Olof

Palme

Premier ministre de Suède

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 28 septembre 1983

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je tiens tout d’abord à vous dire combien je suis heureux et honoré d’avoir été invité à prendre la parole devant cette Assemblée. Ma visite à Strasbourg aujourd’hui témoigne de la haute estime et du respect dont le Conseil de l’Europe jouit dans mon pays. La Suède est membre du Conseil depuis sa création en 1949. C’est la preuve de notre profond attachement aux idéaux de la démocratie occidentale et de notre intérêt pour les importants travaux et activités de cette Organisation. Mon Gouvernement a déclaré sa volonté de renforcer ses relations avec l’Europe. Le Conseil joue un rôle capital et irremplaçable dans la réalisation de cette politique.

Le Conseil de l’Europe est en effet une importante tribune pour la discussion de la coopération en Europe au niveau ministériel ainsi qu’à celui des parlementaires. Il joue également un rôle essentiel dans les domaines social, culturel et juridique. Le Conseil doit toutefois sa force intrinsèque et son autorité morale aux principes énoncés dans son Statut qui exigent des Etats membres la sauvegarde des valeurs démocratiques fondamentales de libertés individuelles, de liberté politique et de prééminence du droit. Il y a six ans l’occasion m’a été donnée de faire une déclaration dans cette enceinte même lors d’un colloque sur la Charte sociale européenne. Le rôle du Conseil en tant qu’institution vouée à la sauvegarde de la démocratie en Europe se trouvait alors considérablement renforcé. Nous avions salué le retour de la Grèce au sein de notre Organisation, ainsi que l’arrivée de nouveaux membres, le Portugal et l’Espagne. Trois dictatures européennes avaient été renversées et remplacées par des démocraties. Ces événements avaient été un grand réconfort pour nous qui adhérions fermement aux idéaux du Conseil de l’Europe. Il avait été démontré que l’aspiration des peuples à la liberté ne peut être anéantie, qu’elle continue à se manifester inlassablement. Il avait également été démontré que la démocratie doit toujours être défendue et que cette défense doit s’accompagner d’efforts continuels pour que s’inscrivent dans les faits le droit au travail et à la justice sociale.

Notre attachement à ces idées ainsi que la solidarité avec les persécutés et les opprimés devraient nous amener à demander à tous les Etats de respecter les droits et les libertés démocratiques. Je suis convaincu qu’en faisant la lumière sur les conséquences de l’oppression, l’opinion publique de nos pays joue un rôle constructif. A cet égard, l’Assemblée, avec sa large représentation parlementaire, s’est révélée une importante force morale et spirituelle. Je ne doute pas que l’Assemblée continuera à apporter une active et indispensable contribution dans ce domaine.

Cette ambition du Conseil de l’Europe l’investit évidemment d’une responsabilité particulière: celle de défendre les droits de l’homme et la démocratie dans sa propre région. Nous ne pouvons attendre des autres qu’ils respectent les positions prises par le Conseil que si nous sommes nous-mêmes en mesure de régler efficacement et honnêtement nos propres problèmes intérieurs.

L’un de nos Etats membres, la Turquie, n’est pas actuellement une démocratie. Il est indéniable que la Turquie a vécu des moments exceptionnellement difficiles avant le coup d’Etat militaire de septembre 1980. La Suède estime que le Conseil de l’Europe, qui assure la coopération entre ses membres, devrait travailler activement au total rétablissement de la démocratie en Turquie.

Il y a un an, toutefois, notre inquiétude croissante face à la détérioration de la situation en matière de droits de l’homme en Turquie nous a amenés, avec quatre autres pays, à soumettre l’affaire de la Turquie à la Commission européenne des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, six semaines seulement avant les élections législatives promises, la Turquie demeure un pays où des restrictions considérables sont imposées aux droits de l’homme.

L’impression que donnent la nouvelle Constitution, la loi électorale, l’interdiction de toute activité aux anciens hommes politiques et l’ingérence considérable dans le processus électoral, nous incite davantage encore à nous interroger sur le type de démocratie auquel songe le régime militaire.

Après les élections, nous serons mieux en mesure de nous rendre compte de la voie dans laquelle la Turquie s’est engagée. Nous pensons que le Conseil ne saurait rabaisser ses principes démocratiques pour arranger un Etat membre particulier. Tout doit être mesuré à la même aune.

Comme je l’ai déjà dit, les droits de l’homme transcendent les frontières nationales. Nous devons nous battre pour eux partout où ils sont menacés, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique centrale ou en Europe. Il est bien évident qu’en Europe de l’Est les droits de l’homme ne sont pas respectés. Dans cette partie de notre continent sont installées des dictatures rigides dont la survie est dans bien des cas assurée par une intervention militaire étrangère. Ce mouvement vers la dictature est particulièrement tragique dans des pays comme la Tchécoslovaquie qui ont une longue tradition démocratique.

A cet égard, je voudrais appeler l’attention sur un autre pays qui n’est pas européen mais qui a aussi une longue tradition démocratique. Je pense au Chili. Après le coup d’Etat à Santiago il y a dix ans, l’une des quelques démocraties bien implantées dans le tiers monde a été écrasée par les militaires.

Depuis lors, le peuple chilien a vu se détériorer considérablement sa situation matérielle ainsi que ses droits civils et ses libertés.

Aujourd’hui, cependant, la dictature est ébranlée. Dans cette phase critique, il est indispensable que les forces démocratiques représentatives du Chili reçoivent un soutien résolu dans leurs efforts pour rétablir la démocratie et les droits de l’homme.

Le Conseil de l’Europe jouit d’une autorité morale unique en son genre dans ce domaine et son Assemblée parlementaire rassemble des groupements politiques proches de nombreux partis politiques au Chili, partis qui travaillent ensemble maintenant à restaurer la démocratie dans leur pays, et qui ont besoin de notre soutien et sont dignes de celui-ci.

Si nous comparons l’état actuel de nos sociétés européennes avec ce qu’il était il y a dix ans, nous constatons un sérieux changement d’une importance capitale pour nous tous. Il s’agit du nombre croissant de personnes sans emploi.

A mon avis, le chômage est la cause la plus importante d’injustice sociale et d’inégalité dans l’Etat providence d’aujourd’hui. Il a souvent été dit, dans cette enceinte et ailleurs, que le chômage est un fléau social. Néanmoins, au cours des dernières années, le nombre des chômeurs a augmenté dans des proportions absolument sans précédent dans la période de l’après-guerre. Dans les pays d’Europe occidentale, près de 10 millions de personnes étaient sans travail, il y a cinq ans. En 1980, ce chiffre est passé à près de 12 millions. L’année dernière il a atteint 16 millions et, l’année prochaine, on estime qu’il y aura près de 20 millions de chômeurs. Et on trouve les pires taux de chômage chez les jeunes.

Les chiffres que je vous ai donnés signifient que, l’an prochain, le chômage aura réellement doublé depuis 1978, ce qui était pratiquement impensable à cette époque. Mais, alors même que la situation s’est considérablement détériorée, on ne semble pas avoir enregistré la même réaction dans l’opinion publique. Au contraire, on a parfois la triste impression que plus les chiffres du chômage augmentent, moins on semble en parler.

D’autre part, il semble qu’aucun changement ne soit en vue. Il y a seulement quelques jours, l’OCDE a publié un rapport alarmant sur les perspectives de chômage pour le reste de la présente décennie. Ce rapport indique que même si la reprise économique longtemps attendue est déjà amorcée, il semble peu probable qu’elle influe sur le chômage pendant un certain temps.

Pour ramener le taux de chômage des pays de l’OCDE au niveau de 1979, il faudrait créer chaque jour 20 000 emplois nouveaux, pendant les cinq dernières années de la présente décennie et seulement pour empêcher le chômage de s’aggraver, il faudrait créer jusqu’à 20 millions d’emplois nouveaux pendant la même période.

Le problème du chômage touche tous les pays, même ceux qui, comme la Suède, ont connu un taux de chômage comparativement faible au fil des ans. Nous n’avons aucun signe manifeste de reprise de l’économie suédoise avec une croissance assez rapide de la production industrielle mais il faut cependant diminuer le niveau du chômage.

La lutte contre le chômage est, à mon avis, une tâche essentielle pour tous les gouvernements qui ne rivalise en importance qu’avec la lutte pour la paix et le désarmement. Il y a pour cela plusieurs raisons:

Premièrement, le chômage est un gaspillage terrible. A l’heure actuelle, partout dans le monde, des ressources de production sont grossièrement sous-utilisées. Cela ne vient certainement pas du fait que tous les besoins de l’humanité sont satisfaits. Nous le savons tous, c’est tout à fait le contraire qui est vrai. Dans de nombreuses parties du monde, on ne peut même pas satisfaire les besoins les plus fondamentaux de l’homme. Dans toutes les sociétés, on trouve de nombreux besoins non satisfaits et qui, pour l’être, requièrent de la main-d’œuvre.

Cependant, une abondante capacité de production est cantonnée à l’oisiveté. Les personnes qui ne demandent qu’à travailler sont obligées de passer leur temps dans l’oisiveté.

Cela signifie une moins grande production et, partant, une moins grande consommation que celle que l’on pourrait escompter. C’est pourquoi, l’on peut dire que le chômage est un gaspillage.

Deuxièmement, chômage égale souffrance humaine.

Au-delà des faits brutaux des statistiques du marché du travail se cache le malheur d’innombrables individus. Il n’est que trop facile d’oublier que chacun de ces millions de chômeurs est un être humain.

Ce pourrait être le «travailleur invité» d’Europe méridionale ou d’Afrique du Nord qui vient dans les centres industriels d’Europe et occupe pendant des années les emplois les moins bien rémunérés mais réussit toujours à subvenir à ses propres besoins et à ceux de la famille qu’il a laissée derrière lui. Maintenant, on lui demande de rentrer chez lui.

Ce pourrait être aussi la jeune fille que j’ai rencontrée il y a un an dans un service pour l’emploi des jeunes en Suède. Elle ne meurt pas de faim. Ses parents et la société pourvoient à la plupart de ses besoins fondamentaux, mais pas à celui d’être demandée, d’être nécessaire.

«Je dors tard le matin», me disait-elle. «Aux environs de midi, il m’arrive d’aller au service de l’emploi. Ils ont parfois quelque chose qui pourrait me convenir. Dans ce cas, je vais voir l’entreprise en question. D’habitude, il y a des tas d’autres candidats. En général, je n’ai pas l’instruction qui correspond. De toute façon, personne ne veut engager quelqu’un qui n’a pas d’expérience professionnelle. J’ai fait de nombreuses demandes d’emploi et j’ai été refusée cinquante à soixante fois. Le soir, je reste à la maison, je regarde la télévision et vais en ville voir mes amis. Jusqu’à présent, je vais bien, mais je perds vite espoir et confiance et je commence à m’inquiéter lorsque je vois ce qui arrive à certains de mes amis.»

Ce qui ressort, à mon avis, des propos de cette jeune fille c’est que le travail est certes surtout et avant tout un moyen de gagner sa vie, mais il est aussi beaucoup plus que cela.

Dans les années 50, on a souvent décrit le travail comme une sorte de «mal nécessaire». Nous avons travaillé pour gagner du temps libre. Notre temps libre était la compensation d’un travail ennuyeux et monotone dans une ambiance souvent malsaine et désagréable. On a écrit des ouvrages sur la civilisation de demain reposant sur les loisirs.

Le travail était alors considéré par beaucoup comme quelque chose de séparé de la vie. Avec cette optique, il n’était pas si important de savoir à quoi ressemblait la vie de travail, qui décidait du lieu de travail et à quoi il pouvait servir. Peut-être n’était-ce pas important que quelqu’un n’ait pas d’emploi tant qu’il avait une situation économique décente.

Ce ne sont peut-être pas seulement des propos des années 50 et l’on peut certainement entendre aujourd’hui encore çà et là des échos de ce style. Mais, parmi tant d’autres, une nouvelle attitude face au travail s’est fait jour. Le travail n’est plus seulement quelque chose que l’on fait huit heures par jour, cinq jours par semaine pour une certaine compensation. Il a aussi des répercussions décisives sur notre vie de famille, nos relations avec les autres, et notre rôle général dans la société.

Avoir un travail fait grandement partie de la vie sociale d’un individu. Le travail est une part importante de l’identité d’une personne. Le travail est intimement lié à des valeurs comme la confiance en soi, la dignité humaine et le sens de la vie.

Aussi, n’est-il pas surprenant que l’aggravation du chômage coïncide avec l’augmentation de la mortalité, l’aggravation de l’état de santé, l’augmentation du nombre des suicides, le déchirement des familles, l’augmentation de la criminalité, l’accroissement de l’usage de drogues et de la prostitution. Les conséquences sociales du chômage de masse sont considérables.

La troisième raison de la nécessité de lutter contre le chômage a un rapport direct avec les objectifs et les activités du Conseil de l’Europe. Je suis convaincu qu’en définitive le chômage de masse constituera une menace pour la démocratie. En d’autres termes, la démocratie ne survivra pas à longue échéance dans les pays ayant encore des taux élevés de chômage. Ils minent la texture de la société sur laquelle la démocratie a été construite. Les sociétés démocratiques tolérantes et ouvertes ne peuvent s’y opposer. Elles seront remplacées par des sociétés autocratiques, dont j’ignore si elles seront de droite ou de gauche; ce sera en tout cas la fin des démocraties ouvertes.

Ce qui, à mon avis, est particulièrement dangereux à cet égard est le chômage considérable des jeunes. Nous parlons de crise économique, nous disons que tout le monde doit contribuer à trouver une solution à nos problèmes économiques, mais lorsque les jeunes quittent l’école et désirent occuper un emploi, lorsqu’ils veulent entrer complètement dans le monde des adultes, lorsqu’ils veulent donner leur contribution, on leur répond qu’ils ne sont ni désirés, ni nécessaires. La seule contribution qu’on leur propose à la solution de la crise est de rester au chômage.

Cela fait perdre aux jeunes l’espoir et la confiance en eux-mêmes. Il en résulte aussi de l’amertume et du désespoir, une perte de confiance dans la société, dans nos institutions démocratiques. Si nous dénions aux jeunes le droit d’être des membres à part entière de notre société, ils peuvent choisir de se placer en dehors de la société.

On fait valoir à présent que l’expérience des quelques dernières années montre qu’après tout le chômage n’est peut-être pas si dangereux que cela. Nous n’avons eu aucune réaction violente, malgré les taux records de personnes sans emploi. Ceux qui n’ont pas de travail ont de toute manière un certain revenu, et ils ne souffrent pas trop. Certains disent même qu’un peu plus de chômage serait peut-être une bonne chose – cela rend les syndicats plus accommodants et cela réduit l’inflation.

Ce sont là à mon avis des arguments très peu clairvoyants. Il se peut que les réactions contre le chômage n’aient pas été très violentes jusqu’à présent. Toutefois, lorsqu’une génération après l’autre de jeunes constate qu’il n’y a pas de place pour un grand nombre d’entre eux sur le marché du travail, toute la structure d’une société démocratique peut être sapée. Or, c’est là quelque chose qui ne se répare pas facilement, même si le taux de chômage régresse à nouveau.

Bref, je crois que la lutte contre le chômage a une importance considérable pour éviter le gaspillage dans un sens purement économique, pour atténuer les conséquences sociales et les souffrances humaines qui résultent du chômage, et pour rétablir la foi dans le mode démocratique du gouvernement, pour renforcer la démocratie elle-même.

Ce n’est pas le moment ni le lieu de procéder à une analyse détaillée de ce qui pourrait être le meilleur remède pour nos économies, de ce qu’il faudrait faire pour renverser les tendances qui aboutissent à un chômage accru. J’ai simplement voulu donner un avis au sujet de la raison pour laquelle cette lutte pour des emplois supplémentaires a une telle importance.

On fait valoir parfois que si nous souhaitons la stabilité économique et une inflation faible, nous devons aussi accepter un certain chômage. Il est exact que la lutte contre l’inflation est importante. Il est exact aussi que les moyens traditionnels d’accroître la demande, par exemple par des réductions fiscales, ont souvent suscité une augmentation de l’inflation. Mais il n’y a pas de compensation inexorable entre le plein emploi et l’inflation. Il n’est pas absolument nécessaire de payer pour la stabilité économique par la suppression d’emplois à des individus. Une politique économique plus sélective, comportant un soutien aux industries viables et une politique régionale active, pourrait accroître l’emploi sans lourdes pressions inflationnistes. C’est là une politique plus difficile que le modèle keynésien traditionnel – mais c’est aussi une politique qui pourrait donner de meilleurs résultats, si elle était menée avec soin et adresse.

Il faut souligner une chose: la lutte contre le chômage est une lutte commune, que les nations doivent mener ensemble. Aucun pays ne peut poursuivre isolément une politique d’expansion. De telles politiques conduisent inévitablement à une perte de force compétitive et à d’importants déficits de la balance courante. Toute tentative d’expansion isolée devra bientôt être inversée. La solution à ce problème est en réalité très simple, et néanmoins très difficile à mettre en œuvre. L’interdépendance économique internationale signifie que la crise économique mondiale n’est pas constituée par les crises distinctes d’un grand nombre de nations. Il s’agit d’une crise commune. Sa solution réside dans une action concertée en vue d’augmenter la croissance et l’emploi. Comme l’a exprimé Helmut Schmidt dans un article il y a quelque temps:

«Nous nous heurtons toujours à la question suivante: les pays s’efforceront-ils de résoudre leurs problèmes communs en coopérant – c’est-à-dire de jouer un jeu dans lequel chacun est gagnant, ou passeront-ils à une confrontation, un jeu dans lequel chacun est perdant?»

Nous avons encore un long chemin à parcourir avant d’arriver à un consensus général concernant la nature spécifique d’une action concertée pour la croissance. Il y a, naturellement, une controverse permanente au sujet des meilleurs moyens de lutter contre le chômage. Certains prétendent que le partage des emplois est une bonne idée; en diminuant le nombre des heures pendant lesquelles nous devons travailler, nous pourrions créer des emplois pour ceux qui n’en ont pas. D’autres proposent un secteur public élargi, qui pourrait procurer des emplois dans des domaines où de nombreuses demandes ne sont pas encore satisfaites. Nous continuons, cependant, dans une large mesure, à tâtonner à l’aveuglette. Il est cependant essentiel, tant pour l’avenir de l’Europe que pour l’avenir de la démocratie sur ce continent, que nous nous rassemblions et que nous trouvions des remèdes appropriés contre la plaie du chômage.

Je mentionnerai une seule réflexion, énoncée dans un discours l’autre jour par l’économiste suédois Rudolf Meidner. Meidner a comparé les difficultés évidentes que nous avons à organiser nos économies d’une manière qui donne aux individus l’occasion d’exercer tous les emplois dont on a tant besoin, avec l’immensité des appareils de recherche et des efforts d’organisation dont disposent les militaires.

Dans le monde entier, il y a des instituts remplis d’hommes de science, qui travaillent à plein temps à des stratégies pour la guerre. Une grande partie de toute la recherche technologique est consacrée à des fins militaires. D’innombrables milliards de dollars et de roubles, et d’autres sortes de monnaies, sont utilisés pour la mise au point de nouveaux systèmes de défense sophistiqués.

Pourquoi, peut-on se demander, ne pouvons-nous pas utiliser la même approche systématique dans la lutte contre le chômage? Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un programme de recherche à grande échelle, ayant pour objet d’organiser des emplois pour les individus? Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir davantage d’instituts se consacrant à la recherche d’une stratégie pour l’emploi et la croissance?

Ce printemps, j’ai participé à une conférence, dans une ville suédoise, concernant le chômage des jeunes. De nombreux jeunes y assistaient, et j’ai invité quinze d’entre eux à revenir six mois plus tard à la résidence du Premier ministre suédois à la campagne pour discuter de la situation des jeunes sur le marché du travail.

Cette réunion a eu lieu avant-hier. Les heures que nous avons passées ensemble, les jeunes chômeurs avec certains représentants du Gouvernement et moi-même, m’ont appris beaucoup de choses au sujet du sentiment que donne le fait d’être chômeur. Pour préparer cette réunion, les jeunes qui y ont assisté avaient travaillé beaucoup pour élaborer des propositions constructives. Ces propositions se fondaient essentiellement sur leurs propres activités, ce qu’ils pouvaient faire pour s’organiser en vue de la création d’entreprises et du lancement d’autres activités de nature diverse lorsqu’ils cherchaient un emploi. Ils ont fait preuve d’un état d’esprit constructif et de beaucoup d’optimisme. Ce fut une expérience remarquable qui a montré combien il est important d’avoir confiance en soi et le rôle que cela peut jouer pour ces jeunes. A notre tour, nous devrions avoir confiance dans la jeunesse. Nous ne devrions jamais les laisser tomber, parce que si nous avons confiance dans les jeunes, nous avons confiance dans l’avenir.

Pour finir, quelques mots sur cet autre problème si important pour nous tous, la lutte pour la paix. Nous vivons à une époque d’insécurité effrayante. Cet automne, toute l’attention est une nouvelle fois polarisée sur l’Europe, notre continent. Nous sommes confrontés à la perspective d’un nouvel accroissement des armes les plus sophistiquées qui soient, les armes nucléaires, alors que la seule solution raisonnable consisterait à les réduire.

Nombreux sont ceux qui prétendent que la paix en Europe dépend de la capacité nucléaire des deux alliances militaires. Il est vrai sans doute que jusqu’ici la dissuasion a empêché la guerre d’éclater. Mais les armes nucléaires sont d’une nature particulière. Leur existence a transformé le concept de guerre, car une guerre nucléaire ne se termine jamais par une victoire. Ces armes n’offrent aucune protection réelle. Si elles devaient être utilisées, les conséquences dépasseraient tout ce que l’on peut imaginer. Il ne resterait au soi-disant «vainqueur» que des pays dévastés, contaminés par les radiations. Toute civilisation, nous le savons bien, pourrait être anéantie en l’espace de quelques heures. Aujourd’hui le public est parfaitement conscient des incidences d’une destruction nucléaire. Mais au lieu d’en tirer les conséquences qui s’imposent, les Etats continuent de se préparer à la guerre atomique et poursuivent les essais comme si de rien n’était. Et c’est là, pour les peuples, une menace terrifiante.

Robert McNamara est probablement l’homme qui a participé le plus directement aux discussions sur la dissuasion nucléaire, puisqu’il fut pendant sept ans ministre de la Défense aux Etats-Unis et pendant plus de dix ans Président de la Banque mondiale.

Robert McNamara a fait l’autre jour une révélation extrêmement intéressante que l’on peut considérer comme un apport fondamental dans la discussion sur le rôle des armes nucléaires. Sa conclusion est sans détours:

«Les armes nucléaires n’ont aucun objectif militaire quel qu’il soit. Elles sont parfaitement inutiles, elles ne servent à rien si ce n’est à dissuader l’adversaire de les utiliser.»

Et son analyse est claire: déclencher une offensive stratégique nucléaire contre l’Union Soviétique aboutirait quasi sûrement à une réaction qui infligerait des dommages formidables aux Etats-Unis et à l’Europe. Il en serait évidemment de même des conséquences d’une offensive stratégique soviétique contre les Etats-Unis. Au cours des deux dernières décennies la situation a beaucoup changé; les deux camps disposent maintenant d’un arsenal stratégique gigantesque dont pour le moins une part considérable demeurerait intacte après une première attaque et pourrait ainsi être utilisée pour riposter. Et cela aurait des conséquences catastrophiques pour les deux camps. Déclencher une offensive nucléaire stratégique serait de l’avis de M. McNamara une opération «suicidaire».

Et, selon lui, il n’est plus possible de croire aujourd’hui que la crainte de telles conséquences dissuaderait l’Union Soviétique de toute agression conventionnelle. Pour être crédible, la dissuasion ne saurait s’appuyer sur des agissements qui ne le sont pas.

On peut douter également de la valeur des armes nucléaires tactiques. On suppose évidemment que l’OTAN se servirait de ces armes pour riposter à une invasion de l’Europe de l’Ouest par les pays du Pacte de Varsovie. Mais les armes nucléaires tactiques, en particulier l’artillerie, ont un rayon d’action si faible, que les explosions nucléaires déclenchées par l’OTAN se produiraient sur son propre territoire, et s’accompagneraient de lourdes pertes et de destructions massives dans ses propres pays. De plus, il est bien évident que l’autre camp riposterait à une attaque de l’OTAN par une contre-attaque nucléaire massive.

Ce furent également quelques-unes des raisons invoquées par la Commission indépendante sur les questions de désarmement et de sécurité, pour défendre sa proposition d’instauration d’une zone libre d’armes nucléaires en Europe centrale. Nous qui avons travaillé au sein de cette commission, nous avons écrit dans notre rapport que ce type d’armes présente un risque particulier. Nous avons proposé un plan prévoyant le retrait des armes nucléaires des territoires situés dans un rayon de 150 km entre les pays de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie, en commençant par l’Europe centrale et en continuant par la suite jusqu’aux flancs nord et sud. Ce que nous proposions, c’était une codification du principe selon lequel les armes nucléaires ne devraient pas être déployées dans les régions situées plus avant. Il s’agissait d’atténuer les pressions de ceux qui réclament un recours intempestif aux armes nucléaires, pour éviter que les décisions et les initiatives ne soient prises sur la base du principe use them or lose them. Nous avons proposé de commencer par l’Europe centrale, car c’est là que l’affrontement est le plus brutal et le danger d’une escalade nucléaire le plus menaçant. Bien entendu le contrôle est un élément très important. Pour être sûr que ni l’un ni l’autre camp n’utilisera plus d’armes nucléaires, il faudrait des moyens techniques à l’échelon national et, peut-être, un accord d’inspection en cas de besoin. Ces dispositions pourraient être mises en œuvre dans le cadre d’un accord sur l’équilibre des forces et la réduction des armements en Europe.

Il est vrai que les armes nucléaires peuvent être réintroduites dans cette zone en temps de guerre et que des armes nucléaires peuvent être dirigées de l’extérieur vers des cibles situées à l’intérieur de la zone. Mais cela n’affaiblit pas l’idée d’une zone conçue comme un moyen d’établir la confiance, et qui vise à réduire les pressions de ceux qui réclament une utilisation sur une vaste échelle des armes atomiques, alors que les deux camps préfèrent rester en deçà du seuil nucléaire, mais craignent d’être devancés par l’adversaire. Il s’agit d’éviter de tomber dans un piège, ce que ne souhaite ni l’un ni l’autre, l’intérêt commun étant de trouver les moyens de ne pas en arriver là.

Il ne fait pas de doute que ces idées connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt. Je suis fermement convaincu que cette proposition, si elle était mise en œuvre, permettrait d’améliorer la sécurité des deux camps et que cette idée fera son chemin comme le montre le débat en cours à l’OTAN.

Affirmer que la paix ne peut être obtenue que par la dissuasion revient en fait à dire que la recherche de la sécurité doit se fonder sur la peur, sur la menace d’une revanche. Il s’agit d’inspirer la plus grande peur possible à l’adversaire, qui a évidemment le même objectif. Il s’ensuit que la peur se fera de plus en plus vive. Autrement dit, de plus en plus d’armes sont mises au point et déployées en Europe et dans le monde. Je ne crois vraiment pas que c’est ainsi que nous jetterons les bases d’une paix durable.

Tous les peuples ont intérêt à éviter une guerre nucléaire. C’est précisément sur cet intérêt que se fonde un autre concept, qui est celui de la sécurité commune: les antagonistes doivent travailler ensemble à éviter la guerre, en négociant la réduction équilibrée des arsenaux existants, en prenant des mesures propres à créer un climat de confiance et en limitant les armes nouvelles.

Pour y arriver, un dialogue constructif entre l’Est et l’Ouest est indispensable de même qu’un dialogue entre les décideurs, les négociateurs, les hommes de science et l’immense public attaché à la paix et à la sécurité dans tous les pays.

C’est en partie pour cette raison que la Suède est si honorée d’accueillir la Conférence sur les mesures visant à créer un climat de confiance et de sécurité et sur le désarmement en Europe, qui commencera à Stockholm au début de l’année prochaine. Nous espérons sincèrement que cette conférence, qui intervient à une époque si capitale pour l’avenir de notre continent, contribuera à donner à la sécurité une assise plus solide que la suspicion et la peur. Je vous ai parlé aujourd’hui de démocratie, d’emploi et de paix, questions toutes trois liées à la survie de l’humanité, à la dignité de l’homme et au droit de chaque individu à une vie libre où il puisse bâtir lui-même son avenir.

Ce sont là également les préoccupations du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi les initiatives prises par le Conseil sont si importantes pour chaque individu, dans notre région du monde. (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d’avoir exposé dans notre enceinte, de façon si brillante, vos vues sur des thèmes qui sont d’actualité politique et qui intéressent chacun d’entre nous.

Vous avez bien voulu accepter de répondre aux questions parlementaires et je me réjouis que l’occasion nous soit ainsi donnée d’approfondir notre échange de vues. Nous allons maintenant aborder les questions parlementaires pour réponse orale.

Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’il ne sera répondu qu’aux questions émanant de parlementaires présents. Vingt questions ont été déposées par écrit. Vous avez pu en prendre connaissance dans le document 5133.

En voici la liste:

«Question n° 1:

M. Martinez,

Constatant que la Suède a été, avec les autres pays Scandinaves, l’un des pionniers dans la politique solidaire d’aide au développement des pays du tiers monde,

Demande au Premier ministre de Suède si la crise économique qui frappe tous les pays d’Europe a modifié substantiellement cette politique et s’il pense que des solutions peuvent être trouvées pour surmonter cette crise, non pas au dépens du tiers monde, mais plutôt en créant de nouveaux mécanismes dans les relations économiques internationales contribuant au progrès des uns et des autres.

Question n°2:

M. Oreja,

Demande au Premier ministre de Suède quelles sont, à son avis, les démarches que peut entreprendre l’Europe pour favoriser une solution de paix et de développement en Amérique centrale.

Question n°3:

M. Hugosson,

Considérant que la situation en Turquie préoccupe vivement un grand nombre de membres de l’Assemblée, et compte tenu du fait que dans ce pays on pratique la torture, les droits de l’homme ne sont pas respectés, les dirigeants politiques et syndicaux sont persécutés et il n’y a pas d’élections libres,

Demande au Premier ministre de Suède comment il envisage pour l’avenir l’appartenance de la Turquie au Conseil de l’Europe.

Question n°4:

M. Hugosson,

Considérant que le chômage est aujourd’hui la plaie de nos sociétés européennes, que les perspectives d’amélioration de la situation dans un proche avenir sont médiocres et qu’il est nécessaire de préparer la voie à une réorganisation de la vie professionnelle dans les années et décennies prochaines;

Gardant présent à l’esprit le fait que le problème du temps de travail est complexe et qu’à la conférence tenue en mai 1983 à Paris, un certain nombre de ministres du Travail ont estimé que «la réduction du temps de travail constituait un élément important de la politique conduite par leur gouvernement»,

Demande au Premier ministre de Suède ce qu’il pense de la réduction du temps de travail comme mesure destinée à réduire le chômage à court ou à long terme.

Question n°5:

M. Martinez,

Constatant que les pays neutres et non alignés, dont la Suède, ont joué un rôle très important dans l’issue relativement satisfaisante de la Conférence de Madrid pour la sécurité et la coopération en Europe,

Demande au Premier ministre de Suède s’il n’est pas d’avis que ces mêmes pays seraient en mesure d’entreprendre des initiatives pouvant contribuer à la détente à un moment où la tension Est-Ouest non seulement s’aggrave dangereusement, mais encore a tendance à se déplacer et à se fixer en Europe.

Question n° 6:

M. Oreja,

Constatant cette période de militarisation de la vie internationale que nous vivons,

Demande au Premier ministre de Suède quelles sont les initiatives que l’Europe peut prendre en vue de réduire la tension actuelle.

Question n° 7:

Earl of Kinnoull,

Demande au Premier ministre de Suède si son Gouvernement soutient une politique gouvernementale européenne unifiée énergique exigeant que l’URSS accepte la pleine et immédiate responsabilité financière pour avoir abattu l’avion coréen et que des sanctions lui soient imposées tant qu’elle n’aura pas donné cette assurance.

Question n° 8:

M. Scholten,

Demande au Premier ministre de Suède:

– si, compte tenu du fait que le Président des Etats-Unis a récemment fait de nouvelles propositions concernant les entretiens de Genève sur les armes nucléaires de portée intermédiaire, il pense qu’il est réaliste de s’attendre à ce que ces nouvelles propositions aboutissent à des résultats à Genève avant la fin de l’année, et

– s’il est d’accord pour que le déploiement effectif de nouveaux missiles par l’OTAN soit différé afin d’empêcher une détérioration de la situation internationale qui entraînerait une rupture du processus de négociation et une nouvelle escalade dans la course aux armes nucléaires.

Question n° 9:

M. Andersen,

Demande au Premier ministre de Suède, étant donné qu’il semble partisan, dans le cadre des négociations de Genève, de prendre en compte les missiles britanniques et français dans le camp occidental bien que dix-huit seulement de ceux-ci soient des missiles à moyenne portée basés à terre, les autres étant basés sur des sous-marins, si, dans ces conditions, il ne serait pas plus logique de prendre en compte également dans l’autre camp les missiles soviétiques destinés à être lancés à partir de sous-marins, souvent implantés trop près, et parfois même jusque sur les côtes de la Suède.

Question n° 10:

M. Baunsgaard

Demande au Premier ministre de Suède, étant donné qu’on l’entend souvent critiquer la course aux armements, comment il explique et excuse le fait que son pays compte parmi les principaux exportateurs d’armes.

Question n° 11:

M. Blaauw,

Demande au Premier ministre de Suède si, étant favorable à l’idée d’une zone dénucléarisée dans les pays nordiques, il considère que cette zone englobe la presqu’île de Kola et d’autres parties de l’Union Soviétique.

Question n° 12:

M. Elmquist,

Demande au Premier ministre de Suède comment il définit une zone dénucléarisée:

– S’agit-il d’une zone dans laquelle aucune des nations qui y sont présentes ne possède d’armes nucléaires?

– Dans l’affirmative, n’est-ce pas déjà le cas pour les pays nordiques?

– Ou s’agit-il d’une zone vers laquelle aucune arme nucléaire n’est pointée de l’extérieur?

– Et s’il est d’accord avec cette dernière définition, quelle superpuissance, à son avis, possède en ce moment des armes nucléaires pointées vers les pays nordiques.

Question n° 13:

Lord Reay,

Demande au Premier ministre de Suède s’il n’estime pas que les zones dénucléarisées sont simplement, sous un autre nom, une forme de désarmement unilatéral qui, loin d’offrir une sécurité supplémentaire à leurs habitants, les expose en fait à des dangers plus grands en les privant de moyens de dissuasion face à un agresseur.

Question n° 14:

M. Stokes,

Demande au Premier ministre de Suède quelle attitude adoptera le Gouvernement suédois en cas de nouvelles incursions de sous-marins soviétiques dans les eaux suédoises.

Question n° 15:

Sir Anthony Grant,

Demande au Premier ministre de Suède quand la marine suédoise pourra mettre fin aux incursions de sous-marins soviétiques dans les eaux territoriales suédoises; et si elle n’y parvient pas avant longtemps, quelle sera entre-temps la crédibilité de la politique étrangère non alignée de la Suède, qui tend vers la neutralité en temps de guerre.

Question n° 16:

Sir Frederic Bennett,

Demande au Premier ministre de Suède comment il envisage l’invasion permanente des eaux territoriales suédoises par les sous-marins nucléaires soviétiques dotés d’armes nucléaires, compte tenu de ses nombreuses déclarations en faveur d’une zone Scandinave non nucléaire.

Question n° 17:

M. Blaauw,

Demande au Premier ministre de Suède, eu égard au résultat de la Conférence de Madrid et à la décision de réunir à Stockholm une conférence sur les mesures de confiance et de sécurité et sur le désarmement en Europe, quelles mesures il convient de prendre pour empêcher l’Union Soviétique de se livrer à de nouvelles atteintes à la souveraineté des pays nordiques.

Question n° 18:

M. Wilkinson,

Demande au Premier ministre de Suède quelles mesures prend son Gouvernement pour faire comprendre au Gouvernement de l’Union Soviétique la nécessité de garantir les droits de l’homme et le droit à l’autodétermination des peuples de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lithuanie.

Question n° 19:

Sir Frederic Bennett,

Demande au Premier ministre de Suède s’il considère comme valide l’annexion par l’URSS après la guerre de la Lithuanie, de la Lettonie et de l’Estonie; si la Suède reconnaît cet état de choses de jure ou seulement de facto et si son Gouvernement a récemment protesté contre la soviétisation de plus en plus rigoureuse de ces trois anciens Etats baltes souverains indépendants qui sont voisins de la Suède.

Question n°20:

M. Guerra,

Considérant la fréquente mention en Espagne du coût de son appartenance à l’OTAN, et les raisons politiques de la non-appartenance de la Suède à l’Alliance atlantique,

Demande au Premier ministre de Suède s’il pense, d’un point de vue strictement économique, que les dépenses seraient supérieures ou inférieures si la Suède était membre de l’OTAN.»

Vu le nombre et l’objet commun de plusieurs de ces questions, la présidence a classé certaines d’entre elles en cinq groupes. J’inviterai M. le Premier ministre à répondre à chaque question ou groupe de questions.

Les collègues qui ont posé une question portant sur le thème évoqué peuvent habituellement poser une question supplémentaire. Cependant, faute de temps, toutes les questions supplémentaires ne pourront pas être acceptées. En conséquence, je donnerai la parole en priorité à l’auteur de la première question de chaque groupe.

Nous abordons maintenant la première des questions non groupées. La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à la question n° 1 concernant l’aide de la Suède au tiers monde, posée par M. Martinez.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Aucun pays n’échappe à la crise économique internationale. Au sein de la Commission Brandt et ailleurs, nous avons mis au point un programme d’action, fondé sur les intérêts mutuels des pays pauvres et des pays industrialisés, et tendant à favoriser la croissance. Malheureusement, la réaction est souvent négative, surtout parmi les pays industrialisés, dont uniquement trois ont réalisé l’objectif de 0,7% du PNB en matière d’aide. On assiste aussi à une résurgence des tendances protectionnistes dans le monde.

L’époque de la création du Conseil de l’Europe fut également celle de l’accomplissement d’un des actes politiques les plus remarquables de ce siècle – le lancement de ce que l’on a appelé le plan Marshall. Quel était le contenu de ce plan? Les Américains craignaient le développement du chômage après la guerre, lorsque les militaires sont retournés dans leur foyer, lorsqu’on a démantelé les industries de guerre et que l’Europe était détruite. L’idée fondamentale était d’utiliser l’énorme capacité industrielle des Etats-Unis pour reconstruire l’Europe. On considérait qu’il fallait le faire dans notre propre intérêt, parce que nous avions besoin de travail pour notre main-d’œuvre et de commandes pour nos industries, et qu’en même temps nous pouvions reconstruire l’Europe. Le système a fonctionné parce que l’Europe a rapidement saisi l’occasion pour reconstruire ses cités en ruines, ses industries, etc. C’était l’un des grands actes politiques de ce siècle, issu d’une imagination féconde.

Je pense que nous pourrions reprendre cette idée. Nous comptons 20 millions de chômeurs dans la zone de l’OCDE, les industries travaillant à 60% de leur capacité, alors que, dans d’autres parties du monde, on meurt de faim. Pourquoi ne pas transférer des ressources aux pays pauvres, leur donnant ainsi la possibilité d’acquérir nos produits, ce qui leur permettrait de se développer tout en donnant du travail à notre main-d’œuvre?

La discussion sur l’extension de la Banque mondiale et du FMI pour tenter de résoudre le problème de l’endettement s’inscrit dans le contexte de ce qui devrait être un plan plus vaste tendant à exploiter l’énorme capacité des pays industrialisés pour lutter contre la pauvreté dans le monde entier. Voici ce que devrait être la réponse. Nous avons besoin de gens dotés des pouvoirs et de la clairvoyance du général Marshall, tenant compte de nos intérêts mutuels et œuvrant en faveur de l’expansion, de la croissance et de l’emploi dans le monde entier.

M. MARTINEZ (Espagne) (traduction)

Je pense que l’on a répondu à ma question. Je tiens toutefois à dire que le peuple espagnol et les démocrates espagnols se souviendront avec gratitude de M. Palme, de son pays et du parti travailliste suédois, en tant que symbole de la solidarité et de la démocratie.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons la deuxième des questions non groupées. La parole est à M. le Premier Ministre pour répondre à la question n° 2, concernant les initiatives de paix en Amérique centrale, posée par M. Oreja.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Le Gouvernement suédois a toujours soutenu les efforts des pays de la Contadora pour aboutir à une solution politique durable en Amérique centrale. Dans le contexte actuel, l’initiative prise par le Mexique, le Venezuela, la Colombie et le Panama mérite d’être soutenue largement et totalement par l’Europe. Ce n’est pas par une escalade militaire mais par la négociation que l’on parviendra à résoudre les problèmes de l’Amérique centrale.

Hier soir, j’ai lu dans le journal une déclaration du sous-secrétaire d’Etat américain affirmant que les forces démocratiques au Salvador doivent remporter une victoire militaire. En toute modestie, je voudrais dire que je ne considère pas le régime hautement répressif du Salvador comme une force démocratique. Une victoire militaire n’est ni possible ni souhaitable. Le conflit doit faire l’objet d’un règlement politique. Les troubles en Amérique centrale ont leur origine essentiellement dans l’injustice sociale et économique qui sévit dans cette région. Ces pays doivent avoir la possibilité de construire leur société dans la paix et dans l’indépendance nationale. Pour réduire la tension, il faut commencer par mettre fin à toutes les livraisons d’armes, à tout trafic d’armes et à toute assistance militaire dans cette région.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons la troisième des questions non groupées. La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à la question n° 3 concernant les droits de l’homme et la démocratie en Turquie, posée par M. Hugosson.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Comme je l’ai affirmé dans mon exposé, le Conseil de l’Europe devrait proclamer qu’il ne peut accueillir que des démocraties européennes. C’est ce qui doit être à la base de nos considérations. Or la Turquie n’est pas actuellement une démocratie. On pourrait considérer qu’il s’agit d’une anomalie au sein de notre Organisation. Cette position a été maintenue pendant trois ans. Pendant cette période, la Suède a fondé son attitude à l’égard de la participation de la Turquie au Conseil de l’Europe sur les assurances données à plusieurs reprises par le Gouvernement turc en ce qui concerne le rétablissement de la démocratie. La Suède espère que le Conseil de l’Europe jouera un rôle constructif dans cette évolution.

La situation actuelle en Turquie, à six semaines seulement des élections, présente des caractéristiques qui permettent de moins en moins d’accorder au Gouvernement turc le bénéfice du doute en ce qui concerne ses intentions de rétablir la démocratie. Je suis d’accord avec M. Hugosson sur ce point. Personnellement, je considère qu’il est encore trop tôt pour entamer des discussions plus approfondies sur la participation de la Turquie au Conseil. Après les élections, nous serons davantage en mesure de porter un jugement sur la voie dans laquelle s’est engagée la Turquie et sur le contexte politique dans lequel s’inscrira l’action du Parlement et du Gouvernement.

Dans les mois à venir, il importe que le Conseil de l’Europe continue à rester attentif à la situation en Turquie et j’espère qu’il ne relâchera pas ses pressions et poursuivra son action.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons la quatrième des questions non groupées. La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à la question n° 4 concernant la réduction du temps de travail comme moyen de lutte contre le chômage, posée par M. Hugosson.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Il appartient aux partenaires sociaux – les organisations patronales et de salariés – de déterminer le rythme de la réduction du temps de travail. Tous les accords sur des réductions de ce genre ont été conclus dans le cadre de conventions collectives, prévoyant des augmentations de salaires et l’octroi d’autres avantages. La théorie, selon laquelle la réduction de la durée du travail devrait être utilisée comme un instrument pour développer l’emploi, a jusqu’à présent été rejetée par la Suède. On s’oppose aussi au principe d’une réduction de la durée du travail sans compensation salariale.

Dans une économie où tant de besoins demeurent non satisfaits, on pourrait être enclin à considérer le partage du travail comme une méthode passive pour résorber le chômage. Le chômage doit être résorbé au moyen d’une politique économique active, combinée avec des mesures ponctuelles en faveur du marché de l’emploi. Telle est, pour l’essentiel, notre ligne de conduite.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons aborder le premier groupe de questions concernant les initiatives européennes afin de réduire la tension Est-Ouest. Une réponse commune leur sera apportée. Les questions ont été posées par M. Martinez (n° 5), M. Oreja (n° 6), Lord Kinnoull (n° 7). La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Il s’agit de pressions graves, qui exigeraient que l’on s’y attarde. Il me faut toutefois être bref pour pouvoir les aborder toutes. Les pays européens ont profité du processus de détente qui a marqué le début des années 70. Il est donc tout à fait normal que ces pays subissent les conséquences du refroidissement du climat international, auquel nous assistons actuellement. Il faut que nous fassions en sorte que la conférence sur la sécurité et le désarmement en Europe, qui doit avoir lieu l’année prochaine à Stockholm, devienne un instrument utile pour réduire les tensions en Europe. Les Etats-Unis ont l’intention de poursuivre leur coopération pendant cette conférence. La première réunion préparatoire aura lieu à Genève les 10 et 11 octobre.

En ce qui concerne le Boeing coréen, le Gouvernement suédois a, au sein de plusieurs organisations internationales et notamment du Conseil de sécurité des Nations Unies, condamné la destruction de l’avion de ligne sud-coréen. Nous considérons que cet acte constitue une violation des règles fondamentales de droit international, une violation de principes humanitaires reconnus et une violation de l’Accord sur le transport civil. Mon Gouvernement ne s’associe toutefois pas en principe à des sanctions autres que celles décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Notre objectif primordial doit être de veiller à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas et à ce que la sécurité des vols civils soit garantie. C’est ainsi que je conçois notre réaction à un acte aussi brutal.

Earl of KINNOULL (Royaume-Uni) (traduction)

Je remercie le Premier ministre de Suède de sa réponse courtoise à ma question. Considère-t-il aussi que l’Union Soviétique devrait être contrainte à remettre l’ensemble des débris récupérés de l’avion de ligne coréen à un organisme international indépendant, qui pourrait ensuite faire rapport sur ce qui s’est passé à bord de l’appareil juste avant l’attaque soviétique?

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

L’Union Soviétique serait bien avisée de procéder de la sorte. Elle a remis certaines pièces, que j’ai pu voir. J’ai entendu aux Actualités qu’elle poursuivait ses recherches. L’Union Soviétique serait bien avisée de transmettre ces débris à un organisme international, afin que l’on puisse savoir ce qui s’est passé exactement avant la chute du Boeing. Ce serait dans l’intérêt de la communauté internationale tout entière.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons aborder le deuxième groupe de questions concernant les négociations américano-soviétiques de Genève. Une réponse commune leur sera apportée. Les questions ont été posées par M. Scholten (n° 8) et par M. Andersen (n° 9). Je donne la parole à M. le Premier ministre.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Mon Gouvernement a le ferme espoir de voir les négociations de Genève déboucher sur un résultat positif. Le meilleur moyen d’accroître la sécurité en Europe est de réduire les armes nucléaires et d’entamer un dialogue entre l’Est et l’Ouest. Pendant de nombreuses années, je me suis prononcé en faveur d’une Europe dénucléarisée. Nous considérons qu’il faut arrêter le déploiement des armes nucléaires. Nous considérons également qu’il faut réduire de manière notable le nombre d’armes nucléaires, y compris bien entendu les dispositifs soviétiques, et qu’il faudrait tâcher d’instaurer un équilibre à un niveau inférieur. Je n’entrerai pas ici dans les détails, mais je considère que si les conversations de Genève n’ont pas abouti à un résultat positif d’ici à la fin de l’année – ce que je déplorerais – il vaudrait encore mieux poursuivre les négociations que les interrompre. Aucune installation d’armes nouvelles ne devrait toutefois intervenir pendant la durée des négociations. Si les Etats-Unis d’Amérique acceptent cela, il faudrait manifestement présenter les mêmes exigences à l’Union Soviétique, afin que celle-ci adopte une attitude positive et qu’elle accepte de faire, de son côté, des concessions pour maintenir l’équilibre.

En réponse à M. Andersen, je voudrais préciser que je n’ai jamais exprimé d’avis catégorique sur la manière dont il conviendrait de comptabiliser les armes françaises ou britanniques. Je constate que ces deux pays sont fortement sensibilisés à cette question et qu’ils ne souhaitent pas que leurs armes soient prises en compte par d’autres pays qui ne sont pas directement concernés. D’un autre côté, ces armes nucléaires françaises et britanniques existant bel et bien, je comprends que l’Union Soviétique tienne à les prendre en considération. Questionné au sujet de la mer Baltique, j’ajoute que je suis prêt à compter tous les missiles, quelle que soit leur distance relative du littoral suédois.

M. SCHOLTEN (Pays-Bas) (traduction)

Je voudrais remercier M. le Premier ministre de sa réponse. Je suis résolument contre les missiles SS 20 en Union Soviétique, mais je voudrais demander à M. le Premier ministre s’il considère aussi que le déploiement des Pershing II en Allemagne, en décembre, va réduire la sécurité européenne au lieu de l’accroître.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

La réponse est sans hésitation: oui. La sécurité européenne sera réduite, parce que l’escalade nucléaire réduit notre sécurité à nous tous. Je suis aussi résolument contre les SS 20, et il est tout à fait raisonnable d’exiger également une diminution notable de leur nombre.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons la cinquième des questions non groupées. La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à la question n° 10 concernant l’exportation d’armes par la Suède, posée par M. Baunsgaard.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

La Suède n’est certainement pas un des plus gros exportateurs d’armes. Le commerce international des armes est entièrement dominé par les superpuissances et par quelques grands pays européens. La Suède n’intervient que pour 0,3% dans le commerce mondial total des armes. Les exportations d’armes suédoises atteignent environ 1 % de nos exportations totales. La réglementation de nos exportations est très stricte et a été renforcée au cours de l’année dernière. Les principales dispositions prévoient notamment une interdiction générale de toutes les exportations sans licence. Nous n’exportons pas vers des Etats engagés dans des conflits armés, ni vers des Etats en proie à des guérillas ou des Etats où les droits de l’homme ne sont pas respectés. Il s’ensuit toutefois que nous exportons vers le Danemark.

M. BAUNSGAARD (Danemark) (traduction)

Je vous remercie de votre réponse; j’aurais toutefois espéré qu’elle soit un peu plus encourageante. La Suède ne fait sans doute pas partie des plus gros exportateurs d’armes, mais, compte tenu du nombre de ses habitants, elle peut être considérée comme un exportateur d’armes relativement important. J’ai l’impression que la Suède n’envisage pas d’interdire les exportations, d’armes vers d’autres pays. Je considère qu’il faudrait qu’un pays fasse le premier pas, mais il est possible, Monsieur Palme, que vous raisonniez comme l’empereur romain qui affirmait non olet, c’est-à-dire que «l’argent n’a pas d’odeur».

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Comme je l’ai indiqué, nous interdisons les exportations d’armes en l’absence de licence spéciale accordée par le Gouvernement. Il y a donc des restrictions considérables. Pourquoi autorisons-nous néanmoins les exportations? La réponse est que, dans le cadre de notre politique de neutralité, nous tâchons de produire la plupart de nos armes nous-mêmes et d’être indépendants. Comme nous sommes un petit pays, le coût de notre défense est réduit si nous exportons des armes vers des pays neutres, tels que la Suisse, l’Autriche, la Finlande, la Norvège, le Danemark, qui sont les principaux destinataires de nos exportations.

Cela réduit le coût de notre défense tout en nous permettant de maintenir notre capacité de posséder une production d’armes indépendante, sur laquelle s’appuie notre neutralité. Bien entendu, l’argent n’a pas d’odeur, mais un Danois est un Danois, de sorte qu’ils doivent eux aussi pouvoir acheter des armes.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons aborder le troisième groupe de questions concernant la création d’une zone dénucléarisée dans les pays nordiques. Une réponse commune leur sera apportée. Les questions ont été posées par M. Blaauw (n° 11), M. Elmquist (n° 12), Lord Reay (n° 13). La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

J’abrégerai mes remarques afin de pouvoir répondre à un nombre maximal de questions. Je tiens à préciser un point: une zone dénucléarisée signifie que l’on ne peut ni produire, ni déployer, ni transporter des armes nucléaires sur le territoire des pays participants. C’est le principe à la base de l’accord. D’un autre côté, celui-ci exige que les pays nucléaires prennent certains engagements, qu’ils s’engagent notamment à ne jamais utiliser ni menacer d’utiliser des armes nucléaires dans cette zone, si nous réussissons à la constituer, par exemple, dans les Etats nordiques.

Tous les parlements des Etats nordiques ont voté en faveur de l’instauration d’une zone dénucléarisée dans le Nord sous certaines conditions. En premier lieu, cela accroîtrait notre propre sécurité, en éloignant davantage les armes nucléaires de nos pays. En second lieu, nous considérons qu’une telle mesure améliorerait aussi la sécurité européenne car elle contribuerait à instaurer un climat de confiance entre les deux grandes puissances nucléaires. Actuellement, nous ne détenons pas d’armes nucléaires dans le Nord de l’Europe. Il n’y a que ce que l’on appelle l’option nucléaire du Danemark et de la Norvège, en vertu de laquelle, en cas de guerre, l’OTAN a le droit d’entreposer des armes nucléaires sur le territoire norvégien et danois.

Si l’on créait une zone dénucléarisée dans cette région, il faudrait donc que les Danois et les Norvégiens renoncent à cette option, ce qui susciterait pas mal de réticences au sein de l’OTAN. Ce projet manque donc de réalisme, à moins que l’Union Soviétique ne soit, de son côté, prête à faire des concessions. Ce qui est nouveau, c’est qu’après tant d’années de silence l’Union Soviétique se soit déclarée prête à prendre les engagements notables concernant son propre territoire en cas de création d’une zone dénucléarisée, et qu’elle soit aussi prête à examiner la possibilité d’une mer Baltique dénucléarisée. C’est ce qu’a affirmé M. Brejnev pour la première fois en 1981 et ce qu’a répété M. Andropov au cours de la visite de notre Président, il y a quelques mois. Il s’agit d’un élément nouveau.

Nous ne savons pas encore ce que vaut cette déclaration, car cela n’apparaîtra que dans le cadre de négociations concrètes, qui prendront du temps. J’ai consacré un long discours à cette question en juin, en Finlande, et à la réunion de l’OTAN au Danemark peu de temps après. Mais, pour répondre aux trois questions avec plus de précisions, il faudrait savoir si la zone nordique devrait inclure une partie de l’Union Soviétique.

La réponse est non en ce qui concerne la zone proprement dite, étant donné qu’il s’agit d’un accord avec un pays nordique; toutefois, étant donné que l’OTAN devrait renoncer à la possibilité d’entreposer les armes nucléaires au Danemark et en Norvège, également en cas de guerre, il faudrait que l’autre partie fasse aussi des concessions. Nous n’avons pas encore examiné cette question suffisamment à fond.

M. Elmquist souhaitait une définition de la zone dénucléarisée, que j’ai essayé de donner très brièvement. Ce que l’on voudrait savoir en réalité, c’est si «zone dénucléarisée» est simplement un autre terme pour désigner le désarmement unilatéral. La réponse est à coup sûr non. Je dirais que cela n’a rien à voir avec le désarmement nucléaire. Il s’agit d’une démarche équilibrée, où des concessions faites par l’une des parties doivent être assorties de concessions faites par l’autre. Je ne pense pas que nous mettions nos pays davantage en péril si nous nous débarrassons des armes nucléaires. Au contraire, plus celles-ci s’éloignent de nos territoires, moins nous risquons, à mon sens, d’être impliqués directement dans un conflit nucléaire. C’est pourquoi mon Gouvernement et le Parlement sont favorables à la création d’une zone dénucléarisée dans le Nord. Les parlements des autres pays nordiques y sont également favorables. Nous sommes cependant conscients que ce processus prendra du temps et qu’il doit aussi être considéré à la lumière des événements en Europe. Il doit, d’autre part, se poursuivre en prenant pleinement en considération les problèmes particuliers de tous les pays nordiques et de chacun d’entre eux.

M. LE PRÉSIDENT

Mes chers collègues, M. le Premier ministre est obligé de partir dans peu de temps. Je propose donc qu’il ne soit plus posé de question supplémentaire. Ainsi nous pourrons entendre les réponses à toutes les questions écrites.

Nous allons aborder le quatrième groupe de questions concernant les incursions soviétiques dans les eaux et espaces frontaliers des pays nordiques. Les questions ont été posées par M. Stokes (n° 14), Sir Anthony Grant (n° 15), Sir Frederic Bennett (n° 16), M. Blaauw (n° 17). La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

J’ai indiqué clairement que la Suède défendra son intégrité territoriale de toutes ses forces. Je l’ai précisé sur le plan politique. Nous sommes aussi en train de renforcer de manière notable les ressources navales suédoises pour la chasse au sous-marin.

Notre capacité à détecter et à nous protéger contre les sous-marins étrangers s’accroît progressivement. Il faut que ceux qui projettent de faire intrusion dans les eaux suédoises sachent qu’il faut prendre nos affirmations au sérieux et que le risque de détection et de réaction ne cesse de s’accroître. Si un sous-marin étranger et son équipage subissaient des dégâts, ceux qui ont ordonné l’intrusion en porteraient l’entière responsabilité.

A Sir Anthony Grant, je voudrais dire que la défense de l’intégrité territoriale de la Suède est une question de volonté et de détermination et que cette volonté et cette détermination ne nous font nullement défaut. Si les intrusions devaient se poursuivre, nous mettrons tôt ou tard la main sur un sous-marin et le contraindrons à monter à la surface ou bien nous le détruirons. Cette fermeté n’a aucune incidence défavorable sur la crédibilité de la politique étrangère suédoise. Elle n’entamerait notre crédibilité que si nous ne réagissions pas sur le plan politique ou militaire. Tant que nous poursuivons notre chasse, et que toute incursion suscite de vives réactions de la population et des milieux politiques, nous maintenons notre crédibilité. Ceux qui perdent leur crédibilité sont ceux qui affirment constamment qu’ils ne songeraient jamais à pénétrer dans nos eaux mais continuent à le faire.

A Sir Frederic Bennett, je tiens à dire que les incidents qui se sont produits dans les eaux suédoises ne constituent pas un argument contre l’existence d’une zone dénucléarisée dans le Nord. Au contraire, on pourrait dire que la présence de sous-marins nucléaires dans les eaux autour de nos pays fournit un argument supplémentaire en faveur de la création d’une telle zone qui, nous l’espérons, permettrait d’éloigner davantage toutes les armes nucléaires de notre territoire. Nous sommes donc convaincus de l’utilité d’une zone dénucléarisée. Nous constatons, en effet, combien il importe de se débarrasser des armes nucléaires dans nos eaux.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons aborder le cinquième groupe de questions concernant les libertés fondamentales dans les pays baltes. Les questions ont été posées par M. Wilkinson (n° 18) et Sir Frederic Bennett (n°19). La parole est à M. le Premier ministre, pour répondre à ce groupe de questions.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

En 1940 et 1941, le Gouvernement suédois a pris des mesures tendant à reconnaître l’inclusion des pays baltes dans l’Union Soviétique. Ces mesures ont été prises à un moment où notre pays était dirigé par un gouvernement inter-partis. Dans sa note verbale de novembre 1940, la Suède considérait qu’ayant succédé aux Etats baltes, l’Union Soviétique était responsable de certaines dettes envers la Suède. L’accord d’indemnisation pour les biens suédois dans les pays baltes a été signé par la Suède et l’Union Soviétique en 1941. Nous avons fait une enquête et constaté que la plupart des pays d’Europe occidentale ont fait la même chose et ont donc reconnu de fait l’incorporation des républiques baltes dans l’Union Soviétique.

La Suède a cependant, à plusieurs reprises, exprimé sa profonde inquiétude au sujet du respect des droits de l’homme dans les pays baltes et a condamné les persécutions dont y sont l’objet des défenseurs des droits civils. Cette position a été réaffirmée en avril dernier au sein du Parlement suédois en termes plutôt vigoureux par le ministre des Affaires étrangères, M. Wolstan, car nous avions appris que des incidents graves avaient eu lieu dans les pays baltes. C’est pourquoi, l’opinion publique suédoise est toujours très attentive à ce qui se produit dans les régions voisines.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons la sixième des questions non groupées. La parole est à M. le Premier ministre, pour répondre à la question n° 20 concernant le coût des dépenses militaires et l’OTAN posée par M. Juan Carlos Guerra.

M. Palme, Premier ministre de Suède (traduction)

Je dois reconnaître que si nous avons opté pour une politique de neutralité, ce n’est pas pour des raisons d’ordre économique. Nous possédons un dispositif de défense relativement solide que nous finançons entièrement nous-mêmes. Au fil des ans, cela exigeait des ressources considérables, mais nous avons constaté que la politique de neutralité est payante. Aucune voix ne s’est jamais élevée pour proposer que nous adhérions à l’OTAN ou éventuellement au Pacte de Varsovie, simplement pour réduire un peu le coût de notre défense. J’ai le sentiment que le peuple suédois est très attaché à sa neutralité que nous comptons, par conséquent, maintenir.

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie, au nom de l’Assemblée, d’avoir bien voulu engager le dialogue avec nos membres.

Comme vous avez pu le constater, nous avons tous été pleinement sensibilisés par les thèmes que vous avez évoqués. J’ajoute que vous avez suscité l’espoir parmi les gens parce que vous recherchez inlassablement des voies nouvelles ou des approches différentes pour résoudre les conflits internationaux et les problèmes de justice sociale et économique qui nous préoccupent tous.

Vos vues inspirent notre réflexion. (Applaudissements)