Strasbourg, 17 avril
Discours de Bernard Kouchner,
Ministre français des Affaires étrangères et européennes
Monsieur le Président, merci de vos paroles aimables.
En effet, je connais cet amphithéâtre, non seulement pour y avoir parlé comme représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Kosovo, mais aussi parce que j’ai siégé, il fut un temps, sur ces bancs, au moment où l’Union européenne se réunissait ici. Cela ne me rajeunit pas, mais vous non plus. Alors résignons-nous !
Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, monsieur le Président du Comité des Ministres, mesdames, messieurs, chers amis, je remercie une fois de plus le Président Lluís Maria de Puig de cette invitation et, à travers lui, je veux vous remercier tous, mesdames, messieurs les Parlementaires. Je suis heureux de m’exprimer aujourd’hui devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au nom du Gouvernement français.
C’est une fierté et un honneur pour ce gouvernement d’accueillir sur son territoire le siège du Conseil de l’Europe, institution que la France apprécie, qu'elle aime et qu’elle devrait mieux connaître, ce qui n’est pas incompatible. Ceux qui vous connaissent vous apprécient et vous aiment ; les autres, il faut que nous leur fassions connaître votre existence et votre importance. Je le dis en associant les Parlementaires français qui siègent parmi vous et dont je connais l’engagement.
Notre attachement ne se limite pas à la présence à Strasbourg de quelques bâtiments, dont j’aurai tout à l’heure l’honneur d’inaugurer l’un des nouveaux fleurons ; il tient aux valeurs incarnées, portées et défendues par le Conseil de l’Europe. Cela est essentiel en ces temps de flottement. J’avais déjà été invité, vous l’avez rappelé, à m’adresser à votre Assemblée en juin 2000 lorsque j'étais ce représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Kosovo.
Je me souviens de ces contacts et des réflexions essentielles que je vous dois sur un sujet qui nous occupe encore. Le sujet qui nous réunit aujourd’hui me passionne, m'obsède : la paix et les droits de l’homme, les droits de l’homme et la paix, la paix par les droits de l'homme. J'ai choisi de vous en parler aujourd'hui. Vous savez que cela me tient à cœur depuis longtemps : on dit que « les droits de l'homme, c'est la paix » ; cela c’est presque toujours vrai, mais pas toujours.
Cette conviction était l’engagement fondateur des Etats membres du Conseil de l'Europe. Pour chacun, il s’agissait avant tout de « reconnaître le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Il y a soixante ans c'était un acte de foi : est-ce devenu un fait vérifiable ? Pas toujours. L’arrivée progressive de nouveaux Etats membres au Conseil de l’Europe, puis la vague d’adhésions qui a suivi le tournant des années 90, ont permis que l’ensemble du continent européen se retrouve uni au sein du Conseil autour d’objectifs et de valeurs partagés. Ce sont des progrès formidables.
Ces progrès, quelques satisfactions, ne doivent pas nous immobiliser. Méfions-nous des identités hâtives et des raccourcis reposants. Tout va mieux, mais ce n’est pas suffisant. Les droits de l’homme sont un combat permanent. La paix n’est pas l’immobilisme. La défense de la paix n’est pas toujours paisible, au contraire. Il ne suffit pas d’aimer la paix et de la réclamer pour permettre son avènement. L’Europe, qui a connu tant de périodes d’espoir suivies de tant de désillusions, le sait dans sa chair. Le « Projet de paix perpétuelle » de Kant a précédé de quelques années à peine les massacres napoléoniens ; le pacte Briand-Kellog a précédé les plus grands massacres de notre histoire. Les droits de l'homme, même en progrès, ne doivent pas nous laisser en repos.
La défense de la paix et celle des droits de l’homme vont évidemment de pair. Dans un monde idéal, la paix serait même le premier des droits de l’homme, mais notre monde – hélas ! – est un peu plus complexe, et la paix comme les droits de l’homme doivent composer avec des forces hostiles, avec des vents mauvais, avec des crises de foi. C’est le drame et la beauté des projets de Kant, de Briand ou de Kellog que d’avoir pêché par un louable excès d’optimisme. Ce combat pour les droits de l'homme se fait aussi en permanence contre soi-même et contre le conformisme.
Parmi les forces hostiles, il y a, bien sûr, un certain nombre d’opposants plus ou moins déclarés aux droits de l’homme, les tenants d’un relativisme qui, souvent, ne veut pas dire son nom. Et puis, il faut bien le reconnaître, il y a aussi des « excès » des droits de l’homme. Les droits de l’homme, entend-on, ne seraient que la tentative maladroite de justification d’un Occident conquérant. Je l'ai vu, je l'ai senti, c'est parfois le cas. Les droits de l’homme ne peuvent jamais s’imposer, ils doivent toujours se proposer et convaincre. Le viol ou la torture font autant souffrir en France qu’en Irak ; la peine de mort est aussi barbare au Texas qu’en Chine, quelles que soient les méthodes employées. Exemple souvent cité, les pieds bandés des femmes chinoises les faisaient souffrir autant qu’ils auraient fait souffrir les autres femmes du monde si l’on leur avait appliqué cette coutume. Je rappelle que c’est Sun Yat-sen, un médecin, qui, au début du siècle dernier, a soulagé les femmes de leurs bandages.
Etablir l’égalité des hommes devant le malheur n’est pas un argument impérialiste, n’est pas une imposition culturelle. Affirmer que tous les humains endurent les mêmes souffrances quand ils sont soumis aux mêmes maux n’est pas faire preuve de racisme. Affirmer que le sida n'est pas une maladie occidentale est nécessaire, comme l’action pour le combattre. Merci de m’avoir rappelé que vous avez commencé, ici, au Conseil de l’Europe, bien avant les autres, en 1982.
Combattre en général partout les maux qui font souffrir, c’est rendre l’universalité possible. Demandons-le aux défenseurs des droits de l’homme en Afrique, en Asie mais aussi en Europe et à ceux qui veillent au respect des droits de l'homme dans nos propres pays. C’est votre spécificité, si j’ose dire, unique. Ce n’est pas un pléonasme. Il n’y a que vous qui soyez capables de faire cela. Il n’y a que vous qui soyez capables de rendre espoir à un prisonnier perdu et oublié, dans n’importe quel coin de l’Europe, en tout cas pour le moment, car vous êtes le recours suprême.
N'avons-nous pas nous-mêmes affaibli, par notre comportement parfois arrogant, voire impérialiste – je reviens sur ce que j’ai dit sur l’universalité et sur les droits de l’homme qui ne s’imposent pas mais se proposent –, les valeurs que nous pensions défendre ? Méfions-nous d’une vision manichéenne du monde et de quelques relents colonialistes qui ont durablement affaibli ceux qui caressaient le rêve d’imposer les droits de l’homme et la démocratie à la seule force des chars. Cette accusation est d’autant plus complexe qu’elle se nourrit de nos propres doutes ou de décisions prises souvent loin du terrain.
A cela s’ajoute une crise de foi majeure, qui nous fait douter des idéaux mêmes que nous poursuivons ; surtout par ces temps de globalisation. Si les droits de l’homme se limitent à un système de valeurs parmi d’autres, alors, la contradiction est inévitable, tout comme l’affrontement entre des systèmes nécessairement concurrents.
Prenons garde à conserver à l’esprit la nature profonde des droits de l’homme, celle d’un système de droits, avec ce que cela implique de modalités pratiques, de capacités d’articulation, de logique contractuelle et d'invention amicale. C’est d’ailleurs à ce titre qu’est posée la première universalité des droits de l’homme, celle de la déclaration de 1948 dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire, déclaration reconnue librement par l’ensemble des Etats membres de l’Organisation des Nations Unies.
A ceux qui, au sein même de nos démocraties, doutent de la possibilité d’une politique fondée sur les droits de l’homme il nous faut réaffirmer ce qui fonde la spécificité des droits de l’homme, ce qui rend leur universalité non seulement possible mais nécessaire. Cela justifie notre, votre opiniâtreté.
Malgré ces condamnations sans procès, je peux vous dire aujourd’hui, mesdames et messieurs les Parlementaires, que notre combat continue. C’est un combat permanent, éternel et incertain. Contre soi-même vous disais-je. Un combat difficile surtout contre l’immobilisme, contre la tentation du statu quo et son lot rassurant de simulacres de paix. Je le dis avec force : ne soyons pas naïfs, les droits de l'homme ne résument pas une politique étrangère. Ils la colorent, l'inspirent, la maintiennent. Ils ne sauraient la résumer, ce serait trop beau.
Depuis bientôt un an que je suis ministre des Affaires étrangères et européennes de la France, j’ai eu tout loisir de constater la ténacité de ces arguments et leur capacité d’auto-alimentation. Et je tente de rester ce que je suis au fond de moi, un militant des droits de l'homme. Il faut dire que chacun de nos actes lorsqu’on est Ministre, et particulièrement ministre des Affaires étrangères, ouvre la possibilité d’une critique – c’est légitime, c’est normal, attendu et enrichissant - que notre monde complexe ne connaît pas ces succès absolus, radicaux, cette perfection immédiate qui rassurerait tant nos esprits envahis par le doute.
Oui, nous doutons. Oui, je doute. Je doute du succès de mes initiatives, quand je constate la lenteur et la complexité de toute action d’envergure. Je crois être à l’origine de ce qu’on a appelé « le devoir d’ingérence », puis « le droit d’ingérence » et enfin la responsabilité de protéger. Je connais ces progrès. Ainsi je pense au Darfour, bien sûr, où la mise en place de l’Eufor côté tchadien– la plus grande opération européenne en matière de protection, non seulement des droits de l’homme, mais aussi de la réalité des personnes déplacées sur leur propre territoire - a été si complexe depuis un an. De même la mise en place de la Minuad – qui accompagne l’Eufor, cette décision des Nations-Unies de protéger les camps de réfugiés ; se heurte encore à plus d’obstacles.
Je connais la difficulté de coordonner une politique décidée à 27, je sais la crise de légitimité de l’Onu, la difficulté des droits de l’homme : nous avons rencontré au Darfour l’ensemble de ces complications, l’ensemble de ces lenteurs, de ces contradictions d’un multilatéralisme encore imparfait. Et dans le même temps, je me félicite de l'essor de l'Union africaine, qui est une imitation de l’Union européenne mais qui a, d’une certaine manière, paralysé nos efforts – efforts communs aux côtés des Nations-Unies. Bref, depuis près de trois ans, nous nous indignons de la situation du Darfour, la lenteur des interventions est tellement grande que nous pouvons parfois nous désespérer.
Nous avançons pourtant, nous avons déjà considérablement avancé dans la voie que nous nous sommes fixés : la protection de centaines de milliers de civils menacés par la violence, l’exode et la faim, les camps de réfugiés. Y a-t-il manière plus claire de défendre les droits de l’homme là où ils sont le plus directement menacés ? Bien sûr qu’il faut de la prévention, bien sûr qu’il faut des solutions politiques : mais il faut aussi que nous tenions nos promesses ! Or nous ne les tenons pas, sinon trop lentement !
Je doute aussi quand je pense à l’Afghanistan, où j’étais il y a quatre jours. Sommes-nous sur la bonne route ? Nous devons lutter contre le terrorisme, mais sans oublier les Afghans. Nous ne devons pas oublier ces différences que nous appelons « culturelles » et qui sont essentielles. Oui, il y a des progrès, des millions de petites filles vont désormais à l’école, ce qui était inimaginable il y a dix ans, des millions de femmes ont voté en 2004, ce qui était tout aussi inimaginable il y a dix ans, oui nous avons permis d’apercevoir les chemins de la liberté, des dispensaires, des routes. Mais ce n’est pas suffisant.
Il n'y aura pas de solution militaire même si nous devons renforcer la sécurité. Il nous faut envisager notre action dans le cadre global d’un vrai projet afghan. Cela implique d’abord une attention essentielle à la reconstruction, à la sécurité, je le répète, et au développement. Cela implique également de favoriser une réelle appropriation de ces enjeux par les Afghans eux-mêmes, de les impliquer dans nos projets, de ne pas confondre la paix avec une certaine vision à courte-vue du pacifisme, de ne pas mélanger la tentation de l’immobilisme et l’ambition de l’équilibre. En Afghanistan comme ailleurs, nous ne pourrons construire durablement la paix sans veiller sans relâche à l'amélioration des droits de l'homme. Je vous l'assure, mesdames, messieurs les Parlementaires, moi qui parcours ce pays depuis tant d'années, j'ai la conviction que l'amélioration des droits de l'homme, l'amélioration des conditions de vie quotidiennes de tous les Afghans, et particulièrement des paysans, pourraient faire plus pour la paix que toutes les forces que nous y déployons. L'un ne va pas sans l'autre, bien sûr.
Je doute enfin quand je constate les difficultés du Tibet. L’ingérence, nous dit-on, trouve là ses limites, je le comprends. Mais je n'en suis pas sûr. Ces arguments rapides, fondés sur des raccourcis artificiels de l’actualité, ne font pas assez avancer la réflexion, et encore moins la situation de ceux qui souffrent. Je pense, au contraire, que, malgré les incertitudes nées d’une difficile solution de consensus entre démocraties, l’ouverture de la Chine doit nous conforter et nous pousser dans une action à la fois résolue et réaliste, une action qui emprunte la seule voie possible en ce qui concerne le Tibet : celle d’un dialogue entre les autorités chinoises et le Dalaï-Lama, qui je vous le rappelle, et je lui parle souvent, ne demande pas l'indépendance du Tibet. Là aussi, nous sommes trop lents.
Face aux doutes, je crois mesdames et messieurs les Parlementaires que nous ne sommes pas désarmés. Car nous avons l’Europe, le modèle européen que tous nous envient. L'Europe n’est pas pour autant exemplaire. Nous savons que la situation dans nos 47 Etats membres n’est pas homogène, mais aussi qu’aucun de nos pays n’a atteint la perfection – si tant est qu’il soit possible d’y parvenir. La démocratie est une valeur fragile, elle repose sur des institutions et des contrepouvoirs. Les hommes qui les animent perdent parfois de vue les valeurs qui la fondent.
La prééminence du droit doit encore consolider son assise. Si nous en avons tous accepté le principe, avons-nous réellement mis en œuvre les moyens découlant de ces engagements pour assurer l’indépendance et l’efficacité de la justice, la confiance des citoyens dans le système judiciaire et le libre usage des voies de recours ? Pouvons-nous affirmer que, sur notre continent, un terme définitif a été mis à l’arbitraire, aux atteintes à la liberté d’expression, en particulier pour les défenseurs des droits de l’Homme ou les journalistes ? Je sors de la Cour européenne des Droits de l’Homme, et j’étais honoré il y a peu de temps d’être le lauréat de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Je m’y sentais donc chez moi.
L’afflux continu de requêtes individuelles devant la Cour européenne des Droits de l’Homme concerne chacun d’entre nous, chaque Etat dont vous et moi sommes les représentants. Dans sa noble tâche de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour n’est pas, hélas, comme on le dit souvent, victime de son succès. Elle est plutôt victime des échecs et des errements de nos Etats. Nous le savons tous, l’amélioration effective des dispositifs de recours interne est un élément de la solution. Nous le savons également, l’exécution pleine et entière des arrêts de la Cour dont chaque Etat partie a accepté la force obligatoire, sans dérogation, contribuera à résoudre le problème d’engorgement auquel est confrontée la Cour. Mais c’est la seule au monde qui examine les cas individuels. C’est plus que précieux, irremplaçable. C’est votre spécificité, votre succès, votre raison d’être.
La clé est dans l’amélioration du corpus législatif et réglementaire de chacun de nos pays, et plus encore dans sa mise en œuvre effective dans chaque Etat membre. Or la mise en œuvre, mesdames, messieurs les Parlementaires, vous le savez mieux que quiconque, passe par un certain nombre d'instruments essentiels. Comment la Cour européenne des Droits de l'Homme peut-elle prétendre continuer à jouer son rôle si elle ne dispose pas des moyens nécessaires ? Tant que le Protocole n °14 ne sera pas entré en vigueur, la Cour ne pourra pas travailler correctement, elle ne pourra correctement répondre aux attentes des citoyens qui s'adressent à elle. Je veux ici appeler solennellement le Parlement de la Fédération de Russie à ratifier le Protocole n °14, qui permettra à la Cour de gagner en efficacité. Sachons faire face à la justice que nous avons tous choisi de nous imposer à nous-mêmes, pour le bénéfice de nos citoyens. Sachons défendre les droits de l'homme, y compris en acceptant d'affronter nos propres errements.
Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement russe, et j'espère que les parlementaires russes du Conseil de l'Europe se feront les avocats de cette impérieuse nécessité auprès de leurs collègues à Moscou. Alors l’Europe, en matière de droits de l’homme et sous l’impulsion du Conseil, pourra, davantage encore, servir d’exemple, d’ambition, voire de modèle pour d’autres régions. La Cour, par la force que nous lui avons donnée, est en elle-même une réponse aux accusations de ceux qui ne voient dans les droits de l’homme qu’un outil rhétorique au service des puissants : parce que ses arrêts s’appliquent à tous, parce qu’elle a su incarner une philosophie qui place les citoyens et leurs droits fondamentaux au-dessus des Etats. La Cour incarne aujourd’hui la légitimité même des droits de l’homme. L’engagement librement consenti par les Etats parties à la Convention d’accepter la force obligatoire des arrêts de la Cour témoigne au monde de notre ouverture.
A cet égard, la coopération entre la Cour et les autres cours régionales doit être encouragée comme se propose de le faire la France à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en contribuant à l’organisation d’un séminaire entre les Cours africaine et inter-américaine des Droits de l’Homme.
C’est dire si nous avons besoin du Conseil de l’Europe, de l’action patiente et déterminée des équipes dévouées du Secrétariat. Je veux rendre hommage, outre à vous-même, monsieur le Président, au Secrétaire Général, au Président de la Cour et au Commissaire aux droits de l’homme, tout comme aux secrétariats des instruments de suivi des engagements et des différentes conventions, qui, quand il le faut, rappellent avec diplomatie et ténacité les Etats à leurs engagements et obligations librement contractées, qui les amènent à progresser, qui nous amènent à progresser.
Nous avons développé au Conseil de l’Europe une « philosophie en action » dont nous pouvons être fiers. Je serais tenté de reprendre la formule, qu’employait avec talent la Chancelière Angela Merkel devant vous mardi : une forme de « droit d’ingérence mutuelle » des Etats membres du Conseil de l’Europe, pour la protection des droits de l’homme et la consolidation de nos démocraties, fondées sur la prééminence du droit. Je crois avoir été à l’origine de cette formule. Je suis heureux que Mme Angela Merkel l’ait reprise. Comme inventeur de ce concept avec les French doctors, j'apprécie donc.
Je veux aussi rappeler le rôle moteur du Conseil dans la promotion et l’application concrète de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui, par exemple, a permis, l’année dernière, d’instaurer la journée européenne pour l’abolition de la peine de mort.
Par ces initiatives, par ces engagements, l’action du Conseil de l’Europe, qui fêtera à son tour, l’année prochaine, ses soixante ans, a été au travers de la défense et de la promotion des droits de l’homme, un véritable outil pour la liberté et la paix en Europe.
C’est ce message « les droits de l’homme, c’est la paix » qu’il nous faut diffuser sans relâche. La vraie tâche qui doit être la nôtre aujourd’hui, c'est la conquête des cœurs. Il ne s’agit pas d’imposer au monde un système prédéfini, mais de prouver par l’exemple la pertinence d’un modèle fondé sur la réciprocité, je le disais à l’instant, sur la solidarité, sur le dialogue. C’est ainsi que nous ferons apparaître la pertinence du modèle qu’ensemble nous avons construit et si particulièrement au Conseil de l’Europe. C’est ainsi que nous ferons advenir une paix réelle fondée sur les droits de l’homme.
Pour faire passer notre message, il ne s’agit pas seulement de rappeler nos convictions, mais aussi de donner aux autres une chance de s’exprimer, comme sait si bien le faire votre Assemblée qui a su inviter les plus hautes figures de la résistance à l’oppression. Je pense à Sakharov, avec qui – et avec Elena Bonner aussi –, j'ai passé des heures exaltantes ainsi qu’avec tant d’autres qui ont pu, en leur temps, au travers du Conseil de l’Europe, faire entendre au monde leur message et leur aspiration au respect des droits de l’homme.
S’il veut porter ses valeurs, le continent européen se doit encore une fois de montrer l’exemple. Permettez-moi, monsieur le Président, de revenir sur la situation dans les Balkans et en particulier celle au Kosovo, que je connais bien, pour souligner le rôle essentiel que le Conseil de l’Europe y a joué et doit encore y jouer. Comme l’a souligné cette Assemblée, il faut que le Kosovo soit un territoire où les instruments du Conseil de l’Europe, tels que la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Convention européenne pour la prévention de la torture et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, soient pleinement applicables et leurs mécanismes de contrôle respectifs pleinement opérationnels.
Le Kosovo doit être un Etat où toutes les parties respectent l'engagement qu'elles ont pris de préserver la paix et le dialogue en toutes circonstances, de s'abstenir de toute incitation à la violence et de se conformer sans réserve aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme, de prééminence du droit, de droits des minorités nationales, ainsi que de traitement des réfugiés, des personnes déplacées et des apatrides.
Pour cela, notre organisation, différente dans ses missions et dans ses dimensions de l’Union européenne, joue un rôle irremplaçable. Je me félicite d'ailleurs du climat apaisé et fondé sur le respect mutuel qui caractérise désormais les relations entre nos deux organisations. Soyez assurés que la Présidence française de l'Union européenne, qui débutera le 1er juillet 2008, y sera attentive. L'Union européenne, vous le savez, a pris la décision d'adhérer à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Belle décision, rendue possible par le traité de Lisbonne. Je souhaite que cette adhésion puisse se concrétiser le plus vite possible, car elle renforcera encore le lien entre les deux organisations, leur permettant de défendre ensemble leurs valeurs communes. Donnons-lui les moyens de continuer à remplir son rôle, tout en l’invitant à poursuivre son effort de rationalisation, en phase avec ses Etats membres, confrontés à de réelles contraintes budgétaires.
Tout d’abord, en poursuivant son recentrage. A l’occasion du Sommet de Varsovie, nous avons réaffirmé notre engagement et notre priorité commune : celui d’une Europe déterminée à promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit. Cela en s’appuyant sur les différentes institutions du Conseil, auxquelles j’ai rendu hommage tout à l’heure; et bien sûr, si nous voulons que le « droit d’ingérence mutuelle » continue d’être efficace, sur la détermination des Etats-membres à assumer pleinement leurs engagements.
Donnons aussi au Conseil de l’Europe les moyens de continuer à remplir son rôle à travers le renforcement de l’efficacité de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, garante de la mise en oeuvre de la Convention au bénéfice de 800 millions de citoyens européens, comme nous nous y étions engagés au Sommet de Varsovie.
L’Europe, les droits de l’homme et la paix : il y a bien dans l’articulation de ces trois ambitions un même rêve, celui d’offrir à nos concitoyens comme de proposer au monde entier un modèle de développement et de prospérité fondé sur le dialogue, le droit, la négociation. Pour cela, le Conseil peut compter sur la disponibilité totale de la France.