Angela

Merkel

Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 15 avril 2008

remercie le Président de l’avoir invitée à s’exprimer devant l’Assemblée. Ce n’est pas par hasard que Strasbourg est souvent appelée «la capitale de l’Europe», car cette ville est le siège de deux parlements qui ont contribué de façon décisive à l’unification du continent.

L’oratrice est heureuse de pouvoir s’adresser pour la première fois à une assemblée regroupant des délégués de 47 parlements nationaux. Cette composition en fait un lieu d’échanges politiques dépassant les frontières de l’Union européenne et permet des rapprochements entre des pays qui en ressentent le besoin, malgré leurs différences, dans le contexte actuel de mondialisation. Les décisions politiques d’un État ont de plus en plus d’influence sur les autres, la politique étrangère devient politique intérieure, et la politique intérieure devient politique étrangère. De cette évolution résulte la conscience d’une responsabilité partagée pour l’Europe.

Dès ses débuts, l’Assemblée du Conseil de l’Europe a su apporter une contribution précieuse à l’unification du continent et à la promotion des droits de l’homme et des valeurs de liberté, de paix, de justice et de solidarité. Ce sont ces valeurs qui fondent la cohésion de l’Europe. Certes, l’Europe partage aussi une histoire et la volonté d’accroître sa prospérité en créant un espace économique commun, mais ce sont ces valeurs communes qui ont permis la cohabitation de pays différents. Les guerres et les conflits ont reculé et l’on peut espérer que les pays qui ne sont pas encore membres à part entière du Conseil de l’Europe le deviendront un jour.

L’Allemagne fédérale est devenue membre du Conseil de l’Europe le 2 mai 1951. Le Chancelier Adenauer, s’adressant alors à l’Assemblée, a insisté sur l’importance d’une plate-forme européenne pour élaborer des critères communs et coopérer dans un esprit d’équité. Cela fait maintenant soixante ans que le Conseil de l’Europe joue ce rôle de «conscience européenne», veillant au respect des valeurs communes qui ont pour fondement la dignité de l’être humain, même s’il existe différents modèles pour la préserver. Le pape Jean-Paul II, s’adressant à cette Assemblée en 1988, avait souligné que l’identité européenne n’était pas une réalité facile à saisir. Mais l’Europe a beaucoup changé depuis, et avec, la chute du rideau de fer, l’identité commune est devenue beaucoup plus évidente.

L’oratrice rappelle qu’elle a passé les trente-cinq premières années de sa vie en République démocratique d’Allemagne. Le régime autoritaire de l’époque ne permettait pas aux citoyens de contester les décisions de l’État devant la Cour européenne des droits de l’homme. Tout a changé très rapidement après la chute du mur de Berlin. Depuis les années 90, de nombreux pays ont tourné le dos à la dictature d’un parti unique et choisi la voie de la démocratie fondée sur le multipartisme, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la liberté des médias. Chacun sait que cet acquis n’est pas définitif et doit sans cesse être protégé.

Pour avoir vécu un tel bouleversement dans son propre pays, l’oratrice s’affirme convaincue que même des changements que l’on croit impossibles peuvent se réaliser. C’est en ce sens que l’unification européenne en cours est porteuse d’un message puissant vers les régions où une telle évolution semble impossible aujourd’hui.

La maison européenne sera toujours perfectible. Pour l’améliorer, il est important de développer une identification à ses valeurs. Renforcer l’unité européenne a été une priorité de la présidence allemande de l’Union européenne l’année dernière. Lors des cérémonies du 50e anniversaire du Traité de Rome, une déclaration soulignant tous les facteurs d’unité entre Européens a été votée. C’est en s’appuyant sur ses valeurs que l’Europe pourra donner un visage humain à la mondialisation, relever le défi du changement climatique et ne pas laisser les intérêts commerciaux prévaloir sur les droits de l’homme. Il ne s’agit pas d’un objectif abstrait, il doit se traduire tous les jours dans la vie politique. Le Conseil de l’Europe continuera à jouer ce rôle de gardien des valeurs européennes.

L’oratrice cite deux exemples illustrant ce rôle. Le premier concerne la lutte contre le terrorisme. Depuis les attentats de Madrid et de Londres, l’issue de cette lutte se joue aussi en Europe. Cependant, il convient de concilier le respect des impératifs de sécurité et des droits fondamentaux. C’est un exercice difficile. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a joué un grand rôle à cet égard: M. Hammarberg, qui s’est rendu en Allemagne en 2006, a émis un certain nombre de critiques, dont les autorités allemandes ont dû tenir compte. Il n’est pas toujours facile d’accepter la critique venue de l’extérieur, mais cette obligation d’ingérence mutuelle en matière de droits de l’homme en Europe est très saine. Ce système de contrôle permet de mettre le doigt sur les points faibles et de garantir aux citoyens une possibilité de recours. Il importe d’assurer que les décisions prises et les actions menées dans la lutte contre le terrorisme n’empiètent pas sur les libertés fondamentales.

Le second exemple concerne la protection des minorités nationales qui représente un immense défi pour l’Europe. Ce problème est source de conflits non résolus partout, y compris en Europe même. Des groupes de population revendiquent une autonomie culturelle et politique accrue, tandis que les États veulent préserver leur intégrité territoriale. Comment trouver le juste équilibre entre la volonté d’autonomie des uns et la nécessité de préserver l’intégrité nationale? Il n’y a pas de solution miracle ni de solution unique. En tout cas la réponse ne saurait être la violence. Pour éviter les chocs culturels, il faut choisir la voie du dialogue. C’est ce qu’a fait le gouvernement allemand. Les parties prenantes de ce dialogue apprennent ainsi à exprimer leurs attentes respectives.

La lutte contre le terrorisme et la recherche d’une meilleure intégration sont deux exemples d’une politique fondée sur les valeurs que partagent tous les pays membres du Conseil de l’Europe. Ces valeurs sont énoncées dans la plate-forme commune que constitue la Convention européenne des droits de l’homme. Celle-ci offre à 800 millions de personnes une protection contre l’arbitraire de l’État. Chacun peut faire valoir ses droits devant la Cour européenne des droits de l’homme. Plus de 50 000 personnes par an utilisent cette possibilité. C’est un système unique au monde.

S’étant rendue ce matin auprès du greffe, la Chancelière a cependant pu constater que la Cour avait atteint les limites de ses capacités et avait besoin d’une structure plus adaptée. Il ne suffit pas que chacun ait le droit d’engager une procédure, il faut aussi qu’il ait l’assurance qu’elle sera traitée un jour. Ceux qui bloquent la réforme de la Cour européenne nuisent donc grandement à la crédibilité de celle-ci. Mme Merkel s’est entretenue de ces questions avec le Président Poutine, ainsi qu’avec le président de la Douma, et a fait valoir qu’il était urgent que la Fédération de Russie ratifie le Protocole additionnel n° 14, qui permettra à la Cour d’être plus efficace. Elle espère que la Douma pourra prochainement réexaminer les choses afin que l’on débouche sur une ratification. (Applaudissements)

La Convention européenne des droits de l’homme existait bien avant que l’Union européenne ne commence à discuter de sa Charte des droits fondamentaux. Sans le travail accompli par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne serait impensable dans sa forme actuelle. Les deux organisations se complètent. Aussi Mme Merkel se réjouit-elle qu’un mémorandum d’accord ait pu être signé entre les deux, sous la présidence allemande. Il faut des échanges encore plus étroits entre les deux organisations. A cet égard, une étape importante sera franchie avec l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette étape, prévue par le traité de Lisbonne, est l’une des raisons pour lesquelles l’Union a voulu se doter de la personnalité juridique. Elle permettra aux citoyens de l’Union européenne d’invoquer devant la Cour européenne des droits de l’homme la violation de textes et d’actes communautaires. (Applaudissements)

L’histoire du Conseil de l’Europe est celle d’un grand succès européen, mais il faut continuer à travailler et à faire progresser la coopération. Chaque génération doit reprendre ce combat. Mme Merkel conclut son propos en appelant les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a continuer à être le moteur d’une Europe unie, faite de paix, de liberté et de démocratie. Cette Europe constitue un exemple pour le reste du monde et son histoire montre que, d’une situation perçue comme inextricable, il peut toujours surgir des solutions. (Applaudissements)