Peter
Medgyessy
Premier ministre de Hongrie
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 2 octobre 2003
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, honorable Assemblée, pour moi, faire de la politique c’est s’occuper des gens. L’art de gouverner commence précisément par s’occuper des droits de l’homme. Voilà pourquoi c’est un plaisir tout particulier d’être ici, à l’invitation du Conseil de l’Europe, institution créée pour la protection des droits de l’homme. Je vous remercie de cet honneur.
Je représente un pays qui, près de quinze ans après le changement de régime et grâce au travail de quatre gouvernements, est un Etat de droit démocratique et une économie de marché compétitive. C’est la République de Hongrie moderne qui, au printemps prochain, reviendra définitivement en Europe.
Elle y revient, car, tout au long de son existence nationale millénaire, elle a toujours fait partie de l’Europe. Au tournant du précédent millénaire, en se convertissant au christianisme, saint Etienne, le premier roi de Hongrie, avait également fondé un Etat européen. La Hongrie, grâce à son assiduité, à sa compétitivité et aux valeurs européennes qu’elle a fait siennes, a souvent appartenu aux nations les plus progressistes de notre continent. Il en fut ainsi lorsque, en 1222, seulement sept années après l’Angleterre, notre roi André II a décidé d’édicter la deuxième loi fondamentale écrite en Europe, la Bulle d’or. Cette loi, remarquable en son temps, a été le creuset de l’Etat de droit en Hongrie.
Monsieur le Président, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Vous rendant visite, j’ai été profondément touché en voyant ce document sur le mur de votre bureau. Je considère cela comme un signe d’intérêt et d’amitié, que j’ai découvert avec une très grande joie.
La Hongrie revient en Europe après avoir prouvé à plusieurs reprises, au cours du XXe siècle, qu’elle en faisait déjà partie. Deux dictatures extrémistes ont rendu amère la destinée du peuple hongrois. Pourtant, aucune ne fut capable de la détourner de sa communauté d’intérêts naturels avec l’Europe. La IIIe République de Hongrie, née au lendemain d’un changement de régime, s’est définitivement engagée sur la voie de la démocratie, de l’économie de marché et de l’Etat de droit.
Même à l’époque de la guerre froide, notre pays a pu faire entendre sa voix à deux reprises en faveur de l’Europe des droits de l’homme. En 1956, le peuple magyar a tenté de rejoindre la démocratie: face à 4 000 chars soviétiques, ce fut sans succès! Une autre surprise m’a également touché. En venant ici, dans cette salle, j’ai vu exposé notre drapeau de 1956. Cela montre votre intérêt pour cet épisode historique. En 1989, lors du changement pacifique de régime, c’est la Hongrie qui a commencé à démolir le mur de Berlin. Le rôle qu’elle a joué dans le démantèlement du rideau de fer a donné une nouvelle impulsion à l’établissement dans le pays d’un Etat de droit.
Aujourd’hui, c’est une Hongrie libre et indépendante de par sa propre volonté qui rejoint à nouveau l’Europe. Son entrée au Conseil de l’Europe, il y a une dizaine d’années, a constitué une étape importante. Les Hongrois veulent vivre dans une Europe où la paix, la sécurité, les droits de l’homme et l’égalité des chances sont des facteurs déterminants, où la performance et la solidarité vont de pair, où le succès est une vertu – mais être démuni n’est pas honteux – dans un pays où ceux qui réussissent le mieux portent les plus grandes responsabilités.
Pour que l’égalité des chances puisse prévaloir, nous avons besoin de sécurité dans l’environnement international et dans le monde dans lequel nos enfants pourront évoluer. Je suis convaincu que l’une de nos tâches principales est précisément d’instaurer la sécurité dans la rue, en tous points de l’Europe et du monde. Voilà pourquoi il est d’une importance cruciale de prendre des mesures efficaces et continues contre ce qui menace cette sécurité, contre le terrorisme. C’est dans cet esprit que la Hongrie participe à la coopération internationale dans ce domaine.
Honorable Assemblée, nous avons tous besoin d’une Europe qui présente avec succès dans le monde ses solides valeurs. J’ai passé une bonne partie de ma vie dans le monde des affaires. Je sais que pour être un bon manager il faut des arrières stables. Pour que l’Europe puisse se présenter en bon manager dans la politique internationale, il faut donc mettre de l’ordre dans nos propres affaires. Pour y parvenir, nous avons besoin d’institutions efficaces, fonctionnant d’une manière bien huilée. Après Strasbourg, j’irai à Rome participer à la Conférence intergouvernementale, dans laquelle je représenterai la Hongrie, désormais membre de plein droit.
Après le succès de la Convention, je m’attends à un travail efficace au sein de cette conférence. Le projet de traité constitutionnel est une bonne base pour entamer les négociations. Pour ces dernières, mon gouvernement suivra trois principes fondamentaux. Premièrement, l’Union européenne doit être efficace et bien coordonnée, capable de mener des actions au plan international. Deuxièmement, il est de l’intérêt de tout le continent de maintenir l’égalité en droit des Etats membres. Pour cette raison, il faut préserver au sein de la Commission le principe suivant: un pays, un commissaire, et bien préciser les règles de présidence du Conseil. C’est par souci d’efficacité que nous souhaitons renforcer les méthodes communautaires, tout en maintenant l’équilibre institutionnel. Troisièmement, au sein de l’Union européenne, il est important de fixer clairement les droits de l’homme et des minorités. Nous proposons par conséquent d’inclure dans le traité constitutionnel la protection des droits des minorités nationales et ethniques.
L’un des objectifs de mon gouvernement est de faire en sorte que la Hongrie joue un rôle stabilisateur en Europe, notamment centrale, et dans la région occidentale des Balkans. A notre avis, les bonnes relations avec nos voisins et l’intégration européenne des pays de la région constituent la clé de voûte de la stabilité. Nous avons pris position en faveur de l’entrée dans l’Otan de la Slovaquie, de la Roumanie et de la Bulgarie. Une fois remplies les conditions, nous soutiendrons l’adhésion à l’Union européenne de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie.
Je considère l’adhésion récente de la Serbie- Monténégro au Conseil de l’Europe comme un fait important. Notre tâche consiste à aider les pays de la région par le biais de nos expériences et par tous les moyens disponibles pour mener à bien la transformation démocratique de leur société et la restructuration de leur économie.
La coopération n’a vraiment de sens que si elle apporte des résultats tangibles pour tous. Ainsi, dans le cadre de sa politique régionale, la Hongrie a offert à tous les citoyens d’Ukraine et de la Serbie- Monténégro la possibilité d’obtenir des visas hongrois gratuits. Il est essentiel qu’une réglementation-cadre du trafic transfrontalier aux confins extérieurs de l’Union européenne soit élaborée le plus tôt possible.
Mesdames, Messieurs, l’Europe est la patrie des minorités. Cette diversité est en même temps l’un des joyaux de l’Europe. On n’y trouve aucun pays sans minorité. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Recommandation 1201 de l’Assemblée parlementaire sont autant de lignes de conduite importantes partout en Europe. Néanmoins, ce système de règlement demande à être révisé en permanence. Le dernier rapport de l’Assemblée parlementaire sur les effets positifs des autonomies régionales ainsi que sur les droits des minorités nationales est digne d’intérêt. Je suis persuadé que, même après l’élargissement de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe saura conserver le rôle qu’il assume dans la protection des minorités.
La Hongrie est un pays typiquement européen, même en ce qui concerne les minorités. Elle doit assumer ses responsabilités à leur égard, qu’elles vivent à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières. La population de la Hongrie s’élève à 10 millions d’habitants. Trois millions de Hongrois se trouvent dans les pays voisins. Le Gouvernement hongrois suit trois principes fondamentaux quant au soutien accordé aux Hongrois vivant au-delà des frontières du pays. Premièrement, nous aidons les Hongrois qui vivent à l’étranger à sauvegarder leur identité nationale, à préserver leur langue et leur culture. En agissant ainsi, nous voulons les aider à mener une vie digne là où vivaient leurs parents et leurs grands-parents, là où ils ont des racines sur leur terre natale. Deuxièmement, nous souhaitons mettre en application cette aide, en coopération avec les gouvernements des pays voisins, en enrichissant ainsi davantage les relations bilatérales. Troisièmement, nous estimons qu’il est important que le soutien accordé aux minorités hongroises se fasse conformément aux normes européennes, avec l’appui du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et de l’Union européenne.
C’est dans l’esprit de ces principes que nous avons procédé à l’amendement de la loi sur la facilité accordée aux Hongrois de l’étranger, car la version précédente n’était pas appropriée. Ce faisant, nous avons cherché à harmoniser cette loi avec la Résolution 1335 de l’Assemblée parlementaire, avec les recommandations de la Commission de Venise, avec celles du haut- commissaire pour les minorités nationales de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et avec celles de la Commission européenne. J’ai signé la semaine dernière à Bucarest, ainsi que M. Nastase l’a évoqué hier devant vous, un accord qui a permis de régler avec mon homologue roumain toutes les questions litigieuses liées à cette loi. Des négociations sont en cours avec d’autres pays voisins, notamment la Slovaquie, qui ont de fortes chances d’aboutir à un accord dans un proche avenir.
Comme je viens de l’indiquer, le sort des minorités qui vivent à l’intérieur des frontières de notre pays est aussi pour nous une question essentielle. La Hongrie prend à cœur la situation de ses propres minorités.
Mesdames, Messieurs, l’intégration sociale des Roms en Hongrie n’est pas simplement une question relevant de la protection des minorités. Il ne saurait y avoir de Hongrie européenne moderne sans l’essor de la communauté rom et sans un processus de rattrapage. Il faut voir que la non-discrimination, même si elle est un résultat en soi, n’est pas suffisante. Il faut offrir des possibilités d’apprentissage, d’emploi, de participation à la vie publique. Il faut présenter des idéaux. J’ai jugé important d’y assumer un rôle à titre personnel. Ainsi, lors de l’investiture du présent gouvernement, nous avons mis sur pied, auprès du Premier ministre, un office des affaires roms, sous la direction d’un secrétaire politique, présent parmi nous aujourd’hui, qui fait beaucoup pour l’intégration des Roms en Hongrie. Dans cet ordre d’idée, nous offrons tout particulièrement à des élèves d’origine rom des bourses d’étude pour un montant de 4 millions d’euros.
L’intégration des Roms dans la société est devenue l’une des priorités de notre plan de développement national. M. le secrétaire d’Etat a ajouté, quand je me suis préparé à cette réunion, que nous avions fait beaucoup pour offrir le maximum d’opportunités d’emploi à la population rom, problème primordial.
La loi en vigueur sur les droits des minorités nationales et ethniques a inauguré une nouvelle étape dans la protection de ces minorités. Elle a introduit l’institution de conseils minoritaires autonomes élus. Il convient de noter que les organismes élus des Roms sont devenus entre-temps autant d’écoles de la vie publique pour la nouvelle génération politique rom.
Je dois être sincère et franc. Ce que nous avons entrepris prend du temps et ce problème ne sera résolu que sur plusieurs générations. Néanmoins, il faut bien commencer; nous l’avons fait et cela va donner des résultats.
Cependant, le processus visant à réduire le retard qui affecte les Roms est une tâche qui n’est pas exclusivement hongroise. Cela exige aussi une activité à l’échelle de toute l’Europe et même de la communauté internationale. C’est dans cet esprit que mon gouvernement a pris l’initiative d’organiser une conférence régionale à Budapest, intitulée «Les Roms dans une Europe en cours d’intégration». Je soutiens l’idée de la création d’un forum européen rom, ce qui est une initiative de votre Assemblée.
Je considère que l’activité du Conseil de l’Europe en vue de la protection des minorités revêt une importance particulière. Pour cette raison, j’ai le plaisir d’offrir l’aide du Gouvernement hongrois à la création à Budapest, sous l’égide du Conseil de l’Europe, d’un centre européen des minorités nationales et ethniques. J’estime qu’il est important que ce centre, au-delà de l’étude scientifique des droits des minorités nationales traditionnelles, s’attelle aussi à l’examen des problèmes auxquels sont confrontés les nouvelles minorités migrantes.
Toujours sur le plan social, la nomination au sein du Gouvernement hongrois d’une femme comme ministre de l’Egalité des chances est la manifestation de notre profond engagement dans la lutte contre les injustices sociales. Grâce à son travail, le parlement pourra adopter, avant la fin de cette année, la loi sur l’égalité des chances. La mise en œuvre du programme destiné à atténuer les difficultés que rencontrent les personnes handicapées s’est également accélérée.
Honorable Assemblée, au début de mon intervention, j’ai souligné que faire de la politique c’était s’occuper des gens. L’histoire de notre Europe si diverse a été parsemée de multiples conflits sanglants. L’inconvénient de l’Histoire, c’est que, contrairement au théâtre, il est impossible d’y reproduire le même spectacle. Ici, il n’est pas de meilleure ou de moins bonne représentation. Le spectacle n’est joué qu’une seule et unique fois. Aujourd’hui, nous sommes peut- être à la veille d’une époque où, nous l’espérons, il n’y aura plus de guerre en Europe. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, nous pouvons nous occuper exclusivement des choses importantes. Saisissons donc cette chance historique, créons des occasions, attelons-nous au travail de construction; liquidons les injustices sociales et renforçons nos citoyens dans leurs droits.
L’Europe n’est pas seulement un continent. Elle est aussi une entité spirituelle. Pour le dire autrement, l’Europe, c’est un esprit. Dans cette salle où nous sommes aujourd’hui réunis, des personnes différentes, venues de divers coins du continent, porteuses d’idées diverses, travaillent néanmoins ensemble. Votre institution est le reflet fidèle de cet esprit européen. Elle rend un grand service à notre avenir commun. Je peux sereinement affirmer que le Conseil de l’Europe est aujourd’hui et restera demain la conscience vivante de toute l’Europe.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie, Monsieur Medgyessy, pour cette allocution des plus intéressantes. Les parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser quelques questions.
Je leur rappelle que les questions ne devront pas excéder trente secondes. Il s’agit de poser des questions et non de prononcer des discours. Je n’autoriserai les questions supplémentaires qu’à l’issue des premières et uniquement si le temps le permet. La première question est celle de M. Davis.
The Rt. Hon. Terry DAVIS (Royaume-Uni) (traduction)
Je souhaitais demander à M. le Premier ministre quelles mesures pratiques avaient été mises en œuvre par son gouvernement en faveur de l’égalité des chances, mais il y a déjà répondu pour l’essentiel dans son discours.
M. Medgyessy, Premier ministre de Hongrie
Je dois vous informer que, après le changement de régime, les différences entre les couches de la population se sont accrues. Les écarts entre les revenus sont ainsi passés en treize ans de un à quatre à un à dix. Je vous laisse imaginer les difficultés qui peuvent en découler. En comparaison, l’écart est globalement de un à sept en Europe. Les chances sont donc très différentes, surtout pour la population rom, qui est la plus pauvre, la moins informée et celle qui rencontre les plus graves difficultés.
Parallèlement, la Hongrie est touchée par des phénomènes identiques à ceux qui affectent le monde développé, notamment le vieillissement et les difficultés de fonctionnement de la sécurité sociale et du système de santé, des hôpitaux, entre autres.
Au risque de sembler tenir des propos contradictoires, je dois vous dire, comme Premier ministre d’un gouvernement social-démocrate et libéral, que l’Etat providence, c’est fini. Il convient de trouver une nouvelle conception de l’Etat. Nous sommes en train de la chercher et de la trouver.
Les principes qui doivent nous guider sont les suivants. Premièrement, il importe d’aider ceux qui sont à terre. Certaines couches de la population n’ont pas la force de se défendre; il faut donc les aider. Deuxièmement, il convient de commencer à essayer d’assurer l’égalité des chances aux plus démunis, qui sont mal formés et pauvres, en particulier les jeunes. Troisièmement, il convient d’améliorer les résultats économiques et les performances de la société, seul moyen d’améliorer la redistribution des richesses. A cet égard, qu’avons-nous fait?
En ce qui concerne l’intégration de la population rom, nous avons fourni aux jeunes de meilleures conditions d’accès à l’apprentissage, notamment par l’octroi de bourses. Par ailleurs, nous avons octroyé des subventions à l’emploi.
Le Parlement hongrois va approuver prochainement une loi de lutte contre la discrimination et nous avons pris certaines mesures contre la pauvreté. Des dispositions particulières ont été prises en faveur des populations les plus déshéritées: une augmentation de 20 % des allocations familiales et le paiement d’un treizième mois pour les familles ayant des enfants en âge scolaire. Il faut savoir en effet que le mois de septembre est le plus difficile pour les familles pauvres, qui doivent assurer la rentrée des classes. Nous avons également augmenté les pensions pour les veufs et les personnes isolées.
En outre, nous avons adopté une loi qui assure l’exonération des impôts pour les revenus équivalant au salaire minimal. Nous avons également augmenté les salaires des instituteurs, des professeurs, des médecins et des infirmières, car ces professions perdaient de plus en plus de personnel. Il faut savoir que, après une augmentation de 50 %, le salaire moyen d’une infirmière ne représente toujours que 300 euros par mois.
Je suis convaincu que nous avons bien fait, même si le coût de ces mesures est énorme. Nous devions accepter cette nécessité sociale. D’autres dispositions ont également été adoptées afin d’apporter une sorte de ballon d’oxygène à certaines populations. La société a dû consentir un sacrifice majeur, mais la justice est à ce prix, tout comme la paix sociale.
Certes, nous ne pourrons pas poursuivre indéfiniment cette politique, même si nous aimerions pouvoir le faire. Nous nous concentrons dorénavant sur la performance et sur la compétitivité de l’économie. Nous cherchons à encourager les investissements intérieurs et extérieurs. Nous voulons mener une politique économique prévisible, stable et fiable. Après un certain temps, nous analyserons les possibilités de prendre d’autres mesures sociales.
Je vous prie de m’excuser d’avoir été un peu long, mais il n’était peut-être pas inutile de vous donner toutes ces explications.
M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)
C’est pour moi un sentiment étrange, Monsieur le Premier ministre, de vous poser une question dans une langue autre que le hongrois.
Après votre réponse détaillée à la précédente question, je me demande si la mienne a un intérêt. Je m’exprime en tant que président du Groupe libéral, démocrate et réformateur. Chacun sait, au sein de cet hémicycle, que vous êtes devenu Premier ministre en tant que socialiste et que vous dirigez un gouvernement socialiste. Il s’agit d’un gouvernement de coalition et les 90 parlementaires libéraux de cette Assemblée, issus de 45 pays, aimeraient savoir ce qui fait de votre gouvernement un gouvernement libéral.
M. Medgyessy, Premier ministre de Hongrie
Permettez-moi de vous raconter une anecdote. J’ai un ami français d’origine hongroise. Ce politicien, écrivain et politologue, âgé de 95 ans, est très apprécié en France et en Hongrie. Il s’agit de François Fejto. Au cours de sa longue vie, il fut parfois interrogé et même critiqué pour avoir été tantôt de gauche, tantôt de droite. Sa réponse était la suivante: «Peut-être! J’accepte cette critique. J’ai été de temps en temps de gauche et l’Histoire m’a poussé de temps en temps à être de droite, mais j’ai toujours été libéral.» Je trouve cette réponse remarquable. Etre libéral est une vision! Je ne vais pas pour autant éluder votre question.
Les droits de l’homme sont le point de départ de l’action de notre gouvernement. Pour nous, la question des minorités est primordiale. Nous avons abondamment débattu du problème des Roms. Nous nous employons à assurer les droits des minorités nationales présentes en Hongrie. Leur nombre n’est pas important, mais elles méritent forcément d’être bien traitées. Nous avons créé le ministère de l’Egalité des chances, chargé d’élaborer des solutions pour améliorer les chances des personnes qui subissent une discrimination, quelle qu’elle soit. Je le répète, le parlement va adopter une loi en ce sens. Par ailleurs, nous avons adopté une loi très moderne et très libérale sur les stupéfiants.
Notre gouvernement n’est pas nationaliste; il est patriote et internationaliste. Nous savons que la mondialisation est un fait et nous préparons des réponses adéquates aux questions qu’elle soulève. Nous menons une politique accueillante à l’égard des personnes qui veulent vivre et travailler en Hongrie.
En outre, nous avons décidé de poursuivre la réforme des pensions. Nous avons introduit un système assez moderne, déjà en vigueur au moment de la coalition libérale/sociale-démocrate, en 1997, lorsque j’étais ministre des Finances.
Nous sommes vraiment décidés à mener une politique de réforme du système de santé parce qu’il ne fonctionne pas bien et qu’il est essentiel de l’améliorer.
Bien que nous soyons un gouvernement plutôt social-démocrate et également libéral, nous sommes vraiment décidés à achever la privatisation. Aujourd’hui, 80 % du PNB provient du secteur privé, mais il reste encore quelques actions à mener en matière de privatisation, car nous avons décidé de la poursuivre. Il y a quinze jours, nous avons ainsi vendu la dernière banque commerciale hongroise, à un prix heureusement remarquable.
Nous sommes favorables aux investissements étrangers parce que je considère qu’il est essentiel d’avoir le capital pour notre développement.
Notre politique économique n’est pas une politique interventionniste. En revanche, je pourrais citer certains pays occidentaux ayant un gouvernement conservateur, dans lesquels, malgré cela, je constate des signes d’interventionnisme. Pour ne pas vous le cacher, je parle évidemment de mon pays préféré en Europe, celui que j’adore et dont je parle volontiers et avec un grand plaisir la langue.
Nous sommes aussi favorables à la décentralisation et à la transparence des décisions gouvernementales. Tels sont les quelques petits signes qui montrent en quoi notre gouvernement est un gouvernement social- démocrate et libéral.
M. MURATOVIC (Bosnie-Herzégovine) (traduction)
Lors du débat qui a eu lieu lundi dernier, nous avons adopté une résolution sur la menace que représentent les partis extrémistes pour la démocratie, ainsi qu’une résolution sur le discours raciste, xénophobe et intolérant en politique. Il y a trois ans, le rapport de M. Gjellerod consacré à l’extrémisme évoquait le cas de la Hongrie, où un parti extrémiste siégeait au parlement. Qu’en est-il aujourd’hui? Des mesures ont-elles été prises? Quelle est votre expérience sur cette question?
M. Medgyessy, Premier ministre de Hongrie
Je puis vous jurer que les électeurs hongrois sont des sages. Aujourd’hui, vous ne trouvez pas de parti extrémiste représenté au sein du parlement. Je dois dire en toute franchise qu’à mon avis – on peut sans doute discuter cette opinion – on constate certaines tendances extrémistes chez certains représentants du parlement, mais il n’y a pas de parti extrémiste. C’est certain.
Evidemment, il y a des extrémistes au sein de la société, et, comme partout, leur voix est plus forte que leur importance. Pour aller au bout de ma réponse, je dois toutefois admettre que, malheureusement, au sein du Parlement hongrois, le ton et les batailles sont extrêmement durs, ce qui peut causer des déceptions parmi les électeurs et même constituer un danger. En effet, si les électeurs déçus ne voient pas que les politiciens s’occupent vraiment d’eux, ils risquent de se tourner vers l’extrémisme. C’est de la responsabilité des partis parlementaires qui ne sont pas, je puis vous l’assurer, extrémistes.
M. WIELOWIEYSKI (Pologne)
Monsieur le Premier ministre, vous avez présenté vos trois points de départ pour la Conférence intergouvernementale à Rome. A mon avis, l’un des problèmes les plus difficiles que vous aurez à surmonter sera celui des différences entre les propositions de la Convention et le Traité de Nice en ce qui concerne les principes de vote au sein de la Commission européenne.
Le Traité de Nice est le fruit d’un compromis très difficile, qui n’a abouti qu’après des mois de négociations. Il instaure un certain équilibre entre les grands et les petits Etats au sein de l’Union européenne. Aujourd’hui, on voit se renforcer le statut des grands. Si cette évolution peut être de nature à faciliter la prise de décision, elle pourrait aussi affecter la cohésion des membres plus petits, qui se verront imposer les décisions des grands. Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Medgyessy, Premier ministre de Hongrie
Vous avez tout à fait raison. Trouver un compromis est très difficile. Je considère donc qu’il vaut mieux ne pas y toucher. A franchement parler, la question de savoir s’il est juste peut être posée, mais il a été accepté par tous. Par conséquent, à mon avis, il faut s’y tenir.
Evidemment, si l’on pouvait en instaurer un nouveau, si l’on était d’accord à l’unanimité pour modifier cet équilibre, je serais prêt à accepter une nouvelle proposition, mais je doute que l’on puisse réellement parvenir à un meilleur compromis que celui trouvé à Nice.
M. SFYRIOU (Grèce)
Monsieur le Premier ministre, comme vous le savez, les finances de l’Union européenne sont très limitées en ce moment en raison d’un budget communautaire très restrictif. Qu’espère la Hongrie pour son financement par l’Union européenne après son adhésion afin de pouvoir appliquer tous les programmes prévus?
M. Medgyessy, Premier ministre de Hongrie
Très bonne question. A cet égard, je veux d’abord souligner qu’il est essentiel pour nous que la construction de l’Europe soit fondée sur le principe de solidarité. En effet, la solidarité apporte du bonheur non seulement à ceux qui reçoivent, mais également à ceux qui donnent, parce que le résultat peut être d’accélérer la performance, la croissance de l’Europe dans son ensemble. Il est important de continuer sur la base de ce principe.
En ce qui concerne les différentes possibilités, les différents fonds qui existent en Europe, la question la plus pertinente pour un pays, surtout pour nos pays, est de savoir si la capacité d’absorption des capitaux est suffisamment élevée. A ce propos, je peux affirmer que la Hongrie est sans doute l’un des pays où la capacité d’absorption des capitaux est l’une des plus importantes. Cela est démontré, entre autres, par le taux d’investissement direct par habitant, qui est très élevé en Hongrie, mais également par d’autres indicateurs. La capacité d’absorption existe donc bien.
Il est nécessaire de développer les institutions capables d’absorber les capitaux, car il convient d’entretenir le dialogue entre l’Europe et la Hongrie. Nous concentrons fortement le développement de ces institutions. Selon nos calculs, le plafond de ce que la Hongrie peut obtenir de l’Union européenne représente 4 milliards de dollars par an. Bien entendu, nous avons l’intention d’utiliser la plus large part de cette somme énorme. Certes, elle ne sera pas consommée le premier jour, mais nous profiterons de l’opportunité qui nous sera offerte. Il est vital pour nous, pour le développement européen, que, dans la nouvelle perspective financière qui débutera en 2007, les contributeurs nets ne diminuent pas leurs paiements. Si cela devait être le cas, il serait très difficile d’instaurer un système solidaire.
Quelles sont les priorités de notre politique? Il s’agit d’abord du développement des infrastructures, essentiellement les routes et les autoroutes, ainsi que de la protection de l’environnement. Nous voulons également aider les différentes régions de Hongrie à accélérer leur développement et nous sommes prêts à accorder la priorité aux dépenses de recherche et de développement. Je considère que c’est une excellente voie. Si l’Europe retenait de telles opportunités à l’avenir, la Hongrie serait l’un des pays qui pourrait en tirer le meilleur profit.