Mauno
Koivisto
Président de la Finlande
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 9 mai 1990
Monsieur le Président, Monsieur le Président du Comité des Ministres, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs les membres éminents de l’Assemblée, Mesdames, Messieurs, permettez-moi, tout d’abord, Monsieur le Président, de vous remercier de votre invitation à venir prendre la parole devant cette Assemblée. C’est pour moi un grand honneur de procéder avec vous à un échange de vues sur les perspectives d’avenir de notre continent.
Cette Assemblée est l’institution européenne qui, la première, a réuni des parlementaires pour œuvrer ensemble en faveur des nobles idéaux de notre Statut: la démocratie parlementaire, la liberté de l’individu, les droits politiques et la légalité.
Ces idéaux sont profondément enracinés dans la société finlandaise. La Finlande, qui fit partie du royaume de Suède pendant plus de 600 ans avant d’être une partie autonome de l’Empire russe, a respecté, tout au long de son histoire, les traditions nordiques de liberté et de droits de l’homme. La réforme parlementaire de 1906 a garanti à tous les Finlandais, sans considération de sexe ni de position sociale, le suffrage universel. C’était le deuxième pays au monde à le faire, après la Nouvelle-Zélande. Notre Constitution actuelle, adoptée en 1919, est l’une des plus anciennes constitutions en vigueur à ce jour en Europe.
Je veux ici réaffirmer que la Finlande respecte les principes définis dans le Statut du Conseil de l’Europe.
La première convention adoptée par le Conseil de l’Europe a été la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales; ses institutions, la Commission des Droits de l’Homme et la Cour européenne des Droits de l’Homme, constituent le système international le plus complet de protection des droits de l’homme.
Le ministre des Affaires étrangères de la Finlande déposera demain les instruments de ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme, avec ses protocoles. A cette occasion, il signifiera le droit qu’aura chaque citoyen de porter plainte devant la Commission, ainsi que la reconnaissance de la compétence définitive de la Cour.
La Finlande, qui a largement participé pendant près de trois décennies aux travaux du Conseil de l’Europe et qui est désormais, depuis un an, membre à part entière du Conseil, est prête à contribuer au développement du rôle du Conseil sur notre continent qui vit le changement.
La décision de jeter un pont entre les parlementaires de l’Assemblée et ceux de l’Europe centrale et orientale a été un pas important dans les efforts en vue de surmonter la division de l’Europe. Nous apportons notre plein soutien à cette décision.
Je suis convaincu qu’en élargissant le nombre de ses membres et qu’en convenant également de mesures appropriées dans les relations avec les Etats non membres, le Conseil a un rôle croissant à jouer dans le changement social et le renforcement de la coopération européenne.
Monsieur le Président, l’Europe change. Ce changement est si rapide et si profond que nul, probablement, n’aurait su prédire une telle succession d’événements voici encore un an. Tous ceux qui se targuent d’être experts en matière de politique internationale ont le sentiment d’être des amateurs.
Ceci, pourtant, n’est pas sans précédent. Prédire une évolution stable est tout à fait possible, tandis que prévoir les bouleversements ne l’est pas.
D’aucuns ont dit:
«Aucun principe de l’acte politique que les hommes d’Etat considéraient, il y a six mois, comme acquis, n’est plus en vigueur. Tous les principes de la diplomatie ont été effacés.»
Ces paroles furent prononcées par le Premier ministre de l’Angleterre, Benjamin Disraeli, voici près de 120 ans, après la naissance de l’Allemagne et à l’heure où s’opérait un remodelage de la politique européenne.
Le changement libère mais il s’accompagne, en même temps, d’incertitude et de tension.
Nous vivons une époque où les torts anciens sont redressés et où les accusations lancées contre de nouveaux torts jettent le ferment de tensions futures.
Lorsque les contradictions traditionnelles s’effacent, d’autres, nouvelles ou anciennes, restées sous-jacentes, font leur apparition. Dans l’Europe que nous vivons, de tels signes sont perceptibles.
Je crois néanmoins que les traits d’un développement favorable s’affirment avec plus de force. Je pense que l’Europe grandit vers une sécurité durable.
L’Europe satisfait aujourd’hui les engagements contractés à Helsinki en 1975. L’Acte final a jeté la base des changements actuels dans les conditions politiques, militaires, économiques et sociales.
Parmi les facteurs qui président à la rapide évolution survenue ces derniers temps, aucun sans doute ne surpasse en importance le changement qui s’est produit en Union Soviétique et dans sa politique internationale. Mais, pour vaincre la guerre froide, un esprit de compréhension nouveau entre l’Est et l’Ouest était nécessaire.
Les députés de cette même Assemblée ont pu entendre, il y a un peu moins d’un an, le Président Gorbatchev exposer ses vues sur l’édification commune de l’Europe, fondée sur des valeurs communes aux différents pays et sur leurs intérêts communs. La scission en blocs et la politique d’équilibre des forces doivent être reléguées dans l’Histoire, disait en substance son message.
Ce processus de développement ne saurait jamais être achevé. L’Europe ne s’uniformisera, la paix ne s’instaurera que si les efforts sont poursuivis de manière rationnelle. Nous devons apprendre les uns des autres et nous enrichir de nos expériences respectives pour être en mesure de promouvoir les conditions dans lesquelles nous vivons, et les porter au niveau que nous permettent nos moyens, dans la coopération.
Il y aura, sans doute, des revers mais ceux-ci peuvent être surmontés si les affaires essentielles sont jugées plus importantes.
Les structures communes de l’Europe doivent être renforcées. Nous pouvons nous appuyer sur les principes et les expériences qui ont abouti au succès présent. Mais, face aux nouveaux défis, nous devons développer nos méthodes de coopération.
Même à l’époque de la partition, contre nature, de l’Europe, ceux qui forgèrent les principes d’Helsinki ont su reconnaître la diversité de l’Europe. Ils ont garanti aux peuples leur droit à une identité nationale et à l’autodétermination, à l’époque, et en pensant aussi à l’avenir.
Ayant affirmé alors notre soutien aux droits de l’homme, nous avons en même temps libéré cette force créatrice qui est l’aspiration de l’individu à quelque chose de meilleur. L’individu gagna la position clé qui doit être la sienne dans l’édification du bien-être spirituel et matériel de l’Europe.
Les participants à la Conférence de la CSCE, à Bonn, ont communément reconnu le lien entre la pluralité politique et l’économie de marché.
Le changement de cap politique survenu dans les pays de l’Europe centrale et orientale s’est opéré en bon ordre: c’est encourageant pour nous.
La démocratie multipartite, l’état de droit et le respect de la dignité humaine favorisent l’essor et la réforme de l’économie. Ils sont eux-mêmes la base du progrès social et des relations pacifiques stables dans toute l’Europe.
Le pluralisme politique et les forces du marché ont été amenés à supporter le poids des grands espoirs.
Lorsque la démocratie progresse et que la coopération s’améliore, c’est toute l’Europe qui est mieux préparée à faire face à la restructuration de l’économie qui l’attend.
Ainsi qu’il est dit dans le document de Bonn, l’Europe est le théâtre d’un changement profond et rapide. En Europe occidentale, le défi revêt la forme de l’intégration économique. En Europe centrale et orientale, l’objectif est avant tout la relance de l’économie.
L’Europe n’a pas de récompense à espérer, au terme de la partition politique et idéologique, tant le fossé de l’inégalité économique subsiste, à plus forte raison s’il se creuse.
A la Conférence de Bonn, les pays d’Europe ont montré qu’ils perçoivent l’occasion qui se présente, mais aussi la responsabilité qui s’offre, d’élargir maintenant la coopération économique, de manière efficace et équitable. Les marchés ne peuvent fonctionner que s’il y a ouverture mais aussi réciprocité.
Le passage à l’économie de marché progressera lorsque nous créerons un espace économique commun à toute l’Europe. Nous devons, par la même occasion, apporter notre soutien à une réforme économique durable. C’est là un élément essentiel de l’unification des économies européennes.
L’élaboration et l’adoption d’une technologie commune apte à préserver l’environnement serait, pour l’Europe, la meilleure illustration de sa volonté d’œuvrer à un effort commun. Nous ne pourrons sauver un environnement atteint, pour le transmettre aux générations futures, qu’à force d’efforts communs.
La course aux armements est devenue un fardeau économique pour l’Europe. L'occasion politique se présente maintenant, et aussi la nécessité économique de réévaluer nos investissements militaires et leur signification en tant que facteurs de notre sécurité.
Tandis qu’aux négociations sur le désarmement des résultats historiques sont en vue, il est devenu possible de stopper la prolifération des armements et de briser la spirale sans fin de leur renouvellement.
L’Europe commence à être prête à se libérer de ce surarmement dont elle a été prisonnière pendant tant d’années et de décennies.
L’un après l’autre, les pays d’Europe tirent des conclusions à propos de ce fardeau que représente pour leurs économies la course aux armements. Les premiers à le faire sont les pays pour lesquels le fardeau s’est avéré trop lourd, par rapport à leurs moyens, et qui doivent faire place à la réforme de l’économie et favoriser sa relance.
Autre constat, tout aussi important: le désarmement modifie la réalité militaire. La nouvelle configuration stratégique réduit et élimine l’instabilité militaire et les risques de conflit.
Les négociateurs de Vienne ont la possibilité de remplir leur mandat. Un accord peut éliminer la menace d’une attaque surprise et d’une offensive de grande envergure dans une région où la confrontation militaire a été le symbole – et à la base – de telles craintes, dans une Europe partagée en deux.
Les profondes réductions d’armes accroissent la sécurité, en dernier ressort parce qu’elles s’accompagnent d’un contrôle efficace et de mesures destinées à accroître la confiance et la sécurité ainsi que la franchise. Les négociateurs de la CSCE, à Vienne, ont un rôle important à jouer à cet égard.
Le désarmement et les nouvelles mesures de sécurité sont d’autant plus crédibles que l’ouverture militaire en est une composante.
Il n’est plus nécessaire, pour les Etats, d’agir sur la base de la défiance et de l’incertitude. Les Etats peuvent aussi montrer à leurs voisins et aux autres pays que leur politique et leurs intentions sont pacifiques et sincères.
Cette sécurité de l’Europe dépend de la coopération.
Au sein des alliances militaires, on cherche ce que seront, demain, le rôle à jouer et de nouvelles responsabilités. Le domaine du contrôle des armements et de la vérification fournissent un terrain de choix. Cette évolution est bienvenue.
Nous vivons aujourd’hui une phase de transition qui risque d’être longue.
Les pas franchis en Europe sont historiques, mais il reste du chemin à parcourir. Si la tendance générale est à une plus grande stabilité, nous pouvons voir cependant qu’elle ne s’étend pas nécessairement à tout et qu’elle n’est pas sans interruptions.
Nous assistons au démantèlement de la confrontation entre l’Est et l’Ouest, mais la responsabilité majeure de la sécurité de l’Europe continue d’incomber aux grandes puissances militaires.
L’instabilité ou le conflit peut naître de facteurs régionaux. Le souci de cette éventualité peut aller grandissant dans toute l’Europe. La gestion des relations entre les voisins risque d’influer, demain plus que par le passé, sur la sécurité et la stabilité.
Les mesures communes de sécurité fonctionneront si les voisins et les concurrents sont disposés à se rapprocher et à résoudre leurs problèmes. Une institution commune ne peut résoudre nos problèmes à notre place.
On ne peut que se féliciter des efforts déployés en Europe centrale et orientale pour instaurer une coopération d’un type nouveau, régionale, surmontant les obstacles et dépassant les formes d’hier, et des efforts en vue de résoudre les différends.
Le principe fondamental qui sous-tend la politique de la Finlande est le maintien des bonnes relations avec ses voisins. Nous cherchons à promouvoir la sécurité et la stabilité en Europe du Nord et dans la région de la Baltique. Cet environnement est essentiel pour notre sécurité nationale.
Nous suivons avec inquiétude et sympathie les efforts des peuples baltes en vue de trouver les justes procédures dans leur recherche de l’indépendance, à laquelle la Constitution de l’Union Soviétique elle-même leur donne droit. Notre expérience indique qu’avec un grand voisin il convient de chercher à trouver, en négociant, des solutions qui supportent aussi les changements dans le temps.
Je parle en tant que représentant d’un peuple pour lequel des puissances plus importantes avaient forgé un sort comparable à celui des peuples baltes mais qui suivit une autre voie, voie qui conduisit d’abord à de grandes difficultés et qui fut jonchée de nombreuses victimes mais qui, par la suite, aboutit à une relation durable avec notre grand voisin. L’Union Soviétique est devenue notre bon voisin.
On n’efface pas l’Histoire mais il conviendrait maintenant de tirer pleinement parti des nouvelles possibilités que l’Europe d’aujourd’hui offre à tous les pays et à tous les peuples.
Les bases de la sécurité s’élargissent au fur et à mesure des changements politiques et économiques qui se produisent en Europe, et de leurs résultats. De cette manière, en profitant des expériences, il est possible d’instaurer un système de sécurité nouveau et stable.
Le nouveau système commun de sécurité dont nous parlons doit être vu sous le jour d’une évolution globale.
A l’heure où l’Europe change, les structures, les procédures et les institutions communes ont des tâches de plus en plus nombreuses dans le domaine de la sécurité. Avec le temps, un tel système commun peut devenir une garantie essentielle pour la sécurité, tant nationale qu’internationale.
La CSCE a un rôle essentiel à jouer dans la gestion du changement actuel. On est largement d’accord pour dire que la CSCE offrira également demain les principales structures nécessaires à la mise en œuvre de la sécurité et de la coopération.
La Finlande parle depuis longtemps en faveur du renforcement progressif de la CSCE.
Nous sommes pour l’idée d’organiser des rencontres régulières des ministres des Affaires étrangères de la CSCE. On pourrait en discuter lors du sommet des pays de la CSCE, prévu à la fin de cette année.
La Finlande a pris, en tant que pays neutre, une part active au processus de la CSCE, depuis le début de celui-ci. Nous sommes fiers que ce processus porte le nom de la ville où se tint son premier sommet, qui est la capitale de notre pays.
A l’heure où le processus de la CSCE entre dans une nouvelle phase, nous voyons la perspective de possibilités et de responsabilités nouvelles.
Les aptitudes de la CSCE à répondre aux défis nouveaux et croissants devraient être renforcées. La Finlande est prête à apporter sa contribution et ses moyens à cet effort.
Nous sommes conscients de l’importance de la responsabilité qui est la nôtre, en tant que pays hôte de la Conférence de suivi d’Helsinki en 1992 et, naturellement, nous serons très heureux de voir se tenir la réunion d’été du Conseil de l’Europe à Helsinki, l’année prochaine. Nous attendons de cette conférence qu’elle donne au processus de la CSCE de nouveaux objectifs et qu’y soient prises des décisions communes relatives aux nouveaux principes, aux nouvelles procédures et institutions que les participants jugeront utiles.
Helsinki 1992 donnera à l’Europe de nouvelles instructions pour lui permettre de progresser sur la voie inaugurée par Helsinki 1975.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Nous avons écouté votre allocution avec beaucoup d’intérêt et vous pouvez être certain que nous serons heureux d’entamer un dialogue avec la Finlande sur le rôle du Conseil de l’Europe et le processus de la CSCE. La meilleure façon de l’engager sera d’organiser notre session d’été l’an prochain à Helsinki. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir proposé de nous rendre à Helsinki.
Vous avez bien voulu accepter de répondre à des questions orales. Je propose de vous inviter à répondre à chaque question posée et je demanderai ensuite au membre intéressé de poser une brève question supplémentaire s’il ou si elle le souhaite. Je rappelle aux membres que, conformément aux règles approuvées par la Commission Permanente, toutes les questions orales et supplémentaires doivent être limitées à trente secondes. Hier, la moyenne enregistrée pour les questions émanant de l’Assemblée était de vingt et une secondes et demie par question, pour être précis. C’était un très bon temps, et j’espère que nous ferons aussi bien aujourd’hui pour qu’un maximum de membres aient la possibilité de poser des questions.
Jusqu’à présent, neuf questions ont été proposées. Je commence par donner la parole à M. Alptemoçin, de Turquie, pour poser une question sur les rapports entre le Conseil de l’Europe et le processus de la CSCE.
M. ALPTEMOÇIN (Turquie) (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Président. Je voudrais aussi remercier le Président de la République de Finlande d’avoir bien voulu accepter de répondre à nos questions. Comme vous l’avez indiqué, Monsieur le Président, ma question a trait aux rapports entre le Conseil et le processus de la CSCE. Compte tenu de la similitude des objectifs de ces deux structures en ce qui concerne les droits de l’homme, la culture et l’éducation, comment pensez-vous que l’on pourrait développer la coopération entre elles? Pensez-vous que le Conseil de l’Europe pourrait devenir l’organe parlementaire de la CSCE?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Je considère que cela intéresse les deux parties étant donné que, d’une part, le Conseil de l’Europe souhaite développer ses activités, et que, d’autre part, de multiples tâches doivent être accomplies en Europe. Je considère que le Conseil de l’Europe est particulièrement bien placé pour répondre à une grande partie de nos besoins de coopération futurs. Je suis convaincu que l’on trouvera un moyen d’instaurer une coopération plus étroite entre le Conseil de l’Europe et le processus de la CSCE – qui est jusqu’à présent dépourvu de structures permanentes – et j’estime que le Conseil de l’Europe pourrait, en effet, devenir le volet parlementaire de cette coopération.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Monsieur Alptemoçin souhaite-t-il poser une question supplémentaire?... Ce n’est pas le cas; je remercie donc le Président Koivisto de ses propos encourageants et je donne maintenant la parole à Mme Harms pour poser sa question sur la coopération entre les pays nordiques et le reste de l’Europe.
Mme HARMS (Danemark) (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Président. Monsieur Koivisto, que pensez-vous de la suggestion de prévoir une réunion de coordination des Premiers ministres du Conseil nordique avant chaque réunion importante en Europe, comme, par exemple, avant les réunions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, ou avant les réunions de la CEE, dont les pays nordiques ne font pas partie, et avant les réunions de l’AELE?
A mon avis, de telles réunions nous donneraient des impulsions et nous permettraient de mieux coordonner nos idées. Nous aurions de meilleures chances d’atteindre les buts que nous nous sommes fixés. Bénéficiant du soutien des cinq pays nordiques, nos arguments auraient plus de poids.
Je tiens à souligner que ces pays ont une longue tradition de coopération. Il doit être possible d’exploiter cette expérience non seulement dans notre propre intérêt, mais aussi dans celui de l’avenir de l’Europe. Finalement, ce ne sont pas seulement les pays nordiques qui ont besoin de l’Europe: l’Europe a besoin des pays nordiques.
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Les pays nordiques constituent un groupe très soudé, surtout dans le domaine de la politique sociale. Les structures de nos pays sont similaires et quatre d’entre eux sont de taille similaire. Une coopération s’impose, par conséquent, et s’est révélée utile dans le passé.
Les discussions au sein du Conseil nordique sont, en effet, utiles. Les Premiers ministres nordiques se réunissent trois fois par an et nos ministres des Affaires étrangères se réunissent également régulièrement. Il y a donc énormément de contacts à tous les niveaux. La politique en matière de sécurité fait exception, ce qui est normal, trois pays nordiques faisant partie de l’Otan, tandis que les deux autres sont neutres.
Actuellement, quatre pays nordiques appartiennent à l’AELE et un à la CEE. Il existe, par conséquent, de nombreuses possibilités de coopération et de discussion, et des moyens de trouver des modalités d’actions profitant à toutes les parties. Je suis extrêmement favorable à l’idée émise dans cette question et à une poursuite de la coopération.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur Koivisto. Mme Harms ne souhaitant pas poser de question supplémentaire, je donne maintenant la parole à M. Gudnason pour qu’il pose sa question sur les incidences de l’augmentation de l’importance du Conseil de l’Europe sur la coopération régionale.
M. GUDNASON (Islande) (traduction)
Je vous remercie, Monsieur le Président. Je voudrais commencer par remercier le Président de la Finlande pour son remarquable discours. Ma question est de même nature que la précédente. Dans votre allocution, Monsieur le Président, vous avez mentionné les mutations profondes et rapides qui se produisent en Europe et qui modifieront inévitablement la portée et la nature des activités du Conseil de l’Europe, lequel verra son importance augmenter de manière notable. Quelles incidences cela aura-t-il, à votre avis, sur la coopération régionale en Europe, telle que la coopération des pays nordiques au sein du Conseil nordique?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
La coopération nordique a un caractère exceptionnel en Europe en raison de l’activité et des discussions du Conseil nordique. Il est difficile d’imaginer quels autres groupes de pays pourraient établir des liens aussi étroits entre eux et accepter aussi facilement la participation de chacun d’eux à l’élaboration des politiques nationales de chaque pays. Il n’y a pas d’autre solution que la coopération sur la base de plusieurs autres principes. Je crois savoir qu’il existe une coopération entre les différents groupes parlementaires et d’autres groupements d’intérêts du Conseil de l’Europe. Notre coopération nordique pourrait servir d’exemple à d’autres pays, quand ils constatent combien notre coopération a été utile et importante. Le Conseil de l’Europe pourrait peut-être nous aider à mieux faire connaître notre coopération.
M. GUDNASON (traduction)
A votre avis, Monsieur le Président, le Conseil de l’Europe devrait-il s’efforcer de travailler plus étroitement au niveau parlementaire avec des organisations régionales, telles que le Conseil nordique?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Je ne connais pas suffisamment vos problèmes, Monsieur Gudnason, pour pouvoir vous aider, mais je suis prêt à faire l’éloge de la coopération nordique, qui a été très utile.
M. ELMQUIST (Danemark) (traduction)
J’ai relevé avec intérêt ce que vous avez affirmé à propos de votre expérience avec votre puissant voisin à l’Est. Vous avez aussi donné quelques conseils aux Etats baltes. Pourriez-vous développer quelque peu ce point et conseiller les membres du Conseil de l’Europe sur la façon dont nous pouvons promouvoir – si nous en avons l’occasion – des négociations entre Moscou et les Etats baltes?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Je n’ai pas de conseil personnel à donner, mais je partage le point de vue exprimé il y a environ deux semaines par le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl – estimant qu’il faudrait trouver une solution intermédiaire pour que puissent débuter des négociations sur le nouveau statut des républiques baltes. La Constitution de l’Union Soviétique ne permet pas aux républiques de faire sécession. Il existe une loi spéciale concernant les procédures. Le problème est que les pays Baltes, surtout la Lituanie, se considèrent d’ores et déjà comme indépendants et affirment que la législation soviétique ne leur est pas applicable.
La Lituanie veut être reconnue indépendante avant toute discussion et Moscou est prêt à entamer des discussions qui pourraient aboutir à l’indépendance mais pas à commencer par la proclamation d’indépendance. Il est difficile pour d’autres pays de donner des conseils plus précis. Dans une dispute entre une grande puissance et un petit pays, il est généralement très difficile de critiquer le plus faible.
M. ELMQUIST (traduction)
Lorsqu’on parle d’aide ou de soutien – pas seulement moral ou politique, mais dans le domaine énergétique ou humanitaire – quels conseils donnez-vous aux membres du Conseil de l’Europe? Devrions-nous satisfaire les demandes des pays Baltes ou nous abstenir?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Il est difficile de définir une règle générale, mais je pense que nous serions tous très heureux si on trouvait le moyen d’ouvrir des négociations réelles pour que les tiers sachent comment se comporter.
M. SPEED (Royaume-Uni) (traduction)
La Finlande ayant commencé à lutter pour son indépendance il y a un demi-siècle, seriez-vous en mesure de jouer un rôle, éventuellement d’intermédiaire, dans cette situation extrêmement difficile entre les Etats baltes et l’Union Soviétique?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Comme je l’ai fait remarquer dans mon allocution, nous avons vécu une situation comparable à celle des pays Baltes. Nous nous intéressons beaucoup à la situation là-bas et nous la comprenons, et nous essayons de suivre de près les événements, mais nous n’avons pas de lien particulièrement étroit avec eux. Nous ne connaissons ni les problèmes ni les moyens de les résoudre et je doute que qui que ce soit se trouve mieux placé à cet égard. Il est difficile de savoir ce qu’il faut faire. Notre attitude générale à l’égard des affaires mondiales consiste à reconnaître que nous n’avons pas l’expérience nécessaire pour pouvoir conseiller d’autres pays lorsqu’ils ont des problèmes, et ce principe s’applique tout particulièrement dans le cas d’espèce.
M. SOLÉ-TURA (Espagne) (traduction)
Je remercie le Président Koivisto du tableau qu’il brosse de la situation européenne, mais je voudrais insister pour qu’il en dise davantage sur le problème des pays Baltes. La situation de la Finlande et ses rapports dans une Europe divisée en deux blocs antagonistes était très particulière. Quel est le rôle de la Finlande dans le nouveau paysage politique européen? Comment peut-on le définir et quelle contribution peut-elle apporter à la mise en œuvre d’une indépendance réelle, non pas hypothétique, des pays Baltes?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Au cours des derniers mois, il s’est révélé très difficile de prévoir les événements et les évolutions en Europe. Les changements qui se sont produits étaient tout à fait inattendus, de sorte que pour pouvoir se livrer à des spéculations sur l’avenir, il faudrait en savoir bien davantage que ce que l’on sait actuellement. Le nombre d’acteurs est relativement réduit et il devrait être possible de connaître leurs opinions et de savoir ce qu’ils attendent éventuellement de nous. Nous avons eu beaucoup de contacts avec les pays Baltes, surtout l’Estonie, avec laquelle nous avons des liens linguistiques et beaucoup de contacts sociaux et autres. Si des règles générales étaient définies entre Moscou et les pays Baltes, nous nous féliciterions énormément de ce progrès.
M. SOLÉ-TURA (traduction)
Pensez-vous que les relations internationales de la Finlande pourraient servir de modèle pour des solutions pacifiques aux problèmes qui surgissent actuellement entre les pays Baltes et le Gouvernement central de l’Union Soviétique?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Nous avons eu beaucoup de problèmes dans le passé et des relations difficiles avec l’Union Soviétique, mais nous avons réussi à trouver des solutions. Nous avons adopté les théories développées par Machiavel au moyen âge – à savoir qu’il est souhaitable pour un petit pays que ses amis soient proches et ses ennemis éloignés. Il faut prendre en compte les préoccupations d’un voisin, et notamment ses préoccupations en matière de sécurité. Il importe pour l’avenir des pays Baltes de leur faire comprendre qu’ils devraient peut-être adopter à l’égard de leurs voisins une attitude analogue à celle qui fut la nôtre.
M. ROKOFYLLOS (Grèce)
Comme plusieurs de mes collègues dont M. Elmquist, j’avais formulé une question relative aux Etats baltes et à leurs tentatives toutes récentes pour recouvrer leur indépendance. Je voudrais connaître l’expérience balte vue à travers l’expérience finlandaise.
Je n’insiste pas sur ce sujet puisque d’autres collègues, toutes tendances confondues, ont manifesté leur inquiétude et leur sympathie pour ces tentatives des Etats baltes.
Je me contente de me féliciter des réponses données par le Président Koivisto. Elles témoignent d’une longue expérience politique et d’une sagesse sans faille.
M. MORRIS (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur le Président, vous avez mentionné l’importance de l’environnement et votre pays est connu pour accorder une attention toute particulière à sa forêt. L’on est très préoccupé dans le monde par la destruction de la forêt tropicale. La Finlande est-elle prête à apporter une aide aux pays du tiers monde et à les conseiller en matière de régénération de forêts?
M. Koivisto, Président de la Finlande (traduction)
Les forêts jouent un rôle important en Finlande. Elles constituent pratiquement nos seules ressources naturelles, de sorte que nous les entretenons avec un soin tout particulier. C’est, par conséquent, un domaine que nous connaissons bien et nous aidons volontiers d’autres pays à mieux gérer leur patrimoine forestier. Nous sommes très inquiets de voir abattre des arbres et disparaître des forêts, ce qui a des incidences considérables sur le climat de la région touchée et provoque l’érosion des sols. A plus grande échelle, cela risque d’avoir une influence défavorable sur l’atmosphère de la planète tout entière.
Nous participons activement aux programmes forestiers de nombreux pays du tiers monde. Nous sommes favorables à la coopération internationale. On m’a fait part d’un projet de coopération à l’échelon européen, dans lequel la Finlande et la France jouent un rôle important. Ce problème nous tient à cœur.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Au nom de l’Assemblée, je vous remercie, Monsieur le Président Koivisto, de votre intervention et de la façon dont vous avez répondu à nos questions. Vous êtes le premier chef d’Etat finlandais à prendre la parole devant cette Assemblée. Nous sommes heureux que vous ayez accepté notre invitation de vous rendre à Strasbourg. Nous sommes également heureux que la Finlande soit membre du Conseil de l’Europe. Nous espérons qu’une bonne coopération s’instaurera dans l’avenir. Je suis convaincu que vous prendrez une part active dans la création de la nouvelle Europe.
On vous a posé de nombreuses questions concernant les Etats baltes. Les parlementaires ont demandé votre avis parce qu’ils savent que la Finlande a une longue expérience des relations avec les pays de cette partie de l’Europe. Je souhaite que vous ressentiez comme un encouragement l’intérêt avec lequel nous avons écouté votre point de vue sur ce problème complexe, dont nous espérons tous qu’il pourra être réglé de manière pacifique. Nous vous remercions encore une fois de votre contribution aux travaux de l’Assemblée.