EMBARGO JUSQU'AU PRONONCE   
01.10.2008

Intervention de Angel GURRÍA

Secrétaire Général de l’OCDE

à l’occasion de la 4e partie de la session ordinaire de 2008 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 29 septembre-3 octobre 2008)


(Extrait du compte-rendu des débats)

Monsieur le Président,

mesdames, messieurs,

C’est, comme toujours, un grand honneur pour moi que de prendre la parole devant cette Assemblée parlementaire. C’est ma troisième visite au Conseil de l’Europe et je puis vous assurer que c’est avec un plaisir sans cesse grandissant que j’apprécie l’occasion qui m’est offerte ainsi que votre accueil chaleureux.

Avant de plonger dans les eaux turbulentes de l’économie mondiale, je tiens à féliciter Lluís Maria de Puig pour sa nomination à la présidence de cette Assemblée. J’ai eu un réel plaisir à le rencontrer et à échanger avec lui des idées et des points de vue.

Je remercie en outre la commission des questions économiques et du développement de cette Assemblée parlementaire pour son travail sur le rapport L’OCDE et l’économie mondiale, en particulier sa rapporteure de cette année, Mme Anna Lilliehöök, pour la qualité de son travail de préparation. Oser rédiger un rapport sur l'économie mondiale dans ces circonstances est un acte de bravoure. Chapeau à Mme Lilliehöök et à son équipe !

Je vais maintenant vous faire part de quelques éléments de la perspective de l’OCDE sur l’économie mondiale et exposer le contexte de la crise financière qui est devenu le problème principal à l’heure actuelle. Nous aurons l’opportunité d’échanger aussi des considérations après le déjeuner.

La situation est véritablement critique. C’est la crise financière la plus grave depuis la grande dépression et ses conséquences commencent déjà à s’étendre au-delà de la sphère financière dans le monde entier. Le système financier est en fait la courroie de transmission qui fait fonctionner toute l’économie. Si le système financier est bloqué, entravé ou paralysé, comme c’est le cas actuellement, l’économie ne peut pas fonctionner normalement.

Déjà, les premières banques européennes rencontrent des difficultés. Des sauvetages in extremis ont eu lieu au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, la semaine dernière. Le Luxembourg a participé à deux opérations, Dexa et Fortis.

Les experts de l’OCDE considèrent qu’étant donné l’exposition des institutions financières européennes, il faut commencer par réfléchir à la mise en place d’un plan systémique pour l’Europe si la situation ne s’améliore pas de l’autre côté de l’Atlantique. La démarche par petits bouts, qui n’a pas fonctionné aux États-Unis, pourrait ne pas fonctionner non plus en Europe.

Depuis son annonce, l’OCDE a soutenu l’adoption du plan de sauvetage systémique des États-Unis. Je ne doute pas que les chambres américaines prendront la bonne décision pour mettre en place cet outil critique. Nous avons dit qu’il était important de le faire et, si le diable se cache dans les détails, la démarche de fond est juste.

Au-delà des mesures d’urgence, il convient aussi de s’intéresser aux racines du mal, de tirer les enseignements et de tenir un débat de fond sur la réforme nécessaire du système financier international. Les bulles et les crises surviennent, et peuvent encore survenir, si les déséquilibres fondamentaux ne sont pas traités correctement. Il faut d’abord comprendre les causes et l’ordre de causalité. C’est une condition première pour conduire une politique juste.

La crise financière actuelle tire son origine de facteurs traditionnels qui ont par le passé déterminé des crises bancaires aux États-Unis et dans d’autres pays. Néanmoins elle présente aussi des caractéristiques non traditionnelles et spécifiques.

Parmi les facteurs habituels, nous avons une période de prospérité, avec croissance des crédits, avec la croyance que la croissance se poursuivra à l’infini, en particulier dans les marchés immobiliers, et dans celui des prêts qui ont crû de manière explosive vis avec des agents économiques qui n’étaient pas solvables. Tel est le cas des prêts hypothécaires subprime. L’on parle aussi des emprunts « ninja » faits par des emprunteurs japonais sans revenu, sans travail et sans actifs, qui ont eu la possibilité d’emprunter. Il est clair que cela ne pouvait pas rester sans conséquences.

Parmi les facteurs nouveaux et originaux, citons le développement du modèle de comportement de distribution de transfert des risques par les banques. Il y a aussi une très forte attente de rendements importants. Les gens voulaient des rendements élevés : il était donc ennuyeux de rester sur les marchés ! On cherchait à gagner plus, donc, on prenait davantage de risques. Or, quand on prend plus de risques, on aboutit à des résultats inattendus : ignorance des risques au départ et incertitude à la suite de leur réalisation pour des titres fondés sur des systèmes hypothécaires, les produits dérivés en découlant et les credit default swaps, et défaillance.

Dans certains cas, la gouvernance était variable. Certaines institutions financières ont survécu, d’autres ont été perdues. Tout cela parce que la gestion du risque dans ces institutions était défaillante. Sans oublier le rôle des organes de surveillance et des organes de notation.

Toutes ces erreurs, toutes ces carences, nous devons les analyser. L’OCDE est l’enceinte où il faut tenir ces débats. Quelles seraient les solutions à long terme ? De ce point de vue, les comités spécialisés de l’OCDE peuvent jouer un rôle. L’exercice se fait de bas en haut : en fait, ce sont vos experts à l’OCDE qui expliquent les choses, ce ne sont pas les experts de l’OCDE qui cherchent à imposer une compréhension des choses. C’est votre voix qui est entendu. L’OCDE est l’enceinte où l’on peut discuter de ces sujets, les comprendre mieux et recommander les meilleures pratiques.

L’effondrement des marchés financiers, même s’ils sont rétablis dans les prochains jours – on peut s’attendre à une augmentation de 4 % par rapport à la situation d’avant, après cette grande perte – laisse présager plusieurs trimestres d’une croissance faible dans les économies des pays de l’OCDE. La zone du G7 aura une croissance de 1,4 % en 2008. Les pays en développement en ressentiront aussi les effets. Les perspectives de croissance pour 2009 sont encore plus incertaines et l’on ne saura pas non plus bien prédire l’inflation durant un certain temps. Dans les politiques monétaires des pays, on va se demander s’il faut encourager l’économie et la croissance ou s’il faut appliquer une politique de rigueur pour lutter contre l’inflation. La situation sera difficile.

L’économie mondiale a souffert, mais il faut aussi voir les aspects positifs. Au-delà des gros nuages de cette tourmente financière, les déséquilibres dans les comptes courants étaient en décroissance. Les investissements directs de l’étranger ont atteint 1,8 billion de dollars en 2007. Les prix du pétrole et des denrées alimentaires ont commencé à baisser. Il y a en fait une réaction à la logique économique de l’offre et la demande, et l’on voit les économies émergentes faire preuve d’une stabilité et d’une résilience remarquable.

Les effets de la crise dans un pays comme la Chine se traduiront pas une croissance réduite à 11,5 % au lieu de 12 % et, en Inde, la croissance sera de 8 % au lieu de 10 %. Il n’y a pas un découplage total, mais ces pays se portent mieux que l’on pouvait le craindre.

L’OCDE s’adapte aux nouvelles circonstances, il faut une mondialisation qui soit ouverte à tous. L’année dernière, nous avons offert non seulement aux pays membres mais aussi à un nombre croissant de pays non membres, des occasions d’améliorer le dialogue mondial sur des sujets clés.

Sur le changement climatique, par exemple – c’est la commission de l’environnement qui en parlait – voici un ouvrage préparé par l’OCDE, que j’ai plaisir à vous remettre, sur le développement agricole et le prix des denrées alimentaires. Nous avons travaillé en collaboration avec la FAO. Nous avons fait des études politiques prospectives des prix agricoles et alimentaires. Nous pensons que, dans les dix années à venir, les prix alimentaires seront plus élevés que dans les dix années passées. C’est un fardeau humanitaire, technique et agricole. Des actions sont donc à entreprendre dans ces domaines pour améliorer le pouvoir d’achat des gens.

L’éducation est aussi un thème de réflexion. Votre rapporteur de la commission de la culture, de la science et de l’éducation l’a évoqué. J’ai ici un aperçu de l’éducation dans le monde, ouvrage que je vous remets également. Il s’agit d’une analyse de pays de l’OCDE et d’un nombre assez élevé de pays non membres de l’OCDE.

Les fonds souverains, principalement chinois et arabes, font l’objet d’un travail intéressant dans le domaine de l’innovation, des fonds structurels et de l’économie Internet.

Quelqu’un a évoqué les migrations. Pour la trente-deuxième année consécutive, nous publions un rapport relatif aux «perspectives internationales sur les migrations ». Nous sommes la seule organisation internationale à réaliser un tel travail annuellement. Ce document confirme l’importance des propos tenus par le rapporteur à ce sujet. Nous y analysons l’évolution des marchés du travail. Nous constatons, par exemple, que l’Allemagne et le Danemark réagissent de telle ou telle manière, et nous avançons des propositions visant à améliorer l’efficacité de la contribution des migrants sur tel ou tel marché du travail. Ce ne sont pas de pures données statistiques, mais des recommandations d’actions politiques faites en fonction de l’observation de données objectives. Nous pouvons dire quels sont ceux qui agissent bien et ceux dont la politique est moins efficace.

Je remets au rapporteur le document intitulé Perspectives de développement économique, publié au mois de juin. Si, depuis, nous avons dû, par deux fois – hélas ! - revoir à la baisse nos prévisions de croissance de l’économie mondiale, nos conclusions fondamentales n’ont pas changé. Ce n’est pas un classique, il a déjà trois mois d’âge.

Nous publions chaque année un document sur les Perspectives de l’emploi, dans lequel nous décrivons l’évolution des marchés de l’emploi des différents pays.

Enfin, dans notre étude de la croissance, nous dénonçons clairement les moins bons pays et nous reconnaissons les mérites des autres. Nous n’hésitons pas à citer nommément ceux qui prétendaient pouvoir réussir et qui n’y sont pas parvenus.

Pour contribuer au renforcement des marchés financiers, nous collaborerons avec les gouvernements, les banques centrales et les institutions internationales. Nous proposerons et soutiendrons la mise en œuvre de réformes de régulation et de surveillance.

Vous avez évoqué notre programme financier d’alphabétisation. Je me rendrai demain à Budapest pour présenter, avec le Président de la Hongrie, une étude sur l’environnement en Hongrie, ainsi que le programme financier d’alphabétisation de l’OCDE, car le Premier ministre de ce pays souhaite collaborer plus particulièrement avec nous dans ce domaine.

Afin de mieux répondre à ce type de défis dans un monde de plus en plus complexe, nous participerons à plusieurs processus. Nous devenons plus ouverts à la mondialisation et plus ouverts à tous. La Russie, le Chili, la Slonévie, Israël sont en négociation pour devenir membres. Le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine sont en discussion avec nous. Des relations mieux organisées et plus productives permettront à un horizon plus lointain d’organiser de nouvelles entrées au sein de notre organisation.

Nous devons aussi renforcer nos liens avec les pays en développement dans le cadre du processus de dialogue d’Heiligendamm, pour lequel des réunions ont lieu tous les ans, dans le cadre du partenariat pour la gouvernance démocratique et des activités de notre centre de développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Le Vietnam, la Colombie, Israël, l’Indonésie souhaitent en faire partie. Le centre de développement de l’OCDE a déjà réalisé des activités très intéressantes avec des pays non membres de l’OCDE.

Enfin, nous chercherons à aider tous les décideurs, dont vous êtes, à organiser, concevoir et entreprendre des réformes. Les réformes économiques deviennent en effet de plus en plus nécessaires. La crise de confiance financière prouve qu’il est risqué de les renvoyer à plus tard. Les difficultés d’adoption du plan de sauvetage montrent combien il est nécessaire que tous les intervenants soient unis dans la réalisation des réformes essentielles.

Vos idées, votre expérience élargissent notre perspective. Vous êtes les décideurs, les concepteurs de la politique dans différents pays et différentes cultures. Nous devons construire ensemble une économie mondiale plus stable, plus durable, plus ouverte à tous et qui soit digne de nos enfants. Les temps peuvent changer, ils sont incertains, mais notre engagement est ferme et absolu !