Thomas

Klestil

Président de la République d’Autriche

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 30 janvier 2003

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, je vous remercie très vivement, Monsieur le Président, de m’avoir invité à présenter à cette éminente Assemblée quelques idées sur les voies de l’intégration européenne et certaines réflexions sur la coopération et les relations futures entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne élargie.

L’engagement européen est pour l’Autriche une tradition ancienne. Il se fonde sur l’expérience douloureuse, mais aussi porteuse d’espoir, d’un pays situé au point de rencontre entre les principales cultures de notre continent, dans une zone géopolitiquement sensible.

Cet engagement a conduit à une présence importante de mes compatriotes à des postes de responsabilité au sein des institutions européennes. C’est la troisième fois, par exemple, que le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe est autrichien, et la deuxième fois que le Président de l’Assemblée parlementaire vient de notre pays. L’actuel Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux vient lui aussi d’Autriche. En tant que Président de ce pays, je suis heureux de pouvoir saluer ici ces concitoyens qui ont si bien servi la cause européenne.

Au moment où l’Europe s’apprête à surmonter les clivages et les divisions du passé, il me semble d’autant plus important d’intensifier le dialogue sur l’avenir commun de l’Europe. Ce dialogue doit être global et ne pas se limiter aux institutions nationales ou internationales, mais s’étendre à la société civile, aux citoyens eux-mêmes. Car l’Europe unie ne pourra durer que si ses citoyens l’approuvent et lui font confiance pour longtemps. C’est là un objectif essentiel pour le processus politique de formation de l’opinion. Dans ce débat nécessaire et qui aura, je l’espère, une vaste portée, les médias auront un rôle particulièrement important et une lourde responsabilité. Dans ce contexte, pour réfléchir à notre avenir commun, il nous faudra apprécier à sa juste valeur la complexité de l’histoire européenne.

Les pères de l’idée d’Union européenne estimaient déjà qu’une Europe unie devait reposer sur un socle de valeurs communes. En réalisant cette vision, il a été et sera toujours important de se rappeler ces racines spirituelles et culturelles communes, tout comme de préserver et d’entretenir la diversité des cultures et des langues, des traditions et des religions. Elles sont en effet la source de notre richesse, de notre créativité et par là de la force de notre continent à l’heure de la mondialisation.

La tâche du Conseil de l’Europe reste la même: s’engager pour une Europe qui respecte ces valeurs communes et s’étend au-delà de l’Union européenne, même après l’élargissement de cette dernière. Face aux questions urgentes qui se posent aujourd’hui et face à des dangers multiples, la solidarité et l’action commune sur le plan international sont une nécessité: le terrorisme, la violence quotidienne et l’intolérance sont des problèmes auxquels le Conseil de l’Europe consacre lui aussi un travail intense. Il a été la première organisation internationale à demander le respect des droits de l’homme même dans la lutte contre le terrorisme. Les «Lignes directrices» sur ce sujet, élaborées l’année dernière, ont été reconnues par les Nations Unies comme des normes applicables. Je tenais à le souligner pour attirer l’attention sur le rôle irremplaçable du Conseil de l’Europe dans la défense des valeurs humanistes, c’est-à-dire des valeurs européennes originelles, qui sont le véritable fondement de l’unification européenne.

La protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la promotion de la démocratie et le renforcement de la primauté du droit restent des priorités tandis que se redessine la carte politique de l’Europe. Je soutiens pleinement l’Assemblée parlementaire et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe dans leur proposition d’organiser une réunion au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres, car un tel forum peut donner un élan politique important aux efforts destinés à adapter les activités de cette institution aux enjeux de notre époque.

L’Autriche, qui a vécu quarante ans à l’ombre du rideau de fer et n’est entrée dans l’Union européenne qu’il y a huit ans, est consciente de sa responsabilité envers l’Europe tout entière. J’ai moi-même accueilli la première rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, en 1993, à Vienne, et j’ai pris part au 2e Sommet, en 1997, à Strasbourg. En organisant à nouveau une telle rencontre, on pourrait montrer clairement aux 800 millions de citoyens qui forment la famille du Conseil de l’Europe qu’il y a toujours une volonté politique d’engager des actions européennes communes lorsqu’il s’agit de protéger les droits de l’homme et la démocratie des menaces actuelles, comme le terrorisme, l’extrémisme politique, le crime organisé et la corruption.

L’Assemblée parlementaire est le moteur du Conseil de l’Europe. Elle a un rôle particulier à jouer dans l’unification européenne, car elle est la seule institution parlementaire à devoir rendre des comptes à l’ensemble de l’Europe. L’Autriche apprécie la force d’innovation, la souplesse et l’influence politique de cette Assemblée. Elle est innovatrice parce que beaucoup de ses idées sont applicables et font école. Elle est souple parce qu’elle possède la capacité de réagir vite et de manière appropriée à la situation politique du moment en Europe; elle n’hésite pas non plus à monter au créneau quand la démocratie et les droits de l’homme sont en jeu. Enfin, elle utilise son influence politique pour exiger de tous les Etats membres qu’ils appliquent les droits énoncés dans les conventions du Conseil de l’Europe.

De plus en plus, il nous faut admettre que les menaces contre les personnes, malgré tous les progrès réalisés par notre monde moderne, ne cessent de croître, et qu’elles ne viennent plus seulement des conflits armés, des catastrophes naturelles ou de la très grande pauvreté. La recherche d’une plus grande sécurité pour les peuples nécessite une large solidarité internationale. Mais elle exige aussi le strict respect des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont le fondement et même le moteur de toute action menée pour la sécurité et la dignité humaine.

La protection de ces droits est assurée par une institution unique au monde, la Cour européenne des Droits de l’Homme. A travers le droit de recours individuel contre des violations présumées des droits de l’homme, 800 millions de personnes ont directement accès à cette Cour. En cas de problèmes touchant à la liberté et à la dignité de la personne, les citoyens semblent de plus en plus conscients de l’existence de ce dispositif de protection des droits de l’homme. C’est pourquoi le nombre des requêtes dont est saisie la Cour européenne ne cesse de croître. Je considère que ce signal de la part de l’Europe est important et encourageant et j’espère qu’il servira d’exemple dans le monde. Afin que la Cour puisse continuer de faire face à sa charge de travail, il faut qu’elle dispose de moyens matériels suffisants. J’approuve aussi les efforts qui sont déployés pour rendre plus stricte la procédure de dépôt des requêtes. Néanmoins, le droit de recours individuel, élément clé de la protection des droits de l’homme, ne doit être soumis à aucune restriction.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont issus de la même vision, d’un plan de paix et de liberté dans une Europe unie, construite sur la base de valeurs communes. Ces deux organisations diffèrent par leur structure et leurs méthodes de fonctionnement, mais elles sont aussi complémentaires. Sur le plan politique, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe sont des partenaires naturels, surtout lorsqu’ils défendent la démocratie, la primauté du droit et les droits et libertés fondamentaux, notamment ceux des minorités. A l’heure où l’Union européenne décide de faire un grand pas vers l’élargissement, il semble nécessaire de réexaminer les relations entre ces deux partenaires et, s’il y a lieu, de les redéfinir.

Il faut espérer que dans un futur relativement proche, tous les Etats européens feront partie du Conseil de l’Europe. Monaco et la République fédérale de Yougoslavie (la future Serbie et Monténégro) sont aujourd’hui sur le point d’y entrer. Si un jour le Bélarus adhère lui aussi au Conseil de l’Europe – comme nous le savons tous, ce pays doit encore accomplir des réformes fondamentales – cette institution paneuropéenne aura certainement atteint, avec quarante-sept pays membres, sa dimension maximale. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sera alors le porte-parole de tous les habitants de l’Europe, de l’Islande à l’Azerbaïdjan et de la Russie au Portugal.

Par conséquent, tandis que l’Union européenne s’élargit, le Conseil de l’Europe, avec son Assemblée parlementaire, doit être considéré comme un partenaire solide. S’il faut revoir et réorienter les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, il en va de même des relations entre l’Assemblée parlementaire et le Parlement européen. Ces deux institutions sont composées de membres directement élus, sont proches des citoyens, ont conscience des réalités et partagent la responsabilité de créer une Europe de liberté, de sécurité et de droit. L’adhésion prochaine de dix Etats à l’Union européenne et la coopération avec les nombreux Etats qui, dans l’avenir, se trouveront aux lointaines frontières de l’Europe élargie, favoriseront le rapprochement des deux institutions.

Un bon exemple en est le nouveau dialogue qui s’est engagé dans cet hémicycle le 24 septembre de l’année dernière entre les deux institutions. Ce dialogue, qui repose notamment sur le Traité de Rome et sur le règlement intérieur du Parlement européen, est nécessaire et devrait se poursuivre à ce niveau élevé, en utilisant les contacts de travail existants. Il me paraît inconcevable, dans une ville comme Strasbourg, qui a été le témoin privilégié du processus d’intégration européenne, de ne pas exploiter pleinement le potentiel de dialogue politique.

Ainsi, le développement de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe est une bonne occasion de renforcer ces deux institutions et d’approfondir encore la coordination et l’échange d’informations entre elles, dans une Europe des Quinze, des Vingt-cinq et des Quarante-quatre. A la veille de la formation d’un nouveau Parlement européen élargi, les parlementaires de Chypre, de la République tchèque, de l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de la Pologne, de la Slovaquie et de la Slovénie, qui siégeront bientôt à Strasbourg, peuvent compter sur une aide importante de la part du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire.

Avec le prochain élargissement de l’Union européenne, plus de la moitié des Etats membres du Conseil de l’Europe appartiendront aussi à l’Union. Comme ils auront transféré des droits souverains à l’Union, et qu’il n’est pas à exclure que même des institutions supranationales puissent violer les droits de l’homme, il me paraît vital de créer un système européen uniforme de protection des droits de l’homme. L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme devrait garantir une cohérence entre les systèmes juridiques de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits et libertés fondamentaux. J’appelle les Etats membres de l’Union européenne à se décider à franchir ce pas.

Concernant la nouvelle organisation des rapports entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, un autre aspect est à considérer: la question des «nouveaux voisins», ces pays qui resteront extérieurs à l’Union après l’élargissement – parce qu’ils l’ont décidé ou parce qu’ils ne remplissent pas les critères d’adhésion. Dans tous les cas, l’Union européenne pourrait recourir au Conseil de l’Europe comme plate-forme de coopération avec ces «nouveaux voisins». Le rêve d’une Europe unie ne doit pas s’arrêter aux frontières de Schengen!

L’espace juridique commun qui prend de plus en plus forme pour tous les Européens à l’intérieur des frontières du Conseil de l’Europe est un point de départ solide pour concrétiser une vision qui englobe l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, autrement dit la création d’une zone pacifique, démocratique, stable, prospère et sans clivages. Ce projet peut mieux qu’aucun autre dissiper les peurs des populations européennes, unir leurs forces et renforcer leur cohésion. Dans une telle perspective, je voudrais mettre en garde contre la création de nouveaux clivages en Europe. Il faudra développer différents modèles d’intégration et de coopération pour intégrer dans le processus d’unification européenne, à long terme et de façon durable, les pays à orientation européenne, comme par exemple l’Ukraine. Où pourrait-on, ailleurs qu’au Conseil de l’Europe, dans lequel je vois un forum de discussion sur l’avenir de notre continent, étudier de tels modèles et en débattre à grande échelle?

Dans ce contexte, je voudrais mentionner le dialogue mondial des cultures et des religions, qui se déroule à de nombreux niveaux. C’est précisément l’Europe, avec sa diversité religieuse, culturelle et ethnique, qui offre en la matière un partenariat axé sur la compréhension. Je me félicite, par conséquent, que le Conseil de l’Europe, la plus vaste des institutions européennes, utilise ces nouvelles possibilités et forge des liens avec la Ligue arabe et l’Organisation de la Conférence islamique.

Etroitement liée à l’Europe du Sud-Est par son histoire et par la proximité géographique, l’Autriche salue l’engagement du Conseil de l’Europe dans cette région et soutient toutes les activités destinées à remplir les derniers blancs qui subsistent sur la carte de ses pays membres. En raison des conflits sanglants en ex-Yougoslavie, le tournant politique de 1989 a mis beaucoup de temps à atteindre l’ouest des Balkans. Nous devons maintenant soutenir de façon cohérente et constante les pays de cette région dans leurs efforts pour se rapprocher de l’Union européenne, leur ouvrant par là le chemin d’un avenir prospère. L’intégration de l’Europe serait incomplète sans l’implication de ces Etats si importants et si profondément européens.

L’Autriche se prononce donc résolument en faveur d’une adhésion rapide de la République fédérale de Yougoslavie au Conseil de l’Europe. Ce serait une contribution importante à la promotion de la stabilité politique et des réformes démocratiques dans ce pays de Serbie et Monténégro. Cette adhésion permettrait à la Yougoslavie de reprendre la place qui lui revient dans la famille européenne.

La Fédération de Russie est incontestablement l’un des partenaires les plus importants d’une Europe pacifique et stable. Je me félicite donc que des experts du Conseil de l’Europe aient contribué, au sein du Bureau du représentant spécial du Président Vladimir Poutine pour la Tchétchénie, à rechercher une solution à ce conflit sanglant. Comme le mandat du Groupe d’assistance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour la Tchétchénie n’a pas pu être prolongé, les experts du Conseil de l’Europe sont pour le moment les seuls représentants internationaux permanents dans cette région. Reste à espérer que la grande compétence de ces experts continuera d’être utilisée en Tchétchénie au profit de la préservation des droits de l’homme et du rétablissement de la démocratie et de l’Etat de droit.

Les conséquences de la globalisation de la politique et de l’interdépendance du monde se font rarement ressentir de manière aussi spectaculaire et dramatique que lorsqu’il est question de guerre et de paix, de conflits qui, en dépit de l’éloignement géographique, concernent directement la vie de chaque individu. Même en Europe, lorsqu’on parle de paix et de sécurité, il est impossible de ne pas évoquer l’évolution menaçante de la question irakienne. Je sais que vous en avez déjà débattu ce matin. La menace d’une guerre aux conséquences imprévisibles est réelle. Il faut amener l’Irak à respecter toutes les obligations qui lui ont été imposées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. La décision de prendre éventuellement d’autres mesures contre l’Irak appartient cependant au Conseil de sécurité des Nations Unies, auquel incombe la responsabilité essentielle d’assurer la paix et la sécurité dans le monde.

Son histoire douloureuse a appris à l’Europe que la guerre en définitive ne règle pas les problèmes, mais exige des sacrifices humains, apporte destruction et souffrance et met sérieusement en danger la stabilité de l’économie mondiale. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous avons décidé d’adopter une politique qui mise sur le dialogue et la compréhension, sur des moyens pacifiques et non sur la confrontation armée. L’Europe représente également une vision du monde dans lequel la coexistence des Etats et des peuples se fonde sur les règles du droit international et les obligations découlant des traités, d’un monde dans lequel les problèmes de notre temps se règlent par la coopération multilatérale dans le cadre des Nations Unies et d’autres organisations internationales. Notre vision est celle d’un monde multipolaire et d’un ordre international qui s’impose à tous, un cadre dans lequel les pays, les cultures et les religions peuvent vivre en harmonie.

Les nombreux efforts déployés par les gouvernements amis pour inciter l’Irak à coopérer sans réserve avec les inspecteurs de l’Onu méritent tout notre soutien. L’Europe, qui a tissé de nombreux liens avec le Moyen-Orient, aurait particulièrement vocation à contribuer au règlement pacifique de cette crise. Je me félicite donc que la présidence grecque de l’Union européenne soit prête à entreprendre une mission de paix dans cette région.

L’élargissement de l’Union européenne, décidé à Copenhague, signifie que l’on a définitivement tourné une page, celle des conséquences dévastatrices de deux guerres mondiales, de la division du continent qui a suivi et de l’oppression de millions de personnes. Mais nous ne sommes pas arrivés pour autant au bout du chemin que nous ont indiqué les pères fondateurs de l’Union européenne.

Pour mieux faire face aux défis qui se posent actuellement à l’ensemble de l’Europe, il faut que les différentes institutions européennes travaillent main dans la main. Cela vaut pour la lutte contre le terrorisme international dans le respect des droits de l’homme comme pour le contrôle des flux migratoires sur notre continent; cela vaut pour les mesures contre l’intolérance, le racisme et la xénophobie comme pour la définition de normes de droits fondamentaux dans les domaines de la bioéthique, de la protection des données et de la criminalité sur Internet. De nombreux progrès sont à inscrire au compte du Conseil de l’Europe et des conventions qu’il a élaborées. C’est pourquoi j’ai particulièrement tenu à signer personnellement le protocole additionnel sur la lutte contre les actes racistes ou xénophobes commis à travers les réseaux informatiques, ouvert à la signature depuis cette semaine. Plus les Etats membres seront nombreux à adhérer sans délai à cet important instrument juridique, plus vite il pourra entrer en vigueur.

Pour l’Autriche, le Conseil de l’Europe est et reste le gardien de la civilisation européenne. Dans cette nouvelle ère qui vient à peine de commencer, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne élargie doivent plus que jamais agir ensemble, en véritables partenaires, et conjuguer leurs efforts pour renforcer la démocratie pluraliste et la défense effective des droits de l’homme, résoudre les problèmes politiques, sociaux et économiques d’aujourd’hui et promouvoir l’identité culturelle de l’Europe. Ce n’est qu’ainsi que se réalisera petit à petit le rêve d’une Europe unie, d’une Europe de paix et de liberté.

Je vous remercie de votre attention.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour ce discours fort intéressant. Plusieurs membres de l’Assemblée ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle qu’ils disposent, pour ce faire, de trente secondes au maximum. Il s’agit de poser des questions et non de prononcer des discours. Je suis prêt à autoriser des questions supplémentaires à la fin de la séance si le temps le permet. Ces questions supplémentaires seront alors posées dans le même ordre que les questions principales.

La parole est à M. Davis, du Groupe socialiste, pour poser la première question.

M. DAVIS (Royaume-Uni) (traduction)

Merci, Monsieur le Président, pour votre discours dont j’ai surtout retenu la référence à la nécessité d’une solidarité internationale face à la mondialisation et à celle d’un dialogue entre les différentes cultures et religions. J’aimerais savoir si, en tant que Président de l’Autriche, vous ferez jouer votre influence en vue d’encourager le Gouvernement autrichien à rejoindre le Centre Nord-Sud, organe fort précieux du Conseil de l’Europe, dont les responsabilités touchent précisément aux objectifs que vous avez évoqués.

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Le Gouvernement autrichien et moi-même nous efforçons de promouvoir l’unification de l’Europe. Il y a dix ans, j’ai organisé la première réunion au sommet entre les présidents de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Hier, j’ai fait mes adieux à Vaclav Havel qui était le cofondateur de ces réunions. En mai, nous tiendrons à Salzbourg une réunion qui marquera le dixième anniversaire de notre initiative, réunion à laquelle participeront dix-sept, et non plus quatre, représentants de ces pays. L’Autriche fait ce qu’elle peut en vue de promouvoir l’unification de l’Europe.

Je dois avouer que j’ai entendu parler du Centre Nord- Sud ce matin pour la première fois en conversant avec le Secrétaire Général et le Président de l’Assemblée. Je transmettrai les informations reçues à mon Premier ministre et au Gouvernement. Je puis vous assurer que l’Autriche souhaite participer tant à la coopération Est- Ouest qu’à la coopération Nord-Sud.

M. VAN DER LINDEN (Pays-Bas) (traduction)

Merci, Monsieur le Président. Je crois pouvoir dire que votre discours représente une évaluation très positive du Conseil de l’Europe, et je l’approuve entièrement.

Je voulais vous poser une question sur l’élargissement et sur la nécessité d’éviter de nouveaux clivages. Vous y avez déjà répondu. Vous avez aussi dit que les pays européens ne devraient pas prendre de positions séparées à propos de l’Irak. A ce sujet, pensez-vous que la prise de position de huit Etats européens publiée aujourd’hui dans un journal d’Aachen soit une contribution positive?

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Je ne peux vous présenter que la position de l’Autriche, qui renvoie, comme la plupart des Etats de l’Union européenne, aux Nations Unies: nous avons besoin d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Si Saddam Hussein possède effectivement des armes chimiques ou biologiques de destruction massive, il est nécessaire pour nous tous de les lui enlever. Le Président des Etats-Unis a annoncé qu’il présenterait dans deux ou trois jours des preuves de l’existence de ces armes.

Mon pays n’agira pas sans une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Aujourd’hui comme hier, nous pensons que les Nations Unies sont les garantes de la paix et de la sécurité. Je l’ai déjà dit dans mon discours: la guerre ne règle pas les problèmes.

M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)

Les parlementaires s’intéressant souvent à la politique intérieure des différents pays, ma question portera sur celle de l’Autriche. L’Autriche se distingue par sa tradition de grandes coalitions; mais d’aucuns considèrent que c’est la raison de l’émergence de partis populistes. Une nouvelle coalition est en cours de formation en Autriche. J’aimerais savoir comment on peut, à l’avenir, éviter l’émergence de tels partis.

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Lors des élections qui se sont tenues il y a trois ans, un parti populiste avait obtenu 27 % des voix. Aux dernières élections, il est retombé aux alentours de 10 %.

Conformément à mes droits constitutionnels, j’ai demandé au chef du parti arrivé en tête des dernières élections, l’actuel chancelier, de former un gouvernement en veillant à trouver un équilibre le plus large possible au sein du parlement. Neuf semaines se sont écoulées depuis et, hier, les journaux étaient pleins de cette histoire. J’ai pressé le chancelier d’indiquer avec lequel des trois autres partis représentés au parlement il comptait former une coalition. Pour ma part, je souhaiterais que cette coalition soit formée avec les deux grands partis parce que nous avons beaucoup de problèmes à résoudre, dont un certain nombre de questions constitutionnelles, qui requièrent une majorité des deux tiers au parlement. Cette majorité ne pourra être obtenue qu’avec les deux plus grands partis. Cela dit, s’il opte pour une coalition avec l’un des partis plus petits, je devrai accepter son choix.

Votre question portait sur les partis populistes. Comme je l’ai déjà indiqué, ils ne représentent plus aujourd’hui que 10 %, voire moins, des électeurs; il n’y a donc plus aucun risque de ce côté-là. Lorsqu’on demande aux Autrichiens auquel des dix futurs membres de l’Union va leur préférence, la Hongrie vient en tête.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie du soutien que vous avez apporté à la tenue d’un 3e Sommet du Conseil de l’Europe, auquel vous ne manquerez certainement pas de participer. J’aimerais savoir si vous approuvez la logique de l’Assemblée selon laquelle il serait souhaitable que cette réunion se tienne avant la conférence intergouvernementale de l’année prochaine, de sorte que le sommet puisse tenir compte des recommandations que la Convention de l’Union sur l’avenir de l’Europe soumettra à cette conférence. Il serait intéressant de connaître la teneur de ces recommandations avant que la conférence intergouvernementale ne se prononce.

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

En 1993, au moment de la tenue du Sommet de Vienne, j’étais déjà Président et j’ai également participé au Sommet de Strasbourg. J’appuierai la décision de tenir un troisième sommet, que ce soit à Vienne ou ailleurs. Dans mon discours, j’ai souligné l’importance à la fois du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et du Parlement européen. Je m’en remets à vous pour ce qui est du calendrier.

M. LAAKSO (Finlande) (traduction)

L’Otan a engagé un processus d’élargissement. De nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, tels que l’Autriche et la Finlande, font partie des pays non alignés. J’aimerais savoir quelle contribution positive peuvent apporter ces pays en vue de sauvegarder l’architecture européenne de sécurité.

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

La neutralité figure dans la loi constitutionnelle autrichienne. Vous avez employé un autre terme, mais cela revient plus ou moins au même. La position de la Finlande, de la Suède et de l’Autriche est identique. Nous avons participé à presque toutes les actions menées sous l’égide des Nations Unies, y compris des opérations de maintien de la paix. Des contingents finnois et autrichiens avaient été envoyés dans les Balkans et même en Afghanistan. Nous sommes entourés de pays membres de l’Otan; la Suède et la Finlande, quant à elles, sont voisines des Etats baltes qui le deviendront. Il conviendra, à mon sens, que l’Autriche contribue à l’édification d’une politique de sécurité, d’une politique étrangère et, en fin de compte, d’une politique de défense européennes. A ce moment-là, il nous faudra prendre une décision sur le devenir de notre neutralité. A la fin de l’année, nous aurons entre les mains un projet de constitution européenne. Il conviendra alors de vérifier si la Constitution autrichienne est compatible avec la Constitution européenne. Je pense qu’un référendum sera organisé à propos de la neutralité – non sur une éventuelle adhésion de l’Autriche à l’Otan, mais sur la participation du pays à une politique de défense commune en tant que membre de l’Union européenne. Je pense que la Finlande a adopté la même position.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Monsieur le Président, vous soutenez la proposition relative à la tenue d’un troisième sommet du Conseil de l’Europe et avez formulé une idée intéressante à propos de la création d’un système unifié de défense des droits de l’homme. Pourriez-vous nous donner quelques précisions, étant donné qu’il existe deux codes et deux instruments différents? Qui devrait, selon vous, prendre l’initiative dans ce domaine, et sur quels aspects, en particulier, devraient porter les discussions? Envisagez-vous la possibilité d’un code et d’un instrument unique? Quel rôle souhaiteriez- vous jouer dans ce domaine?

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Dans ce contexte, le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer. L’unification de l’Europe et le processus d’élargissement ne sont pas encore achevés. Dix nouveaux pays vont bientôt adhérer à l’Union, qui passera de quinze à vingt-cinq membres; mais elle n’en restera pas là. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe doit veiller à ce que ses normes en matière de démocratie et de droits de l’homme soient acceptées par les pays qui, je l’espère, seront un jour appelés à adhérer à l’Union.

M. PANGALOS (Grèce) (traduction)

Monsieur le Président, vous avez dit que toute intervention en Irak devrait se fonder sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Juste avant votre arrivée, l’Assemblée, à une écrasante majorité, s’est prononcée dans le même sens. Hier, huit Premiers ministres européens, réunis à Londres à l’initiative de M. Blair, ont publié une déclaration intitulée «L’Europe et les Etats- Unis à l’unisson», ouvrant ainsi la voie à la formation d’une coalition déterminée à agir en l’absence d’une résolution de l’Onu. J’aimerais connaître votre point de vue sur cette déclaration et savoir quelles conséquences pourrait, selon vous, avoir cette initiative sur le processus de décision de l’Union européenne.

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Mon point de vue, ainsi que celui du Gouvernement autrichien, est très clair. Rien ne doit être fait sans mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans mon discours, je me suis félicité de l’initiative prise par la présidence grecque de l’Union européenne qui vise à rechercher le moyen d’éviter la guerre. La résolution prise par ces huit pays ne signifie en rien que l’Union est divisée. Elle constitue la réponse à certaines observations formulées par Washington, observations qui, il faut bien le dire, n’étaient pas très diplomates. Je pense que l’Europe est unie. Elle devrait avoir – elle a d’ailleurs – une politique étrangère commune. Et, comme je viens de l’indiquer, nous soutenons l’initiative de la présidence grecque visant à rechercher une solution pacifique au problème. Les perspectives ne sont pas bonnes, mais il faut poursuivre les efforts dans ce sens.

M. GÜLÇIÇEK (Turquie) (traduction)

Merci, Monsieur le Président. Le 1er janvier 2003, l’amendement à la loi sur les étrangers est entré en vigueur. La loi contient ce qu’on appelle le «contrat d’intégration», qui oblige les personnes non ressortissantes de l’Union européenne à prendre des cours d’allemand. Je sais que ce contrat s’applique à tous ceux qui sont arrivés en Autriche après 1998. Ils doivent fournir des preuves dans un délai de quatre ans au maximum.

Ce nouvel amendement inquiète la plupart des citoyens turcs, qui vivent en Autriche depuis longtemps et de façon régulière, qui travaillent, et qui apportent leur contribution à la société autrichienne. Puis-je vous demander votre position sur ce point?

M. Klestil, Président de la République d’Autriche (traduction)

Monsieur le député, j’entretiens personnellement les meilleurs rapports avec la fédération des associations turques d’Autriche. Je sais à quel point les citoyens turcs sont courageux et travailleurs, à quel point il sont importants en Autriche. La loi à laquelle vous faites allusion veut encourager l’intégration des citoyens qui envisagent de rester longtemps dans le pays. C’est ce que nous voulons aussi, et c’est pourquoi nous proposons des cours de langue. Lorsque les représentants d’organisations turques s’adressent à moi, je ne leur parle naturellement pas en turc, mais en allemand, car ils maîtrisent l’allemand. Nous voulons permettre à tous les immigrants turcs de faire de même. Nous vous estimons, nous avons grand besoin de vous et nous voulons vous aider à vous intégrer dans la société autrichienne.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous sommes arrivés au terme de notre dialogue avec M. Klestil que, au nom de l’Assemblée, je remercie vivement pour son discours ainsi que pour les observations qu’il a formulées en répondant aux questions des parlementaires.