Vojislav
Koštunica
Premier ministre de Serbie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 2 octobre 2007
M. Koštunica remercie le président de l’Assemblée parlementaire de lui avoir procuré la possibilité de s’exprimer en tant que Premier ministre de Serbie à l’heure où son pays préside le Comité des Ministres. La Serbie compte focaliser cette présidence sur des actions basées sur les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Le slogan de la présidence est: «une Europe, notre Europe» exprimant ainsi la conviction qu’il est utile de parler d’une seule voix pour toute l’Europe.
Le Premier ministre veut insister sur les efforts accomplis par les autorités serbes afin d’améliorer la démocratie dans leur pays et de respecter les droits de l’homme. L’assemblée de Serbie a adopté à l’unanimité la nouvelle Constitution qui avait, par ailleurs, été plébiscitée par la population. La Commission de Venise a présenté un avis explicite sur ce document qui contient des dispositions spécifiques concernant les droits de l’homme et les droits des minorités. Concernant les minorités nationales, des dispositions vont bannir toute forme de discrimination et interdire toute manifestation de haine et de xénophobie.
La Constitution contient des dispositions relatives à la tolérance. Elle assure une représentation de la population à tous les niveaux, y compris pour les minorités nationales, et garantit les mêmes droits démocratiques pour tous les citoyens de Serbie. La minorité hongroise pourra bénéficier d’un enseignement dans sa langue maternelle à tous les niveaux, y compris dans certaines universités, dont Belgrade. Les dirigeants des minorités nationales ont d’ailleurs soutenu l’adoption de cette nouvelle Constitution. Il est donc clair que la Serbie remplit ses engagements pour mettre en œuvre la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.
C’est sur cette base que la Serbie envisage le statut futur du Kosovo. La troïka internationale est en négociation directe avec Belgrade et les représentants du Kosovo. La Serbie s’engage à trouver une solution de compromis démocratique basé sur les trois piliers de l’Europe et demande aux Albanais et à la communauté internationale de rechercher, sur cette base, une solution satisfaisante pour les deux parties.
La Serbie s’est explicitement déclarée prête à accorder aux Albanais du Kosovo le statut de minorité privilégiée, statut garanti par l’autonomie substantielle octroyée à la province, au sein du territoire serbe. M. Koštunica espère que le Conseil de l’Europe appuiera cette proposition qui vise à assurer la prospérité des Albanais du Kosovo et aucunement à limiter leurs droits. Comme tout État souverain, la Serbie ne peut concevoir la création d’un État sur son territoire. Pourquoi ce qui n’est autorisé à aucune minorité nationale, le serait‑il aux Albanais kosovars et à eux seuls? La question essentielle est de définir le statut exact de minorité privilégiée, pour prévenir tout contentieux.
Le moment est crucial, car la communauté internationale doit choisir entre deux voies. L’une est celle qui vient d’être décrite, et qui respecte les principes démocratiques. L’autre est lourde de périls, car il s’agirait, pour la première fois depuis la fin depuis la Seconde Guerre mondiale, de permettre à une minorité nationale de constituer un nouvel État sur le territoire d’un État souverain, internationalement reconnu, en violation de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki.
Les arguments avancés pour soutenir cette deuxième branche de l’alternative sont irrecevables. Avancer, comme le font certains, que faute de solution rapide, on risque une flambée de terrorisme de la part des Albanais relève de la menace pure et simple et ne mérite aucun commentaire. Quant à la référence à l’annexe 11 du plan Ahtisaari, qui a été rejeté, elle n’est pas plus pertinente puisque rien n’est dit, dans cette annexe, du contrôle civil de la présence militaire de l’Otan au Kosovo –ne rien envisager de plus serait donc un précédent inouï dans les annales de la démocratie.
Telles sont les deux voies possibles que M. Koštunica livre à la réflexion de l’Assemblée.
Il souligne que la Serbie continuera à rechercher des solutions démocratiques mais qu’elle ne tolèrera pas la création d’un nouvel État albanais sur son territoire par la force de la violence légale. Toute indépendance unilatéralement proclamée sera intenable, ne ferait qu’aggraver la situation et sera vouée à l’échec. Les conséquences en seraient dramatiques, bien au‑delà de la Serbie, puisque cette violation délibérée de la Charte des Nations Unies, qui garantit explicitement la souveraineté des États et leur intégrité territoriale, ferait sans aucun doute des émules. Combien de minorités nationales animées de tendances séparatistes observent attentivement l’évolution de la situation au Kosovo? Qui leur fera admettre que ce qui serait possible pour les Kosovars ne le serait pas pour elles? Qui ne voit les menaces qui se profilent pour la stabilité du continent?
La Serbie n’entend pas céder aux pressions de ceux qui l’incitent à régler la question par la violence, car elle s’en tient aux valeurs démocratiques fondamentales. Pour autant, elle ne saurait admettre que la violence légale prime le droit au Kosovo et au Kosovo seulement. Du reste, personne n’est en mesure d’expliquer en quoi la proposition serbe pèche et pourquoi le Kosovo devrait se voir accorder l’indépendance. Cette province représente 15 % du territoire serbe; la Serbie propose de lui octroyer une large autonomie, mais certains envisagent de transformer cette importante fraction de son sol en un deuxième État albanais sans justification aucune. Est‑ce un argument recevable de déclarer que l’état de fait étant ce que l’on sait, il faut s’y résigner?
La Serbie a pris l’engagement de respecter la Charte des Nations Unies pour contribuer à la paix et à la stabilité en Europe. Elle continuera de le faire, mais elle n’acceptera ni coup de force ni déclaration d’indépendance unilatérale. Il ne s’agit pas de son seul avenir mais de la souveraineté et de la dignité de tous les peuples. (Applaudissements)
LE PRÉSIDENT (interprétation)
remercie M. Koštunica, qui a accepté de répondre aux questions des orateurs, et il donne la parole à M. Milo pour poser la première question.
M. MILO (Albanie) (interprétation)
au nom du Groupe socialiste, remercie M. Koštunica d’avoir brossé un tableau complet de la position officielle serbe, qui porte essentiellement sur le Kosovo, où résident deux millions d’Albanais…
LE PRÉSIDENT (interprétation)
prie M. Milo de s’abstenir de toute déclaration et de poser une question concise.
M. MILO (Albanie) (interprétation)
rappelle que les différentes composantes de l’ex‑Yougoslavie sont à présent indépendantes; seul le Kosovo ne l’est pas. Il demande au Premier ministre de la Serbie si son gouvernement s’en tient à la position adoptée par Milosevic ou s’il est prêt à collaborer avec la communauté internationale pour définir une solution permettant d’assurer l’avenir du Kosovo tout en garantissant une paix durable dans la région.
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
répond que «la position officielle serbe» résulte du respect par la Serbie de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki. Il existe des minorités nationales dans de nombreux pays; elles n’ont pas pour autant le droit à faire sécession.
M. Koštunica ne s’étendra pas sur les statistiques erronées relatives au nombre d’Albanais vivant au Kosovo; il s’arrêtera en revanche sur la référence à la communauté internationale pour faire observer à M. Milo que celle‑ci ne s’exprime pas d’une seule voix.
Enfin, il est vrai que les pays qui composaient l’ex‑Yougoslavie ont recouvré leur indépendance à la fin des années 1990, mais il s’agissait de nations qui n’avaient pas d’État. Il en va tout autrement des Albanais du Kosovo, qui ont un État: l’Albanie. Que l’on veuille bien se rapporter, sur ces questions, au rapport, parfaitement clair, de la commission Badinter.
M. OMTZIGT (Pays‑Bas) (interprétation)
au nom du Groupe PPE/DC, regrette que le tribunal de La Haye n’ait toujours pas pu faire comparaître les deux principaux criminels serbes. Le Gouvernement serbe est-il prêt à indiquer par écrit comment il compte répondre à la requête du tribunal de La Haye?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
souligne que la Serbie respecte toutes ses obligations internationales, y compris la coopération avec le Tribunal de La Haye prévue par les accords de Dayton. La Serbie a déployé de gros efforts pour retrouver toutes les personnes recherchées. Seuls quelques fugitifs sont encore en liberté –dont l’un semble d’ailleurs plus lié aux États‑Unis qu’à la Serbie… La volonté politique est donc indiscutable mais les autorités sont confrontées à un problème technique. Celles‑ci sont décidées à le surmonter.
Lord RUSSELL‑JOHNSTON (Royaume‑Uni) (interprétation)
au nom du Groupe ADLE, rappelle que l’horrible massacre de Sebreniska a marqué durablement les populations concernées. Quels moyens la Serbie entend-elle utiliser pour remettre son auteur aux autorités juridictionnelles?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
évoque ses entretiens récents avec le procureur de La Haye, Mme Carla del Ponte. Les obstacles à l’arrestation des tribunaux sont d’ordre technique. Quant aux séquelles des massacres, faut‑il rappeler que de nombreuses personnes souffrent des conséquences des conflits dans de nombreux pays?
M. MESSERSCHMIDT (Danemark) (interprétation)
au nom du Groupe GDE, souscrit aux propos du Premier ministre selon lesquels il faut une seule Europe. Toutefois, lors de la campagne électorale, il n’était pas très clair s’il s’agissait de l’Union européenne ou de l’Europe telle que la conçoit la Russie.
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
répond que, pour la Serbie, l’Europe, c’est l’Union européenne, mais aussi le Conseil de l’Europe et tous les États qui en sont membres. La Serbie souhaite intégrer l’Union européenne et s’apprête à parapher un accord de stabilité et de coopération. Mais la Fédération de Russie fait également partie de l’Europe et la Serbie veut avoir de bonnes relations avec ses partenaires de l’Est comme de l’Ouest: il faut rappeler que, pour le général de Gaulle, l’Europe s’étendait de «l’Atlantique à l’Oural»
M. KOX (Pays‑Bas) (interprétation)
au nom du Groupe GUE, estime que l’indépendance unilatérale du Kosovo ne serait pas la bonne solution. Mais jusqu’où est prêt à aller le gouvernement serbe pour régler le problème?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
répond que la Serbie ira aussi loin que nécessaire pour aboutir à une solution négociée, conforme au droit international. Elle n’a pas ménagé ses efforts en ce sens. En revanche une solution unilatérale contraire au droit international serait inacceptable.
M. BADRÉ (France)
Monsieur le Premier ministre, je ne vous interrogerai pas sur le Kosovo; vous connaissez suffisamment l’engagement de la France sur ce difficile sujet. Ma question portera sur la mise en œuvre de l’accord visant le rapatriement d’au moins 100 000 citoyens serbes actuellement en situation irrégulière dans les pays de l’Union européenne, celle‑ci apportant une aide financière pour faciliter leur retour. Quelles dispositions prenez‑vous pour qu’ils bénéficient effectivement dès leur arrivée sur le territoire serbe de l’ensemble des droits ouverts à leurs concitoyens?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
souligne que la Serbie a ratifié tous les accords pertinents en vue de son adhésion à l’Union européenne. Elle accueillera tous les citoyens venant d’autres pays de l’Union européenne quelle que soit leur nationalité.
M. NEMETH (Hongrie) (interprétation)
relève que le Parlement serbe a voté une loi accordant la nationalité à des serbes vivant en dehors du pays. Quels effets en attend‑il?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
explique que ce texte doit permettre aux Serbes vivant à l’étranger de retrouver leur citoyenneté initiale en suivant une procédure adéquate: il s’agit de rassembler l’ensemble des Serbes, dans le respect du droit international. La Serbie est l’État le plus multiethnique de toute l’ex‑Yougoslavie et ce texte n’est donc en rien dangereux.
Mme MITREVA («l’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)
regrette que l’Église orthodoxe serbe ait joué un rôle négatif dans les relations entre son pays et la Serbie. Le Gouvernement serbe peut‑il user de son influence pour régler le problème?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
estime que, même si le conflit entre les Églises des deux pays découle d’événements historiques extérieurs à elles, c’est à elles qu’il revient de régler leur différend. Le Gouvernement serbe ne souhaite pas s’immiscer dans leurs relations, même s’il est prêt à soutenir toute démarche visant à les améliorer.
M. HÖFER (Allemagne) (interprétation)
demande quels États souhaitaient donner au Kosovo un statut d’indépendance.
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
redit que l’Europe est très divisée en ce qui concerne le futur statut du Kosovo. Certains pays envisagent de régler le problème de manière brutale en démembrant la Serbie et en définissant unilatéralement le statut du Kosovo. Ils semblent oublier que le même problème se pose chez eux car il y a des minorités partout. D’autres pays sont conscients des menaces que ferait peser sur l’Europe un tel choix. Chypre, la Roumanie, la Grèce, l’Espagne aussi seraient concernés par ce problème. Dans tous les cas, il est bon que le débat soit lancé. Le droit international précise bien que tout État reconnu a le droit de se protéger et de préserver son intégrité territoriale.
M. GARDETTO (Monaco)
Monsieur le Premier ministre, j’ai lu récemment dans la presse les déclarations de deux membres de votre gouvernement. Alors que l’un d’eux déclarait qu’en cas d’indépendance du Kosovo, la Serbie pourrait intervenir militairement, l’autre affirmait qu’il n’en était pas question. Quelle est la vérité? Envisagez‑vous d’intervenir militairement ou pas en cas d’indépendance? Si le Kosovo ne devient pas indépendant, comment envisagez‑vous d’intégrer les Kosovars dans la société serbe? Quel projet de société leur proposez‑vous?
M. Koštunica, Premier ministre de Serbie (interprétation)
répète que si la Serbie doit intervenir ce sera uniquement par les moyens du droit, en exigeant l’application des textes internationaux. Le Kosovo fait partie de la Serbie depuis des siècles et Serbes et Albanais sont capables de vivre ensemble puisqu’ils l’ont fait dans le passé. L’une des grandes valeurs démocratique de l’Europe est la pluriethnicité. Pourquoi ce qui est possible avec près de 30 minorités nationales en Serbie ne le serait pas aussi pour les Albanais?
LE PRÉSIDENT (interprétation)
remercie M. Koštunica de sa présence et de ses réponses aux orateurs. Il invite à utiliser les canaux et l’expérience du Conseil de l’Europe pour trouver une solution pacifique au problème du Kosovo. (Applaudissements)