DISCOURS D’INVESTITURE

DE MONSIEUR JEAN-CLAUDE MIGNON,

PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE PARLEMENTAIRE

PARTIE DE SESSION DE JANVIER 2012

(Strasbourg, Lundi 23 janvier 2012, 11h45)

C’est avec reconnaissance et humilité que j’assumerai cette haute fonction que vous me confiez. Reconnaissance pour la confiance dont vous m’honorez. Je remercie naturellement mon groupe politique, le PPE, mais aussi tous les autres groupes politiques et en particulier leurs présidents. Humilité tant j’ai conscience de l’ampleur de la tâche.

Le Conseil de l’Europe traverse aujourd’hui une crise et doute de son avenir. En effet, après la glorieuse décennie des années 90 où l’organisation accueillit en son sein les États d’Europe centrale et orientale, les années 2000 ont placé le Conseil de l’Europe sur la défensive, en particulier face à l’Union européenne. Il est parfois menacé d’être « la belle ignorée » des bords de l’Ill, en particulier en Europe de l’Ouest. Sont ainsi niées les réalisations exemplaires du Conseil de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme à la pharmacopée en passant par la Commission de Venise, le Comité européen pour la Prévention de la Torture ou le Commissaire aux droits de l’homme.

S’appuyant sur une philosophie de l’histoire simpliste, certains veulent croire que nous appartenons au passé. Peu importent alors les résultats, peu importe qu’ils soient obtenus avec un coût modeste. Peu importe, par exemple, que le Conseil de l’Europe ait, avec les accords partiels, inventé une coopération à géométrie variable aux résultats exemplaires. Peu importe également que nous comptions 47 États membres et 800 millions d’Européens.

C’est contre cette logique de l’ignorance et de la facilité intellectuelle que le Secrétaire général du Conseil, Thorbjorn Jagland, et mes prédécesseurs se sont mobilisés, pour que nous renoncions à une posture défensive au profit d’une attitude offensive, afin que le Conseil de l’Europe retrouve toute sa place, tant sur la scène européenne qu’internationale. C’est pour contribuer à ce renouveau que j’avais, en tant que rapporteur, proposé de convoquer un nouveau sommet du Conseil de l’Europe. Le Comité des Ministres estime qu’il serait préférable que l’Assemblée parlementaire ait entrepris son propre processus de réforme avant de convoquer un sommet ; c’est aujourd’hui chose faite. Je crois donc qu’un tel Sommet serait possible et de nature à donner une dynamique nouvelle au processus de réforme.

S’agissant de la réforme de l’Assemblée, je tiens au préalable à rendre un hommage tout particulier au Président Mevlüt Çavuşoğlu, qui en a pris l’initiative, laquelle n’aurait pas vu le jour sans son engagement fort en sa faveur. Qu’il en soit à nouveau chaleureusement remercié pour cela et pour tout ce qu’il a accompli en seulement deux ans. Cette réforme entre en vigueur aujourd’hui même et sa mise en œuvre constituera naturellement l’une de mes priorités.

Avant de vous exposer la manière dont je la conçois, je voudrais souligner toute l’importance de notre Assemblée et le rôle décisif qu’elle joua dans l’élaboration de la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’abolition de la peine de mort, dans la Convention bioéthique, dans la lutte contre la contrefaçon des médicaments ou dans l’accueil des pays d’Europe centrale et orientale avec l’invention du statut d’invité spécial, pour me limiter à ces quelques exemples. Sans l’existence d’une véritable Assemblée parlementaire, le Conseil de l’Europe ne serait qu’une organisation intergouvernementale parmi bien d’autres. Je crois que cela méritait d’être dit tant notre Assemblée est parfois sous-estimée.

C’est pour rester à la hauteur de ce bilan que nous devons changer, d’où la réforme.

Il est clair pour moi que les parlementaires sont, à un double titre, au cœur de la réforme. Le succès ou l’échec du changement dépend en effet bien plus des hommes et des femmes qui l’appliqueront que des textes. Ensuite, cette réforme a pour objectif premier de leur donner de meilleures conditions de travail.

Le nouveau règlement devrait ainsi permettre à tous les parlementaires de s’exprimer. L’augmentation du temps alloué aux commissions et aux groupes politiques permettra des débats plus approfondis et là aussi devrait faciliter la participation de tous.

Au-delà, j’entends prendre un certain nombre de mesures concrètes ; par exemple compléter le séminaire d’accueil des nouveaux membres par un dossier d’accueil qui serait remis à chaque parlementaire, tant il est vrai qu’à notre arrivée, nous devons tous nous familiariser avec des règles et des pratiques qui diffèrent sur tel ou tel point de celles applicables dans nos parlements nationaux.

Je souhaiterais aussi être à l’écoute de tous, afin de recueillir vos suggestions, observations et doléances. Pour ce faire, j’ai tout d’abord l’intention d’assister régulièrement aux réunions de commissions afin d’être pleinement informé de leurs travaux. Je serais ensuite toujours à l’écoute de tous les membres de l’Assemblée.

Faciliter le travail des Parlementaires, c’est également leur permettre d’avoir, en temps utile, les documents de travail. Ce n’est déjà pas facile lorsque vous avez pour langue maternelle l’anglais ou le français. Je mesure toute la difficulté de la tâche pour la majorité de nos collègues qui ne sont pas dans cette situation. Je serais partisan d’appliquer strictement les délais existants, voire de les durcir, de sorte que ni en commission ni devant l’Assemblée plénière, on puisse discuter d’un projet de motion qui n’ait été communiqué préalablement 15 jours voire 3 semaines avant aux membres de l’Assemblée, à l’exception naturellement des débats d’urgence. Il va de soi qu’en contrepartie, la souplesse serait moins grande. Je serais heureux de connaître votre sentiment sur cette question, sentiment auquel je me rangerai bien volontiers.

Mettre les parlementaires au cœur de notre Assemblée, c’est aussi un fonctionnement plus participatif du Bureau, dont je souhaite revaloriser le rôle.

J’aimerais également que les Vice-présidents ne voient par leurs responsabilités limitées à la suppléance du Président pour la présidence des séances, mais qu’ils puissent se voir déléguées certaines responsabilités s’ils le souhaitent.

Autre ambition majeure : rendre l’Assemblée plus pertinente sur le plan politique.

Cela implique que nous entrions pleinement dans la logique de la réforme et que nous ayons le courage de résister à la tentation de nous disperser. Recentrons-nous sur nos priorités, réduisons le nombre de thèmes débattus.

Il nous faudra aussi nous efforcer de limiter le nombre de recommandations que nous adressons au Comité des Ministres, de les rendre aussi pertinentes que possible ; en contrepartie, nous pourrons être exigeants quant aux suites données à nos propositions.

Je m’efforcerai de faire prévaloir ces lignes directrices rigoureuses au sein du Bureau, en essayant de le faire de manière aussi transparente que possible. Je souhaiterais que nous élaborions progressivement une sorte de « jurisprudence » qui pourrait se traduire par un rapport annuel explicitant les lignes directrices qui nous ont guidés.

Être plus pertinents, c’est aussi ne pas avoir peur de s’attaquer aux vrais problèmes.

Nous considérons ainsi, en Europe occidentale, la paix comme un acquis et c’est vrai pour cette partie de notre continent. C’est même l’un des grands acquis de la construction européenne. Cela n’est plus aussi vrai si vous allez à Chypre, pays membre de l’Union européenne, où des Casques bleus patrouillent le long d’un mur qui en rappelle un autre, de sinistre mémoire. Il en est de même en Géorgie, en Transnistrie ou au Haut Karabakh. La facilité consiste à fermer les yeux et à s’accommoder de l’inacceptable, au risque qu’un jour le fait ne devienne le droit. L’un des premiers devoirs de notre Assemblée est de faire en sorte que ces dossiers restent à l’ordre du jour et que les parties se parlent. La diplomatie parlementaire, sans réaliser de miracles, peut faire progresser le dialogue sur des questions où les diplomaties étatiques et les organisations ont échoué.

Sur ce sujet comme sur les autres, j’essaierai de faire en sorte que les déplacements du Président s’effectuent en commun avec tous les organes compétents du Conseil de l’Europe, en fonction du sujet, ainsi le Secrétaire général, la Présidence du Comité des Ministres, le Président de la Commission du suivi… J’ai, en effet, la conviction que nous serons d’autant plus entendus que nous agirons collectivement.

Autre dossier difficile, celui du respect par les États membres des valeurs du Conseil de l’Europe. Certaines dérives ne sont pas acceptables. Pour autant, je souhaite que l’on procède par la voie du dialogue, et pour cela, il faut être deux. En d’autres termes, évitons la stigmatisation et les menaces d’exclusion, tant il est vrai que c’est une arme ultime et le constat d’un irrémédiable échec.

Je souhaite aussi prolonger et accompagner, pendant ma présidence, les avancées réalisées par mon prédécesseur dans les relations avec l’Union européenne. Je me suis ainsi réjoui de l’accord conclu entre le Parlement européen et notre Assemblée sur les modalités de participation du Parlement à l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Je m’efforcerai de continuer dans cette voie.

Dans la continuité de ce sujet, je souhaite que l’Assemblée continue à suivre avec la plus grande vigilance le dossier de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette unification de l’espace européen de protection des droits de l’homme est une avancée fondamentale du Traité de Lisbonne et une consécration pour la Cour européenne des droits de l’homme. Ne laissons pas certains y faire obstacle, en raison d’intérêts bureaucratiques médiocres, même si c’est toujours au nom des grands principes ! La Cour est en effet le grand fleuron de notre organisation. Il est, là aussi, de notre devoir de suivre de près, en liaison avec le Comité des Ministres et la Cour, la réforme de celle-ci. Elle navigue entre de nombreux écueils et je me réjouis que le Gouvernement du Royaume Uni en fasse une priorité de sa présidence.

Chacun sait que la Cour est aujourd’hui submergée et qu’elle ne peut plus faire face. Très récemment encore, elle a ainsi reçu 8000 recours similaires contre une loi hongroise sur la retraite. De nombreuses pistes sont envisageables et envisagées. Je crois simplement que, quelles que soient les solutions retenues, celles-ci devront faire l’objet d’un débat public tant est grande l’importance de la Cour. En d’autres termes, je craindrais la solution qui consisterait à laisser s’accumuler les recours, la Cour ne tranchant que de ceux qu’elle estime prioritaires. En effet si l’on doit remettre en cause le droit de recours individuel, il faut que cela résulte d’un choix politique, exercé en toute transparence.

L’Assemblée, et je m’en réjouis, joue un rôle croissant dans le contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour. Qu’il me soit permis à cette occasion de rendre hommage au travail exemplaire que notre collègue Christos Pourgourides a accompli dans ce domaine. Je salue également le travail de certains parlements nationaux pour relayer cette tâche dans les États membres. Je m’emploierai à ce que tous ces efforts continuent et soient amplifiés en liaison avec la Cour.

Une autre priorité de ma présidence sera de poursuivre les efforts engagés pour améliorer les relations avec le Comité des Ministres. Il nous faut renforcer et enrichir le dialogue entre les deux organes statutaires du Conseil de l’Europe. Il est normal et légitime que nous ne soyons pas toujours d’accord de même que le législatif et l’exécutif dans les États membres peuvent être parfois en désaccord. Il est du rôle des parlementaires d’innover, de critiquer et de stimuler l’action du Comité des Ministres. Le mouvement et le progrès peuvent naître de la tension entre ces deux institutions. En revanche, il est de notre devoir d’éviter les situations de blocage.

Pour encourager une meilleure compréhension entre les deux organes statutaires du Conseil de l’Europe, la meilleure solution est que les parlementaires participent activement aux travaux des différents groupes de travail et des comités directeurs du comité des Ministres. A l’inverse, c’est une excellente chose que les Ambassadeurs puissent assister à l’Assemblée plénière ou aux travaux de nos commissions. J’ai récemment proposé aux Ambassadeurs que le Président ou des membres du Bureau puissent assister comme témoins à leurs séances tant il est important que nous ayons réciproquement connaissance de nos préoccupations et priorités. J’approuve totalement les propositions faites par MM. Vareikis et Holovaty pour renforcer le dialogue.

S’agissant des questions écrites, je souhaiterais que nous fassions preuve d’auto discipline et que nous soyons attentifs à n’en poser que sur des sujets en rapport direct avec les activités du Conseil de l’Europe.

En concertation étroite avec le Comité des Ministres, je souhaite réformer le Comité mixte. Peut-être faut-il déplacer la date, le jeudi soir n’étant pas nécessairement un optimum. Peut-être surtout faut-il en réduire le champ à un thème précis avec tous les parlementaires compétents. Les deux réunions où je me suis rendu devant le Comité des Ministres en tant que rapporteur ont été très constructives.

Si nous devons être plus pertinent politiquement, il faudrait aussi que nos activités soient mieux connues à l’extérieur. J’aborde donc maintenant ce sujet très difficile que constitue la communication de notre Assemblée. Je crois qu’il nous faudra essayer progressivement de définir un ou deux thèmes directeurs pour chaque partie de session afin d’améliorer leur lisibilité à l’extérieur. Pourquoi ne pas faire un véritable rapport d’activité annuel attrayant ? En liaison avec le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, je vais engager une réflexion sur la manière d’améliorer la présence des journalistes à nos séances. Le site Internet de notre Assemblée est d’une très grande qualité, mais je suis certain que nous pouvons encore améliorer sa lisibilité et son accessibilité.

J’en viens maintenant à un thème d’irritation pour la plupart d’entre vous, la desserte de Strasbourg. Il s’agit d’un sujet très difficile mais croyez bien que je déploierai tous les efforts pour que l’on sorte du statu quo. Je crois à la vocation de Strasbourg, capitale européenne ; encore faut-il s’en donner les moyens logistiques. J’ai d’ores et déjà pris toute une série de contacts informels avec toutes les autorités politiques de mon pays sur ce sujet. Quelques pistes de réflexions commencent à se dégager, que je vous livre ainsi :

- Aligner la fiscalité pesant sur l’aéroport de Strasbourg sur celle des aéroports environnants ;

- Faire venir une compagnie low cost à Strasbourg

- Réfléchir aux moyens d’améliorer les relations avec quelques hubs

- Améliorer la desserte entre l’aéroport de Bâle Mulhouse et Strasbourg.

Je ne vous promets pas de miracle mais je m’engage à être extrêmement actif sur ce dossier et à vous y associer. Je vais notamment essayer d’organiser dans les mois à venir une rencontre entre les principaux responsables politiques alsaciens et les membres de notre Assemblée. Au-delà du dossier de la desserte de Strasbourg, je vais en effet m’efforcer de développer les relations entre l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et les élus de la région.

Je souhaite mener une politique de résultats. Pour les obtenir, il nous faudra faire preuve de courage, de dynamisme et d’esprit d’innovation. S’il n’y a pas de précédent, créons-en ! Et si les traditions doivent être remises en cause, n’hésitons pas à le faire !

En conclusion je voudrais citer Catherine Lalumière qui me fait l’honneur et l’amitié d’être présente aujourd’hui. Dans un colloque que j’ai organisé récemment à Paris, elle soulignait que le Conseil de l’Europe avait un rôle politique éminent à jouer, à savoir : « redonner son véritable sens au projet européen ». Si nos concitoyens, soulignait-elle, considèrent le projet européen uniquement en consommateurs, c’est la mort de l’Europe. Si l’Europe n’apporte pas au citoyen consommateur le bien-être qu’il espérait, il se demande alors où est l’intérêt de l’Europe. Pour reprendre ses termes, le Conseil de l’Europe doit être l’âme de notre continent. Il porte l’esprit de la construction européenne originel et son but ultime. Elle nous invitait à combattre cette ignorance qui pèse tant sur notre organisation. Or, comme l’avait dit Denis de Rougemont, « l’Europe unie est le contraire d’un expédient moderne, c’est un idéal que nous ne rencontrerons qu’en la faisant ».

Je vous remercie de votre attention.