M. LE PRÉSIDENT
Monsieur
le Premier ministre, nous avons été très sensibles à votre discours
qui constitue un témoignage de l’intérêt que vous portez aux activités
du Conseil de l’Europe. C’est également une occasion de réfléchir
à notre avenir qui devra beaucoup à notre cadre géographique. En
outre, je vous remercie d’avoir accepté de répondre aux nombreuses
questions des membres de cette Assemblée.
Je rappelle que l’Assemblée, dans sa première séance, m’a
confié le soin d’établir l’ordre d’appel des questions. Pour ce
faire, j’ai essayé de tenir compte des sujets intéressant en priorité
le Conseil de l’Europe dans son ensemble, de préférence aux questions
spécifiques à la CEE ou aux problèmes bilatéraux ou particuliers.
Il est néanmoins évident que, ce faisant, j’ai pris le risque
de mécontenter certains, peut-être même la plupart de nos collègues,
ce qui était inévitable compte tenu du temps dont nous disposons
maintenant.
Trente questions ont été déposées par écrit. Elles ont été
regroupées en dix-huit thèmes pour chacun desquels la procédure
sera la suivante:
J’inviterai d’abord M. le Premier ministre à répondre à chaque
groupe de questions. Puis, les collègues qui ont posé une question
portant sur le thème évoqué disposeront au maximum d’une minute
pour poser une question supplémentaire.
Je vous invite maintenant, Monsieur le Premier ministre, à
répondre aux questions du groupe n° 1 concernant les incidences
du conflit Irak-Iran sur les relations des pays occidentaux avec
les belligérants, sur l’approvisionnement en pétrole et sur la nécessité
de coopération en matière énergétique.
Ces questions nos 1, 20, 23, 25,
28 ont été posées par MM. Hanin, Jessel, Kershaw, Aano, Papaefstratiou. Ces
questions sont ainsi libellées:
«Question n° 1:
M. Hanin,
Demande au Premier ministre de la République française:
comment il évalue les répercussions pour l’Europe du conflit
entre l’Irak et l’Iran, quelles sont à son avis les répercussions
de ce conflit sur l’approvisionnement en pétrole et par voie de
conséquence sur les politiques énergétiques, et en particulier si
une plus grande concertation et une plus grande coopération ne lui
paraissent pas s’imposer entre pays européens, aussi bien dans le
domaine de l’énergie nucléaire que dans celui des énergies de substitution;
quelles seraient, à son avis, les initiatives et les mécanismes
à envisager pour définir et mettre en œuvre un programme de coopération
européen.
Question n° 20:
M. Jessel,
Demande au Premier ministre de la République française si,
compte tenu de la guerre qui a éclaté ces derniers jours entre l’Irak
et l’Iran, le Gouvernement français entend continuer à autoriser
la livraison à l’Irak de matériel permettant la fabrication d’armes
nucléaires.
Question n° 23:
M. Kershaw,
Demande au Premier ministre de la République française quelles
dispositions ont été prises pour assurer dans les conditions optimales
la consultation et la coopération entre les alliés occidentaux,
notamment au sujet du Proche-Orient et du conflit entre l’Irak et
l’Iran.
Question n° 25:
M. Aano,
Considérant le danger imminent pour la paix régionale et même
mondiale que constitue l’introduction d’armes nucléaires au Proche-Orient
et à la
lumière de l’instabilité et de l’absence de modération dans
cette région illustrées par la récente ouverture des hostilités
entre l’Irak et l’Iran et compte tenu du pouvoir limité dont dispose
l’Agence internationale pour l’énergie nucléaire pour empêcher la
production d’armes nucléaires,
Demande au Premier ministre de la République française si
le Gouvernement français réexaminera ses accords avec l’Irak pour
la fourniture d’une centrale nucléaire et d’uranium enrichi qui
permet virtuellement la production d’armes nucléaires.
Question n° 28:
M. Papaefstratiou,
Demande au Premier ministre de la République française s’il
juge qu’une réunion entre les pays producteurs et les pays consommateurs
de pétrole est possible dans l’immédiat, afin de trouver une éventuelle
solution au problème de l’établissement du prix du pétrole, puisqu’il
est évident que ce problème constitue une menace pour les économies
des pays et provoque, d’autre part, une augmentation du taux de
l’inflation.»
La parole est à M. Barre.
M. Barre, Premier ministre de la République française
M. Hanin m’a
demandé mon avis sur les répercussions du conflit entre l’Irak et
l’Iran en ce qui concerne l’approvisionnement et la politique énergétique des
pays de l’Europe occidentale.
Je voudrais d’abord brièvement fixer l’importance de l’Irak:
comme producteur de pétrole, 175 millions de tonnes, deuxième exportateur
de l’Europe; comme fournisseur de l’Europe occidentale: la France
est la première touchée, 24,5 millions de tonnes importées en 1979,
soit à peu près 25 % de ses importations totales. L’Italie a importé
22 millions de tonnes soit presque 20 % de son approvisionnement
total. La République Fédérale d’Allemagne a importé 2,5 millions
de tonnes.
Par contraste avec l’Irak, le rôle de l’Iran est minime puisque
ses exportations représentent 500 000 barils/jour, soit 25 millions
de tonnes par an vers les pays en voie de développement et les pays
socialistes.
L’arrêt des exportations de l’Iran et de l’Irak représente
un manque important sur le marché mondial. Cependant, il y a des
possibilités d’évacuation du pétrole brut irakien vers la Méditerranée:
environ 1 million à 1,5 million de barils/ jour, soit 50 millions
à 70 millions de tonnes par an.
Je note, par ailleurs, qu’il existe actuellement sur le marché
mondial du pétrole un excédent que l’on peut évaluer à 2 millions
ou 3 millions de barils/jour et que les stocks sont importants dans
nos pays, plus de 100 000 jours de stock.
Si le conflit reste donc limité géographiquement et dans le
temps, il n’y a pas de risque pour l’approvisionnement de l’Europe
occidentale dans l’immédiat. Il reste, cependant, que la liberté
de circulation dans le détroit d’Ormuz doit être assurée. Le conflit
actuel souligne la précarité de l’approvisionnement de l’Europe
occidentale et, par conséquent, le bien-fondé de la politique d’économies
d’énergie et du développement des énergies alternatives dont j’ai
parlé tout à l’heure.
Je vous demande, en particulier, Mesdames, Messieurs, d’apprécier
l’effort nucléaire français qui, à la fin de 1980, représentera
près de 25 % de la production d’électricité française. Je vous demande
d’apprécier cet effort à la lumière des considérations que je viens
d’évoquer.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre. La parole est à M. Hanin
pour une minute.
M. HANIN (Belgique)
Monsieur le
Président, je n’utiliserai pas cette minute. Je suis satisfait de
la réponse de M. le Premier ministre de la France qui m’a donné
les renseignements que j’avais demandés. Je n’ai pas obtenu de réponse
à la seconde partie de ma question relative aux initiatives que
pourrait prendre la France dans ce conflit, mais le Gouvernement
français, par l’action qu’il a menée, m’a donné une réponse satisfaisante et
suffisante.
M. LE PRÉSIDENT
Nous abordons
maintenant le groupe de questions n° 2 concernant l’attitude de
la France face à l’élargissement de la CEE, questions posées par
M. Kershaw (n° 2), M. Munoz Peirats (n° 21) et M. Bacelar (n° 22).
J’en donne lecture:
«Question n° 2:
M. Kershaw,
Demande au Premier ministre de la République française s’il
veut bien définir l’attitude de la France envers l’élargissement
de la CEE.
Question n° 21:
M. Muhoz Peirats,
Demande au Premier ministre de la République française de
bien vouloir préciser la position du Gouvernement français au sujet
de l’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes et d’indiquer
notamment s’il entend s’en tenir au calendrier qui avait été établi,
selon lequel les négociations et les procédures de ratification devaient
être achevées en 1983.
Question n° 22:
M. Bacelar,
Rappelant que le Portugal a demandé son admission à la CEE
et que le processus est en cours, avec un calendrier prévoyant sa
conclusion en 1983, mais que récemment il y eut des bruits relatifs
à un ajournement en raison de l’attitude du Gouvernement français,
Demande au Premier ministre de la République française où
l’on en est à ce sujet, si la France considère les demandes d’adhésion
du Portugal, la première formulée, et celle de l’Espagne comme constituant
un même dossier, à apprécier conjointement et devant donner lieu
à des décisions simultanées ou si, au contraire, il est disposé
à considérer séparément la demande portugaise, étant donné que ces
deux demandes soulèvent des problèmes tout à fait différents.»
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Barre, Premier ministre de la République française
La France a
marqué, sans aucune réticence, sa faveur à l’élargissement de la
Communauté à l’Espagne et au Portugal. Dès 1977, le Président de
la République française et le Gouvernement français ont clairement
exprimé leurs vues à ce sujet. Des négociations ont été ouvertes
qui doivent tenir compte de la situation évidemment différente de
l’Espagne et du Portugal, en particulier des niveaux de développement
différents de ces deux pays.
Au mois de juin dernier, le Gouvernement français a indiqué
qu’il lui paraissait que les négociations entreprises ne pourraient
pas trouver leur accomplissement total aussi longtemps que deux
problèmes ne seraient pas réglés: le problème de la politique agricole
menée au sein de la Communauté et le problème du financement de
la Communauté, c’est-à-dire le problème des ressources propres dont
nous avons, vous et moi, Monsieur le Président, un souvenir particulier.
C’est une remarque de bon sens qui ne vise nullement à transformer
la politique du Gouvernement français dans ce domaine. Elle consiste
à faire observer qu’au mois de mai dernier, à Luxembourg, un accord,
qui est temporaire, a pu être trouvé au sein de la Communauté sur
la contribution britannique et qu’à l’occasion de cet accord il
a été indiqué qu’une réflexion devait être entreprise, à la fois
sur la politique agricole commune et sur la contribution financière
des divers pays membres.
Comment, Mesdames, Messieurs, mener une négociation avec deux
pays extérieurs à la Communauté si nous ne savons pas, dans la Communauté,
quel est le cadre dans lequel les accueillir, en ce qui concerne
deux aspects fondamentaux de la vie de celle-ci, tels que l’agriculture,
d’une part, et le financement de la Communauté, d’autre part.
Nous savons, par exemple, que l’adhésion de l’Espagne entraînerait
un accroissement important des dépenses agricoles de la Communauté.
Comment financer ces dépenses agricoles? C’est ce que j’ai personnellement
expliqué au Premier ministre espagnol lorsque je me suis rendu à
Madrid et c’est ce que le Gouvernement français a expliqué au Premier
ministre du Portugal, M. Sa Carneiro, lorsqu’il est récemment venu
à Paris.
Notre position n’est pas du tout d’hostilité à l’élargissement.
A plus forte raison, ce n’est pas une position d’hostilité envers
l’Espagne et le Portugal, mais simplement l’expression de notre
souci de faire sérieusement les choses lorsqu’il s’agit de la Communauté.
M. KERSHAW (Royaume-Uni) (traduction)
M. le Premier
ministre ne pense-t-il pas que tout retard dans l’élargissement de
la Communauté décevra gravement les pays concernés et risque de
provoquer une réaction anticommunautaire dans ces pays?
M. Barre, Premier ministre de la République française
Je ne suis pas
certain que le sentiment anticommunautaire se développe dans ces
pays parce que nous voulons faire les choses sérieusement. Peut-être
s’efforce-t-on, à cette occasion, de développer des sentiments anticommunautaires
dans ces pays. Mais, bien entendu, leur intérêt est de ne pas s’engager
à l’aveuglette dans la Communauté.
Ce que nous souhaitons, c’est que les pays qui entrent dans
la Communauté et qui souscrivent à ses principes, à ses règles et
à ses obligations, le fassent en toute connaissance de cause, pour
ne pas avoir à léguer ensuite des charges qu’il ne leur serait pas
possible de supporter.
M. LE PRÉSIDENT
Nous allons
aborder maintenant le groupe de questions n° 3 concernant la lutte
contre le terrorisme et l’imprescriptibilité des crimes de guerre.
Une réponse commune leur sera apportée.
Ces questions nos 3, 24, 27 et
29 ont été posées par MM. Calatayud, Stoffelen, Calamandrei, Toker.
J’en donne lecture:
«Question n° 3:
M. Calatayud,
Considérant la poussée du terrorisme, qui devient de plus
en plus aveugle et insensé;
Considérant que, du fait que des indices concordants montrent
les liaisons existant entre les terroristes qui agissent dans les
différents Etats européens, l’exigence se manifeste que les Etats
européens donnent vie à une coopération accrue dans la lutte contre
l’ennemi commun, ce qui implique, entre autres, la création d’un «espace
juridique européen»;
Rappelant les efforts en ce sens du Conseil de l’Europe, au
sein duquel a été préparée la Convention européenne pour la répression
du terrorisme du 27 janvier 1977, et dont l’Assemblée a convoqué
une Conférence sur les tâches et les problèmes de la défense de
la démocratie contre le terrorisme, qui aura lieu à Strasbourg en
novembre prochain,
Demande au Premier ministre de la République française quelle
est l’attitude de la France en cette matière.
Question n° 24:
M. Stoffelen,
Considérant que le Conseil de l’Europe a conclu en 1974 une
Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre
l’humanité et des crimes de guerre;
Considérant que la France a été le premier Etat membre du
Conseil de l’Europe à signer cette convention et qu’elle a été suivie
par les Pays-Bas en 1979;
Considérant que la procédure de ratification de cette convention
par les Pays-Bas sera bientôt achevée;
Rappelant la Recommandation 855 (1979) de l’Assemblée,
Demande au Premier ministre de la République française si
la France va bientôt ratifier la Convention européenne sur l’imprescriptibilité
des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.
Question n° 27:
M. Calamandrei,
Demande au Premier ministre de la République française s’il
estime que les autorités françaises compétentes et responsables
ont donné et donnent aux autres pays membres, plus directement frappés
par le terrorisme, toute la collaboration nécessaire et possible
pour combattre et écraser les organisations terroristes.
Question n° 23:
M. Toker,
Constatant que, depuis des années, la France est devenue un
centre d’opération terroriste contre les diplomates turcs, qu’aucun
des terroristes n’a été appréhendé jusqu’aujourd’hui et même identifié,
qu’aucune poursuite n’a été entamée contre l’organisation terroriste
qui a revendiqué ouvertement ces actes et qu’encouragé naturellement
par cette situation, le terrorisme contre les diplomates turcs,
qui a commencé par l’attentat qui a coûté la vie à l’ambassadeur
de Turquie à Paris, a pris une dimension et une fréquence alarmantes;
Vu l’importance attachée par le Conseil de l’Europe à la lutte
contre le terrorisme international,
Demande au Premier ministre de la République française quelles
mesures le Gouvernement français envisage pour contrecarrer ces
actes et pour leur prévention et poursuite.»
Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre
à ce groupe de questions.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, la première question qui m’a été posée concernait le
terrorisme.
Le terrorisme est un phénomène qui, à l’heure actuelle, met
en danger les nations démocratiques. Il importe donc que celles-ci
adoptent les mesures nécessaires pour le combattre efficacement.
C’est dans cette optique que le Conseil de l’Europe a élaboré
la convention du 27 janvier 1977. Je rappelle ici que la France
a signé cette convention dès le jour de son adoption.
Ce que la France souhaite, c’est que les mesures de lutte
contre le terrorisme soient extrêmement actives, mais qu’elles respectent
les droits de l’homme et tout particulièrement le droit d’asile.
C’est ce que nous avons déjà déclaré à l’époque, en même temps
que nous disions que nous attachions une importance toute particulière
aux travaux menés à neuf en ce domaine.
Nous attendons donc tout d’abord les résultats des travaux
dans le domaine de l’espace judiciaire européen.
En ce qui concerne l’imprescriptibilité des crimes de guerre,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, le 2 février
1979, la Recommandation 855 relative à la prescription des crimes
de guerre et des crimes contre l’humanité.
Le Comité des Ministres a transmis cette recommandation pour
avis au Comité européen pour les problèmes criminels. Dans l’avis
qu’il a formulé, le comité européen a constaté notamment que les
positions étaient partagées au sein des Etats membres du Conseil
de l’Europe sur les perspectives de signature et de ratification
de la convention européenne du 25 janvier 1974. Il a relevé, par
ailleurs, que les procédures prévues par les diverses Conventions
européennes sur la coopération en matière pénale constituaient un cadre
approprié et suffisant pour la coopération jugée nécessaire par
l’Assemblée et pour les diverses améliorations suggérées par elle.
Au vu de cet avis, le Comité des Ministres, où sont naturellement
représentés tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, n’a pas
jugé nécessaire de recommander l’adoption de mesures spéciales au
niveau européen.
A l’occasion de l’examen de la Recommandation 855 par le Comité
des Ministres, le Gouvernement français a rappelé, à propos de la
convention européenne du 25 janvier 1974, l’intérêt particulier
qu’il avait toujours manifesté à l’égard du châtiment des crimes
de guerre et des crimes contre l’humanité.
C’est ainsi que le Gouvernement français a adopté, le 26 décembre
1964, une loi interne tendant à constater l’imprescriptibilité des
crimes contre l’humanité, qu’il a conclu, le 2 février 1971, avec
la République Fédérale d’Allemagne, un accord relatif à la compétence
judiciaire pour la répression des crimes de guerre et qu’il a été le
premier gouvernement à signer la Convention européenne du 25 janvier
1974 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des
crimes de guerre.
Tels sont les éléments que je souhaitais fournir aux réponses
qui m’ont été posées sur ces deux points.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre.
Je donne la parole à M. Calatayud pour poser une question
supplémentaire.
M. CALATAYUD (Espagne)
(s’est exprimé en espagnol; la traduction du
discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues
additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat
par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles
18 et 22 du Règlement).
M. LE PRÉSIDENT
C’est
sur l’attitude du Gouvernement français concernant l’attaque des
juifs à Paris que M. Calatayud pose une question.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, en ce qui concerne les manifestations racistes qui se
sont produites à Paris, le Gouvernement français a pris la position la
plus nette et il est tout à fait déterminé à poursuivre les organisations
qui se livreraient à des actes hautement répréhensibles à l’égard
de la communauté juive de France.
Je rappelle qu’il a dissous, il y a quelques jours, une organisation
qui prétendait faire renaître en France des pratiques et des théories
inspirées du nazisme.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre.
Nous en arrivons à la question n° 4 posée par M. Pignion concernant
la non-ratification par la France de l’article 25 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme. Elle est ainsi libellée:
«M. Pignion,
Rappelant que de nombreuses questions ont déjà été posées
au Gouvernement par les députés français au sujet de la non-ratification
par la France de l’article 25 de la Convention européenne des Droits
de l’Homme;
Contestant, d’une part, l’argumentation selon laquelle un
délai de réflexion est nécessaire pour examiner les conséquences
de cette ratification sur le droit interne français, car il semble
que plus de sept années soient un délai amplement suffisant, et
contestant, d’autre part, le fait qu’aucun préjudice ne serait causé
aux citoyens français qui pour leur défense peuvent se fonder sur
les traités ratifiés par la France, car ceci n’est pas toujours vrai,
étant donné que certaines juridictions reconnaissent à des lois
ordinaires promulguées postérieurement à certains traités une norme
supérieure;
Constatant a contrario que la ratification de cet article
25 ne saurait être préjudiciable aux citoyens français, mais plutôt
bénéfique,
Demande au Premier ministre de la République française si,
fort de créer un espace judiciaire européen, il avait autant de
conviction pour élargir l’espace de liberté européen et notamment
français, en faisant en sorte que soit ratifié cet article 25.»
Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre
à cette question.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, je voudrais d’abord rappeler que notre organisation constitutionnelle
et judiciaire fait que le recours individuel fonctionne déjà parfaitement
en droit français. En effet, en vertu de l’article 55 de la Constitution,
les traités, et notamment la Convention européenne des Droits de
l’Homme, ont une autorité supérieure à celle des lois et sont directement
appliqués par nos tribunaux. Les justiciables peuvent donc invoquer
cette convention devant les juridictions, tant administratives que
judiciaires, lesquelles d’ailleurs ont fait application à diverses
reprises des dispositions de la convention au cours de ces dernières
années.
Dès lors, les particuliers disposent toujours d’une voie de
droit effective sans avoir besoin d’exercer le recours prévu par
l’article 25 de la convention. Le problème soulevé n’a donc jamais
eu, en particulier sous l’actuelle Constitution, le caractère aigu
que l’on voudrait parfois lui conférer.
M. LE PRÉSIDENT
Je donne
la parole à M. Pignion pour une brève question complémentaire.
M. PIGNION (France)
Monsieur le Président,
je ne puis dire que la réponse de M. le Premier ministre me satisfait
entièrement, mais il a été question quelques instants auparavant
d’espace judiciaire européen et j’ai préféré poser cette question
en tant que parlementaire français plutôt que de la laisser poser
par un de nos collègues. Puisque de temps de temps en temps en commission
ou ailleurs, elle revient sur le tapis, je considère qu’elle peut
revenir sur le plan national.
M. LE PRÉSIDENT
Nous allons
maintenant aborder le groupe de questions n° 5 concernant la politique
de la France à l’égard des immigrés portugais et turcs. Une réponse
commune leur sera apportée. Ces questions nos 5
et 26 ont été posées par M. Bacelar et M. Üstünel. J’en donne lecture:
«Question n° 5:
M. Bacelar,
Rappelant que le Portugal a plus d’un million de ses travailleurs
migrants en France, dont la plus grande partie y est établie depuis
longtemps et a apporté une contribution considérable à l’économie
française;
Constatant que depuis quelques années l’économie française
connaît des difficultés, notamment dans les domaines de l’emploi
et de l’inflation, et que certaines lois récemment promulguées font
craindre que soit compromise la possibilité de séjour en France
de cette très nombreuse partie de la population portugaise qui, si
elle était renvoyée au Portugal, constituerait pour ce pays un problème
insurmontable,
Demande au Premier ministre de la République française si
les craintes en cette matière sont justifiées et s’il peut donner
des apaisements dans le cadre des relations luso-françaises, particulièrement
bonnes et amicales.
Question n° 26:
M. Üstünel,
Considérant la brusque décision récemment prise par le Gouvernement
français d’imposer un visa aux ressortissants turcs à partir du
5 octobre 1980, en violation au moins de l’esprit des accords qui
sont la raison d’être du Conseil de l’Europe, et ceci pratiquement
sans préavis,
Demande au Premier ministre de la République française si
l’intention du Gouvernement français est d’isoler de l’Europe et
de pousser plus avant dans un régime aventureux, avec l’exemple
récent du Moyen-Orient, un pays qui participe aux alliances occidentales
depuis plus de trente ans, ce qui aurait pour effet de susciter
dans la population de vifs ressentiments à l’égard de l’Ouest et
de compliquer encore la tâche déjà difficile des autorités actuelles,
qui s’efforcent d’obtenir l’appui de la solidarité occidentale pour
rétablir une démocratie viable, fondée sur les principes de liberté
et de droits de l’homme; et pendant combien de temps son Gouvernement
envisage d’exiger ce visa, et s’il a l’intention d’appliquer les
mêmes restrictions aux ressortissants d’autres Etats membres, comme
l’Espagne et le Portugal, qui envoient des travailleurs en France.»
Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre
à ce groupe de questions.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, en ce qui concerne les émigrants portugais, nous avons
en France une colonie portugaise extrêmement importante qui jouit
de tous les droits des citoyens français, que nous avons accueillie
avec beaucoup de sympathie et dont nous constatons souvent une intégration
très rapide dans le milieu national français. Nous n’avons à aucun moment
envisagé de prendre des mesures concernant l’immigration en provenance
du Portugal.
La France a révisé sa politique d’immigration, c’est un fait.
Pourquoi? Parce que nous ne sommes plus dans la phase d’expansion
économique et de plein emploi dans laquelle nous nous trouvions,
qui a duré deux décennies et au cours de laquelle plus de deux millions
de travailleurs étrangers sont venus en France. Mais je vous rappelle,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, que si la France a arrêté
l’immigration en provenance de l’extérieur, elle n’a à aucun moment
expulsé les travailleurs étrangers qui étaient venus en France et
qui avaient contribué à son développement. Elle n’a pas l’intention
de le faire non plus dans l’avenir car elle a, à l’égard de ceux
qui ont contribué à sa prospérité, une dette de reconnaissance.
Nous ne considérons pas les travailleurs étrangers en France comme
des esclaves que l’on peut accueillir et rejeter selon les diverses
fortunes de la conjoncture. (Applaudissements)
Si la France a défini de nouvelles règles pour l’immigration
en ce qui concerne le Portugal, je rappelle que le Président de
la République a adressé, le 27 septembre 1979, au Président de la
République portugaise, la lettre suivante:
«Je vous confirme, Monsieur le Président, qu’en raison
de la candidature du Portugal à la Communauté économique européenne,
il a été décidé que les titres de séjour et de travail des portugais
résidant en France continueront d’être renouvelés à l’avenir dans
les mêmes conditions libérales que par le passé, c’est-à-dire sans
leur appliquer en fait le nouveau régime prévu pour les étrangers.
C’est pour moi l’occasion de rendre hommage à la qualité
du travail des Portugais vivant parmi nous et de vous assurer qu’ils
se sont acquis par leur attitude et leurs qualités, l’estime et
l’affection du peuple français.»
En ce qui concerne les travailleurs migrants en provenance
de Turquie, le Gouvernement français a décidé le rétablissement
des visas à l’encontre des ressortissants turcs.
Je rappelle que le Gouvernement français a informé le Gouvernement
turc qu’il suspendait provisoirement, à partir du 5 octobre, l’échange
de lettres signées le 29 juin 1954 à Ankara, sur la circulation
des personnes.
Il a par ailleurs informé le Secrétariat Général du Conseil
de l’Europe, conformément à l’article 7 de l’Accord européen sur
le régime de la libre circulation des personnes du 13 décembre 1957,
qu’il se voyait dans l’obligation de suspendre à l’égard de la Turquie
les dispositions de l’article 1, alinéas 1 et 2, de nos accords, l’effet
de cette mesure étant de rétablir à l’égard des ressortissants turcs
se rendant en France pour de courts séjours l’obligation du visa.
Le Gouvernement français s’est vu contraint de prendre une
telle mesure après que certains partenaires européens ont d’ores
et déjà rétabli l’exigence du visa. Il l’a fait essentiellement
pour des raisons d’ordre public.
Le Gouvernement français a entendu éviter, d’une part, que
des travailleurs clandestins ne trouvant plus d’emploi dans les
pays voisins ne viennent chercher en France du travail de manière
illégale, puisque l’immigration étrangère est suspendue – je viens
de le rappeler – depuis 1974. Il a entendu, d’autre part, éviter que,
dans une période troublée, ne viennent sur le territoire national
des éléments incontrôlés susceptibles d’accomplir en France des
actes de terrorisme – le dernier crime est l’attentat commis contre
le conseiller de presse de l’ambassade de Turquie à Paris – ou de
provoquer des manifestations, comme à Strasbourg la semaine dernière,
devant le Conseil de l’Europe.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie. La parole est à M. Bacelar.
M. BACELAR (Portugal)
Si j’ai demandé
la parole, c’est pour remercier M. le Premier ministre pour la clarté de
sa réponse. Je suis certain que tous les Portugais seront reconnaissants
à M. le Premier ministre quand ils connaîtront cette réponse et
cette déclaration si nette, dans une ligne si juste, avec une élévation
de pensée très élevée. Je n’espérais pas autre chose, et je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie, Monsieur Bacelar. Nous allons maintenant aborder le groupe
de questions n° 6 concernant le rayonnement de la langue et de la
culture françaises dans le monde. Une réponse commune leur sera
apportée. Ces questions nos 6 et 19 ont
été posées par MM. Fosson et Brasseur. J’en donne lecture:
«Question n° 6:
M. Fosson,
Considérant l’ancienneté de l’implantation de la langue française
dans la vallée d’Aoste qui a appartenu à la sphère politique et
culturelle franco-burgonde, que les Valdotains, qui ont toujours
lutté pour la défense du droit à la langue française, ont pu conquérir
un statut spécial d’autonomie approuvé par l’Assemblée constituante de
la République italienne en 1948, statut qui, entre autres, déclare
la parité officielle des deux langues, le français et l’italien,
et rétablit l’enseignement obligatoire de la langue française dans
les écoles de n’importe quel ordre ou degré dépendant de la région;
Considérant qu’il n’y a pas d’université en vallée d’Aoste
et qu’à défaut de la reconnaissance des diplômes décernés par les
universités francophones, les jeunes Valdotains sont obligés de
fréquenter exclusivement les universités italiennes, ce qui a des
répercussions sur les débouchés professionnels pour les personnes
de formation bilingue;
Dans l’attente que les Communautés européennes puissent trouver
une solution à ce problème, qui concerne tous les pays membres ainsi
que plusieurs autres minorités linguistiques,
Demande au Premier ministre de la République française s’il
n’est pas possible de surmonter ces difficultés moyennant un accord
entre le Gouvernement français et le Gouvernement italien en le
limitant aux étudiants de la vallée d’Aoste, à l’instar de l’accord
concernant les étudiants de la province autonome de Bolzano (Haut-Adige)
qui a été conclu voici quelques années entre le Gouvernement italien
et le Gouvernement autrichien.
Question n° 19:
M. Brasseur,
Rappelant que la multitude des cultures et des civilisations
constitue une des richesses historiques de l’Europe, et que la France
a traditionnellement donné une grande importance au rayonnement
de la langue et de la culture françaises dans le monde,
Demande au Premier ministre de la République française quels
sont les grands axes de la politique du Gouvernement français en
faveur de la sauvegarde du français dans les pays ou les régions
francophones d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, voire d’Asie.»
Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre
à ce groupe de questions.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, la France accorde une place privilégiée à ses relations
avec les pays qui partagent avec elle l’usage d’une même langue,
la langue française. Elle s’efforce tout ensemble de renforcer la
solidarité naturelle qui la lie aux pays francophones et de prendre
des mesures pour assurer la défense et la diffusion de la langue
française.
Je n’évoquerai pas ce que nous faisons sur le plan national,
notamment par le ministère de la Coopération, qui étend à vingt-deux
pays, principalement en Afrique, une importante assistance pour
l’enseignement du français. Je voudrais seulement rappeler qu’en
Europe la France s’efforce de multiplier les occasions d’échanges
et de coopération en matière linguistique avec les pays ou les régions
d’expression française, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse: échange
de livres, de programmes radiophoniques et de télévision.
S’agissant de la communauté française de Belgique, je rappelle,
en particulier, qu’un organe paritaire parlementaire franco-belge
joue un rôle d’incitation et de proposition.
En Amérique du Nord, depuis quinze ans, la France a accompli
un effort considérable pour répondre aux besoins spécifiques du
Québec; l’Office franco-québécois de la jeunesse joue, en ce domaine,
un rôle essentiel. La création d’une chaîne de télévision au Québec
est un résultat, parmi d’autres, de cette action. La France n’a
pas négligé pour autant les autres minorités qui parlent français
au Canada et aux Etats-Unis, que ce soient notamment les Acadiens
et les Louisianais.
L’Afrique, je viens de le rappeler, est le continent privilégié
de l’action de la France en matière linguistique.
Enfin, le Gouvernement français maintient une coopération
avec les pays d’Asie – comme le Vietnam – qui, dans le passé, ont
largement utilisé le français, et elle s’efforce de répondre aux
requêtes qui lui sont présentées.
Puis-je enfin évoquer un pays qui nous est cher, le Liban,
lequel demeure une zone privilégiée de notre assistance en matière
d’enseignement et de diffusion du français? Permettez-moi de saisir
cette occasion pour vous dire les vœux que la France forme pour
la restauration de la paix au Liban, pour l’intégrité et pour l’indépendance
de ce pays auquel nous sommes liés par tant de siècles d’histoire. (Applaudissements)
Outre ces interventions bilatérales, je voudrais rappeler
la participation de la France à des institutions intergouvemementales,
comme l’Agence de coopération culturelle et technique interparlementaire, l’Association
des parlementaires de langue française, à des institutions universitaires
comme l’Association des universités entièrement ou partiellement
de langue française, à l’Institut de droit et d’expression française,
à l’Union de journalistes de langue française; et tout récemment,
à Paris, M. Peyrefitte, Garde des Sceaux, a pris l’initiative de
réunir les ministres de la Justice de vingt-sept pays francophones.
Je voudrais, pour conclure sur ce point, Mesdames, Messieurs,
vous dire que cette politique que la France mène en faveur de la
langue française n’est pas dirigée contre d’autres langues. Mais
nous estimons que la langue française a joué dans le passé, qu’elle
joue dans le présent et qu'elle peut jouer dans l’avenir un rôle essentiel
en faveur de la culture et en faveur du dialogue entre les nations.
M. BRASSEUR (Belgique)
Je remercie
Monsieur le Premier ministre de la République française pour sa réponse,
qui me paraît très satisfaisante.
Pour ne pas prolonger le débat, j’émettrai simplement le souhait
que la France, comme les autres pays francophones, fasse un effort
à propos de l’équivalence des diplômes, notamment universitaires.
A cet égard, je me permets de rappeler la question plus particulière
de M. le sénateur Fosson – lequel a malheureusement dû quitter cette
enceinte – relative à l’équivalence en France des diplômes qui pourraient être
obtenus par des ressortissants du val d’Aoste.
M. Barre, Premier ministre de la République française
L’universitaire
que je suis est très sensible au problème soulevé par M. Brasseur,
et je lui répondrai que nous y portons attention.
M. LE PRÉSIDENT
Nous abordons
le dernier groupe de questions que nous pouvons traiter aujourd’hui
et qui concerne l’attitude de la France à l’égard des problèmes
de pollution transfrontalière, questions nos 7
et 30 posées par M. Vohrer et M. Konings. J’en donne lecture:
«Question n° 7:
M. Vohrer,
Demande au Premier ministre de la République française dans
quelle mesure le Gouvernement français est prêt à s’associer avec
ses partenaires européens pour trouver des solutions communes en
matière de nuisances et de polluants transfrontaliers.
Question n° 30:
M. Konings,
Demande au Premier ministre de la République française quand
la France se proposera de mettre fin à ses déversements de chlorures
dans la rivière européenne, le Rhin.»
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Je crois que
l’attention portée aux problèmes de l’environnement et que l’action
menée en faveur de l’écologie et de la lutte contre la pollution, seront
des caractéristiques de notre époque.
Vous avez soulevé deux problèmes importants: la pollution
du Rhin et la pollution de la Méditerranée.
En ce qui concerne le Rhin, la France a signé en 1976, avec
les autres pays riverains, une convention par laquelle elle a accepté
d’engager sur son sol, avec l’appui financier de ses partenaires,
la réduction de la pollution de ce fleuve par les chlorures. Elle
s’était engagée à injecter dans le sous-sol alsacien une partie
des résidus chlorés produits par les mines de potasse d’Alsace.
A la suite de la violente opposition de nombreux milieux alsaciens
à l’égard de cette injection de résidus qui pouvait menacer la nappe
phréatique, cette convention n’a pu être ratifiée par le Parlement
français, et le Gouvernement français a retiré le projet de loi
autorisant la ratification afin de laisser la possibilité à des discussions
et à des négociations de se développer avec nos partenaires.
Cependant, je tiens à réaffirmer l’attachement du Gouvernement
français aux objectifs généraux que se sont assignés les Etats riverains
du Rhin. L’objectif de réduction des rejets de sels fait actuellement
l’objet de travaux au sein de la Commission internationale pour
la protection du Rhin. J’ai eu personnellement à m’entretenir de
cette affaire avec le Premier ministre des Pays-Bas. La France a
fait une proposition de construction d’une saline internationale
en Alsace. Nos partenaires ont souhaité que soient élaborés parallèlement
à cette proposition d’autres projets techniques. Tous ces éléments
sont en cours d’examen à la commission internationale. Ils seront
ensuite proposés en 1981 aux ministres de l’Environnement qui doivent se
réunir pour définir les nouveaux objectifs à atteindre et les moyens
à mettre en œuvre. Je pense qu’il sera possible de trouver des solutions
techniques acceptables par tous.
En ce qui concerne la Méditerranée, l’action du Gouvernement
français se développe à la fois sur le plan national et sur le plan
international. Sur son territoire, la France a prévu d’éliminer
pratiquement les rejets telluriques en construisant des stations
d’épuration dans les trois dernières grandes villes qui en étaient
encore dépourvues, à savoir Marseille, Toulon et Nice.
L’importance de l’effort consenti sur notre territoire nous
permet de jouer un rôle important sur le plan multilatéral, notamment
dans le cadre du plan d’action pour la Méditerranée mis au point
en 1975 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement.
La participation de la France à ce plan d’action est d’abord
financière. Elle apporte la moitié de la contribution des Etats
riverains, donc le quart du budget total de l’organisation, soit
750 000 dollars par an. Les délégations, dans lesquelles les spécialistes
français se sont montrés très actifs, étudient les différents domaines
couverts par le plan, domaine scientifique et surveillance du milieu
marin. Nos laboratoires s’efforcent de coordonner leur action avec
celles de leurs homologues espagnols et italiens.
Dans le secteur de la recherche humaine et économique, la
France a pris l’initiative du «plan bleu» qui vise à mettre au point
des méthodes de développement économique compatibles avec la protection
de l’environnement, énergies renouvelables et aquaculture en particulier.
Enfin, dans le domaine conventionnel, la France a activement
participé à la négociation de la Convention de Barcelone conclue
en 1976 et de ses protocoles annexes qui établissent les règles
juridiques propres à assurer la lutte contre toutes les formes de
pollution dues aux activités humaines.
La France va déposer incessamment les instruments de ratification
de cette convention.
Voilà, Monsieur le Président, les éclaircissements que je
pouvais apporter aux membres de cette Assemblée sur ces deux points
importants.
M. LE PRÉSIDENT
Je vous
remercie, Monsieur le Premier ministre. La parole est à M. Vohrer.
M. VOHRER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)
Monsieur le Président, je remercie vivement M. Barre de sa
réponse, mais je voudrais tout de même préciser ma question. Monsieur
le Premier ministre, l’amitié franco-allemande s’est développée
de manière satisfaisante pendant près de trente ans et c’est dans
ce contexte que, en tant qu’homme politique venant du pays de Bade,
je voudrais exprimer ma préoccupation et vous demander si le Gouvernement
français sait que les problèmes de pollution transfrontalière, notamment
dans la région située aux alentours de la centrale nucléaire de
Fessenheim, pèsent sur l’amitié franco-allemande. J’aimerais aussi
savoir dans quelle mesure le Gouvernement français est prêt à conclure
des accords englobant l’ensemble de la pollution écologique de la
plaine du Rhin – je songe à la pollution de l’air, de l’eau et à
la coordination des emplacements des centrales nucléaires – et à
coopérer à la solution de ce problème. Monsieur le Premier ministre,
pourriez-vous envisager que, en attendant que l’objectif final d’un
droit européen de l’environnement soit atteint, le Gouvernement
français contribue à faire en sorte que, dans le domaine de la pollution
transfrontalière, ce soit toujours le droit national le plus rigoureux
qui soit appliqué?
M. Barre, Premier ministre de la République française
Nous entretenons
avec nos partenaires et amis allemands, tant entre les gouvernements
que sur le plan régional, des relations étroites en ce domaine.
Nous avons, au sujet de la pollution et de la protection de
l’environnement, donné toutes informations utiles à nos partenaires,
notamment en ce qui concerne les problèmes posés dans la région
de Fessenheim.
Mais, je tiens à le dire clairement, s’il s’agit, d’une façon
ou d’une autre, d’intervenir ou d’exercer un droit quelconque sur
la réalisation de notre programme nucléaire national, nous ne saurions
l’admettre...
M. BOZZI (France)
Très bien!
M. Barre, Premier ministre de la République française
En effet, notre
programme nucléaire national est un élément essentiel de l’indépendance
énergétique de la France. De surcroît, nous pensons que c’est une
contribution essentielle à la réduction de la dépendance énergétique
de l’Europe. Autant nous sommes prêts à prendre en considération
les vues exprimées par les écologistes et à en tenir le plus grand compte,
notamment dans le domaine de la sécurité et de la protection de
l’environnement, autant nous ne sommes pas disposés à laisser sacrifier
nos intérêts fondamentaux à des thèses parfois plus superficielles
que fondées.
M. LE PRÉSIDENT
M. le
Premier ministre a consenti à répondre encore à la question n° 8
concernant la libéralisation de l’économie française, posée par
M. Leon Herrero. Elle est ainsi rédigée:
«M. Leon Herrero,
Demande au Premier ministre de la République française de
bien vouloir informer l’Assemblée des résultats de la politique
de libéralisation de l’économie, décidée par le Gouvernement français,
y compris dans les secteurs public et nationalisé, et s’il est résolu
à poursuivre cette politique.»
Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.
M. Barre, Premier ministre de la République française
Monsieur le
Président, il n’y a rien que je déteste plus que les positions doctrinaires.
Je n’arrive pas, non seulement comme Premier ministre, mais plus encore
comme économiste, à comprendre les débats qui ont cours sur des
doctrines telles que le libéralisme, l’interventionnisme, la planification
ou la non-planification, etc. Une politique économique se fait en
effet à partir des réalités, des réalités économiques, des réalités
sociales, des réalités politiques et des réalités psychologiques.
La France, pour sa part, mène la politique d’un pays qui adhère
à l’idéal d’une société de liberté et de responsabilité.
Dans une telle économie et dans une telle société, la libre
initiative, la libre entreprise et le respect des responsabilités
de chacun, avec la sanction qui doit être supportée lorsque la responsabilité
n’a pas été assumée, restent les principes fondamentaux de l’organisation
économique.
Nous avons en France un secteur nationalisé qui est un héritage
de la Résistance et de la Libération; nous n’avons pas l’intention
de dénationaliser nos entreprises nationales car nous en sommes
fiers: les entreprises nationales comme Electricité de France, la
Société nationale des chemins de fer français, Air France, ont une grande
réputation non seulement en France mais également sur le plan international.
Elles font partie de notre patrimoine national, et nous souhaitons
qu’elles soient gérées comme des entreprises dynamiques, prospères et
efficaces: nous ne voulons pas d’interventions politiciennes dans
la gestion des entreprises publiques, car nous voulons qu’elles
soient prospères et efficaces au service de la nation.
Quant aux entreprises privées, elles existent, et nous n’avons
pas l’intention de les nationaliser. Le Gouvernement français a
pris, sur ce point, avant les élections de 1978, contre le programme
commun de l’opposition qui prévoyait des nationalisations massives,
une position qui a été dépourvue d’ambiguïté et qui, Dieu merci,
a été approuvée avec le bon sens qui le caractérise par le peuple
français dans sa majorité. Voilà pour ce qui est du secteur public
et du secteur privé.
En deuxième lieu, nous avons essayé d’introduire dans l’économie
française des mécanismes de marché qui n’existaient pas. Pourquoi?
Parce qu’une grande nation moderne doit être gérée selon les principes
d’une gestion moderne de l’économie.
Depuis trente années, nous pratiquions le contrôle des prix,
contrôle qui ne résolvait aucun problème car il les masquait et
les problèmes réapparaissaient plus tard; la seule conséquence était
que nos entreprises ne disposaient plus de la liberté de gestion
et de la capacité d’adaptation à ces problèmes difficiles auxquels
elles ont à faire face. Nous avons donc rétabli la liberté des prix;
ainsi les entreprises ont acquis la possibilité de se gérer. Mais
nous entendons exercer cette liberté des prix dans un climat de
concurrence accrue à l’intérieur comme sur le plan international.
Je rappelle à l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe
que, depuis 1976, je me suis battu quotidiennement contre ceux qui
n’avaient d’autres revendications que de rétablir le protectionnisme
aux frontières de la France. Nous avons choisi la concurrence internationale:
la concurrence est pour nous un facteur de progrès et nous n’allons
pas nous engager sur la voie de la régression.
Enfin, nous souhaitons que la politique de la France ne laisse
pas à la monnaie un rôle mineur. C’est un point important. C’est
peut-être du libéralisme mais, dans ce cas, je suis libéral. Je
veux dire par là qu’aucune autorité gouvernementale n’a le droit
de laisser le crédit se développer dans des conditions telles qu’il
entraîne l’inflation dans un pays. C’est la raison pour laquelle
l’effort du Gouvernement français, depuis 1976, consiste à maintenir
une progression de la masse monétaire qui n’excède pas la progression
de nos richesses, qui y soit même inférieure.
Nous ne sommes pas partisans d’un monétarisme échevelé: nous
sommes en revanche favorables à un contrôle de la création de monnaie.
En outre, sur le plan international, nous souhaitons que notre
monnaie ait une valeur stable. Nous ne sommes pas des partisans
de la dévaluation à répétition et nous défendons la valeur de notre
monnaie. C’est la raison pour laquelle nous sommes entrés dans le
système monétaire européen; nous appliquons la politique qui convient
pour que notre pays et notre monnaie tiennent la place qui doit
être la leur dans le système monétaire européen.
Telle est la politique économique de la France. Je ne sais
pas si c’est une politique libérale ou non libérale. Toutes les
fois qu’il faut intervenir, l’Etat intervient, en se substituant
à ceux qui doivent prendre les décisions, mais en incitant ou en
aidant ceux qui doivent prendre les décisions et les exécuter.
Ainsi, pensons-nous faire de la France un pays capable de
faire face au défi de la situation internationale que je décrivais
tout à l’heure.
M. LE PRÉSIDENT
Nous venons
de vivre avec vous, Monsieur le Premier ministre, une heure particulièrement
intéressante et riche qui fera date, j’en suis sûr, dans le déroulement
des travaux de notre Assemblée. Nous avons tous conscience que cet
exercice, en raison même de l’intérêt que revêtent vos commentaires,
aurait pu se prolonger pendant longtemps.
Je voudrais m’excuser encore une fois auprès des membres de
l’Assemblée qui avaient déposé des questions qui, faute de temps,
n’ont pas pu être traitées.
Encore une fois, Monsieur le Premier ministre, je vous remercie
très sincèrement, en particulier pour les encouragements que vous
nous avez prodigués et pour l’adhésion que vous avez exprimée aux
objectifs et au rôle du Conseil de l’Europe.