Bujar

Nishani

Président de l’Albanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 4 octobre 2012

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, je voudrais de tout cœur vous remercier de m’avoir invité à m’adresser à vous à l’occasion de cette session de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, organisation basée sur les valeurs universelles que sont les droits de l'homme, la démocratie et la prééminence du droit. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle important dans le renforcement de l’unité de l’Europe en s’appuyant sur ces valeurs et en facilitant le processus d’intégration dans l’Union européenne.

C’est un grand privilège et un plaisir pour moi que d’être ici aujourd’hui, au Palais de l’Europe, et de m’y exprimer au nom de la première présidence albanaise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

Je voudrais saisir cette occasion pour remercier de tout cœur le Président Mignon pour l’accueil chaleureux et amical qu’il m’a réservé ainsi qu’à la délégation albanaise pendant notre séjour à Strasbourg.

Permettez-moi également d’exprimer toute ma considération et mon estime pour le Secrétaire Général, M. Jagland, pour l’excellente contribution qu’il a apportée avec son équipe à la réforme du Conseil de l’Europe afin d’en faire un acteur politique puissant, et d’accroître sa visibilité au-delà des limites de l’Europe.

Monsieur le Président, au cours de la première phase de notre période de transition, l’Albanie, qui avait survécu à la plus dure des dictatures du continent et à un isolement total avait un besoin urgent de se doter de véritables institutions démocratiques et d’un cadre juridique européen pour appuyer les fondations d’un nouvel Etat basé sur l’Etat de droit et une économie ouverte. Pour cette raison, au début des années 1990, nous avons pris de premiers contacts avec des institutions politiques européennes telles que le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi qu’une série d’institutions financières telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

Dans ce contexte, la communication avec le Conseil de l’Europe et ses institutions a été très intense, ce dont avait le plus grand besoin la fragile démocratie albanaise qui faisait ses tout premiers pas. Nous n’avons pas considéré l’adhésion de l’Albanie au Conseil de l’Europe comme un objectif en soi mais comme un instrument indispensable pour consolider les institutions démocratiques de l’Etat de droit au service de nos citoyens et de notre aspiration européenne.

En 1995, l’Albanie est devenue pleinement membre du Conseil de l’Europe, moment de grand encouragement pour la nouvelle démocratie albanaise et une étape considérable pour la consolidation des relations entre l’Albanie et le Conseil de l’Europe.

Au cours des six mois allant du 23 mai au 9 novembre 2012, nous connaissons un nouveau temps fort dans les 20 ans de notre coopération. Pour la première fois l’Albanie préside le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Au cours de ces 20 années, l’Albanie et la société albanaise ont connu la transformation la plus profonde et la plus intense de leur histoire millénaire. Le pays, autrefois champion de la violation des droits de l’homme, est aujourd’hui à la tête du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, ce temple européen des droits de l’homme. L’Albanie, autrefois connue pour son hostilité aveugle et fanatique à l’égard du monde occidental, est aujourd’hui membre de l’Otan et participe aux efforts des forces de paix en Afghanistan et ailleurs.

Autrefois consommatrice de sécurité, l’Albanie est aujourd’hui devenue contributrice à la sécurité des pays de la région et des pays démocratiques du monde entier. Autrefois complètement isolée, l’Albanie envisage aujourd’hui avec confiance, grâce à ses mérites, l’obtention du statut de pays candidat à l’Union européenne. Les citoyens albanais voyagent librement sans visa en Europe.

Autrefois économie profondément autocratique, l’Albanie est devenue aujourd’hui une économie de marché libre et dynamique. Aujourd’hui, mon pays gère avec succès l’impact de la crise économique et financière mondiale et connaît une croissance positive sur les plans économique et financier grâce à des réformes macro-économiques soigneusement réfléchies, à la libéralisation du commerce, à l’encouragement donné à l’esprit d’entreprise et à une série d’autres réformes profondes dans ce secteur.

De 2007 à 2012, la croissance moyenne du PIB a été de 5 %. Le rapport sur la compétitivité mondiale 2011-2012 du Forum économique mondial classe l’Albanie à la 78è place sur 142. Le rapport «Doing Business 2012» de la Banque mondiale classe l’Albanie à la 82è place sur 183 économies. Dans d’autres rapports, l’Albanie arrive 24è et 16è, dans le peloton de tête.

Nous savons ce qui est attendu des autorités albanaises: améliorer le niveau de ses normes et s’engager pleinement à les améliorer pour devenir capable d’intégrer dignement la famille européenne.

Les mesures concrètes que nous avons prises font du rêve éternel d’Europe des Albanais une réalité, conforme à l’aspiration exprimée par d’innombrables étudiants et citoyens qui remplissaient les rues et places pour dire: «Nous voulons que l’Albanie soit comme le reste de l’Europe!» Ce fut le slogan qui inspira les Albanais dans leur lutte finale contre la dernière dictature en Europe.

L’Albanie fête les 100 ans de son indépendance. Les efforts de la nation albanaise pour protéger son intégrité territoriale contre les risques de partition, d’épuration ethnique et d’occupation sont innombrables. Mais aujourd’hui nous fêtons les 100 ans de l’indépendance de l’Albanie comme nation libre qui a su comment faire usage des valeurs de la liberté pour réaliser de véritables conquêtes.

Chers membres de l’Assemblée parlementaire, depuis les premiers moments de l’adhésion de l’Albanie au Conseil de l’Europe, cette Organisation et ses institutions ont apporté à mon pays une contribution précieuse pour encourager le processus de consolidation des réformes démocratiques. L’Albanie a bénéficié en particulier du savoir-faire et de la coopération du Conseil de l’Europe dans divers domaines: la réforme constitutionnelle grâce à la coopération avec la commission de Venise, la tenue d’élections libres et démocratiques conformes aux normes européennes, l’établissement et la consolidation d’une justice efficace et indépendante, la lutte contre la corruption, le crime organisé et les trafics illicites, la croissance de la culture démocratique et d’autres réformes.

A l’heure actuelle, l’Albanie est un candidat potentiel à l’adhésion à l’Union européenne. A cet égard, le Conseil de l’Europe joue un rôle important comme vecteur de la politique européenne en matière de protection et promotion des droits de l’homme, de renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit. La réussite de l’Albanie est incontestablement liée aussi à la coopération fructueuse dont elle a bénéficié de la part du Conseil de l’Europe.

D’un autre côté, la présidence albanaise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe nous donne une grande occasion d’apporter notre contribution dans tous ces domaines et d’aller plus loin dans les progrès réalisés par les présidences précédentes, tout en contribuant à améliorer les valeurs dans notre pays. Grâce à ses politiques prudentes et modérées, l’Albanie joue un rôle stabilisateur dans la région. Petite nation, elle peut apporter un grand message. La tolérance et l’harmonie entre les religions, caractéristiques des Albanais, constituent un modèle de coexistence dans la diversité. Les sacrifices des Albanais pour accueillir et protéger les juifs en danger d’extermination montrent clairement comment une petite nation ayant un grand cœur peut faire la différence.

Nous comprenons tous que la diversité est le destin de l’Europe. Cette diversité ethnique, culturelle, religieuse et linguistique a toujours caractérisé les sociétés européennes. Les pères fondateurs de l’Europe unie ont considéré que cette diversité constituait la force et l’avantage de notre continent. La présidence albanaise en exercice est convaincue que le Conseil de l’Europe, avec tout son savoir et son expérience, est l’organisation internationale appropriée pour promouvoir les sociétés démocratiques respectant et défendant la diversité et la coexistence pacifique dans la liberté.

Dans ce but, la présidence albanaise organisera à Tirana une conférence à haut niveau sous le thème: «Diversité en Europe, un outil puissant pour l’avenir». A côté des points qui seront discutés là-bas, il y aura également un dialogue avec nos voisins méditerranéens, qui servira à partager nos meilleures expériences en vue de créer des sociétés stables et ouvertes.

Je saisis cette occasion pour attirer votre attention sur un autre point: le patrimoine culturel européen. Celui-ci fait partie intégrante du système de valeurs de l’Europe. Le respecter et le protéger est essentiel pour développer une identité européenne. Mais rien n’est jamais acquis. Notre patrimoine culturel est très précieux, mais aussi très vulnérable. Pour le préserver, il faut agir ensemble, tous secteurs confondus, société civile, secteur du patrimoine, pouvoirs publics à tous les niveaux, institutions nationales et européennes, mais aussi toute personne intéressée par le patrimoine culturel.

La région des Balkans, qui s’inscrit dans la structure politique et institutionnelle actuelle de l’Europe, progresse aujourd’hui vers l’intégration européenne. Les pays qui la composent ont tourné le dos à leur passé et regardent résolument vers l’avenir. Dans les Balkans occidentaux, la coopération régionale, en particulier, constitue un instrument essentiel du développement de la région dans tous les domaines, qui permettra d’atteindre plus rapidement cet objectif commun qu’est l’intégration européenne.

La politique étrangère de l’Albanie se caractérise par un engagement résolu à développer les bonnes relations du pays avec ses voisins ainsi que l’intégration régionale. C’est un environnement de paix, de stabilité, de démocratie et de développement économique qui servira le mieux nos intérêts nationaux. La création d’un tel environnement suppose qu’un esprit de coopération et de compréhension mutuelle anime toutes les parties en présence dans la région, au niveau bilatéral et multilatéral. L’avenir de la région dépend de la stabilisation dans le cadre de l’intégration européenne et euro-atlantique, seule solution aux problèmes hérités de l’histoire. Nous encourageons donc le dialogue et le débat institutionnel, car ce sont ces mécanismes de communication qui permettront de résoudre les difficultés intérieures et extérieures.

À nos yeux, il ne suffit pas, pour parler de coopération régionale, d’exprimer la volonté politique d’entretenir des relations de bon voisinage. En nous engageant concrètement ensemble, nous pouvons construire une infrastructure régionale moderne. Voilà pourquoi nous supprimons tous les obstacles non physiques à la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux et encourageons les échanges entre nos pays. Parallèlement, en apprenant à mieux connaître la culture, l’histoire et les coutumes de nos voisins, nous améliorerons l’image de notre région, nous la rendrons plus attractive et plus compétitive, et nous favoriserons son intégration européenne. Dans cet esprit, nous jouons un rôle modérateur afin de préserver et de consolider la paix et la stabilité dans les Balkans.

La présence d’Albanais dans presque tous les pays de la région contribue selon nous à cette politique de modération. Nous avons toujours considéré qu’ils pouvaient servir de passerelles entre nos différents pays et nous les encourageons à promouvoir, dans un esprit de coopération, l’intégration européenne des pays où ils vivent.

Chers membres de l’Assemblée parlementaire, nous apprécions l’engagement du Conseil de l’Europe dans notre pays et dans les Balkans, un engagement fondé sur des projets spécifiques et thématiques. En particulier, l’implication du Conseil au Kosovo est essentielle pour y promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit et pour offrir une perspective européenne aux citoyens qui y vivent. Le Kosovo devrait être un pays sûr pour ses citoyens, respectueux des normes du Conseil de l’Europe, appliquant les instruments européens et leurs mécanismes de contrôle.

Notre position est très claire. La République du Kosovo est une réalité et un facteur de stabilité dans la région. Cela ne laisse aucune place au doute. La question de son statut et de son intégrité territoriale est close. Nous soutenons l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe, seul moyen de faire bénéficier pleinement ses citoyens des normes du Conseil de l’Europe et de leur assurer l’accès à la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’intervalle, et dans les conditions actuelles – un statut neutre pour le Kosovo, conformément à la Résolution 1739 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe –, tous les pays membres du Conseil de l’Europe, quoi qu’ils pensent du statut du Kosovo, devraient s’engager davantage sur place pour développer les relations directes entre les autorités kosovares et le personnel du Conseil à tous les niveaux. Les citoyens du Kosovo, citoyens européens, méritent de bénéficier des normes européennes incarnées par le Conseil de l’Europe.

Grâce au soutien de pays amis, le Kosovo a fait de grands progrès et commencé de consolider les fondations de son Etat. La récente décision, prise par le Groupe d’orientation sur le Kosovo, de mettre fin à son «indépendance sous surveillance internationale» le confirme et ouvre une nouvelle page de l’histoire du pays, désormais entièrement indépendant et souverain. Le Kosovo n’a cessé de prouver sa détermination à consolider cette indépendance, cette souveraineté et son intégrité territoriale. Il y existe désormais partout des institutions multiethniques et démocratiques qui fonctionnent, ce qui montre que le pays a résolument tourné le dos à son douloureux passé et souhaite permettre à tous les citoyens vivant sur son territoire d’y bâtir l’avenir de leur famille et de leurs enfants. La reprise récente des discussions avec la Serbie, dont dépend la normalisation des relations entre les deux pays, y contribuera.

Si le mandat du Conseil de l’Europe se concentre sur l’Europe, bien des problèmes actuels sont influencés par l’évolution des pays voisins en Méditerranée, au Proche-Orient et en Asie centrale. Dès lors, nombre d’activités du Conseil, dont celles qui concernent d’importantes conventions, visent à étendre la coopération au-delà des limites de l’Europe. Ainsi, la lutte contre le terrorisme, le trafic d’êtres humains, le blanchiment d’argent ou la cybercriminalité ne sera efficace que si nos voisins s’impliquent à nos côtés et si nous nous rapprochons d’autres organisations internationales. Je suis fermement convaincu que le Conseil de l’Europe dispose de tous les mécanismes nécessaires pour contribuer à l’édification de sociétés démocratiques durables dans les régions voisines. Les relations avec ces régions doivent être fondées sur le respect mutuel et l’attention à leur identité culturelle et religieuse. Nous apprécions en particulier le rôle de la Commission de Venise, qui assiste le Maroc et la Tunisie en matière de droit constitutionnel afin de les aider à conformer leur législation aux normes internationales en matière de droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs, l’Albanie croit fermement au dialogue entre les civilisations et continuera de s’engager activement pour abolir les différences en matière de droits de l’homme. Voilà pourquoi la présidence albanaise du Comité des Ministres a choisi pour devise «L’unité dans la diversité». Ce dialogue doit être considéré comme un processus en chantier qui suppose engagement, bonne volonté et attention. Il n’est pas toujours facile de surmonter les différences culturelles pour parvenir à l’harmonie; ce peut même être très difficile. Nous sommes tous attristés par les lourdes conséquences qu’a entraînées la diffusion d’une vidéo dépourvue de toute valeur, irrespectueuse envers l’islam et envers ce que les musulmans considèrent comme sacré. Les citoyens albanais de toutes confessions religieuses, notre Etat et nos institutions religieuses ont délibérément ignoré cette vidéo.

Il est malencontreux que, dans certaines parties de monde, il n’y ait pas eu la même réaction face à cet événement et qu’au contraire, cette vidéo ait été utilisée pour alimenter une violence aveugle au sein de foules furieuses et sans espoir, avec les conséquences fatales que l’on sait.

Nous devons clairement dire que toutes les formes de terrorismes et d’actions extrémistes de la part de groupes isolés ne devraient jamais être confondues avec les positions de gouvernements et de sociétés dans leur ensemble. Aucune colère, même légitime, ne peut justifier des actes de violence illégaux. Toutes les institutions politiques et religieuses et toutes les sociétés doivent s’opposer fermement à de tels actes et s’engager plutôt dans la mise en place de mécanismes de prévention, sur le plan social, éducatif et juridique.

Nous condamnons avec indignation les actions terroristes contre l’ambassade américaine en Libye et demandons que leurs auteurs soient sanctionnés. Nous condamnons toute action de protestation violente contre les ambassades de pays occidentaux, dont la mission est de promouvoir la compréhension et la coopération entre les pays et les nations.

Mes chers amis, la paix et la sécurité restent attaquées par la tyrannie et l’oppression. Nous condamnons fermement la violence commise contre le peuple de Syrie, amoureux de la liberté, et les actes commis par un régime qui a incontestablement perdu sa légitimité. Personne ne devrait rester les bras croisés face aux terribles événements qui se déroulent, jour après jour, depuis un an et demi maintenant, et qui ont entraîné la perte de milliers de vies humaines, provoqué des destructions considérables délibérées et fait reculer ce pays pour des dizaines et des dizaines d’années.

Nous vivons tous dans un monde de plus en plus mondialisé, un monde qui, au cours de son histoire, a su surmonter bien des tragédies humaines. Dans l’intérêt de notre avenir commun, nous devons tirer les bonnes leçons du prix qui a dû être payé par ces effusions de sang.

Mesdames et Messieurs, pour conclure, je voudrais rendre hommage au rôle et à la contribution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour la préservation et la promotion des valeurs fondamentales de notre Organisation dans ses Etats membres et au-delà. Je tiens également à exprimer toute ma reconnaissance pour l’aide et le soutien que cette Assemblée a apportés à mon pays en vue de l’aider à satisfaire à tous ses engagements et à sa mission.

Je vous souhaite des travaux fructueux au cours de cette session et vous remercie de votre attention.