Helmut
Kohl
Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 2 février 1993
Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, je vous remercie vivement pour vos aimables paroles de bienvenue, Monsieur le Président.
C’est pour moi un grand plaisir d’être invité pour la première fois aujourd’hui à m’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe à Strasbourg est la plus ancienne association de l’Europe libre et, en même temps, le seul forum qui rassemble des parlementaires de presque toute l’Europe.
Nombreux sont ceux en Europe, y compris en Allemagne, qui – et j’ajouterai malheureusement – ne sont pas assez conscients du rôle que le Conseil de l’Europe a joué au cours des quatre dernières décennies, et joue encore, pour le rassemblement de notre continent.
Le Conseil de l’Europe, première organisation européenne politique de l’après-guerre, a été fondé en 1949 dans le but de «réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun, et de favoriser leur progrès économique et social», comme il est stipulé dans son Statut.
Ses fondateurs tiraient ainsi les conséquences des expériences douloureuses de ce siècle.
Ils avaient vu clairement que la paix et la réconciliation entre les peuples européens ne pouvaient être assurées de manière durable que sur la base d’un ordre démocratique et du respect des droits de l’homme.
Ce jugement fondamental n’a jusqu’ici nullement changé. Il était et reste le fil conducteur du travail du Conseil de l’Europe. Face aux développements menaçants dans certaines parties de l’Europe, nous avons justement plus que jamais besoin du Conseil de l’Europe en tant que gardien du patrimoine spirituel et des valeurs fondamentales qui nous unissent, nous, Européens.
Mesdames, Messieurs, pour la République Fédérale d’Allemagne – encore très jeune à l’époque – l’admission au sein du Conseil de l’Europe – tout d’abord en tant que membre associé, puis, le 2 mai 1951, en tant que membre à part entière, revêtait une importance particulière. L’admission dans la communauté des peuples démocratiques d’Europe a ouvert pour nous, Allemands, la voie que nous indiquait la Loi fondamentale de 1949, «contribuer à la paix mondiale en tant que membre à part entière d’une Europe unie». L’adhésion au Conseil de l’Europe – et, presque en même temps, la fondation, avec d’autres pays, de la CECA – marquèrent pour la République Fédérale d’Allemagne le point de départ d’une politique qui misait systématiquement sur un rassemblement toujours plus étroit de l’Europe libre.
Cette politique a porté ses fruits, pour nous, Allemands, et pour l’Europe tout entière: c’est essentiellement au succès du processus d’unification européenne que nous devons le fait d’avoir pu surmonter dans la paix et la liberté la confrontation entre l’Est et l’Ouest.
Notre ferme attachement au développement de l’intégration européenne a constitué aussi une base de confiance qui fut fondamentale pour le rétablissement de l’unité allemande avec le consentement de tous nos voisins et partenaires. Cette expérience est en même temps pour nous un stimulant pour l’avenir: l’Allemagne unie continuera à mettre toutes ses forces au service de la cause européenne.
A ce sujet, la Communauté européenne joue un rôle central. Cela n’amoindrit nullement le grand intérêt que nous attribuons, et continuerons d’attribuer, au Conseil de l’Europe ou à la CSCE en tant que piliers importants du processus d’unification paneuropéenne.
Mesdames, Messieurs, pour nous Allemands, l’Europe n’est pas n’importe quel sujet de la politique de tous les jours, mais une, si ce n’est «la» question décisive pour notre destin!
C’est pourquoi, en avril 1990, j’ai pris avec le Président de la République française l’initiative d’engager les négociations qui ont conduit au Traité de Maastricht sur l’union politique ainsi que sur l’union économique et monétaire.
Cette date était décisive pour démontrer sans équivoque que l’inquiétude de ceux qui craignent que l’Allemagne ne fasse à nouveau cavalier seul, après avoir établi son unité nationale, était injustifiée.
Le Traité de Maastricht a ainsi pour nous une signification toute particulière: il rend à la fois l’ancrage de l’Allemagne dans l’Europe et l’ensemble du processus d’unification irrévocables.
Pour nous, la phrase de Konrad Adenauer est encore valable: l’unité allemande et l’unification européenne sont les deux côtés d’une même médaille.
Mesdames, messieurs, 1989, l’année des grands bouleversements a montré que, deux siècles après la Révolution française, les droits de l’homme et du citoyen, les idéaux de liberté et de démocratie n’avaient rien perdu de leur force historique ni de leur dynamique. Si les peuples de l’Europe centrale, orientale, et du Sud-Est, en s’éveillant à la démocratie, n’ont cessé d’invoquer les droits de l’homme et du citoyen, c’est aussi grâce à l’action du Conseil de l’Europe.
C’est le Conseil de l’Europe qui a été en 1989 la première institution européenne à s’ouvrir aux Etats de l’Europe centrale, orientale et du Sud-Est, et à les inviter à coopérer.
En créant le statut d’invité spécial, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a tracé pour les Etats réformateurs la voie vers une adhésion ultérieure au Conseil de l’Europe.
La Hongrie, l’ancienne Tchécoslovaquie, la Pologne et la Bulgarie ont entre-temps été admises au sein du Conseil de l’Europe. D’autres demandes d’adhésion ont été déposées. Cette évolution souligne parfaitement l’attrait du Conseil de l’Europe et son prestige en tant que forum paneuropéen.
Les Etats de l’Europe centrale, orientale et du Sud-Est n’attendent pas seulement de la Communauté européenne, mais aussi du Conseil de l’Europe, des aides efficaces dans la poursuite de leurs projets de réformes politiques et économiques.
Dans ce contexte, la vocation particulière du Conseil de l’Europe consiste à coopérer à l’élaboration des fondements juridiques de la réorganisation et surtout à promouvoir la coopération dans les domaines culturel et social.
Le Conseil de l’Europe contribue ainsi de manière considérable à la stabilité de ces pays et, par là-même, de l’Europe tout entière.
Notre objectif doit être de lier indissolublement le renouveau national dans ces pays à l’idée de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme et des minorités. Ce n’est qu’à cette condition que les excès nationalistes que nous observons çà et là perdront leurs fondements.
Mesdames, Messieurs, avec la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe a élaboré, il y a plus de quarante ans, le premier traité international prévoyant la sauvegarde obligatoire d’un catalogue de droits de l’homme.
Par la création de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l’Homme, des Etats se sont, en outre, pour la première fois soumis à un mécanisme de contrôle efficace sur la base d’un consentement volontaire.
Le droit de chaque citoyen de saisir ces instances de contrôle internationales, quand il considère qu’une mesure prise par son pays porte atteinte à ses droits fondamentaux, donne à ce système un caractère exemplaire.
Mesdames, Messieurs, outre la protection des droits individuels de l’homme, la consécration et la garantie de droits efficaces pour les minorités prennent une importance croissante.
Cette idée repose sur l’expérience historique qui nous apprend que différentes nationalités et différents groupes ethniques ne peuvent convenablement cohabiter au sein d’un seul et même Etat que si les droits et la protection des minorités sont assurés.
La guerre dans l’ancienne Yougoslavie, mais aussi les conflits latents dans d’autres pays d’Europe centrale, orientale et du Sud-Est montrent combien il est important d’élaborer de manière préventive une telle protection et des mécanismes de contrôle efficaces.
C’est justement là que nous voyons qu’une protection efficace des droits des minorités est cruciale pour la paix interne et externe.
Voilà la seule manière d’éviter que les problèmes ethniques – et les problèmes territoriaux qui y sont souvent associés – ne soient résolus de la façon désastreuse que nous connaissons du passé et que l’on tente malheureusement à nouveau d’appliquer dans l’ancienne Yougoslavie.
La recommandation adoptée en 1990 par L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constitue à ce sujet une proposition prometteuse.
Je me féliciterais qu’une convention de sauvegarde des droits des minorités soit adoptée au plus tôt sur cette base.
Le Conseil de l’Europe soulignerait ainsi son rôle de pionnier au niveau paneuropéen dans le domaine des droits de l’homme et des minorités, tout comme il l’a déjà fait avec sa Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Mesdames, Messieurs, l’Europe occidentale n’est pas non plus une fois pour toutes à l’abri des spectres du passé, de la pensée nationaliste, d’un retour à l’intolérance et au chauvinisme.
Nous, Allemands, avons été témoins au cours des derniers mois et des dernières semaines d’une augmentation terrifiante d’actes de violence perpétrés par des groupes d’extrême droite.
Tous ceux qui considèrent l’amour du prochain et le respect du patrimoine de notre culture occidentale comme les fondements moraux de leur pensée et de leurs actes éprouvent de la répulsion devant ces crimes monstrueux.
Nous ne pouvons et ne devons montrer aucune indulgence envers une violence, au mépris de toute humanité, qu’elle soit d’extrême gauche ou d’extrême droite.
Notre Etat de droit libéral ne permettra pas que des concitoyens étrangers, qui, ne l’oublions pas, ont pris une part décisive à l’essor de la République Fédérale d’Allemagne depuis quarante ans, deviennent maintenant victimes d’agressions aveugles.
Le Gouvernement fédéral et les Länder compétents avant tout dans ce domaine combattent ces actes de violence extrémistes avec tous les moyens à leur disposition. Au cours des dernières semaines, des millions de citoyens allemands ont manifesté contre la xénophobie et le racisme.
Ils ont ainsi montré clairement que l’écrasante majorité de notre peuple condamne rigoureusement les excès de violence à l’encontre des étrangers.
Mesdames, Messieurs, xénophobie, haine des étrangers et antisémitisme ne sévissent pas seulement dans notre pays, mais aussi dans d’autres pays d’Europe, et même dans le monde entier. C’est pourquoi nous sommes tous appelés à affronter ce problème à l’échelon européen.
Au niveau de l’Europe, nous devons également concentrer notre réflexion sur les conséquences des mouvements migratoires et des flux de réfugiés qui existent dans le monde entier.
Chacun d’entre nous est concerné. Même si c’est l’Allemagne qui actuellement en supporte la charge principale, ces mouvements constituent un défi à la fois unique et permanent pour l’Europe tout entière.
Mesdames, Messieurs, permettez-moi une brève remarque à propos d’une question qui me tient personnellement très à cœur.
L’identité culturelle qui caractérise l’Europe – et qui, à juste titre, a toujours été l’une des priorités de votre travail – se reflète notamment dans la diversité des langues qui y sont parlées.
Préserver cette identité comptera également à l’avenir parmi les tâches premières du Conseil de l’Europe. Dans ce contexte, il faudrait qu’au moins les langues les plus répandues en Europe – et la langue allemande en fait partie – cohabitent sur un pied d’égalité au sein de cette institution.
La discussion qui s’est déroulée au cours de ces derniers mois au sujet de la politique européenne, non seulement en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays partenaires, a montré précisément combien cela s’avère important et facilite la compréhension de chaque citoyen pour les grandes questions qui agitent l’Europe et pour le travail de ses institutions.
Le Bundestag, tout comme le Gouvernement fédéral, attache donc une importance toute particulière à ce que la langue allemande soit mise sur un pied d’égalité avec les autres au sein du Conseil de l’Europe.
Mesdames, Messieurs, dès le début, le Conseil de l’Europe a cherché la coopération avec d’autres institutions européennes, que ce soit avec l’OCDE ou la CSCE ou, en priorité, avec la Communauté européenne.
Il s’agit de développer résolument cette approche, chaque institution européenne devant fournir la contribution qu’elle est le mieux à même de fournir.
Je trouve que le moment est venu pour nous de réfléchir à la façon de mieux délimiter et coordonner entre elles les tâches des différentes organisations en Europe, à savoir la Communauté européenne, le Conseil de l’Europe et la CSCE.
Cela signifie pour le Conseil de l’Europe qu’il doit se concentrer sur les domaines dans lesquels il a déjà fait ses preuves par le passé.
Le Gouvernement autrichien a proposé d’organiser à l’automne prochain un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe qui serait consacré aux tâches prioritaires de cette institution à l’avenir.
Le Gouvernement fédéral espère qu’il sera possible de créer les conditions permettant d’arriver à un résultat substantiel au plan politique et, plus précisément, de définir des objectifs clairs et de cerner les questions spécifiques prioritaires.
Mesdames, Messieurs, nous savons tous qu’aujourd’hui plus que jamais l’Europe prise dans son ensemble a besoin d’un pilier sûr et solide de stabilité.
Seule une Communauté européenne forte, capable d’agir à l’intérieur et à l’extérieur, est à même d’assumer ce rôle. Nous, Allemands, nous ne pouvons pas, surtout en raison de notre situation géographique, rester indifférents au chemin que l’Europe décide de prendre – à la question de savoir si elle choisit irrévocablement l’union politique et économique ou si elle préfère retomber dans les rivalités nationales des temps passés.
Telle est la question qui se situe au cœur de la discussion actuelle à propos de la politique européenne et notamment du Traité de Maastricht.
Nous devons en ce moment présent saisir la chance historique qui nous est offerte et créer l’union européenne – si nous n’y parvenons pas, nous faisons échec devant l’avenir et nous compromettons même les acquis.
Cela n’est pas un refus opposé à un élargissement de l’Europe, mais nous ne pourrons créer cette Europe élargie que si nous développons de manière irréversible l’Europe communautaire actuelle.
Ces deux questions doivent rester en tête de l’ordre du jour: l’union européenne et la maison européenne élargie. Il ne s’agit pas d’un choix mais de deux priorités de même importance.
C’est pourquoi nous mettrons tout en œuvre pour que le Traité de Maastricht puisse entrer en vigueur au cours de cette année.
Parallèlement, nous devons déployer toutes nos forces pour appliquer de manière résolue et rapide les politiques ébauchées dans le traité.
Pour cela, plusieurs choses sont nécessaires.
Premièrement, il faut que nous mettions au point une politique étrangère et de sécurité commune qui mérite vraiment ce nom.
C’est le seul moyen de prévenir les crises avec une plus grande efficacité et d’influencer d’une manière plus active les événements qui menacent la paix.
La guerre horrible qui sévit dans l’ancienne Yougoslavie tout comme les foyers de crise qui existent dans d’autres régions d’Europe de l’Est et du Sud-Est ainsi qu’aux frontières de notre continent suffisent de loin à montrer que seule une politique commune peut nous préserver d’une instabilité durable.
Deuxièmement, nous ne pouvons assurer notre stabilité économique et monétaire, et maintenir notre prospérité que si nous pratiquons une coopération de plus en plus étroite en vue de parvenir à une politique économique et monétaire commune.
En fin de compte, cette union de stabilité profitera aussi à l’Europe tout entière.
Troisièmement, nous ne devons pas relâcher nos efforts en faveur d’une Europe proche de ses citoyens. Notre objectif continue d’être une Europe qui respecte l’identité nationale, la culture et les traditions de tous ses Etats membres et de ses régions.
Le Conseil de l’Europe et l’union européenne devraient, dans ce domaine en particulier, resserrer davantage encore leur coopération à l’avenir.
Quatrièmement, approfondissement et élargissement de la Communauté européenne ne sont pas contradictoires.
Je suis heureux que les négociations d’adhésion aient commencé avec l’Autriche, la Suisse et la Finlande. Et la Norvège va suivre.
Ces négociations doivent être menées à terme rapidement pour que l’adhésion puisse avoir lieu avant la fin de 1995.
Parallèlement, nous allons continuer de développer le dispositif des accords d’association avec les Etats réformateurs d’Europe centrale, d’Europe de l’Est et du Sud-Est, afin de consolider leurs perspectives d’un avenir européen.
Mesdames, Messieurs, la coopération du Conseil de l’Europe avec la CSCE, la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, joue un rôle grandissant.
La Charte de Paris en a jeté les bases et les premières mesures concrètes ont déjà été mises au point en vue d’un resserrement de la coopération.
Il serait par exemple souhaitable que le Conseil de l’Europe et la CSCE se complètent et coordonnent leur travail, notamment dans le domaine de la dimension humaine et dans l’encouragement de la mise en place d’institutions démocratiques, surtout dans les nouveaux Etats participants de la CSCE.
Mesdames, Messieurs, les bouleversements politiques fondamentaux intervenus dans le bref laps de temps qui s’est écoulé depuis 1989 exigent de nous tous que nous fassions preuve de courage et de détermination, d’énergie et d’imagination.
Nous devons saisir résolument la chance historique qui nous est donnée de construire aujourd’hui un ordre de paix durable et juste en Europe. Nous devons surtout faire obstacle assez tôt à tout développement susceptible de compromettre la paix et la stabilité sur notre continent.
Pour cela, il faut que nous fassions respecter dans toute l’Europe les principes et les orientations de l’action des Etats que symbolise le Conseil de l’Europe: pluralisme, démocratie, Etat de droit et respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mesdames, Messieurs, néanmoins, je me demande parfois si au prix de tous ces efforts nécessaires, nous ne cherchons pas à créer une situation que les jeunes en Europe ont déjà réalisée depuis longtemps.
Je l’ai vécue l’année dernière sur le pont Charles à Prague. Il y avait là de jeunes Russes et de jeunes Ukrainiens, des Italiens, des Néerlandais, des Britanniques, des Allemands et beaucoup d’autres.
Pour eux, ce rapprochement est tout à fait naturel – en dépit des frontières qui séparent les Etats et des barrières linguistiques.
Cette mentalité et, plus particulièrement, la conscience de faire partie d’un même tout caractérisent la grande majorité de la jeune génération dans les pays européens.
Voilà une autre raison pour laquelle il est si important d’éviter que la politique ne suive les événements de loin, voire ne retombe dans les clichés de l’Etat-nation d’hier ou d’avant-hier.
Aujourd’hui – quelques années juste avant la fin de ce siècle marqué par la souffrance et la détresse – cette vision grandiose de l’Europe unie apparaît plus réalisable que jamais.
A nous de ne pas gâcher la chance que nous offre l’Histoire, mais au contraire de mettre tout en œuvre pour sauvegarder la paix et la liberté pour les générations futures en poursuivant tout droit la voie qui mène à l’unité de l’Europe. (Vifs applaudissements)
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur Kohl, pour cet exposé motivant. Pas moins de quarante membres de cette Assemblée se sont inscrits pour poser une question à M. Kohl. Dans ces conditions, chacun ne pourra poser qu’une seule question et il n’y aura pas de questions supplémentaires. Premièrement, il importe que chacun puisse poser sa question. Deuxièmement, aucune question ne devra dépasser trente secondes. Je vous demande de respecter cette contrainte. Enfin, mes chers collègues, je vous demanderai de ne pas répéter vos questions.
Je donnerai la parole à trois ou quatre intervenants et je demanderai ensuite à M. Kohl de bien vouloir leur répondre. Le temps réservé aux questions posées à M. Kohl durera plus longtemps que prévu, mais vous comprendrez, j’en suis certain, l’importance que revêt cette réunion pour nous et pour le Conseil de l’Europe tout entier. La parole est à M. Schiesser.
M. SCHIESSER (Suisse) (traduction)
Monsieur le Chancelier, nous savons tous ce qu’est la notion d’«Europe à plusieurs vitesses». La réalité a, en effet, montré qu’en Europe l’intégration politique et économique des différents pays appartenant ou non à la Communauté européenne ne se fait pas toujours au même rythme.
Le Traité de Maastricht a mis en lumière une autre réalité à laquelle on peut également appliquer cette notion. Les différents référendums ont révélé que les populations ne voulaient ou ne pouvaient pas forcément suivre le rythme d’intégration qu’entendent imposer les gouvernements.
Voici donc ma question: comment convient-il, selon vous, d’agir concrètement pour faire en sorte que l’Europe qui est en train de se construire soit bien une Europe des peuples et non pas uniquement une Europe des gouvernements et des parlements?
M. GÜNER (Turquie) (traduction)
Après l’effondrement du système communiste et l’écroulement de l’ex-Union Soviétique, les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance mondiale. Nous sommes au seuil du xxie siècle et nous supposons que le Pacifique deviendra un grand pôle économique. Pensez-vous, Monsieur Kohl, que l’Europe puisse s’imposer comme entité politique et économique, et jouer un rôle de premier plan dans le monde?
Quel pourrait être le rôle de votre pays?
M. COLOMBO (Italie) (traduction)
Monsieur le Chancelier, vous avez confirmé la valeur de l’unité européenne et nous vous en sommes reconnaissants. Mais l’Europe d’aujourd’hui est en crise sur les plans politique, économique et institutionnel. Le Sommet de Vienne est une réponse.
Monsieur le Chancelier, quels points de l’ordre du jour de Vienne considérez-vous comme prioritaires: la reconstruction économique, le problème de la défense ou la restructuration de l’architecture européenne?
M. LÔPEZ HENARES (Espagne) (interprétation)
demande à M. le Chancelier si, compte tenu des difficultés liées à la construction européenne et à l’élargissement vers l’Est, il est utile, selon lui, d’accélérer les mécanismes d’intégration en matière de politique extérieure et de défense.
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
Permettez-moi tout d’abord une remarque. Une fois de plus, j’ai entendu le mot de «crise», on ne parle plus que de crises. Or, je ne comprends pas ce mot. Je ne crois pas que l’Europe soit en crise, je le conteste même. En effet, quand je prends conscience de la dimension historique des événements qui se sont produits au cours des quarante dernières années, je ne peux imaginer que nous sommes en crise. Ce qu’il faut à l’Europe c’est de la patience, c’est bien différent, cela n’a rien à voir avec une crise.
Comment, avec la meilleure volonté du monde, s’attendre à effacer en une seule génération tout ce qui pendant 300 ans a pu opposer les Etats-nations.
Prenez, par exemple, l’histoire de cette ville qui nous accueille aujourd’hui, l’histoire de la ville de Strasbourg, vous y verrez inscrites, comme dans un livre d’images, les épreuves de l’histoire européenne, et pourtant si vous regardez le comportement des Strasbourgeois lors du référendum en France, vous aurez une réponse qui montre que les gens de cette région ont compris où était leur avenir: en Europe.
Prenons garde. Cette manie de pessimisme est un peu notre «mal du siècle»; or, je ne vois pas de raison d’être pessimiste. Je vous donne un exemple tout à fait personnel. Lorsque j’ai fêté, le 3 avril 1948, mes 18 ans, il me fallait dans ma ville natale, Ludwigshafen, un laissez-passer pour aller au cœur de l’Allemagne, d’une rive à l’autre du Rhin. Aujourd’hui, lorsque j’observe la génération de mes enfants qui traversent l’Europe de part en part, je me dis qu’ils pensent depuis longtemps en Européens.
Evidemment, la réussite est loin d’être totale. Mais qu’espérions-nous au juste? Si tous, autant que nous sommes dans cette salle – ceux, tout au moins, qui étaient déjà nés à l’époque – nous nous demandions si en 1950 nous aurions cru possible d’être aujourd’hui réunis dans une Assemblée comme celle-ci, l’honnêteté nous obligerait sans doute à reconnaître que personne n’y aurait cru. Or, combien de temps s’est-il écoulé depuis? Quarante ans. Et qu’est-ce que quarante ans au regard de l’histoire de l’Europe? Rien, absolument rien, un tout petit morceau de la grande tapisserie du temps. C’est pourquoi, nous qui luttons pour l’Europe, nous ne devrions pas prononcer ce mot de «crise».
Deuxièmement, je crois qu’il s’agit d’une discussion très germanique – nous avons tendance à faire de tout matière à philosopher – lorsque nous parlons de «deux vitesses». Je dois dire – et peut-être est-ce pour cela que je ne passe pas, à vos yeux, pour un véritable Allemand – que, de ce point de vue, je suis très pragmatique. Je souhaite que le train continue à rouler, et, pour que cela aussi soit clair, le plus vite possible. Si les Suisses disent aujourd’hui – c’est un de vos collègues suisses qui a abordé cette question – nous ne sommes pas encore prêts à vous suivre, il faut tenir compte de l’histoire de la Suisse et de bien d’autres choses encore. Mais je suis absolument persuadé, mon cher collègue, que lors de la troisième consultation les Suisses diront «oui» – et je vais vous dire pourquoi – parce que, lors du troisième référendum, les Suisses feront un calcul – ils calculent très bien – et ils constateront une chose, ils verront qu’il est bon pour le franc d’être dans l’union économique et monétaire. Et, à ce moment-là, ils voteront oui. (Vifs applaudissements)
Je dis cela sans la moindre intention critique, mais au contraire avec beaucoup de respect. Il aurait été à souhaiter que les Allemands, tout au long de leur histoire, sachent mieux faire leurs calculs. Nous nous serions épargnés bien des malheurs. Ne voyez donc dans mes propos aucune ironie.
Mais venons-en aux Douze. On dit que l’un ou l’autre d’entre eux pourrait ne pas suivre le mouvement. Je ne le crois pas. Je suis convaincu que le Traité de Maastricht sera ratifié par l’ensemble des Douze. Néanmoins, pour le cas où l’un ou l’autre prendrait la décision contraire, la règle doit être la suivante. Ce n’est pas le bateau le plus lent qui détermine la vitesse du convoi. Mais ils y viendront tous par la force des choses. Nos collègues norvégiens dans cet hémicycle doivent parfois se dire: si seulement nous avions franchi le pas à l’époque, nous aurions évité tous ces ennuis et nous aurions progressé! Croyez-moi, le train de l’Histoire, même si l’on en doute, va vers l’unité européenne. (Applaudissements)
Je sais, bien sûr, qu’un peu partout dans les chancelleries les vieux documents existent toujours. Il est difficile aujourd’hui d’admettre qu’à l’époque, en 1919, à Saint-Germain et au Trianon, lors de la création de la Yougoslavie, on n’a sans doute pas vu certaines choses qu’il n’est plus possible d’ignorer aujourd’hui; notre génération a en quelque sorte reçu ce problème en héritage. C’est pourquoi il ne faut plus l’esquiver.
L’Europe dont je parle constitue un ensemble indépendant, lequel d’ailleurs ne s’oppose pas aux Etats-Unis. J’ai toujours affirmé que pour la politique de l’Allemagne il n’y a pas d’alternative «ou bien, ou bien» mais un double souci. Je suis, certes, un partisan fervent de l’Alliance atlantique, mais cela ne nous empêche pas, en Allemagne et en Europe, d’aller de l’avant.
Ainsi, la Brigade franco-allemande, dont je suis le cofondateur, n’a pas été créée «contre» qui que ce soit. Je pense, au contraire, qu’au cours de l’année une ou deux nations européennes s’y joindront. Cette initiative n’est dirigée contre personne. Mais – nous en parlions encore il y a peu avec François Mitterrand, lors de sa visite à Bonn – que des jeunes Allemands servent dans une unité française et que des jeunes Français effectuent leur service national dans une unité allemande, c’est quelque chose de fantastique!
Réfléchissons un instant à ce que cela implique. Ils n’en resteront pas moins allemands ou français. Il faut nous habituer à penser selon les mêmes critères que ces jeunes gens qui, au XXIe siècle, s’engageront sur une autre voie que la nôtre.
Pour ce qui est de Vienne, je ne puis qu’affirmer que je suis favorable à tout ce qui pourra nous faire avancer sur la voie de l’union. Je suis, en particulier, favorable à ce que Vienne lance le message suivant en direction des pays qui aujourd’hui s’engagent sur le chemin de la démocratie: notre soutien n’est pas que verbal, il est aussi effectif. Des encouragements verbaux, les Russes, les Ukrainiens, etc., en reçoivent tous les jours. Mais lorsqu’il s’agit, par exemple, de combattre la formidable menace que représentent leurs centrales nucléaires dépourvues des normes de sécurité modernes, il faut bien voir les conséquences que cela peut avoir pour des millions d’êtres humains. On attend de nous une aide et pas seulement des documents solennellement paraphés.
Si l’on va à Vienne pour travailler, si l’on doit y prendre des décisions concrètes, alors je suis pour; cette conférence sera une bonne chose. Et je pense que cela a toutes les chances d’être le cas. (Vifs applaudissements)
M. COLUMBERG (Suisse) (traduction)
Monsieur le Chancelier, vous avez à l’instant parlé de Vienne et du risque qu’il n’en sorte que de belles paroles.
Etes-vous prêt à prendre des initiatives concrètes afin que la préparation de ce sommet soit suffisamment sérieuse, pour que Vienne soit un succès pour le Conseil de l’Europe, c’est-à-dire qu’il contribue au renforcement et à la promotion de cette institution, et se solde par un franc succès pour l’Europe?
M. BONNICI (Malte) (traduction)
Monsieur Kohl, vous avez déclaré publiquement que vous souteniez la demande d’adhésion de Malte à la CEE et que Malte devrait faire partie du premier processus d’élargissement. Lors de la session commune du Parlement européen et du Parlement maltais, qui s’est tenue la semaine dernière, le représentant de la Commission européenne a estimé que, bien que l’accord sur la demande d’adhésion de Malte soit prêt, la Commission attendait le feu vert du Conseil des ministres. Pouvez-vous nous expliquer la raison du retard dans la publication de cet accord? Comment pourrait-on accélérer le processus, qui semble trop lent dans le cas de Malte?
M. BOLINAGA (Espagne) (interprétation)
demande comment l’Europe assurera une place harmonieuse aux minorités nationales qui ne constituent pas un Etat. Il demande également au Chancelier de préciser sa conception du fédéralisme et de la subsidiarité.
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
Tout d’abord, en ce qui concerne la question du fédéralisme, je suis un fédéraliste convaincu, mais je ne suis pas là pour donner des conseils aux autres. Chaque pays d’Europe a sa propre tradition et sa propre histoire. La phrase la plus stupide de l’histoire récente de l’Allemagne disait que le modèle allemand ferait du bien au monde entier. Oubliez cette phrase, je vous en prie! Elle n’existe plus! Autrement dit, nous avons notre propre expérience, vous avez chez vous la vôtre. Cependant, le fédéralisme me semble être la structure la mieux adaptée aux conceptions de nos contemporains. Or, le principe de la subsidiarité consiste précisément à prendre des décisions au niveau le plus proche du citoyen et non pas à venir d’un centre lointain.
Il est intéressant, du reste, de noter que tous les grands Etats centralisés du monde sont à l’heure actuelle soumis à un processus fédéralisateur de ce type. J’ajouterai, pour éviter tout risque de confusion, que fédéralisme n’est pas synonyme de séparatisme, mais qu’au contraire il s’agit de respecter, dans un même pays, les spécificités existantes. En Allemagne, le fait est, par exemple, que les Bavarois ont une conscience d’eux-mêmes différente de celle des Allemands du Nord, des Berlinois ou d’autres.
Quant à moi, je suis originaire d’une région proche d’ici, du Palatinat. Le Palatinat est mon pays natal; l’Allemagne, ma patrie; l’Europe, mon avenir! C’est ainsi que je voudrais le formuler.
Si j’ai bien compris le sens de votre question, vous pensez qu’en Espagne, par exemple, on se trouve dans une région et que l’on n’a plus besoin de l’Etat Espagne. Ce n’est évidemment pas ainsi que je conçois le fédéralisme, je tiens à le dire clairement. Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi cette formule ternaire.
La subsidiarité signifie, pour moi, que le sens de la démocratie – et, au-delà, la vision que les citoyens ont du monde – est tel que – particulièrement pour la jeune génération – ils ont conscience que cet Etat est une nécessité, ils savent ce que la société exige en matière de droits et de devoirs. Cependant, ils n’entendent pas que les choses se fassent par décret, ils veulent être en mesure de comprendre les tenants et les aboutissants. C’est là une énorme différence. L’Etat absolu d’autrefois est mort, en dépit du fait que nombre de bureaucrates ne l’admettent pas encore. Aux yeux de la jeunesse, cet Etat-là est mort depuis longtemps. Cela relève aussi de la démocratie vivante, c’est une force qui peut rayonner, entre autres, du Conseil de l’Europe vers les nouvelles démocraties qui construisent non sans peine leur avenir, mais qui ne peuvent, comme la Russie, passer de 1917 à 1990, faire leur apprentissage du jour au lendemain. D’autant qu’il est impossible, avec la meilleure volonté, de dire qu’en 1917 une démocratie florissante régnait dans ce pays. Cela non plus ne saurait être purement et simplement effacé.
Concrètement, cela signifie pour moi que nous devons traduire ce terme de «subsidiarité» dans les faits. Je suis un partisan de l’autonomie des collectivités locales. Je crois que l’Europe exercera une puissante influence positive si le niveau le plus bas de la structure étatique, la commune, est encore renforcé. En second lieu vient ce que nous appelons les «Länder», que d’autres appellent «régions». A ce niveau-là aussi, il faut intensifier la coopération.
Pour ce qui est de mon pays, l’Allemagne, je ne prendrai qu’un seul exemple: l’amitié franco- allemande – nous avons déjà évoqué les relations entre les gouvernements. Cette amitié a été encouragée surtout par le jumelage entre les communes. C’est ainsi qu’en Allemagne plus de 3 000 communes, grandes villes et petits villages sont jumelés avec des communes de France. Il ne s’agit donc pas uniquement de François Mitterrand et d’Helmut Kohl, ni d’Adenauer et de de Gaulle. C’est une chose, s’ils s’entendent bien, cela ne gâte rien. Mais ce qui est déterminant, c’est que les maires, les conseils municipaux, les clubs sportifs, les écoles se rendent mutuellement visite.
A l’heure actuelle, nous tentons – non sans mal – de mettre sur pied quelque chose de similaire avec la Pologne. La base de tout dans ce domaine est que les gens doivent se rencontrer, pas seulement les officiels, encore qu’il n’y ait pas de mal à ce que des conseillers municipaux français et allemands se rencontrent pour râler ensemble sur ce que font Bonn ou Paris. Voilà un terrain d’entente très européen. (Rires)
La liste peut être étendue à loisir.
En ce qui concerne Malte, je n’ai pas d’objection, j’ai toujours été favorable à cette candidature.
M. van der LINDEN (Pays-Bas) (traduction)
Je tiens tout d’abord, Monsieur le Chancelier, à vous remercier de votre allocution dont vous avez déjà livré la teneur à votre parlement la semaine dernière, avec un écho très favorable.
Voici ma question. N’est-il pas nécessaire que soient prises de nouvelles initiatives, en ce qui concerne l’évolution de la situation dans les pays d’Europe centrale et orientale, pour la raison que cela est indispensable à notre propre stabilité? La République Fédérale d’Allemagne est très active dans ce domaine, mais il me semble que les autres Etats membres du Conseil de l’Europe le sont déplorablement peu.
J’aimerais que vous nous précisiez quelles sont, à votre avis, les initiatives que nous pourrions prendre.
M. MUEHLEMANN (Suisse) (traduction)
Monsieur le Chancelier, vous avez la réputation d’être un éminent spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Au bout de sept années, le cours des réformes engagées par Gorbatchev s’est quasiment arrêté, nous assistons même à une «restauration».
Que pouvons-nous faire de l’extérieur pour débloquer la situation et, par exemple, garantir les droits de l’homme, et pour redonner de l’élan au processus de démocratisation?
M. PECCHIOLI (Italie) (traduction)
Monsieur le Chancelier, votre gouvernement est fortement engagé sur le plan économique dans l’unité allemande. La question que je vous pose est la suivante: le très gros effort que l’Allemagne fait pour l’unité allemande ne peut-il pas en quelque sorte avoir une influence négative, en premier lieu sur le processus d’unification européenne; en deuxième lieu, sur l’aide et la contribution que l’Allemagne peut et doit donner aux pays ex-communistes; et enfin, sur l’aide que le monde entier attend de l’Allemagne pour lutter contre le sous-développement des pays du tiers monde?
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
Je l’ai déjà dit et je le répète volontiers, si l’on considère le laps de temps dont, en ce siècle, la Russie a disposé pour évoluer vers la démocratie, il est évident que des difficultés telles que celles que nous connaissons dans les nouveaux Länder de l’Allemagne ne sont rien en comparaison de celles auxquelles doit faire face la Russie. C’est pourquoi je considère que les attentes de l’Occident sont, pour une bonne part, tout simplement déraisonnables. Qu’espérions-nous donc? Que le parti communiste disparaîtrait du jour au lendemain pour laisser la place à une démocratie florissante et tout ce qui va avec? Nous devrions, pour être honnêtes, considérer un instant l’histoire de nos pays respectifs et réfléchir au temps qu’il nous a fallu pour arriver à un niveau de démocratie tel que celui qu’à juste titre nous tenons, ici au Conseil de l’Europe, pour allant de soi. Si l’on se place dans cette perspective, on n’a, je pense, aucune raison d’affirmer que les Russes n’y arriveront pas.
La Russie est un pays puissant, avec un grand peuple, un peuple animé d’une force dynamique, quasi mythique, et dont la culture fait partie des grandes cultures du monde. Aujourd’hui, les Russes doivent se retrouver eux-mêmes. Ils attendent de nous non pas une tutelle morale, mais une aide véritable. Une aide matérielle qui, par la force des choses, sera limitée et ne pourra que les aider à s’aider eux-mêmes. A quoi cela servirait-il de soutenir, là-bas, des projets qui ont perdu leur intérêt et ne sont pas viables.
Il faut les aider à se tirer d’affaire eux-mêmes, leur fournir une aide intellectuelle en matière de formation à l’économie politique, par exemple, et en bien d’autres domaines. L’Europe pourrait faire bien plus encore que ce qu’elle fait actuellement, sans pour cela investir nécessairement beaucoup plus de moyens financiers.
Nous avons tous des universités. Si toutes celles qui, dans les pays représentés ici, sont en mesure de le faire décidaient de conclure un véritable partenariat avec une université russe, ukrainienne ou d’un autre Etat de la CEI, cela ne coûterait pas très cher. Si nous parvenions à réaliser cela, des jeunes qui font leurs études à Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Novossibirsk ou ailleurs pourraient se dire: «Nous faisons partie d’un seul et même monde, les gens nous apprécient, ils ne nous craignent plus, ils sont ouverts et prêts à partager nos connaissances et notre expérience.» Il y aurait encore beaucoup à faire dans ce sens.
Mais il est une chose que le Conseil de l’Europe peut faire. Si la Russie frappe à la porte et demande le statut de membre, la réponse doit être «oui», mais à une condition: la norme élevée que le Conseil de l’Europe a fixée doit être respectée. Il ne faut pas, dans le but de faciliter les choses, mettre la barre plus bas. Ce serait une très mauvaise politique, l’inverse précisément de ce qui est requis. En effet, exiger que soient respectées les normes posées par cette institution, c’est mettre un homme comme Boris Eltsine dans les meilleures conditions possibles pour faire avancer les choses dans son pays. Parmi les conditions préalables, il faut un parlement digne du nom. Il faut aussi une justice véritablement indépendante.
Pour ce qui est de la question suivante: c’est un argument qui revient sans cesse et il n’est pas facile d’y répondre. A mes yeux, la réunification de l’Allemagne ne constitue un danger pour personne. Bien au contraire, j’ai toujours pensé que, si les Allemands s’occupaient de leurs affaires, les gens qui ont encore des craintes penseraient que nous avons effectivement à faire. Tout le monde devrait donc être satisfait de voir que nous sommes pleinement occupés et je ne vois pas, de ce point de vue, de raisons d’être inquiet.
Nous avons évidemment aujourd’hui des difficultés, parce que le drame de l’effondrement de l’économie conjugué à l’effondrement économique de l’ex-Union Soviétique nous a atteints de plein fouet. Mais vous pouvez être assurés que des pays florissants verront le jour dans ces régions. Certes, cela prendra quelques années de plus que ce que j’avais imaginé – et d’autres avec moi – mais l’économie allemande est capable de relever ce défi. Le problème des Allemands n’est pas de ne pas en être capables, la question est de savoir reconnaître qu’avec l’unification allemande et la fin du conflit Est-Ouest nous sommes entrés dans une ère nouvelle, qu’il faut changer de mentalité, qu’il n’est pas possible dans les Länder de l’Ouest de continuer à vivre comme avant, en pensant que tout cela ne nous concerne pas. Nous continuerons certes à vivre dans de très bonnes conditions, mais peut-être pas avec chaque année une croissance de tant et tant de pourcent. En d’autres termes, il faudra accepter l’idée que, pendant un temps, le gâteau, tout en restant toujours aussi bon, ne grossira pas tous les ans.
De plus, si les Allemands ne parviennent pas à résoudre les problèmes économiques et sociaux liés à la réunification, vous qui êtes présents dans cette salle, vous douterez de l’Allemagne et vous vous direz sans doute: «Les Allemands ne sont décidément plus ce qu’ils étaient.» (Sourires) C’est là un argument suffisant – et je m’adresse aussi à mes compatriotes – pour revenir à la raison et nous mettre à vivre selon nos moyens.
Il est vrai – et il est bon d’en parler à propos du tiers monde – que nous ne pouvons évidemment pas tout faire en même temps. Nous en avons du reste parlé, l’an dernier, lors de la Conférence de Rio. Or, il y a actuellement une tendance, au sein des Nations Unies, que je ne puis accepter. On parle du tiers monde, mais on ne prend pas en considération la misère des pays d’Europe de l’Est ou des Balkans. Certes, nous avons à l’égard des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie une responsabilité toute particulière, mais je ne peux tout de même pas ignorer la réalité qui est que les populations des pays d’Europe centrale et des Balkans sont dans une situation économique extrêmement défavorable, parce que ces pays ne font pas partie du tiers monde, au sens traditionnel du terme. Si l’on vient me dire aujourd’hui que je ne fais pas assez pour le tiers monde, je serai obligé de répondre: «Faisons le total des sommes que nous consacrons à la stabilité en Europe centrale et dans les Balkans, et ajoutons-y l’aide au tiers monde!»
Il faudra bien du reste que certains, dans les pays du tiers monde – je pense, en particulier à certains chefs d’Etats ou de gouvernements que je rencontre – comprennent qu’ils doivent eux aussi changer de mentalité. Si l’un d’entre eux me demande de lui céder trois chars Léopard, et bien ce n’est pas ainsi que je conçois l’aide au tiers monde. Il est temps de nous interroger – sans qu’il s’agisse le moins du monde de mise sous tutelle – sur la destination de ces crédits. En effet, et cela aussi doit être dit, cet argent est celui du contribuable, c’est l’argent de nos concitoyens et nous leur devons des comptes.
M. REHN (Finlande) (traduction)
Le chômage augmente rapidement dans toute l’Europe et est à l’origine d’un pessimisme qui entrave le processus d’unification européenne. Pour mettre fin à une telle situation, l’urgence d’une action concertée des Européens s’impose afin de faire baisser les taux d’intérêts et de relancer l’investissement dans la production industrielle et dans les infrastructures. Devant la puissance économique et industrielle redoutable de l’Allemagne et les responsabilités qu’une telle situation entraîne pour toute l’économie européenne, je voudrais savoir si l’Allemagne peut participer à ce genre de politique européenne de relance?
M. HUGHES (Royaume-Uni) (traduction)
La presse britannique a, à plusieurs reprises, accusé l’Allemagne d’être responsable des taux d’intérêts élevés qui ont contribué à créer et à aggraver la récession actuelle. Ceux-ci sont dus en partie à l’inflation allemande, elle-même née de l’unification.
Confirmez-vous une telle analyse? Si oui, n’êtes- vous pas inquiet de ses répercussions néfastes sur les monnaies britannique, irlandaise, espagnole et portugaise? Quel avenir voyez-vous pour le mécanisme de définition des parités monétaires dans un tel contexte?
M. VALLEIX (France)
Monsieur le Chancelier, l’unification de l’Allemagne et la fin de la guerre froide sont des événements heureux et historiques.
L’effort de votre pays pour redresser l’ex-RDA passe, notamment, par l’appel à l’épargne internationale plus souvent que par l’augmentation de l’impôt. Cela pose problème parfois à cause des taux d’intérêts élevés qui en résultent: ils pèsent aussi bien sur l’Europe que sur votre pays.
Je reviens à la question de M. Rehn: envisagez- vous, soit vous-même, soit la Bundesbank, des mesures prochaines afin de nous libérer quelque peu de cette servitude?
M. GONZALEZ LAXE (Espagne) (interprétation)
relève que le Chancelier a lié union économique et monétaire et union politique, mais il se demande si la politique de taux d’intérêts élevés menée par l’Allemagne, qui est responsable de la tempête monétaire de septembre dernier et des récentes semaines, ne constitue pas un obstacle à la construction européenne en condamnant par avance tout espoir de convergence.
M. BANKS (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur le Chancelier, vous nous avez demandé de ne pas prononcer le mot de «crise», aussi devrais-je peut-être dire que nous avons beaucoup de problèmes de parités monétaires. Il est clair que le marché unique ne peut résister à des fluctuations d’une telle ampleur. Le moment n’est-il pas venu de passer le plus rapidement possible à la monnaie unique et de réagir contre des spéculateurs parasites en réalignant le mécanisme des parités monétaires?
M. GARCIA SANCHEZ (Espagne) (interprétation)
qui a noté que le Chancelier avait accordé peu de place à l’économie dans son discours, lui demande si l’on peut s’attendre à une évolution en matière de taux d’intérêt au cours du second semestre.
Sir Dudley SMITH (Royaume-Uni) (traduction)
Je partage les sentiments que vous avez exprimés au sujet de la langue allemande, Monsieur Kohl, et je vois d’un bon œil votre proposition d’en faire l’une des langues officielles du Conseil de l’Europe. Considérez-vous qu’il devrait en être de même de l’italien et de l’espagnol? Cela entraînerait de grosses dépenses. Quand vous arriverez à Vienne pour le Sommet du Conseil de l’Europe, ou si l’occasion se présente avant, direz-vous aux autres chefs d’Etat que le financement du Conseil de l’Europe devrait être beaucoup plus réaliste si celui-ci doit développer ses travaux?
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
J’aimerais, tout d’abord, revenir sur ce qui vient d’être dit. Si l’on considère la carte de l’Europe et le nombre des germanophones, il me semble que notre vœu n’est pas illégitime. Ce qui ne veut pas dire que j’ai quoi que ce soit contre les autres langues. Je dois cependant dire en toute honnêteté que, quand je vois tout ce pour quoi on trouve de l’argent en Europe, l’argument financier me paraît assez curieux. En effet, que n’avons-nous pas financé en Europe, ces quarante dernières années! Je parle là de tous les domaines. Cela étant, je trouve que s’agissant de la langue, des traductions et tout ce qui s’y rattache, l’argument financier n’est guère convaincant!
Je n’ai bien sûr pas parlé de questions économiques, parce que cela n’entrait pas véritablement dans notre thème d’aujourd’hui. Mais cela ne me pose pas de difficultés particulières.
Il faut que je vous dise que je ne développe pas mes arguments pour la presse britannique, ni d’ailleurs pour aucune presse. Et si je voulais m’associer à une partie de la presse allemande, je ne serais pas ici en qualité de chancelier fédéral, j’aurais disparu depuis longtemps! C’est pourquoi je m’efforce de structurer mes arguments d’une manière quelque peu différente.
Il n’y a guère d’intérêt, me semble-t-il, à désigner des boucs émissaires. Je voudrais seulement dire la chose suivante à nos collègues britanniques: sauf erreur de ma part, la réunification allemande a eu lieu en 1990, mais je n’ai pas souvenir qu’en 1980 la situation économique en Grande-Bretagne ait été brillante! (Rires)
Non, cela n’a aucun sens de rejeter tout sur les Allemands! C’est une vieille ficelle bien commode. Je pourrais riposter, mais je n’en ferai rien!
L’unification allemande a été, durant ses deux premières années, une excellente affaire pour les Européens et pour les Allemands aussi. En effet, si vous prenez le résultat des exportations vers l’Allemagne – le Président, qui est espagnol, pourra vous confirmer les chiffres – vous verrez qu’en 1990, dans le cas de l’Espagne, elles sont passées à 41% en raison de l’unification allemande. C’était d’ailleurs tout à fait normal!
Naturellement, nous connaissons des difficultés. Cependant, je me dois de poser une fois encore les principes. Nous avons une banque centrale totalement indépendante. Beaucoup persistent à ne pas le croire. En ce qui me concerne, je suis résolument favorable à ce que la Bundesbank demeure indépendante, même si certains jours, seul, derrière mon bureau, je me surprends à me dire: «Ah, si seulement je pouvais donner un petit tour de vis, cela nous serait bien utile.» Mais ce serait une erreur. Et ma conviction profonde est qu’il est essentiel que, dans l’union monétaire qui se forme, nous ayons une banque centrale européenne qui n’ait d’obligation qu’à l’égard de la stabilité monétaire.
Nous devons considérer deux choses. Il faut tout faire pour relancer l’économie mondiale. El, indépendamment de l’évolution en Europe centrale, nous entrevoyons, pour la première fois, des perspectives favorables pour la conjoncture économique américaine. En effet, l’économie américaine marquait un ralentissement sans lien aucun avec la réunification de l’Allemagne. Tous ces arguments sont donc sans valeur; il suffit, du reste, pour s’en convaincre, de regarder le calendrier des événements.
En Allemagne, notre objectif – et cela relève de notre responsabilité, parce que le deutsche mark, qu’on le veuille ou non, est une monnaie clé – doit être d’en terminer le plus rapidement possible avec ce que nous avons à faire chez nous, cela conditionne la baisse des taux d’intérêts. Or, nous sommes engagés dans ce processus délicat et toutes les critiques à mon endroit que vous pouvez lire actuellement dans la presse y sont liées.
Au cours des deux dernières années, le taux de progression des salaires fixés par les conventions collectives a été trop élevé. Nous sommes aujourd’hui engagés dans des négociations décisives en ce qui concerne le rythme de progression des rémunérations dans la fonction publique et dans d’autres conventions collectives. Nous sommes en train d’essayer d’économiser des milliards et des milliards, c’est-à-dire de réduire le train de vie de l’Etat. Comme le font aussi en principe, à l’heure actuelle, tous nos partenaires en Europe. En d’autres termes, nous devons maintenant, dans les quelques mois ou semaines à venir – c’est à dessein que je parle de semaines, car les décisions interviendront d’ici à trois semaines, quatre au plus – prendre des mesures rigoureuses afin de créer des conditions préalables à une baisse des taux d’intérêts.
Lorsque vous parlez des taux d’intérêts, je vous prie de considérer que les intérêts des capitaux investis ne sont pas particulièrement élevés. Cet argument est donc pour beaucoup une excuse. Il convient d’y regarder de très près pour avoir une vision exacte de ces choses.
Puisqu’on en a parlé et parce que j’y attache beaucoup d’importance, je suis profondément convaincu que nous avons besoin du SME, et de manière urgente, mais à titre d’étape préliminaire, l’union monétaire devant rester notre objectif. Mais l’union
monétaire est elle-même la principale condition préalable pour pouvoir, en matière de spéculation internationale, lutter contre les turbulences qui ont agité le marché monétaire au cours des derniers mois, des dernières semaines. Or, nous n’éviterons ces phénomènes que si nous parvenons aussi vite et aussi bien que possible à l’union monétaire par le biais, entre autres, d’une convergence de nos politiques économiques.
Je ne pourrai pas vous apporter en quelques mots la preuve formelle de ce que je vais avancer maintenant, mais je vais quand même le dire ici haut et fort, pour qu’on l’entende dans l’Europe entière, l’expérience que j’ai des turbulences monétaires que nous avons connues ces derniers mois m’incline à penser que des forces sont peut-être à l’œuvre pour déclencher ces turbulences dans le seul but d’empêcher l’union monétaire de voir le jour. C’est l’impression que j’ai personnellement – et je ne suis pas le seul – sur la base d’un bon nombre d’indicateurs. J’en tire donc la conclusion inverse qu’il nous faut aller de l’avant aussi vite que possible.
Pour résumer la situation en deux phrases: premièrement, vous pouvez être assurés que moi- même et le gouvernement que je dirige nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour mener une politique sévère en matière budgétaire et, au plan économique, une politique propre à réduire le plus rapidement possible le taux d’inflation. Car l’inflation pèse toujours lourd sur les larges couches de population que représentent les petits revenus.
Deuxièmement, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour créer les conditions indispensables à ce que soient prises, dans le domaine des taux d’intérêts, les décisions qui s’imposent. J’ai la conviction, du reste, que ce à quoi nous réfléchissons actuellement au sein de la CEE portera des fruits dans ce domaine-là aussi.
LE PRÉSIDENT (traduction)
J’appelle les questions relatives aux relations entre les communautés en Allemagne. La parole est à M. Wielowieyski.
M. WIELOWIEYSKI (Pologne)
Monsieur le Chancelier, l’Allemagne et la Pologne ont garanti, par le traité de novembre 1990 et par la lettre échangée ensuite, aux citoyens d’origine allemande, en Pologne, et d’origine polonaise, en Allemagne, la possibilité de développer leur identité culturelle. Cela concerne aussi des citoyens polonais habitant depuis longtemps en Allemagne. Je fus interpellé à Berlin et à Hambourg au sujet des difficultés que ces personnes, d’ailleurs très nombreuses – des centaines de milliers – rencontrent quant à leurs besoins culturels.
Voyez-vous, Monsieur le Chancelier, la possibilité d’un changement essentiel dans ce domaine?
M. KARAKAS (Turquie) (traduction)
Monsieur le Chancelier, comme vous l’avez souligné dans votre discours, l’an dernier, en Allemagne, un certain nombre d’étrangers, mais surtout des ressortissants turcs, ont été victimes d’attentats et d’agressions racistes. J’aimerais vous demander quelles mesures concrètes votre gouvernement oppose à cette dangereuse dérive. Merci beaucoup.
M. PILARSKI (Pologne)
Monsieur le Chancelier, depuis trois ans, l’Allemagne et la Pologne sont entrées dans une phase de coopération tout à fait nouvelle. Aujourd’hui, je me permets de vous poser encore une question économique concernant le marché du travail.
Il est très important pour les travailleurs polonais, au-delà des questions de salaire, d’avoir la possibilité de connaître pratiquement les mécanismes modernes des entreprises allemandes, qu’il s’agisse de leur organisation ou de leur efficacité, entre autres.
M. FOSCHI (Italie) (traduction)
Monsieur le Chancelier, parmi les problèmes les plus complexes, on trouve au centre de l’actualité celui de l’émigration et des demandeurs d’asile dont l’Allemagne est l’épicentre. Quelles initiatives jugez-vous nécessaires pour réaliser une politique européenne de l’immigration authentique, dans les rapports Est-Ouest et Nord-Sud, en valorisant le rôle du Conseil de l’Europe au-delà des frontières de la Communauté des Douze?
M. KILIÇ (Turquie) (interprétation)
qui est président du groupe de l’amitié parlementaire germano-turque, expose les difficultés que cette association rencontre en Allemagne.
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
Je n’ai tout simplement pas compris la dernière question. Je ne sais pas qui, en Allemagne, vous importune quand vous travaillez à l’amitié germano-turque.
Pour ce qui est des relations entre l’Allemagne et la Turquie, il convient de dire que nos deux nations ont tissé entre elles des liens déjà anciens, très étroits et très amicaux. Il y a peu de pays avec lesquels l’Allemagne ait eu, à travers les siècles, et a encore aujourd’hui, une relation aussi suivie et aussi directe. Nous n’en avons été que plus bouleversés par ce qui est arrivé à certains citoyens turcs du fait de la xénophobie et du racisme, avec leur cortège d’infamies. Mais ce n’est tout de même pas, permettez-moi de le souligner, la règle générale.
Il y a dans notre pays plus de deux millions de Turcs. Dans ma ville d’origine, Ludwigshafen, qui compte environ 150 000 habitants, vivent environ 20 000 étrangers, dont 6 500 à 7 000 Turcs. Ils vivent parmi nous, depuis de longues années déjà, sans connaître de véritables problèmes – du moins avec les Allemands. Ils mènent leur propre vie. De plus, les recettes de cette ville ne seraient pas ce qu’elles sont sans la présence de la main-d’œuvre que représente cette communauté turque. C’est nous qui sommes allés les chercher. Ils ne sont pas venus d’eux-mêmes, nous les avons invités à venir chez nous, ils vivent parmi nous, ils travaillent avec nous. Là n’est pas le problème. On a tendance à tout mélanger, même la question des demandeurs d’asile. Je vais d’ailleurs y revenir.
Il est évident que chaque jour amène son lot de difficultés. Je peux prendre un exemple concret dans ma ville natale. Des familles turques y vivent depuis vingt ou trente ans, leurs enfants y ont grandi. Ils vivent, pour ainsi dire, entre deux cultures, et souvent aussi entre deux chaises. Ils fréquentent des écoles allemandes, ils sont membres d’associations sportives allemandes, ils ont des amies ou amis allemands. Et si jamais se produit un fait conforme à la tradition, parce que la famille est originaire d’Anatolie – le cas s’est produit et on en a beaucoup parlé – si, disais-je, un père décide de marier sa fille de seize ans et que cette dernière refuse, et que toute l’école prend le parti de la jeune fille, il ne s’agit pas d’inimitié germano-turque, mais du heurt de deux cultures, chose difficilement, très difficilement supportable pour un être humain. Il faut être conscient de cette réalité qui a évidemment des répercussions considérables.
Mais, d’une façon générale, je veux seulement dire que nous aurons à modifier notre droit de l’immigration, dans le cas de ceux qui sont nés chez nous et qui veulent y rester, et qui acquièrent ainsi la nationalité. Il faut bien voir aussi qu’un certain nombre de nos concitoyens turcs n’ont absolument pas envie de changer leur mode de vie.
J’aimerais ajouter une chose encore, si vous allez dans une grande ville allemande, vous y verrez dix ou douze mosquées. J’ai demandé un jour à un ami turc: que dirais-tu si, brusquement, l’on décidait d’implanter dix ou douze monastères catholiques en Anatolie? Il faut tout simplement reconnaître qu’il n’y a pas là d’animosité politique, mais de vives oppositions culturelles.
La Turquie n’en est pas moins l’un des pays les plus importants d’Europe, de la sphère européenne. Ma politique est sans ambiguïté; elle consiste à rechercher des solutions qui nous permettront, à l’avenir également, de vivre en bonne intelligence.
Je le répète encore une fois, chez moi, ou dans mon entourage, il est inconcevable que se développe une inimitié contre les Turcs ou que l’on veuille les renvoyer chez eux. Si nous le voulions, il faudrait aussi reconnaître qu’avec les temps de travail que nous pratiquons sur une vie, par an, par mois, par semaine, il nous serait tout à fait impossible de maintenir notre produit national brut à son niveau actuel.
Venons-en maintenant à la question des demandeurs d’asile. C’est une question qui n’a rien à voir avec la précédente et il est regrettable que l’on fasse, tant chez nous qu’au niveau international, cette confusion entre la question des travailleurs immigrés et celle de l’asile. Mesdames, Messieurs, l’an dernier, le nombre des personnes accueillies en Allemagne pour des raisons économiques s’élevait à 450 000. Que chacun, ici présent, veuille bien se donner la peine de réfléchir à ce que représente ce chiffre, converti en pourcentage de la population de nos pays respectifs. A quel chiffre arriveriez-vous pour votre pays? Et considérez aussi le montant des aides sociales que verse l’Etat allemand à chacun de ces demandeurs d’asile. Quel serait, à votre avis, la réaction de vos concitoyens? C’est en ces termes qu’il convient de poser le problème.
La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est la suivante: les problèmes du globe ne sauraient être résolus en Allemagne. Je comprends parfaitement ceux qui, un peu partout dans le monde, n’entrevoient chez eux aucune perspective d’avenir, et ont brusquement la possibilité de venir en Allemagne. En vérité, ce qui les intéresse, c’est non pas de venir en Allemagne, mais au pays du deutsche mark. C’est ça la réalité. Ils veulent une vie sociale différente. Mais cela, ils ne pourront l’obtenir en venant chez nous de plus en plus nombreux. Si, comme cela s’est déjà produit, un avion en provenance du Sri-Lanka se pose à Francfort et que les passagers qui en descendent n’ont aucun motif racial, politique ou religieux pour demander l’asile, mais sont là pour des raisons économiques, au demeurant fort compréhensibles, nous ne pouvons en pareil cas résoudre leurs problèmes en Allemagne.
Disons, pour être tout à fait clair, que nous ne le pouvons pas davantage en Europe. Il nous faut donc, pour des raisons élémentaires, une politique européenne commune en matière d’asile. En effet, il ne faudrait pas croire que l’on puisse régler ces problèmes différemment à Vienne et à Francfort, ou à Francfort et à Rome. L’évolution va dans ce sens et plus l’Europe retrouvera sa stabilité économique, quand nous aurons surmonté l’actuelle récession, plus les populations de tous les pays en situation précaire se sentiront incitées à venir chez nous.
Il y a encore une chose que je voudrais dire clairement. Lorsque notre Constitution a été rédigée, en 1948, ses rédacteurs – des hommes et des femmes remarquables – qui avaient tous fait l’expérience du nazisme, des camps de concentration et des prisons, ont tenu à inscrire dans la Loi fondamentale – c’est la seule Constitution au monde où cela figure – le droit à l’asile pour des raisons politiques, raciales ou religieuses. Personne ne songe à remettre ce principe en cause. Nous n’avons encore jamais eu de problèmes avec les demandeurs d’asile politique. La difficulté vient de l’extraordinaire multiplication qui s’est produite depuis.
Il faut savoir – mais peu le savent – que, parallèlement aux demandeurs d’asile, nous avons des milliers d’Allemands, ou de descendants d’Allemands, venant par exemple de Roumanie ou de Russie, qui sont arrivés en même temps. Il y a en Russie plus de deux millions de personnes d’origine allemande, qui, à ce titre, disent aujourd’hui vouloir rentrer au pays. Nous devons donc chercher ensemble une solution raisonnable à ce problème.
En ce qui concerne la Pologne, je n’ai pas compris la question, ni la nature des difficultés que les Polonais connaîtraient en Allemagne. Il y a des secteurs géographiques, la Ruhr par exemple, où des ouvriers immigrés d’origine polonaise sont venus s’installer au début de ce siècle. L’un des clubs de football les plus célèbres d’Allemagne, Schalke 04, s’est distingué pendant des années grâce à des joueurs qui portaient des noms polonais. Quant à l’Eglise catholique, sans qu’il soit besoin d’un accord officiel – et cela ne date pas d’hier – demande que tout prêtre nommé dans cette région – au cœur de l’Allemagne – maîtrise la langue polonaise, de manière à pouvoir entendre les confessions et à assurer le culte et tous les devoirs de sa charge en polonais. Je ne peux vraiment pas dire qu’il y a des problèmes dans ce domaine.
Notre histoire avec la Pologne est certes complexe, mais ce que nous sommes parvenus à réaliser avec la France, nous devons aussi l’accomplir avec la Pologne. Il y faudra néanmoins du temps. Je ne peux qu’affirmer une fois de plus, et passionnément, notre volonté de consolider encore la paix, l’amitié et le partenariat avec la Pologne. Dans cet esprit, nous sommes déterminés à développer fortement nos relations économiques avec la Pologne, ce qui n’est pas toujours facile, parce que certains en Pologne disent déjà – ce que je peux certes comprendre, mais pas accepter, parce que c’est totalement faux – que la germanisation de l’économie polonaise est en marche.
Vous voyez, quoi que nous entreprenions, le procès d’intention n’est pas loin, et il nous faut vivre avec. Mais nous avons réussi avec la France, et nous réussirons avec la Pologne.
Je dois cependant vous parler également de ce que nous ne pouvons pas faire. Nous ne pouvons pas ouvrir totalement le marché du travail en Allemagne. Nous avons, pour l’heure, à résoudre nos propres difficultés. La Communauté européenne a aujourd’hui un marché unique de l’emploi. C’est pourquoi il est impossible aujourd’hui d’ouvrir totalement les frontières à des pays non membres de la Communauté. Toutefois, en ce qui concerne la Pologne, nous avons fixé un quota que nous respecterons. Du reste, si vous allez aujourd’hui sur les grands chantiers en Allemagne, vous constaterez qu’on parle plus volontiers polonais qu’allemand. C’est là, soit dit en passant, un de nos problèmes: il y a trop peu d’Allemands qui veulent travailler sur nos chantiers. Mais cela est une autre histoire.
LE PRÉSIDENT (traduction)
J’appelle les questions sur la situation en Yougoslavie. Monsieur Hardy, vous avez la parole.
M. HARDY (Royaume-Uni) (traduction)
Etant donné le bilan de la réunification allemande et l’enquête circonstanciée qui a suivi les exportations d’armes vers l’Irak par son gouvernement en 1991, M. Kohl ne cherchera-t-il pas à faire usage et de ses prérogatives et des connaissances qu’il a acquises pour s’assurer que l’embargo sur les livraisons d’armes à l’ex-Yougoslavie est respecté? N’y sommes nous pas obligés si nous voulons que l’Europe prouve que, malgré son incapacité à déceler et à réagir à une crise, malgré l’égarement qui l’a poussée à ne pas s’élever contre le morcellement d’un Etat souverain, sans que des dispositions transitoires adéquates soient prises, nous pourrons cependant franchir le seuil du XXIe siècle avec quelque espoir de succès?
M. BAUMEL (France)
Monsieur le Chancelier, l’Europe est impuissante en Bosnie- Herzégovine, et l’ONU est bafouée à travers ses Casques bleus.
Quel est votre sentiment après l’échec de la Conférence de Genève?
Avez-vous une solution à proposer pour trouver un règlement politique dans l’affaire de la Bosnie- Herzégovine?
M. PANGALOS (Grèce)
Monsieur le Chancelier, nos opinions publiques semblent de plus en plus déçues par l’incapacité de la Communauté européenne de trouver une solution juste et durable au conflit yougoslave.
Parallèlement, l’initiative atlantique semble atteindre ses limites. Pensez-vous que le temps est venu pour la Communauté de prendre une nouvelle initiative diplomatique? Je pense surtout à une proposition franco-allemande. Ou allons-nous nous dessaisir du dossier yougoslave en faveur de l’ONU – ce qui revient à dire en faveur de la nouvelle administration des Etats-Unis?
M. MIMAROGLU (Turquie) (traduction)
Je voudrais savoir comment vous interprétez l’attitude de votre gouvernement envers la purification ethnique de Bosnie-Herzégovine. Quelle solution envisagez-vous pour résoudre ce problème?
M. FABRA (Espagne) (interprétation)
demande à M. Kohl ce qu’il compte faire au sujet des violations de l’embargo par des sociétés allemandes.
LE PRÉSIDENT (traduction)
J’appelle les questions sur les droits des minorités. La parole est à M. Kônig.
M. KÔNIG (Autriche) (traduction)
Permettez- moi, Monsieur le Chancelier, de vous exprimer à mon tour, en ma qualité de député autrichien, ma gratitude pour l’engagement personnel dont vous avez fait preuve pour assurer le succès du Sommet d’Edimbourg qui a ouvert, pour mon pays également, la voie aux négociations en vue de l’adhésion à la Communauté européenne.
Dans votre intervention, vous avez insisté sur l’importance d’un règlement équitable de la question des minorités. Le Gouvernement fédéral entend-il agir pour qu’intervienne, avant le Sommet de Vienne, la signature du protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme relatif à la protection des droits des minorités nationales?
M. ROKOFYLLOS (Grèce)
La question que je voulais poser au Chancelier Kohl, et que j’ai déposée hier, conformément au Règlement, portait sur la résurgence du nationalisme en Allemagne. Or, le Chancelier Kohl, dans son discours et dans des réponses qu’il a données à d’autres collègues, a déjà répondu sur ce point d’une façon exhaustive et satisfaisante.
Je retire donc ma question, tout en exprimant le souhait que les saines réactions continuent à se manifester au sein du peuple allemand et que les mesures prises par les autorités se révèlent draconiennes et efficaces.
M. GALANOS (Chypre) (traduction)
Chypre est le dernier pays d’Europe divisé du fait de l’intervention étrangère. Votre pays, Monsieur Kohl, a été divisé, et les troupes étrangères ont stationné dans une partie de l’Allemagne. Pourtant l’Allemagne a été l’un des pays fondateurs de la Communauté européenne, ce qui a finalement favorisé votre réunification. Que pensez-vous, Monsieur Kohl, de la demande d’adhésion de Chypre à la Communauté européenne? Nous espérons que notre attitude positive favorisera également nos efforts de réunification.
M. Kohl, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)
Monsieur le Président, cette dernière série de questions porte sur des problèmes sur lesquels travaillent tous les jours depuis des mois bon nombre de têtes pensantes, mieux faites que la mienne, et vous attendez de moi que je vous livre en huit minutes une solution miracle. Je préfère capituler tout de suite, car il est clair que je n’y arriverai pas. Tout ce que je puis faire, c’est vous donner mon point de vue.
A nos collègues chypriotes, je dirai que l’anachronisme le plus absurde que je connaisse c’est bien l’incapacité de l’Europe à résoudre le problème chypriote. Je vous le dis comme je le pense et j’ai déjà eu bien des occasions de le dire: avec un peu de bonne volonté de la part des deux principaux intéressés, on devrait arriver à faire disparaître cet anachronisme, qui n’a que trop duré. Peut-être pourrons-nous, dans cette ère nouvelle qui s’ouvre devant nous, enfin progresser avec les deux grands pays directement concernés, et, bien sûr, les principaux intéressés à Chypre même.
Je ne crois pas que nous puissions instaurer en Europe une paix durable, si nous ne sommes pas capables de trouver une issue dans des domaines comme celui-ci qui attendent une solution depuis si longtemps; si nous ne sommes pas capables de nous asseoir autour d’une table et de faire prévaloir ensemble une solution. Je n’ai certes pas de recette miracle en la matière, mais, au cours de nombreux entretiens avec les responsables concernés, je ne me suis pas lassé de répéter qu’il y a là une blessure qui aurait pu être cicatrisée depuis longtemps. Il est grand temps d’agir.
En ce qui concerne les exportations d’armes, nous interdisons catégoriquement toute exportation d’armes allemandes à destination du territoire de l’ex-Yougoslavie. Notre législation est très stricte. S’il s’avère que des entreprises se livrent à ces activités, elles font l’objet des poursuites qui s’imposent. Toute autre attitude de notre part serait, à mon sens, déraisonnable.
Pour ce qui est de l’opinion exprimée par M. Kônig, notre collègue autrichien, je ne puis vous faire de promesses, mais pour que la Conférence de Vienne porte ses fruits il serait évidemment bon d’agir dans le sens que vous préconisez. Je vais d’ailleurs m’y employer. Pour moi, une telle conférence peut être l’occasion d’une sorte d’affirmation solennelle de notre souci des minorités. Au-delà du texte, du document, l’effet moral, psychologique, est considérable.
En ce qui concerne les frontières en Europe, ce n’est pas en en traçant constamment de nouvelles que nous parviendrons à une solution pacifique durable. Toutes ces frontières seront sources de nouvelles injustices. Je ne veux pas dire par là que le tracé des anciennes frontières a toujours été très équitable, mais simplement qu’une nouvelle frontière engendre instantanément une nouvelle injustice. Comment voulez-vous, dans ces conditions, aboutir à des solutions raisonnables et équilibrées?
Ce qui se passe aujourd’hui en Bosnie-Herzégovine – quelqu’un a parlé de «purification ethnique» – est pour moi la pire terreur que le monde ait connue depuis bien longtemps. Je pense, en particulier, au destin tragique des femmes. Je trouve que tous – y compris l’Allemagne – nous devrions faire beaucoup plus dans le domaine de l’aide humanitaire, et venir ainsi au secours de ces femmes. A défaut d’être capables, en l’état actuel des choses, d’empêcher ces effroyables tueries, il me semble que les Européens dans leur ensemble – c’est une position que je défends également au sein de la CEE – pourraient faire plus en matière d’action humanitaire, en apportant, par exemple, une aide aux réfugiés sur place.
Nous ne devons pas céder à la tendance qui consiste à transférer ces réfugiés, ces personnes déplacées, dans des régions éloignées, donnant ainsi raison à ceux qui les chassent. Il faudrait, au contraire, les installer – dans des conditions aussi décentes que possible – à proximité de chez eux, leur apporter notre aide sur place, afin qu’ils puissent retourner chez eux. Sinon, ceux qui ont pour politique de chasser brutalement les gens sans espoir de retour auront atteint leur objectif.
Je crois que dans ce domaine aussi il faut travailler ensemble. Là non plus nous n’avons pas le droit de dire «l’ONU, la CEE, les Américains». La nouvelle administration américaine est en place depuis quelques jours. Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, M. Vance, a annoncé tout récemment que cette administration travaille à l’élaboration d’une politique pour le territoire de l’ex-Yougoslavie. Nous sommes associés à ce travail, et nous essayons d’y apporter notre concours et notre soutien.
De mon point de vue, il est à présent essentiel que nous mettions tout en œuvre pour parvenir le plus rapidement possible à faire taire les armes. Le cessez-le-feu n’est pas la paix, et de loin. Mais notre premier objectif doit être de mettre un terme aux actes de barbarie, de faire en sorte que l’on ouvre les camps et que l’opinion publique mondiale ne soit plus tenue dans l’ignorance. Inutile de se voiler la face devant l’horreur que vivent les populations de cette région.
Mais nous savons aussi que ceux qui conseillent de régler le problème par une «bonne» guerre, si l’on peut dire, ne résoudront rien en fin de compte. C’est là précisément le drame dans cette affaire: nous ne pouvons pas recourir à n’importe quel moyen. Je suis, quant à moi, convaincu que les véritables détenteurs du pouvoir n’ont toujours pas pris la mesure du rejet de l’opinion publique mondiale. S’ils en avaient conscience, ils seraient certainement plus accessibles à la raison.
Au nom de la République Fédérale d’Allemagne, je tiens à réaffirmer ici que nous voulons, surtout dans le domaine humanitaire où nous le pouvons – également pour des raisons d’ordre interne – faire tout ce qu’il est humainement possible de faire.
Monsieur le Président, permettez-moi un dernier mot, à propos de la remarque que vous avez faite en introduction, j’avais oublié de le préciser tout à l’heure, je suis en Allemagne de ceux qui – et je mène ce combat avec passion – ne cessent de répéter à leurs compatriotes qu’en tant qu’Allemands nous n’avons pas le droit, au moment où la réunification nous est donnée, de fuir nos responsabilités quand la tourmente de l’Histoire se déchaîne. Nous sommes un pays de 80 millions d’habitants, qui avec l’aide de tous ses voisins et partenaires est parvenu à la réunification. Nous avons joui quarante ans durant, dans l’ancienne République Fédérale d’Allemagne, de la liberté et de la paix. Longtemps nous avons dit ne pas pouvoir nous associer à telle ou telle action parce que nous étions un pays divisé. Cette excuse n’a plus cours. Nous sommes membres des Nations Unies et, quand on a des droits, on a aussi des devoirs. Personnellement, je le ressentirai comme une atteinte à la dignité de mon pays, si en tant que membre à part entière des Nations Unies nous n’assumions pas toutes les responsabilités qui incombent à un pays comme l’Allemagne. C’est ce que le monde attend de nous. Et toute autre attitude serait une honte pour notre pays. (Vifs applaudissements)
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur Kohl. Trente questions ont été posées sur les quarante inscrites. Je prie les dix parlementaires qui n’ont pu prendre la parole de m’excuser ainsi que les six orateurs que j’ai dû interrompre. Je remercie ceux qui ont posé des questions et que je n’ai pas eu à interrompre, et ils sont nombreux.
Je tiens à vous remercier tout particulièrement, Monsieur Kohl. Votre intervention a été brillante, positive et d’une grande sincérité. Il ne fait pas de doute que vous êtes totalement engagé dans l’œuvre que nous poursuivons. Cette session restera dans notre mémoire comme un des grands moments de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.