Discours du Président de l'Assemblée, Peter Schieder,
à l'ouverture de la Première partie de Session

(Strasbourg, 27 janvier 2003)


Chers collègues et invités,

Je souhaite tout d'abord vous remercier de m'avoir réélu à la présidence de cette Assemblée. L'année qui vient de s'écouler a été difficile et peut-être le moment est-il opportun pour rappeler ce que j'avais promis dans mon discours inaugural en janvier dernier et pour faire le bilan de ce qui a été fait et de qui reste à faire.

J'avais alors dit que nous devions moderniser notre démarche, renouveler notre image et ranimer notre engagement à l'égard des valeurs dont la défense est notre raison d'être. Rien de tout cela ne sera accompli à coup de rhétorique. Si nous voulons des résultats concrets, nous devons entreprendre des actions concrètes.

Qu'en est-il aujourd'hui de notre démarche ?

Nous mettons tout en oeuvre pour renforcer le caractère parlementaire de notre Assemblée et en faire un lieu de véritable débat politique. Ainsi, tous les chefs d'Etat et de gouvernement - y compris les têtes couronnées - qui sont invités à s'adresser à l'Assemblée sont censés répondre désormais aux questions de l'assistance. On compte plusieurs invités éminents ici cette semaine et j'espère que durant notre prochaine session en avril, nous accueillerons le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, qui a accepté mon invitation à s'exprimer devant notre Assemblée lorsque je l'ai rencontré à la fin du mois de novembre à Moscou.

Sur le plan interne, nous avons fait des efforts considérables pour consolider nos procédures et les rendre plus transparentes, plus efficaces et plus fiables. Une Assemblée qui a l'ambition de jouer un rôle de premier plan au sein et en-dehors du Conseil de l'Europe ne peut être dirigée comme un club de discussion ! Nous avons adopté des mesures pour rattraper notre retard concernant les rapports en souffrance, en permettant aux commissions de faire face, avec rapidité et pertinence politique, aux enjeux extrêmement mouvants de notre époque.

Nous avons également décidé d'adapter notre fonctionnement aux nouvelles circonstances résultant de l'élargissement de l'Organisation à 44 Etats. Là encore, à titre d'exemple, nous avons adapté notre calendrier en tenant compte, dans la mesure du possible, des fêtes religieuses de toutes les grandes confessions pratiquées dans nos Etats membres. Cela peut sembler un détail infime, mais cela démontre que pour nous l'Europe n'est pas seulement catholique ou protestante mais aussi orthodoxe, musulmane et juive.

Au sein du Conseil de l'Europe, nous nous sommes efforcés de donner à l'Assemblée un rôle plus important et de mieux faire entendre sa voix dans la gestion de l'Organisation. L'Assemblée a le droit d'être représentée dans de nombreux organes du Conseil de l'Europe, mais cette capacité de coopération et d'influence avait jusqu'alors été négligée ou n'avait été utilisée que sporadiquement. Ce n'est désormais plus le cas.

Ces efforts se sont traduits principalement par un dialogue renforcé avec le Comité des Ministres qui m'a invité à prendre la parole à sa réunion de novembre de l'année dernière. J'ai reçu des assurances que cette participation deviendrait une habitude consacrée. Le rôle et l'influence de l'Assemblée dans les discussions sur le Troisième sommet du Conseil de l'Europe n'est que l'exemple le plus récent de notre importance toujours plus grande au sein de l'Organisation. Mais sachons bien que cet honneur ne va pas sans responsabilités.

L'Assemblée a aussi été active sur la scène européenne et internationale. Ses débats sur des problèmes mondiaux pressants, de la crise du Proche-Orient à la question de la Cour pénale internationale en passant par la situation en Irak, ont suscité un intérêt considérable et provoqué des réactions chez les parties concernées.

Aujourd'hui, une menace de guerre imminente pèse sur le monde. Il ne s'agit nullement d'une petite querelle locale qui peut être rapidement résolue mais d'un conflit qui peut avoir des répercussions mondiales à long terme. Certains demanderont peut-être ce que l'Assemblée à travers ses décisions pourra changer dans le jeu auquel se livrent les grands et les puissants. Ils peuvent même s'en détourner complètement, la jugeant sans importance et sans intérêt. Ils sont dans l'erreur ! Nous devons tous garder à l'esprit que l'Assemblée réunit des parlementaires de 44 Etats européens, totalisant 800 millions de citoyens. Nos membres appartiennent à tous les courants politiques et ne représentent pas seulement les partis au pouvoir mais aussi ceux de l'opposition. Il serait difficile de trouver un organe qui puisse exprimer l'opinion des citoyens européens avec plus d'autorité et de légitimité. Ceux qui choisissent d'ignorer ce qui se dit ici à Strasbourg le font à leurs risques et périls. Il n'y a ni " nouvelle " ni " vieille " Europe dans cet hémicycle et en septembre dernier, nous avons clairement affirmé qu'il convient de tout mettre en œuvre pour éviter une nouvelle guerre en Irak et pour trouver une solution au problème irakien conformément aux principes des Nations Unies et par le biais de ses mécanismes. Je ne pense pas que le Président Chirac, le Chancelier Schroeder et les Ministres des Affaires étrangères Fischer et De Villepin soient les seuls à penser qu'il faut déployer davantage d'efforts pour trouver une solution pacifique à cette crise. Notre débat de jeudi nous donnera certainement de nouveaux éléments d'information sur la position de l'Europe en la matière.

Mais on ne doit pas seulement se faire entendre sur les questions de guerre et de paix. Penchons-nous par exemple sur la question de la pollution marine. En septembre 2000, nous avons tenu un débat sur la catastrophe écologique causée par le naufrage de l'Erika au large des côtes bretonnes. Cette semaine, deux ans et demi et une nouvelle catastrophe plus tard, nous tiendrons probablement un débat d'urgence pour répéter tout simplement ce qui a déjà été dit. Si nous avions été écoutés la première fois, la tragédie du Prestige aurait pu être évitée.

Nous avons proclamé haut et fort qu'il était nécessaire de protéger les droits de l'homme et les libertés civiles dans la lutte contre le terrorisme. Nous reconnaissons la menace et nous apportons notre soutien sans réserve aux efforts menés par nos pays pour vaincre le terrorisme. Mais ce faisant, nous ne devons pas porter atteinte aux valeurs que les terroristes s'emploient à détruire. C'était également le message que notre Assemblée et le Parlement européen ont adopté à l'occasion de la première réunion mixte des deux organes qui a eu lieu ici même en septembre dernier.

L'année dernière, l'Assemblée a continué à jouer son rôle essentiel dans l'élargissement de notre Organisation. C'est aussi grâce aux pressions que nous avons exercées qu'a été conclu le récent accord sur la Charte constitutionnelle pour la future union de la Serbie et du Monténégro, qui devrait ouvrir la voie à l'adhésion du pays au Conseil de l'Europe. Dès qu'il sera membre de l'Organisation, une procédure de suivi sera mise en place pour veiller à ce que toutes les obligations et les engagements qu'il a souscrits soient respectés à la lettre.

Il y a un an, j'ai dit que nous devions moderniser et changer l'image de l'Assemblée, ce qui dépend en partie d'une meilleure communication et de meilleures relations publiques. Nous avons fait quelques progrès dans ce domaine mais nous devons persévérer si nous voulons être entendus, être compris et être pris au sérieux par les médias, l'opinion publique et les responsables politiques de nos Etats membres.

J'ai défendu en outre une meilleure représentation des femmes dans notre Assemblée. Cela fait partie de notre image, mais c'est aussi un indice du sérieux avec lequel nous nous conformons aux principes et aux valeurs que nous prêchons aux autres. A cet égard, nous avons lamentablement échoué. En septembre, j'ai critiqué certaines grandes délégations dont les femmes sont quasiment absentes. Aujourd'hui, au moment où nous nous apprêtons à approuver les pouvoirs de l'ensemble des 44 délégations, dont plusieurs sont nouvelles, la situation ne s'est guère améliorée. Critique alors, je continuerai de l'être aujourd'hui. Mais si les choses ne s'améliorent pas, je suis prêt à proposer des mesures concrètes pour que nous progressions sur ce point.

Dans mon discours de l'année dernière, j'ai aussi dit que nos citoyens ne prendraient pas pour argent comptant notre contribution à leur bien-être et qu'il nous fallait leur apporter des preuves évidentes des répercussions concrètes et décisives que nos travaux ont sur leur vie.

Avons-nous réussi sur ce point? La réponse est oui, mais avec des réserves.

S'agissant des questions importantes que nous débattons ici, n'oublions pas une chose. Ce que nous faisons et décidons à Strasbourg n'est qu'un commencement. Nos responsabilités en tant que membres de l'Assemblée ne cessent pas quand nous embarquons dans l'avion qui nous ramène chez nous. De même que vous représentez vos parlements au Conseil de l'Europe, vous représentez aussi, ne l'oubliez pas, le Conseil de l'Europe et ses valeurs dans vos parlements nationaux. Si les décisions que nous prenons ici ne trouvent aucun prolongement au niveau national - si vous ne présentez ni ne défendez nos positions dans les débats politiques dans vos pays - nous perdons notre temps et gaspillons l'argent des contribuables ! Je vous prie d'excuser mon franc-parler mais il n'y a pas d'autre façon de le dire.

Je n'aborderai que brièvement la semaine qui nous attend, avec de nombreux rapports importants, plusieurs demandes de débats d'urgence et de nombreux invités de premier plan. La seul chose dont nous manquons, c'est du temps. Nous ne pourrons venir à bout des travaux qui nous attendent sans une certaine discipline ; en particulier, tâchons de respecter les temps de parole et le Règlement de l'Assemblée.

Notre premier orateur est un vieil ami, mais les raisons de sa présence parmi nous n'obéissent ni aux sentiments ni au protocole. M. Abdullah Gül, Premier ministre de la Turquie, peut parler avec autorité d'un grand nombre des questions dont nous devrions débattre cette semaine, qui vont notamment de la situation en Irak aux conséquences de l'élargissement de l'Union européenne.

M. le Premier ministre, c'est pour nous un grand plaisir et un grand honneur de vous avoir parmi nous.