Georges A.
Papandreou
Premier ministre de la République hellénique
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 26 janvier 2010
Monsieur le Président, – je vous remercie pour vos aimables propos -. Souvent, on sous-estime aussi bien le caractère unique que l’importance de nos institutions et de nos pratiques communes. Je viens ici à Strasbourg en portant sans doute plusieurs casquettes, mais je suis toujours admiratif devant vos travaux, comme devant tous les efforts que déploient en commun les Européens et aussi devant tous les résultats obtenus. Malgré tant de cultures, de pays, de traditions, de langues différentes, bien que l’Histoire y ait été souvent tragique, une Assemblée commune a pu être créée ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité pour la prévention de la torture, la Commission pour lutter contre le racisme et l’intolérance. Bien d’autres enceintes communes ont pu voir le jour. Ensemble, nous avons fait le vœu de nous plier à des institutions supranationales qui garantissent que nous soyons en mesure de vivre ensemble sur la base de valeurs, de principes, de lois, de normes communs et dans le respect mutuel, dans le respect de notre humanité. Ces institutions, ces pratiques, ces résultats, il ne faut pas les minimiser.
Puisque c’est la première fois que j’ai l’occasion de le faire publiquement, je veux féliciter M. Jagland de son élection au poste de Secrétaire Général de cette institution. Cela fait longtemps que je le connais. Lorsque je l’ai connu, j’étais un réfugié, et la Grèce n’était pas un pays démocratique. Je me suis rendu chez lui avec mon père qui avait un passeport norvégien en tant que réfugié. Il ne pouvait pas rentrer en Grèce. Nous étions à Oslo. C’est donc pour moi un moment émouvant que de me retrouver ici devant lui et devant de nombreux amis. M. Jagland était alors un militant ardent de la démocratie dans mon pays. Il nous a aidés. Je tiens aujourd’hui à le remercier. Tout comme je le remercie par avance des efforts qu’il déploiera pour donner un souffle nouveau au Conseil de l’Europe, pour le redynamiser. Le Conseil de l’Europe est l’une des plus anciennes institutions de notre continent. Certains pourraient dire qu’après soixante ans au service des droits de l’homme, de la démocratie parlementaire et de la prééminence du droit, on est parvenu à un degré de maturité tel que les objectifs sont atteints sur le continent. Mais ce n’est pas ce que pensent nos concitoyens. Je prendrai un exemple fragrant: la Cour européenne des droits de l’homme croule littéralement sous un nombre de requêtes sans précédent. L’augmentation a été constante au cours de la décennie écoulée. Si, cela démontre le prestige de l’institution, sa légitimité aux yeux de nos concitoyens, cela démontre aussi qu’il faut poursuivre les efforts pour qu’elle fonctionne efficacement. Dans cette optique, j’attends beaucoup de la conférence d’Interlaken, et je remercie la Présidence suisse pour son initiative. L’application du principe de subsidiarité au niveau national et au niveau de la Cour et la reconnaissance de l’importance des requêtes individuelles constituent évidemment des facteurs essentiels.
J’irai plus loin: le Conseil de l’Europe, tout comme l’Union européenne, ont comme mission considérable de poursuivre leur lutte pour humaniser et démocratiser le processus de mondialisation.
“Le monde a besoin de plus d'Europe, pas de moins”
Permettez-moi de vous dire comment je vois cette mondialisation: comme le Far West. En effet, ces nouvelles frontières offrent de nombreuses opportunités pour s’enrichir, mettre en valeur de nouvelles ressources. Autrefois, l’on avait affaire à des chercheurs d’or et de pétrole, aujourd’hui, on s’intéresse à d’autres richesses, telles que les nouvelles technologies.
Au Far West, il n’y avait pas de lois, pas d’Etat de droit: les tribus étaient exterminées et les richesses pillées. Les bandits devenaient shérifs, c’était la loi du plus fort.
La mondialisation est comparable au Far West: possibilité de grandes richesses, mais peu de règles. Qu’il s’agisse de la crise financière, de la lutte pour les ressources énergétiques, du changement climatique, de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, il y a une absence de normes et de valeurs communes, une absence d’institutions pour régler collectivement et efficacement ces problèmes.
La récente Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement à Copenhague en est un exemple: on n’a pas su mettre en place un processus pour faire face à une menace considérable, peut-être la pire pour l’avenir de l’humanité. Sans doute n’avons-nous même pas eu la volonté politique nécessaire.
Il ne faut pas que la mondialisation devienne le Far West. On assiste à une concentration inédite des richesses, des médias, du pouvoir entre les mains d’un très petit nombre de personnes, ce qui menace les institutions démocratiques. Les responsables politiques font l’objet de sollicitations permanentes et sont de plus en plus dépendants d’une présentation favorable dans les médias, s’ils veulent être élus. Et s’ils ne veulent pas coopérer, on essaie tout simplement de les acheter.
Cette absence de transparence, cette concentration du pouvoir et des richesses entre les mains de quelques-uns, cette absence de contrôle démocratique expliquent largement la crise financière, partie des Etats-Unis.
Le problème du changement climatique est un problème mondial: une prise de conscience au niveau de la planète est indispensable. Les Etats nations, les parlements nationaux ne pourront pas, à eux seuls, résoudre le problème.
Nos citoyens, plutôt que d’avoir le sentiment que leur pouvoir s’accroît, se sentent de plus en plus impuissants et frustrés; d’où des craintes qui minent leur confiance dans les institutions démocratiques. De cette insécurité découle deux attitudes, le défaitisme ou l’extrémisme, qui favorisent le populisme.
Par ailleurs, il convient de prendre en compte le fait que nous sommes de plus en plus multiethniques. La xénophobie et le racisme sont maniés par certains politiques de façon extrêmement habile, alors que nous devrions utiliser cette diversité – une véritable richesse – pour créer de nouvelles solidarités indispensables pour faire face aux nouveaux défis que la planète connaît.
Si nous ne sommes pas capables de relever ces défis d’une manière qui renforce nos démocraties et les droits de l’homme, nous assisterons à une concurrence exacerbée sur toute la planète pour l’accès aux richesses, et à une peur et une insécurité croissantes au sein de nos sociétés.
Il est donc indispensable d’humaniser et de démocratiser la mondialisation, sinon elle deviendra synonyme de violence et de barbarisme.
Existe-t-il un modèle? Il existe certes un modèle européen.
En Grèce, lorsque nous sommes sur l’Acropole, face au Parthénon, nous voyons l’ancienne agora: un marché, mais également un forum où les citoyens pouvaient s’exprimer. Or autrefois, le marché et la politique étaient unis. Aujourd’hui, ils suivent des voies différentes, et il conviendrait de rétablir la place de la politique pour qu’elle s’exerce aussi sur l’économie.
De l’Acropole, on voit également la colline du Pnyx, d’où n’importe qui pouvait s’adresser à une assemblée. Aujourd’hui, les politiques ne peuvent s’adresser à la population que par le filtre des médias. Là aussi, il convient d’insuffler davantage de démocratie; le cyber-espace offre de nouvelles possibilités, même s’il comporte des menaces potentielles importantes.
La Grèce antique était un Etat démocratique, qui avait des qualités, mais également des défauts – notamment des esclaves. Mais on pouvait accéder à la liberté en prenant la nationalité grecque. Être grec n’est pas une question d’ADN. Comme Isocrate l’a dit, être grec signifie avoir une éducation grecque et partager les valeurs grecques.
N’est-ce pas similaire à ce que nous essayons de faire ici au Conseil de l’Europe et dans l’Union européenne? N’est-ce pas le principe à appliquer pour intégrer les nouveaux migrants, les réfugiés dans nos sociétés?
Tout cela n’est possible qu’en renforçant la participation démocratique, en mobilisant la société civile: deux facteurs essentiels de la bonne gouvernance. C’est la raison pour laquelle, le gouvernement grec a décidé de proposer au Parlement un projet de loi qui accorderait la citoyenneté aux enfants de migrants nés en Grèce.
De l’Acropole, on voit aussi la mer Égée qui s’étend sur un espace où les valeurs sont partagées. Dans le monde actuel, nous avons besoin de plus d’Europe et non de moins d’Europe. Le projet européen est un projet de paix, une façon de faire face à la mondialisation. Nous pouvons être un modèle pour le monde. Nous sommes à l’origine très différents, mais nous démontrons que des nations, des cultures, de langues, des traditions différentes peuvent unir leurs efforts et se reconnaître dans des valeurs fondamentales comme dans des pratiques communes, qui garantissent la prééminence du droit et une mondialisation démocratique et humaine. D’où l’importance de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Une charte protégeant les droits fondamentaux évite des normes nationales différentes qui affaibliraient l’un des piliers essentiels de l’intégration européenne.
Collectivement, nous pouvons mieux exercer notre responsabilité pour faire face aux défis: le changement climatique, le développement durable, le terrorisme, le crime organisé, les migrations, le racisme, toutes questions qui réclament des solutions urgentes et qui pourraient menacer le tissu social de nos pays. Il s’agit de questions complexes, mais elles nous affectent tous de bien des façons. Nous pouvons les affronter sur la base de nos valeurs communes en faisant preuve de détermination, en trouvant un équilibre délicat entre des intérêts parfois contradictoires. Le principe fondamental qui n’est toutefois pas négociable reste le respect des droits de l’homme.
L’Europe a déjà parcouru un très long chemin, mais nous pouvons faire bien plus. Nous sommes encore marqués par certains conflits hérités de l’Histoire. Des divisions subsistent sur notre continent, notamment dans la région dont je suis originaire. Il nous faut progresser. L’élargissement de l’Europe, en particulier de l’Union européenne à l’Europe du Sud-Est peut et doit être une nouvelle occasion de faire triompher la prééminence du droit et de la paix. Il convient de trouver une solution durable aux problèmes non résolus – Chypre, le Caucase, la Géorgie – qui menacent la sécurité et la stabilité en Europe. Cela fait plus de trente-cinq ans que la Turquie a envahi la République de Chypre. L’occupation perdure et les deux communautés de l’île restent séparées. Les droits de milliers de Chypriotes grecs ont été violés, des hommes et des femmes ont été soit chassés, soit opprimés. Les violations ont été reconnues par la Cour européenne des droits de l’homme et les arrêts doivent être pleinement mis en œuvre et respectés par tous, y compris par la Turquie.
D’autres problèmes se posent. On s’est souvent appuyé sur l’existence des minorités pour faire valoir des thèses séparatistes et les minorités elles-mêmes ont souvent été victimes, parce qu’elles ont été exploitées ou manipulées, notamment par les séparatistes. C’est pourquoi il faut une protection des droits des minorités, par-delà les frontières au plan du droit international. Selon moi, le meilleur remède au problème des minorités réside dans la garantie des droits de l’homme pour tous. Voilà pourquoi d’ailleurs, ces dernières années, le Conseil de l’Europe a joué un rôle pionnier pour fixer des normes, en particulier en Europe du Sud-Est qui, traditionnellement, est une région déchirée par les conflits ethniques.
En ce qui concerne la minorité musulmane de Thrace, permettez-moi de dire ce qui apparaît comme une lapalissade: il s’agit de citoyens grecs, ils bénéficient des mêmes droits que tous les autres Grecs face à la loi. Au cours de la dernière décennie, nous n’avons pas ménagé nos efforts pour améliorer le niveau de vie dans la région, car ces mesures positives visent à favoriser la compréhension et la sécurité intérieure. La Grèce a pris de nouvelles initiatives au cours des dernières années. N’oublions pas l’Agenda de Thessalonique sous la présidence de l’Union européenne en 2003, et l’Agenda 2014 s’inscrit dans cette logique. Plus récente, cette initiative vise à intégrer les Balkans occidentaux et à leur donner une perspective d’adhésion réelle à l’Union européenne dans les limites d’un calendrier précis.
2014 sera une date symbolique, précisément cent ans après le début de la première guerre mondiale. Il s’agit de créer des incitations pour que ces pays accélèrent le rythme de leurs réformes. La Grèce négocie activement avec l’ex-République yougoslave de Macédoine, sous les auspices de l’ONU, pour régler des problèmes bilatéraux. Malgré les résolutions du Conseil de l’Europe et du Conseil de sécurité de l’ONU, nous n’avons pas encore trouvé de solutions pour fixer le nom du pays, l’ex-République yougoslave de Macédoine.
D’autres questions restent à traiter du point de vue du droit international. Par exemple, le problème des minorités grecques, qui sont importantes en Albanie. Nous travaillons dans une perspective européenne et internationale en étroite coopération avec les autorités albanaises. Les relations entre la Grèce et l’Albanie ne cessent de s’améliorer. Plus l’Albanie se rapprochera des normes européennes, plus elle fera siennes les valeurs européennes.
En août 1949, nous sommes devenus le onzième Etat membre du Conseil de l’Europe. Nous avions pris des engagements et nous les respectons. Nous sommes fiers de cette grande Organisation et vous devrez être fiers de ce que vous faites en faveur de l’Europe et de son avenir.
Votre Assemblée parlementaire continue à effectuer un travail remarquable, notamment pour contribuer au renforcement de l’Etat de droit et pour renforcer la démocratie dans les nouveaux Etats d’Europe centrale et orientale.
En 2009, la Grèce a présidé l’OSCE et a tenté de promouvoir les complémentarités dans une série de domaines clés. Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer fréquemment, Monsieur le Président, ainsi que les représentants de votre pays. Monsieur Çavuşoğlu, je voudrais vous féliciter pour votre élection et vous souhaiter grand succès. Je suis certain que vous accomplirez l’ensemble du programme que vous avez décrit dans votre discours inaugural et que nous pourrons développer des relations harmonieuses entre nos deux pays à l’occasion de cette présidence turque qui est la première depuis la fondation du Conseil de l’Europe. En tout cas, la Grèce ne ménagera pas ses efforts pour promouvoir des relations de bon voisinage.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur Papandréou, merci pour cette allocution très intéressante.
Les membres de l’Assemblée ont exprimé le vœu de vous poser des questions. Je rappelle qu’elles ne doivent pas dépasser trente secondes.
La parole est à Mme Bakoyannis, au nom du Groupe du Parti populaire européen.
Mme BAKOYANNIS (Grèce) (interprétation)
Monsieur le Premier ministre, vous venez de parler de l’Agenda 2014. Mais le problème de la Grèce vis-à-vis de l’ex-République yougoslave de Macédoine reste persistant. Malgré les négociations menées par l’intermédiaire des Nations unies, aucun progrès n’a été enregistré. Vous vous êtes entretenu à plusieurs reprises avec le Premier ministre de ce pays. J’aimerais savoir si vous avez constaté un changement de point de vue, qui pourrait laisser entrevoir une lueur d’optimisme.
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Un mot sur l’Agenda 2014. Depuis plusieurs années, l’Union européenne est confrontée à une usure liée à l’élargissement. Des craintes se manifestent. Or, il nous faut avancer pour incorporer les Balkans occidentaux qui font partie, non pas seulement historiquement, mais aussi géographiquement de l’Europe. Ce sera, je crois, une très bonne manière de promouvoir la stabilité dans cette région, mais aussi la démocratie et les droits de l’homme. Cela nous permettra de créer une nouvelle dynamique pour une réforme intérieure, et pour que ces pays progressent, quels que soient les problèmes bilatéraux, que ce soit en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou entre la Grèce et l’ex-République yougoslave de Macédoine.
En tant que Premier ministre, une des premières mesures que j’ai prise a été de contacter le Premier ministre Gruevski pour exprimer cette volonté que nous puissions avancer le plus vite possible sur ce difficile dossier. Je n’entre pas dans les détails de l’Histoire, que vous connaissez: on a beaucoup écrit et dit à ce sujet. Mais je pense que le moment est venu de franchir un pas. Nous connaissons nos possibilités pour parvenir à un mandat mutuellement acceptable: il nous faut trouver un nouveau nom, qui fasse la différence entre la Macédoine grecque et l’ex-République yougoslave de Macédoine. Ce sont deux régions différentes et deux cultures différentes. Il faut donc opérer cette différenciation, y compris sur le plan géographique. C’est sur cette base que nous pourrons parvenir à une solution. C’est, en tout cas, le souhait que j’ai exprimé.
J’ai également formé le vœu que nous aidions l’ex-République yougoslave de Macédoine à avancer pour son adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne. J’espère donc que ce vœu de ma part sera suivi d’un vœu identique de l’autre partie.
M. GROSS (Suisse) (interprétation)
Monsieur le Premier ministre, je tiens tout d’abord à vous féliciter au nom des sociaux-démocrates pour votre magnifique discours, notamment lorsque vous avez évoqué l’humanisation de la mondialisation.
Pourriez-vous nous dire quelle fut votre surprise à la lecture de l’article de Joseph Stiglitz dans le Guardian de ce matin, selon lequel votre pays est victime, comme tous les petits pays, d’une application du Traité de Maastricht qui le pénalise par rapport aux grands pays en matière de change et de développement économique?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Je ne veux nullement éluder nos responsabilités, celles qui nous incombent quant à la situation économique qui prévaut à l’heure actuelle. Je l’ai dit publiquement: nous avons trop dépensé et il y a même eu des cas de corruption. Par conséquent, nous savons pertinemment que nous devons faire le ménage chez nous. Et nous le ferons. C’est un engagement que nous avons pris vis-à-vis de nous-mêmes et également de nos partenaires.
Cependant, vous avez raison de souligner que la Grèce a été considérée comme un maillon faible pour des problèmes qui, peut-être, n’avaient que peu à voir avec elle, qui en fait relevaient de la zone euro. Certains, semble-t-il, n’apprécient pas que nous ayons une devise européenne.
À cet égard, nous avons mis en exergue certaines mesures que nous devrons appliquer à l’avenir pour promouvoir le type d’institutions qui permettra à l’Europe et à la zone monétaire unifiée de disposer des instruments nécessaires pour faire face à de telles situations. Joseph Stiglitz établit une comparaison fort intéressante entre l’Europe et les Etats-Unis où, lorsqu’un Etat éprouve des difficultés, notamment lorsqu’il est en déficit, il bénéficie de la solidarité des autres. C’est le type de mécanisme dont nous aurions aussi besoin au sein de l’Union européenne.
L’Union européenne nécessite une intégration toujours plus forte, notamment depuis l’élargissement, qui s’est peut-être fait au détriment d’un approfondissement de nos relations. Désormais, dans ce monde mondialisé, nous avons besoin de plus de coopération et de solidarité, même si chacun, bien sûr, doit assumer ses responsabilités. Je ne veux nullement éluder les nôtres mais, dans le même temps, dans ce monde dans lequel nous vivons, je ne sais combien de temps il nous faudra pour sortir de la récession. Il faut considérer qu’à l’image des autres régions du monde, l’Europe a besoin de croissance et d’investissement dans des emplois relevant des technologies vertes.
C’est, à mon avis, la double solution. D’une part, elle nous permettra de faire face aux problèmes socio-économiques que nous devons affronter. Les banques et les investisseurs sont très vigilants en matière de risque, il faut donc prévoir des mesures incitatives aux plans budgétaire et fiscal. D’autre part, elle participera à résoudre les questions d’environnement. Copenhague aurait peut-être dû être couronné de succès. Si nous avions pu annoncer que nous avançons vers une économie durable, une économie verte, nous aurions attiré plus d’investissements privés vers ce secteur.
Nous avons donc à faire face à un défi redoutable, mais en tant qu’Européens, nous travaillerons avec nos partenaires pour essayer de favoriser la croissance, le développement durable et la solidarité.
M. ZERNOVSKI («L'ex-République yougoslave de Macédoine») (interprétation)
Je salue la décision de la Grèce de créer une feuille de route d’ici à 2014 pour l’intégration des Balkans occidentaux, dont vous avez parlé dans votre allocution. Nous nous en félicitons.
Dans le même temps, la Grèce bloque l’adhésion de son voisin, l’Ex-République yougoslave de Macédoine, tant à l’Union européenne qu’à l’OTAN. Tout cela est-il cohérent, Monsieur le Premier ministre, et n’est pas en contradiction avec les valeurs qui sont au cœur du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Nous ne voulons pas bloquer, nous voulons résoudre le problème. L’Agenda 2014 devrait permettre de créer une nouvelle dynamique et de mettre en évidence que nous avons un avenir commun, car c’est bien le cas: nous sommes voisins.
Nous devons travailler à cet objectif commun. L’Agenda 2014 nous permet d’être plus clairs et de nous fixer un échéancier serré. Ce sera utile pour créer un rapprochement entre nos deux gouvernements et entre les citoyens de nos deux pays.
De plus, il est important, de dire aux citoyens de nos pays que nous partageons beaucoup et il ne faut pas que ce problème nous divise. Certes, il est épineux, mais nous devons avancer vers une compréhension commune, comprendre d’où viennent nos problèmes et où se situe une solution commune qui soit acceptable pour nos deux pays et qui nous permette d’avancer ensemble vers un avenir commun.
J’espère que nous pourrons le faire, et le faire rapidement.
M. BENDER (Pologne) (interprétation)
Je tenais à vous dire, Monsieur le Premier ministre, que c’est un honneur que de vous parler, d’autant plus que vous êtes lié à une famille polonaise.
Que ferez-vous si la Cour européenne des droits de l’homme décide d’interdire les crucifix dans les lieux publics et dans les écoles en Grèce comme ce fut le cas en Italie?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Je vous remercie d’avoir rappelé que j’ai des origines polonaises. Cela prouve bien que les Européens ont eu des ancêtres venus de l’Empire ottoman.
Les choses évoluent. Il y a quelques années, je ne sais si nous aurions pu être ainsi, ensemble. C’est pourtant le cas aujourd’hui. Mais cela pose aussi des difficultés qu’il nous faut résoudre, comme la grave question des symboles religieux, qui est très conflictuelle. Néanmoins, plutôt que d’aiguiser ces problèmes et de polariser nos sociétés, sans doute vaut-il mieux trouver les moyens de nous comprendre. La question ne s’est pas réellement posée dans mon pays, mais il est vrai qu’en Grèce, il est de tradition d’avoir des symboles religieux dans nos écoles. Il est également vrai que les sociétés modernes multireligieuses, multi-ethniques auront de plus en plus à affronter ces questions et que nous devrons nous interroger, nous, hommes politiques. A mon avis, il faut veiller à respecter tant la tradition que les droits de tous. Parvenir à cet équilibre n’est guère facile, mais c’est bien la raison de notre présence ici!
M. PAPADIMOULIS (Grèce) (interprétation)
Monsieur le Premier ministre, vous êtes de ceux qui ont soutenu la candidature européenne de la Turquie, mais croyez-vous que l’on puisse véritablement se satisfaire de l’évolution constatée dans ce pays ces dernières années? Tout le monde peut constater qu’il y a un déficit de la Turquie en matière de droits de l’homme et de libertés personnelles, ainsi qu’au niveau du droit international. Je sais que vous avez envoyé hier une lettre à M. Erdogan, Premier ministre de Turquie. Pouvez-vous nous préciser votre position actuelle?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Personne ne peut être satisfait de la situation actuelle. C’est pourquoi je parle dans ma lettre à M. Erdogan de la nécessité d’évaluer les relations entre nos deux pays depuis dix ans, et si je choisis cette référence de temps, c’est parce qu’une nouvelle orientation a été donnée il y a dix ans au dialogue avec la Turquie, au moment où le gouvernement grec décida de soutenir la candidature de la Turquie à l’Union européenne. Depuis cette date, beaucoup de choses ont changé. Les échanges commerciaux entre nos deux pays sont ainsi passés d’environ 200 millions d’euros à 3,5 milliards. Nous avons par ailleurs conclu quelque 16 accords, y compris dans des domaines aussi stratégiques que celui de l’énergie. Mais nos relations bilatérales ne sont pas aussi satisfaisantes en ce qui concerne la délimitation du plateau continental. D’où ce recours commun devant la Cour de La Haye. Il faut que l’on arrive à une solution et que cessent les intrusions dans notre espace aérien.
Nous avons également besoin de progresser sur la question de Chypre. Il n’y a pas eu de normalisation ni même d’efforts sérieux dans cette voie au cours de ces derniers mois.
J’ai donc proposé à M. Erdogan de venir en Grèce afin que nous puissions discuter de tous ces sujets et progresser. Nous évoquerons les obligations européennes de la Turquie et aussi la question des libertés religieuses en ce qui concerne le Patriarcat œcuménique de Constantinople.
M. MacSHANE (Royaume-Uni) (interprétation)
J’aimerais tout d’abord souhaiter bonne chance à la Grèce, après l’expérience terrible du gouvernement précédent, et à M. Papandréou, qui a hérité de gros problèmes économiques et financiers.
Nous commémorons aujourd’hui l’Holocauste. Or, il y a eu la semaine dernière en Grèce, qui compte une petite communauté juive, cinq attentats sérieux contre des synagogues. Faut-il y voir le signe d’un retour de l’antisémitisme en Europe? Que compte faire le gouvernement grec pour lutter contre une telle éventualité?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Je condamne catégoriquement ces attentats qu’aucune société démocratique ne saurait tolérer. Il y a eu deux attentats. Nous avons pu arrêter leurs auteurs, parmi lesquels un ressortissant grec, et nous avons bien sûr assuré la communauté juive de Grèce que nous ferions le nécessaire pour restaurer les monuments endommagés et pour les protéger. Ces monuments appartiennent à l’histoire de mon pays, qui a connu pendant la seconde guerre mondiale un drame terrible dans la ville de Thessalonique: plus de 90 % des juifs de cette ville multiculturelle ont en effet été envoyés par l’occupant nazi en camps de concentration, où ils ont pour la plupart péri.
Lorsque mon grand-père a fui l’occupation nazie, c’est sur un bateau de la communauté juive qu’il a pu gagner Le Caire. Il fut ensuite Premier ministre en exil. Vous comprenez dans ces conditions que je me sente particulièrement lié aux citoyens juifs de Grèce. Je réitère ma condamnation très ferme de tels attentats.
Mme UKKOLA (Finlande) (interprétation)
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés a, en 2008, adressé au gouvernement grec une recommandation concernant les personnes couvertes par la Convention de Dublin. Un grand nombre d’organisations de défense des droits de l’homme faisaient état de violations des droits de l’homme à l’encontre de réfugiés et de demandeurs d’asile. La situation a-t-elle changé depuis? Ceux que l’on appelle les «cas Dublin» peuvent-ils venir en Grèce sans crainte de subir une violation de leurs droits?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
La Grèce se trouve dans une région de passage et reçoit de ce fait des migrants provenant d’un peu partout dans le monde, notamment de zones de conflits telles que le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran, la Somalie…Et comme elle se compose d’une myriade d’îles, il est relativement facile d’y accoster. Tout cela fait que la Grèce est fortement confrontée au problème de la traite des êtres humains.
C’est pourquoi j’ai invité en Grèce M. Antonio Guterres, le haut-commissaire aux Réfugiés, qui est venu la semaine dernière. Nous avons passé toute une journée à débattre de ces questions en essayant d’en bien cerner la portée. Nous souhaitons reconfigurer totalement notre politique et nos pratiques de façon qu’elles soient parfaitement conformes aux normes internationales et parfaitement respectueuses des droits de l’homme. Il faut que les personnes pouvant prétendre au droit s’asile et au statut de réfugié aient l’assurance de voir leurs droits pleinement reconnus.
Mais la Grèce est un petit pays qui ne peut pas accueillir tous ceux qui veulent entrer en Europe. Nous avons donc besoin de la solidarité européenne en ce domaine. Un partage des responsabilités est nécessaire, en ce qui concerne tant le rapatriement ou la réadmission des migrants dans leur pays d’origine que le développement économique de ces pays tiers et l’aide qui peut leur être apportée afin qu’un moins grand nombre de leurs ressortissants éprouvent le besoin de partir.
Renforcer la prééminence du droit, cela peut vouloir dire renforcer les contrôles aux frontières comme faire mieux respecter le droit des migrants à un statut de réfugié.
M. VOLONTE’ (Italie) (interprétation)
La Grèce a été, comme d’autres pays du Conseil de l’Europe, le théâtre d’un grand nombre de manifestations et de protestations, qui n’étaient pas forcément dirigées contre le gouvernement mais qui traduisent en tout cas un malaise, sans doute né de la crise. Qu’en pensez-vous?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Vous avez vous-même répondu en évoquant la crise actuelle. En Grèce comme ailleurs dans le monde, les jeunes constatent qu’il y a dans l’économie des potentiels énormes, sous forme notamment de fortes concentrations de capitaux, mais ils ont d’autre part le sentiment que la politique ne suit pas. Ils trouvent que les politiques ne répondent pas suffisamment aux problèmes du temps, qu’il s’agisse de la pauvreté, des inégalités, de la dégradation de l’environnement, de l’immigration ou des pandémies. Ils ont le sentiment d’être une génération qui pourrait faire l’histoire, mais qui ne la fait pas. Il en résulte des frustrations, un manque de perspectives et une sensation d’impuissance.
En outre, nos sociétés vieillissent, ce qui créera un fardeau supplémentaire pour les systèmes de protection sociale, fardeau qui sera supporté par les nouvelles générations. S’ajoute à cela l’insuffisante adaptation de l’enseignement à la modernité, et en particulier aux progrès technologiques. Tout cela a provoqué l’émergence d’un profond désarroi chez les jeunes, voire d’un désespoir. Nous avons, nous politiques, le devoir de leur redonner espoir.
L’Europe a pour tradition de forger la cohésion sociale et la solidarité entre les générations. Nous devons développer nos potentiels de croissance en investissant dans les nouvelles technologies, l’éolien par exemple, et démontrer que l’Europe peut être concurrentielle dans ce monde en mutation, qu’elle est capable de relever le défi. Pour cela, il faut travailler à vingt-sept dans l’Union européenne et à beaucoup plus au Conseil de l’Europe; il faut défendre nos principes de démocratie, de participation et de droits de l’homme; il faut donner voix au chapitre à nos concitoyens. Car dès lors que la démocratie est bien ancrée, les choses progressent malgré toutes les mutations car les problèmes sont résolus par le biais du dialogue et de la compréhension mutuelle.
M. KUMCUOĞLU (Turquie) (interprétation)
Compte tenu de la tonalité anti-turque de votre discours, Monsieur le Premier ministre, je ne peux m’empêcher de vous interroger sur les huit arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les termes employés dans les noms de certains groupes, comme «turc» ou «minorité», et la non-reconnaissance des muftis élus par la minorité turque en Grèce. Quand votre gouvernement compte-t-il exécuter ces arrêts?
M. Papandreou, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)
Toutes les décisions prises par le Conseil de l’Europe ou la Cour doivent être exécutées. En l’occurrence, il y a eu des complications tenant aux décisions des tribunaux grecs sur ces questions.
Mais je voudrais insister sur le fait que je n’ai jamais tenu de propos anti-turcs. Je n’ai rien contre la Turquie ou les Turcs et j’ai toujours fortement poussé pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Nous devons créer de meilleures relations entre nos deux pays, fondées sur le droit international, sur une vision partagée, sur nos perspectives européennes, sur nos valeurs et pratiques communes. Cette adhésion à l’Union que j’appelle de mes vœux sera un encouragement fort pour que la Turquie procède à de bonnes réformes et constituera un signal très positif pour toute la région. Elle permettrait d’améliorer les relations de ce pays avec la Grèce et avec Chypre et de résoudre beaucoup de vieux problèmes.
Depuis que je suis au gouvernement, j’ai aussi promu la diplomatie populaire, qui est une façon de créer de nouvelles relations entre Grecs et Turcs. Cette forme de diplomatie a permis de mettre fin à beaucoup de tabous, d’idées toutes faites, de superstitions. C’est une des bases les plus solides pour améliorer les relations entre nos deux pays. Car, en définitive, les citoyens qui s’approprient ces questions comprennent qu’il y a un intérêt mutuel à mieux s’entendre et aident d’ailleurs souvent les dirigeants à avancer en ce sens. Lorsqu’un séisme s’est produit, nous avons pour la première fois envoyé des pompiers près d’Istanbul, qui ont extirpé un jeune Turc des décombres. Puis les Turcs ont envoyé des pompiers à Athènes lors du tremblement de terre, et ceux-ci ont aussi aidé à sauver des vies. De l’émotion, de la compréhension se sont manifestés. Les sentiments ont changé à un tel point qu’on sent désormais une possibilité de régler les problèmes qui persistent depuis tant d’années. J’ai envoyé une lettre à M. Erdoğan et j’ai bon espoir que nous puissions avancer. J’espère que le moment est venu de faire progresser nos relations et de renforcer les perspectives de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Lorsque j’étais ministre de l’éducation enfin, j’ai travaillé très étroitement avec la minorité musulmane du nord de la Grèce. J’ai notamment constaté que la plupart de ses étudiants, dont la langue maternelle est le turc, avaient du mal à accéder aux universités grecques. J’ai fait adopter une loi spécifique pour leur réserver des places, afin qu’ils aient accès à nos universités tout comme les étudiants grecs. C’est une des nombreuses mesures que nous avons prises pour mieux intégrer la minorité musulmane à notre société et je ferai tout ce que je peux pour poursuivre sur cette voie.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Nous devons maintenant interrompre cette séance de questions. Au nom de l’Assemblée, Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre allocution et des réponses que vous nous avez apportées.