Tassos
Papadopoulos
Président de la République de Chypre
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 28 janvier 2004
C’est pour moi un grand honneur que d’avoir l’occasion de m’adresser à cette auguste Assemblée qui rassemble les représentants élus de la Grande Europe. Nous sommes aujourd’hui réunis au sein de cette organisation européenne établie de longue date à Strasbourg, ville qui est devenue le symbole du processus de réconciliation le plus efficace et le plus respecté que notre continent ait connu au cours des cinquante dernières années.
Tout au long de l’histoire européenne, de nombreuses tentatives ont été faites pour garantir une paix et une stabilité durables sur tout le continent. Toutefois, cette noble entreprise multinationale n’a commencé à porter des fruits qu’avec la fondation du Conseil de l’Europe qui a marqué le début de la construction d’une nouvelle Europe faite de paix, de sécurité, de stabilité, de compréhension mutuelle et de prospérité. De fait, les délibérations et les travaux de cette Organisation ont permis de concrétiser l’espoir de voir se réaliser l’idée ancienne selon laquelle l’association de tous les Etats européens permettrait d’instaurer une paix durable sur le continent et de reléguer aux oubliettes de l’histoire les douloureux clivages du passé.
Aujourd’hui plus que jamais, il apparaît que l’objectif premier des pères fondateurs de cette Organisation – la prévention des conflits grâce à une étroite coopération entre Etats souverains – peut être efficacement servi par une organisation internationale distincte. Aujourd’hui, nous sommes sur le point d’achever le processus de construction de la Grande Europe des 800 millions de citoyens représentés au sein de cette Assemblée; d’une Grande Europe se fondant sur des idéaux, des principes et des normes communs; d’une nouvelle Europe réunissant des partenaires égaux se fondant sur la démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit; d’une Europe, enfin, où la diversité sera source de force et non de division, d’intolérance et de conflit.
La volonté politique commune de protéger tous les Européens contre la répétition des atrocités du passé a conduit à abandonner l’héritage des Traités de Westphalie, en vertu desquels la façon de traiter les citoyens relevait du «domaine réservé» de chaque Etat. Le Conseil de l’Europe a mis en place la Convention européenne des Droits de l’Homme, instrument à la fois unique, vital et vivant de protection des droits de l’homme. L’application et la mise en œuvre de cette pierre angulaire des droits de l’homme ont été confiées à une cour supranationale: la Cour européenne des Droits de l’Homme. Incontestablement, il s’agit là de la réalisation la plus achevée de l’Organisation.
L’élargissement permanent et parallèle, tant du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, fait que le continent se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Il est confronté à la double tâche de renforcer son intégration et de modifier ses structures institutionnelles. L’Europe ne se prépare pas uniquement à relever les nombreux défis du XXIe siècle; elle est également en train de redéfinir son rôle et sa place sur la scène internationale.
C’est le processus d’élargissement permanent du Conseil de l’Europe qui se trouve à l’origine de ce nouvel environnement politique. La vision originelle, fort ambitieuse, de la construction d’une Grande Europe sans clivages semble se traduire dans les faits. Le Conseil de l’Europe est en train de devenir un authentique forum paneuropéen qui se fonde sur une identité et des valeurs communes. L’élargissement imminent de l’Union européenne qui s’accompagne d’une vaste réforme interne viendra compléter cette nouvelle réalité politique européenne.
Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne partagent les mêmes idéaux d’unité, de coopération et d’intégration entre tous les Etats du continent. Leur vision européenne commune a pour objectif la renaissance de l’Europe par le biais de la création et de la sauvegarde d’un espace européen commun, d’un espace dans lequel prévaudront les droits de l’homme, les normes et les valeurs partagées de paix, de liberté, de justice, de sécurité et de stabilité. Les deux institutions ont, sans conteste, la même vision. Pourtant, elles diffèrent de par leur mode de fonctionnement et leurs domaines de compétence. Le Conseil de l’Europe est et restera un partenaire précieux pour l’Union européenne, notamment pour ce qui concerne les relations de cette dernière avec ses voisins. Il continuera de jouer le rôle qui est le sien: définir, pour l’Europe, des normes en matière de droits de l’homme, de démocratie et de prééminence du droit.
Nous sommes convaincus que le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation paneuropéenne réunissant une communauté d’Etats démocratiques forte de quarante-cinq membres, joue et doit continuer de jouer un rôle vital dans les efforts déployés conjointement en vue de réaliser l’idéal européen commun. A cette croisée des chemins historique, les représentants des Etats membres portent une lourde responsabilité à l’égard des 800 millions d’Européens qui récoltent les fruits de la coopération. Pour donner une nouvelle vigueur à cette Organisation, il faut élaborer une vision moderne de nos objectifs, une vision qui préserve les droits acquis de haute lutte et qui, dans un même temps, permette de renforcer et de promouvoir l’évolution vers une Europe de normes communes. Il faut recentrer nos efforts vers la consolidation de la protection des droits de l’homme. Il faut définir de nouvelles stratégies en vue de relever les défis majeurs auxquels est aujourd’hui confrontée notre société européenne.
Chacun sait bien que toute organisation n’a de force et d’efficacité que celles que chacun de ses membres veut bien lui donner. Elle ne pourra être efficace que si ses membres, ou du moins la majorité d’entre eux, la veulent efficace et s’accordent à lui donner les moyens de le devenir.
Et puisque nous vivons dans un monde réel et non dans le monde idéal de Platon et de Socrate, il faut prendre en compte le fait que les Etats membres définissent les politiques de l’Organisation à la lumière de ce que chacun d’entre eux considère comme étant de nature à servir ses intérêts nationaux, ses alliances et ses nécessités politiques. Une telle démarche est à la fois compréhensible et acceptable. Mais dans un même temps, ces considérations, à tort ou à raison, définissent l’efficacité que les Etats membres souhaitent assigner à l’organisation collective par le biais de la volonté politique de chacun.
C’est pourquoi il n’existe, pour cette Organisation, qu’un seul moyen de préserver et de renforcer son efficacité. Et ce moyen, c’est d’amener chacun de ses Etats membres à s’engager fermement à respecter une règle d’or: faire passer les principes et les normes éthiques universellement acceptés avant ses intérêts et ses nécessités politiques nationaux. Ces deux objectifs ne sont pas nécessairement incompatibles. Notre bouclier, notre seule défense pour rendre cette Organisation plus efficace et plus pertinente encore, c’est de définir et d’honorer les principes et les valeurs fondamentaux sur lesquels le Conseil de l’Europe a été établi.
Pour sa part, la République de Chypre s’est toujours efforcée de remettre en question ses nécessités politiques et de faire prévaloir les principes et les valeurs européens fondamentaux. Ce qui se trouve au centre de notre vision du Conseil de l’Europe, c’est le devoir de sauvegarder et de développer le mécanisme unique de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Nous voulons un Conseil de l’Europe fort qui rassemble la riche diversité de nationalités, de langues, de cultures d’idéaux et d’idées autour d’une identité européenne commune de valeurs et de principes partagés.
Nous avons bon espoir de voir se réaliser cette ambition pour le Conseil de l’Europe. Il faut exploiter les avantages comparés de cette Organisation et réaffirmer sa place sur la scène internationale en tant que pionnier par excellence dans le domaine des droits de l’homme. Voilà le premier défi auquel nous sommes confrontés. Le second, tout aussi important, qui est intimement lié au premier, est l’établissement d’un nouveau partenariat à long terme entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.
Nous avons déjà entamé une analyse en profondeur de notre futur rôle sur la scène européenne afin de formuler une réponse appropriée aux défis qui nous sont lancés. Il faut intensifier nos débats et il faut non seulement maintenir, mais aussi accélérer le rythme imprimé à nos activités. Les efforts déployés par le Conseil de l’Europe doivent assurément déboucher sur l’organisation, dans un proche avenir, d’un 3e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement. Nous avons besoin d’un sommet bien préparé et couronné de succès, capable de générer l’élan politique nécessaire au développement des activités du Conseil de l’Europe – un sommet qui permettra de revigorer notre Organisation en tant que chef de file sur la scène européenne et en tant que plate-forme du renforcement de la coopération entre ses membres et l’Union européenne.
Il serait toutefois souhaitable de convoquer ce sommet après l’achèvement des réformes constitutionnelles internes de l’Union européenne, car alors seulement il sera possible d’engager une réflexion en profondeur sur la question cruciale du futur partenariat entre le Conseil de l’Europe et l’Union. Une Europe en pleine mutation a besoin non seulement de formaliser et d’intensifier le dialogue politique entre les deux organisations; elle a également besoin de renouveler le cadre dans lequel Conseil et Union coopèrent en vue de clarifier leurs relations. Les changements qui interviendront au sein des deux institutions exigeront l’instauration d’un nouveau partenariat fondé sur le renforcement de la complémentarité de leurs activités respectives.
Cette harmonisation doit aller de pair avec la sauvegarde de l’intégrité et de la cohérence du mécanisme de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ce qui suppose que l’Union européenne ratifie cet instrument. Chypre continuera d’œuvrer en faveur de la réalisation de cet objectif.
Une cour efficace est une cour dont les arrêts sont exécutés pleinement et avec diligence. A défaut de garantir l’application des arrêts de la Cour dans un délai raisonnable, on remettra gravement en question les succès enregistrés par le Conseil de l’Europe au cours des cinquante dernières années en vue de la réalisation de cet objectif majeur. On sapera les fondations mêmes de la protection des droits de l’homme. On ne peut rester les bras croisés alors que des Etats membres ignorent délibérément les arrêts de la Cour. L’application en 2003 seulement, par la Turquie, de l’arrêt Loizidou, datant de 1998, fait apparaître très clairement la gravité du problème, problème qui est également mis en exergue par le refus persistant de l’Etat défendeur d’exécuter l’arrêt au principal dans l’affaire Loizidou de 1996, arrêt qui concerne la décision de la Cour sur les violations de la Convention. Aucun Etat ne devrait pouvoir, sous prétexte de diverses considérations ou nécessités politiques, se soustraire aux obligations auxquelles il a souscrit sans réserve lors de son adhésion.
Nous sommes convaincus de la nécessité de hâter la conclusion du processus de réforme en cours en finalisant les négociations sur le nouveau projet de protocole additionnel no 14 à la Convention européenne des Droits de l’Homme. A cet égard, tout échec constituerait un sérieux revers pour cette Organisation. Nous nous trouvons à un point critique de la réforme et les mois à venir seront cruciaux. La République de Chypre attend que ce protocole soit présenté à la session ministérielle de mai. Nous continuons de participer activement à la réalisation de cette réforme d’une importance vitale.
De graves violations des droits de l’homme continuent d’être commises à Chypre. Nous nous efforçons toujours de faire la lumière sur le sort de tous les Chypriotes grecs et de tous les Chypriotes turcs disparus lors de l’invasion de l’île par les forces armées turques en 1974. Il ne s’agit pas là uniquement d’une violation permanente des droits de nos citoyens et de leurs familles, mais d’une question humanitaire de la plus haute importance. De plus, les droits des quelques personnes enclavées dans la partie occupée de l’île continuent d’être foulés aux pieds jour après jour. L’exemple le plus frappant de ces violations est le refus persistant et injustifiable du droit à un enseignement secondaire pour les enfants des familles concernées, refus pour lequel aucun motif n’est avancé. Le Conseil de l’Europe a reconnu ces violations en adoptant l’année dernière à une écrasante majorité le rapport et la résolution sur les droits et libertés fondamentaux des Chypriotes grecs et des Maronites vivant dans la partie nord de Chypre.
Tant les droits des personnes disparues que ceux des personnes enclavées font partie de l’arrêt de la Cour dans la quatrième affaire interétatique de Chypre c. la Turquie. Le suivi de l’exécution de cet arrêt a été confié au Comité des Ministres. Malheureusement, pour la troisième année consécutive, nous avons été une fois de plus confrontés aux tactiques d’obstruction bien connues de l’Etat défendeur. Je profite de ma présence ici aujourd’hui pour demander le soutien actif de cette Assemblée, qui a toujours été un fervent défenseur des droits de l’homme, dans l’espoir de mettre fin le plus tôt possible à ces violations qui durent depuis trente ans.
La question de Chypre doit être réglée au plus vite; l’île a besoin d’une solution fonctionnelle et viable qui réponde aux aspirations de tous les Chypriotes, restaure leurs droits de l’homme en les alignant sur les normes du Conseil de l’Europe, renforce la sécurité et leur permette de prospérer au sein de l’Union européenne.
Certaines déclarations publiques faites ces derniers jours par la Turquie donnent à penser que le pays est en train d’élaborer une nouvelle approche à l’égard de l’occupation illégale d’une partie du territoire chypriote par les troupes turques. J’espère sincèrement que ces déclarations correspondent à la réalité et qu’elles ne relèvent pas uniquement d’une campagne de relations publiques. Malheureusement, l’impression initiale a été brouillée par d’autres déclarations contradictoires venant infirmer les précédentes.
Il ne serait pas sage de se hâter de tirer des conclusions avant d’avoir reçu des informations officielles fiables sur ce nouvel état de choses.
Dans le cadre des efforts constants que nous déployons en vue de trouver au problème chypriote une solution négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et à l’acquis communautaire, j’ai adressé, le 17 décembre 2003, à M. Kofi Annan, une nouvelle lettre dans laquelle je réitérais ma ferme volonté d’engager des négociations véritables sur la base de son plan et sous ses auspices, conformément aux nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et du mandat qu’elles confèrent à leur Secrétaire général, en lui laissant le soin de décider du calendrier.
Depuis l’échec des négociations de La Haye, en mars 2003, en raison du rejet, par la partie chypriote turque du plan Annan, nous n’avons cessé de plaider en faveur de la reprise du processus des Nations Unies le plus tôt possible en vue de parvenir à une solution avant le 1er mai 2004, pour qu’une Chypre réunifiée puisse adhérer à l’Union européenne. Malheureusement, l’attitude négative de la partie turque vient contrarier tous nos efforts.
Pour répondre à la campagne de relations publiques en cours au nom de la Turquie, je tiens à réaffirmer de façon catégorique que la partie chypriote grecque et moi-même sommes disposés à répondre à toute invitation de la part du Secrétaire général à un nouveau tour de négociations, sur la base de son plan en vue de rechercher une solution juste et durable. Une telle solution permettra à Chypre de jouer pleinement son rôle au sein de l’Union européenne, après son adhésion, le 1er mai prochain; un rôle de membre constructif et non de trublion.
Quel que soit le moment où nous serons invités à un nouveau tour de négociations sous les auspices du Secrétaire général des Nations Unies, et conformément à son mandat, nous répondrons présents, et ce sans poser aucune condition.
Nous sommes prêts à engager immédiatement des négociations constructives sur la base, et conformément, tant au plan Annan et aux paramètres qu’il énonce, que des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies en vue de parvenir, si possible avant le 1er mai 2004, à une solution fonctionnelle et, partant, viable au problème de Chypre; une solution qui permettra la pleine participation de Chypre à l’Union européenne. J’espère de tout cœur que la partie turque manifestera la même volonté politique.
La République de Chypre, membre de longue date du Conseil de l’Europe et qui se trouve à la veille de son adhésion à l’Union européenne, continuera de travailler à la poursuite de nos objectifs communs. Du fait de notre histoire, entachée par les attaques contre notre unité et notre souveraineté, de notre position géographique entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, de la coexistence très ancienne, sur l’île, de différentes religions, cultures et modes de vie, nous sommes particulièrement sensibles à la sauvegarde et à la promotion de tous les éléments de l’intégration européenne.
Au début de mon discours, j’ai évoqué Strasbourg, cité emblématique du parcours de l’Europe vers la paix, la stabilité et la réconciliation. Strasbourg est le témoin du succès des efforts que nous déployons en vue de l’intégration de la Grande Europe. A l’opposé se trouve Nicosie, la capitale de Chypre, seule ville européenne à être encore divisée par un mur, un mur qui vient heurter notre vision d’une Europe unie.
Je vous exhorte à mettre fin à cet anachronisme. Je vous remercie.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci beaucoup, Monsieur Papadopoulos, pour votre allocution fort intéressante. Plusieurs parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser une question.
Je leur rappelle qu’ils disposent pour ce faire de trente secondes au maximum. Il s’agit de poser des questions et non de prononcer des discours.
Les questions portant sur le même thème seront groupées et les questions supplémentaires seront autorisées à la fin de notre dialogue, mais uniquement s’il reste suffisamment de temps.
Le premier groupe de questions porte sur l’adhésion de Chypre à l’Union européenne.
La parole est à M. Cox, pour poser la première question. Je vous rappelle que vous disposez de trente secondes.
M. COX (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur Papadopoulos, c’est vraiment un grand plaisir que d’avoir l’occasion de vous accueillir aujourd’hui dans cette enceinte. L’adhésion de Chypre à l’Union européenne en mai prochain alimente bien des débats. J’aimerais savoir si vous pensez que, étant donné que M. Denktash estime être en droit d’adhérer à l’Union, Chypre y entrera en tant qu’Etat unifié ou sous la forme de deux Etats?
M. DAVERN (Irlande) (traduction)
Je tiens, moi aussi, à souhaiter la bienvenue au Président de Chypre. Comment avez-vous préparé l’île à son adhésion à l’Union européenne en mai prochain et quels bénéfices attendez-vous de cette adhésion sur les plans économique et politique notamment?
M. MEALE (Royaume-Uni) (traduction)
Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous remercier d’emblée pour la référence que vous avez faite aux personnes disparues, question qui constitue une vive source de préoccupation pour les Chypriotes réfugiés en Grande-Bretagne. Ma question porte sur l’adhésion de Chypre à l’Union européenne le 1er mai. Selon le traité d’adhésion, l’application de l’acquis devra être suspendu dans les zones de la république dans lesquelles votre gouvernement n’exerce pas un contrôle effectif. Quelles mesures votre gouvernement a-t-il prises ou compte-t-il prendre pour que les Chypriotes turcs vivant dans la partie occupée puissent bénéficier des mêmes droits que leurs homologues chypriotes grecs?
M. Papadopoulos, Président de la République de Chypre (traduction)
M. Cox a touché du doigt la question qui se situe au cœur du problème de Chypre: l’île abritera-t-elle un Etat ou deux? Le plan Annan a pour objectif de réunifier Chypre en un seul Etat. Nous sommes prêts à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour renforcer les éléments unificateurs d’une solution pour Chypre, de sorte qu’un seul Etat puisse adhérer à l’Union le 1er mai. Si, malgré toute notre volonté et tous nos efforts, cela se révélait impossible, Chypre se heurtera à des problèmes pratiques pour honorer ses obligations dans le cadre de l’acquis communautaire. Il est dans l’intérêt de tous les Chypriotes qu’une Chypre unifiée adhère à l’Union européenne.
Nous sommes disposés à faire preuve de la plus grande souplesse et à tout mettre en œuvre en vue de parvenir à une solution durable et viable, mais il est un point qui ne peut être négociable et sur lequel nous nous montrerons intransigeants: nous n’accepterons pas de solution qui implique l’existence de deux Etats souverains à Chypre. Ce qui serait d’autant plus ridicule qu’une petite île comme Chypre disposerait de deux voix au Conseil des ministres de l’Union européenne alors que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni n’en ont qu’une seule!
Comment avons-nous préparé Chypre à son adhésion à l’Union? J’ai présidé la Commission des affaires étrangères et européennes du Parlement chypriote pendant la majeure partie des négociations d’adhésion. Au sein de cette commission est représenté tout l’éventail des partis, de l’aile communiste à l’aile d’extrême droite, mais nous avons réussi à adopter près de 815 dispositions législatives en dix-huit mois en vue d’harmoniser notre législation avec celle de l’Union. Toutes ces dispositions, sauf deux, ont été adoptées à l’unanimité, ce qui illustre de façon magistrale la volonté politique de Chypre de devenir un membre constructif et actif de l’Union européenne.
Pour chacune de ces dispositions, nous avons invité des représentants des organisations des différentes parties intéressées pour leur expliquer de quoi il retourne et demander leur approbation. Il faut bien reconnaître que les mesures européennes ne sont pas toujours bien accueillies, notamment lorsqu’elles touchent au portefeuille ou affectent les intérêts spécifiques des gens, mais le gouvernement s’efforce de mettre pleinement en œuvre l’acquis communautaire. Dans le cadre de notre politique sociale, c’est à nous qu’il appartient de protéger les intérêts des couches les plus faibles de la population.
La semaine dernière, nous avons publié un rapport sur les différentes mesures prises en vue de l’unification. Nous avons accompli un travail préparatoire considérable et j’espère que, vers la fin février, la Commission ne manquera pas de féliciter Chypre pour avoir su garder la première place parmi les pays candidats.
Pour ce qui est des bénéfices politiques et économiques, Chypre n’a, pour diverses raisons, notamment économiques, participé à aucun des fonds de préadhésion. Sans citer de chiffres, on peut toutefois dire que, pour Chypre, le coût est énorme, puisqu’il représente une fois et demie le budget annuel de l’Etat. Nous avons financé toutes les mesures d’harmonisation sur nos fonds propres. Chypre sera un contributeur net, mais cela ne signifie pas que nous ne retirerons pas de bénéfices de notre adhésion. Lorsque j’étais président de notre Commission des affaires étrangères et européennes, j’ai été parfois critiqué pour avoir dénoncé chacune des difficultés rencontrées, mais ces critiques étaient injustes. Bon nombre des mesures exigées par l’Union visent à la modernisation, à l’amélioration du niveau de vie, à l’amélioration de la qualité de l’air et de l’eau, et à la protection des consommateurs. Même si l’Union européenne n’existait pas, il nous aurait fallu prendre ces mesures. Peut-être la hâte d’adhérer a-t-elle donné un nouvel élan à la modernisation de notre société, de notre manière de gouverner et de notre efficacité.
Nous nous apprêtons à rejoindre une communauté avec un marché fort de plus de 500 millions de personnes. Pour faire face à la concurrence, nos produits doivent devenir plus compétitifs, mais l’accroissement des exportations permettra un accroissement de la prospérité des citoyens.
Chypre a toujours fait partie de l’Europe – et ce depuis bien avant que celle-ci ne soit créée, puisque l’Europe de la mythologie est passée par Chypre avant de venir sur le continent.
M. Meale a posé la question de savoir quelles mesures nous comptons prendre en faveur des Chypriotes turcs. On ne peut offrir à quelqu’un une quelconque assistance si, pour des raisons politiques, ce quelqu’un la refuse. Toutefois, depuis l’ouverture partielle de la «Ligne verte», nous avons pris bon nombre de mesures – quatorze au total – en vue de fournir une aide médicale gratuite, des bourses, des emplois et des services sociaux à nos compatriotes chypriotes turcs. C’est avec plaisir que nous avons accompli ces démarches. Depuis environ neuf mois, les populations peuvent circuler librement. On a enregistré 1,8 million de passages, sans aucun incident, ce qui fait voler en éclats le mythe selon lequel les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs ne peuvent coexister pacifiquement et prospérer ensemble.
Les mesures que nous avons prises nous ont coûté, rien que pour la période allant d’avril à décembre 2003, 40 millions de livres chypriotes – si tant est que ce chiffre représente quelque chose pour vous -, ce qui constitue un pourcentage considérable de notre budget annuel, qui s’élève à 1 milliard de livres.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur le Président.
Le groupe de questions suivant a trait au plan Annan. La parole est à M. Mercan.
M. MERCAN (Turquie) (traduction)
La Turquie et la partie chypriote turque ont proposé un certain nombre de mesures de confiance. Le Premier ministre turc a rencontré M. Annan le week-end dernier à Davos, où il a réitéré le soutien de la Turquie à une reprise rapide des négociations sur la base du plan Annan. Le Premier ministre, qui doit rencontrer le Président Bush aujourd’hui, est porteur du même message. Le nouveau gouvernement de la république turque du nord de Chypre insiste également pour délivrer un message clair à cette fin. Pensez-vous que le moment soit venu pour les deux parties de se montrer plus constructives et de proposer de nouvelles mesures de confiance en vue de contribuer au processus de paix et de réconciliation en prenant le plan Annan comme point de référence?
M. PAVLIDIS (Grèce) (traduction)
Je tiens à souhaiter la bienvenue au Président Papadopoulos, l’un des protagonistes de la création sur l’île de Chypre d’un seul Etat. Il a également joué, comme son prédécesseur, M. Clerides, un rôle de premier plan dans le processus d’adhésion de Chypre à l’Union européenne. Je tiens également à vous féliciter, Monsieur le Président, pour l’approche que vous avez adoptée à l’égard des principaux défis lancés pour l’avenir du Conseil de l’Europe.
J’aimerais vous poser une question qui a été soulevée par bon nombre de membres de cette Assemblée. Vous avez déclaré approuver fondamentalement le plan Annan en tant que moyen de parvenir à un règlement politique de la question de Chypre. Toutefois, vous avez demandé à plusieurs reprises des modifications. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les points de ce plan que vous estimez nécessaire de rediscuter?
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. Monsieur Papadopoulos, vous pouvez, à votre convenance, répondre de votre siège ou du lutrin.
M. Papadopoulos, Président de la République de Chypre (traduction)
Je préfère rester debout pour encaisser les coups!
Pour ce qui concerne la question de M. Mercan à propos du plan Annan, je pense que ce qu’on entend au sujet des nouveaux efforts déployés par M. Erdogan est à la fois troublant et contradictoire. Le Secrétaire général, que je dois rencontrer demain à Bruxelles, m’informera certainement officiellement des propositions de M. Erdogan. C’est la raison pour laquelle je souhaite réserver ma position pour ce qui concerne notre réaction jusqu’à ce que j’aie été pleinement informé. Hier, M. Erdogan a prononcé, à New York, un discours dans lequel il a énoncé les points principaux de ses propositions et commenté certaines des déclarations qu’il avait faites auparavant.
Comme on l’a dit, M. Erdogan a présenté son plan et nous l’avons accepté en tant que base de négociation. Dans sa décision antérieure, le Conseil national de sécurité de la Turquie indiquait que le processus se poursuivrait en se référant au plan Annan, mais sur la base des réalités de Chypre. Or, au vu des déclarations précédentes, y compris bon nombre de déclarations officielles, on sait que, lorsque les intéressés parlent de «réalités», ils se réfèrent à celles qui ont vu le jour après l’invasion: deux Etats, deux peuples – comme ils le prétendent – et deux souverainetés.
Si le point de référence correspond à ce qu’a indiqué M. Erdogan, tout ce que nous tirerons du plan Annan, c’est ce qu’il appelle les principes fondamentaux. Selon M. Erdogan, nous aurons un plan abrégé qui sera soumis à référendum jusqu’au 1er mai. Avec tout le respect que je lui dois, force m’est de constater qu’il va totalement à l’encontre de ce que demande M. Annan; l’approche de la Turquie ne se fonde pas sur le plan Annan, puisqu’elle propose un plan parallèle.
Il faut en premier lieu se référer à toutes les décisions du Conseil de sécurité qui donnent à M. Annan mandat pour parler d’une solution globale applicable. Dans son introduction, le plan Annan dit qu’il s’agit d’un plan global. En deuxième lieu, «bons offices» signifie que c’est le Secrétaire général qui conduit les négociations, mais que rien n’est convenu jusqu’à ce que tout soit convenu – selon le principe du tout en un. Mais que dit M. Erdogan dans son discours public? Il prend les principes fondamentaux, les cartes et les questions constitutionnelles, et se réfère à une trame de principes soumis à référendum.
Il ne s’agit pas là du plan Annan et il ne s’agit pas non plus d’un pas en avant. C’est une régression. Nous en revenons aux idées centrales que M. Boutros-Ghali avait exposées en 1991 lorsqu’il parlait de principes généraux et non de plan global. J’espère que ce ne sont pas là les propositions de M. Erdogan parce que si c’est cela qu’il veut soumettre à référendum, il ne respecte pas les conditions définies le 1er avril 2003 tant dans le plan Annan que dans les résolutions du Conseil de sécurité. Il se référera, au contraire, à un référendum qui portera sur autre chose – sur un train de mesures différent du plan Annan.
Certains diront, avec quelque raison, qu’il s’agit là d’un exercice de relations publiques et non pas de l’expression d’un véritable effort en vue de la recherche d’une solution globale et applicable au problème de Chypre. Comme je l’indiquais tout à l’heure, je serai en mesure d’en dire bien plus sur la question demain.
J’espère, Monsieur Pavlidis, que vous comprendrez qu’il serait à la fois peu sage et contre-productif d’entreprendre publiquement des négociations en énumérant certaines des modifications que nous souhaiterions voir accomplies dans le cadre du plan Annan. Je puis toutefois évoquer certaines grandes lignes. La question du financement constitue un aspect du plan, mais personne ne l’a encore examinée sérieusement. Des économistes internationalement reconnus ont mené des études à ce propos et avancé quelques idées intéressantes. Le deuxième point concerne l’amélioration de la fonctionnalité du plan à l’égard de l’Union européenne. Lorsque nous parlons de changements, nous n’entendons pas nécessairement priver la communauté chypriote turque, ou quelque autre communauté, de certains de ses droits, parce que si on arrive à une solution à laquelle auront participé les deux communautés et si ces dernières souhaitent travailler ensemble sur la question de l’Union européenne, il sera dans leur intérêt que nous puissions fonctionner comme un partenaire constructif et non comme un membre qui gênerait les travaux de l’Union.
Ceux qui suivent les travaux de l’Union européenne savent bien que le rythme des prises de décision est rapide. Dans le cadre d’un processus «donnant, donnant», Chypre doit pouvoir jouer pleinement son rôle de membre constructif de l’Union européenne et non le rôle d’un observateur passif des délibérations de l’institution.
La question ne concerne pas uniquement Chypre, mais aussi la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie. C’est une question de sécurité, sur laquelle on ne s’est pas encore accordé. On comprendra que, dès lors que nous consentirons des sacrifices et paierons un certain prix pour avoir une solution viable, nous devrons au moins avoir une garantie pour la sécurité de la population chypriote, une garantie que la violence ne reviendra plus jamais sur l’île. Il s’agit là d’une question cruciale, sur laquelle les trois puissances garantes ne se sont pas encore accordées. Vous voudrez bien m’excuser de ne pas développer plus avant ce sujet aujourd’hui. J’espère que les pourparlers débuteront bientôt; nous sommes prêts à présenter nos propositions.
Lord KILCLOONEY (Royaume-Uni) (traduction)
Le Président a accueilli avec enthousiasme la liberté de circulation des Chypriotes grecs du sud de l’île vers la partie nord. Malheureusement, cette mesure ne vaut pas pour les citoyens de l’Union européenne vivant eux aussi dans le sud de Chypre. Il y a dix jours à peine, votre gouvernement a fait parvenir, à toutes les missions des pays de l’Union à Nicosie, une notice visant à décourager les citoyens de l’Union de se rendre dans le nord pour des raisons de sécurité. Mais étant donné que des milliers de citoyens de l’Union vivent heureux dans la partie nord de Chypre et ne connaissent pas de problèmes de sécurité particuliers, j’aimerais savoir la raison de ces instructions tendant à décourager le passage de la «Ligne verte» par les citoyens de l’Union européenne.
M. Papadopoulos, Président de la République de Chypre (traduction)
Tous les citoyens européens entrés et résidant légalement – et je souligne légalement – à Chypre jouissent d’une totale liberté de mouvement. Il existe des ports d’entrée internationalement reconnus. Si ces personnes ne résident pas dans des maisons ou des propriétés appartenant à des Chypriotes grecs, elles sont soumises aux mêmes contrôles que toutes les autres personnes qui entrent sur le territoire chypriote, pour vérifier qu’elles ne s’y trouvent pas illégalement et qu’il n’y a aucune violation des lois municipales du pays. Non seulement les gens sont libres de circuler, mais ils y sont encouragés.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. Puisque M. Agramunt Font de Mora est absent, nous sommes arrivés à la fin de notre dialogue avec M. Papadopoulos que, au nom de l’Assemblée, je remercie vivement pour son allocution ainsi que pour les réponses qu’il a faites aux questions des parlementaires. Comme nous sommes un peu en avance sur notre horaire, l’Assemblée se réjouirait que vous puissiez assister au moins au début de notre débat sur Chypre.
M. Papadopoulos, Président de la République de Chypre (traduction)
Je regrette de devoir décliner votre aimable invitation à assister au débat sur le rapport de M. Eörsi, mais j’ai une autre obligation à 11 heures.