport est celui de la proportionnalité, dans l’approche et dans la mise en place d’un cadre.

M. Michael Aastrup JENSEN (Danemark), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – J’aimerais remercier le rapporteur et le rapporteur pour avis pour leurs travaux que le groupe ADLE soutient pleinement. Disons-le franchement: il s’agit ici de la Fédération de Russie. Un État membre de cette Organisation qui mène très activement une guerre hybride contre nous, contre les autres États membres.

Il y a quelques jours de cela, le Danemark a constaté que la chaîne russe NTV, une télévision d’État, avait diffusé un reportage tourné dans l’île de Bornholm, dans la mer Baltique, expliquant que les services de renseignement danois installaient des radars, que les habitants de Bornholm parlaient tous russe, qu’ils avaient peur d’être bombardés et construisaient des abris antiatomiques. Tout cela était faux, bien entendu. Il y a un an, une autre chaîne de télévision russe avait sorti un reportage sur les Danois. Ces derniers, expliquait-on, étaient tellement en dehors de toutes les normes qu’on trouvait à Copenhague des cliniques dans lesquelles on pouvait pratiquer la zoophilie. Une fois encore tout cela est faux, bien évidemment, mais c’est de cela que nous parlons ici: il s’agit de tentatives de déstabilisation récurrentes en provenance d’un État membre de cette Organisation.

Or certains membres de l’Organisation essaient d’affaiblir nos règles et nos capacités à sanctionner la délégation russe pour faire en sorte que celle-ci puisse revenir, alors même que les Russes se livrent à des activités comme celles que j’ai mentionnées. Voilà qui est très difficile à comprendre, vous me l’accorderez. Nous devrions au contraire défendre clairement nos principes et nos valeurs, en particulier la liberté d’expression, et refuser les guerres hybrides. On ne peut pas vouloir à tout prix le dialogue et diluer nos principes pour que les Russes soient parmi nous. Adoptons donc ces excellents rapports, mais soyons tout aussi fermes dans les autres débats: disons non au comportement de cet État membre du Conseil de l’Europe. Sinon, nous finirons par avoir honte.

M. HUNKO (Allemagne), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Ce débat est vraiment d’actualité et il est très important. Le concept même de guerre hybride, au moins pour une part, n’est pas nouveau. «La première victime d’une guerre, c’est la vérité», disait-on. L’exemple le plus connu de ces mensonges de guerre au XXIe siècle est celui a présidé au lancement de la guerre contre l’Irak: on se souvient de l’intervention de Colin Powell au Conseil de sécurité, venant se livrer à de la propagande et délivrer des fake news.

Ce qui est nouveau, en revanche, ce sont les capacités qu’offre internet. La question des attaques cybernétiques est d’actualité depuis l’élection du dernier président américain. Selon les enquêtes faites par différents médias, si les attaques sont de différentes sortes, toutes ont un lien avec la Fédération de Russie.

Les attaques cybernétiques peuvent viser les infrastructures d’un pays, par exemple une centrale nucléaire, un hôpital, ou encore un centre de contrôle du trafic aérien. La réponse apportée à ces attaques doit être différente selon la cible. Un autre type d’attaques consiste dans la désinformation, comme ce fut le cas lors des élections américaines, avec l’affaire Wikileaks et la publication de fausses informations au sujet du Parti démocrate.

Je trouve qu’il n’est pas pertinent de mélanger les cyberattaques, les fake news et la propagande, et de dire que tout cela est la faute de la Fédération de Russie.

En Allemagne, un an avant les élections législatives, les services de renseignement ont initié une campagne disant que les Russes menaçaient les élections allemandes. Je n’ai cessé de poser des questions au gouvernement et la réponse a toujours été la même: il n’y avait pas d’indices allant dans ce sens.

Je crois que ce type d’accusation est une tendance dangereuse.

Quant au rapport lui-même, je note que l’Otan est pris en exemple au point 9. Je ne trouve pas cela correct de la part de notre Organisation, qui devrait être neutre. Beaucoup d’États sont non alignés en Europe. Je considère qu’une référence à l’Otan n’est pas bonne, d’autant que cette dernière pourrait considérer qu’une cyberattaque s’impose, dès lors qu’il s’agit d’une réponse alliée à une attaque. C’est extrêmement dangereux et envoie un mauvais message.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le rapporteur, vous avez la possibilité de répondre immédiatement aux porte-parole des groupes qui viennent de s’exprimer.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – J’aimerais saisir cette occasion pour remercier mes collègues pour leur soutien pour mon rapport et pour mes propositions. Merci pour toutes vos remarques tout à fait pertinentes!

Je suis à peu près d’accord avec tout ce qu’ont dit les porte-paroles des groupes politiques. Quelques remarques, néanmoins.

Monsieur Vareikis, je ne suis pas d’accord sur le fait que les souffrances seraient différentes suivant les types de conflit. Les souffrances sont les mêmes; les victimes sont des victimes; le sang, c’est du sang. Des gens perdent leur vie, leur femme, leur maison, leur foyer à cause de cette guerre hybride, qui tue, elle aussi: les armes ne sont pas les seules à tuer! Les victimes sont tout à fait réelles.

Monsieur Eide, je suis d’accord avec vous: le problème se pose comme vous l’avez indiqué. Il y a deux organes de droit international, l’un pour les situations de paix, l’autre pour les situations de guerre. Mais le droit humanitaire international ne couvre pas, à l’heure actuelle, les situations de guerre hybride. Les États membres appliquent le droit international humanitaire en pratique mais cela pose problème du point de vue des droits de l’homme. De plus, la frontière entre une situation de paix et une situation de guerre est de plus en plus floue. Il faut donc renforcer nos normes juridiques.

Monsieur Howell, je suis d’accord avec vous: vous avez mis l’accent sur l’aspect de la cyberguerre mais le monde cybernétique est un environnement général qui peut être utilisé pour viser différentes cibles. Peut-on appliquer les mêmes normes lorsque le contrôle aérien est visé, ou lorsque des élections le sont par la diffusion de fausses nouvelles? Différentes approches, différents processus sont donc nécessaires, non seulement en fonction du type de guerre hybride mais aussi en fonction de la cible.

Concernant les tentatives de déstabilisation, Monsieur Jensen, la liberté d’expression est un droit de l’homme fondamental. Nous fixons des seuils extrêmement élevés pour restreindre la liberté d’expression – par exemple, des appels à la violence. Mais le droit de dire des imbécillités, le droit de dire des choses épouvantables fait partie de la liberté d’expression, qui est protégée en tant que telle. Nous devons être très prudents lorsque nous proposons d’abaisser les seuils pour restreindre la liberté d’expression. Nous devons y réfléchir et y travailler ensemble.

Monsieur Hunko, vous avez absolument raison: la technologie rend les choses très dangereuses. Qui est coupable? La Fédération de Russie est toujours montrée du doigt, parfois de façon injustifiée. L’un des principaux problèmes posés par la guerre hybride est justement qu’il est très difficile d’identifier les auteurs de ces attaques. Ce qui est en jeu ici, c’est la confiance. Nous pouvons mentionner de nombreux cas dans lesquels des États membres du Conseil de l’Europe ont menti. Il est donc très difficile de conserver cette confiance pour l’avenir.

LE PRÉSIDENT* – Il s’agit d’un débat très important. Le rapporteur a rédigé un rapport qui lui a demandé beaucoup de travail. La liste des orateurs n’est pas très longue. Aussi, je ne serai pas très strict quant au temps de parole et je suis prêt à donner la possibilité de s’exprimer à ceux qui ne se sont pas inscrits.

M. LUPU (République de Moldova)* – Je félicite tout d’abord les rapporteurs, MM. Cilevičs et Ariev. C’est un rapport juste et opportun.

La République de Moldova, une jeune démocratie, est la cible d’une guerre hybride visant à diviser sa société par le biais du séparatisme, de l’ingérence politique, du sabotage des relations commerciales et d’une vraie propagande.

L’histoire de la République de Moldova a été subvertie par l’ingérence de la Fédération de Russie. L’objectif est de limiter les perspectives d’avenir, de développement, et d’empêcher la solidarité entre nos populations. C’est pour cela que nous sommes le théâtre de tentatives de séparatisme, par exemple en Transnistrie, selon le même scénario qu’en Géorgie et en Ukraine, sans compter la propagande anti-européenne de la Fédération de Russie. Aujourd’hui, la Fédération de Russie dit vouloir retirer les armes de Transnistrie mais, en dépit de ses engagements et malgré les efforts de la coalition au pouvoir, ce n’est pas le cas.

Le nouveau Code des médias, adopté en janvier de cette année, permet d’arrêter la propagande anti-européenne. Il est donc possible d’empêcher la diffusion des programmes créés dans des États qui n’ont pas ratifié la Convention européenne sur la télévision transfrontière. Immédiatement après l’adoption de cette nouvelle législation, nous avons été critiqués par certains sur une base politique tout à fait sélective: je rejette ces critiques parce que cette loi est fondée sur un document adopté ici, à Strasbourg, et ratifié par la grande majorité des pays membres, y compris la République de Moldova. Enfin, ces déclarations n’empêcheront pas la République de Moldova d’appliquer la loi et d’être efficace dans la lutte contre la propagande. Nous croyons toujours dans l’Union européenne: toutes les ingérences visant à propager la haine et la propagande anti-européenne ne passeront pas.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Je remercie tout d’abord le rapporteur pour son excellent travail. La question de la guerre hybride est vraiment d’actualité: je le dis du fond du cœur car je vis dans un pays qui en est victime. Nous en ressentons les effets chaque jour, chaque heure, chaque minute.

Ce nouveau phénomène est apparu il y a quelques années. À l’époque, nous n’en avions pas parlé: c’est la première fois que nous abordons ce sujet extrêmement important avec sérieux. Nous aurions dû le faire il y a deux ans déjà.

Ces phénomènes peuvent être combinés avec des activités militaires ou pas, avec des cyber-attaques, de la désinformation, des fausses informations, de l’ingérence dans les élections, quelles que soient les formes prises par cette guerre hybride.

L’Assemblée parlementaire doit donc traiter de ce problème au moins une fois par an, afin d’examiner les évolutions et d’adapter nos réactions.

Il faut séparer deux types d’activités: d’une part, la guerre hydride qui combine une intervention militaire et des cyber-attaques, d’autre part, toutes les activités sans attaque militaire directe à l’encontre d’un État membre qui peuvent toutefois également être considérées comme relevant d’une guerre hydride.

Nous devons trouver des réponses à ce défi, dont certaines se trouvent dans le projet de résolution dont j’espère qu’il sera adopté à une très large majorité, voire à l’unanimité.

M. GHILETCHI (République de Moldova)* – Je remercie moi aussi le rapporteur, M. Cilevičs d’avoir présenté ce rapport sur le développement des menaces et des guerres hybrides..

Il semble consensuel de dire que nous vivons dans un environnement international absolument chaotique. Mais en réalité, depuis 70 ans, les guerres civiles et les conflits entre États ont constamment vu leur nombre diminuer.

Les divergences de vue et les séparatismes sont une conséquence directe de cette guerre hydride. Je me félicite donc que nous ayons ce débat, alors que certains États exercent des pressions sans que nous puissions les montrer du doigt: regardons ce que fait la Fédération de Russie en République de Moldova, en Ukraine ou en Géorgie.

En 1946, George Kennan écrivait dans son long télégramme de Moscou: «La Russie est prête à saper les puissances occidentales, à miner la confiance des populations, à encourager toute forme de désunion et de trouble. Des complots seront fomentés, et lorsqu’il y aura des soupçons, ils pourront tout enflammer.» Aujourd’hui, comme disait le roi Salomon, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

La menace que fait peser la Fédération de Russie est grave. Il faut donc envoyer un message aux États membres du Conseil de l’Europe pour qu’ils ne ferment pas les yeux.

Or l’une des difficultés réside dans le fait que ces attaques sont occultes, ambiguës, et que par conséquent les victimes hésitent et ne savent pas comment y répondre. C’est pourquoi j’appuie la recommandation de mener une étude sur les menaces de guerre hybride en mettant l’action sur les menaces non militaires afin de mettre sur pied des normes juridiques, dont une nouvelle convention du Conseil de l’Europe sur ce sujet. Ce serait un pas en avant pour nous doter d’un cadre juridique qui définirait les cibles et qui nous permettrait de contre-attaquer face à ces attaques.

La réponse à ces attaques hydrides devrait prendre différentes formes: diplomatique, technique et juridique, afin de diminuer leur impact. Par ailleurs, il faut mieux éduquer les pays les plus exposés à ces guerres hybrides, en particulier dans les pays où les populations n’ont pas un niveau d’éducation très élevé et sont donc davantage susceptibles de croire à la propagande. Il faut encore que les États puissent se défendre, grâce au développement de l’esprit critique, ce qui suppose des investissements dans l’éducation.

M. WHITFIELD (Royaume-Uni)* – Je souhaite remercier le rapporteur ainsi que toute son équipe pour cet excellent travail.

La guerre hybride est un animal plus facile à reconnaître qu’à définir. Beaucoup d’entités de par le monde essaient d’attaquer, de s’ingérer, d’influencer, de perturber d’autres États ou des groupes en utilisant la désinformation, les cyberattaques et d’autres moyens non traditionnels.

Quotidiennement, de fausses nouvelles sont annoncées sur les réseaux sociaux, des attaques sont menées contre les infrastructures des États au moyen de logiciels malveillants ou de cybervirus, dans le but de les perturber et de porter un préjudice, notamment économique, aux États et aux citoyens.

J’aimerais souligner certains aspects du rapport. Tout d’abord, comme je l’ai dit, c’est un défi de définir cette notion et de rédiger un texte de loi sur le sujet. En effet, dans ce que l’un identifie comme une guerre hydride, un autre verra une action raisonnable. Du reste, le défi de la définition se posera à l’avenir de manière plus pressante encore.

Pourtant, les recommandations du rapport devraient nous permettre de nous approcher d’une définition, en identifiant des vides juridiques et en créant des normes juridiques, notamment une convention.

Il est caractéristique des guerres hybrides que les parties responsables nient toute implication et qu’il existe une asymétrie légale entre auteurs et victimes. Ainsi, dans quelles circonstances une partie peut-elle légitimement invoquer le droit à la légitime défense inscrit à l’article 51 de la Charte des Nations Unies?

Les événements récents témoignent de l’existence de guerres hybrides: nous avons été témoins d’un empoisonnement dans les rues de Salisbury, de campagnes de désinformation qui ciblent l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la France ou l’Allemagne. La guerre hybride utilise la politique, la diplomatie, les médias, le cyberespace dans le but de déstabiliser les opposants sans avoir nécessairement recours aux soldats, aux chars et aux armes.

Enfin, les États membres devraient s’abstenir d’avoir recours à la guerre hybride. Il semble peut-être inutile de le dire, mais c’est encore mieux en le disant. Il en va de l’honneur des nations qui entendent respecter l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme en s’opposant à ceux qui ne s’y intéressent pas.

M. KOPŘIVA (République tchèque)* – Je me félicite de la résolution qui nous est proposée. Je remercie M. Cilevičs d’avoir adopté une approche raisonnable de cette problématique. On ne saurait en effet sous-estimer la menace que pose la guerre hybride. Lorsque nous sommes confrontés à la menace hybride, la ligne entre la paix et la guerre devient une zone grise. Nous devons être prêts à tout.

Nos adversaires utilisent, dans une mauvaise intention, des méthodes insidieuses et non conventionnelles. Cependant, dans notre lutte contre cette menace hybride, nous ne devons pas avoir recours à la censure, au traçage des communications et à la suppression automatique de contenus. En effet, de telles mesures conduiraient l’opposition à affirmer que l’État la musèle; il ne serait que plus simple ensuite de répandre le doute sur les faits. Pour démanteler véritablement la menace hybride, il faut assurer une bonne défense contre les cyberattaques, développer la pensée critique et enseigner à chacun la lecture des médias, la reconnaissance de la désinformation et des tentatives étrangères de déstabiliser le système.

Les conséquences d’un conflit hybride peuvent être extrêmement graves, et j’espère qu’ensemble nous pourrons surmonter la menace sans avoir à brûler les ponts que nous avons construits. Je soutiens par ailleurs tous les amendements.

LE PRÉSIDENT* – M. Sabella, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

La liste des orateurs est épuisée et personne ne semble souhaiter profiter de l’offre que je réitère de prendre la parole sans s’être inscrit préalablement.

J’appelle la réplique de la commission.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – Mes chers collègues, je souhaite vous remercier pour vos remarques. Je m’attendais à ce que les plus actifs au cours de ce débat soient ceux qui sont la cible de cette guerre hybride. J’ai beaucoup de sympathie pour nos collègues d’Ukraine et de la République de Moldova, et me sens très solidaire avec eux, car ils souffrent beaucoup des conséquences de cette guerre hybride.

J’aimerais tout particulièrement mettre l’accent sur l’intervention de M. Kopřiva. Gardons-nous en effet d’appliquer des remèdes qui pourraient être pires que la maladie. Ceux qui utilisent des méthodes de guerre hybride pourraient en effet nous pousser à réintroduire la censure et à renoncer au niveau de démocratie et de défense des droits de l’homme que nous avons atteints grâce au développement de l’Europe.

Trouver le bon équilibre n’est pas facile. C’est pourquoi je propose que nous le trouvions ensemble, par le biais de la coopération et d’un dialogue permanent, ainsi qu’en coopérant avec d’autres organisations internationales, dont l’aide est nécessaire en ce domaine. Le travail ne fait que commencer. Nous devons unir nos efforts pour trouver des solutions juridiques à ces problèmes très complexes.

Je remercie très sincèrement le secrétariat de la commission des questions juridiques. Il comprend des professionnels de très haut niveau; je tiens à le dire ici. Je vous appelle tous à soutenir ce rapport et le projet de recommandation.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Comme le débat et le rapport l’ont montré, différentes méthodes de guerre hybride existent, ce qui inquiète l’opinion publique: soldats non clairement identifiés, qui prennent par exemple le pouvoir en Crimée, diffusion de fausses informations, de trolls dans les réseaux sociaux, tentatives de hacking de parlements, attaques sur des infrastructures vitales, etc. Parfois, nous soupçonnons les auteurs, ce qui d’ailleurs fait partie de leur stratégie, celle de l’intimidation; mais les preuves irréfutables sont toujours très difficiles à apporter.

De nouvelles questions se posent à nous. Ce débat n’est pas fini, il se poursuivra un certain temps. Mais ce commencement est nécessaire, car il nous faudra aussi aborder ces questions sous l’angle juridique. M. le rapporteur s’est fort bien acquitté de cette première tâche. Il maîtrise le sujet, et le débat en commission fut excellent, tout au long de la rédaction du rapport. Je puis vous assurer que M. Cilevičs a le soutien plein et entier de la commission, ce que vous pourrez constater lorsque nous aborderons les amendements déposés. M. le rapporteur a réuni une vaste majorité autour de son travail.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques a présenté un projet de résolution, sur lequel 6 amendements ont été déposés, et un projet de recommandation, sur lequel 3 amendements ont été déposés.

Nous commençons par le projet de résolution.

J’ai cru comprendre que le président de la commission proposait de considérer les amendements 3, 5, 1, 2 et 4, qui ont été adoptés à l’unanimité par la commission, comme adoptés par l’Assemblée.

L’amendement 6 a également été adopté à l’unanimité, mais, dans la mesure où il fait l’objet d’un sous-amendement, il sera discuté selon les modalités habituelles.

Est-ce bien le cas, Monsieur le président?

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – Tout à fait, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT* – Il n’y a pas d’opposition. En conséquence, les amendements 3, 5, 1, 2 et 4 sont déclarés définitivement adoptés.

Nous en venons à la discussion de l’amendement 6, pour lequel un sous-amendement a été déposé.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Nous voulons souligner que «la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières» sont les enjeux de cette guerre hybride.

LE PRÉSIDENT* – Je suis saisi d’un sous-amendement à l’amendement 6.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – Il ne s’agit que d’une correction grammaticale.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Je suis favorable à ce sous-amendement.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – La commission également.

Le sous-amendement est adopté.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission des questions juridiques* – La commission est favorable à l’amendement, ainsi sous-amendé.

L’amendement 6, sous-amendé, est adopté.

LE PRÉSIDENT* – Nous allons procéder au vote sur le projet de résolution contenu dans le Doc. 14523, tel qu’il a été amendé.

Le projet de résolution, amendé, est adopté (35 voix pour, 1 voix contre et 0 abstention).

LE PRÉSIDENT* – Nous en venons au projet de recommandation.

L’amendement 7 a été adopté à l’unanimité, mais, dans la mesure où il fait l’objet d’un sous-amendement, il sera discuté selon les modalités habituelles.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Nous pensons qu’il faut «identifier les principaux points faibles et les indicateurs spécifiques d’une nature hybride susceptibles de concerner les structures et les réseaux nationaux et européens.»

LE PRÉSIDENT* – Je suis donc saisi d’un sous-amendement présenté par la commission des questions juridiques.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – Nous proposons, par souci de clarté, de remplacer le mot «structures» par le mot «infrastructures».

M. VLASENKO (Ukraine)* – Je souhaite, Monsieur le rapporteur, vous remercier pour ce sous-amendement. J’y suis évidemment favorable.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – Avis favorable.

Le sous-amendement est adopté.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – La commission est favorable à l’amendement, ainsi sous-amendé.

L’amendement 7, sous-amendé, est adopté.

LE PRÉSIDENT* – Je suis saisi de l’amendement 8.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Nous proposons de développer des principes non seulement pour régir les réseaux sociaux, mais également pour prévenir leur utilisation à des fins de guerre hybride.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – Je comprends l’objectif de cet amendement et les préoccupations de nos amis ukrainiens. Mais cette proposition est très dangereuse: comme nous l’avons dit au cours du débat, nous devons être très prudents dès lors qu’il s’agit de restreindre la liberté d’expression.

Malheureusement, certains États membres du Conseil de l’Europe prennent prétexte de ces attaques contre l’État pour limiter la liberté d’expression et introduire la censure. Le paragraphe 2.2 a été écrit avec le plus grand soin, il vise à élaborer des principes sans menacer la liberté d’expression.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – Cet amendement a été rejeté à une large majorité par la commission.

L’amendement 8 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT* – Je suis saisi de l’amendement 9.

M. VLASENKO (Ukraine)* – Nous proposons d’ajouter au paragraphe 2.2 la mention de la lutte contre l’ingérence extérieure de panoplies d’outils de guerre hybride dans les processus nationaux d’élection. Cela est très important.

M. CILEVIČS (Lettonie), rapporteur* – Je suis tout à fait d’accord sur le fond, mais la question est si importante que la commission des questions juridiques a décidé de lui consacrer un rapport à part entière. Cette décision a été adoptée hier en commission, les travaux sur ce rapport commenceront prochainement. Une fois que nous aurons traité la question, nous serons en mesure de faire des recommandations au Comité des Ministres.

Votre proposition est donc prématurée.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission* – La commission a rejeté cet amendement à une large majorité.

L’amendement 9 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT* – Nous allons maintenant procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le Doc. 14523, tel qu’il a été amendé.

Je vous rappelle que la majorité requise est celle des deux tiers des suffrages exprimés.

Le projet de recommandation, amendé, est adopté (35 voix pour, 1 voix contre et 0 abstention).

M. Jonas Gunnarsson, Vice-Président de l’Assemblée, remplace Sir Roger Gale au fauteuil présidentiel.

4. Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la discussion du rapport sur «Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites», présenté par M. van de Ven au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 14516).

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. van de VEN (Pays-Bas), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Le rapport que je vous présente aujourd’hui traite d’une question dont on ne saurait sous-estimer l’importance: la prévention du crime organisé, terme dans lequel j’inclus la corruption de haut niveau.

Comment peut-on empêcher le crime organisé et la corruption de contourner l’État de droit et la démocratie tels que nous les connaissons?

Selon les statistiques de la Banque mondiale, les profits générés par le crime sont considérables: nous parlons ici de milliers de milliards de dollars qui, année après année, donnent un pouvoir immense aux criminels – le pouvoir de corrompre, de faire pression sur des responsables politiques, sur la police, sur la justice, sur les témoins; le pouvoir de détruire des marchés entiers, d’éliminer des concurrents honnêtes en pratiquant volontairement des prix cassés qui sont compensés avec de l’argent sale. Le pouvoir financier du crime organisé menace les fondations mêmes du contrat social sur lequel nos sociétés sont fondées.

La confiscation agressive des gains mal acquis attaque donc le crime organisé à la racine, en le privant de sa puissance financière. Si l’on empêche les criminels de jouir de ce mode de vie luxueux caractéristique du crime organisé et d’une corruption d’un niveau élevé, il ne sera plus intéressant de devenir criminel. Il s’agit de confisquer les actifs des criminels. Ainsi les prive-t-on de l’argent nécessaire à leurs prochains méfaits et récupère-t-on des ressources essentielles au dédommagement des victimes et des communautés locales.

Il est cependant clair que le cadre juridique actuel reste bien insuffisant. Selon des estimations d’Europol, ce sont 2,4 milliards d’euros qui ont été saisis en 2016 par les autorités, mais cela n’a représenté que 2,2 % des profits engrangés par le crime en Europe – et, au bout du compte, seule la moitié de ces actifs ont été confisqués. Bien entendu, les médias ont évoqué l’opération menée conjointement, avec succès, par les polices allemande et italienne contre la ‘Ndrangheta, mais, au fond, elle était assez modeste. Si 160 mafiosi ont été arrêtés et 50 millions d’euros d’actifs gelés, le chiffre d’affaires de ‘Ndrangheta est estimé à 50 milliards d’euros! Faites le calcul, cela ne représente qu’un prélèvement de 0,1 % de ces gains illicites. Nous pouvons et devons faire mieux.

Une façon d’y parvenir serait d’alléger la charge de la preuve qui pèse sur les autorités quand il s’agit de démontrer l’origine criminelle des actifs suspects. C’est le «modèle irlandais», que j’ai eu le privilège d’étudier en profondeur à l’occasion d’une récente visite à Dublin, au Bureau de recouvrement des avoirs d’origine criminelle. Résumons la procédure: s’il est clair que le train de vie d’une personne excède largement ses moyens tels qu’ils résultent de toutes ses sources légales et déclarées de revenus, on peut s’interroger sur l’origine de ses actifs – villas, voitures de luxe, yachts, comptes en banque. Alors, soit la personne peut justifier qu’ils ont une origine légale, soit ils sont tout simplement confisqués, sans qu’il soit besoin d’attendre une condamnation pénale et sans que les autorités aient à prouver – comme dans de nombreux pays – qu’ils ont une origine illégale.

Le projet de résolution qui vous est soumis a été rédigé à la lumière de conseils que des experts, praticiens de la coopération internationale en matière de saisie et confiscation d’actifs illicites, ont pu nous dispenser lors des auditions organisées par notre commission. J’ai également obtenu les conseils des propres organes intergouvernementaux de lutte contre la corruption et le crime organisé du Conseil de l’Europe.

Notre texte tient également compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, comme l’exposé des motifs l’explique. Notre proposition offre des garanties suffisantes pour protéger les citoyens honnêtes du risque d’une confiscation abusive. La Cour de Strasbourg a reconnu que la présomption d’innocence et la protection de la propriété privée n’étaient pas des obstacles à la saisie des actifs illicites. C’est là un bon exemple du fait que les droits de l’homme ne sont pas des outils qui protègent les criminels, contrairement à ce que prétendent certains populistes qui critiquent la Convention et la jurisprudence de la Cour. La Convention permet – et, à mon avis, exige – que des sociétés démocratiques, fondées sur le droit, défendent leurs membres contre des criminels, y compris en recourant à des méthodes de pointe. Considérez les chiffres que je vous ai donnés. Il est clair que les notions de «nécessité dans une société démocratique» et de «proportionnalité» retenues par la Cour ne sont effectivement pas un problème. L’Irlande nous montre qu’avec un cadre juridique et institutionnel robuste, avec le professionnalisme, l’éthique et la déontologie des personnes chargées de cette mission, les ingrédients du succès sont réunis.

Nos experts nous ont expliqué que de nombreux problèmes doivent encore être résolus pour que nous puissions réagir avec efficacité aux tactiques des criminels, qui ne cessent d’évoluer. Les criminels déplacent leurs actifs d’un pays à un autre, où les règles de la confiscation sont différentes – et beaucoup plus contraignantes. Je rappelle donc la nécessité de renforcer la coopération internationale. Une première étape doit être de s’assurer que les pays qui ont adopté un régime de confiscation non tributaire des condamnations ne soient pas désavantagés dans le cadre d’une coopération internationale, car ce sont les criminels qui en bénéficieraient.

J’espère que l’adoption de cette résolution et sa présentation à nos parlements nationaux permettront à notre Assemblée et à ses membres de contribuer utilement à la lutte contre le crime organisé, en aidant à faire en sorte que le crime ne paie vraiment pas!

Merci de votre attention, chers collègues. Je suis impatient de vous entendre.

LE PRÉSIDENT* – Monsieur le rapporteur, il vous restera un peu moins de sept minutes pour la réplique de la commission.

La discussion générale est ouverte. Nous commençons par les porte-paroles

des groupes.

M. MULLEN (Irlande), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Félicitations, Monsieur le rapporteur, c’est un excellent rapport.

Nous avons tous eu l’occasion de réfléchir récemment aux gains personnels considérables qui sapent les intérêts collectifs, à ce phénomène qui défie la justice et la police. Il est dans la nature humaine de se laisser attirer par ce qui brille. C’est encore plus vrai en ce qui concerne ceux qui ne respectent ni le droit ni la police ni l’ordre ni la collectivité. Lorsqu’il s’agit de se protéger et de s’enrichir toujours plus, ils font preuve d’une créativité sans bornes. Pensons au à l’internet, au darknet. Nos systèmes ont du mal à suivre le rythme des progrès techniques, et c’est parfois le diable qui semble le mieux équipé. C’est que les gains sont si importants que la créativité et la détermination de ces personnes s’en trouvent renforcées.

Ce qu’il faut retenir de ce rapport, c’est que les droits de l’homme ne font pas obstacle à la création de structures nationales et de procédures internationales visant à saisir ces avoirs illicites, y compris lorsque les poursuites n’ont pas encore abouti. Il est même essentiel, pour le bien de tous, que de telles possibilités existent. Ce rapport, clair, montre que nous avons pris du retard dans nos efforts pour priver les criminels de la jouissance de ces avoirs illicites, des profits estimés à 2,1 trillions de dollars. Nous sommes dans une situation extraordinaire. Il faut cibler ces avoirs le plus possible.

J’aimerais toutefois énoncer quelques principes dont il faudra tenir compte si l’on veut mettre en œuvre des systèmes de confiscation avant condamnation.

Il faut un système de contrôle. Les tribunaux doivent bien sûr avoir la main sur ce système, surtout lorsque l’indemnisation devient nécessaire. Il ne faut jamais que les agences et les autorités chargées de ces confiscations aient quelque motif lucratif d’agir. Il est important que ces autorités soient distinctes de celles chargées des poursuites et de la police, qui doit enquêter sans être soumise à une obligation de résultat. Il faut des approches multidisciplinaires, bien sûr des personnes issues de la police, mais aussi des professionnels des services sociaux, des services fiscaux. Il faut partager toutes les informations. Et, comme le disait notre rapporteur, il faut une approche internationale.

C’est une véritable montagne qu’il nous faudra gravir si nous voulons priver les criminels de ces avoir illicites, puisque 98,9 % desdits avoirs ne sont jamais confisqués. Si nous voulons effectivement la gravir, nous devons passer à des systèmes de confiscation avant condamnation, et les instruments doivent être créés pour que le succès d’un État membre puisse profiter aux autres. J’espère d’ailleurs que ce rapport très important, dont je félicite encore l’auteur, les incitera tous à se doter des législations nécessaires.

The Earl of DUNDEE (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* –
À l’instar de l’orateur qui me précédait, je félicite M. van de Ven pour son excellent rapport. C’est une chance d’en disposer et de pouvoir s’en inspirer.

Je distinguerai trois thèmes centraux. Le premier est la compatibilité des confiscations sans condamnation avec la Convention européenne des droits de l’homme. Le deuxième est de développer, au niveau national, les meilleures pratiques. Le troisième est de rendre, au niveau international, la coopération transfrontalière plus efficace.

Sans procédure adaptée, la confiscation sans condamnation peut se révéler inadéquate. Heureusement, ce n’est pas le cas. Comme l’observe le rapporteur, 98,99 % des avoirs criminels ne sont jamais confisqués.

En outre, il y a un équilibre à trouver pour que ceux dont les biens ont été confisqués à tort se les voient restituer avec réparation. L’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume Uni ont facilité les confiscations d’avoirs criminels en permettant dans certains cas d’inverser la charge de la preuve, ce qui a permis d’améliorer grandement les résultats. Beaucoup de pays devraient faire de même.

Au niveau international, la coopération transfrontalière est insuffisante. Des mesures d’amélioration sont possibles, mais beaucoup d’États n’y prêtent pas attention. La rapidité d’action permettrait d’être beaucoup efficace. Il faut promouvoir des réseaux tels que CARIN et ARO. Il faut mieux se préparer par des échanges d’information. Il faut aussi de meilleures législations pour la restitution des biens confisqués.

Tout cela est compatible avec notre mission. Il n’est que justice que nous soyons leader en la matière. J’en félicite le rapporteur.

M. KERN (France), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe –
L’excellent rapport de notre collègue Mart van de Ven a le mérite de faire le point sur l’un des outils les plus efficaces, mais longtemps négligé, de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, à savoir la confiscation des avoirs illicites. Les organisations criminelles représentent une véritable puissance pouvant aller jusqu’à représenter une sérieuse menace pour la stabilité des démocraties les plus solides. De nombreux pays ont évolué, ces dernières années, en la matière, en particulier l’Irlande, qui peut servir de modèle, mais également l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

La France, en transposant les directives européennes, a progressé dans ce domaine. La réforme la plus récente date de 2016, avec la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.

Les trafiquants mettant en œuvre des méthodes de plus en plus sophistiquées pour soustraire leurs avoirs criminels de l’action de la justice, il faut que les moyens de lutte contre le crime organisé soient eux aussi de plus en plus sophistiqués. Pour ce faire, l’Irlande a mis en place une équipe pluridisciplinaire avec son bureau des avoirs d’origine criminelle qui réunit des experts de la police, des douanes, des services fiscaux et des services sociaux.

À la suite du débat d’orientation des ministres de la Justice de l’Union européenne, en octobre 2017, une proposition de règlement concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation a été élaborée. Elle vise à faciliter le gel et la confiscation des avoirs financiers que des terroristes ou d’autres criminels sont susceptibles de déplacer d’un pays à l’autre. Le règlement fournira un instrument juridique unique permettant d’améliorer la rapidité et l’efficacité des décisions de gels et de confiscation grâce à la standardisation des documents et des procédures.

Pour autant le problème reste entier, car de nombreux États ne possèdent pas de législation similaire.

Par ailleurs, comme le souligne le projet de résolution, 98,9 % des avoirs illicites ne sont pas confisqués par manque de coopération transfrontalière et restent donc à la disposition des criminels.

Pourtant, l’arsenal européen existe en matière de coopération, au travers de diverses conventions européennes d’entraide judiciaire en matière pénale. Malheureusement, comme le rappelle le projet de résolution, ces conventions ne sont pas toutes ratifiées par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Comme le souligne très bien notre excellent rapporteur, ce vide juridique permet à la criminalité organisée de continuer à échapper à la confiscation de ses avoirs illicites.

Aussi, chers collègues, je vous invite vivement à sensibiliser vos parlements et gouvernements afin qu’ils réservent une suite favorable à cette résolution et inscrivent cet outil de lutte contre le crime organisé dans leur droit interne. En soutenant ce projet de résolution, nous pouvons fragiliser le pouvoir de ces organisations criminelles tout en générant des ressources permettant d’indemniser les victimes. L’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe soutient avec vigueur les recommandations du rapport de notre collègue van de Ven, que je félicite.

Mme ŞUPAC (République de Moldova), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* - Depuis 2014, le Code pénal de la République de Moldova prévoit la pénalisation et la confiscation des biens illicites. Contesté devant la cour constitutionnelle, ce changement fut validé mais cette possibilité n’a été mise en œuvre que pour quelques rares fonctionnaires ayant réalisé des gains substantiels en un laps de temps réduit. Le nombre d’actions engagées se compte sur les doigts d’une main. Force est donc de considérer que cette loi n’est pas fonctionnelle.

Toutes nos mesures et idées resteront sans effet si nous n’analysons pas les causes de leur inefficience.

Un représentant du bureau d’un procureur aujourd’hui à la tête d’un service anticorruption refuse de publier sa déclaration de patrimoine, tandis qu’un autre devenu procureur général a vu arriver en peu de temps plus de 200 000 dollars sur son compte. De tels cas sont légion en République de Moldova.

En outre; de nombreux députés, maires ou conseillers municipaux ont étrangement rallié le parti majoritaire. Le nombre de parlementaires concerné est passé de 42 à 101, tandis que celui des maires atteignait 600.

M. van de Ven souligne dans son rapport que les avoir illicites donnent aux criminels la possibilité d’acheter la justice, la police et les témoins. Vous avez tous entendu parler du milliard de dollars volé à trois banques moldaves en 2012. Pensez-vous que ce crime sans précédent a fait l’objet de poursuites et que l’on a depuis le temps retrouvé les coupables? Eh bien, non! Cet argent n’a pas été retrouvé. Une partie de ces fonds pourrait être utilisée par des responsables politiques pour financer les prochaines élections législatives. Soyez prudents, chers collègues, si un responsable politique de la République de Moldova veut vous faire un cadeau, ce sera peut-être de l’argent qui aurait dû être confisqué et qu’il vous faudra rendre à notre pays.

Bien entendu, nous soutenons le projet de résolution. Nous devons réactiver la coopération internationale pour lutter contre la criminalité organisée.

M. LUPU (République de Moldova)* – Je tiens d’abord à féliciter M. van de Ven pour son excellent travail.

Ce rapport revêt un intérêt particulier pour mon pays, la République de Moldova, qui est confronté à une crise politique, sociale et économique sans précédent en 2014 et 2015 à la suite de fraudes bancaires également sans précédent. Tout naturellement, en 2016, lorsqu’un nouveau gouvernement de coalition a été désigné, cette question figurait au cœur de son programme.

Le crime organisé a affecté la crédibilité du pays à l’intérieur comme à l’extérieur. Des mesures d’urgence étaient nécessaires. Jusqu’à une date récente, la situation du secteur bancaire et financier avait rendu l’État très vulnérable. Des mesures ont donc été prises pour renforcer les outils de régulation des marchés financiers en République de Moldova.

La mise en œuvre des programmes du FMI et les efforts réalisés par la coalition au gouvernement ont rétabli la stabilité, permis la croissance du secteur bancaire et l’ouverture du marché aux investissements étrangers. Nous avons commencé à recouvrer les fonds de la fraude bancaire. Une société internationale a été recrutée pour déterminer l’usage qui avait été fait de ces fonds et les autorités moldaves ont engagé des procédures judiciaires.

Nous ne rencontrons pas de gros problèmes pour les avoirs localisés en République de Moldova, mais des fonds ont quitté le pays pour un certain nombre d’États membres de l’Organisation, ce qui pose un problème car les procédures de coopération sont lourdes et longues.

Les autorités compétentes devraient mieux coopérer pour surmonter les obstacles bureaucratiques afin de répondre rapidement aux demandes des autorités judiciaires. J’espère sincèrement que les autorités des États membres suivront les recommandations formulées dans le rapport parce que l’objectif des autorités moldaves est de recouvrer ces fonds avec l’aide des autorités compétentes des différents pays. Nous comptons donc sur une coopération efficace.

M. KIRAL (Ukraine)* – Ce rapport est particulièrement opportun alors que, ce matin, nous traitions dans cette Assemblée de la question de la corruption.

Les réseaux criminels qui sont florissants sont d’origines diverses. Pour venir moi-même d’Ukraine ou, comme l’orateur précédent, de République de Moldova, et comme d’autres issus de pays provenant du bloc socialiste occupé par les Russes, nous sommes devenus spécialistes de ces réseaux. Je pourrais également citer le livre de Robert D. Kaplan qui explique pourquoi la criminalité dans nos pays se poursuit.

Comme le disait The Earl of Dundee, il est très difficile de trouver les criminels en déployant uniquement des efforts à l’échelle nationale. C’est la raison pour laquelle je félicite M. van de Ven d’avoir mis l’accent sur la perspective internationale et sur le nécessaire renforcement de la coopération transfrontalière.

En Ukraine, 90 % des réformes se font grâce à la pression internationale et à notre engagement avec le FMI et la Banque mondiale. Ceux-ci doivent être nos partenaires pour nous aider à mettre en œuvre les règlementations internationales, mais aussi pour en contrôler l’application afin que la lutte contre la corruption soit vraiment efficace et que nous parvenions à démanteler ces réseaux. Pour donner un exemple, le FMI s’est abstenu de fournir la tranche suivante des financements à l’Ukraine tant que nous n’avions pas établi une cour anti-corruption permettant de poursuivre et punir ces réseaux mafieux.

Au niveau international, nous devons exercer une pression sur les États où il n’existe pas vraiment d’État de droit, y compris par le biais de la commission de suivi, par exemple. Si certains États n’ont pas mis en place les institutions efficaces et de qualité nécessaires pour lutter contre les réseaux de criminalité, ils ne devraient pas bénéficier de l’indulgence de la commission de suivi.

M. GRIN (Suisse) – Comme l’explique dans son excellent rapport M. van de Ven, la confiscation des avoirs illicites est nécessaire. Elle rend les activités criminelles financières moins rémunératrices, sape le pouvoir conféré aux criminels du fait de leur fortune, les prive des moyens nécessaires au financement de leurs prochains actes criminels ou de corruption. De plus, cette confiscation peut permettre d’indemniser les victimes et la société.

Mais souvent cette confiscation est entravée par la chaîne excessive de la preuve qui pèse sur les autorités nationales compétentes et par l’inefficacité de la coopération entre les autorités des différents pays concernés, ce qui profite aux criminels.

L’efficacité de la coopération internationale à des fins de recherche, de gel et de confiscation des avoirs d’origine criminelle dépend de l’existence d’un cadre juridique adéquat qui garantisse une harmonisation suffisante des procédures, tout en permettant des approches nationales différentes sans aucune discrimination.

Il importe également de mettre en place des règles strictes de contrôle de la provenance des avoir versés sur les comptes.

La Suisse, mon pays, a pris certaines mesures pour éviter de cautionner le placement sur des comptes de l’argent du crime. Les établissements bancaires ont l’obligation de faire ce contrôle pour les sommes de moyenne et surtout de grande importance. Le paiement en argent liquide ne peut s’effectuer que jusqu’à 100 000 francs suisses – montant peut-être trop important, me direz-vous! Selon des sources dignes de confiance, comparé aux gains gigantesques générés par la criminalité, les avoirs illicites effectivement confisqués par les États sont plus que modestes.

Au niveau international et national, il est donc urgent de prendre de nouvelles mesures pour faciliter la confiscation de ces avoirs.

Le projet de résolution issu de l’excellent rapport de notre collègue prévoit une plus grande vigilance quant au contrôle judiciaire, à la réparation du préjudice subi et la promotion de la coopération internationale dans ce domaine.

Les sociétés fiduciaires doivent être plus transparentes, car elles peuvent aussi être un des maillons de la chaîne de blanchiment des capitaux, comme également les paradis fiscaux qu’il convient de combattre intensément.

Ces améliorations possibles au niveau aussi bien national qu’international apparaissent dans le projet de résolution, mais il appartient aux parlementaires nationaux que nous sommes de prendre le relais et de promouvoir ces améliorations dans nos pays respectifs. Car au même titre que la corruption, nous devons tous lutter pour confisquer l’argent du crime organisé. La démocratie ne peut pas tolérer qu’il en aille autrement.

M. DOWNE (Canada, observateur)* – Je souhaiterais traiter de l’élément international de cette thématique et partager avec nos collègues quelques-unes des actions entreprises par le Canada pour lutter contre ce fléau international.

En 1993, le Canada a adopté la loi sur la gestion des actifs du crime pour geler la propriété saisie et pouvoir en disposer lorsque la confiscation en a été ordonnée par la justice. La sous-direction chargée du crime organisé de la gendarmerie royale du Canada mène des enquêtes sur le blanchiment des fonds. Elle vise les produits du crime. Elle a pu saisir plus de 243 millions de dollars canadiens depuis l’an 2000. Par ailleurs, tout comme les revenus illicites, les produits du crime sont soumis à impôt sur le revenu. Le fisc canadien procède à l’audition des personnes qui sont soupçonnées d’avoir dérivé les revenus du crime organisé ou de toute autre activité criminelle. Cela fait partie du programme de mise en œuvre spécial du fisc canadien, lequel examine aussi les cas d’allégation d’évasion et de fraude fiscales, et toute autre violation des lois en matière de fiscalité.

Cela fait partie de son programme sur les enquêtes pénales. Les modifications législatives adoptées en 2014 permettent au fisc canadien de partager des informations sur les contribuables avec la justice, dès lors qu’il existe des raisons précises de penser qu’une personne pourrait avoir commis des infractions graves relevant du mandat des autres agences.

En 2000, le Canada a mis en place, à l’échelon national, une unité de renseignement financier appelée Fintrac. Il s’agit d’un centre d’analyse des transactions financières ayant pour mission de faciliter la détection et la prévention du blanchiment et de dissuader ces pratiques, de lutter contre le financement du terrorisme et d’autres menaces à la sécurité du Canada. Fintrac a donc le mandat de signaler toute activité suspecte à la justice. Il reçoit à son tour des rapports préparés par toute une série d’organisations, de banques, d’assureurs et du secteur de la bourse. Très récemment, nous avons ajouté à son champ les devises virtuelles telles que le bitcoin.

Dans sa plus récente évaluation du régime mis en place au Canada, la task force a conclu que les autorités canadiennes avaient une bonne compréhension des mécanismes du blanchiment et des risques liés au financement du terrorisme, et a souligné la qualité de ce système. Nous souhaitons toutefois améliorer la coopération avec les acteurs internationaux.

LE PRÉSIDENT* – M. Tilson, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

La liste des orateurs est épuisée.

J’appelle la réplique de la commission.

M. van de VEN (Pays-Bas), rapporteur* – J’aimerais remercier les intervenants pour leurs réflexions, de même que le secrétariat de l’Assemblée pour le soutien qu’il a bien voulu m’apporter tout au long de la rédaction du rapport. Ce fut un plaisir de travailler sur le thème de la confiscation des avoirs illicites.

J’ai entendu peu de questions, mais de nombreuses réflexions. Mes collègues ont souligné les principaux aspects du rapport, notamment le principe de l’État de droit, mais aussi l’importance des juridictions nationales et internationales, en particulier la Cour de Strasbourg. La Cour suprême irlandaise a, quant à elle, confirmé que l’on peut confisquer des avoirs sans condamnation préalable. Une telle confiscation est également compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 6, consacré à la présomption d’innocence, et avec l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, garantissant le droit au respect des biens. La légalité du système n’est donc plus à prouver.

On a également souligné l’importance d’une task force multidisciplinaire. En Irlande, par exemple, la police travaille main dans la main avec le fisc, les organismes de sécurité sociale et le parquet. Cela renforce l’efficacité du système, chacun pouvant compter sur l’autre, par exemple lorsque l’on confisque une voiture très coûteuse à une personne censée vivre dans la rue. Ce système est très efficace et apprécié par les citoyens irlandais.

The Earl of Dundee et d’autres intervenants ont déclaré que 99 % des avoirs illicites n’étaient jamais confisqués. De fait, d’immenses sommes d’argent doivent être confisquées à ces criminels et servir à la société. Ces criminels violent le contrat social avec l’État: celui-ci fournit des services aux citoyens, en échange de quoi ces derniers paient leurs impôts et financent la sécurité sociale. Seuls les criminels ne respectent pas ce contrat.

Mme Şupac a fourni une information très intéressante: la République de Moldova a promulgué une législation en la matière, bien qu’elle se limite aux fonctionnaires. Il est tout de même très important de savoir que des pays comme la République de Moldova se dotent de telles législations.

Comme le disait M. Kiral, la pression venue de l’extérieur pour que la législation ukrainienne en matière de lutte contre la corruption soit améliorée a beaucoup joué.

Voilà qui m’amène à la coopération internationale: les organismes internationaux – ceux qui existent d’ores et déjà et ceux qui seront créés – composés d’équipes multidisciplinaires permettront de lutter efficacement contre le crime organisé en facilitant la coopération internationale. C’est la clé du succès, faute de quoi les confiscations ne seront jamais possibles; l’argent continuera à ruisseler, jusqu’à disparaître complètement.

J’espère très sincèrement que le rapport sera une source d’inspiration pour les États membres. Il est très important pour nos démocraties et nos sociétés d’essayer de développer les moyens dont elles disposent en la matière.

M. SCHWABE (Allemagne), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – La question dont nous traitons est centrale pour le bon fonctionnement des États, que ce soit en Europe ou ailleurs. Certains États ne sont plus fonctionnels lorsque la criminalité s’installe. À Berlin et ailleurs, on voit bien ce qu’il en est de ces fonds illégaux qui transitent. Selon la Banque mondiale, les chiffres montrent clairement l’ampleur du phénomène en question.

Il est donc tout à fait justifié de faire des propositions robustes et radicales. Tel est le cas de celle du rapporteur visant à renverser la charge de la preuve. Dès lors qu’il n’est pas possible de prouver que c’est de manière licite que l’on a acquis des avoirs, ceux-ci doivent pouvoir être confisqués.

L’Irlande, l’Italie et d’autres sont déjà sur cette voie, avec de bons résultats. Nous recommandons donc aux autres pays européens de suivre la même voie. Il s’agit de prendre les bonnes mesures en amont, afin de garantir que cela n’ira pas contre les droits de l’homme. Au contraire, cela permettra aux États de les défendre.

Le rapporteur, de concert avec le secrétariat et le bureau de la commission, a préparé ce rapport de manière extrêmement compétente, avec une expertise professionnelle. Je serais heureux que le soutien de l’Assemblée soit largement majoritaire.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques a présenté un projet de résolution, contenu dans le Doc. 14516, sur lequel aucun amendement n’a été déposé.

Le projet de résolution est adopté (29 voix pour, 1 voix contre et 0 abstention).

5. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT* – La prochaine séance publique aura lieu demain matin à 10 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 19 h 20.

SOMMAIRE

1. Le rôle de l’Europe dans les initiatives de processus de paix en Syrie

(Débat d’actualité)

Orateurs: Mme Brynjólfsdóttir, MM. Daems, Kürkçu, Amoruso, Bereza, Lacroix, Sir Roger Gale, M. Vlasenko, Mmes Ævarsdóttir, Gerashchenko, M. Goncharenko, Mme De Sutter, MM. Pisco, Hunko, Espen Barth Eide, Gouttefarde, Mme Kavvadia, M. Oehme

2. Déclaration de Copenhague: évaluation et suivi

(Débat selon la procédure d’urgence)

Présentation par Mme Ævarsdóttir du rapport de la commission des questions juridiques (Doc. 14539)

Orateurs: MM. Kox, Kandelaki, Cilevičs, Dame Cheryl Gillan, M. Daems, Mmes De Sutter, Louhelainen, MM. Michael Aastrup Jensen, Özsoy

Réponses de Mme la rapporteure et de M. le président de la commission des questions juridiques

Vote sur un projet de recommandation

3. Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme

Présentation par M. Cilevičs du rapport de la commission des questions juridiques (Doc. 14523)

Présentation par M. Comte de l’avis de la commission de la culture (Doc. 14536)

Orateurs: MM. Vareikis, Espen Barth Eide, Howell, Michael Aastrup Jensen, Hunko

Réponse de M. le rapporteur

Orateurs : Lupu, Vlasenko, Ghiletchi, Whitfield, Kopřiva

Réponses de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des questions juridiques

Votes sur un projet de résolution amendé et sur un projet de recommandation amendé

4. Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites

Présentation par M. van de Ven du rapport de la commission des questions juridiques (Doc. 14516)

Orateurs: M. Mullen, Earl of Dundee, M. Kern, Mme Șupac, MM. Lupu, Kiral, Grin, Downe

Réponses de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des questions juridiques

Vote sur un projet de résolution

5. Prochaine séance publique

Appendix / Annexe

Representatives or Substitutes who signed the register of attendance in accordance with Rule 12.2 of the Rules of Procedure. The names of members substituted follow (in brackets) the names of participating members.

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement. Le nom des personnes remplacées suit celui des Membres remplaçant, entre parenthèses.

ÅBERG, Boriana [Ms]

ÆVARSDÓTTIR, Thorhildur Sunna [Ms]

AMON, Werner [Mr]

AMORUSO, Francesco Maria [Mr] (BERNINI, Anna Maria [Ms])

ARENT, Iwona [Ms]

ARNAUT, Damir [Mr]

BADEA, Viorel Riceard [M.] (BRĂILOIU, Tit-Liviu [Mr])

BAKUN, Wojciech [Mr] (JAKUBIAK, Marek [Mr])

BAYR, Petra [Ms] (ESSL, Franz Leonhard [Mr])

BEREZA, Boryslav [Mr]

BERNACKI, Włodzimierz [Mr]

BERNHARD, Marc [Mr]

BILDARRATZ, Jokin [Mr]

BRASSEUR, Anne [Mme]

BRUIJN-WEZEMAN, Reina de [Ms] (MULDER, Anne [Mr])

BUTKEVIČIUS, Algirdas [Mr]

CHRISTOFFERSEN, Lise [Ms]

CILEVIČS, Boriss [Mr] (BĒRZINŠ, Andris [M.])

COMTE, Raphaël [M.] (FIALA, Doris [Mme])

CZELEJ, Grzegorz [Mr] (WOJTYŁA, Andrzej [Mr])

DAEMS, Hendrik [Mr] (DESTREBECQ, Olivier [M.])

D’AMBROSIO, Vanessa [Ms]

DE PIETRO, Cristina [Ms] (CATALFO, Nunzia [Ms])

DE TEMMERMAN, Jennifer [Mme]

DUNDEE, Alexander [The Earl of] [ ]

EBERLE-STRUB, Susanne [Ms]

EIDE, Espen Barth [Mr]

ESTRELA, Edite [Mme]

EVANS, Nigel [Mr]

FILIPOVSKI, Dubravka [Ms] (PANTIĆ PILJA, Biljana [Ms])

FRIDEZ, Pierre-Alain [M.]

GAILLOT, Albane [Mme]

GALE, Roger [Sir]

GATTOLIN, André [M.] (LOUIS, Alexandra [Mme])

GERASHCHENKO, Iryna [Mme]

GHILETCHI, Valeriu [Mr]

GILLAN, Cheryl [Dame]

GIRO, Francesco Maria [Mr]

GONÇALVES, Carlos Alberto [M.]

GONCHARENKO, Oleksii [Mr]

GOUTTEFARDE, Fabien [M.]

GRAF, Martin [Mr]

GRIN, Jean-Pierre [M.] (HEER, Alfred [Mr])

GROZDANOVA, Dzhema [Ms]

GUNNARSSON, Jonas [Mr]

HAIDER, Roman [Mr]

HEINRICH, Frank [Mr] (MARSCHALL, Matern von [Mr])

HEINRICH, Gabriela [Ms]

HOWELL, John [Mr]

HUNKO, Andrej [Mr]

JANSSON, Eva-Lena [Ms] (KARLSSON, Niklas [Mr])

JENSEN, Michael Aastrup [Mr]

KANDELAKI, Giorgi [Mr] (BAKRADZE, David [Mr])

KASSEGGER, Axel [Mr] (BURES, Doris [Ms])

KAVVADIA, Ioanneta [Ms]

KELLEHER, Colette [Ms] (HOPKINS, Maura [Ms])

KERN, Claude [M.] (GOY-CHAVENT, Sylvie [Mme])

KIRAL, Serhii [Mr] (BILOVOL, Oleksandr [Mr])

KLEINBERGA, Nellija [Ms] (LAIZĀNE, Inese [Ms])

KOPŘIVA, František [Mr]

KOX, Tiny [Mr]

KÜRKÇÜ, Ertuğrul [Mr]

KYRIAKIDES, Stella [Ms]

LACROIX, Christophe [M.]

LEITE RAMOS, Luís [M.]

LEŚNIAK, Józef [M.] (POMASKA, Agnieszka [Ms])

LĪBIŅA-EGNERE, Inese [Ms]

LOGVYNSKYI, Georgii [Mr]

LOMBARDI, Filippo [M.]

LOUHELAINEN, Anne [Ms] (PELKONEN, Jaana Maarit [Ms])

LUPU, Marian [Mr]

MASIULIS, Kęstutis [Mr] (ZINGERIS, Emanuelis [Mr])

MAURY PASQUIER, Liliane [Mme]

MIKKO, Marianne [Ms]

MULARCZYK, Arkadiusz [Mr]

MULLEN, Rónán [Mr] (COWEN, Barry [Mr])

MÜLLER, Thomas [Mr]

NĚMCOVÁ, Miroslava [Ms]

NICK, Andreas [Mr]

NISSINEN, Johan [Mr]

OBRADOVIĆ, Marija [Ms]

OEHME, Ulrich [Mr] (KLEINWAECHTER, Norbert [Mr])

OHLSSON, Carina [Ms]

ÓLASON, Bergþór [Mr]

ÖZSOY, Hişyar [Mr] (KERESTECİOĞLU DEMİR, Filiz [Ms])

PALLARÉS, Judith [Ms] (NAUDI ZAMORA, Víctor [M.])

PISCO, Paulo [M.]

PSYCHOGIOS, Georgios [Mr] (ANAGNOSTOPOULOU, Athanasia [Ms])

PUPPATO, Laura [Ms] (BERTUZZI, Maria Teresa [Ms])

RIBERAYGUA, Patrícia [Mme]

RIGONI, Andrea [Mr]

SCHENNACH, Stefan [Mr]

SCHOU, Ingjerd [Ms]

SCHWABE, Frank [Mr]

STIENEN, Petra [Ms]

ŞUPAC, Inna [Ms]

SUTTER, Petra De [Ms] (VERCAMER, Stefaan [M.])

THIÉRY, Damien [M.]

VAREIKIS, Egidijus [Mr]

VEN, Mart van de [Mr]

VILLUMSEN, Nikolaj [Mr]

VLASENKO, Sergiy [Mr] (LOVOCHKINA, Yuliya [Ms])

VOGEL, Volkmar [Mr]

VOVK, Viktor [Mr] (LIASHKO, Oleh [Mr])

WASERMAN, Sylvain [M.]

WENAWESER, Christoph [Mr]

WHITFIELD, Martin [Mr] (SHARMA, Virendra [Mr])

Also signed the register / Ont également signé le registre

Representatives or Substitutes not authorised to vote / Représentants ou suppléants non autorisés à voter

AST, Marek [Mr]

COAKER, Vernon [Mr]

JANIK, Grzegorz [Mr]

Observers / Observateurs

DOWNE, Percy [Mr]

TILSON, David [Mr]

Partners for democracy / Partenaires pour la démocratie

AMRAOUI, Allal [M.]

Representatives of the Turkish Cypriot Community (In accordance to Resolution 1376 (2004) of

the Parliamentary Assembly)/ Représentants de la communauté chypriote turque

(Conformément à la Résolution 1376 (2004) de l’Assemblée parlementaire)

CANDAN Armağan

SANER Hamza Ersan