D3(2009)
27.01.2009
  

Intervention de

Philippe KIRSCH

Président de la Cour Pénale Internationale

à l’occasion de la

1ère partie de la session ordinaire de 2009

de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 26-30 janvier 2009)


(Extrait du compte rendu des débats)

M. KIRSCH, Président de la Cour pénale internationale (Interprétation). – Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que Mme la rapporteure pour la présentation de son rapport.

C’est un très grand plaisir pour moi que d’intervenir devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au nom de la Cour pénale internationale. Nous apprécions grandement le soutien que nous avons reçu du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée parlementaire en particulier. Il est très important de rappeler ce qui a été fait au départ de l’existence de la Cour, ensuite pour ratification des Statuts de la Cour, et maintenant tous les travaux en cours pour assurer la promotion de la coopération de la part des États.

Le rapporteur et la commission des questions juridiques et des droits de l’homme ont préparé ce que je considère être un rapport très impressionnant qui met en exergue un certain nombre de problèmes essentiels. Si l’on parvient à mettre tout cela en œuvre, cela aidera beaucoup à mettre un terme au phénomène de l’impunité, ce qui est en fait la toile de fond qui a poussé à la création de la Cour pénale internationale.

Le rapport de la commission étant très complet et très détaillé, je ne ferai que quelques remarques sur les activités en cours, ainsi que sur la coopération que nous pouvons envisager à l’avenir.

Mais avant de parler des actions menées actuellement, il importe de garder présent à l’esprit un certain nombre d’éléments essentiels sur la juridiction de la Cour. D’abord, c’est une cour pénale, qui ne traite que des cas d’individus responsables de crimes très sérieux – génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre. La Cour ne traite pas des plaintes contre des États ou des institutions. Elle ne s’occupe que de cas personnels. Normalement, notre juridiction se limite aux États qui ont accepté sa juridiction en ratifiant le Statut. Autrement dit, la CPI ne peut connaître que des crimes qui sont commis par des ressortissants d’États parties ou sur le territoire d’États parties. Il n’y a donc pas de juridiction universelle de la CPI. Il est donc important de garder à l’esprit que dans certains cas la CPI ne peut intervenir. La seule exception, c’est lorsqu’un dossier est renvoyé à la Cour par le Conseil de sécurité des Nations unies. A ce moment-là, la Cour peut en connaître ; la juridiction de la Cour est limitée dans le temps également. Nous ne pouvons connaître que de crimes qui ne remontent pas avant le 1er juillet 2002. Rien avant cette date ne peut être étudié par la Cour.

Il est peut-être plus important encore de noter que la CPI est une cour de dernier recours, c’est un complément aux juridictions nationales. C’est uniquement dans les cas où les juridictions nationales ne peuvent pas ou ne veulent pas réellement poursuivre certains crimes que la CPI intervient. Sinon, ses statuts ne l’y autorisent pas.

Jusqu’à présent, quatre cas ont été renvoyés devant la Cour. Il y a les dossiers du Congo, de l’Ouganda, de la République Centre africaine et du Darfour au Soudan. Des enquêtes sont en cours sur ces quatre cas. Dans les trois premiers cas, ce sont les États eux-mêmes qui ont saisi la Cour. Dans le quatrième cas, c’est le Conseil de sécurité.

Autrement dit, jusqu’à présent, la CPI n’a rien fait de son initiative propre, ce qui serait néanmoins impossible. D’ailleurs, actuellement, nous sommes en train d’étudier la situation de par le monde pour voir s’il existe une base suffisante pour lancer d’autres enquêtes.

Comme l’a très bien dit la rapporteure, en ce qui concerne la procédure, la date de ce débat sur la CPI a été bien choisie puisque le premier procès a démarré hier. Il s’agit de l’affaire Thomas Lubanga Dyilo qui est accusé d’avoir enrôlé et utilisé des enfants soldats en République démocratique du Congo. Concernant ce même pays, un autre procès va démarrer en juin prochain. Il s’agit des cas de M. Germain Katanga et de M. Matthieu Ngudjolo Chui qui sont accusés de crimes contre l’humanité. Au début du mois de janvier, une des chambres de la Cour a déjà procédé à des auditions concernant le cas de M. Jean-Pierre Bemba sur les crimes dont il est accusé en République Centre africaine. M. Bemba est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le troisième procès pourrait donc commencer très bientôt.

En plus de ces trois dossiers, il y a un certain nombre de mandats d’arrêt qui sont lancés pour sept autres individus.

Je voudrais maintenant insister sur un autre point : la CPI ne peut pas arrêter les individus ; C’est aux États qu’il appartient de le faire.

(Poursuivant en français)

Monsieur le président, je souhaiterais à présent évoquer l’avenir de la Cour. Cet avenir dépendra naturellement de la Cour elle-même, mais aussi du soutien qu’elle recevra par ailleurs.

La Cour accepte pleinement ses propres responsabilités. Elle doit continuer à s’acquitter de son mandat, dans le strict respect du Statut de Rome, à mener des enquêtes et des procédures judiciaires de manière équitable, indépendante et impartiale. Elle permettra aux victimes d’exercer leur droit, qui est unique, dans le cadre de tribunaux internationaux, à participer à la procédure.

Mais le succès de la Cour dépend également d’autres acteurs, à commencer par les États. Dans tous les cas de crimes, y compris dans les crimes les plus graves, la responsabilité première de mener des enquêtes et des poursuites revient aux États. La Cour, je l’ai dit, est une juridiction de dernier ressort. Elle n’aura jamais la capacité de traiter qu’un nombre limite d’affaires ou de situations.

Sur un autre plan, mentionné à plusieurs reprises – je ne m’y étendrai donc pas –, le véritable impact de la Cour dépendra de l’étendue de la ratification du Statut de Rome, puisque la compétence de la Cour se limite essentiellement aux ressortissants et aux territoires des États parties, ce qui fait, dans le contexte actuel, que de vastes zones de la planète, en particulier en Asie, mais aussi ailleurs où des crimes sont commis, échappent à la compétence de la Cour.

La Cour a cent huit États parties, mais, à long terme, il est essentiel que les États visent la ratification universelle.

Dans tous les domaines où la ratification des États serait essentielle, il faut se souvenir que, comme tout système judiciaire, le système de la CPI repose sur deux piliers : le pilier judiciaire constitué par la Cour elle-même et le pilier exécutif. Mais, contrairement aux systèmes nationaux, la CPI ne dispose pas d’une force de police pour faire exécuter ses décisions. Le pilier exécutif a été confié aux États. Par conséquent, la réussite de la Cour dépend de ceux qui l’ont créée et qui ont défini son mandat avec ses limites, à savoir les États.

Le soutien opérationnel et la coopération en faveur des activités de la Cour resteront toujours essentiels. Deux exemples : la protection et la réinstallation des victimes et des témoins pour lesquels la Cour a besoin d’accords avec les États de façon urgente. Second exemple : la question des mandats d’arrêt délivrés par la Cour. Ils doivent être exécutés par les États. Faute d’arrestations, il ne peut y avoir de procès ; faute de procès, l’effet de dissuasion du système de la CPI, qui a commencé à agir, ne peut se développer.

Monsieur le président, l’Assemblée parlementaire peut jouer un rôle primordial dans le succès de la Cour visant notamment à ce que les États exécutent les mandats d’arrêt et fassent respecter les autres décisions judiciaires de la Cour. De même, les États doivent apporter d’autres formes de coopération selon les besoins, et respecter le caractère judiciaire de la Cour et dialoguer avec elle dans des termes judiciaires acceptables. Je vous remercie de votre attention et me réjouis de prendre part au débat. (Applaudissements)