Adrian

Nastase

Premier ministre de Roumanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 23 janvier 2001

Monsieur le Président, chers collègues, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de me trouver aujourd’hui parmi mes anciens collègues de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Permettez-moi d’exprimer à notre Président, Lord Russell-Johnston, et aux membres du Bureau toute ma gratitude pour leur invitation à m’adresser aujourd’hui aux représentants les plus autorisés de la démocratie, quintessence de l’esprit européen.

Je reviens à Strasbourg à l’occasion de ma première visite à l’étranger en tant que Premier ministre de la Roumanie. Notre rencontre n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence logique de l’attention constante accordée par mon gouvernement au développement d’une relation privilégiée avec le Conseil de l’Europe. Au cours des dernières années, le Conseil ainsi que d’autres organisations internationales ont trouvé en la Roumanie un partenaire crédible pour consolider la démocratie et la stabilité sur le continent européen. L’admission de la Roumanie au sein du Conseil de l’Europe confirme que l’Organisation de Strasbourg n’offre pas de chèque en blanc. La Roumanie est fermement décidée à respecter tous ses engagements envers le Conseil de l’Europe en harmonisant sa législation avec les standards européens.

La Roumanie est devenue membre du Conseil de l’Europe voici plus de sept ans. Durant cette période, les autres pays membres nous ont aidés à rebâtir l’édifice de la démocratie. Nous avons commencé par signer les instruments juridiques les plus importants du Conseil de l’Europe: la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte sociale européenne. Aujourd’hui, mon pays s’inscrit parmi les membres les plus actifs de la communauté internationale œuvrant pour l’affirmation progressive des droits de l’homme en Europe et dans le monde entier.

Monsieur le Président, chers collègues, le respect des engagements et des obligations pris devant cette Organisation est une préoccupation constante de mon pays. En effet, en renforçant les normes démocratiques en Roumanie, nous consolidons aussi les critères politiques d’adhésion à l’Union européenne – qui constitue un des objectifs majeurs de mon gouvernement. Moins de deux mois après la formation du gouvernement que j’ai l’honneur de présider, pour répondre aux exigences liées au dialogue postsuivi, les députés roumains ont d’ores et déjà adopté le projet de loi relatif au régime juridique des immeubles confisqués après 1945, ainsi qu’un autre projet de loi important relatif au régime général de l’autonomie locale, à l’organisation et au fonctionnement de l’administration publique locale. Celui-ci a été adopté par la deuxième chambre du Parlement roumain la semaine dernière. Ces deux lois qui étaient considérées, à raison, comme importantes pour la construction démocratique en Roumanie délivrent, me semble-t-il, un message très clair en ce qui concerne l’orientation de nos activités législatives. Elles reflètent notre volonté de respecter nos engagements à l’égard du Conseil de l’Europe.

Mon gouvernement poursuivra cet effort avec détermination, persuadé que nos activités au sein du Conseil de l’Europe et l’expérience qui en découle s’inscrivent dans notre stratégie d’adhésion à d’autres organisations euro-atlantiques, notamment l’Union européenne. Je tiens en outre à souligner que mon gouvernement compte cinq femmes, ce qui est une première pour un Gouvernement roumain.

(L’orateur poursuit en anglais) (Traduction) J’aimerais attirer votre attention sur les extraordinaires transformations intervenues en Roumanie depuis 1989. La routine quotidienne nous empêche parfois de réaliser pleinement le trajet considérable que nous avons parcouru pour faire d’un pays totalitaire une démocratie. Les droits de l’homme qui, il y a onze ans encore, étaient foulés aux pieds sont aujourd’hui solidement ancrés. Nous semblons parfois oublier que ces droits ont été acquis grâce à un combat sans relâche contre l’héritage communiste. Certes, tout cela était bien plus difficile au lendemain de la révolution de décembre, mais la protection des droits de l’homme reste une lutte de tous les instants.

Membre relativement jeune de la grande famille du Conseil de l’Europe, c’est avec un grand enthousiasme que la Roumanie participe à la construction d’une société européenne démocratique. L’adhésion au Conseil de l’Europe a été une incitation et un tournant sur le chemin menant à la démocratisation. Nous travaillons activement à la promotion de nos valeurs démocratiques communes et aux principes des droits de l’homme à travers tout le continent.

J’aimerais saisir cette occasion pour souligner la satisfaction avec laquelle j’accueille la prochaine adhésion de deux nouveaux membres. Les efforts déployés par les Etats membres du Conseil de l’Europe, y compris la Roumanie, ont été couronnés de succès puisque l’Arménie et l’Azerbaïdjan rejoindront l’Organisation après-demain. Tout en réaffirmant notre conviction que l’avenir du continent réside dans son unité et qu’il tire sa force de sa diversité, nous tenons à rendre hommage au Conseil de l’Europe pour le rôle qu’il joue dans le processus d’intégration. L’une des raisons pour lesquelles l’Europe est connue dans le monde entier comme une famille de démocraties, c’est la Convention européenne des Droits de l’Homme dont elle s’est dotée.

L’Europe est en train de construire une nouvelle identité. Il faut en revenir à l’esprit et à la philosophie qui sous-tendaient la vision qu’avaient eue, il y a cinquante ans, nos pères fondateurs: celle de l’Europe en tant que communauté. Le Conseil de l’Europe, première organisation à vocation paneuropéenne, a eu la clairvoyance de s’élargir rapidement aux pays d’Europe centrale et orientale. L’Union européenne et l’Otan, elles, se sont montrées plus prudentes, mais l’heure est venue de réunifier le continent. A mes yeux, l’Europe est encore une œuvre inachevée.

Si le Conseil de l’Europe doit être considéré comme le promoteur à la fois innovateur et courageux de la coopération intergouvemementale à travers le continent, les Etats membres doivent s’attacher à préserver la crédibilité de l’Organisation, notamment en matière de protection et de promotion des droits de l’homme. A cet égard, la Roumanie apprécie plus particulièrement tout ce qui a été fait pour définir des normes et pour améliorer les mécanismes existants. L’une des tâches majeures du Conseil est d’aider les nouveaux pays membres à mettre en place le cadre législatif qui permettra de garantir l’unité de jure et de facto de notre continent.

(L’orateur poursuit en français) Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, le début du nouveau siècle place la Roumanie devant un double défi, celui de réussir pleinement son intégration à la fois au sein de l’Union européenne et au sein de l’Otan. De cette façon, la satisfaction des exigences propres à tout Etat démocratique stable et prospère devient un des critères fondamentaux. Le programme du nouveau gouvernement démocratiquement élu se fonde sur une forte vision sociale-démocrate, ce qui explique que nous mettions l’accent sur la solidarité sociale, sur les valeurs traditionnelles de la famille et sur les principes de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la Charte sociale européenne. Nous avons décidé d’enrichir la pratique de l’économie de marché par une dimension humaine, en soutenant un programme de modernisation et de développement durable de notre pays.

Cette conception vise à mettre en valeur le potentiel humain du pays, les ressources du secteur privé, le partenariat entre le secteur public et le secteur privé, ainsi que les relations extérieures et la coopération internationale.

La croissance économique et l’assurance de la stabilité macroéconomique seront réalisées par la mise en œuvre d’un ensemble cohérent de politiques budgétaires, économiques et fiscales, ce qui implique un dialogue permanent et pertinent avec les institutions financières et internationales, et avec l’Union européenne.

Nous comptons pour cela sur l’assistance technique et financière des experts européens ainsi que sur des investissements étrangers substantiels dans une économie qui sera, dans quelques années, partie intégrante du marché unique européen.

La politique sociale du gouvernement fera l’objet de changements profonds reposant sur un équilibre entre compétition, coopération et solidarité, afin d’assurer une vie décente pour tous les citoyens roumains, conforme aux normes européennes.

La réforme profonde de la justice est inscrite comme une priorité de l’agenda gouvernemental en vue d’une réelle démocratisation de la justice, en édifiant un système judiciaire indépendant et responsable fondé sur le respect des principes de l’Etat de droit, c’est-à-dire une justice fondée sur un système fonctionnel et efficace au service du citoyen.

La restructuration du système administratif central et local est orientée vers la consolidation de l’autorité de l’Etat ainsi que vers la décentralisation et la démilitarisation de la police et des autres services publics, la réduction de la bureaucratie et la dépolitisation des structures administratives.

La pleine affirmation de l’identité des minorités et la coopération interculturelle, fondées sur un modèle civique de tolérance et de respect mutuel, découlent de l’application de notre principe selon lequel les minorités représentent une grande ressource pour le développement d’une société moderne.

Comme la jeune génération symbolise le futur même, la valorisation de son potentiel créateur sera promue par l’élaboration et l’application de mesures législatives unitaires, et d’un programme national d’éducation publique veillant à la protection des droits de l’enfant et des jeunes.

La lutte contre la corruption, la réduction de phénomènes comme l’évasion fiscale, le blanchiment des capitaux et la criminalité organisée sont des tâches majeures de l’action gouvernementale menée en étroite coopération avec nos partenaires européens.

Par sa volonté fermement exprimée d’accélérer sa préparation à l’intégration dans l’Union européenne, la Roumanie devrait obtenir une réponse favorable à sa demande de remédier à l’injustice consistant à maintenir des citoyens roumains en dehors de la libre circulation en Europe.

Je voudrais citer ici Nicolae Titulescu, ancien et illustre ministre des Affaires étrangères de la Roumanie et président de la Société des nations, qui, en 1930, s’est adressé en ces termes à l’Assemblée:

«En dernière analyse, la Société des nations ne repose pas sur les Etats, mais sur chacun de nous. Douter de la Société des nations, c’est douter de nous-mêmes. Votre Président manquerait à la confiance que vous avez bien voulu placer en lui si, à ce moment de graves difficultés, il ne proclamait pas au monde notre credo: ici, nous ne doutons pas!»

Mutatis mutandis, nous disons la même chose: à Bucarest, nous ne doutons pas!

(L’orateur poursuit en anglais) (Traduction) Au cours des onze dernières années, le continent européen a traversé des épreuves qu’on pensait à jamais révolues. Des crises et des conflits ont éclaté dans la République de Moldova, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en Albanie et au Kosovo. La menace d’une grave instabilité est bien réelle; elle continuera de peser sur nos têtes tant que nous ne miserons pas sur la démocratie et la stabilité dans ces régions également. Il faut s’efforcer de connaître les régions les plus éloignées de l’Europe, faute de quoi nous ne parviendrons jamais à instaurer la stabilité propice à la construction de l’avenir que nous appelons de nos vœux.

J’aimerais attirer plus particulièrement votre attention sur le fait qu’un membre de la délégation parlementaire roumaine auprès du Conseil de l’Europe ne sera pas en mesure d’assister à la présente session, parce qu’il est illégalement détenu. Le simple fait que le régime illégitime de Tiraspol soumette un membre de cette honorable Assemblée à un traitement aussi dégradant prouve bien qu’il refuse de respecter les droits de l’homme les plus élémentaires. Nous tenons ici à exprimer notre plus vive inquiétude quant au sort de M. Ilie Ilaçcu, citoyen roumain, député au Parlement roumain et membre de la délégation roumaine auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Quelle que soit la personne à laquelle il est infligé, un tel traitement doit appeler une action politique résolue; à plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’un de nos collègues.

Je vous exhorte à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour garantir le respect de la personne et des droits d’un membre de cette Assemblée. Les autorités de Chiçinâu continuent d’être entravées dans l’exercice de leur pouvoir constitutionnel sur la partie de leur territoire située sur la rive gauche du Dniestr. Notons que, de manière générale, les activités qui y sont menées constituent une menace pour la stabilité d’un Etat membre du Conseil de l’Europe et pour la région tout entière.

Le cas des cinq personnes connues sous le nom de «groupe Ilaçcu», illégalement arrêtées à Tiraspol par des autorités qui ne sont pas reconnues par la communauté internationale, a été porté devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en vue de faire respecter les principes de la Convention.

Présidant cette année l’OSCE, la Roumanie souhaite et soutient l’élargissement du champ des mécanismes de coopération entre le Conseil de l’Europe et cette organisation. Les organisations internationales sont des partenaires naturels, notamment en situation de crise, lorsque les violations des droits de l’homme sont particulièrement nombreuses et flagrantes. Les actions communes ne sont pas seulement plus efficaces, elles accroissent également la visibilité des efforts déployés par la communauté internationale.

Nous nous félicitons tous des changements démocratiques intervenus en République fédérale de Yougoslavie. Mentionnons ici que, grâce aux contacts qu’elle a maintenus avec l’ancienne opposition démocratique de Yougoslavie et au dévouement de ses ONG, la Roumanie a apporté une contribution non négligeable aux efforts déployés par la communauté internationale en vue d’amener ces changements démocratiques radicaux à Belgrade. Mais la Roumanie a également fourni sa propre contribution à l’ouverture de la République fédérale de Yougoslavie au monde démocratique, processus dans lequel le Conseil de l’Europe est appelé à jouer un rôle de premier plan. L’adhésion future de la République fédérale de Yougoslavie à l’Organisation devrait être un gage de l’irréversibilité des changements démocratiques que nous appelions de nos vœux depuis si longtemps. Par ailleurs, la Roumanie s’est engagée à prendre une part active à la mise en œuvre du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud- Est en vue de garantir la démocratie, la stabilité et la prospérité dans cette région qui sera appelée à faire partie de la communauté européenne de demain.

La Roumanie agit en tant que membre bien établi du Conseil de l’Europe. Forte de ses presque huit années d’expérience au sein de l’Organisation, elle ne se contente plus de recevoir aide et conseils, elle est aussi en mesure d’en fournir là où le besoin s’en fait sentir.

En ma qualité à la fois de Premier ministre et de président du parti au pouvoir en Roumanie, je tiens à réaffirmer ici notre volonté d’honorer pleinement les engagements juridiques et politiques que nous avons contractés à Strasbourg. Je puis vous assurer que la Roumanie est une partenaire sur laquelle vous pouvez compter.

Je vous remercie.