Jean-Claude

Juncker

Premier ministre du Luxembourg

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 26 juin 2002

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs les députés, je me présente devant vous non sans émotion, parce que le Conseil de l’Europe, je le connais, je n’ose pas dire depuis de longues décennies, mais depuis un bon moment. Je n’ai jamais siégé à l’Assemblée, mais cela viendra un jour. Etudiant en droit à Strasbourg, j’ai pratiqué le Conseil de l’Europe avec un certain acharnement. Le Conseil de l’Europe était la grande Assemblée qui, pendant la seconde moitié des années 1970, siégeait, comme aujourd’hui, dans cette ville. Etudiant en droit, j’avais le bénéfice de voir évoluer, devant nous, étudiants, un éminent professeur en droit international qui nous incitait à suivre les travaux de l’Assemblée parlementaire, à l’époque consultative.

Il n’y a, dans la bibliothèque du Conseil de l’Europe, aucun coin ou arcane que je ne connaisse, puisque, à l’époque, j’ai feuilleté, étudié, examiné en détail les nombreux rapports de l’Assemblée parlementaire. Je suis un avide lecteur des rapports du Conseil de l’Europe, et il m’arrive encore aujourd’hui de les consulter lorsqu’il s’agit d’évaluer ce que le Conseil de l’Europe a pu apporter à la construction européenne.

Lorsque j’étais étudiant dans cette ville, le Conseil de l’Europe n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Il comptait, je crois, dix-sept Etats membres. Il y avait des députés luxembourgeois qui assistaient régulièrement aux réunions de l’Assemblée parlementaire et j’ai pu mesurer leur image à l’extérieur de mon pays lorsqu’ils se prononçaient dans cette Assemblée.

L’Europe d’alors était une Europe autrement plus petite. Si on compare le Conseil d’aujourd’hui à ce qu’il fut pendant la seconde moitié des années 1970 et ceux qui défilent devant vous à ceux qui le composaient à l’époque, j’ai la grande joie de constater que l’Europe est devenue autrement plus grande, plus complète qu’elle ne l’était. En 1947, lorsque, à La Haye, se sont rencontrés ceux qu’avec respect nous appelons aujourd’hui les «pères de l’Europe», Winston Churchill parvenait à l’apogée, au zénith de son autorité politico-morale. Devant le refus de l’Union soviétique d’alors de participer elle-même, voire de laisser participer les pays qui l’entouraient, à la construction de l’Europe, il terminait les travaux de La Haye en disant: «Aujourd’hui, nous commençons à l’ouest ce qu’un jour nous allons terminer à l’est.» Je constate que ce vœu de Winston Churchill est devenu aujourd’hui réalité, dans cette Assemblée et dans ce Conseil. Ce qui pouvait apparaître comme une vision, comme un rêve, comme une pensée irréaliste s’est révélé, au cours des dernières années, être d’un profond réalisme européen.

Je lis très souvent que le Conseil de l’Europe cherche son identité, qu’il cherche la voie à suivre, qu’il est en train de trouver les avenues qui mèneraient vers l’avenir et lui réserveraient une place de choix. Je suis un peu frappé par la modestie et la timidité du Conseil de l’Europe, modestie et timidité qui le caractérisent d’ailleurs depuis le début. Au moment même où le Conseil de l’Europe a su trouver son identité, il se met à la chercher. Le Conseil de l’Europe n’a pas besoin de se mettre en quête d’une nouvelle identité, il n’a qu’à rester fidèle à ce qu’il fut toujours. Le Conseil de l’Europe, tout comme l’Union européenne d’ailleurs, sont des histoires à succès multiples.

Le Conseil de l’Europe a du mal, parfois, à se définir par rapport à l’Union européenne, laquelle doit savoir qu’elle ne représente pas l’Europe, l’Europe telle qu’elle est, l’Europe telle que nous l’aimons, l’Europe telle que nous voudrions la voir subsister et se maintenir, celle qui est représentée au sein du Conseil de l’Europe, la Grande Europe, l’Europe paneuropéenne. L’Union européenne ne doit pas donner l’impression, ni vers l’intérieur ni vers l’extérieur, d’être le club exclusif de ceux qui seraient arrivés à bon port. Non, l’Union européenne doit poursuivre sa propre démarche, caresser ses propres rêves, s’intégrer davantage pour éviter que, après s’être élargie, elle devienne une simple zone de libre-échange, certes à un niveau très élevé, mais d’une structure conceptuelle insuffisante pour pouvoir répondre aux besoins d’un continent qui demeure éminemment compliqué. Le Conseil de l’Europe, qui est en train d’opérer son propre élargissement, poursuivra la route qui est la sienne.

L’Union européenne et le Conseil de l’Europe, à de nombreuses intersections, doivent pouvoir emprunter la même voie et nourrir les mêmes ambitions. Je prendrai pour exemple le secteur qui fait l’honneur du Conseil de l’Europe: les droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe a su imposer à notre continent la noble discipline normative du droit, l’empire de la règle du droit. L’Union européenne, à terme, ne pourra se soustraire à l’emprise de la discipline normative que le Conseil de l’Europe a enseignée à l’Europe. Je veux dire par là qu’il me semblerait normal que, lors des travaux de la convention et de la conférence intergouvemementale qui réunira les pays membres de l’Union européenne d’ici à 2004, l’Union européenne adhère à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle doit y adhérer en tant que telle.

Il n’est pas normal que l’Union européenne exige des pays qui souhaitent la rejoindre d’avoir ratifié préalablement la Convention européenne des Droits de l’Homme et qu’elle se soustraie elle-même au contrôle externe que prévoient l’échafaudage et le dispositif instrumental de la Convention. Il n’est pas normal que, les yeux ouverts, nous risquions de courir vers des conflits qui seront de taille si nous ne les empêchons pas. Un pays membre de l’Union européenne est obligé de traduire en droit national les règles de droit que lui imposent les directives européennes.

Si un citoyen porte devant la Cour européenne de Strasbourg un conflit qui l’oppose à ses autorités nationales, il se pourrait très bien que la Cour de Strasbourg condamne un Etat pour ne pas avoir respecté les règles qui découlent de la Convention européenne des Droits de l’Homme et que ce même Etat condamné ne puisse exécuter le jugement ou l’arrêt qui le frappe parce qu’il serait soumis en même temps à des obligations contraignantes de la part de l’Union européenne. Une telle hypothèse est parfaitement envisageable, dans la mesure où l’Union européenne elle-même n’est pas soumise aux règles et instruments qui découlent directement de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Il ne faut pas craindre de franchir ce pas et j’espère que la convention et la conférence intergouvemementale le feront, non pas pour des raisons esthétiques, mais pour des raisons d’efficacité juridique, ce qui nous éviterait, sur un même continent, la rapture de l’unicité de la jurisprudence en matière de droits de l’homme. Ce faisant et nous dirigeant, la main dans la main – si j’ose dire – dans la même direction, peut-être éviterions-nous des incompréhensions ou des mésententes sur d’autres sujets.

J’ai observé que les travaux du récent Sommet de Séville ont suscité certaines interrogations au sein de votre Assemblée. J’ai lu le discours de votre Président et je comprends parfaitement que des éléments d’incompréhension soient apparus. En effet, le grave problème de l’immigration et, d’une manière générale, le problème de la migration ne peuvent trouver réponse qu’au seul niveau de l’Union européenne. Cette dernière donne l’impression de vouloir se consacrer uniquement aux conséquences de l’immigration clandestine illégale en négligeant la nécessaire maîtrise de l’immigration légale. L’Union européenne, qui se veut souvent pragmatique et soucieuse du court terme, pourrait laisser supposer une volonté de transformer les quinze pays membres de l’Union européenne en une sorte de forteresse.

Il faut, sur ces questions, faire preuve d’une clarté exemplaire. L’Union européenne, qui a besoin d’immigration, ne peut fermer ses portes. Tous les pays d’Europe doivent rester une terre d’accueil pour ceux qui, à travers le monde, sont poursuivis en raison de leur race, de leur sexe, de leurs convictions religieuses ou politiques.

Le Conseil de l’Europe doit participer à la maîtrise continentale du phénomène de l’immigration illégale, clandestine, qui fait de migrants malheureux chez eux des immigrés malheureux chez nous. Dans ce vaste domaine, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe gagneront à coopérer le plus étroitement possible.

Je pourrais développer la même argumentation au sujet du terrorisme international et de ses conséquences. Les événements du 11 septembre 2001 ont profondément changé la donne internationale, notamment la lutte contre le terrorisme. Toujours est-il qu’il ne faudrait pas que nous oubliions les raisons qui peuvent conduire des esprits errants à commettre des actes horribles comme ceux qui ont frappé New York, Washington et Pittsburgh. Le terrorisme n’est pas un phénomène isolé de ses causes profondes. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe doivent s’y attaquer. Tant que la pauvreté n’aura pas été éradiquée, tant qu’une grande partie de l’humanité vivra dans la misère la plus absolue, les terroristes trouveront des sols fertiles qui leur permettront de commettre des actes condamnables.

Jeune étudiant à Strasbourg par le passé, Premier ministre aujourd’hui, j’ai toujours considéré qu’il y avait une stricte adéquation entre le Conseil de l’Europe et les droits de l’homme. Si le Conseil de l’Europe, en quête d’une nouvelle identité, pouvait rester fidèle à ses propres traditions, au respect de la règle de droit – et de droit de l’homme -, soucieux d’observer l’importance des pouvoirs locaux, portant ce regard sur la dimension culturelle de l’Europe, je pense qu’il n’y aurait aucun souci à nourrir au sujet de sa destinée.

L’Union européenne entame son élargissement. Le Conseil de l’Europe est sur le point de finaliser le sien. L’Union européenne, dont le concept politique est plus étroit que celui qui anime le Conseil de l’Europe, doit chercher les voies qui lui permettraient de combiner son propre élargissement avec celui du Conseil de l’Europe.

Il est nécessaire, me semble-t-il, qu’avant la fin de 2003 le Conseil de l’Europe convoque les chefs d’Etat et de gouvernement pour un autre sommet, qui nous permettrait de fêter, sur un plan paneuropéen, les retrouvailles entre l’histoire et la géographie européennes, de célébrer la fin de ce funeste décret de l’Histoire, qui, pendant la seconde moitié du XXe siècle, avait voulu que l’Europe soit à tout jamais divisée en deux blocs. Certes, ce monde était plus facilement compréhensible; nous savions où étaient les «bons» et ceux qui ne pouvaient pas être considérés comme nos amis. Mais cette Europe-là était autrement plus dangereuse que celle d’aujourd’hui! Afin de ne pas donner l’impression aux Etats membres du Conseil de l’Europe d’être définitivement exclus de l’Union européenne, il conviendrait que les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe se réunissent à la fin de 2003 pour fêter l’énorme processus européen auquel nous avons pu assister au cours des quinze dernières années.

Si le Conseil de l’Europe reste fidèle à ses traditions les plus nobles, s’il continue à nourrir des ambitions qui ne sont pas distinctes de celles de l’Union européenne, il permettra à l’Europe, comme il l’a toujours fait, d’aimer son continent.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie beaucoup, Monsieur Juncker, pour votre si intéressante allocution. Plusieurs membres de notre Assemblée ont exprimé le désir de vous poser des questions.

Je leur rappelle que leurs questions ne doivent pas prendre plus de trente secondes. Ils sont priés de les poser sans faire de discours. La première question, de M. Koulouris, concerne l’éventuelle tenue d’un troisième sommet du Conseil de l’Europe, à la suite de l’élargissement de l’Union européenne.

M. KOULOURIS (Grèce) (traduction)

L’Union européenne aura sans doute prochainement de nouveaux Etats membres, à savoir la République de Chypre, la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, Malte, la Slovénie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie. Par ailleurs, la poursuite des flux migratoires induit actuellement de grands changements en Europe. Cela étant, croyez-vous que le Conseil de l’Europe devrait envisager plus sérieusement de tenir sa troisième conférence au sommet dans la seconde moitié de 2003, en vue de clarifier sa position dans les principaux domaines d’interférence avec l’Union européenne?

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg

Monsieur le Président, j’ai déjà partiellement répondu à la question qui m’est posée par l’honorable parlementaire. En quelques mots, je suis plus que jamais d’avis que, lorsque les deux élargissements seront arrivés à terme, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, qui fait partie, par ses Etats membres, du Conseil de l’Europe, devraient, au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, convoquer un sommet pour discuter de la nouvelle architecture de l’Europe qui aura été partiellement mise en place d’ici là.

Je voudrais que les pays de l’Union européenne au sein du Conseil de l’Europe puissent s’exprimer au sujet de leurs relations avec les nouveaux voisins de l’Union européenne. Je voudrais que nous puissions, à ce moment- là, au niveau du Conseil de l’Europe, développer, en les décrivant, nos relations avec des pays comme la Fédération de Russie, l’Ukraine ou d’autres qui sont les nouveaux voisins de l’Union européenne.

J’ai dit qu’il faudrait que nous envisagions ce troisième sommet comme pouvant être la fête des grandes retrouvailles entre l’histoire et la géographie européennes. Après avoir fêté pendant quelques heures, il faudra bien que nous travaillions. Lors de la mise au point de l’ordre du jour de ce troisième sommet, il me paraîtrait donc évident, étant donné les problèmes que pose l’immigration et les tendances lourdes qui traversent le continent européen, que nous consacrions une partie de l’ordre du jour du troisième sommet à l’examen des questions auxquelles l’honorable parlementaire vient de faire référence.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci. Monsieur Koulouris, voulez-vous poser une autre question?

M. KOULOURIS (Grèce) (traduction)

Non. M. le Premier ministre nous a donné une réponse complète.

LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante, de M. Hegyi, a trait à la représentation au Parlement européen des Etats bénéficiaires de l’élargissement.

M. HEGYI (Hongrie) (traduction)

En application du Traité de Nice, la Hongrie et la République tchèque auront vingt sièges chacun au Parlement européen, alors que – d’après l’importance de leur population – ils devraient en avoir vingt-deux chacun, comme les autres Etats membres ayant une population comparable. Quelle est votre position sur cette question et, de façon générale, quelles sont, à votre avis, les chances de participation des pays candidats aux élections au Parlement européen, en mai ou juin 2004?

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg

Je me suis souvent exprimé dans cet hémicycle lorsque ces bancs étaient occupés par les membres du Parlement européen; or la question qui vient de m’être posée me rappelle plutôt celles qui animent les membres du Parlement européen que celles qui devraient, prioritairement, animer les membres de votre Assemblée parlementaire. Mais je n’ai aucun problème à faire comme si nous étions au Parlement! En fait, les mêmes questions peuvent et doivent intéresser.

Lors du Sommet du Conseil européen de Nice, les Etats membres, dans le brouillard dense d’une longue nuit, se sont mis d’accord sur le nombre exact de membres que le Parlement européen devrait prévoir pour les nouveaux pays membres de l’Union européenne. Je n’ai eu à aucun moment l’impression que nous étions en train de nous livrer à une science qui pourrait être considérée comme exacte, ce qui fait que le nombre de parlementaires attribué aux différents pays candidats ne correspond pas à des analyses mathématiques et démographiques exactes. Je pars de l’idée qu’au moment de la conclusion des traités d’adhésion un certain nombre de dispositifs retenus par les travaux du Conseil européen de Nice pourront être revus.

Pour le reste, je pense que le calendrier de l’Union européenne est tel que les dix pays dont nous pouvons envisager l’adhésion prochaine pourront participer aux prochaines élections au Parlement européen. Le calendrier prévoit, en effet, que nous aurons terminé les négociations d’adhésion pour la fin de 2002, que les traités d’adhésion seront rédigés immédiatement après et qu’ils pourront être ratifiés au cours de l’année 2003 ou au début de l’année 2004, afin de permettre à tous les nouveaux pays membres d’être des nôtres lors des élections du Parlement européen.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci. Je suis désolé, Messieurs Juncker et Hegyi, mais il me faut interrompre nos débats pour une question de procédure. Il est près de 12 h 30 et je dois demander si l’un ou l’autre parlementaire désire encore prendre part à l’élection du Secrétaire Général adjoint du Conseil de l’Europe. Que ceux qui le souhaitent le fassent immédiatement, car le scrutin sera clos dans une minute très exactement. Le dépouillement aura lieu sous le contrôle des scrutateurs désignés. Je les invite à se rendre dans la salle 1087. Le résultat sera proclamé au début de la séance de cet après-midi.

J’invite à présent M. Hegyi à dire s’il a une autre question à poser.

M. HEGYI (Hongrie) (traduction)

Ma question revêt une grande importance aux yeux des électeurs et de l’opinion publique de Hongrie. Pensez-vous que mon pays a de bonnes chances de participer aux élections européennes de 2004 et quels sont les obstacles qui pourraient s’y opposer?

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur Junker, voulez-vous répondre?

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg

Monsieur le Président, je ne puis que répéter ce que je viens de dire. Je suis convaincu que les nouveaux pays membres de l’Union européenne participeront aux élections au Parlement européen en juin 2004. Je ne vois pas ce qui pourrait mettre en danger cette perspective.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, dans un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung paru en août 2001, vous vous êtes prononcé, à la grande surprise de beaucoup, contre l’adoption d’une Constitution européenne.

Ma première question est celle-ci: êtes-vous toujours de cet avis? Et la deuxième: si oui, n’est-ce pas surtout parce que vous espérez, vous le représentant d’un petit Etat, pouvoir conserver le droit de veto? Mais, en tant qu’Européen, vous n’êtes pas sans savoir que le droit de veto n’est pas compatible avec l’aménagement futur de l’Union européenne.

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg (traduction)

Monsieur le Président, je suis moi-même surpris des propos que l’on me prête dans cet article du Frankfurter Allgemeine Zeitung d’août 2001. Ce n’est pas exactement cela que j’ai écrit. Si mes souvenirs sont exacts, je me suis prononcé pour l’adoption de quelques articles constitutionnels au moins, que chaque pays intégrerait à sa Constitution nationale, cela dans le cas où nous n’arriverions pas à nous entendre sur la question globale d’une Constitution européenne. Ainsi disposerions-nous de textes constitutionnels identiques dans les Constitutions de tous les Etats membres de l’Union européenne. Indépendamment de cela, j’estime que nous avons besoin d’une Constitution européenne.

Ma remarque, dans l’article concerné, était en fait destinée principalement à ceux qui ne partagent pas ce point de vue. Elle était censée constituer une sorte de compromis à l’intention de ceux qui ne défendent pas le principe d’une Constitution européenne, mais qui accepteraient éventuellement le détour par des dispositions constitutionnelles restant encore à définir et identiques pour les Constitutions nationales de tous les Etats membres de l’Union européenne.

La question sur le droit de veto me laisse parfaitement serein. Dans certains domaines, il est sans aucun doute utile de maintenir le principe de l’unanimité. Mais, dans de nombreux autres domaines, il serait plus pertinent de prendre les décisions à la majorité. Là où règne encore le principe de l’unanimité, je pense qu’on pourrait le remplacer par celui de la majorité, à condition d’avoir défini au préalable la politique que nous voulons suivre dans le domaine en question.

En Europe – ou plus exactement, dans l’Union européenne -, il est très souvent question de processus de décision et de réformes institutionnelles, mais pas assez de politique. Ne nous étonnons pas ensuite de la difficulté des citoyens européens à comprendre en quoi consiste notre action au sein de l’Union européenne.

Je suis partisan d’appliquer le principe de la majorité dans les décisions concernant la mise en place de droits minimaux pour les salariés européens. Je suis également partisan de décisions prises à la majorité en matière de coordination et d’harmonisation de la politique fiscale. J’aimerais cependant connaître la politique que nous appliquerons ensuite, une fois que nous aurons procédé à tous ces remaniements.

Les citoyens ne se soucient pas de savoir qui décide; ils veulent surtout savoir ce qui a été décidé. Soyons bien conscients que ce qui importe aux citoyens européens c’est la substance politique, non pas, par exemple, la place occupée par chacun dans les salles de conférence.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci. Monsieur Gross, une autre question?

M. GROSS (Suisse) (traduction)

La seule chose que j’aimerais dire à M. le Premier ministre, c’est que je suis ravi d’apprendre qu’il a été mal compris.

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg (traduction)

Monsieur le Président, quant à moi, je suis vraiment désolé d’avoir été mal lu.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Le processus d’élargissement de l’Union européenne approche de sa phase finale. Or, la question de l’agriculture, et plus particulièrement des aides directes aux agriculteurs, n’est pas encore réglée. Quelle est la position de votre gouvernement à ce sujet? Envisagez-vous un dialogue à ce propos dans la dernière phase des négociations?

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg

Monsieur le Président, là encore, je me trouve plongé dans une atmosphère, certes parlementaire, mais relevant d’une autre organisation européenne dont j’ai dit qu’il ne faudrait pas qu’elle soit confondue avec l’Europe. Je ne voudrais donc pas que le Conseil de l’Europe la confonde avec l’Europe.

S’agissant de la question que m’a posée l’honorable parlementaire, je considère que les aides directes à l’agriculture font partie de F acquis communautaire. Il est vrai que, dans les décisions prises à Berlin, en 1999, dans le cadre de l’Agenda 2000, nous n’avons ni inclus ni exclu des plafonds financiers, nous bornant à mettre en place les subventionnements auxquels vous faites allusion. Je pars du principe que les aides directes à l’agriculture mises en place en 1992 font partie de l’acquis communautaire.

Nous considérons que les propositions formulées par la Commission européenne à cet égard sont empreintes de bon sens. Le Comité des Ministres, lorsqu’il déterminera sa position commune, très probablement au mois d’octobre, serait sagement inspiré s’il pouvait aligner ses propres décisions sur les propositions formulées par la Commission européenne. C’est une question de cohérence. C’est aussi une question de traitement digne des pays candidats.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Pensez- vous que la Politique agricole commune subira des modifications du fait de l’élargissement de l’Union européenne? Divers signes sont apparus. Comme vous le savez, le chancelier Schröder a envisagé cette possibilité dans l’article cité précédemment. Cela pourrait-il être considéré comme un pas important vers une nouvelle politique?

M. Juncker, Premier ministre du Luxembourg

La question que vous me posez m’intéresse, puisque je pars de l’idée que, au cours des dix années à venir, la Politique agricole commune, qui reste une grande politique européenne, connaîtra un certain nombre d’amendements.

Indépendamment de l’élargissement de l’Union européenne et de l’adhésion de nos amis d’Europe centrale et orientale, la Politique agricole commune mérite un certain nombre de modifications. Nous avions commencé à l’envisager lors de la rédaction de l’Agenda 2000. Je crois en effet que, dans certains domaines de la Politique agricole commune, l’idée d’un cofinancement entre les budgets communautaires et les budgets nationaux mérite l’attention, notamment dans le domaine du développement rural.

Je crois que cette réforme doit être entreprise, mais je ne voudrais pas que nous établissions un lien entre la réforme de la Politique agricole commune et l’élargissement. Je voudrais que l’élargissement soit décidé d’abord et que, ensuite, les Quinze de l’Union européenne, avec les nouveaux pays membres, fassent en sorte que la Politique agricole commune soit réformée. Je n’aime pas l’idée de certains, qu’ils s’expriment oralement ou par écrit, laissant entrevoir un lien causal entre l’élargissement et la réforme de la Politique agricole commune. Mon propos est simple: élargissement d’abord, réforme de la Politique agricole commune ensuite.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Voilà qui met fin aux questions à M. Juncker. Je le remercie chaleureusement, au nom de l’Assemblée, pour son discours et les observations qu’il a formulées dans ses réponses aux questions.

Puis-je me permettre d’ajouter que nous avons tous apprécié la manière dont vous vous êtes exprimé? Je vous remercie d’avoir prononcé ici cet important discours.