DISCOURS DU PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE, M. PETER SCHIEDER, A L'OUVERTURE DE LA PARTIE DE SESSION D'ETE DE L'ASSEMBLEE

Strasbourg, 23 juin 2003

Ces derniers mois, l'Assemblée a examiné plusieurs sujets difficiles, risquant de semer la discorde mais revêtant une importance capitale. J'estime que nous pouvons nous féliciter de ces débats et de leurs résultats, et que nous devons continuer sans relâche à dénoncer les atteintes aux valeurs universelles fondamentales.

La Résolution 1300 (2002) sur les risques pour l'intégrité du Statut de la Cour pénale internationale, adoptée en septembre dernier, qui appelait les Etats membres du Conseil de l'Europe à refuser les accords bilatéraux visant à soustraire certaines personnes à la juridiction de la Cour, a révélé toute sa pertinence ces dernières semaines, puisque les Etats-Unis ont exercé des pressions sur plusieurs pays des Balkans en les menaçant de représailles économiques s'ils ne signaient pas de tels accords d'immunité.

Je me suis exprimé publiquement sur cette question, et nos partenaires de l'Union européenne m'ont apporté un soutien sans réserve. J'ai également adressé des lettres aux parlements des pays concernés pour les informer de la position de l'Assemblée.

Jeudi, nous examinerons un rapport consacré aux droits des personnes détenues sur la base de Guantánamo ; un rapport sur la peine de mort dans les Etats bénéficiant du statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe sera inscrit à l'ordre du jour de l'une de nos prochaines sessions.

Sur la base militaire des Etats-Unis à Cuba, des centaines de personnes, y compris des enfants, sont détenues sans que des charges criminelles soient retenues contre elles ou qu'elles soient reconnues comme des prisonniers de guerre. Les autorités américaines ont créé un statut de " combattant illégal " afin de priver les détenus de nombre de garanties fondamentales prévues par le droit international et la Constitution américaine. Une telle pratique ne peut être qualifiée que d'illégale et nous ne pouvons nous taire - la défense de la dignité humaine et des droits de toutes les personnes doit être au cœur de nos efforts pour éradiquer le terrorisme à travers le monde.

De récents rapports ont fait état de la construction de structures destinées à abriter les exécutions dans le centre de détention de Guantánamo Bay. La peine de mort, que ce soit sur le sol cubain, aux Etats-Unis, ou n'importe où dans le monde, est un affront à l'humanité. Je ne doute cependant pas que les " normes de décence évolutives " utilisées par la Cour Suprême des Etats-Unis pour juger de la constitutionnalité de la peine capitale finiront par évoluer au point que la majorité du peuple américain comprendra et acceptera que condamner quelqu'un à mort n'est ni décent ni civilisé.

Je sais bien qu'en ces temps difficiles, nos gouvernements ne sont guère disposés à soulever de nouvelles controverses qui risquent de contrarier nos amis d'Outre-Atlantique, mais j'estime que lorsque nos valeurs les plus fondamentales sont menacées, nous devons avoir le courage de défendre notre position et refuser de nous laisser intimider.

Cela dit, il importe tout autant de rester ouvert au dialogue. J'estime que nous pouvons oeuvrer de manière constructive pour le maintien de bonnes relations avec nos alliés d'Outre-Atlantique, tout en restant indéfectiblement attachés à nos valeurs, c'est-à-dire à la démocratie, aux droits de l'homme et à l'Etat de droit.

Je souhaiterais que ces quelques réflexions orientent les futures activités de l'Assemblée concernant les Etats-Unis et d'autres partenaires à travers le monde. Je souhaiterais aussi que se dégage un large consensus qui ne nous oblige pas à choisir entre nos principes et nos amis.

Le dialogue est le seul moyen d'aller de l'avant. Il ne s'agit pas d'échanger des platitudes entre diplomates ni des paroles de dénigrement, mais d'engager une véritable discussion entre amis, au cours de laquelle des critiques puissent être exprimées. En effet, il se peut que nous ne soyons pas toujours d'accord. Mais nous devons toujours respecter mutuellement nos points de vue.

Il faudrait faire comprendre qu'il n'y a rien d'" anti-américain " à soutenir l'autorité des Nations Unies, à défendre l'intégrité de la Cour pénale internationale, à s'opposer aux guerres engagées sans un mandat clair du Conseil de sécurité, à demander que les détenus soient traités de manière équitable et humaine ou à dénoncer la peine de mort.

Il faudrait aussi accepter qu'il n'y a rien d'" anti-européen " à défendre des points de vue différents, à condition qu'ils soient présentés, et non pas imposés.

Ces derniers mois, l'Assemblée a aussi consacré plusieurs débats à l'avenir de l'Europe ; une demande de procédure d'urgence a d'ailleurs été déposée en vue de la tenue d'un débat sur " le Conseil de l'Europe et la Convention sur l'avenir de l'Europe " au cours de cette semaine.

Permettez-moi d'exprimer le message de l'Assemblée très simplement, sans m'embarrasser de subtilités juridiques : nous proposons que l'Union européenne devienne un membre associé du Conseil de l'Europe.

Nous voyons un encouragement dans le soutien apporté par la Convention à l'idée d'une adhésion de l'UE à la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui représente un premier pas important dans la bonne direction. Grâce à cette adhésion, tous les citoyens européens bénéficieront de la même protection de leurs droits, s'ils estiment que leurs droits sont affectés par des décisions prises au niveau national ou Européen.

Cependant, nos liens institutionnels doivent aller plus loin. L'Union européenne renforcerait considérablement la crédibilité de son soutien sans équivoque du droit international au niveau mondial si elle adhérait à l'instrument qui représente, à bien des égards, le mécanisme international juridiquement contraignant le plus complet et le plus étendu du monde. Depuis des années, les conventions et traités du Conseil de l'Europe - qui sont aujourd'hui près de 200 - servent de modèle et de source d'inspiration aux Nations Unies et aux organisations régionales.

En attendant, l'Assemblée doit continuer à faire ce qu'elle fait le mieux : examiner, débattre et innover, pour proposer aux gouvernements des moyens nouveaux de relever les défis de la société européenne contemporaine. De l'avenir de l'agriculture en Europe à l'avenir de la Convention européenne des Droits de l'Homme, du respect des normes du Conseil de l'Europe dans nos Etats membres à la situation des réfugiés palestiniens, des conflits régionaux à la traite des êtres humains et au trafic d'organes, nous suivons l'actualité de près, et nous travaillons avec le courage que nous donnent nos convictions, la sagesse issue de notre expérience, et la conscience de notre responsabilité à l'égard des Européens au nom desquels nous agissons.

Je vous souhaite à tous une semaine fructueuse.