Jean-Claude

Juncker

Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 27 avril 2005

Monsieur le Président, mes chers collègues, j’éprouve toujours un énorme plaisir à me rendre à Strasbourg, capitale européenne par excellence, ville symbole de la réconciliation franco-allemande, haut lieu du parlementarisme européen, puisque siègent dans cette ville et votre Assemblée et le Parlement européen. Ville qui ouvre l’horizon vers une Europe que nous connaissons mal puisque, depuis près d’une décennie et demie, sont venues s’ajouter au cortège déjà impressionnant des membres du Conseil de l’Europe les nouvelles démocraties de l’Europe centrale et de l’Europe orientale.

C’est toujours pour moi, à plusieurs égards, un retour aux sources. J’ai fait mes études de droit dans cette ville de 1975 à 1979. Je plonge dans un océan de souvenirs et de nostalgie chaque fois que je me rends à Strasbourg. Etudiant en droit, j’ai fait connaissance, de manière intime, dirais-je, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe car, à l’époque où les universités s’appliquaient encore à éduquer les hommes, une des possibilités qui s’offraient aux jeunes étudiants en droit consistait à suivre les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, joie à laquelle je me suis adonné avec grand plaisir. Je suis depuis les travaux de l’Assemblée parlementaire. Je connais les couleurs des prérapports, des rapports. Je crois qu’elles sont restées les mêmes, car j’apprécie l’extraordinaire qualité des rapports de l’Assemblée parlementaire. Ces rapports sont d’une qualité supérieure et, comme tous documents qui revêtent une qualité supérieure, ils sont insuffisamment lus par ceux qui gouvernent. Je voulais rendre hommage à la qualité du travail de votre Assemblée.

C’est la troisième fois que je me présente devant votre Assemblée en ma qualité de Premier ministre: la première fois en 1997, la deuxième fois – le Président vient de le rappeler – en 2002, et aujourd’hui. Je le fais ce jour avec d’autant plus de plaisir que l’Assemblée est présidée par René van der Linden, qui est un vieil ami à moi. Nous avons fait une bonne partie de notre parcours européen ensemble. Je suis très honoré de le savoir aujourd’hui dans mon dos et j’évolue avec la discipline requise sous ses ordres!

«L’heure est à l’entente entre les deux grandes organisations»

En fait, j’aurais toujours voulu être un membre de l’Assemblée parlementaire. Le suffrage universel ayant ses contraintes, j’ai toujours été reconduit dans mes fonctions gouvernementales. Mais viendra le jour où tel ne sera plus le cas, puisque la sagesse des peuples peut atteindre soudainement ses limites et, sans nul doute, vous retrouverai-je dans cette Assemblée, laquelle aujourd’hui voit évoluer parmi ses membres, si vous me permettez cet emploi excessif du pronom possessif, trois de mes anciens ministres, Mme Err, Mme Brasseur et M. Goerens, que je salue cordialement.

Si je compare l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de 2005 à ce qu’elle était en 1975 lorsque, dans cette ville, je débutais mes études de droit, je ne saurais traduire à quel point je suis constamment impressionné par les multiples évolutions auxquelles le Conseil de l’Europe fut soumis.

Quelle distance, en effet, parcourue par le Conseil de l’Europe et par le continent européen pendant les trois dernières décennies et quelle distance que celle qui sépare la date d’aujourd’hui de la première réunion de votre Assemblée parlementaire, qui eut lieu en août 1949. A l’époque, le Conseil de l’Europe comptait 10 Etats membres alors qu’il n’en compte à l’heure actuelle pas moins de 46. Mais le Conseil de l’Europe existait bien avant sa date de naissance officielle. Le Conseil de l’Europe existait pendant la seconde guerre mondiale, voire avant, de façon informelle. Il ignorait son nom pendant ce laps de temps particulièrement dramatique pour notre continent, mais dans les cœurs et, d’une façon informelle, il existait déjà.

Nous, les plus jeunes, pensons que l’histoire de l’Europe a pris son véritable envol avec votre entrée sur scène. Tel n’est pas le cas, puisque les rêves européens furent caressés entre les deux guerres mondiales, au cours de cette période à l’imagination fertile et vertueuse que furent les années 1920, au cours desquelles le comte Coudenhove-Kalergi fomenta ses premières idées, ses premières esquisses de l’architecture du continent européen. Ceux qui dans son entreprise tentèrent de l’accompagner furent les plus grands déçus des évolutions du continent pendant les années 1930. Si les idées généreuses formulées à cette période avaient été traduites dans les faits, bien des tragédies européennes eurent été épargnées dans les années 1930 et 1940.

Ceux qui, dans les prisons, dans les camps de concentration, ne cessaient de rêver de faire l’Europe immédiatement après la fin de la seconde guerre mondiale, ne devraient pas quitter notre souvenir collectif et notre cœur, parce qu’ils ont cru à l’Europe à un moment où l’Europe n’avait aucune chance de renaître de ses cendres. Je pense à Léon Blum, qui, dans les prisons allemandes, n’a cessé de dessiner l’Europe; je pense à Spinelli, qui, dans les camps de concentration italiens, sur une île lointaine de la Méditerranée, rêvait de voir l’Europe prendre enfin corps, pour qu’elle ne puisse plus jamais devenir cadavre. Ce furent de grands Européens qui, malheureusement, ont quitté, à bien des égards, la mémoire collective, alors que la mémoire collective et le devenir du continent leur doivent beaucoup.

Le Conseil de l’Europe existait dans le discours de Churchill à Zurich, en 1946, où il appela les peuples d’Europe à s’unir. Il incita les petites et les grandes nations européennes à conjuguer leurs efforts pacifiques pour faire de l’Europe un endroit totalement différent de ce qu’il fut avant la seconde guerre mondiale.

Au Congrès du mouvement européen de 1948 à La Haye, 800 Européens se sont réunis – philosophes, hommes politiques, syndicalistes, grands patrons – pour l’envol de cette généreuse et noble idée européenne. Churchill, arrivé à l’apogée de son autorité morale, prononça cette phrase historique, riche en perspectives visionnaires devant le Conseil de l’Europe qui débutait: «Nous commençons aujourd’hui à l’Ouest ce que, un jour, nous allons terminer à l’Est.» Nous voilà maintenant à l’heure de cette recomposition du continent européen. A La Haye se trouvaient Konrad Adenauer, le jeune Mitterrand et le grand Churchill.

En dépit des difficultés du moment et des contraintes qui pèsent, je prétends que jamais l’Europe ne fut un continent aussi facile à vivre qu’aujourd’hui. Si nous comparons les soucis des générations actuelles aux dramatiques interpellations auxquelles devaient faire face les générations de nos parents et grands-parents, l’Histoire nous sourit.

Le Conseil de l’Europe accompagna la marche des Européens vers un continent recomposé fait de paix et de règles de bon voisinage. Cette orientation garde aujourd’hui toute sa valeur. Je sais bien qu’au sein de l’Union européenne les jeunes, les intrépides, les superficiels, ceux qui ignorent tout du passé pensent que cette union pourrait, sans problème majeur, remplacer le Conseil de l’Europe. Telle n’est pas ma conception. Le Conseil de l’Europe a su rester fidèle à ses valeurs. Il est irremplaçable.

L’Union européenne connaît de grandes difficultés actuellement. Pour l’instant, je suis bien payé pour le savoir, même si je ne suis pas payé du tout! Le Luxembourg exerce pour la onzième fois la présidence de l’Union européenne, moi-même pour la quatrième fois. J’essaye de faire avancer l’Union européenne en la conduisant vers des deux plus cléments, mais le voyage est des plus difficiles. Nous avons su, avec énergie et détermination, réformer le Pacte de stabilité et de croissance, élément essentiel pour les règles qui commandent la marche monétaire de l’Union européenne.

J’ai constaté, mais j’en avais le pressentiment, que rien n’est plus difficile que de mettre d’accord sur une même ligne d’analyse et d’action 25 gouvernements comptant pas moins de 100 partis politiques. Ce n’est pas une raison pour désespérer. Tout comme il ne faut pas désespérer de voir l’Union européenne se mettre d’accord en juin sur les perspectives financières, dans son cadre budgétaire, entre 2007 et 2013. Je ne me fais pas trop d’illusions sur la faisabilité de l’exercice.

Si l’Union européenne, après s’être dotée d’ambitions vertigineuses, veut rester crédible, elle doit mettre à sa disposition les volumes financiers dont elle a besoin pour mener à bien les politiques qu’elle souhaite.

Lors du Conseil européen de mars, nous avons remis sur le métier la Stratégie de Lisbonne, ce programme de réformes économiques et sociales qui doit faire de l’Union européenne la partie la plus compétitive de la planète et de la triade économique. En apportant un certain nombre de modifications à la Stratégie de Lisbonne, nous avons voulu signaler, de façon claire et durable, que l’Union européenne maintient ses ambitions économiques et sociales. Les réformes prévues ne sont pas une prise de congé des acquis sociaux de l’Union européenne.

Le programme de Lisbonne représente les efforts auxquels devront se soumettre tous les Etats membres pour que le modèle social européen reste demain accessible au plus grand nombre d’Européens. Les réformes que nous ne faisons pas aujourd’hui seront plus coûteuses si nous devons les faire plus tard. Mieux vaut donc entreprendre aujourd’hui.

Nous avons fait en sorte que les Etats membres de l’Union européenne puissent s’approprier la Stratégie de Lisbonne. Il n’est pas correct de considérer que l’Union européenne pourrait faire, en lieu et place des Etats membres, les réformes qui doivent être entreprises. Ce sont les gouvernements nationaux d’abord, avec les partenaires sociaux et les parlements nationaux, qui doivent entreprendre les réformes dont l’Europe a cruellement besoin.

Nous sommes engagés dans le très difficile processus de ratification du Traité constitutionnel de l’Union européenne. Devant cette grande famille européenne qu’est le Conseil de l’Europe, je souligne que l’Europe a besoin de ce traité. Il n’est pas parfait, mais je n’en connais pas qui le soient.

Il arrive souvent dans l’histoire des hommes que, si la volonté de ceux qui sont chargés d’appliquer des traités est parfaite, des traités imparfaits peuvent conduire à des résultats excellents. Il arrive souvent que des traités, à première vue parfaits, ne répondent pas à toutes les attentes si la volonté de ceux qui sont chargés de les appliquer devait rester imparfaite. Si les personnes qui gouvernent l’Europe au niveau du Parlement européen et du Conseil des ministres sont animées d’une ferme volonté de bien faire et de répondre aux défis de l’époque, ce Traité constitutionnel, certes imparfait, pourra produire des résultats parfaits.

Il ne faut pas comparer le Traité constitutionnel à l’idéal. Chaque fois qu’une entreprise humaine est comparée à l’idéal, elle apparaît faible. Si j’avais moi-même rédigé le traité en entier, il serait non seulement meilleur mais il permettrait une lecture plus immédiate et une compréhension plus simples. Si deux d’entre nous, même partageant le même idéal, avaient dû écrire cette Constitution, il y aurait eu des premiers désaccords. Je vois ici M. Luc Van den Brande avec qui j’ai écrit beaucoup de textes, tous bien sûr excellents. Jamais nous n’étions d’accord sur les détails. Comme j’ai souvent gagné le match, les textes ne peuvent être qualifiés que d’excellents!

Le fait de voir même 25 Etats membres se mettre d’accord sur un même ensemble d’ambitions, sur un même ensemble de volontés, est un événement continental majeur en soi. Le fait que, en 2004-2005, nous ayons été en mesure, à 25 gouvernements avec des parcours historiques tout à fait divergents, voire opposés ou contradictoires, de nous mettre d’accord est un argument de poids en faveur du Traité constitutionnel. Où, dans le monde, pouvez-vous trouver 25 Etats, aux parcours historiques aussi différents que ceux de nos pays membres de l’Union européenne, se mettre d’accord sur la manière de façonner tout un continent pour les décennies à venir? Seule l’Europe serait capable et est capable de réaliser de telles performances. Bien que certains arguments avancés par les tenants du non au Traité constitutionnel puissent paraître alléchants, il s’agit aujourd’hui, puisque le traité ne pourra pas être renégocié, de dire oui, de le dire d’une façon franche et massive.

Monsieur le Président, nous sommes à la veille du 3e Sommet du Conseil de l’Europe qui se déroulera d’ici à quelques semaines dans la ville de Varsovie. C’est le 3e Sommet après ceux de Vienne et de Strasbourg, mais c’est le premier sommet qui aura lieu dans un pays de l’Europe centrale et orientale, dans cette grande ville européenne qu’est Varsovie.

Lorsque le Conseil de l’Europe fut fondé, lorsque les premières réunions du Comité des Ministres de l’Assemblée parlementaire eurent lieu pendant les années 1950,1960,1970 et 1980, personne n’aurait osé imaginer qu’un jour le Sommet du Conseil de l’Europe se déroulerait dans la capitale polonaise. C’est ce sommet qui nous permet de constater que, soixante années après la fin de la première guerre mondiale, nous avons réussi à mettre un terme à ce funeste décret de l’histoire d’après-guerre qui voulait que les deux parties de l’Europe soient séparées à tout jamais. Nous réunir à Varsovie est une perspective qui me remplit de joie. Une réunion à Varsovie est un événement en soi, qui voit la grande famille européenne se donner rendez-vous dans la capitale polonaise.

Nous aurons bien sûr des questions importantes à discuter, notamment celles concernant les relations qui doivent s’établir entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. C’est un vieux débat chaque fois renouvelé et auquel nous n’arrivons pas à donner la bonne réponse.

Je voudrais d’abord que les pays membres de l’Union européenne qui, à 25 aujourd’hui, constituent la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, n’oublient pas dans leur réflexion, si elle est orientée vers l’avenir, de réserver au Conseil de l’Europe la place qui lui revient. Les droits de l’homme, l’action normative du Conseil de l’Europe, l’action culturelle, qui fut toujours et reste celle du Conseil de l’Europe, font de cette organisation européenne une organisation dont le relais ne peut pas être pris par l’Union européenne. Il faudrait que nous mettions un terme à cette stupide rivalité qui existe entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

Je voudrais que tous les Etats membres de l’Union européenne le comprennent. Je voudrais surtout, et avant tout, que la Commission européenne le comprenne au même degré. L’heure n’est pas aux différends artificiels, aux controverses superficielles, l’heure est à l’entente entre les deux grandes organisations que constituent le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Par conséquent, je plaiderai, comme à Varsovie, résolument en faveur de la mise en place d’un mémorandum entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, sur la base des lignes directrices qui ont été élaborées et qui, c’est mon sentiment, doivent être soumises au 3' Sommet du Conseil de l’Europe, dans l’état dans lequel elles se trouvent pour que, sur ce point, nous puissions progresser.

Je voudrais que le Sommet de Varsovie soit mis à profit pour accroître en terme de crédibilité l’efficacité des instances et des institutions qui sont celles du Conseil de l’Europe. Je voudrais surtout parler de la très nécessaire augmentation des moyens, notamment en ressources humaines, de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Nous ne pouvons pas baisser les bras ni rester les bras croisés devant l’énormité des retards que les procédures sont en train d’accumuler au niveau de la Cour. C’est l’honneur du Conseil de l’Europe que d’avoir su mettre en place une jurisprudence continentale en matière de droits de l’homme, c’est l’honneur du Conseil de l’Europe que d’avoir mis à la disposition de notre continent cette juridiction dont la réputation internationale n’est plus à faire. Nous ne pouvons pas ne pas réagir face aux difficultés qui sont celles de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, quelques éléments de réflexion que je voulais vous soumettre.

Je souhaite pour ma part que le Conseil de l’Europe reste ce qu’il a été depuis 1949: une organisation internationale européenne qui se caractérise par un haut niveau d’exigence. Le Conseil de l’Europe est une organisation exigeante. Elle impose des exigences à ses Etats membres. Ces exigences s’imposent à chaque gouvernement, à chaque parlementaire ou juridiction nationale, et aux femmes et aux hommes qui habitent notre continent.

L’heure est venue de rappeler les grands principes sur lesquels s’est fondé le Conseil de l’Europe lorsque, à la sortie des années 1940, il a vu le jour. Ces grands et nobles principes restent d’actualité aujourd’hui comme hier.

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre discours dont les idées profondes et courageuses sont exprimées avec conviction et un esprit européen. Je suis très content que vous ayez pu prendre position dans la discussion de la préparation du 3e Sommet à Varsovie. C’est le bon moment ici. Je vous en remercie très cordialement.

Un nombre important de collègues ont exprimé le souhait de vous interroger. Afin d’appeler le plus grand nombre possible de questions, je n’autoriserai pas de questions supplémentaires. Je rappelle à nos collègues que leurs questions doivent avoir vraiment un caractère interrogatif et ne pas dépasser trente secondes. Je donne la parole à M. Elo, au nom du Groupe socialiste.

M. ELO (Finlande) (traduction)

Je tiens en premier lieu à remercier M. Juncker pour son excellent discours introductif. J’aimerais savoir si le Premier ministre peut nous donner son assurance que les mécanismes de droits de l’homme du Conseil de l’Europe seront pleinement pris en compte lors de la rédaction de la loi portant création de la nouvelle agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ne pensez-vous pas que, à vouloir mettre en place un suivi régulier de la situation des droits de l’homme dans chaque pays – Etats membres de l’Union, pays candidats ou pays voisins –, on risquerait, dans le meilleur des cas, d’opérer un chevauchement inutile des efforts déployés et, dans le pire, de remettre en question le travail que le Conseil de l’Europe accomplit dans ces pays?

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Vu le grand nombre de parlementaires souhaitant poser une question au Premier ministre, je demanderai à chacun de respecter ses 30 secondes de temps de parole. Monsieur le Premier ministre, si vous voulez bien répondre...

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg (traduction)

Ma réponse est oui.

M. VAN DEN BRANDE (Belgique) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, mes chers amis, la politique de proximité qui compte, bien entendu, au nombre des priorités de l’Union européenne, porte sur les droits de l’homme, les droits civiques, l’immigration, etc., toutes questions qui revêtent une importance capitale pour l’Assemblée.

(Poursuivant en français) Vous avez connu de grandes victoires, mais je vous promets une grande défaite si vous ne tenez pas compte des ressources humaines et des possibilités du Conseil de l’Europe. Je vous invite à procéder à une répartition adéquate des responsabilités.

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

Lorsqu’il s’agit de l’Union européenne, je n’aime pas l’expression «politique de voisinage» car elle peut induire en erreur. Si l’Union européenne dit d’un autre pays qu’il fait partie du voisinage de l’Europe, elle donne l’impression d’avoir une vue réduite de l’ampleur de la famille européenne. Toutefois cette expression est choisie et que je n’en ai pas d’autre à ma disposition, il faudra s’en contenter.

Selon moi, lorsqu’il s’agit d’aménager «son voisinage», l’Union européenne devrait prendre appui sur l’expertise du Conseil de l’Europe, laquelle est davantage multiforme puisqu’elle touche à des aspects plus nombreux que ceux traités par l’Union européenne. De plus, ses spécificités sont plus anciennes. Le Conseil de l’Europe a su accumuler une tradition d’appréciation sur les pays qui forment l’Europe et sur ceux qui sont ses voisins. L’Union européenne ne dispose pas encore de cette expérience. Il convient donc de réaliser entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne une intersection aussi large que possible. J’espère que l’éminent représentant du petit royaume voisin partagera mon avis.

M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, s’agissant de l’agenda de Lisbonne, que vous avez évoqué, je suis certain que vous communiquez souvent avec le Parlement européen. Les décisions immédiates, toutefois, sont prises par les pays membres. Vous avez donc aujourd’hui l’occasion rêvée de vous adresser à des parlementaires représentant les 25 pays membres de l’Union. Quel message souhaitez-vous transmettre aux organes parlementaires des 25 capitales concernées? Comment pensez-vous qu’ils pourraient contribuer efficacement au succès de la Stratégie de Lisbonne?

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

Je crois en effet que la première instance de vérification de la mise en application de la Stratégie de Lisbonne est constituée par les parlements nationaux. Je vous avais dit que nous avions apporté beaucoup de soin à l’appropriation du processus.

Il est assez facile pour les pays membres de l’Union européenne – c’est-à-dire pour leurs gouvernements – de se mettre d’accord, au sein du Conseil européen, sur une liste très généreuse d’objectifs généraux et globaux. Il est plus difficile de concrétiser ces objectifs sur le plan national. Nous avons voulu changer la logique de la mise en application de la Stratégie de Lisbonne en chargeant de presque toutes les responsabilités les gouvernements des Etats membres. Se fondant sur des lignes directrices stratégiques proposées par la Commission européenne, les Etats membres seront dorénavant tenus de présenter, sur une base triannuelle, des programmes nationaux de réforme qui seront examinés, et par la Commission et par le Conseil, au niveau central de l’Union européenne.

Ces programmes nationaux de réforme devront être élaborés après concertation avec les partenaires sociaux et après avoir été présentés devant les parlements nationaux. Nous voudrions que les parlements nationaux rendent redevables les gouvernements nationaux de la mise en application de la Stratégie de Lisbonne. La responsabilité et le succès de cette stratégie se situent au niveau national avant le niveau européen, mais doivent prendre place dans un cadre européen bien défini.

M. KVAKKESTAD (Norvège) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de la clarté avec laquelle vous avez traité, au cours de votre discours, bon nombre de sujets importants. Il est des domaines dans lesquels le Conseil de l’Europe et l’Union européenne devraient s’attacher à éviter les chevauchements d’activités, mais pour lesquels la coopération entre les deux institutions est indispensable. Dans les domaines d’intérêt commun, tels que le Pacte de stabilité pour les Balkans, envisagez-vous la possibilité de renforcer la coopération par le biais d’efforts conjoints, voire de missions communes?

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

Je me suis exprimé tout à l’heure d’une façon sans doute insuffisamment diplomatique. Je parlais de la stupide rivalité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. J’aimerais que nous y mettions un terme. Le continent européen compte des pans entiers de compétences partagées entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne; cela est notamment vrai dans les Balkans.

M. SCHREINER (France)

Le 23 mars 2005, lors du Sommet de Bruxelles, la France a rappelé que, si elle défendait le principe de la libre circulation, elle n’en restait pas moins attachée à la protection des droits sociaux. Elle a présenté des revendications en vue de modifier le projet de directive sur les services, dite directive Bolkenstein. La France souhaite garantir une concurrence loyale entre prestataires, supprimer les dispositions relatives au pays d’origine et exclure les services publics de son champ d’application. Il a été convenu de réviser le contenu de cette directive.

Vous avez vous-même déclaré, le 22 mars, que vous étiez favorable à la libéralisation de ce secteur mais défavorable au dumping social. En tant que président en exercice de l’Union européenne, pouvez-vous nous apporter des précisions sur les modifications en cours?

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

L’honorable député n’ignore pas que je ne suis pas français, ce qui ne m’empêchera pas de partager le sentiment de la France en ce qui concerne la directive Bolkenstein. Je dois tout de même à la vérité de dire que la France n’était pas le seul pays à exprimer de telles craintes.

De toute évidence, l’Union européenne et le marché intérieur européen ont besoin de l’ouverture du secteur des services. Ceux-ci représentent 70 % de la valeur ajoutée européenne. Il est donc normal que nous ouvrions à la concurrence, non pas libre mais normativement encadrée, le secteur des services. Nous devons le faire sans courir de risques excessifs en ce qui concerne les acquis sociaux et notamment les règles normatives que le droit du travail introduit dans les différents pays membres de l’Union européenne.

Cette directive sur l’ouverture du secteur des services à la concurrence doit être réexaminée afin d’éliminer de son champ d’application tous les risques de dumping social.

Par ailleurs, je tiens à signaler aux 46 Etats membres du Conseil de l’Europe que le débat sur la directive Bolkenstein ne doit pas induire une ligne de démarcation idéologique entre les nouveaux pays membres et les anciens. La question n’est pas là.

Une fois de plus, il serait sage que l’Union européenne tire profit de l’expertise du Conseil de l’Europe. Lorsqu’un pays se présente à la porte de l’Union européenne et qu’il s’agit d’évaluer sa conformité aux critères de Copenhague qui conditionnent son adhésion, nous demandons très souvent l’avis du Conseil de l’Europe. J’aimerais que nous en fassions une démarche plus systématique.

A terme, aucun pays membre de l’Union européenne n’y gagnerait si nous acceptions, parce que nous n’aurions pas voulu le voir, un dumping social. La bonne recette pour permettre à l’Europe d’accéder à la modernité ne consiste pas dans la déréglementation effrénée, sans borne et sans gêne. Si elle veut rester européenne, l’Europe a besoin de règles strictes, s’il le faut, et de règles souples, si cela est possible. Celui qui veut chasser de l’Europe la norme chasse plus que la norme, il chasse l’idée que nous avons de l’homme.

LE PRÉSIDENT

Merci, Monsieur le Premier ministre. Compte tenu de nos impératifs horaires, je vais regrouper des questions. La parole est à M. Zernovski.

M. ZERNOVSKI («L’ex-République yougoslave de Macédoine») (traduction)

Monsieur le Premier ministre, au cours de votre présidence, «Tex- République yougoslave de Macédoine» a soumis ses réponses au questionnaire et espère que, d’ici à la fin décembre, elle se verra accorder le statut de pays candidat. Je vous remercie de votre soutien. Dans ce contexte, j’aimerais savoir si nous pouvons nous attendre à une libéralisation du régime des visas, qui est un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les citoyens macédoniens à l’heure actuelle. Effectuer une telle démarche serait assurément leur signifier que le pays progresse dans la bonne direction.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, au cours de votre discours, évoquant le 3e Sommet qui doit se tenir à Varsovie, vous avez indiqué être favorable à la signature d’une déclaration d’intention. J’aimerais savoir quels sont, à votre avis, les points fondamentaux à inclure dans un tel document. Vous avez également déclaré être favorable à un renforcement des ressources humaines mises à la disposition de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Pourriez-vous préciser votre pensée?

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

Pour des raisons évidentes, notre Organisation s’intéresse vivement à l’avenir de l’Union européenne. J’aimerais connaître votre point de vue sur le processus de ratification du Traité constitutionnel européen, tant par les parlements nationaux que par voie référendaire. Pour être tout à fait franc, j’aimerais savoir quelles seraient les conséquences d’un éventuel non français.

(L’orateur poursuit en français) M. Frattini a déclaré dans le Figaro d’aujourd’hui: «Si la France vote non, il faudra rouvrir le débat européen.» Partagez-vous ce point de vue?

M. SZABO (Hongrie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, j’aimerais revenir sur l’agenda de Lisbonne. Une récente évaluation a révélé un retard considérable dans la réalisation des objectifs fixés par les commissions de Wim Kok. J’aimerais savoir quelles sont, à votre avis, les chances de parvenir au niveau souhaité de compétitivité, notamment à la lumière des faibles crédits que l’Union européenne consacre à la recherche et au développement.

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

La première question a trait au régime des visas qui pourrait être établi avec «l’ex- République yougoslave de Macédoine», que j’appellerai République de Macédoine pour simplifier. L’affaire est en cours d’examen. En ce qui nous concerne, j’envisage favorablement l’issue du débat.

Concernant le mémorandum, je n’entrerai pas dans le détail. Vous connaissez les textes qui seront soumis au Sommet du Conseil de l’Europe d’ici à quelques semaines à Varsovie. Je partage ligne pour ligne et mot pour mot l’état des travaux préparatoires tels qu’ils ont été conduits jusqu’à présent.

Quant au référendum en France, je dirai à mon ami polonais – qui connaît aussi bien que moi les méandres des procédures internes à l’Union européenne, puisque son apport à l’adhésion de son pays à l’Union européenne fut des plus importants – que je ne partage pas l’avis exprimé par M. Frattini. Dans son interview au Figaro d’aujourd’hui, il donne l’impression que si le peuple français disait non, les 25 États membres se remettraient immédiatement à la table des négociations. M. Frattini devrait savoir, mais il s’est exprimé au nom de la Commission et non au nom des Etats membres, qu’il n’y aura pas de renégociation du Traité constitutionnel. Si un pays devait dire non, par la voie parlementaire ou par la voie référendaire, nous devrions poursuivre le processus de ratification. Certes, des ratifications postérieures à un non seraient rendues autrement plus difficiles, mais nous verrons en fin de processus de ratification si un, deux ou trois pays ont dit non.

En adoptant le Traité constitutionnel, le Conseil européen a mis en place un mécanisme capable de répondre à cette situation. Nous avons dit que si plusieurs Etats membres devaient ne pas ratifier le Traité constitutionnel, le Conseil européen se saisirait de la question afin de réagir. Mais donner aujourd’hui l’impression que, si le peuple français, le 29 mai, le peuple néerlandais, le 1er juin, ou le peuple luxembourgeois, le 10 juillet, disent non au projet de Constitution, le processus de ratification serait mis en péril, serait une attitude qui manquerait singulièrement de maturité.

M. KOSACHEV (Fédération de Russie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, trois conventions doivent être signées au cours du 3e Sommet. Je sais que l’Union européenne a l’intention d’insister sur l’introduction d’une clause dite de déconnexion, ce qui créerait un précédent en vertu duquel une même convention du Conseil de l’Europe serait applicable sur des bases différentes selon les pays. Pensez-vous qu’une telle approche soit juste à l’égard du Conseil de l’Europe?

M. TULAEV (Fédération de Russie) (interprétation)

voudrait connaître les propositions concrètes que fera l’Union lors du Sommet du 10 mai, en ce qui concerne le régime des visas et le transit vers ou à partir de Kaliningrad.

M. SLUTSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

observe que les droits des minorités sont grossièrement violés dans certains des pays devenus récemment membres de l’Union européenne, comme en Lettonie, Etat dont le comportement a été dénoncé au Parlement européen. L’orateur aimerait savoir ce que compte faire la présidence luxembourgeoise pour permettre aux écoliers de Lettonie d’être éduqués dans leur langue maternelle et, plus généralement, pour mettre un terme à toutes les pratiques discriminatoires de ce genre.

M. GARDETTO (Monaco)

Monsieur le Premier ministre, les plus petits Etats d’Europe – je pense en particulier à Andorre, au Liechtenstein, à Monaco, à Saint-Marin – partagent un certain nombre de valeurs européennes, en particulier celles du Conseil de l’Europe. Toutefois, la sauvegarde de leur identité et des intérêts de leurs communautés nationales peut se traduire par la nécessité d’affirmer leur particularisme juridique, notamment au travers de ce que l’on peut appeler des régimes préférentiels.

Je souhaite donc savoir si les institutions européennes ont bien conscience de la nécessité d’une concertation suivie avec des petits Etats d’Europe, notamment, mais pas seulement, au sujet de cette problématique qui leur est propre.

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg

Je commencerai par répondre à notre collègue monégasque.

En ce qui me concerne, j’ai toujours pris soin, lorsqu’il s’agissait pour l’Europe de prendre un certain nombre de décisions, de consulter les Etats que vous venez de mentionner. Tel fut notamment le cas en matière fiscale. Au niveau de l’Union européenne, nous avons mis en place un régime fiscal.

En ce qui concerne l’imposition de l’épargne, nous avons pris soin, au préalable, de consulter nos amis monégasques et autres. Nous nous sommes mis définitivement d’accord sur ce texte lorsque nous avons obtenu un accord, il est vrai négocié, entre la Commission et les pays que vous venez de mentionner. Nous nous sommes assurés de l’accord des pays avant de prendre nos propres décisions.

Je ne voudrais donc pas que vous ayez l’impression que l’Europe regarde la principauté ou d’autres Etats tels que ceux que vous venez de mentionner avec la condescendance qui, très souvent, caractérise le regard que portent les Européens sur les autres. Je porte sur la principauté et les autres Etats que vous venez de mentionner un regard qui est fait d’amitié et de respect.

En ce qui concerne la clause de déconnexion, il ne s’agit pas là d’un précédent puisque cet élément figurait déjà dans d’autres conventions du Conseil de l’Europe. Pour le reste, je veux vous rendre attentifs au fait qu’elle répond à des soucis juridico-techniques de l’Union européenne, mais qu’elle ne signifie nullement que l’Union européenne chercherait des voies et moyens pour se soustraire à l’application de cette convention, notamment en matière de traite des êtres humains.

Les deux autres questions avaient trait aux relations entre l’Union européenne et la Fédération de Russie. Il m’a été demandé de vous renseigner sur les messages que je ferai parvenir au Président Poutine lorsque je le rencontrerai le 10 mai pour le sommet entre l’Union européenne et la Russie. Vous conviendrez avec moi que, aussi importante que soit l’Assemblée parlementaire, il serait très impoli de développer devant vous le contenu des messages que nous essaierons de faire parvenir au Président Poutine. Je l’ai rencontré au mois de décembre pour la dernière fois. Différents ministres et commissaires ont rencontré les autorités russes pour préparer le sommet entre l’Union européenne et la Russie.

Nous voudrions pouvoir parvenir à un accord sur ce qu’il est convenu d’appeler les quatre espaces. Nous avons accompli de très substantiels progrès en la matière, notamment en ce qui concerne les droits de survol. Il nous reste un différend à régler au niveau de la réadmission, vous connaissez ce problème. Je suis confiant et je crois que, d’ici au 10 mai, nous serons en mesure, nos amis russes et nous-mêmes, de nous mettre d’accord sur les différents éléments qui accompagnent ces quatre débats portant sur les quatre espaces.

En ce qui concerne les droits de la minorité russophone en Lettonie, je suis en discussion avec le Président Poutine et la Présidente de Lettonie.

Mme HOFFMANN (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, l’Union européenne a aujourd’hui beaucoup de nouveaux voisins – même si, comme vous l’indiquiez tout à l’heure, vous n’aimez pas beaucoup employer ce terme. Au nombre de ces pays se trouve également l’Ukraine. J’aimerais savoir quelle politique vous comptez adopter à son égard pour ce qui concerne ses perspectives d’adhésion à l’Union et dans quelle mesure vous êtes disposé à assouplir la politique des visas.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Je vous remercie. Monsieur Juncker, j’aimerais vous inviter à expliciter un peu votre pensée.

On constate aujourd’hui – et c’est dramatique – que des gens qui se sentent impuissants devant la mondialisation disent non à un traité qui vient d’être rédigé en vue de mieux les protéger et de leur permettre de mieux s’adapter à ce modèle de mondialisation. Ce sont précisément ceux qui veulent être mieux protégés qui refusent ce traité parce qu’ils ne le comprennent pas. Pouvez-vous nous aider à les convaincre de l’utilité de ce texte?

M. NAMI (Chypre) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, il y a un an, cette Assemblée adoptait une résolution aux termes de laquelle, à la suite de l’appui donné par les Chypriotes turcs au plan de réunification de l’île des Nations Unies, l’isolement international des Chypriotes turcs doit cesser. Malgré une décision similaire prise par le Conseil européen, l’Union européenne a, jusqu’à présent, échoué à prendre des mesures concrètes en vue de parvenir à cet objectif qui, nous en sommes tous convaincus, favorisera la recherche d’un règlement. J’aimerais savoir quelles initiatives vous comptez prendre avant la fin de votre présidence en vue de mettre un terme à l’isolement des Chypriotes turcs et de favoriser leur intégration dans la famille européenne.

M. MERCAN (Turquie) (traduction)

Je m’associe à la question que vient de vous poser mon collègue chypriote turc et j’aimerais que vous précisiez quelles sont les mesures qui pourraient être prises en vue de mettre fin à l’isolement du nord de Chypre.

M. Juncker, Président du Conseil de l’Union européenne et Premier Ministre du Luxembourg (traduction)

Monsieur le Président, pour ce qui concerne les questions posées par Mme Hoffmann à propos de l’Ukraine, j’aimerais dire ici ma satisfaction de voir que ce pays s’est engagé définitivement sur la voie d’une révolution pacifique qui doit le mener vers la démocratie européenne.

Il sera du devoir de l’Union européenne, dans le cadre de ce qu’on appelle la perspective européenne, de faire comprendre à l’Ukraine que nous sommes absolument convaincus que les divergences de vues qui subsistent entre l’Ukraine et l’Union européenne, entre l’Ukraine et la famille européenne, ne sont pas insurmontables au point d’empêcher un rapprochement.

Toutefois, je m’oppose fermement à ce qu’on envisage dès à présent l’adhésion à l’Union européenne de ce pays, tout simplement parce que cela sonne bien et que cela correspond aux souhaits de beaucoup. A mon sens, une telle démarche ne serait ni honnête ni appropriée en l’état actuel des choses.

En revanche, je suis tout à fait favorable à ce que, dans le cadre de cette perspective européenne, on engage avec nos amis ukrainiens un dialogue sur la manière dont on pourrait organiser les relations à court et à moyen termes entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Pour ce qui concerne la question des visas, Madame Hoffmann, vous savez aussi bien que moi qu’elle est aujourd’hui à l’étude au sein des organes de l’Union européenne et que le dialogue va être engagé à ce propos avec l’Ukraine. Je ne puis donc y apporter de réponse définitive. Cela dit, comme le Président Iouchtchenko, j’ai, moi aussi, évoqué récemment cet aspect des relations entre l’Ukraine et l’Union européenne, et ce dans un sens plus positif que ne le laisse entendre la formulation de la question.

M. Gross se demande quel matériel pédagogique on pourrait fournir, quelle argumentation on pourrait développer pour convaincre de la nécessité d’un oui au référendum tous ceux qui, notamment en France, ont tendance à rejeter la Constitution parce qu’ils se sentent démunis face aux retombées – parfois nocives, j’en conviens – de la mondialisation.

En posant sa question, M. Gross a lui-même fourni la réponse: aucun pays, qu’il soit membre de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe, ne peut se défendre seul contre les effets de la mondialisation qu’on observe à l’échelle planétaire. Cela dit, la mondialisation ne comporte pas, à mes yeux, que des aspects négatifs; elle est nécessaire non seulement dans le domaine de l’économie et des finances, mais aussi en matière de solidarité et, si je puis m’exprimer ainsi, en matière de compassion.

Pour ce qui concerne les inquiétudes qu’elle engendre dans le domaine social, l’Union européenne, avec son arsenal d’armes défensives, est la seule organisation internationale à dimension économique qui permette à ses Etats membres de faire front pour battre en brèche les effets négatifs de la mondialisation. Je pourrais citer quelques exemples, mais les exemples sont toujours faux. Je me contenterai donc de poser quelques questions.

Qu’est-ce qu’un Etat isolé peut entreprendre pour faire face aux exportations chinoises de textiles, si l’Union ne prend pas les choses en main?

Quel Etat européen pourrait se défendre contre le dumping qu’il arrive à nos amis américains de pratiquer s’il n’était épaulé par l’Union?

Quelle aurait été la réaction des Etats membres de l’Union européenne face aux errements de la politique monétaire constatés ces dernières années, si l’euro ne nous avait pas permis d’élaborer une stratégie commune de défense, notamment contre l’augmentation excessive du prix du pétrole?

C’est pourquoi il me paraît totalement incompréhensible qu’on puisse en arriver à penser que la Constitution européenne risquerait d’affaiblir les mécanismes européens de défense – d’autant qu’elle leur donne précisément la force nécessaire pour qu’ils puissent être appliqués dans l’intérêt de chaque pays, dans l’intérêt de la République française, pour contrer les effets négatifs de la mondialisation que vous avez évoqués, Monsieur Gross.

(L’orateur poursuit en français) En ce qui concerne Chypre, il n’y a pas de problème. Par les voies diplomatiques, la présidence de l’Union européenne tente de faire en sorte que la feuille de route axée sur les relations avec la communauté turque soit mise en œuvre. Le débat est extrêmement difficile. J’en ai parlé avec le Premier ministre turc, M. Erdogan, et avec le Président chypriote, M. Papadopoulos. La présidence a noué des contacts avec la communauté turque de Chypre. Nous souhaiterions des négociations plus directes entre les protagonistes. Ce n’est pas possible. Il n’en reste pas moins que nous avons multiplié les réunions avec les deux parties.

Il n’est pas sage que je décrive devant vous les tenants et les aboutissants. Je suis même convaincu que mes diplomates me diront tout à l’heure que je n’aurais pas dû appeler votre attention sur les contacts que nous avons établis.

LE PRÉSIDENT

Merci, Monsieur le Premier ministre. Il reste encore beaucoup de questions en suspens, mais il me faut, hélas, interrompre ce dialogue avec M. Juncker que je remercie de tout cœur pour ses réponses aux questions des parlementaires. Ce faisant, Monsieur le Premier ministre, vous avez sans conteste d’ores et déjà apporté une précieuse contribution au débat que nous tiendrons demain sur la Constitution européenne.

Vous avez pu constater que, dans la maison de la démocratie qui est également un forum de dialogue interculturel et interreligieux, les questions portent sur l’Europe dans toute sa diversité.

Je vous remercie et vous souhaite plein succès dans l’accomplissement de votre tâche particulièrement ardue, qui revêt toutefois une grande importance pour l’Europe tout entière et surtout pour ses citoyens.