Shimon

Peres

Premier ministre d'Israël

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 22 avril 1986

Je tiens d’abord, Monsieur Jung, à vous adresser tous mes vœux de succès à la suite de votre élection comme Président de cette importante Assemblée. Nous savons que vous êtes un parlementaire expérimenté et un ami fidèle de notre pays. C’est avec plaisir que je prends la parole sous votre présidence. Je remercie également l’Assemblée de nous donner la possibilité d’exprimer notre point de vue sur certains des problèmes qui se posent dans notre région.

Les relations entre l’Europe et le Proche-Orient sont chargées de souvenirs historiques, de liens culturels et d’intérêts actuels. Il s’agit d’un héritage ancien et divers, qui a tissé une trame serrée et fascinante de relations non dépourvues d’émotion et marquées par des intérêts nationaux, tant immédiats qu’à long terme. Sur les relations de l’Europe avec le peuple juif – et, partant, avec l’Etat juif – pèse l’ombre froide et sombre de l’holocauste nazi. Et pourtant, à l’horizon de leur histoire, on voit briller les réussites des érudits et des savants juifs ainsi que, à l’occasion, le rayon lumineux de l’asile accordé de longue date aux réfugiés juifs. Pour nous, l’Europe est couverte de monuments de la civilisation juive mais aussi parsemée de tombes de victimes juives.

Ce n’est ni le temps ni le lieu pour faire l’historique de ces relations. Mais une chose est certaine: l’Europe est aussi soucieuse de paix au Proche-Orient que dévouée à la recherche de la paix pour elle-même. J’ai la conviction que l’Europe est consciente des efforts sincères qu’Israël déploie pour mettre un terme à l’animosité et à la belligérance et pour remplacer la menace de guerre par l’espoir d’une coexistence. Comment pourrions-nous agir autrement dès lors que dans la quasi-totalité de nos foyers il est des victimes de l’holocauste ou des réfugiés ayant fui la persécution? Comment pourrions-nous agir autrement dès lors que notre Etat a été contraint de faire la guerre cinq fois dans sa brève histoire et de payer de la vie de ses enfants sa victoire et son existence – sans toutefois remporter la victoire la plus importante, celle de la paix.

En conséquence, la question qui figure aujourd’hui à l’ordre du jour, pour nous tous, est celle des perspectives de paix au Proche-Orient.

Mais avant d’évaluer les chances de paix, il nous faut passer en revue les obstacles à la paix.

Mesdames et Messieurs, de même que du point de vue économique le monde peut se diviser en pays en développement et en pays développés, du point de vue militaire, il comprend des Etats belligérants et des Etats non belligérants. Aujourd’hui, le Proche-Orient se trouve, du point de vue économique, dans la phase du développement et, du point de vue militaire, au stade de la belligérance. Celle-ci se manifeste par la guerre, la course aux armements et le terrorisme. La guerre civile fait rage au Liban, au Soudan et au Yémen. Coûteuses en vies humaines, ces convulsions sapent également les chances de progrès économique. La guerre la plus sanglante que cette région ait connue – celle que se livrent depuis six ans l’Iran et l’Irak – est un affrontement non seulement militaire, mais encore religieux. Ce conflit a ravagé les économies des deux adversaires et exigé aussi un lourd tribut de leurs voisins. Sous l’effet conjugué de son coût militaire, social et économique, la stabilité d’une région entière risque d’être ébranlée.

En même temps, les dépenses d’armement dans la région sont disproportionnées. Rien qu’au cours de la dernière décennie, plus de 50 milliards de dollars y ont été consacrés. Alors que tant d’hommes souffrent de la faim, les camps militaires regorgent de systèmes d’armes complexes et coûteux.

La belligérance se manifeste également par la flambée du terrorisme, tant national qu’international. Le terrorisme est une stratégie d’agression qui a recours à des méthodes criminelles. Il ne fait aucune distinction entre hommes armés et témoins innocents, entre ligne de front et vie civile. Tantôt il s’efforce d’exercer une pression politique, tantôt d’accaparer l’attention de la presse. Il ne vise que trop souvent à prolonger un conflit et à perpétuer un problème. Ceux qui s’y livrent ne recherchent ni un partenaire pour négocier, ni une solution. Rares sont les dirigeants au Proche-Orient, que ce soit à l’échelon communal ou national, qui ne font pas l’objet de menaces terroristes. De ce fait, leurs vues, du moins telles qu’ils les expriment publiquement, sont souvent déformées par la peur.

L’histoire a connu des explosions d’extrémisme religieux et politique, qui se sont manifestées tant par la guerre ouverte que par le terrorisme. Leur durée a, dans une large mesure, été fonction de l’apathie des spectateurs. La lutte contre le terrorisme international doit être immédiate, globale, constante et cohérente. Elle doit être menée en coopération. Le terrorisme étant intransigeant, il faut le combattre avec intransigeance. Un engagement ferme du monde libre – principal théâtre d’opérations des terroristes – et certes aussi des pays européens, dans cette lutte, permettra de mater les commanditaires du terrorisme et d’atténuer la gravité du problème.

A toutes ces difficultés s’ajoute maintenant, pour le Proche-Orient, la menace tragique d’une détérioration de la situation économique. La chute des prix du pétrole a entraîné pour les pays de la région un manque à gagner atteignant des milliards de dollars. Mais d’autres pays, dont la stabilité économique dépend de la prospérité des pays producteurs de pétrole, sont touchés indirectement. Les sommes rapatriées par les étrangers qui travaillent dans les pays producteurs de pétrole sont en baisse; l’aide directe a été fortement réduite; les capacités d’importation ont sensiblement diminué et, récemment, le tourisme a subi un déclin par suite du terrorisme. Tous ces facteurs contribuent à aggraver les difficultés économiques.

Le principal défi qu’il s’agit de relever dans l’immédiat au Proche-Orient consiste donc à parer à la menace de cette crise économique, dont les signes avant-coureurs sont déjà perceptibles. Que faire devant la gravité de la situation? La perte de revenus subie par les pays producteurs de pétrole équivaut à un gain net pour les pays consommateurs. On s’attend à ce que les pays industrialisés économisent, rien que cette année, une somme estimée à 70 milliards de dollars. Si une partie, même faible, de ces économies inespérées était affectée à un programme de redressement économique de la région, la paix et la stabilité au Proche-Orient pourraient beaucoup y gagner. Les pays touchés ont un taux de natalité élevé et disposent de ressources naturelles limitées. Ils sont confrontés à un choix difficile: se soumettre à des forces implacables et incontrôlées; ou s’assurer des concours extérieurs pour pouvoir faire face à leurs besoins urgents.

Il n’est pas d’espoir de paix stable au Proche-Orient en l’absence de stabilité économique des principaux pays de la région. La participation au développement économique peut d’ailleurs déboucher sur le soutien à un processus politique positif. Votre éminente Assemblée peut jouer un rôle moteur dans le lancement d’un audacieux programme économique décennal et promouvoir ainsi la stabilité et la paix dans cette partie du inonde. Ce programme de développement servirait à encourager deux catégories de projets économiques: des projets nationaux et des projets régionaux. Les projets nationaux seraient conçus de façon à atténuer les graves difficultés des pays bénéficiaires. Les projets régionaux, quant à eux, prendraient en compte les possibilités régionales. Ce programme pourrait fournir une infrastructure à l’appui de la paix, mais il ne serait pas judicieux de l’assortir de conditions politiques. Il ne devrait en effet pas se substituer aux efforts politiques, mais les accompagner.

En Israël, nous avons pris des mesures draconiennes pour redresser l’économie, et les résultats sont prometteurs. Nous sommes confiants dans notre avenir économique. Un programme comme celui que je viens d’évoquer pourrait toutefois profiter à des pays ou des régions qui connaissent des difficultés économiques réelles et immédiates. On ne saurait trop insister sur son importance et son opportunité. On peut ralentir les processus politiques et dissuader les hommes de faire la guerre, mais la famine ne laisse aucun répit. Elle dresse jour après jour sa face exigeante sur le pas de votre porte. Vous ne pouvez pas, vous ne devez pas échapper à cette réalité. Nous espérons que vous examinerez sérieusement cette proposition et aiderez à en faire une réalité prometteuse pour beaucoup de pays et de peuples.

Mesdames et Messieurs, tout en nous occupant des problèmes régionaux, nous ne négligeons pas nos propres problèmes. Le principal défi que nous devons relever consiste à réaliser une paix juste, durable et globale avec nos voisins arabes et à trouver une solution au problème palestinien.

La paix ranimera l’espoir chez tous les peuples de la région. Elle permettra de résoudre les divergences politiques par des moyens pacifiques et d’empêcher ainsi que le sang soit versé. Elle permettra d’atteindre l’objectif prévu dans le traité de paix entre l’Egypte et Israël, qui est de faire en sorte qu’il n’y ait «plus jamais de guerre». Elle sera synonyme de coexistence, de coopération et de sécurité pour tous. Elle permettra au peuple palestinien de participer à la détermination de son avenir.

Nous ne sommes pas d’humeur à nous laisser décourager par les obstacles. Il nous faut instaurer un climat où l’esprit et l’action s’affirment de manière positive.

Attachés à créer une atmosphère de paix, nous refusons l’escalade verbale et les polémiques, qui entretiennent les conflits. Nous préférons le langage de l’optimisme réaliste au vocabulaire du désespoir pessimiste.

Nous ne nourrissons aucune animosité envers un autre pays, un autre peuple ou une autre religion. Les différences ne justifient pas l’hostilité.

Peu après la mise en place en Israël du gouvernement d’union nationale, nous avons décidé unilatéralement de nous retirer du Liban – pays qui ne parvient ni à instaurer la paix sur son territoire, ni à la procurer à ses voisins. Nous avons pris un risque. Pourtant, lorsque les Libanais se révéleront capables de gouverner leur pays et de protéger leurs frontières, l’aide fonctionnelle limitée qu’Israël leur apporte aujourd’hui pour garantir leur sécurité n’aura plus de raison d’être. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, notre politique repose sur une volonté d’ouverture et de rapprochement et vise à promouvoir le progrès dans tous les domaines de la vie. Nous apportons là-bas notre appui à un système éducatif indépendant comprenant cinq universités et nous y encourageons le développement économique. Nous avons déclaré que la législation israélienne ne s’appliquait pas dans les territoires. Nous avons modifié notre politique d’implantation. Nous travaillons constamment à faciliter et à simplifier les rapports entre la Jordanie et les Palestiniens dans les territoires.

Nous cherchons à confier aux habitants des territoires la gestion des communes et, éventuellement, d’entités plus importantes car nous sommes prêts à déléguer les pouvoirs. Nous nous efforçons aujourd’hui d’améliorer nos relations avec l’Egypte et les perspectives de négociations directes de paix avec la Jordanie et les Palestiniens.

L’Egypte et Israël doivent œuvrer la main dans la main pour faire du traité de paix qui les lie un exemple éclatant. Nous voulons approfondir cette expérience bilatérale et en faire une réalité régionale. Nous travaillons donc à éliminer les divergences qui demeurent entre nous, comme en témoigne le fait que nous sommes disposés à céder aux instances de l’Egypte, qui souhaite soumettre à l’arbitrage la question de Taba. Je crois sincèrement qu’un accord est possible à bref délai.

Nous sommes convaincus que le roi Hussein veut la paix. Sa tentative pour conclure un accord avec la direction de l’OLP a échoué, mais le processus n’est limité ni à une organisation ni à une direction qui oppose un refus. Nous réitérons notre appel au roi Hussein: rencontrons-nous et négocions. Aucun délai n’est trop court, aucun lieu trop éloigné, aucun problème trop difficile, aucune formalité trop inhabituelle.

Le peuple palestinien sait que nous respectons son aspiration à vivre dans la dignité et à s’exprimer. La cause palestinienne est desservie par le recours au terrorisme au lieu de la diplomatie, aux slogans et à l’attitude de refus au lieu du dialogue politique. La voie de la violence est longue et sanglante mais, surtout, elle est sans issue.

Les menaces et les actes de terrorisme ne conduiront pas à la victoire. Nous continuerons – car c’est notre devoir – à protéger sans faiblesse notre population. Toutefois, si les Palestiniens qui rejettent le terrorisme et la violence s’orientent vers une solution politique, ils nous trouveront aussi déterminés et résolus à parvenir à une solution honorable. Ils trouveront une nation aussi courageuse dans la paix que dans la guerre.

Le temps perdu, ce sont aussi des occasions perdues. Ce qu’on aurait pu faire avec une relative facilité hier est déjà difficile à obtenir aujourd’hui. Les possibilités d’aujourd’hui peuvent devenir les impossibilités de demain.

Nous exhortons nos amis européens à accepter la logique interne qui guide ceux qui recherchent une solution et à soutenir les progrès sur la voie qu’ils ouvrent. Préconiser des solutions avant l’ouverture de négociations retardera les négociations sans résoudre le problème. Seules seraient prometteuses des négociations directes, menées si nécessaire dans un cadre international, entre une délégation jordano-palestinienne d’une part, et une délégation israélienne d’autre part.

Les pays du Proche-Orient sont donc confrontés à quatre défis majeurs: vaincre l’extrémisme religieux et politique, qui nourrit la belligérance; combattre le terrorisme international; sortir d’une grave crise économique; résoudre le conflit israélo-arabe. Quand nous aurons relevé ces quatre défis, nos enfants et nos petits-enfants pourront dire de nous que nous avons accompli la prophétie:

«Vous ne verrez point l’épée, vous n’aurez point de famine; mais je vous donnerai dans ce lieu une paix assurée» (Jérémie 14/13).

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, dans deux jours nous célébrerons la Pâque, qui est la fête du printemps et de la liberté. Epanouissement et liberté, c’est ce que nous vous souhaitons à tous, et c’est aussi ce que nous souhaitons à nos voisins.

(Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de ce message de paix. Notre Assemblée, représentant l’ensemble des démocraties européennes, est très sensible à ce problème et c’est avec un grand intérêt que nous suivons tous les efforts que vous déployez vous-même. Nous avons été heureux de constater une évolution dans votre pays mais également d’entendre vos paroles empreintes de réalisme, qui vont dans ces directions. J’espère qu’ensemble nous pourrons œuvrer pour une évolution pacifique dans ces pays qui sont tellement sensibles. En espérant que votre politique trouvera des échos favorables chez vos voisins, soyez assuré qu’ici de nombreux amis vous soutiendront.

Nous abordons maintenant les questions parlementaires à M. le Premier ministre d’Israël. Etant donné que plus de vingt collègues ont déjà manifesté leur intention d’interroger notre hôte, je leur demande d’être particulièrement brefs dans l’énoncé de leur question qui ne devrait pas dépasser une minute. Cela permettra un dialogue plus vivant et fructueux avant que M. Shimon Peres ne soit obligé de nous quitter, à 12 heures 30 au plus tard.

La parole est à M. Bianco, pour la première question.

M. BIANCO (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, nous avons écouté avec grand intérêt le message de paix qui a inspiré votre discours et nous avons constaté que, bien que votre pays subisse des attaques sévères et se trouve dans une situation indiscutablement difficile, votre intervention est à la fois réaliste et ouverte à l’espoir, ce qui est très important. J’ajoute que vous avez fait preuve de beaucoup de modération en évitant de nommer certains pays qui apportent leur aide au terrorisme international.

Je voudrais vous demander, Monsieur le Président, quelle est l’attitude de votre gouvernement vis-à-vis des pays qui, comme la Libye et la Syrie sont responsables de cette aide au terrorisme et si vous pensez que la lutte contre le terrorisme est une condition importante pour l’acheminement vers une juste solution du problème palestinien.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Quand nous parlons de la Libye et de la Syrie, nous devons nous demander qui inspire réellement les actions terroristes. A mon avis, la Libye est incontestablement le principal foyer du terrorisme: elle finance, arme et forme les terroristes, elle utilise la valise diplomatique à des fins terroristes, elle intervient dans chaque région qui connaît des troubles, elle ordonne de tuer, de mentir et de bluffer et donne refuge aux assassins.

Cela étant, nous devons nous demander s’il y a quelque chose à faire pour mettre fin aux agissements de la Libye. Quiconque critique une méthode doit, à mon sens, en suggérer une autre. Les Libyens ont directement défié les Etats-Unis et ces derniers ont réagi d’une certaine façon. L’Etat d’Israël réagit avec mesure et modération car il prend soin de ne pas déclencher inutilement une guerre véritable. Je suis convaincu que les autres pays, dont la Syrie, suivront de près ce qui arrivera à la Libye et en tireront les conclusions qui s’imposent. Aussi faut-il attacher beaucoup d’importance aux développements futurs dans ce pays.

Je crois que les Libyens ont déjà appris une leçon. Jusqu’à présent, ils utilisaient toutes leurs ressources et tout leur argent pour intervenir dans différentes régions du monde. Ils savent maintenant qu’ils doivent protéger et défendre leur propre pays, ce qui absorbera une partie au moins de leurs ressources et de leur argent. C’est peut-être une expérience nouvelle pour eux, mais qui vient à son heure.

Le meilleur moyen de faire échec au terrorisme est de se dresser contre lui à ses débuts. La prévention est la phase la plus importante. En rassemblant des informations, en coopérant sur le plan international et en étant averti, suffisamment tôt si possible, que des actes terroristes se préparent, on pourra sauver beaucoup de vies innocentes et réduire de beaucoup l’ampleur du terrorisme.

M. KLEJDZINSKI (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Je sais, Monsieur le Premier ministre, que les problèmes du terrorisme international ne préoccupent personne autant que vous. Mais, à votre avis, que peuvent faire les Européens pour éviter que la crise du Proche-Orient ne dégénère un jour en une guerre qui risquerait de se révéler catastrophique au point de défier l’imagination?

Sur cet arrière-plan, je voudrais vous poser une question. Vous avez dit aujourd’hui des choses très intéressantes sur les possibilités de dialogue, notamment au Proche-Orient. Qui seraient pour vous des interlocuteurs acceptables du côté palestinien et du côté jordanien? Et quelle contribution les Européens pourraient-ils apporter à un apaisement au Proche-Orient?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Avec la Jordanie, il n’y a pas de problèmes. Nous pouvons négocier directement avec le roi Hussein et son gouvernement. Il existe entre nos deux pays des relations pragmatiques, dont on peut espérer qu’elles seront plus ouvertes à l’avenir. S’agissant des Palestiniens, beaucoup de dirigeants intelligents, qu’ils soient élus ou nommés, résident en Cisjordanie et à Gaza. Le problème du terrorisme ne se réduit pas à celui des gens innocents qui en sont les victimes; il y a aussi le fait qu’au Proche-Orient, les dirigeants sont terrorisés et apeurés.

La formation d’une délégation de dirigeants palestiniens avec laquelle nous puissions négocier ne me paraît pas présenter de difficultés, et j’espère qu’une telle délégation sera constituée. Nous pouvons nous rencontrer en privé pour discuter raisonnablement et harmoniser nos points de vue. Le véritable problème consiste à échapper à la menace effrayante du terrorisme.

M. de ARESPACOCHAGA (Espagne)

(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Merci, Monsieur de Arespacochaga. Je ne cache pas la satisfaction que nous éprouvons devant l’établissement de relations diplomatiques entre l’Espagne et Israël après une interruption de près de cinq cents ans. Nous sommes encore grandement marqués par la civilisation espagnole, et je suis sûr que l’inverse est vrai aussi car si nous avons été séparés sur le plan diplomatique, nous sommes restés proches sur le plan culturel. Il n’est pas facile d’oublier les sources de notre civilisation.

Je crains que la Libye n’agisse pas seulement dans la péninsule ibérique, mais partout. Prenez n’importe quel pays, et vous y trouverez la main de la Libye – du Tchad au Royaume-Uni. Le colonel Kadhafi a déclaré qu’il mettrait le monde à feu et à sang. C’est une menace exagérée – à la Libye non plus, tout n’est pas possible. Ce pays a fait de son mieux pour la mettre à exécution, mais il se heurtera maintenant à plus d’obstacles. Tôt ou tard, tous les pays libres – les pays démocratiques sont en effet les principales cibles des terroristes, qui essayent de découvrir les maillons faibles de la chaîne – s’uniront et chercheront à mettre fin à la criminalité internationale comme ils essaient de mettre fin à la criminalité nationale.

M. JESSEL (Royaume-Uni) (traduction)

Ma question porte sur la nécessité de combattre le terrorisme basé en Libye. M. le Premier ministre pense-t-il qu’on peut efficacement réagir autrement que l’ont fait les Etats-Unis d’Amérique? Quelle autre riposte efficace pourrait-on envisager contre le terrorisme basé en Libye, et que peuvent faire les gouvernements des pays membres du Conseil de l’Europe pour aider à combattre le terrorisme?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Merci, Monsieur Jessel. Je crois savoir qu’au début, les Etats-Unis ont suggéré un boycott économique de la Libye. Le pétrole a rapporté quelque 8 milliards de dollars à ce pays, qui en a dépensé la majeure partie pour développer le terrorisme. Cette année, la Libye verra ses revenus diminuer de moitié et tomber à 4 milliards de dollars, et il lui faudra faire des choix quant à l’emploi de cet argent. Des sanctions économiques contre la Libye peuvent être utiles pour la ramener à la raison. Personne, je crois, ne veut du mal aux diplomates libyens – ce que nous voulons, c’est faire échec à la politique libyenne. En recueillant des renseignements et en étant informé à temps, grâce à une coopération internationale, on pourra mettre fin à l’utilisation par ce pays de l’immunité dont jouissent ses bagages diplomatiques pour transporter des armes et des bombes. Tout ceci peut être fait très facilement et immédiatement.

M. BUTTY (Suisse)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, je viens d’un pays, la Suisse, qui apprécie énormément les efforts du peuple d’Israël dans sa volonté d’indépendance et de paix, comme vous venez si bien de l’exprimer. Permettez-moi de vous poser une question quelque peu différente de celles qui vous ont été posées jusqu’à présent concernant le statut de Jérusalem. Ce statut a toujours intéressé au plus haut degré non seulement Israël, mais également l’ensemble du monde. Compte tenu de l’importance qu’Israël et Jérusalem représentent pour vous et pour l’ensemble de la chrétienté, de l’islam et de combien d’autres communautés, que pense le Gouvernement actuel d’Israël d’un statut de caractère international pour cette cité qui appartient au patrimoine culturel, spirituel et religieux non seulement d’Israël mais également du monde entier? Ne pensez-vous pas qu’un geste dans ce sens serait apprécié à sa juste valeur dans l’ensemble du monde et démontrerait votre attachement à la paix? Je suis sûr que de très nombreuses communautés, par-delà le monde, vous en seraient très reconnaissantes.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Jérusalem est à la fois la ville sainte de beaucoup de religions et la capitale de l’Etat d’Israël. Elle est ouverte à toutes ces religions. L’accès à la ville est libre et la liberté de culte y est garantie. Je ne sache pas que les chrétiens, les musulmans ou toute autre communauté de croyants aient formulé des plaintes au sujet de Jérusalem. Nous avons la tâche et l’intention de veiller au maintien de cette situation.

Je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin de l’Union Soviétique pour garantir la liberté de célébrer des services religieux dans une église catholique de Jérusalem. Donner un statut international à cette ville reviendrait à faire intervenir les pays du bloc oriental, les Occidentaux, les Chinois, les Indochinois – je ne sais pas à qui pense l’auteur de la question. Ce n’est pas une telle mesure, politique, qui garantirait la liberté de religion. Je souhaiterais par exemple que les juifs d’Union Soviétique jouissent de la même liberté de prier leur Dieu que tout chrétien à Jérusalem. A moins que l’auteur de la question n’ait un grief particulier, que j’ignore, je ne vois nul besoin de modifier la situation actuelle.

M. CAVALIERE (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous avez fait allusion à la solution du problème palestinien et vous avez même dit quelque chose sur la manière de le résoudre. Je voudrais revenir sur cette question pour avoir une réponse plus détaillée et plus précise.

Ma question est la suivante: quelles sont, selon Israël, les conditions nécessaires pour résoudre le problème palestinien et comment Israël compte-t-il concrètement contribuer à la solution de ce problème, compte tenu, naturellement, du droit à sa sécurité?

Deuxièmement, je voudrais connaître très brièvement votre avis sur la thèse selon laquelle, une fois résolu le problème palestinien, le terrorisme cesserait et la paix serait rétablie entre les pays arabes et Israël.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Le mieux que nous puissions faire est de ne pas imposer de condition du tout. Il est évident que les Palestiniens et nous-mêmes avons des points de vue différents. Je ne crois pas à une solution militaire ou imposée; je crois seulement à une solution négociée. Nous devons négocier car nous sommes en désaccord. Je n’attends pas des Palestiniens qu’ils acceptent notre point de vue avant de négocier. J’espère qu’ils comprennent également que nous n’accepterons pas leur point de vue avant l’ouverture de négociations. Nous devons nous mettre d’accord pour négocier afin de régler nos différends. Je ne vois pas d’autre solution.

Il ne m’appartient pas de suggérer une solution au nom des Palestiniens. Je peux cependant suggérer une solution au nom d’Israël: que mon pays soit prêt à aborder les négociations l’esprit ouvert, avec bonne volonté, et en s’efforçant de comprendre le point de vue de ses interlocuteurs.

La question est de savoir si c’est le conflit palestinien qui a suscité le terrorisme, ou si c’est le terrorisme et l’extrémisme qui ont empêché un règlement du problème palestinien. N’oublions pas qu’en 1948, lorsque l’Etat d’Israël a été créé, les Palestiniens se sont vu offrir un Etat. Les Nations Unies avaient décidé de partager le territoire d’Israël en deux, et la meilleure partie était censée devenir l’Etat palestinien. Il y avait là une chance à saisir pour les Palestiniens. Mais au lieu d’accepter la proposition qui leur avait été faite, ils l’ont rejetée. A un Etat, ils ont préféré la guerre, et à une solution, le terrorisme.

Hélas! la violence et le terrorisme ont gagné tout le Proche-Orient, sans qu’il y ait de lien avec le problème israélien: à preuve, le conflit entre l’Irak et l’Iran, la situation au Liban, au Soudan et au Yémen et les menées libyennes. Il ne faut pas associer les deux. Je crois au contraire que si le terrorisme peut être jugulé, la chance de parvenir à une solution s’offrira de nouveau à nous tous.

M. STOFFELEN (Pays-Bas) (traduction)

Je voudrais d’abord remercier le Premier ministre de son exposé impressionnant, courageux et encourageant. Il a évoqué brièvement la politique d’implantation. J’aimerais avoir des précisions à ce sujet et c’est pour cela que je pose la question suivante: si je suis bien informé, dans l’entretien que vous avez accordé le 26 février de cette année au quotidien français Le Monde, vous avez déclaré que votre gouvernement ne poursuivait pas la politique d’implantation dans les territoires occupés menée par les gouvernements israéliens précédents. Je ne comprends pas, dès lors, que votre gouvernement ait autorisé la création de six nouvelles colonies en 1985. Peut-être pourriez-vous donner quelques explications à ce sujet?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Comme vous le savez peut-être, notre pays est dirigé par une coalition d’un caractère très particulier. Je suis heureux que nos amis français fassent également l’expérience de la cohabitation – ne croyez cependant pas que je sois venu ici pour recommander cette formule. En Israël, le gouvernement de coalition est le résultat d’un compromis entre deux partis.

Si je peux me permettre une pointe d’humour, je dirai qu’à mon avis, la première cohabitation a eu lieu au Paradis lorsqu’Adam et Eve découvrirent qu’ils n’avaient pas le choix: Eve ne pouvait trouver d’autre homme et Adam d’autre femme. Aussi arrivèrent-ils à la conclusion qu’ils vivaient dans un Paradis de cohabitation. Je crois que d’autres expériences ont suivi, de nature différente.

M. CARVALHAS (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté avec la plus grande attention votre intervention.

Je vous poserai deux questions qui n’ont rien à voir avec la cohabitation.

Le Gouvernement travailliste israélien pense-t-il poursuivre sa politique d’installation des colonies, condamnée par l’opinion publique et par l’ONU ou bien, dans une évolution politique et pacifique, envisage-t-il quelque inflexion dans l’esprit de la paix?

Puisque vous avez parlé du peuple palestinien et de la paix, êtes-vous d’accord sur le droit du peuple palestinien d’avoir une patrie?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

J’ai déclaré que le gouvernement actuel avait changé sa politique d’implantation, et que la création de nouvelles colonies devait faire l’objet d’un accord entre les deux principaux partis représentés au gouvernement. Je ne veux pas trop entrer dans les détails, mais il existe de toute évidence des divergences de vues entre ces deux partis sur le lieu, le rythme et le nombre des implantations à autoriser en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Le problème de l’autodétermination serait simple s’il n’y avait qu’un pays et qu’un peuple. Mais lorsqu’il y a deux peuples, il faut que chacun puisse se prononcer sur l’avenir du pays. A partir du moment où l’on déclare que l’un d’eux seulement a droit à l’autodétermination, on décide de l’avenir du pays. L’autodétermination est une solution pour un pays démocratique. Mais lorsqu’on dit à quelqu’un, en appuyant le canon d’un pistolet sur sa tempe, de choisir sa voie, il ne s’agit que d’un leurre; l’offre n’est pas sérieuse. C’est seulement dans une société libre qu’on peut élire, choisir et déterminer son avenir. Quand sur une société plane l’ombre d’une puissance étrangère, quand une société est en proie à la terreur, la proposition d’une autodétermination peut n’être qu’une plaisanterie amère.

M. ELMQUIST (Danemark) (traduction)

Au début du mois, la commission des questions juridiques de notre Assemblée s’est rendue dans votre pays, Monsieur le Premier ministre, et, en ma qualité de président de cette commission, je puis vous assurer que nous avons eu d’intéressantes discussions avec la Commission du droit et de la Constitution de la Knesset, avec le Président de la Knesset et avec votre ministre de la Justice. Nous avons écouté avec attention les critiques non voilées qui ont été adressées à certains pays européens, accusés de ne lutter qu’en paroles contre le terrorisme. L’un de vos compatriotes m’a demandé quelle distinction je ferais entre un combattant de la liberté et un terroriste. Quelle différence y a-t-il entre les deux, à votre avis?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

En aucun cas, je ne qualifierai de combattant de la liberté un individu qui est prêt à tuer un innocent, un enfant, une femme ou un vieillard dans le simple but de faire sensation ou d’attirer l’attention. A mon avis, un combattant de la liberté doit rester un être humain. Après tout, le respect de la vie doit être aussi important que le respect de la liberté. Qui décidera qu’on peut tuer autrui au nom de la liberté? Nous avons affaire en l’occurrence à une organisation qui tue et massacre aveuglément des gens innocents, qui ne jouent aucun rôle et n’ont aucune responsabilité. Je n’accorderai jamais un statut juridique à ce type de terroriste.

M. GIANOTTI (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, il ne saurait y avoir de sécurité et de stabilité pour Israël tant que l’on ne trouvera pas de solution acceptable pour le peuple palestinien. Or, les actes de guerre et de terrorisme se multiplient en Méditerranée et en Europe.

La question que je souhaite poser est la suivante: le bombardement du siège de l’OLP à Tunis a ouvert une nouvelle période de tension, d’une part et a ébranlé le leadership palestinien d’Arafat, d’autre part. Aujourd’hui, les Palestiniens, d’après ce que l’on sait, sont encore plus divisés et moins gouvernables et les faits semblent indiquer que l’on s’éloigne des objectifs de sécurité et de stabilité. Qu’en pensez-vous?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Le terrorisme ne se limite pas nécessairement au problème palestinien. Par exemple, en Italie, il y a les Brigades rouges. Cela n’a aucun rapport avec le problème palestinien. Il y a de nombreuses flambées de terrorisme partout dans le monde pour différentes raisons.

Je considère la Tunisie comme un pays modéré, qui a commis une erreur en autorisant l’implantation d’installations terroristes sur son territoire. A mon avis, les Tunisiens ont violé le droit international en autorisant la construction sur leur sol d’un centre de communications, d’un centre opérationnel et d’une prison. Notre raid ne visait pas la Tunisie, mais un centre qui, soit dit en passant, a ordonné le détournement de l’«Achille Lauro». Les ordres sont venus directement de ce centre.

Quand quelqu’un prévoit d’exterminer votre peuple, pourquoi n’auriez-vous pas le droit de l’en empêcher? Telle est la philosophie fondamentale de la Charte des Nations Unies; c’est la justice naturelle. Je crois que les Tunisiens ont compris la leçon. De fait, autant que je sache, ils veulent se débarrasser de la partie opérationnelle de l’Organisation de libération de la Palestine dans leur pays. Personne ne doit autoriser la présence d’un tel centre opérationnel sur son territoire, et il ne faut pas pardonner à celui qui l’autorise néanmoins.

Deuxièmement, Monsieur Gianotti, vous avez mentionné le rôle dirigeant d’Arafat. Vous rappelez-vous une seule occasion où ce monsieur a pris une décision depuis vingt ans qu’il dirige l’OLP? Certains disent qu’Arafat est un modéré. Il n’y a pas de personnes modérées, il n’y a que des décisions modérées. Je ne vois aucune décision modérée qu’Arafat aurait prise. Au contraire, nous avons vécu vingt ans de violence, de terreur et d’irrésolution. Arafat a préféré préserver l’intégrité de son organisation plutôt que de faire des choix politiques. Cet exemple n’est pas unique dans l’histoire. On a un désir, et on fonde une organisation pour le réaliser. Après un certain temps, cette organisation devient plus puissante qu’on ne l’avait rêvé ou imaginé et on fait tout pour éviter qu’elle ne vole en éclats, en oubliant presque complètement la raison de sa création.

Personne n’a fait plus de mal au peuple palestinien que l’OLP. Personne n’a fait vivre plus de tragédies aux Palestiniens, qui ne sont pas nos ennemis. Les hésitations et l’indécision d’Arafat ont été tragiques pour eux. Elles ont mis des obstacles sur la voie de la paix.

Beaucoup de personnes ont dit que c’était là le point de vue d’Israël: elles devraient considérer aussi le point de vue du roi de Jordanie, qui n’a pas ménagé ses efforts pour trouver un terrain d’entente avec eux et pour obtenir leur participation aux négociations de paix. Or, le dernier jour, il est arrivé à la conclusion que tout cela avait été une perte de temps, que toutes les promesses étaient vaines et que rien ne pouvait être sérieusement conclu avec Arafat. C’est ce qu’il a annoncé dans un discours circonstancié à son peuple et au reste du monde.

M. LE PRÉSIDENT

Je rappelle au public qui nous fait l’honneur de suivre nos débats qu’il ne doit manifester ni approbation, ni désapprobation. Je l’en remercie.

La parole est à M. Pini.

M. PINI (Suisse)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, j’ai apprécié vivement l’équilibre, la sérénité constructifs de votre discours. Il m’apparaît porteur d’une disponibilité assez ouverte au dialogue, aux négociations bilatérales et multilatérales pour la recherche d’une solution de paix entre votre pays et les pays arabes avec les Palestiniens.

Voici ma question, Monsieur le Premier ministre. Elle est de nature juridique et politique. Vous y avez d’ailleurs déjà répondu indirectement à l’occasion d’une autre question mais je vous la repose.

Israël, dans la garantie de la reconnaissance et du respect de la part des pays arabes et de l’OLP de son Etat et de ses frontières, originellement définis par le droit international, est-il prêt à reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et en conséquence, la création possible d’un Etat souverain?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je n’ai pas reçu une formation de juriste mais si quelqu’un, à qui on propose un Etat, au lieu de l’accepter, fait la guerre, la perd et déclare: «J’ai perdu la guerre, donc rendez-moi cet Etat», je ne suis pas sûr que ce soit ainsi que s’écrit l’histoire. Il faut parfois faire un choix.

Lorsque le plan de partage arrêté par les Nations Unies fut mis à exécution en 1948, cela a presque été une tragédie pour Israël d’accepter un si petit territoire, car il faut se souvenir qu’il servait de terre d’asile aux réfugiés qui venaient d’arriver d’Europe. Sans la guerre, je suis certain que nous nous en serions contentés. Mais après cinq guerres, nous devons prendre en compte notre sécurité. Nous avons frôlé la catastrophe. Nous avons plus d’une fois été attaqués de tous côtés. Il ne faut pas dire maintenant que nous devons oublier notre sécurité et nous souvenir des garanties offertes par l’Europe et par les Arabes. Nous devons avoir des frontières sûres. Notre sécurité dépend de nos enfants, Nous n’avons pas de troupes étrangères, nous vivons dans une région où les agressions sont monnaie courante et personne ne peut raisonnablement affirmer à long terme qu’il n’y aura plus d’agression.

Nous n’oublions ni les expériences du passé, ni la nécessité de disposer de frontières sûres à l’avenir. Notre ambition, très simple, est de rester en vie et de nous défendre.

Je ne veux rien dire d’injuste envers les Palestiniens, mais il existe vingt-deux Etats arabes, dont bon nombre comptent des Palestiniens. Malgré cela, en Israël, au moins un parti politique, dont je suis membre, a annoncé qu’il était prêt à un compromis sur la question du territoire. Nous nous sommes déclarés disposés à prendre place autour d’un tapis vert et à rechercher une solution. Mais nous ne pouvons faire un trait sur le passé. Nous ne pouvons fermer les yeux sur les dangers qui nous menacent. Une solution ne doit pas seulement être jugée froidement et du point de vue juridique; elle doit aussi être considérée très soigneusement sous l’angle politique.

M. MILLER (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous donner des précisions sur les mesures qu’Israël prend actuellement pour établir avec l’Egypte des relations diplomatiques complètes au niveau des ambassadeurs et sur celles qui pourraient être prises une fois cette question réglée, l’Egypte et Israël coopérant pour trouver une solution aux problèmes de la région?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Les Arabes se déclarent prêts à négocier pour obtenir la restitution des territoires. Dans le cas de l’Egypte, presque tous les territoires ont été rendus. Nombreux sont les Israéliens qui se demandent si nous avons obtenu une paix complète en échange. La question n’est pas simple.

L’objet du litige a Taba pour nom. C’est un minuscule bout de terrain, sans importance, qui ne dépasse pas 1 000 m2, et nous cherchons à régler le différend auquel il a donné lieu. Maintenant qu’un compromis est intervenu entre l’Egypte et Israël pour soumettre ce différend à l’arbitrage, j’espère que les relations entre les deux pays prendront un tour prometteur et serviront de modèle aux autres pays, les incitant à engager des négociations, à préférer une stratégie de paix et avoir les avantages qu’elle offre.

Il ne faut jamais oublier que la paix entre l’Egypte et Israël constitue à la fois un précédent et un exemple. Nous espérons que ce précédent ne restera pas unique et que cet exemple sera suivi.

M. Antonio CARRO (Espagne)

(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Vous êtes très aimable, Monsieur Carro. Je ne refuse pas vos compliments. Il est rare que j’aie l’occasion d’en accepter.

J’espère avoir été suffisamment précis. J’ai surtout voulu mettre l’accent sur la nécessité de prêter attention au problème économique. A défaut, nous connaîtrons des temps très difficiles. C’est là le principal message que je voulais faire passer, et mon propos ne concerne pas seulement Israël. J’ai aussi en vue les pays arabes de la région, qui doivent relever un défi économique dramatique. Je crois que l’Europe devrait bien y réfléchir.

M. BUCHNER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Dans une brillante réponse, vous avez souligné le programme de votre gouvernement de coalition. Permettez-moi de poser une question sur la convention que votre parti a tenue ce mois-ci. Dans la plate-forme politique adoptée à cette occasion, le parti travailliste a exprimé le souhait de voir régler pacifiquement le conflit israélo-arabe, entre autres par l’ouverture de discussions avec les Palestiniens qui reconnaissent Israël et rejettent le terrorisme.

Malgré vos dernières remarques sur POLP, êtes-vous prêt à négocier d’égal à égal avec cette organisation si elle accepte ces deux conditions?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il m’est difficile de répondre à votre question car elle risque de m’entraîner sur une fausse piste. On m’a demandé bien des fois ce qui se passerait si l’OLP changeait. La question est restée une question, l’OLP n’a pas changé, et nos réponses ont été vaines. Un proverbe arabe dit qu’en embrassant un tigre, on ne le transforme pas en chat. Je répondrai «oui» à celui qui me demandera si un tigre sera reconnu comme chat à supposer que le fait de l’embrasser le transforme en cet animal domestique. Je me demande cependant si cette métamorphose se produira. Il s’agit là, à mon avis, d’une hypothèse tout à fait théorique. C’est pourquoi j’hésite à répondre à cette question. Je ne crois pas que l’OLP changera si ses dirigeants actuels restent en place.

M. van der WERFF (Pays-Bas) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, il y a quelque temps, à la Haye, vous avez impressionné les membres des deux Chambres par votre franchise, par votre modestie et par votre modération. Je crois qu’il en va de même aujourd’hui. Je voudrais vous interroger non pas sur le terrorisme, mais sur l’équilibre militaire au Proche-Orient.

Est-il exact que l’influence de l’Union Soviétique et même les investissements de ce pays atteignent de nouveaux sommets en Syrie et en Libye? Quel effet les investissements et subventions soviétiques, qui consistent surtout en des livraisons de matériel militaire sophistiqué et en une formation spéciale dispensée par des officiers soviétiques, ont-ils sur l’équilibre militaire dans la région, et en particulier sur la position d’Israël? En quoi cette influence soviétique, génératrice de troubles, se répercute-t-elle sur les chances de parvenir à une paix durable au Proche-Orient?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

La question de l’équilibre militaire devrait être réexaminée pratiquement chaque année en raison de l’introduction constante d’armes de plus en plus perfectionnées. Ces armes sont coûteuses et sophistiquées mais tant qu’elles ne servent pas, on ne peut en mesurer l’efficacité. Malgré tous ces équipements modernes, le facteur humain reste essentiel: motivation, acceptation du sacrifice, convictions, organisation, etc.

Il est vrai que les Soviétiques introduisent de nouvelles armes technologiquement avancées au Proche-Orient. Mais je crois qu’ils connaîtront certains problèmes. On a beaucoup vanté les mérites du nouveau missile sol-air soviétique SAM-5, dont sont dotées la Libye et la Syrie. Je me demande cependant quelle a été l’efficacité de ce missile en Libye. Cela pose un problème aux Soviétiques car lorsqu’ils mettent en œuvre leur technologie, il apparaît parfois qu’ils n’ont pas le dessus. Tel a déjà été le cas plusieurs fois au Proche-Orient.

Je ne suis pas sûr que les Soviétiques veuillent la guerre. Ils cherchent plutôt quel profit ils peuvent tirer du conflit actuel. Ils veulent des avantages pour eux-mêmes. Je crois qu’il leur est plus ou moins indifférent qu’il y ait la guerre ou la paix. S’ils avaient le choix, je crois qu’ils préféreraient la paix à la guerre. Je ne crois pas qu’ils cherchent la guerre pour la guerre.

L’arrivée de Gorbatchev au pouvoir a fait naître en nous, comme en vous aussi, de grands espoirs. Nous avons tous espéré qu’il y aurait des changements, du point de vue non seulement de l’âge des dirigeants, mais aussi de l’orientation politique. Le rajeunissement de l’équipe dirigeante est manifeste. Nous devons maintenant attendre de voir si à ce rajeunissement correspond aussi un changement politique. J’espère que oui, mais pour l’instant, le changement est dans le style, pas dans le contenu. Nous devons continuer à surveiller de près les manœuvres de l’Union Soviétique au Proche-Orient.

M. SAGER (Suisse) (traduction)

Merci, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, vous avez plusieurs fois parlé, en termes émouvants des cinq guerres auxquelles votre pays a dû faire face depuis sa création, il y a moins de quarante ans. Les Israéliens se sentent menacés du dehors. Nous admirons tous l’union qui règne entre eux quand il s’agit de défendre leur patrie. Mais est-il exact – ce sera ma question – que de profondes divisions, des clivages même, se font jour à l’intérieur du pays et qu’on y assiste à un Kulturkampf qui pourrait avoir des conséquences inquiétantes? Pourrais-je avoir votre sentiment sur cette question?

Je voudrais aussi vous demander s’il n’y a pas là un obstacle à la recherche de la paix. Je vous remercie.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Israël ne serait pas un Etat juif s’il n’y avait pas en son sein des discussions et des controverses. Notre goût pour la discussion et la controverse fait partie de notre caractère juif. Historiquement, nous nous considérons comme un peuple pluraliste qui a tendance à poser des questions plutôt qu’à donner des réponses. Pour nous, ce n’est pas nouveau.

Un célèbre écrivain juif des Etats-Unis, Arthur Miller, a fait observer un jour que le judaïsme était fait de tant de variations qu’il serait presque contraire à son esprit d’épouser l’une d’elles. Nous gardons nos variations et n’en sommes pas honteux. Je ne crois pas que cela ait quelque chose à voir avec la paix ou que nous ayons un Kulturkampf, comme vous l’avez dit, car il existe des divergences non seulement entre les partis religieux et les partis laïcs, mais encore à l’intérieur même de chaque camp, entre milieux religieux et milieux laïcs.

En un sens, Israël est un conglomérat d’exilés venus de centaines de pays différents et parlant des centaines de langues différentes – je n’exagère pas. Il faut du temps pour retrouver son ancienne patrie et ressusciter le langage biblique. Israël est le seul pays du Proche-Orient à être revenu à sa langue originelle. Les Egyptiens ne parlent pas la langue des pharaons; les Grecs ne parlent pas le grec ancien et les Syriens ne parlent pas l’araméen. Les Israéliens, eux, parlent l’hébreu comme leurs ancêtres. Comme l’a dit l’un de nos écrivains, Israël est le seul pays où les enfants enseignent la langue maternelle à leur mère. Cette langue est introduite par une nouvelle génération, mais si nous voulons qu’il n’y ait qu’un peuple, nous tenons à respecter la diversité des opinions. J’espère que nous resterons aussi pluralistes que nous l’avons été dans l’histoire – en en payant le prix, mais aussi en en recueillant les fruits.

M. SARTI (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, il me faudrait plus d’une minute pour vous exprimer la sympathie et l’admiration que j’ai pour vous et pour votre peuple. Je me contenterai cependant de vous demander si vous vous êtes déjà fait une opinion sur les résultats du Sommet des douze pays européens qui s’est tenu hier à Luxembourg et si vous considérez que les pays méditerranéens, en particulier l’Italie, peuvent jouer un rôle dans le rétablissement de la paix et de la sécurité au Proche-Orient.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

J’ai bien sûr pris note de la décision des ministres des Affaires étrangères des Douze. Je m’en félicite car je crois qu’ils ont choisi une solution de rechange. Il ne faut pas critiquer une méthode sans en proposer une autre. Cette décision constitue une tentative sérieuse pour réduire la menace de la violence et du terrorisme agitée par les Libyens. L’Italie peut contribuer de manière importante à mettre fin à la violence au Proche-Orient et à favoriser la paix. J’ai récemment rencontré le Premier ministre italien, M. Craxi, et nous avons discuté en détail de l’élaboration d’un plan économique pour le Proche-Orient. J’ai trouvé mon interlocuteur très réceptif à une telle initiative constructive et tout à fait prêt à y participer. J’espère qu’il restera dans cette disposition d’esprit.

Sir John OSBORN (Royaume-Uni) (traduction)

Je me félicite moi aussi de l’appel à la paix au Proche-Orient lancé par le Premier ministre, M. Shimon Peres. J’ai posé à Mme Golda Meir une question sur l’approvisionnement d’Israël en pétrole lorsqu’elle est venue dans cet hémicycle quelques jours avant la guerre du Yom Kippour en 1973. Depuis lors, le pétrole a alimenté les caisses du terrorisme mais, comme vous l’avez dit, cette source de financement s’est tarie. Vous avez également parlé du redressement économique.

Au cours des débats qu’a suscités dans mon pays le raid américain sur la Libye, Edward Heath, entre autres, a souligné la nécessité de régler le problème palestinien. Quand je me suis rendu au Liban, au début des années 70, j’ai regretté que les Palestiniens soient relégués dans leur camp au lieu d’être intégrés dans l’économie agricole. Lors d’une visite plus récente en Israël, la commission de la science et de la technologie de notre Assemblée a été impressionnée par les moyens technologiques mis en œuvre dans l’agriculture. La réussite d’Israël dans ce domaine ne pourrait-elle être étendue à tout le Proche-Orient, ce qui permettrait certainement d’occuper tout le monde?

Je voudrais que vous précisiez et développiez les réponses que vous avez données tout à l’heure quant aux mesures que les gouvernements européens devraient prendre, que ce soit par l’intermédiaire du Conseil de l’Europe ou par le biais de la CEE. Vous avez parlé en termes très positifs des contacts avec la Jordanie. L’ennui, c’est que les contacts avec l’OLP ont souvent été interprétés comme un acte de déloyauté à l’égard d’Israël. Comment ce problème pourra-t-il être surmonté à l’avenir, même si l’OLP est un tigre? Pouvons-nous œuvrer en vue de l’inscription de cette question à l’ordre du jour de la future réunion au sommet entre le Président Reagan et M. Gorbatchev?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Les Américains disent en plaisantant, au sujet du Proche-Orient, que cette région se divise en Terre sainte et en terre à pétrole. Certains d’entre eux critiquent même Moïse pour avoir trouvé, après quarante ans d’errance, le seul coin du Proche-Orient dépourvu de pétrole et d’eau – qui est aujourd’hui Israël. Mais quand on examine un peu mieux son choix, on arrive à la conclusion qu’il a peut-être bien fait. Le prix du pétrole peut chuter brusquement alors que la sainteté est une valeur sûre. Nous ne dépendons pas du pétrole, mais de nos efforts et de nos talents, et nous serons heureux de partager avec nos voisins et d’autres ce que nous pouvons apporter d’utile en matière d’étude et de progrès technologique.

Dans mon exposé, j’ai dit qu’en Cisjordanie, où vivent 800 000 Palestiniens, il y avait déjà cinq universités et quatre quotidiens. La démocratie y est réelle et l’agriculture développée, et le niveau de vie a considérablement augmenté. Bien que nous n’ayons pas de solution au problème, les gens qui vivent dans cette région jouissent de la liberté d’expression.

Ceux qui associent terreur et problème palestinien justifient le terrorisme. Ce n’est pas ainsi que le problème palestinien trouvera une solution. Si j’avais à choisir entre le roi de Jordanie et Arafat, je dis franchement que je préférerais un roi à un dictateur. Les rois ont au moins de bonnes manières! La Jordanie est bien gouvernée. N’oublions pas que la majorité des Jordaniens sont des Palestiniens et que tous les Palestiniens qui résident en Cisjordanie sont, sans exception, des Jordaniens. Pourquoi alors devrions-nous mettre à l’écart le roi de Jordanie? Pourquoi devrions-nous méconnaître le fait que les Palestiniens de Cisjordanie sont des citoyens jordaniens, ont des passeports jordaniens et sont représentés au Parlement jordanien? Ce n’est pas à Reagan ni à Gorbatchev de choisir, mais à nous tous. D’ailleurs – je l’ai déjà dit – le roi Hussein a déjà tenté, mais en vain, de s’entendre avec l’OLP.

Le réalisme commande que le roi Hussein conduise le processus de paix à l’est d’Israël. Il doit inclure des Palestiniens dans sa délégation, tout comme il a de nombreux Palestiniens dans son gouvernement, son cabinet, son armée et son parlement. Nous ne ferons aucune difficulté pour négocier avec eux. Je ne vois pas pourquoi un pays ou le monde entier devrait faire du sur place et préférer Arafat. Quelle est la logique de cette attitude? Ou conduira-t-elle? Qui la soutiendra?

Le pari le plus sûr sera une délégation jordano-palestinienne conduite par le roi Hussein et comprenant des Palestiniens, qui, à mon avis, recherchent sérieusement une solution.

M. GUERRA (Espagne)

(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je crois avoir déjà répondu à votre question mais si vous souhaitez m’entendre réitérer une proposition qui remonte à 1948, je crains que vous ne vous trompiez d’époque. On peut casser des œufs pour faire une omelette, mais on ne peut pas ensuite reconstituer les œufs. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Ce n’est pas nous qui avons cassé tous les œufs, mais le passé est ce qu’il est. Chaque pays, y compris l’Espagne, en a fait l’expérience. On ne peut arrêter la pendule et remonter le temps. Il ne faut pas en déduire que nous ne devions pas trouver une solution honorable pour le peuple palestinien, mais on ne peut revenir à une situation qui n’existe plus.

Je ne crois pas que les Palestiniens doivent rester dans les camps. Il y avait des camps de réfugiés à Gaza et, avec notre concours, des maisons ont été construites, et maintenant plus de 8 000 familles vivent dans de coquettes maisons, en travaillant et en subvenant à leurs besoins. Il y a beaucoup de solutions possibles, mais, je le répète, une solution ne pourra être trouvée qu’autour d’un tapis vert. Je ne vois pas d’autres moyens.

M. McGUIRE (Royaume-Uni) (traduction)

Je félicite M. le Premier ministre du discours à la fois habile et intelligent qu’il a prononcé. Il a parlé – et c’est là le nœud du problème – des droits et des aspirations du peuple palestinien. Mais j’ai été un peu dérouté par ce qu’il a dit plus tard, et qui constitue pour moi la parfaite recette du colonialisme. Vous avez en effet déclaré que si un Etat entre en guerre avec un autre Etat et lui prend une partie de son territoire, puis entre de nouveau en guerre et conquiert de nouveaux territoires, personne n’est fondé à contester le droit de cet Etat de conserver les terres ainsi conquises.

L’histoire du monde, y compris celle de mon pays, le Royaume-Uni, et des autres puissances coloniales, montre pourtant que ces pays n’avaient pas le droit d’envahir des territoires puis de dicter aux vaincus le choix de leur porte-parole. N’est-il pas juste et normal que ce soit l’OLP – le seul représentant des Palestiniens que nous connaissions – qui négocie en leur nom, à moins que M. le Premier ministre ne soit en mesure de dire qui devrait les représenter, peut-être à la suite d’un vote ouvert à tous? Tant que cette question n’aura pas reçu de réponse, il y aura beaucoup de problèmes. Israël doit en être bien conscient. Cet Etat ne peut conserver les territoires conquis et dicter aux vaincus le choix de leur porte-parole.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Avec tout le respect qui est dû à l’histoire du Royaume-Uni, je tiens à dire que nous n’avons jamais été en Inde et que l’endroit où nous vivons s’appelle Israël. Nous ne sommes pas des étrangers dans ce pays – nous avons le droit historique d’y vivre, et personne n’est fondé à nous le retirer. Notre présence sur ce territoire remonte à plus de quatre mille ans. Comment peut-on parler à ce sujet de colonie? Nous n’avons jamais colonisé ni exploité d’autres peuples. Nous luttons durement pour notre survie et nous en avons payé le prix. Nous avons été attaqués – les Britanniques ont-ils été attaqués par les Indiens ou les Africains? Permettez-moi de dire que je suis surpris qu’on puisse faire ce genre de comparaison. Il faut dire les choses comme elles sont. Nos droits sur Israël sont historiques. Nous n’oublierons jamais la déclaration Balfour ni le mandat britannique, mais notre mandat est la Bible, qui existait bien avant le mandat britannique. Que chacun respecte et défende l’histoire de son propre pays!

Trois fois Israël a pénétré jusqu’au Sinaï, mais à chaque fois il s’en est retiré. Y sommes-nous allés, attirés par son or et son argent, par ses marchés et ses perles? Non, nous y sommes allés parce que nous avons été attaqués et que nous avons dû nous défendre mais, à la fin, nous avons à chaque fois évacué le Sinaï après l’avoir conquis. Quelle idée de comparer cela avec l’histoire du Royaume-Uni!

Nous trouvons certains Palestiniens acceptables. Le roi Hussein a suggéré que cinq personnes composent la délégation jordano-palestinienne chargée de négocier, et nous en avons immédiatement accepté deux, mais nous n’accepterons pas de négocier avec des gens qui viennent avec des couteaux et des pistolets. Nous avons le droit de faire une distinction entre ceux qui viennent la main tendue et ceux qui ont le doigt sur la gâchette. Qui pourrait nous contester ce droit?

Monsieur McGuire, vous devriez éviter les comparaisons hasardeuses. Vous avez suivi votre voie et je respecte votre pays. Nous suivons une autre voie et en avons payé le prix, non seulement moralement et historiquement, mais aussi par une énorme somme de souffrances. Quelles terres avons-nous conquises? Quels peuples avons-nous dominés? Quelles négociations avons-nous refusées? Après tout ce qui nous est arrivé, nous nous sommes contentés d’user de notre droit de défendre la vie et l’avenir de nos enfants.

M. MICALLEF (Malte) (traduction)

Je vous pose ma question, Monsieur le Premier ministre, en tant que citoyen, comme vous, d’un pays du bassin méditerranéen. Vous avez déclaré qu’Israël était prêt à procéder à une délégation de pouvoirs. Je voudrais que vous explicitiez cette déclaration, et, ce qui est plus important, que vous nous disiez en quoi cette position est de nature à encourager l’acceptation pleine et entière d’Israël et à contribuer ainsi à la paix et à la stabilité au Proche-Orient et dans le bassin méditerranéen.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Le problème palestinien est très complexe. Le conflit est compliqué. C’est pourquoi nous ne pourrons le résoudre d’un coup – il faut procéder par étapes. Dans l’accord initial égypto-israélien, les deux parties s’étaient mises d’accord sur les différentes étapes du règlement du problème palestinien, la première étape, fonctionnelle plutôt que géographique, consistant à accorder au peuple palestinien l’autonomie. En un sens, ce que j’ai dit au sujet de la délégation de pouvoirs montre que nous sommes disposés à mettre en œuvre la première étape. Ceci fait, peut-être dans une atmosphère différente, nous pourrons aborder la deuxième étape. Telle est la logique de notre position, qui marque la bonne volonté d’Israël.

Sir Frederic BENNETT (Royaume-Uni) (traduction)

Je suis entièrement d’accord avec M. le Premier ministre pour dire qu’il est dangereux d’associer le terrorisme à un seul problème politique. En procédant ainsi, on risque de mauvaises surprises car, comme l’a fait fort justement remarquer M. Peres, le terrorisme a des causes multiples. Personne ne le sait mieux que les Britanniques, qui font l’expérience du terrorisme en un lieu beaucoup plus proche que l’Inde. M. le Premier ministre n’en a pas moins honnêtement reconnu que le problème palestinien était l’une des principales causes de tension. Il serait malavisé de le nier.

Depuis 1976, les gouvernements israéliens successifs faisaient valoir que pour sa sécurité, il fallait qu’Israël continue d’occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza. Depuis quelque temps, une autre thèse est en faveur à Tel-Aviv selon laquelle la Cisjordanie et la bande de Gaza font historiquement partie d’Israël. Auquel de ces deux points de vue M. le Premier ministre souscrit-il? Je n’ai pas bien compris s’il voulait dire que le droit historique invoqué par lui concernait Israël proprement dit dans ses frontières originelles, auquel cas je serais d’accord avec lui, ou s’étendait, indépendamment de la question de la sécurité, à la bande de Gaza et à la Cisjordanie.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Personne ne peut changer le passé. Le droit historique d’Israël est un fait historique. Quand j’envisage l’avenir, je pense à la sécurité de mon pays et à la nécessité de trouver une solution au problème palestinien. Aussi tout en nous rappelant le passé, nous souhaitons ouvrir la voie à un avenir qui ne désavantage personne et qui garantisse la sécurité d’Israël. Voilà ma réponse.

M. BLAAUW (Pays-Bas) (traduction)

M. le Premier ministre a déclaré tout à l’heure que les habitants de Cisjordanie avaient des passeports jordaniens; il y a donc quelque espoir d’amélioration future. Mais le processus de paix peut être très long et les habitants de la bande de Gaza n’ont pas d’autres documents que ceux délivrés aux réfugiés. Par ailleurs, le taux de natalité y est très élevé, si bien qu’il y a un véritable trop-plein de population. C’est une charge pour l’économie israélienne. Lorsque vous avez évoqué un plan économique régional auquel l’Europe pourrait apporter son soutien, vouliez-vous dire, Monsieur le Premier ministre, que nous pourrions aider ces gens à mieux vivre tant que durera le processus de paix et en attendant que la question de leur avenir soit définitivement réglée?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je réponds évidemment par l’affirmative. Nous accepterions bien volontiers l’aide des Européens au développement de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Je le dis sans la moindre hésitation. Les habitants de Gaza n’ont pas de passeports. Je ne crois pas qu’ils souhaitent obtenir des passeports israéliens. L’Egypte ne leur a pas proposé des passeports égyptiens lorsqu’elle contrôlait et occupait ce territoire.

Si le roi Hussein considère les habitants de Gaza comme faisant partie de son peuple – je crois que c’est le cas – la Jordanie pourrait peut-être leur délivrer des passeports. Je n’exclus pas cette possibilité.

M. BROWN (Royaume-Uni) (traduction)

Juste après la guerre de 1967, alors que j’étais en Israël, on m’a demandé de participer à une émission de radio. Pendant cette émission, j’ai déclaré qu’à mon sens, les Israéliens avaient manqué une excellente occasion de conclure un traité de paix avec le roi Hussein. Les événements qui se sont produits depuis lors ne m’ont pas fait changer d’avis. La Jordanie est probablement, de tous les Etats arabes, celui avec lequel il importe le plus de signer un traité de paix. M. le Premier ministre a déjà évoqué assez longuement cette question, mais je souhaiterais qu’il entre davantage encore dans les détails et nous dise quelles possibilités il entrevoit de parvenir à un règlement négocié avec la Jordanie et dans quel délai.

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

L’un des points intéressants des négociations entre le roi Hussein et l’OLP a été l’accord censément intervenu entre eux selon lequel il n’y aurait pas d’Etat palestinien séparé, mais une fédération ou une confédération entre la Jordanie et le peuple palestinien. Je crois que vu son exiguïté et la complexité de ses frontières, un Etat palestinien séparé poserait autant de problèmes à la Jordanie qu’à Israël.

Je pense que le but du roi Hussein est d’arriver à une solution combinant la conclusion d’un traité de paix entre Israël et la Jordanie et le règlement du problème palestinien. Nous sommes d’accord avec cet objectif. Je crois que le problème palestinien ne peut trouver de solution que dans un cadre jordano-palestinien. N’oublions pas qu’il y a une sorte de tension entre les Jordaniens et les Palestiniens sur le point de savoir qui dirigera qui. Je crois que c’est la meilleure solution. Le roi Hussein a fait le maximum pour mettre en œuvre l’accord auquel il pensait être arrivé mais, à la toute dernière minute, il a découvert, choqué et surpris, que cet accord n’avait aucune valeur.

Les relations qui existent entre Israël et la Jordanie laissent une place à l’espoir. La situation est unique en son genre. Officiellement, les deux Etats sont en guerre, mais, en fait, les frontières sont ouvertes et les gens, les marchandises et les idées circulent librement. C’est le droit jordanien qui est en vigueur en Cisjordanie; la monnaie jordanienne y est acceptée et les programmes scolaires sont également jordaniens. Lorsqu’on ouvre un manuel utilisé dans une école de Cisjordanie, on y trouve à la première page un portrait du roi Hussein.

C’est au roi Hussein de choisir le moment. Nous sommes prêts depuis longtemps. Nous attendons simplement que la Jordanie, surmontant sa timidité initiale, accepte de négocier ouvertement. Les Jordaniens ont essayé de négocier avec l’OLP et ils en ont tiré la leçon. Si le roi Hussein franchit le pas, je suis convaincu que beaucoup de Palestiniens le suivront. Personne au Proche-Orient n’est plus désireux de trouver une solution à ce problème que les habitants de Cisjordanie et de Gaza. Ils sont prêts à en payer le prix. Je crois que beaucoup d’entre eux ont été déçus par l’OLP et que si cette organisation ne faisait pas régner la terreur, une solution aurait été trouvée depuis longtemps.

Lord KINNOULL (Royaume-Uni) (traduction)

Je crois que je suis le dernier sur la longue liste de ceux qui ont voulu vous interroger, Monsieur le Premier ministre. Je vous félicite des réponses lucides que vous avez données aux questions précédentes.

Je voudrais à mon tour vous poser deux questions. Parlant du Liban, vous avez dit que ce pays ne pouvait pas trouver la paix. Quel rôle positif les Nations Unies pourraient-elles jouer en faveur de la paix?

Ma deuxième question a trait à l’agriculture. J’ai eu l’honneur de me rendre en Israël l’an dernier avec une commission de notre Assemblée. Nous avons pu constater l’extraordinaire réussite de votre agriculture. Compte tenu de la surproduction que connaissent actuellement l’Europe et les Etats-Unis, comment voyez-vous l’avenir de votre agriculture?

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je commence par le Liban. Le fait est que ce pays n’a ni gouvernement national, ni armée nationale. Chaque village a sa propre direction, sa propre armée et sa propre orientation. Le Liban est en proie à la guerre civile. J’imagine, Lord Kinnoull, que vous vous référez à la FINUL, c’est-à-dire à la force d’intervention des Nations Unies au Liban. Cette force est importante pour le Liban. Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur son déploiement – sur les lieux où elle devrait être mise en place – mais en tout cas, son maintien dépend uniquement des autorités libanaises, quelles qu’elles soient. Je ne crois pas que nous ayons un rôle particulier à jouer à cet égard.

S’agissant de l’agriculture, nous vous demandons de nous donner les mêmes chances qu’à tous les autres pays du Marché commun. Je pense que nous parviendrons à un accord avec les agriculteurs espagnols, italiens et portugais. Je crois qu’ils souhaiteraient, comme nous-mêmes, voir réunies les conditions d’une concurrence équitable et, peut-être, introduire de nouvelles variétés de fruits et de légumes, à la joie de beaucoup d’Européens. Nous voudrions avoir des chances égales d’exporter nos produits car nous importons beaucoup d’Europe. De fait, nous achetons plus à l’Europe que l’Europe ne nous achète. C’est là notre demande fondamentale. Merci de votre amabilité, Lord Kinnoull. Je dirai à nos agriculteurs qu’ils comptent un grand admirateur dans cette éminente Assemblée.

M. LE PRÉSIDENT

Nous en avons terminé avec les questions parlementaires à M. le Premier ministre d’Israël, que je remercie sincèrement.

Monsieur le Premier ministre, nous venons de vivre un grand moment pour notre Assemblée. J’espère que vous partirez avec la conviction que vous avez de nombreux amis ici, non seulement intéressés par les problèmes qui vous ont été posés, mais qui forment également le vœu que pour vous-même, pour votre gouvernement, pour votre peuple, vous réussissiez dans cette mission de paix que nous souhaitons tous. Sachez que le Conseil de l’Europe partage toutes vos préoccupations.

(Vifs applaudissements)

M. Peres, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je vous remercie infiniment, Monsieur le Président.

(Mmes et MM. les Représentants se lèvent et applaudissent longuement.)