Intervention de
Mme Boisseau, secrétaire d’Etat du Gouvernement de la France pour les personnes
handicapées.
Extrait du compte-rendu
Strasbourg, 29 janvier 2003
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les
parlementaires, Monsieur le rapporteur, je vous remercie infiniment de m’avoir
invitée dans votre Assemblée pour écouter le résumé du rapport sur les personnes
handicapées et pour témoigner, à mon tour, sur un sujet qui me tient vraiment à
cœur, celui de l’intégration.
Intégration, tout simplement, mais intégration pleine, intégration sociale des
personnes handicapées, sur lesquelles beaucoup de nos pays ont aujourd’hui
d’importants retards. La situation actuelle des personnes handicapées est
indigne de sociétés qui se disent civilisées, qui sont relativement riches et
qui se réfèrent continuellement aux droits de l’homme.
J’ai été très satisfaite à la lecture de votre rapport de constater que nous
avons aujourd’hui les mêmes préoccupations. Il ne s’agit plus de protéger les
personnes handicapées, comme on l’a fait pendant trop longtemps. C’est tout à
fait l’esprit de la loi de 1975 à laquelle nous nous référons systématiquement
en France. Il ne s’agit plus de protéger les personnes handicapées mais de les
aider à prendre leur autonomie et à faire leurs choix, à s’assumer en tant que
personnes responsables comme nous-mêmes.
Je partage d’ailleurs tout ce que vous avez dit, Monsieur le rapporteur.
Qu’est-ce qu’une personne handicapée? Où commence-t-elle? N’avons-nous pas tous
des limites? N’est-il pas plus dynamisant, plus respectueux de la personne
humaine, de chaque personne, de partir de ses potentialités, de ses richesses,
plutôt que de ses limites, voire de ses handicaps? C’est un changement de
mentalité que nous essayons d’accompagner en France et je suis heureuse de voir
que le même mouvement s’opère, dans les pays voisins et amis.
Nous enfonçons un peu des portes ouvertes car il existe aujourd’hui dans ce
domaine de nombreux textes qui disent bien ce qu’il faut faire mais, hélas, ils
ne sont pas appliqués. La situation, dans bien des pays, notamment en France,
est loin d’être satisfaisante.
Nous avons d’excellentes réalisations, nous avons des situations extrêmement
accomplies où les personnes handicapées s’épanouissent totalement et nous
trouvons encore, dans notre pays, des situations que je qualifie de moyenâgeuses
et qui sont absolument insupportables.
Il ne faut pas, pour autant, se décourager mais il faut cent fois sur le métier
remettre notre ouvrage jusqu’à ce que, je le répète, les personnes handicapées
de nos pays européens trouvent toute leur place dans nos sociétés et en Europe.
J’irai vite car le temps m’est compté. Ma présence ici à un double objet: d’une
part, vous dire à grands traits la volonté de la France, la politique française
et, d’autre part, vous assurer de la volonté de mon pays de travailler avec les
autres pays, au sein notamment du Conseil de l’Europe et sur le plan
international.
La volonté de la France est aujourd’hui très claire. Comme l’a dit le Président
Chirac, le 14 juillet dernier, l’intégration des personnes âgées est une des
trois priorités de notre pays pour les cinq ans à venir. Cette volonté du
Président de la République s’est traduite dans les faits puisque le Premier
ministre a nommé un secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, ce qui
n’existait plus dans notre pays depuis onze ans.
Troisième étape: les parlementaires français ont voté – je les en remercie et je
salue mes anciens collègues ici présents – un budget 2003 extrêmement favorable
pour les personnes handicapées, dans un contexte global difficile. En un mot,
cela permettra de doubler le nombre de places créées en établissements, qu’il
s’agisse des centres d’aide par le travail ou des maisons d’accueil spécialisées
et d’augmenter de façon sensible le nombre des auxiliaires de vie, c’est-à-dire
de développer l’aide humaine permettant aux personnes handicapées de faire des
choix de vie.
Quatrième étape, la belle année européenne du handicap qui a été ouverte à
Athènes dimanche dernier – j’étais présente – et au cours de laquelle la France
va vraiment jouer le jeu par l’organisation de sept forums régionaux. Le premier
se tiendra à Rennes, lundi prochain, sur le thème: «Tous ensemble ou ensemble
tout naturellement», avec trois principaux chapitres: travailler ensemble,
grandir ensemble et vivre ensemble. Suivront six autres forums régionaux, dont
un à Strasbourg sur la citoyenneté européenne, en mai prochain.
Parallèlement, nous avons lancé, comme dans les autres pays, un appel à projets.
Nous avons reçu plus de 600 réponses, dont d’excellentes. Nous en avons
sélectionné une centaine qui vont être financées. Au-delà, parce qu’il y avait
beaucoup de projets très intéressants, nous avons proposé la labellisation de
quatre cents autres projets. Avec Mme Diamantopoulou, dimanche, nous sommes
convenu qu’à la fin de l’année, nous ferions une synthèse des meilleures
réalisations dans nos différents pays et que nous en ferions un guide de bonne
pratique. Je suis sûre que cette démarche concrète fera avancer les esprits et
les cœurs sur ce sujet.
Dernier point, la France est en train de préparer une nouvelle loi sur
l’intégration des personnes handicapées que je compte présenter au Conseil des
ministres avant la fin juin 2003 afin qu’elle puisse être votée environ un an
après et entrer en application dans notre pays à partir de janvier 2005.
Vous le voyez, la France est en retard mais, si j’ose dire, elle met aujourd’hui
le paquet pour essayer de le rattraper, ce qui est pour nous essentiel. Nous
avons conscience aussi que nous ne ferons pas tout seuls. Je peux vous assurer,
et ma présence est là pour en témoigner, que nous voulons travailler avec les
autres pays, notamment sur le plan européen pour adopter un programme d’action.
Je souhaiterais, et le Conseil de l’Europe a un grand rôle à jouer dans ce
domaine, que nous ayons, en matière de politique des personnes handicapées, une
politique claire, nette et précise que nous puissions ensuite défendre tous
ensemble au niveau des Nations Unies. Il me semble que cette démarche européenne
est première par rapport à une démarche internationale qui est hautement
souhaitable. J’insiste sur cette chronologie qui me paraît importante.
Pour ne pas retenir plus longtemps votre attention, je conclurai rapidement en
disant le fond de notre philosophie, le fond de ma pensée, «le nerf de la
guerre», si j’ose dire. Pour nous, toute personne, quelle qu’elle soit, est
unique au monde. Elle a ses richesses qui lui sont propres. Après, on est en
plus ou moins bonne santé, selon les cas. Etre plus ou moins en bonne santé,
cela veut dire avoir plus ou moins de facultés d’adaptation.
Les personnes que nous appelons aujourd’hui handicapées sont des personnes qui
s’adaptent moins facilement que d’autres. C’est à nous de les y aider, c’est à
nous de les aider à découvrir leurs spécificités, leurs richesses, à les faire
fructifier et à les mettre au service de la société.
Je reviens de Suède où j’ai beaucoup appris. La société suédoise considère
qu’elle ne peut pas se payer le luxe de se passer des services des personnes
handicapées. C’est un renversement de situation absolument extraordinaire. Je
souhaite que nous allions tous dans ce sens. Chaque personne est infiniment
respectable et doit faire l’objet de toute notre attention. Je suis sûre qu’en
mettant en commun nos réflexions et nos efforts, nous y parviendrons.
J’entends parler de projets à dix ans. Je suis quelqu’un d’impatient. Je trouve
que dix ans, c’est loin. Je suis sûre que vous pouvez faire mieux en termes de
réflexion. Ne peut-on pas se fixer des étapes plus rapprochées, cinq ans, par
exemple? Ne pourrait-on pas se retrouver dans cinq ans, date à laquelle – c’est
peut-être un rêve – la situation des personnes handicapées aurait beaucoup
évolué et procéderait tout simplement du droit commun? C’est ce que nous
souhaitons tous.
J’ai conscience que c’est un pari extrêmement difficile. C’est un défi que la
France se lance à elle-même, que le Conseil de l’Europe se lance à lui-même, que
toute l’Europe se lance à elle-même.
Cependant pour reprendre la formule, que j’aime beaucoup, des Ducs de Bourgogne
– «Plus est en nous» – il faut avoir confiance en nos personnes handicapées, il
faut aussi avoir confiance en nous: nous pouvons faire beaucoup plus et très
vite dans ce domaine. C’est nécessaire.