Gjorgje

Ivanov

Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine »

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 24 juin 2010

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée, Excellences, je me réjouis d’avoir l’occasion aujourd’hui de m’adresser à vous.

La République de Macédoine ressent comme un honneur, une reconnaissance, mais également une responsabilité particulière en ces temps troublés, d’assumer la présidence du Comité des Ministres. Nous nous attacherons aux priorités clés que nous avons définies ensemble.

Il est symbolique que la Présidence macédonienne du Conseil de l’Europe intervienne au moment où nous célébrons le soixantième anniversaire de l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme qui représente, avec la démocratie et la primauté du droit, l’un des trois piliers du Conseil de l’Europe. Ces valeurs fondamentales doivent établir un équilibre entre la liberté et la sécurité, nécessaire si nous voulons poursuivre notre route sur la voie du progrès.

La Macédoine, qui promeut un modèle de démocratie inclusive, peut contribuer à défendre les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Le jeune Etat indépendant de Macédoine s’appuie précisément sur ces valeurs dont les racines sont profondément ancrées dans la société macédonienne. La démocratie macédonienne, qui signifie «intégration sans assimilation», est complémentaire des valeurs de l’Europe. Respecter la coexistence ethnique et culturelle est une tradition dont nous sommes fiers. En Macédoine, en effet, les communautés ethniques nationales, ethniques et religieuses peuvent exercer librement leurs droits et libertés. Notre modèle s’appuie sur ces valeurs universelles qui découlent du respect des différentes cultures. Construite en Macédoine depuis des siècles, la coexistence multiethnique est un modèle pour l’avenir.

Toutefois, le modèle démocratique macédonien ne peut être mis en œuvre que dans un espace ouvert. Aujourd’hui, plus que jamais, notre région a besoin de la «Pax Europeana», qui doit se traduire par une Europe à l’espace ouvert, où la liberté de circulation des personnes, des idées, des capitaux et des produits est une réalité, où prévalent la tolérance et la diversité, où chacun peut jouir de ses droits et de son identité. Un espace ouvert où chacun se voit respecté, un espace qui soit un terreau à l’instauration de la confiance entre les Etats, où les valeurs soient le fondement du modèle démocratique.

En ces temps de crise, nous avons besoin de davantage d’Europe. En effet, la crise ne peut servir d’alibi pour mettre un terme aux progrès de la construction européenne. Tout au contraire, c’est dans les moments de crise que nous devons revenir à nos principes de base qui ont permis l’unification de l’Europe comme ils ont permis aux pays européens de sortir des crises. Le succès de ce modèle se fonde sur la solidarité, la coopération, l’ouverture, la démocratie et les droits de l’homme.

Si la dernière crise a été surmontée grâce à l’ouverture et à cette vision d’avenir, il n’y a aucune justification pour que nous réagissions à la crise morale politique et économique de notre continent en nous refermant sur nous‑mêmes. La peur est une réaction compréhensible, mais elle ne peut guider les politiques. Nous ne devons pas nous laisser faire et permettre que la faillite budgétaire conduise à la faillite morale. L’élargissement de l’Europe est la seule solution, la seule voie possible vers l’intégration européenne.

L’Europe tire sa capacité à influencer ses voisins sans faire pression sur eux de son ouverture, car elle est ouverte à l’élargissement.

En période de crise, il faut promouvoir une véritable vision de l’avenir de manière à ce que l’Europe puisse jouer un rôle moteur. Défi, la crise peut devenir aussi chance à saisir. Finissons‑en avec ces lieux communs selon lesquels les leaders politiques pourraient prendre des décisions d’une manière non démocratique alors que tous doivent se battre pour que les idéaux de l’Europe – liberté, démocratie, droits de l’homme, solidarité – s’incarnent partout sur notre continent. Telle est ma vision pour la Macédoine et le sud‑ouest de l’Europe! Je crois en la sagesse des leaders actuels!

En outre, la République de Macédoine a fixé un certain nombre d’objectifs dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Europe. Nous devons en particulier veiller à renforcer le rôle de ce dernier, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Secrétaire Général, M. Jagland, et au Président de notre Assemblée, M. Çavuşoğlu.

Le renforcement de la protection des droits de l’homme demeure, quant à lui, notre première priorité sur un plan national et européen. La présidence macédonienne, dans le droit‑fil du processus d’Interlaken, s’emploiera notamment à réformer ce fleuron du Conseil de l’Europe qu’est la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, les décisions que prend cette dernière doivent être respectées par l’ensemble des Etats membres. Le rôle de la Cour et du Comité des Ministres doit donc être renforcé afin de mettre un terme aux violations de la Convention européenne des droits de l’homme. J’ajoute que nous souhaitons organiser une conférence intitulée «Renforcer la subsidiarité» sur l’intégration de la jurisprudence de la Cour dans les législations nationales.

Par ailleurs, afin de conforter la démocratie et la primauté du droit, nous devons mettre en œuvre des mécanismes garantissant la liberté des individus ainsi que leur participation à la vie politique et sociale de leur pays. Que chacun puisse jouir de ses droits, tel est le sens de l’Etat de droit!

Précisément, si nous sommes tous égaux devant la loi, certains le sont plus que d’autres en raison de la corruption, antithèse absolue de la primauté du droit. Nous devons y répondre tous ensemble, en l’occurrence dans le cadre du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO). Paneuropéen et transatlantique, il est la plate‑forme idéale pour dialoguer et prévenir un tel fléau. Conscient que ce combat va de pair avec la défense des droits de l’homme, le ministère de la Justice de la République de Macédoine organisera une conférence d’évaluation des travaux menés par le GRECO, en particulier s’agissant de l’intégration de la question des droits de l’homme dans l’ensemble des travaux des administrations publiques européennes. Une transparence totale s’impose en la matière.

De plus, si l’on tient à préserver la stabilité démocratique, il faut prendre conscience que les droits de l’homme sont inséparables des droits sociaux. La présidence macédonienne entend donc accorder une importance particulière à l’application du principe de solidarité et au renforcement de la cohésion sociale en Europe. Nos efforts communs devraient notamment nous permettre de relever les nouveaux défis liés à l’emploi et au niveau de vie, sujets particulièrement importants alors que nous traversons une crise économique et financière sans précédent. Je précise, enfin, que l’Union européenne doit adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme.

La deuxième priorité de la présidence macédonienne est le renforcement de l’intégration des minorités nationales dans les sociétés européennes, l’intégration sans assimilation, c’est‑à‑dire l’acceptation des différences religieuses, linguistiques, ethniques et culturelles, étant d’ailleurs au cœur même de notre modèle. Mon pays ayant longtemps fait partie d’empires multiethniques et multiculturels, il est le dépositaire d’une tradition multiséculaire de coexistence entre les différentes communautés, comme en témoignent nos légendes et nos vieilles chansons. Je rappelle que si le premier programme de télévision en turc a été diffusé en Macédoine en 1965, le premier programme de radio en albanais l’a été en 1945 et le premier programme d’information télévisée, dans cette même langue, en 1968. J’ajoute que la radiotélévision nationale macédonienne diffuse depuis longtemps des programmes en serbe, rom, vlaque ou bosniaque. Voilà pourquoi la présidence macédonienne tient à mettre l’accent sur les groupes les plus marginalisés dans nos sociétés, en particulier, les immigrés et les Roms! Nous avons d’ailleurs organisé à Skopje une conférence sur l’intégration des minorités nationales et une autre sur la question des Roms qui, chez nous, disposent d’un gouvernement, d’écoles et de médias.

Je considère, également, que la décentralisation constitue une condition sine qua non pour favoriser la nécessaire souplesse interne, gage du renouvellement de nos sociétés. L’Etat doit tenir bon dans la tempête afin que nous puissions, tous ensemble, jouir de jours meilleurs!

Dans la période actuelle, il ne faut pas faire preuve de rigidité ni d’inflexibilité. Nous devons être comme le jonc qui ploie sous le vent de la tempête. Une fois celle‑ci passée, nous pourrons à nouveau construire sur les fondations de notre Europe commune. Ce modèle sur lequel nous nous appuyons dans notre pays, nous l’améliorons au jour le jour; comme dans toute démocratie réelle, il s’agit d’un processus et non d’un projet figé.

Mesdames et Messieurs, depuis longtemps, la République de Macédoine a une tradition de respect pour la diversité culturelle linguistique et ethnique et nous sommes fiers d’avoir ratifié la convention‑cadre pour la protection des minorités nationales. C’est la raison pour laquelle la République de Macédoine, en tant qu’Etat membre responsable du Conseil de l’Europe, demande instamment aux Etats qui ne l’ont pas encore fait de ratifier cette convention‑cadre sans délai, afin que les minorités puissent jouir pleinement de sa protection.

Les sociétés européennes sont de plus en plus multiculturelles. Cette richesse de la diversité doit être chère à nos cœurs. Il nous faut donc promouvoir un dialogue interculturel et interreligieux. La coexistence entre les religions est une réalité dans notre pays. C’est la raison pour laquelle nous avons organisé les première et deuxième Conférences mondiales sur le dialogue entre les religions et les civilisations à Ohrid. En dehors de cette importante conférence, nous organiserons en septembre prochain un échange sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, afin de renforcer la diversité culturelle et religieuse.

Nous allons passer le témoin aux générations futures, car nous ne pouvons pas construire l’avenir de notre continent sans leurs points de vue et leur énergie. C’est la raison pour laquelle le troisième objectif de notre présidence est de lancer le processus d’Ohrid, qui vise à des échanges de vues entre les jeunes du Sud‑Est de l’Europe et, au‑delà, faire participer les jeunes au processus de réforme démocratique de nos sociétés. Nous mettons en œuvre les obligations prévues dans la Déclaration de Kiev et adhérons à la célébration de l’Année internationale de la Jeunesse proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2010.

Notre système actuel, nos parlements, nos gouvernements, nos ministères doivent être suffisamment ouverts pour attirer les jeunes par la voie démocratique, afin qu’ils participent à la construction de l’Europe de demain sans avoir à chercher des voies alternatives radicales pour participer aux transformations de notre société.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est une véritable école de la démocratie. Après la chute du mur de Berlin, de nombreux Etats d’Europe centrale et orientale ont réussi à renforcer leurs capacités démocratiques sur ses bancs. C’est une excellente occasion pour les jeunes de tirer les leçons de ce qui s’est passé. Nous devons leur transmettre notre esprit d’Européen, nos principes et nos valeurs. Le Conseil de l’Europe a toujours joué un rôle moteur pour reconnaître les besoins de nos concitoyens mais, pour mettre en œuvre les priorités de notre présidence, nous avons besoin des présidences sortantes et futures du Conseil de l’Europe – la Suisse et la Turquie –, ainsi que des présidences de l’Union européenne – l’Espagne et la Belgique. Nous allons également coopérer avec les Nations Unies, le Kazakhstan et l’OSCE cette année.

Le succès futur de l’Europe dépend de nous tous. Notre institution a été créée au tout début de l’existence de la nouvelle Europe. Elle a accumulé de l’expérience au cours des hauts et des bas qu’a connus l’Europe; en ces temps de crise, le moment est venu d’en tirer les leçons. Le Conseil de l’Europe nous a toujours offert des solutions dont nous pouvions nous inspirer. Elles doivent nous protéger des tentations de retomber dans les nationalismes et de se refermer sur nous‑mêmes. Le Conseil de l’Europe est une institution qui doit, aujourd’hui, nous éloigner des clichés, qui doit nous aider à trouver des solutions nouvelles qui défendent la démocratie, le respect des droits de l’homme et les libertés.

En conclusion, j’aimerais vous inviter, vous membres de l’Assemblée parlementaire, au nom des bases sur lesquelles repose notre Organisation, à mettre votre autorité au service de la création de législations qui aient pour objectif de promouvoir la diversité, l’identité et la dignité de tous les peuples en Europe, dont le mien: le peuple macédonien.