Hussein

Roi de Jordanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 25 septembre 1995

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Président du Comité des Ministres, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, c’est tout à la fois un privilège et un plaisir pour moi que de pouvoir m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et ainsi vous faire connaître mon point de vue sur les relations entre l’Europe et mon pays, sur ce qu’elles ont été dans le passé, et sur ce que, nous l’espérons, elles deviendront à l’avenir.

Je voudrais saisir cette occasion pour remercier mon grand ami, Miguel Ângel Martinez, Président de l’Assemblée parlementaire, pour son invitation à prendre la parole devant votre éminente Assemblée et pour l’impulsion et la contribution qu’il apporte à la compréhension méditerranéenne. Au cours de ces dernières années, beaucoup de choses ont changé au Moyen-Orient.

Si l’on en fait le bilan, les changements ont été positifs; bien que les conséquences des événements passés soient toujours présentes, de nouveaux facteurs de maturité, de réalisme, et de détermination sont apparus, qui éclairent nos horizons.

Il convenait de conclure avec Israël une paix chaleureuse, permettant aux deux peuples de coopérer pour leur profit mutuel et pour tous ceux qui dans la région partagent les mêmes espoirs.

Il est peut-être trop tôt pour évaluer quel aura été l’impact de l’Europe sur notre région au XXe siècle. Nous vivons encore les conséquences de deux guerres européennes dévastatrices et leurs répercussions sur nos vies; après la première guerre mondiale, une nouvelle carte a été dessinée pour notre région par les vainqueurs.

Cette carte a tracé des frontières là où il n’y en avait pas auparavant; elle a créé un certain nombre de nouveaux Etats et bouleversé les structures de la vie économique, sociale et familiale qui s’étaient mises en place au cours des quatre siècles du règne ottoman.

Dans notre cas, la rupture avec notre ancien statut a pris la forme d’une séparation entre les deux rives du Jourdain, qui, géographiquement et historiquement, forment la Terre sainte. Le découpage de la Terre sainte et la séparation politique de ses prolongements septentrionaux jusqu’au Liban et la Syrie ont franchi une étape supplémentaire avec la création de l’Etat d’Israël en 1948.

Ainsi a été introduit un nouvel élément dans l’ancienne cohésion de notre vie sociale, économique et culturelle. Les tensions croissantes entre les arrivants et la population indigène ont conduit à la guerre, au déplacement massif du peuple palestinien et à l’exacerbation de l’extrémisme politique et idéologique qui a exercé ses ravages dans l’ensemble du Proche-Orient depuis des décennies.

Mon grand-père, le Roi Abdullah, et mon grand- oncle, le Roi Fayçal de Syrie et, plus tard, de l’Irak, avaient espéré que les aspirations des habitants arabes des territoires libérés durant la grande révolte arabe de 1916 et des colons juifs de Palestine pourraient être compatibles, pourvu que certaines conditions puissent être satisfaites.

Il ne devait pas en aller ainsi: les rivalités et les suspicions entre les protagonistes, dans notre région, et la situation catastrophique des Juifs en Europe se sont combinées pour anéantir le rêve de mes prédécesseurs. L’unité des pays arabes en a été affectée et l’Etat juif d’Israël est né dans la violence.

Telle était la situation dont j’ai hérité lorsque j’ai accédé au trône du Royaume hachémite de Jordanie, et à laquelle nous avons à faire face depuis plus de quarante ans. Il m’est apparu clairement que mon devoir était de tout mettre en œuvre pour épargner à mon peuple les souffrances et les cruautés de la guerre, et pour lui léguer un héritage de paix.

Le 26 octobre 1994, lorsque la Jordanie et Israël ont signé leur traité de paix, nous n’avons pas fait la paix seulement avec Israël; nous l’avons faite également avec nous-mêmes, convaincus que c’était la seule façon de sortir du cycle de violence qui a dévasté nos pays et nos peuples.

Notre vision et notre objectif, en faisant la paix avec Israël, n’étaient pas simplement de mettre un terme à l’état de guerre. La formule de «ni guerre, ni paix», qui avait défini les relations de la Jordanie et des autres Etats arabes avec l’Etat d’Israël pendant vingt-cinq ans, s’était révélée inefficace.

Nous avons décidé de faire une paix chaleureuse avec Israël – une paix qui permette à nos deux peuples de surmonter les craintes qui les ont trop longtemps séparés, de faire du commerce, de nouer des liens d’amitié s’ils le souhaitent, de profiter de ce que chacun a à offrir, et de travailler ensemble pour créer une vie meilleure, pour eux-mêmes et pour tous ceux qui vivent dans la même région et partagent les mêmes espoirs.

Le traité de paix jordano-israélien a marqué la fin d’une période dans notre histoire et l’aube d’une autre. Il est la première étape vers la restauration de l’harmonie en Terre sainte, que Dieu a voulue, mais que l’homme a détruite. Le bénéfice pour les deux parties est d’une égale importance: la Jordanie, qui était virtuellement enclavée, a de nouveau accès à la Méditerranée; Israël, aujourd’hui, peut également regarder au-delà de ses confins antérieurs pour vivre dans une région de paix.

Mais, en faisant la paix avec Israël et en décidant de vivre avec Israël dans des termes de confiance mutuelle, de sécurité et de coopération, nous n’avons pas oublié, ni négligé, l’autre composante vitale de la Terre sainte: celle du peuple palestinien et de ses droits légitimes sur son propre territoire.

Nous pensons que le peuple palestinien a le droit, dans cette nouvelle ère de paix, de jouir de la même sécurité et de la même prospérité sur son propre territoire. Nous continuerons à le soutenir, comme nous l’avons fait durant toutes ces années, dans tous ses objectifs et toutes ses activités légitimes.

La réalisation des droits des Palestiniens à l’autodétermination, au retour ou à l’indemnisation, et à une vie décente, sont des buts légitimes. Nous partageons avec eux beaucoup d’autres préoccupations, telles que l’accès à l’eau, l’environnement, le règlement du problème des réfugiés et des populations déplacées; et nous partageons avec les Palestiniens, et pas seulement avec eux, notre préoccupation pour l’avenir de Jérusalem.

Pour les membres des trois religions d’Abraham sur tous les continents, la vieille ville de Jérusalem est un but de pèlerinage et un pôle de prière. Les mosquées, les églises et les temples témoignent tous de la place centrale de la ville sainte dans l’esprit et le cœur des croyants de par le monde.

Nous avons toujours eu l’espoir que Jérusalem ne serait pas une cause de conflit, mais une plate-forme de réconciliation. Son histoire ne devrait plus jamais être une «libération» pour certains et une «perte» pour d’autres. La place qu’elle doit avoir dans l’Histoire est celle du lieu où les trois religions – le judaïsme, le christianisme et l’islam – convergent et sur lequel Dieu seul a la souveraineté.

Je ne pense pas que le problème de Jérusalem présente une difficulté insurmontable. La grande cité de Jérusalem peut être la capitale à la fois de l’Etat d’Israël et de la Palestine. Jérusalem devrait être un brillant symbole et l’essence de la paix pour toujours entre les Palestiniens et les Israéliens, ainsi qu’entre tous les fidèles des trois grandes religions monothéistes.

Le traité de paix jordano-israélien représente, nous l’espérons, une étape historique dans la construction d’une nouvelle ère de paix au Proche-Orient. Notre paix avec Israël est générale dans la mesure où elle supprime tous les sujets de contentieux entre nous. Toutefois, pour qu’elle soit générale, à l’échelle de l’ensemble de la région, il reste encore du chemin à parcourir.

La paix n’est pas simplement la signature de traités. Les signataires doivent s’engager authentiquement à réaliser tout ce que la paix implique: la libre circulation des personnes, des biens et des idées au-delà des frontières, la volonté partagée de résoudre les problèmes communs et de respecter les intérêts de l’autre.

Il faut parvenir à un consensus sur des valeurs communes comme le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’égalité, entre tous les citoyens, et surtout le droit des enfants à être nourris, vêtus et éduqués, et à ne pas connaître la peur.

Quelle est la véritable finalité de la paix? C’est, à notre sens, de garantir la sécurité et la prospérité des peuples. Sans sécurité, la prospérité ne saurait être assurée; et sans prospérité, il ne peut y avoir de sécurité. Il y a eu, dans l’histoire moderne du Moyen- Orient, de nombreuses tentatives pour instaurer des systèmes et des arrangements garantissant la sécurité, soit entre des puissances extérieures et des Etats régionaux, soit entre différents Etats de la région. Aucun de ces arrangements n’a réussi à empêcher les guerres et les conflits qui ont éclaté dans cette partie du monde.

Durant le terrible scénario qui s’est joué entre l’invasion du Koweït et la fin de la guerre dans le Golfe, je me suis efforcé de convaincre la communauté internationale de nous aider à contenir et à résoudre le problème dans un contexte arabe. J’ai échoué, et les événements qui se sont produits avant, pendant et après la guerre ont confirmé mes pires craintes.

Si la sécurité des approvisionnements en pétrole a pu être assurée, ne serait-ce que temporairement, la sécurité de la région s’est quant à elle trouvée gravement menacée. Loin de contribuer à la stabilité, à la sécurité ou à la paix au Moyen-Orient, l’œuvre de déstabilisation que poursuit l’Irak les met gravement en question.

Nous ne pouvons rester indifférents devant la détresse du peuple irakien, qui devient plus tragique à chaque fois que le Conseil de sécurité prolonge l’imposition des sanctions. Alors que ce peuple sombre dans la misère, je ne puis, et aucun Jordanien, aucune autre famille arabe ne peut dormir tranquille en ayant sous les yeux le spectre des enfants irakiens malades et affamés.

Permettez-moi de déclarer ici, de manière catégorique et contre toutes les rumeurs, les craintes et les spéculations, qu’en tant qu’Hachémite je ne poursuis personnellement aucune ambition en Irak. En revanche, je ne puis plus rester sourd et aveugle aux craintes et aux besoins du peuple irakien. Depuis des années, ce peuple est prisonnier d’un embargo international et il souffre depuis bien trop longtemps de l’absence de démocratie, du pluralisme et des droits de l’homme.

Le peuple d’Irak tout entier, ainsi que tous les Etats arabes et la communauté internationale doivent s’unir pour mettre un terme à toutes les causes, aussi bien internes qu’externes, de ces souffrances et de ce refus de reconnaissance.

Je suis fermement convaincu que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Irak doivent être préservées. Je serai favorable et j’apporterai mon aide à l’ouverture immédiate d’un dialogue libre entre des représentants crédibles des trois principaux éléments qui forment le peuple irakien, c’est-à-dire les Arabes sunnites, les Arabes chiites et les Kurdes, pour parvenir à une réconciliation nationale. Cela permettrait de faire taire les craintes et les suspicions qui ont empoisonné leurs relations et menacé leur avenir.

Je leur apporterai tout mon soutien, et je les implore d’engager un dialogue sérieux afin d’élaborer une nouvelle Constitution qui définisse leurs aspirations et leurs droits respectifs au sein d’un seul pays, l’Irak, et qui repose sur la démocratie, le pluralisme et le respect des droits de l’homme.

Depuis 1948, la Jordanie a dû faire face à de terribles chocs, notamment trois vagues soudaines et massives de réfugiés, et de fréquents bouleversements de notre économie. Ces chocs ont lourdement pesé sur nos ressources financières, sociales et institutionnelles limitées.

En ce dernier trimestre de 1995, les gouvernements et les institutions d’Europe auront l’occasion de prendre part à la construction d’un nouveau Moyen-Orient. Le Sommet du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, qui doit se tenir le 29 octobre de cette année à Amman, tentera de traduire en termes économiques concrets quelques-unes des idées et des aspirations qui ont été exprimées lors du sommet économique organisé l’an dernier à Casablanca.

Une autre «fenêtre» sera ouverte à l’occasion de la Conférence de Barcelone, qui devrait avoir lieu en novembre de cette année, et dont le thème central sera celui d’un partenariat euro-méditerranéen. Nous espérons que cette conférence, à laquelle participera la Jordanie, accordera une attention particulière aux pays de la Méditerranée orientale. C’est une région qui constitue un pont naturel entre l’Europe et le Moyen-Orient. La conférence peut ouvrir à l’Europe une porte sur une région qui est dotée de vastes ressources naturelles et représente d’importants marchés; elle peut également ouvrir à notre région une fenêtre sur le paysage économique et financier de l’Europe.

Si Amman a été choisie pour accueillir le 2e Sommet du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, cela s’explique selon moi par le fait que les institutions financières internationales et les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à penser que la Jordanie offre aujourd’hui une situation géographique et un climat propices à des financements publics et des investissements privés pour des projets concernant aussi bien ce pays que la région qui l’entoure.

Le traité de paix que la Jordanie a signé avec Israël ouvre la voie à l’instauration d’un nouveau bloc économique, d’une grande puissance potentielle, comprenant la Palestine et l’Egypte. Des projets faisant appel à une coopération entre ces quatre entités seront présentés au Sommet d’Amman. Nous espérons qu’à terme ces projets feront valoir à d’autres pays du Moyen-Orient les avantages de la coopération et d’un développement intégré, ainsi que les dividendes concrets de la paix.

Ce bloc offrirait des marchés, des ressources humaines et des ressources technologiques qui attireraient non seulement des investissements européens, américains et asiatiques, mais également certains capitaux arabes, privés et publics, qui sont actuellement à l’abri hors de la région.

La Jordanie continuera de s’efforcer à créer un modèle de stabilité sociale, politique et économique qui – du moins l’espérons-nous – donnera l’exemple.

La Charte nationale jordanienne, ratifiée en 1991, témoigne d’un consensus dans le pays en faveur de la démocratie, du pluralisme, des libertés fondamentales, de l’égalité entre les sexes, des droits de l’homme et de l’économie de marché. Depuis son adoption, les gouvernements successifs se sont efforcés d’en traduire les principes dans la vie quotidienne du peuple jordanien.

Nous estimons que nous avons la capacité, la volonté et l’expérience nécessaires pour prendre, en comptant sur nos propres ressources, un essor qui fera d’un pays en développement un pays développé, et qui donnera un exemple de dynamisme dans la région. Le soutien et les investissements que nous recherchons sont les étincelles qui lanceront la machine du formidable potentiel humain dont dispose notre région.

L’Europe et notre région se prolongent mutuellement. Nous vous invitons à vous joindre à nous pour étendre et approfondir les relations que nous entretenons depuis toujours, afin que nous bâtissions ensemble le monde meilleur auquel nous aspirons.

Avant de vous quitter, mes chers amis, j’ai le plaisir de vous annoncer que je me rends à présent aux Etats-Unis, à l’invitation du Président Clinton, pour participer à la ratification d’un nouvel accord conclu entre le seul représentant légitime du peuple palestinien et le Premier ministre d’Israël.

Il s’agit là, véritablement, d’un nouveau pas important effectué en direction d’une paix globale au Moyen-Orient. C’est le fruit de négociations et d’un engagement en faveur de la paix, et nous saluons les efforts de tous ceux qui ont contribué à sa réussite.

Merci, et que Dieu bénisse vos nobles efforts. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (traduction)

Sire, je vous remercie. La parole est à M. Güner pour poser la première question.

M. GÜNER (Turquie) (traduction)

Sire, dans votre remarquable allocution vous avez évoqué la situation en Irak. J’aimerais savoir comment, à votre avis, on pourrait y instaurer une forme d’Etat ou de gouvernement qui tienne compte des trois composantes du pays et de quelle manière la Jordanie pourrait contribuer à la restauration de la démocratie, du pluralisme et du respect des droits de l’homme en Irak.

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Je vous remercie de me donner l’occasion de développer quelque peu certaines des observations que je viens de faire. Nous sommes profondément préoccupés par le fait qu’un pays qui a souffert depuis si longtemps risque – Dieu l’en garde – de continuer à souffrir jusqu’à l’explosion finale, un bain de sang dû à la peur ou au désespoir qui règnent au sein des trois composantes de la société irakienne et qui se terminera par la désintégration du pays. Nous connaissons l’immensité de la souffrance du peuple irakien – je pense que la Turquie en est, elle aussi, parfaitement consciente. Les Irakiens, les Etats et les dirigeants arabes ainsi que la communauté internationale doivent joindre leurs efforts pour mettre un terme à ces souffrances.

L’Irak est un pays potentiellement riche. Son histoire le prouve. C’est le pays des deux fleuves. Il possède des ressources en énergie dont le monde a besoin. Et son peuple est dynamique.

Le point noir, c’est l’absence de démocratie; l’absence de gens partageant et construisant un avenir commun; l’absence de pluralisme; l’absence de droits, notamment de droits de l’homme. La situation en Irak s’est dégradée de manière inimaginable, et c’est précisément parce que j’ai pris conscience de cela que j’ai fait mes propositions. Je crois que seuls les Irakiens sont en mesure de définir leurs espoirs et leurs aspirations en fonction des trois composantes du pays. Mais ils ne pourront y parvenir que par le dialogue – un dialogue mené librement par des représentants crédibles de ces trois composantes – qui leur permettra de parvenir à la réconciliation nationale et de mettre fin aux souffrances de tout un peuple.

Comme vous le savez, Jordaniens et Palestiniens évoquent l’idée de créer une confédération. Mais cela ne pourra se faire que sous certaines conditions: il faut que les Palestiniens acquièrent à la fois un territoire et une réelle liberté d’expression; il faut également que les Jordaniens y soient favorables. Mais si une confédération vaut pour la Jordanie et la Palestine, très proches cousins du monde arabe, elle pourrait peut-être constituer la réponse aux problèmes des trois composantes du peuple irakien. L’on pourrait dès lors espérer que les forces armées irakiennes, respectant la nouvelle Constitution de l’Irak, deviennent les défenseurs du pays et de son avenir, et les garants des aspirations du peuple irakien.

Voilà tout le problème, et je suis convaincu que si nous joignons nos efforts pour y trouver une solution et pour aider ce peuple irakien qui me tient tant à cœur – tout comme au vôtre, j’en suis sûr – ce cauchemar ne tardera pas à prendre fin.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Monsieur Güner, désirez-vous poser une question supplémentaire?

M. GÜNER (traduction)

Non, cette réponse me satisfait pleinement. Sire, permettez-moi de vous exprimer toute ma reconnaissance et de vous dire combien je suis heureux de votre présence dans cet hémicycle.

M. de LIPKOWSKI (France)

Sire, votre allocution est bien celle du courageux homme d’Etat et de l’homme de paix que nous respectons tous profondément ici.

Je veux, moi aussi, parler de l’Irak afin que vous précisiez encore votre pensée. Vous avez accordé asile au général Kamel. Vous vous êtes entretenu avec lui. Sont-ce les indications qu’il vous a données qui vous rendent pessimiste sur l’avenir de l’Irak? Vous semblez davantage craindre une déstabilisation qu’une réconciliation nationale.

Les dernières indications fournies par Bagdad sur les programmes d’armement sont-elles complètes, à votre avis, et peuvent-elles conduire à une levée de l’embargo?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Je vous remercie de cette question et de vos aimables propos. Je reconnais avoir été profondément affecté par les récents événements qui ont entraîné la fuite vers la Jordanie du lieutenant-général Hussein Kamel en compagnie de sa famille et de quelques membres de son parti. Mais c’est ainsi que j’ai pu obtenir de la bouche d’un membre haut placé du gouvernement et, qui plus est, proche parent du président, des informations très fiables sur la situation en Irak. Durant les huit longues années de guerre avec l’Iran, il avait été responsable de l’équipement de l’armée irakienne, avait contribué à de nombreuses victoires et amené d’éminents savants irakiens à servir le pays. Il avait également été chargé de la sécurité, de la constitution de la garde républicaine et de la garde spéciale. Après la guerre, il a joué un rôle dans la reconstruction de l’infrastructure du pays, et, plus important encore, il était très proche de l’appareil de décision irakien. C’est la vue des souffrances infligées au peuple irakien, ce peuple qu’il n’a cessé de soutenir, qui l’a conduit à chercher asile en Jordanie. Son témoignage m’a choqué au-delà des mots. Entendre parler de ce qui se passe en Irak est une chose; mais c’en est une autrement douloureuse que d’en apprendre les détails de la bouche d’une personne aussi proche du pouvoir, contrainte de fuir en raison de son impuissance à changer le cours des événements.

Le peuple irakien a enduré et endure encore des souffrances sans nom; il souffre de l’embargo comme il souffre du non-respect des droits de l’homme les plus fondamentaux.

Quant à l’armement nucléaire, je crois qu’à présent le monde a pu se faire une image précise de l’équipement et des projets de l’Irak; peut-être cette question pourra-t-elle bientôt être rayée de la liste des exigences formulées à l’encontre du pays.

Il est tragique de constater que, tout au long de cette crise qui dure depuis 1990 et jusqu’au dialogue d’aujourd’hui – dialogue avec les Irakiens, dialogue interne avec le monde arabe, dialogue avec la communauté internationale – personne n’ait eu l’idée de se demander comment mettre un terme à cette situation et comment sauver le peuple irakien. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu prendre très clairement position et proposer quelques solutions. Tant que l’on restera indifférent à la population, tant qu’on ne lui donnera ni repères ni le sentiment de participer à la construction de son avenir, les problèmes persisteront – et cela vaut aussi bien pour notre région que pour les autres régions du globe. Il faut trouver le moyen de changer les choses et d’aller de l’avant, et il faut le trouver rapidement. L’Irak est étranglé à la fois de l’extérieur et de l’intérieur; il faut mettre un terme à cet étranglement. Je vous remercie.

M. ALEXANDER (Royaume-Uni) (traduction)

Sire, je vous remercie de votre exposé fort intéressant ainsi que de nous faire l’amabilité, en tant que chef d’Etat, d’accepter de répondre aux questions de notre Assemblée.

J’ai eu le privilège de me rendre récemment en Jordanie. Le 23 août dernier, vous avez, lors d’une intervention télévisée, fait part de votre intention d’adopter une attitude plus ferme vis-à-vis du régime irakien. Je conçois que votre pays, voisin de l’Irak, éprouve quelque difficulté à accepter les sanctions décrétées par les Nations Unies et soit favorable à leur levée. Mais cela ne risque-t-il pas tout bonnement de prolonger la loi de Saddam Hussein et son régime de terreur et de répression envers son propre peuple?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Monsieur Alexander, je vous remercie de votre question. Je suis également heureux que vous appréciiez le fait qu’un chef d’Etat se prête au dialogue. Au fil des ans, je suis devenu un homme aux nombreuses facettes. C’est pour moi un privilège de me trouver parmi vous et d’avoir l’occasion de répondre à votre question.

Je ne sais pas quels mots pourraient rendre avec encore plus de clarté l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir du peuple irakien éprouvé par tant de souffrances – je dis bien le peuple, non le régime, et non les individus.

Comme je l’ai déjà expliqué tout à l’heure, j’ai tenté, après l’erreur fatale qu’a commise l’Irak en envahissant le Koweït, de renverser la situation et de trouver une solution au problème sans sortir du contexte arabe. Je n’ai jamais été en faveur de l’occupation ou de l’annexion du Koweït. Je n’ai cessé de m’élever contre l’acquisition de territoires par la force. Parce que nous y croyons, nous avons toujours respecté les principes énoncés à cet égard dans la Charte des Nations Unies que nous ne manquons pas de mettre en œuvre chaque fois que des problèmes apparaissent – cela inclut le soutien que nous avons apporté à nos amis britanniques à l’époque de la crise des Malouines.

Vous aurez noté, je l’espère, que je m’insurge à la fois contre les pressions extérieures et contre les injustices intérieures et que je souligne la nécessité de soulager l’Irak de ces deux maux; il faut que l’Irak parvienne à s’en dégager pour que le peuple irakien puisse à nouveau faire partie de notre monde.

L’Irak est un membre fondateur des Nations Unies. L’Irak pourrait représenter un formidable atout pour la paix, la stabilité et un avenir meilleur pour la région. Le peuple irakien a besoin d’aide; et cette aide, nous, ses partenaires du monde arabe, pourrons la lui apporter si nous parvenons à balayer les suspicions réciproques. J’ai déjà déclaré devant cette Assemblée, et je continuerai de le faire, que je n’ai aucune ambition personnelle en Irak. Nos deux pays avaient été réunis sous le règne du Roi Fayçal, assassiné en 1958 avec sa famille. Ce qui est arrivé par la suite appartient au passé. Bien des martyrs de l’histoire arabe sont issus de notre famille, mais telle est notre destinée.

J’espère que vous aurez compris que je n’ai aucune ambition en Irak, et aucun autre objectif que celui de voir se relever le pays. Mesdames, 'Messieurs, c’est triste à dire et je m’en excuse, mais on m’a informé récemment que certains Irakiens sont arrivés à un tel niveau de misère qu’ils sont contraints de vendre leurs propres organes pour nourrir leurs enfants. Cela est intolérable, tout comme sont intolérables l’injustice, la privation, la cruauté et le non-respect des droits de l’homme qui sont le lot quotidien du peuple irakien.

Si nous menons une réflexion commune, si nous parvenons à un consensus sur les mesures à prendre, si nous cessons de nous poser la question de savoir qui sera le gagnant et qui sera le perdant, si l’Irak se rétablit, nous y gagnerons tous. Le monde a besoin d’un Moyen-Orient stable, et l’Irak doit changer de visage pour devenir l’un des éléments de cette stabilité.

M. PAVLIDIS (Grèce) (traduction)

Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue. Je vous prie également d’accepter mes remerciements pour les efforts que, depuis de longues années, vous déployez en faveur de la paix dans votre région.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a constitué une commission ad hoc présidée par M. Martinez qui, avec le soutien du Parlement grec, a organisé à Rhodes – dont je suis originaire – une rencontre entre des représentants des Parlements israélien et palestinien dont le but était d’examiner comment notre Organisation pouvait contribuer au processus de paix au Moyen-Orient.

Tous les participants sont arrivés à la conclusion que le Conseil de l’Europe, grâce à son potentiel et à sa longue expérience des droits de l’homme, avait un rôle à jouer dans la consolidation des valeurs démocratiques dans la région, dans le cadre, bien entendu, du traité de paix.

Pensez-vous que notre Organisation puisse jouer un rôle décisif dans l’établissement d’une paix et d’une coopération durables entre les Israéliens et les Palestiniens? Comment votre pays envisage-t-il de coopérer avec le Conseil de l’Êurope à cette fin?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Merci beaucoup. Je suis sûr que bien des progrès seront accomplis à la suite de cet important traité. On entrevoit déjà la possibilité d’organiser très prochainement des élections sur la rive occidentale du Jourdain, à Gaza et dans tous les territoires contrôlés par les représentants légitimes du peuple palestinien.

Nous travaillons à plusieurs niveaux. Tout d’abord, nous collaborons avec nos frères palestiniens pour tâcher de progresser et de résoudre certains problèmes d’intérêt commun. Nous menons également une réflexion très ouverte avec Israël, ainsi qu’avec l’Egypte. Et nous savons qu’il y a des risques à essayer de contribuer à la réalisation d’une certaine vision d’avenir, celle de la paix et de la prospérité dans toute la région.

Mais j’espère que cette coopération se poursuivra et qu’elle se développera. Mon pays sera toujours prêt à participer à toute œuvre constructive, dans l’intérêt de la population de la région et dans celui du monde entier.

M. MIMAROGLU (Turquie) (traduction)

Je tiens à vous remercier d’avoir prononcé un discours empreint de sagesse, de modération et de paix. Vos propos reflètent l’attitude que vous avez adoptée depuis plus de trente ans. Mais pensons, si vous le permettez, en termes internationaux. Le Roi Hussein s’est rendu dans toutes les zones de conflit de la région et son attitude pacifique a fait de lui un «fauteur de troubles». Vous avez certes évoqué ce point dans votre discours, mais je souhaiterais que vous le développiez. Ma question, Sire, est la suivante: comment concevez-vous, à l’avenir, la coexistence entre les Etats de la région?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Tous nos amis ici présents me rappellent la visite que j’ai effectuée au Parlement européen et les impressions que j’en ai gardées. Nous avons accompli ce que nous cherchions à accomplir. A cette époque, je priais le Ciel qu’il me prête vie assez longtemps pour que je puisse m’adresser à un autre parlement, un parlement composé de représentants des démocraties arabes et de tous les Etats arabes – dans le cas contraire, j’espérais que quelqu’un d’autre puisse le faire à ma place avant longtemps. Aujourd’hui cet espoir est devant la porte; il peut être concrétisé à force de détermination et d’idéal. Et je suis sûr qu’il le sera. Les relations entre les pays du monde arabe devraient se fonder sur le respect mutuel, sur la non-ingérence et sur la coopération. Il faut œuvrer au renforcement de ce processus.

Nous savons bien qu’on ne peut ni arrêter le temps, ni revenir en arrière. Mais chacun a des droits et, en tant que dirigeants, nous avons le devoir de préparer la voie à l’exercice de ces droits. C’est pourquoi il faut instaurer la démocratie, le pluralisme et le respect des droits de l’homme. Il faut créer des institutions pour permettre à la population de participer sincèrement et honnêtement à la construction de son avenir. Une telle attitude sera la meilleure des garanties pour une stabilité et un progrès durables et pour une meilleure compréhension, non seulement entre les peuples arabes, mais entre les peuples du monde entier.

Cher ami, je vous remercie de m’avoir posé cette question et j’espère que ma réponse vous aura satisfait.

M. BAUMEL (France)

Sire, au moment où l’on s’apprête à signer, dans quelques heures, un accord historique entre Palestiniens et Israéliens, permettez- nous de vous demander comment vous envisagez les relations entre les futures entités palestiniennes et votre royaume.

Dans quelle mesure l’idée que vous défendez depuis longtemps – vous l’avez un peu reprise tout à l’heure – d’une fédération ou d’une confédération palestinienne et jordanienne pourrait-elle être concrétisée dans un temps donné? Sur quelle base institutionnelle: confédération, fédération, union plus souple? Et sur quelle base économique, énergétique et sociale?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Pour moi, la réponse est claire. Il n’est pas facile de plaider en faveur de telle ou telle forme de coopération. L’absence de démocratie fait que les Palestiniens n’ont pas encore eu la liberté d’élire leurs représentants et d’exprimer ce qu’ils désirent. A l’heure actuelle, toute présentation de notre part d’un schéma de coopération future serait contreproductive. Plus que tout autre peuple arabe, les Palestiniens sont nos frères; nous sommes géographiquement proches, nous avons la même histoire et avons enduré les mêmes souffrances par le passé. Ils se sont battus pour rentrer dans leurs droits et dans leurs territoires et veulent avoir leur mot à dire au sujet de leur avenir. A présent, ils voient le bout du tunnel et les relations entre nos deux pays et nos deux peuples revêtent un caractère unique. Dans le contexte du processus de paix, nous parlons d’une région différente de celle qui est actuellement en proie aux angoisses de la guerre. A l’échelon palestino- jordanien, nous parviendrons, à plus ou moins longue échéance, à résoudre au mieux tous les problèmes dès que les gens auront recouvré leur liberté et pourront se mettre à réfléchir sur la forme que devrait prendre notre coopération.

Ce que je recherche – je l’ai déjà dit tout à l’heure – n’appartient pas aux individus; l’avenir ne doit pas dépendre de la survie de tel ou tel individu. Ma vie durant, je me suis efforcé de faire participer le peuple jordanien à la construction de son pays et aux prises de décision. J’espère y être parvenu. En fait je crois y être parvenu dans une large mesure. Je pense que la Jordanie n’aurait pas pu survivre si elle n’avait pas connu la démocratie et si le peuple jordanien n’avait pas pu participer librement à la préparation de son avenir. Nous avons choisi une voie difficile. Nous avons adopté une ligne politique qui n’a pas toujours été bien comprise; mais nous avons réussi à nous rapprocher. Nous sommes fiers de notre liberté, fiers d’avoir la possibilité de nous exprimer, fiers de travailler ensemble à la construction du pays.

J’espère qu’une politique identique pourra être adoptée à l’échelon palestinien et qu’elle sera source de progrès. Je suis convaincu que l’ensemble du monde arabe progressera dans le même sens, qu’il saura se montrer digne de ses habitants et deviendra pour tous une source de fierté.

Quant aux Palestiniens de Jordanie, ils sont tous citoyens jordaniens et ne font l’objet d’aucun traitement particulier. Il convient cependant de régler les problèmes qui se sont fait jour dans une région où certains d’entre eux se sont installés après 1967. Des négociations sont actuellement en cours à ce propos entre Jordaniens, Palestiniens, Israéliens et Egyptiens. Pour le reste, ces personnes ont les mêmes droits que les autres Jordaniens et continueront d’en jouir pleinement jusqu’au jour où elles auront la possibilité de choisir librement. Là encore, ce sera leur droit le plus strict.

Les Jordaniens forment une grande famille, et cela ne changera jamais. Nous continuerons à lutter pour que nos frères palestiniens retrouvent leurs droits et nous les aiderons à régler leurs différends avec Israël. Nous ferons jouer la crédibilité que nous avons acquise auprès d’Israël grâce à un dialogue direct et à notre action en faveur d’un avenir de paix au Moyen-Orient.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Sire, dans votre discours de cet après-midi, absolument remarquable et si empreint de clairvoyance, vous avez laissé entendre qu’aucune religion ni aucun pays ne devrait être le gardien de ces lieux qui, dans la vieille ville de Jérusalem, sont sacrés pour les trois religions.

J’aimerais savoir – et je suis certain que je n’aurai pas besoin de poser une question supplémentaire – si vous soutiendrez les propositions d’internationalisation de la vieille ville, celles du «Plan Vatican» par exemple, et si vous jugez qu’elles pourraient entrer dans le cadre du processus de paix.

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

J’essaierai d’exposer mon point de vue le plus clairement possible. Je crois qu’il est digne d’attention et que de plus en plus de gens dans le monde y sont réceptifs. Je pense que la ville sainte – la vieille ville de Jérusalem – ne devrait tomber sous la souveraineté de personne, mais qu’elle devrait appartenir, sur un pied d’égalité, aux trois grandes religions. Les croyants devraient y avoir des droits égaux sur ce qui leur est précieux. Jérusalem devrait apparaître comme l’essence et le symbole de la paix. Je crois fermement que les descendants des prophètes pourront un jour faire la paix, respecter les droits des autres et cesser de se disputer la souveraineté sur une ville sur laquelle Dieu seul doit régner. Une fois qu’on aura cessé de se déchirer, une fois qu’on aura tiré les leçons de l’Histoire, une fois qu’on sera déterminé à ne pas retomber dans les erreurs du passé, on pourra trouver une formule satisfaisante. Voilà pour la ville sainte.

Quant au reste, la partie occidentale de la ville est aujourd’hui la capitale de facto d’Israël alors que la partie orientale est occupée. Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible de faire une capitale de chaque partie de la ville, l’une pour Israël et l’autre pour la Palestine. Cela pourrait constituer un facteur de plus sur le chemin de la paix véritable dans les régions avoisinantes et entre les croyants des trois religions.

M. MARUFLU (Turquie) (traduction)

Sire, au nom de la délégation turque, je vous remercie d’honorer l’Assemblée de votre présence qui nous permet de garder le contact avec la Jordanie, située dans la même aire géographique que la Turquie. J’aimerais également saisir cette occasion pour dire combien je suis satisfait des excellentes relations qui unissent nos deux pays. J’aimerais aussi exprimer l’admiration qu’éprouve le peuple turc pour vous-même et pour votre famille.

Je me proposais de poser quelques questions relatives à l’Irak, mais vous avez déjà répondu à la plupart d’entre elles. Aussi me contenterai-je de vous demander comment, à la lumière des récents développements, vous envisagez l’avenir du régime de Saddam Hussein.

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Je pense avoir répondu à cette question. Je partage votre souci pour l’avenir du peuple irakien et pour le rôle que l’Irak joue dans la région. Je veux voir la paix, la prospérité et le progrès s’installer dans ce pays.

Nous sommes fiers des relations qui existent entre la Jordanie et la Turquie et entre le monde arabe et la Turquie; j’espère qu’elle se poursuivront à l’avenir et que nous continuerons à adopter une approche commune pour résoudre les problèmes présents et futurs.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

Ma question revêt un caractère plus général. Sire, puis-je vous demander ce que vous pensez du panarabisme et du panislamisme tels qu’ils ont évolué au fil des ans? Dans ce contexte, comment voyez-vous le rôle de la Ligue des Etats arabes et celui de l’Organisation de la Conférence islamique?

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

J’ai déjà parlé du panarabisme. Je crois que notre approche devrait être celle qu’ont adoptée les pays européens. Les relations devraient se fonder sur la complémentarité, le respect de l’autre et sur la rencontre des démocraties. La population devrait être libre de faire ses propres choix et la région devrait connaître une ère de stabilité.

Pour ce qui est des liens qui unissent le monde arabe et l’Islam, ils sont très étroits, puisque ce dernier est né au cœur du monde arabe. J’éprouve un grand respect pour les organisations que vous avez mentionnées, mais je pense qu’à l’avenir elles devront faire plus. Nous espérons tous que les Nations Unies saisiront l’occasion de leur 50e anniversaire pour accroître leur efficacité en s’attachant davantage aux réalités du monde contemporain qu’à celles qui prévalaient il y a un demi-siècle. Cela vaut également pour la Ligue arabe qui a été créée à la même époque; mais je suis optimiste.

Le désespoir, la colère et la violence peuvent naître des actions menées par des assoiffés de pouvoir, ainsi que de la pauvreté et du refus d’accorder aux gens le droit de mener une vie de liberté et de dignité. Je crois que l’Islam a beaucoup à offrir et que certains des actes qui se sont produits en son nom sont en totale contradiction avec l’Islam véritable qui ne saurait tolérer la violence et encore moins la pardonner.

En tant que musulman, en tant qu’Hachémite et en tant qu’Arabe, je me sens blessé au plus profond de moi-même par les commentaires faits de clichés et de stéréotypes qu’il m’est donné d’entendre après de tels actes. Pire encore, en tant que croyant, j’enrage devant les actes eux-mêmes, qui sont en contradiction flagrante avec l’Islam. J’espère qu’on pourra bientôt surmonter ces difficultés et que le monde entier comprendra enfin le vrai sens de l’Islam.

M. SOLE TURA (Espagne) (traduction)

Sire, dans votre allocution vous évoquiez la conférence qui doit se tenir à Barcelone au mois de novembre. Je crois que ce serait une erreur que de considérer dans un contexte exclusivement méditerranéen cette rencontre qu’il conviendrait de replacer dans un cadre plus large. Cela étant posé, j’aimerais savoir ce que vous en attendez et quel sera, selon vous, le rôle que pourront y jouer les pays non méditerranéens.

Sa Majesté, Roi de Jordanie (traduction)

Je vous remercie de m’avoir posé cette question. J’attends avec impatience la tenue de cette conférence qui nous permettra de développer nos relations avec l’Europe. La Méditerranée rapproche les Arabes et les Européens: nous avons beaucoup d’intérêts communs, et vivons au rythme des mêmes préoccupations et des mêmes espoirs. Je soutiens pleinement les efforts visant à explorer les moyens d’étendre la coopération au plus grand nombre possible de pays.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Sire, je vous remercie. Ainsi s’achève l’un des moments les plus émouvants de notre session. Au cours de mes quatre années de présidence, j’ai vécu beaucoup d’instants privilégiés, et celui-ci en fait assurément partie, qui m’a permis de vous entendre tout en observant mes collègues. Chacun d’entre eux jouit d’une grande expérience au sein de son parlement national et chacun d’entre eux vous a suivi avec une attention sans précédent, tout comme l’ont fait les ambassadeurs de quarante pays présents dans l’hémicycle.

C’était un grand moment; un moment émouvant aussi, car il y avait cette fierté qu’on pouvait lire dans les yeux des ambassadeurs, dans ceux de vos amis et de vos ministres, et surtout dans ceux de Sa Majesté la Reine. Plusieurs fois aujourd’hui, vous nous avez appelés vos amis. Tous les membres de l’Assemblée ainsi que moi-même sommes fiers de ce titre que vous nous avez décerné; mes collègues parlementaires n’ont cessé d’exprimer leur solidarité envers le Roi et envers son peuple et méritent bien d’être appelés vos amis.

L’Assemblée souhaite vous remettre sa médaille pro merito. Un certain nombre de nos hôtes distingués l’ont déjà reçue, mais aucun ne l’avait méritée autant que vous. Votre nom ainsi que la date d’aujourd’hui y sont gravés. Cette médaille, que nous remettons parfois au cours d’un déjeuner ou dans mon bureau, je tenais à vous la remettre dans cet hémicycle, en présence de mes collègues.

(Le Président remet à Sa Majesté le Roi Hussein de Jordanie la médaille pro merito de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.)