Anton
Martí
Chef du gouvernement d'Andorre
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 25 avril 2013
Monsieur le Président, Madame la Secrétaire Générale adjointe, Mesdames, Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs, c'est un grand honneur et un moment de profonde émotion pour moi, en tant que citoyen andorran et chef du gouvernement de la principauté d'Andorre, de participer à cette deuxième partie de session de l'Assemblée parlementaire alors que l'Andorre préside le Comité des Ministres.
En effet, l'Andorre est membre du Conseil de l'Europe depuis bientôt 20 ans, mais elle assume pour la première fois la présidence du Comité des Ministres de cet organisme qui fut, pendant des décennies, une référence et qui le reste pour ce qui est de l'entente entre les peuples, la diffusion des valeurs démocratiques et le respect des droits fondamentaux.
Si la présidence du Comité des Ministres suscite en moi une telle émotion, c'est parce qu'il n'y a pas si longtemps, la personnalité juridique de la principauté d'Andorre ne nous donnait pas une reconnaissance internationale, alors même que l'Andorre est l’un des Etats les plus anciens d'Europe et des plus stables du point de vue institutionnel. Effectivement, jusqu'à l'adoption par référendum de la Constitution de 1993, notre ancien pays était considéré comme une sorte de «rara avis».
L'adhésion de l'Andorre aux Nations Unies, et peu après au Conseil de l'Europe, a été le point culminant des aspirations de générations d'Andorrans qui souhaitaient voir la principauté d'Andorre pleinement intégrée dans la communauté internationale. Nous pouvons affirmer sans aucun doute que cela fait 20 ans que l'Andorre, grâce à sa Constitution, grâce à son adhésion aux Nations Unies et à son entrée au Conseil de l'Europe, a réussi enfin à homologuer son système politique.
L'adhésion de notre pays à cette Assemblée qui accueille les peuples du vieux continent, a été particulièrement significative. Il n'est peut‑être pas inutile de rappeler que si une demande individuelle contre l'Andorre, auprès de la Cour européenne des droits de l'homme en 1989, a été le catalyseur de l’engagement du processus constitutionnel interne, les travaux de cette Assemblée ont été un authentique moteur tant pour les travaux qui ont mené à l'adoption de la Constitution que pour son corollaire, l'homologation internationale de l'Andorre.
Nous pouvons donc dire que le Conseil de l'Europe a joué un rôle important, sinon déterminant, dans l'évolution de la coprincipauté, et ce, non pas uniquement à l'origine, mais encore à travers l'écoute et le suivi des différents rapports et recommandations adoptés tant par votre Assemblée que par la transposition en normes internes des textes adoptés par le Comité des Ministres au cours des deux dernières décennies.
Tout au long de ses plus de 60 ans d'histoire, le Conseil de l'Europe, avec son système conventionnel, a permis de donner tout son sens à la fameuse citation de Voltaire qui, aujourd'hui, semble plus que jamais prophétique: «Je voudrais que tout homme public, quand il est près de faire une grosse sottise, se dise toujours en lui‑ même: l'Europe te regarde».
Aujourd’hui, après un demi‑siècle de paix et de démocratie en Europe occidentale, le souvenir des deux guerres mondiales se dissipant peu à peu, il pourrait sembler que des institutions comme celle‑ci pourraient ne plus avoir leur raison d'être. Cependant, les remous économiques et financiers ont montré à quel point l'équilibre sur lequel reposent nos sociétés est fragile, à quel point les crises se prêtent à renforcer les ennemis des droits de l'homme et de la démocratie.
Mesdames et Messieurs, l'engagement de la principauté d'Andorre envers la construction européenne et plus particulièrement envers la consolidation des droits de l'homme, la solution dialoguée des conflits et la démocratie, est un engagement sans équivoque. Il s'agit d'un pari qui remonte à la genèse même de l'Etat andorran, à la fin du XIIIe siècle.
En 1278, après des siècles d'affrontements, l'accord signé entre l'évêque d'Urgel et le comte de Foix pour la souveraineté sur les Vallées d'Andorre créa un équilibre institutionnel unique qui a résisté jusqu'à aujourd'hui à tous les avatars de l'histoire. Un équilibre qui a fait de l'Andorre une oasis de paix et de respect des libertés les plus essentielles au sein d'une Europe convulsée. Pendant des siècles, les Andorrans, tout en restant les vassaux de nos coprinces, ont bénéficié d'espaces plus importants de liberté que la plupart de nos voisins. En des temps plus récents, l'Andorre a été un refuge et un pays d'accueil pour de nombreux persécutés par les conflits au‑delà de nos frontières, en particulier durant la guerre civile espagnole et la seconde guerre mondiale.
D’une manière peut‑être rudimentaire, l'Andorre était parvenue à incarner l'esprit de concorde et le respect des droits et libertés dont le Conseil de l'Europe est aujourd'hui l'emblème. La présidence andorrane a commencé presque jour pour jour dix‑huit ans après notre adhésion à ce dernier. Comme notre ministre des Affaires étrangères, M. Gilbert Saboya, l'a souligné à Tirana le 9 novembre dernier, cela constitue en quelque sorte une façon de célébrer notre majorité sur un plan international. Cette présidence est arrivée à un moment crucial pour la principauté d'Andorre, moment presque aussi déterminant, oserais‑je dire, que le processus qui mena à l'adoption de la Constitution en 1993.
Si, il y a près de vingt ans, le système politique et institutionnel de l’Andorre était reconnu internationalement, le moment est maintenant venu de garantir la reconnaissance de son système économique. L'homologation économique de la principauté d'Andorre: voilà le grand défi auquel les Andorrans ont été confrontés au cours de ces vingt dernières années, défi que ce gouvernement tient à relever!
Le modèle de croissance bâti au cours de la seconde moitié du XXe siècle en Andorre a connu un succès sans précédent. Il a rapidement transformé une économie rurale de montagne en une économie moderne de services fondée sur le commerce, le tourisme et le secteur financier. Ce modèle fut à l’origine de grandes richesses et de confort pour les Andorrans ainsi que pour tous les habitants venus essentiellement des pays voisins.
Cependant, au moment même où nous nous proposions de moderniser nos institutions, certains signes annonçaient déjà l'épuisement de ce modèle de croissance. Les secteurs traditionnels de l'économie andorrane resteraient essentiels pour l’avenir mais il était indéniable qu'il fallait les compléter et y apporter de nouvelles alternatives viables.
Mesdames et Messieurs, le défi actuel de l'Andorre demeure la reconversion de son modèle de croissance économique, lequel a très bien fonctionné mais qui comporte trois lacunes fondamentales: il s’agit d’un modèle excessivement fermé, presque endogamique; il n’est pas homologable sur le plan international et, enfin, il est encore très peu diversifié. Depuis des années, les gouvernements andorrans successifs ont entrepris de nombreux efforts afin de corriger toutes ces faiblesses qui, par ailleurs, sont étroitement connexes.
Avant d’évoquer les progrès accomplis en matière économique au cours de ces dernières années et de présenter quelques projets à venir, permettez‑moi une brève référence au passé, car il serait injuste d'accuser les générations qui nous ont précédés d'avoir construit une Andorre excessivement fermée et peu transparente. Il est en effet fort probable que cette Andorre était le meilleur bastion possible dans une Europe très différente de celle que, fort heureusement j'espère, nous pourrons léguer à nos enfants. C'était notre réponse à un monde très dissemblable de celui que nous connaissons actuellement.
Il va sans dire que l'Andorre des exceptions et des privilèges, de la fermeture sur soi et de l'exceptionnalité n'a guère plus sa place au XXIe siècle, raison pour laquelle depuis quelques années nous nous efforçons de renforcer et de construire de nouvelles bases pour la compétitivité. L'ouverture économique ne peut être ni entreprise ni comprise, si j'ose dire, sans une homologation de cette économie.
En effet, quelle était la situation initiale de l'Andorre? Une économie fondée sur trois secteurs qui avaient fait leurs preuves mais qui restaient repliés sur eux‑mêmes, repli résultant principalement d'un manque de transparence dans le domaine fiscal même si, dans les faits, le secteur financier andorran a toujours coopéré dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ou d'autres activités criminelles. En Europe, et bien au‑delà, on en était bien conscient et, en ce sens, l'Andorre n'a jamais posé de problèmes.
Néanmoins, les progrès les plus significatifs de ces dernières années concernent la coopération dans la lutte contre la fraude fiscale. Depuis la signature de la Déclaration de Paris, en 2009, par laquelle la principauté d'Andorre s’est engagée à progresser sur le plan administratif dans l'échange d'informations fiscales, notre pays a signé une vingtaine d'accords en la matière, ce qui a permis de commencer à négocier et de signer des accords bilatéraux afin d'éliminer la double imposition qui pénalisait les exportations de services depuis l'Andorre. Exceptionnalité et repli sont étroitement liés, comme le sont homologation et ouverture.
Parallèlement à la signature de ces divers accords d'échange et d'information fiscale, mais aussi au premier accord bilatéral avec la République française pour éviter la double imposition, lequel a été paraphé l'année dernière et signé récemment, l'Andorre a mis en place un nouveau modèle fiscal pleinement homologable par les systèmes fiscaux européens.
Afin d'appréhender l'ampleur des réformes que l'Andorre mène à un rythme soutenu, il faut se rendre compte que, voilà deux ans encore, notre système fiscal était quasi‑exclusivement fondé sur des impôts indirects taxant principalement les importations de marchandises et les prestations de services.
Sont entrés en vigueur, en 2011, l'impôt sur le revenu des non‑résidents fiscaux, au mois de janvier 2012, l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les activités économiques et, au mois de janvier dernier, la refonte de tous les impôts indirects sous forme d'un seul impôt général indirect équivalent aux taxes sur la valeur ajoutée existant dans la plupart des pays.
De plus, le gouvernement que je préside s’est engagé à présenter au parlement avant cet été un projet de loi régulateur de l'impôt sur le revenu des personnes physiques mais, aussi, sur les revenus du travail et du capital, l'objectif étant d'achever l'architecture d'un nouveau système fiscal andorran avant la fin de l'actuelle législature, en 2015.
Finalement, en quatre ans, l'Andorre sera passée d'un système fiscal plutôt sui generis et fondé essentiellement sur la taxation indirecte à un système fiscal complètement homologable, comportant un équilibre raisonnable entre imposition directe et indirecte, avec des bases fiscales larges afin d'éviter les lacunes et un type d'imposition capable de garantir la compétitivité de notre économie.
J’ose dire que peu de pays sont capables de mettre en place une réforme de cette envergure pendant un tel laps de temps. Nous sommes un petit pays mais cela ne signifie pas que nous ne soyons pas capables de fournir de grands efforts!
Mesdames et Messieurs, l’engagement de l'Andorre en faveur de la transparence et de la coopération est clair, sincère, ferme, et je ne vois pas comment il serait possible de revenir en arrière. Le fruit de cet engagement, matérialisé par la mise en place d'un système fiscal homologable, doit être la signature d'accords bilatéraux pour éviter la double imposition. Comme je viens de le rappeler, la République française et la principauté d'Andorre ont signé un accord de ce type il y a quelques semaines. Nous espérons que les négociations ouvertes avec l'Espagne se poursuivront et qu'elles porteront leurs fruits, tout comme celles engagées avec le Portugal.
La signature de ces accords se veut la clé de voûte de notre nouveau modèle économique et signifie tout à la fois l'homologation de notre économie et le ciment d'une base solide permettant une ouverture économique avec les garanties nécessaires.
Si le premier défi de l'Andorre était de passer de l'exceptionnalité à l'homologation, le second défi est de remplacer la fermeture par l’ouverture. Lorsqu'il y a deux ans, mon équipe et moi‑même avons commencé à assumer la responsabilité de gouverner, l'économie andorrane était considérée comme l'une des plus fermées d'Europe, voire du monde: dans la plupart des secteurs, la participation de capitaux étrangers dans nos sociétés était limitée à 49 %, et les résidents étrangers avaient besoin d'une période de 10 à 20 ans de résidence, en fonction de leur nationalité, pour accéder à la plénitude des droits économiques.
Afin de renverser cette situation, au mois de juin de l'année dernière, le parlement a approuvé une modification substantielle du régime des investissements étrangers, permettant une participation étrangère pouvant aller jusqu'à 100 % du capital des sociétés et ce, dans tous les secteurs. Par ailleurs, ont été levés les obstacles existants pour ce qui est de la création et de la participation des entreprises et des professionnels étrangers, en particulier en octroyant la plénitude des droits économiques à tous les résidents dès leur premier jour de résidence dans la principauté. Vous voyez, Mesdames et Messieurs les parlementaires, le grand effort qu’accomplit la principauté d’Andorre.
Nous espérons que les implications et les effets de ce changement radical de modèle pourront être observés dans les prochaines années. Ce que nous pouvons affirmer dès à présent, c'est qu'il s'agit d'une preuve évidente de l'engagement de l'Andorre pour une intégration de notre économie dans la mouvance de celles de notre entourage sur la base de la coopération, la transparence et l'équité.
Nous sommes convaincus qu'une meilleure intégration des économies à l'échelle internationale se traduit nécessairement par un renforcement des liens entre les peuples et par une égalisation progressive des droits des citoyens et de leurs conditions de vie. Nous croyons fermement que les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit peuvent s'enraciner davantage là où il y a un progrès économique, une génération de richesses, surtout une création d'opportunités pour tous et une distribution équitable des charges sociales et des impôts. C'est pour cela que notre pari pour une économie plus homologable et ouverte s'inscrit dans la perspective de notre engagement permanent pour une meilleure coopération au niveau institutionnel.
Mesdames et Messieurs, lorsque j'ai évoqué les faiblesses de l'ancien modèle de croissance andorran, j'ai parlé d'une économie peu homologable, excessivement fermée et peu diversifiée. Si l'homologation et l'ouverture vont de pair, la diversification en est le fruit.
Par le biais de la diversification économique, l'Andorre devra affirmer ses différences et ses avantages compétitifs et, en définitive, trouver ses points forts et ses points faibles. Car dans le fond, notre pari est celui de passer de l'exceptionnalité à la compétitivité. Nous savons que pour être compétitifs, nous avons besoin d'une économie ouverte et intégrée, et qu'une économie ouverte et intégrée requiert de la coopération et de la transparence, mais nous savons aussi que ce n'est pas suffisant. Nous devons maintenir et renforcer nos avantages compétitifs. Et je dis bien des avantages compétitifs licites, et non pas des exceptions.
Je devine à quel avantage compétitif vous êtes en train de penser: à une fiscalité moindre. Il est vrai que l'Andorre est, et sera, un pays à la fiscalité modérée; homologable et sans lacunes, mais avec des taux modérés.
C'est ainsi, et c'est légitime qu'il en soit ainsi: c'est notre engagement pour des services efficaces et un secteur public bien dimensionné. Lorsque nous demandons aux investisseurs étrangers ce qui suscite leur intérêt pour l'Andorre, nous obtenons des réponses très diverses. Cependant, la fiscalité modérée est rarement évoquée comme une raison déterminante. C'est pour cela que lorsque nous parlons des avantages compétitifs, nous les associons directement aux potentialités de diversification de notre économie. A titre d'exemple, citons les secteurs commercial et touristique dans lesquels nous avons beaucoup d'expérience. L'Andorre, dont la population compte à peine 70 000 habitants, reçoit chaque année 8 millions de visiteurs attirés par le tourisme de neige et de montagne et par les possibilités d'achats. Dans un espace réduit, l'Andorre concentre des commerces, des hôtels, des restaurants, des centres de bien‑être, des pistes de ski, des installations de loisirs.... Cela nous a fait penser que notre pays avait les ingrédients adéquats pour développer des projets de nouvelles technologies de la communication et de l'information, en particulier ceux qui sont en relation avec le commerce et le tourisme, nos principaux piliers économiques.
Ainsi, de l'union du puissant secteur touristique andorran avec le secteur de la santé et du bien‑être découle un pari pour le tourisme de santé, par exemple. Dans les deux cas, la logique est la même: à partir des secteurs solidement ancrés dans notre pays, nous diversifions l'économie avec l'ouverture de nouveaux domaines.
Lorsque nous parlons d'avantages compétitifs, c'est cela. Car les pays à fiscalité modérée, en Europe et dans le monde, sont nombreux. Cependant, l'Andorre jouit d'autres atouts, nous accueillons un volume de touristes 100 fois supérieur à notre population. L'Andorre présente une grande concentration de commerces, d'infrastructures hôtelières et de diverses activités de loisirs. C'est un pays où le monde urbain côtoie le monde rural, le tout dans un espace très réduit.
C'est la raison pour laquelle nous disons oui à l'homologation. Par contre, nous disons non à l'homogénéisation.
Les Andorrans souhaitent préserver leur identité, tout comme ils l’ont fait pour homologuer leur système politique, il y a 20 ans. Notre Constitution préserve aussi bien notre structure territoriale que notre architecture institutionnelle particulière, unique au monde, la coprincipauté parlementaire, mise en place tout au long de plus de sept siècles d'histoire. Nous souhaitons aujourd'hui continuer à avancer sur le chemin de la coopération et de l'homologation mais en essayant de ne pas perdre notre authenticité. Nous voulons, au contraire, la renforcer car, en fin de compte, n'est‑ce pas là aussi la philosophie du processus de construction européenne dont le Conseil de l'Europe est la figure de proue? Unir les efforts et construire des ponts pour garantir le droit à la différence tout en ayant un système de valeurs communes capable de nous permettre de vivre ensemble en harmonie.
Mesdames et Messieurs, j'ai parlé des efforts de mon pays pour la transparence et la coopération, de la rapidité avec laquelle a été approuvée et mise en place la réforme fiscale, du changement de paradigme que suppose l'ouverture économique et du défi que représente la diversification de notre modèle de croissance.
Je dois ainsi faire référence, comme vous vous en doutez, à la relation de l'Andorre avec l'Union européenne. Depuis 1986, année où l'Espagne a formalisé son entrée dans le Marché commun, l'Andorre est une île au sein de l'Union européenne. L'entrée de notre voisin du sud dans la Communauté économique européenne fut déjà interprétée par beaucoup d'analystes comme le détonateur des grands changements qui devaient avoir lieu dans l'économie andorrane. Le gouvernement de l'époque prit conscience de ces signes et s'empressa de négocier et de conclure un accord douanier avec la CEE, qui fut signé en 1990, établissant ainsi une union douanière entre la principauté et les pays de l'Union européenne, le Marché commun à l'époque.
Après cet accord, ont suivi l'Accord de coopération de 2003 et l'Accord sur la fiscalité de l'épargne de 2004. Plus récemment, en juin 2011, l'Andorre a signé un accord monétaire avec l'Union européenne, qui officialise l'utilisation de l'euro dans la principauté et constitue un premier pas pour explorer une relation plus étroite entre notre pays et nos voisins européens.
La voie de l'adhésion est aujourd'hui écartée car il s'agit d'une option impossible à assumer pour un pays de dimension territoriale réduite comme l'Andorre. Nous nous employons à rechercher une structure telle que l'Espace économique européen (EEE) ou quelque chose de similaire, mais adaptée aux petits Etats. Nous nous félicitons des bonnes intentions de l'Union dans ce sens et nous étudions les possibilités qu'offre le Traité de Lisbonne afin de rechercher une solution stable aux relations de l'Andorre et des pays à caractéristiques similaires.
Néanmoins, le processus de réformes andorran serait incomplet s'il n'était pas accompagné d'une plus grande participation de notre pays au marché intérieur européen. De la même manière, la construction européenne ne serait pas achevée si elle renonçait à trouver une solution pour les pays tiers de petite dimension territoriale qui, comme l'Andorre, sont profondément européens.
Nous avons besoin de la compréhension, de la complicité et de l'aide de nos voisins européens. Au cours de ces dernières années, comme je vous l'ai déjà dit, l'Andorre a fourni d'importants efforts. Elle s'est tournée vers la transparence et la coopération; nous savons que ce chemin doit être poursuivi au jour le jour. Nous avons bâti un modèle fiscal complètement nouveau en très peu de temps et, bien qu'il s'agisse d'une question politique interne, nous le faisons avec un clair esprit de coopération. Nous avons mené à terme une profonde ouverture économique et une extension des droits pour les résidents étrangers. Nous sommes en train de travailler pour définir un nouveau modèle de relations entre notre pays et l'Union européenne.
L'Europe doit prendre conscience de ces changements et du rythme accéléré des réformes. Si nous croyons vraiment au multilatéralisme, si l'Europe n'y croit pas, qui y croira? Si nous pensons vraiment que tous les pays sont ici, dans cette Assemblée et dans d'autres, sur un pied d'égalité, malgré leurs différences et leurs caractéristiques, si nous croyons en ces principes fondamentaux du concert des nations européennes, alors nous ne pouvons renoncer à ce que tous les pays puissent trouver leur place en Europe.
Mesdames et Messieurs, au XVIIIe siècle, le politicien andorran Antoni Fiter i Rossell conseillait dans son livre Maximes de maintenir en mauvais état les chemins qui conduisaient vers la Vallée d'Andorre. Il serait ainsi, disait l'auteur, très difficile pour les armées étrangères d'envahir notre pays. Celui‑ci suggérait aussi d'être très prudent concernant l'installation des étrangers en Andorre. Ces conseils étaient judicieux il y a 300 ans. Cependant, le développement économique de l'Andorre au cours du XXe siècle n'aurait pu avoir lieu sans la construction de routes modernes qui nous relient à la France et l'Espagne. Par ailleurs, les dizaines de milliers d'étrangers qui se sont établis en Andorre, qui y ont trouvé des opportunités qu'ils ne trouvaient pas chez eux et qui sont aujourd'hui Andorrans pour la plupart, ont indéniablement contribué au progrès économique et social de notre pays.
Nous sommes passés d'une Andorre fermée et repliée sur elle‑même à une Andorre ouverte, transparente et coopérante. Cela fera bientôt vingt ans, le Président du Parlement andorran se présentait devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour formaliser l'entrée de notre pays dans le concert européen des nations. A l'époque, l'Andorre se présentait à l'Europe comme un ancien pays qui avait trouvé sa place dans la communauté internationale. Aujourd'hui, nous nous voulons un pays qui est en train de trouver sa place dans une économie globale; une économie qui se doit d'être de plus en plus intégrée et fondée sur les principes de transparence et d'équité.
LE PRÉSIDENT
Je vous remercie, Monsieur Martí. Je vais à présent donner la parole aux parlementaires qui se sont inscrits pour vous poser une question. Ils disposent chacun de trente secondes.
La parole est à M. Beneyto, au nom du Groupe du Parti populaire européen.
M. BENEYTO (Espagne) (interprétation)
Je voudrais tout d’abord, au nom de mon groupe et de la délégation espagnole, vous souhaiter un grand succès, Monsieur Martí, pour la présidence de l’Andorre du Comité des Ministres.
A quel stade en sont les négociations avec l’Espagne pour l’introduction de l’impôt sur le revenu? Des accords avec des pays tiers dont les ressortissants possèdent des dépôts importants en Andorre sont‑ils négociés? Je pense par exemple à la Fédération de Russie.
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
Je vous remercie pour vos vœux de succès, Monsieur le député.
D’ici le 21 juin, un projet de loi doit être déposé au Parlement de l’Andorre, conformément à la volonté du gouvernement, afin d’aboutir en 2014‑2015. Les négociations avec l’Espagne se passent bien, même mieux que d’habitude. Nous avons une grande complicité avec le Gouvernement espagnol. J’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises le Premier ministre de l’Espagne pour évoquer cette question et nous avons fixé un calendrier.
Nous sommes fermement décidés à régler correctement nos relations avec les autres pays, notamment la France et le Portugal. Le parlement a évidemment un rôle important à jouer dans ce contexte. Il sera prochainement saisi de ce sujet. Avec l’Espagne et le Portugal, nous avons des traités particuliers.
Les négociations entre l’Andorre et l’Espagne devraient aboutir rapidement, avec de la bonne volonté. Il est très important qu’un accord soit trouvé.
M. ROUQUET (France)
La présidence andorrane du Conseil de l’Europe s’achève bientôt. De l’avis général, elle a été extrêmement fructueuse. Nous ne pouvons que vous en remercier.
Monsieur le chef du Gouvernement de l’Andorre, c’est sous votre présidence qu’un accord final a été trouvé pour l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Quelles sont les étapes, et éventuellement les obstacles, qu’il reste à franchir pour que le processus d’adhésion arrive à son terme?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
Je vous remercie de vos aimables paroles pour la présidence de l’Andorre. En effet, des avancées significatives ont eu lieu sous notre présidence, mais les efforts étaient engagés depuis longtemps.
L’accord soutenu par le Conseil de l’Europe est très positif mais nous devons attendre la décision de l’Union européenne pour qu’il soit formalisé.
LE PRÉSIDENT
La parole est à M. Xuclà, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.
M. XUCLÀ (Espagne) (interprétation)
Je vous félicite, M. le chef du gouvernement, pour votre excellente présidence du Conseil de l’Europe, durant laquelle vous avez mis l’accent sur l’éducation. Pourriez‑nous nous indiquer des exemples concrets des dispositifs mis en place en Andorre pour permettre à l’éducation de faire avancer les valeurs démocratiques, les droits de l’homme et le pluralisme notamment linguistique de votre pays?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre (interprétation)
La présidence s’est concentrée sur les valeurs du Conseil de l’Europe créé il y a 60 ans. Comme dans bon nombre d’autres pays, l’éducation est un sujet primordial.
En ces temps de crise, ce n’est que grâce à l’éducation que nous trouverons des solutions. J’entends «éducation» au sens large, c’est‑à‑dire en étroite relation avec la défense des droits de l’homme, des droits sociaux et politiques.
En Andorre, notre enseignement public fonctionne assez bien. Il présente la particularité d’être réparti en trois systèmes relativement équilibrés en termes d’effectifs: les systèmes espagnol et français, complétés plus récemment par le système andorran.
Sir Roger GALE (Royaume‑Uni) (interprétation)
Monsieur le chef du gouvernement, la présidence andorrane arrivant à son terme, pourriez‑vous nous dire ce que vous avez entrepris auprès de pays comme la France et Malte, qui maintiennent sans procès des prisonniers en liberté surveillée, alors que ceci est contraire à la Convention de Genève?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
La question est difficile. Je n’y apporterai pas une réponse politique.
Il existe de nombreux petits ou grands conflits en Europe, depuis longtemps. Le seul moyen de les régler, c’est le dialogue. Je viens d’un pays qui connaît une situation stable depuis sept siècles grâce au dialogue. Ce principe est ancré dans l’Etat andorran: quand on est très petit, il faut avoir l’intelligence de savoir dialoguer. L’éducation, les droits de l’homme et le dialogue sont des préceptes profondément inscrits dans l’histoire de notre pays, c’est pourquoi nous avons tenu à les mettre en avant durant notre présidence.
Nous ne pourrons résoudre aucun conflit européen si nous abandonnons le dialogue. Et il existera toujours des problèmes si l’on adopte des attitudes extrémistes, si l’on refuse de s’asseoir autour d’une table pour discuter.
Voici m’on opinion et je pense qu’elle est partagée par la majorité des parlementaires auxquels j’ai l’honneur de m’adresser aujourd’hui.
M. PAPADIMOULIS (Grèce) (interprétation)
Monsieur, je vous souhaite beaucoup de succès pour la fin de votre présidence.
La crise ne fait qu’accroître les inégalités, renforce l’extrême droite et affaiblit les valeurs du Conseil de l’Europe. Comment pensez‑vous faire face à ces menaces contre la démocratie et ces inégalités?
Il y a quelques jours, l’Union européenne a puni un petit pays comme Chypre en appliquant aux banques une mesure inédite. Comment la présidence d’un petit pays comme le vôtre réagit‑elle à cela?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
La présidence andorrane ne peut pas régler ce conflit, c’est au Conseil de l’Europe dans sa globalité de le faire.
Nous traversons une période très difficile au niveau politique. Mais tout se jouera sur la cohésion sociale, et surtout sur la pédagogie parce qu’en ces temps, où tous émettent des critiques systématiques, il faut réellement faire œuvre de pédagogie pour expliquer aux citoyens que le mal ne durera pas un siècle.
M. GAUDI NAGY (Hongrie) (interprétation)
Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion de visiter le parlement de votre pays et j’ai été très impressionné par l’attachement de votre pays aux valeurs démocratiques.
En tant que chef du gouvernement, et puisque vous assurez la présidence du Comité des Ministres, comment pourriez‑vous aider le Conseil de l’Europe à renforcer les droits des minorités nationales traditionnelles et leur volonté d’autonomie territoriale?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre (interprétation)
Comme moi, vous savez bien que la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales couvre les droits individuels des personnes issues de minorité et non la minorité elle‑même. Mais l’important, quand des minorités sont installées dans d’autres pays – et que ces minorités représentent une part importante de la population du pays –, est que les droits soient respectés et surtout que s’établisse un dialogue franc. Car sans un dialogue franc, il n’est pas possible d’éviter des problèmes en Europe. Dans certains pays, les minorités sont représentées au parlement et cela a un effet déterminant sur la démocratie.
Mais, comme je le disais précédemment, il n’y aura pas de cohésion sociale s’il y a des problèmes de racisme liés aux origines des personnes. L’Europe ne s’est pas construite pour en arriver là. Si l’on ne comprend pas les valeurs essentielles qui ont guidé la construction européenne, on n’a rien compris de ce qu’est l’Europe.
M. DÍAZ TEJERA (Espagne) (interprétation)
Je viens des Canaries, mais je prends rapidement votre accent, Monsieur le Cap de Govern. Je voudrais commencer en vous marquant mon affection car, je l’ai dit très souvent, vous êtes un excellent pédagogue qui expliquez les choses de façon très pratique. Je voudrais vous en faire compliment.
Ici, d’aucuns prétendent être à la tête de la lutte contre le blanchiment d’argent et les paradis fiscaux, mais ce n’est que dans la pratique que l’on peut voir comment lutter contre les paradis fiscaux. Le double du produit intérieur brut du Japon et des Etats‑Unis est placé dans des paradis fiscaux. Que pourrions‑nous, que devrions‑nous faire, selon vous, pour lutter contre ces paradis fiscaux? Au moment même où je vous demande cela, il y a 6 millions de chômeurs en Espagne.
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre (interprétation)
Monsieur le député, je vous répondrai tout d’abord qu’il faut prendre au sérieux les engagements internationaux. L’Andorre a signé des conventions pour l’échange d’informations avec votre pays, avec la France et les Etats‑Unis. Lorsqu’un Etat signe un engagement, il doit le tenir. C’est la première vérité à rappeler.
Ensuite, l’Andorre – et cela mérite d’être expliqué devant votre haute Assemblée – a, en moins de cinq ans, mis en place un nouveau modèle fiscal. Il faut une grande volonté politique pour y parvenir, car cela ne peut se faire sans une forte volonté politique de la part de tous.
La pression fiscale est un problème dans de nombreux pays. On évoque souvent l’Andorre, mais je rappelle que l’Andorre est très déterminée à respecter ses engagements internationaux. Et d’ailleurs, dois‑je le souligner, l’Andorre ne figure sur aucune liste de l’OCDE. Nous sommes un pays qui se veut coopérant et nous continuerons dans la voie qui est celle que je vous ai décrite, celle de la transparence et d’une fiscalité «homologable», comme nous l’appelons.
Je respecte infiniment votre Assemblée et j’ai voulu vous expliquer très ouvertement et franchement tous les efforts que nous faisons. Quand on recherche la vérité, on doit également mentionner le concept d’équité entre tous les citoyens et, pour bien faire les choses, il faut respecter les normes, les standards et les dispositions légales et réglementaires. Je suis très heureux, comme le rappelait votre collègue espagnol, des excellentes relations que nous entretenons avec son pays.
M. BATAILLE (France)
Monsieur le chef du gouvernement, l’Andorre a ratifié la Charte sociale européenne révisée le 12 novembre 2004. En revanche, elle n’a pas accepté le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamation collective. Or c’est grâce à ce système que les partenaires sociaux et les ONG peuvent s’adresser directement au Comité européen des droits sociaux pour lui demander de statuer sur une éventuelle violation de la Charte.
Pouvez‑vous nous dire si l’Andorre envisage d’accepter prochainement le système de réclamation collective?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
Monsieur le député, votre question est très intéressante. Ce que vous venez de dire est exact, il n’est pas moins vrai que l’Andorre doit faire des efforts en la matière.
Je le dis devant votre Assemblée, mais j’ai eu l’occasion de le dire également au Parlement andorran, l’Andorre légifèrera cette année sur le droit de grève et pour que plus de garanties soient accordées aux syndicats.
Mon intervention était très axée sur l’économique. Je vous suis donc très reconnaissant de votre question parce que tout ne se joue pas au niveau économique. Il y a des aussi des questions sociales et des revendications légitimes des travailleurs, qu’il faut bien garantir dans la constitution andorrane. Ils ont le droit de faire grève s’ils veulent. Je pense qu’il faut légiférer pour organiser cela au plus tôt. C’est une autre des priorités du gouvernement dont j’ai l’honneur d’être le chef.
On parle très souvent d’économie et de paradis fiscaux, alors que l’Andorre n’en est pas un. Je pense avoir donné à votre question, qui était très directe, une réponse très claire.
M. REISS (France)
Monsieur le chef du gouvernement, depuis l’adhésion de l’Andorre au Conseil de l’Europe, vos gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts pour intégrer pleinement la Principauté dans le système conventionnel de protection des droits de l’homme.
Andorre a signé le 29 juin 2012, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels; puis, le 22 février 2013, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Pensez‑vous qu’Andorre sera en mesure de ratifier rapidement ces conventions sachant que, pour la seconde, le nombre de ratifications requises pour son entrée en vigueur n’a pas encore été atteint?
M. Martí, Chef du gouvernement d'Andorre
Je crois que le ministre des Affaires extérieures d’Andorre s’est exprimé clairement, mais c’est aussi un plaisir de me prononcer sur le sujet en tant que chef du gouvernement. Il est dans notre intention de faire passer ces lois devant le parlement au cours de cette année.
LE PRÉSIDENT
Monsieur le chef de gouvernement, nous en avons terminé avec les questions auxquelles vous avez répondu avec une grande compétence. Nous avons aussi beaucoup apprécié votre intervention particulièrement instructive.
Je vous remercie de nouveau pour la présidence que vous avez assumée avec beaucoup de savoir‑faire. Permettez‑moi de souhaiter bonne chance à ceux qui vont vous succéder, donc à l’Arménie puisque c’est elle qui va, durant six mois, présider notre Comité des Ministres.