Călin

Popescu-Tăriceanu

Premier ministre de Roumanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 11 avril 2006

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre Juncker, cher Jean- Claude, Monsieur le chancelier Schüssel, cher Wolfgang, Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est pour moi un grand honneur de m’adresser à cette Assemblée parlementaire dans le contexte de ce débat sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

C’est un honneur, mais c’est aussi un plaisir puisque je me trouve ici aux côtés de deux amis, le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, dont nous venons d’écouter l’intervention visionnaire, et le chancelier de l’Autriche, Wolfgang Schüssel, dont j’apprécie l’efficacité en tant que Président en exercice de l’Union européenne et le soutien déterminé pour mon pays.

Distingués parlementaires, vous en conviendrez, c’est une chance pour nous tous, pour le Conseil de l’Europe et pour l’Union européenne, qu’un Européen convaincu comme Jean-Claude Juncker ait accepté de consacrer son temps et son énergie à une question qui nous occupe, voire nous préoccupe, celle des relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il est, sans aucun doute, un homme politique européen connaissant parfaitement les deux organisations qui, chacune à leur manière, façonnent aujourd’hui notre continent.

Cette connaissance intime n’est certainement pas due au hasard. Je me souviens, lors de la signature du traité d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne, le 25 avril 2005, à Luxembourg, avoir découvert une maison portant une plaque commémorative au nom de Robert Schuman. Quel meilleur symbole pour un pays fondateur du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne?

A Varsovie, lorsque mes collègues lui ont demandé d’accepter d’élaborer le rapport qu’il présente aujourd’hui à titre personnel, Jean-Claude Juncker était le plus ancien des chefs de gouvernement, non seulement des 25 Etats membres de l’Union européenne, mais aussi des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe.

Cette longévité politique est le fruit de convictions fortes, d’un engagement sans faille, d’un travail sans relâche mais surtout de qualités humaines et intellectuelles dont les moindres ne sont pas le courage et le franc-parler.

Depuis le Sommet de Varsovie, Jean-Claude Juncker a conclu une exemplaire présidence de l’Union européenne, il a fait ratifier par voie de référendum le traité constitutionnel dans son pays, il a continué à présider l’Eurogroupe et il a – comme il s’y était engagé – préparé ce rapport. Le fait qu’aujourd’hui, dans cet hémicycle, deux Premiers ministres et le Président de la Commission européenne l’entourent témoigne du respect et du statut dont il jouit sur la scène européenne. Au nom de la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, je veux le remercier très sincèrement et très chaleureusement pour son engagement en faveur de cette Organisation.

C’est un honneur pour la Roumanie de présider le Comité des Ministres à un moment aussi important. C’est la première fois que mon pays assume la présidence du Conseil de l’Europe qui a su nous accueillir et nous épauler au tournant décisif de notre histoire récente, le choix irréversible de la démocratie.

Après des années d’isolement et de dictature, après les longues années de la guerre froide, après le règne de l’arbitraire et la privation de libertés, nous avons trouvé auprès du Conseil de l’Europe l’aide et les voies pour construire une démocratie et un Etat de droit.

Fort de cette expérience que nous partageons avec les autres pays d’Europe centrale et orientale, je ne peux que soutenir les propos de Jean-Claude Juncker sur le rôle irremplaçable du Conseil de l’Europe dans la construction européenne.

La Roumanie est devenue membre du Conseil de l’Europe en 1993 au Sommet de Vienne et aujourd’hui, en 2006, un an après le Sommet de Varsovie, nous nous apprêtons à adhérer à l’Union européenne.

Je vois dans cette succession d’événements clés pour mon pays plus qu’un symbole. J’y vois l’illustration du rôle du Conseil de l’Europe dans le destin européen de la Roumanie.

Comme vous le savez, l’intégration dans l’Union européenne représente l’objectif prioritaire de la Roumanie. Nous sommes maintenant très près d’atteindre notre but et cela est en grande partie dû au soutien constant du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire a joué un rôle essentiel et je compte sur votre engagement continu pour promouvoir la ratification rapide du traité d’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne.

Mesdames, Messieurs, le hasard fait que la Roumanie se trouve en contiguïté directe avec les Etats membres de l’Union européenne qu’elle est en train de rejoindre, ainsi qu’avec les pays concernés par la politique européenne de voisinage et le Processus de stabilisation et association. Certains de ces pays aspirent à devenir membres de l’Union européenne et la Roumanie est prête à les soutenir en partageant son expérience.

Pour nous, le processus d’élargissement de l’Union européenne est indissociable du renforcement concomitant et solidaire du rôle du Conseil de l’Europe, dont nous sommes membre actif depuis bientôt treize années.

Le Conseil de l’Europe nous offre le cadre d’une culture politique paneuropéenne qui continue à nous rendre attentifs aux multiples sens de la démocratie. C’est une raison de plus, pour nous tous, de renforcer le rôle unique du Conseil de l’Europe, son potentiel de stabilisation démocratique et, en fin de compte, son rôle régulateur constructif pour les institutions démocratiques à l’échelle européenne.

Le Conseil de l’Europe est une école de la démocratie, un ferment de stabilité et de sécurité démocratique pour notre continent. Cela explique pourquoi il ne saurait se réduire au rôle de simple antichambre d’accès à l’Union européenne. Ce serait faire bien peu de cas de sa mission.

En effet, l’histoire européenne nous a appris, dans la douleur, que la démocratie et la sécurité ne sont pas acquises une fois pour toutes. Tous les pays continuent et continueront d’avoir besoin du Conseil de l’Europe, qu’ils soient membres ou non de l’Union européenne. Il restera au niveau du continent la seule enceinte de coopération strictement européenne dont l’objectif est la construction d’une Europe sans clivages, fondée sur les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et d’Etat de droit.

Pour construire l’avenir de l’Europe, nous avons plus que jamais besoin des deux organisations. Elles ne seront pas de trop pour regagner la confiance des citoyens que, et je cite Jean-Claude Juncker, «l’Europe ne fait plus rêver».

Ce défi nous impose de laisser de côté les vaines querelles et les concurrences mal placées pour bâtir entre les deux organisations des relations plus harmonieuses et plus efficaces, afin que la coopération devienne plus intense, dans un cadre institutionnel plus clairement défini. A cet égard, Jean-Claude Juncker fait toute une série de propositions concrètes pour refonder le nécessaire partenariat entre les deux organisations.

En tant que Présidente du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, la Roumanie œuvrera jusqu’à la fin de son mandat pour que ces propositions trouvent une traduction adéquate dans les relations entre les deux organisations. J’attends pour cela la coopération constructive des commanditaires du rapport, les chefs d’Etat et mes collègues, chefs de gouvernement de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, y compris bien sûr ceux des 25 Etats membres de l’Union européenne. Je suis par ailleurs convaincu que nos efforts seront poursuivis et relayés par la Fédération de Russie, qui nous succédera à la présidence du Comité des Ministres le 19 mai. C’est notre responsabilité partagée, mais aussi notre intérêt commun, de travailler tous ensemble pour consolider la famille européenne autour des valeurs que nous partageons.

Dans ce contexte, le soutien de cette Assemblée parlementaire, celui du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et du Président de la Commission européenne, ainsi que des commissaires compétents est indispensable. Nous savons également pouvoir compter sur la coopération de la présidence autrichienne de l’Union européenne, sur le chancelier Schüssel lui-même, dont la présence pour ce débat aujourd’hui à Strasbourg est éloquente.

La première étape sera la finalisation du mémorandum d’accord entre les deux organisations, qui est en préparation. Dès le départ, il avait été entendu que le projet initial, préparé par la présidence britannique de l’Union européenne, constituait une base de discussion qui devait être enrichie par les commentaires des Etats membres du Conseil de l’Europe, non membres de l’Union européenne. Nos ministres des Affaires étrangères réunis à Strasbourg en novembre dernier et l’Assemblée parlementaire ont par ailleurs insisté pour qu’on tienne compte des idées et orientations tracées dans le rapport Juncker.

Il nous incombe maintenant d’avancer sur cette voie et d’inclure un maximum de propositions faites par Jean-Claude Juncker dans ce mémorandum, que nous espérons pouvoir finaliser pour la fin de la présidence roumaine. Nous examinerons également les recommandations de l’Assemblée parlementaire, qui aura dans deux jours un grand débat sur la question.

Pour la présidence roumaine, ce mémorandum d’accord devra être un document politique tendant à l’établissement d’un mécanisme de consultation et de coopération efficace, fondé sur un vrai partenariat.

Je souhaite que les plus hauts responsables politiques de nos Etats membres ainsi que la Commission européenne s’appuient le plus possible sur le rapport Juncker pour le concevoir et l’établir.

Ce mécanisme doit prévoir de véritables structures et espaces de coopération, qui puissent être mis en place et développés d’une manière complémentaire par les deux organisations, comme la coopération dans le cadre de la politique européenne de voisinage, l’élaboration de projets communs ou le renforcement de la coopération dans le domaine de la protection des droits de l’homme.

Certaines recommandations du rapport Juncker, par leur portée à plus long terme, nécessitent plus de réflexion pour être insérées à ce stade dans le texte du mémorandum. Je pense, par exemple, à l’adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe. D’autres sont plus structurelles et spécifiques au Conseil de l’Europe, par exemple toutes les mesures visant une revalorisation politique de l’Organisation.

Aussi vais-je demander au ministre des Affaires étrangères de la Roumanie de faire inscrire la question à l’ordre du jour de la 116e session du Comité des Ministres, les 18 et 19 mai, et de proposer de mettre en place, au niveau ministériel, un groupe de suivi du rapport Juncker. Ce groupe comprendrait des représentants du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Du côté du Conseil de l’Europe, je propose d’inclure le ministre exerçant la présidence du Comité des Ministres, les deux ministres, les Vice-Présidents, la présidence sortante et la prochaine présidence, le Secrétaire Général et le Président de l’Assemblée parlementaire.

Je suggère au chancelier Schüssel de faire une proposition parallèle au sein de l’Union afin que ce groupe puisse commencer ses travaux dans les meilleurs délais et faire un rapport d’ici un an aux deux conseils respectifs.

Telles sont, Mesdames, Messieurs les parlementaires, les principales idées et suggestions que je souhaitais partager avec vous. La tâche qui nous attend désormais est certes difficile mais aussi exaltante. En menant à bien ce travail, nous préparerons aussi l’avenir de nos enfants et des générations qui leur succéderont. Je formule le souhait que lorsque ces générations reprendront le flambeau et se retourneront sur ce que nous avons fait pour améliorer les relations entre nos deux organisations et la construction européenne, elles aient le même regard de gratitude que nous-mêmes avons pour les pères fondateurs de l’Europe. Je sais pouvoir compter sur votre soutien en ce sens, comme vous pouvez compter sur le nôtre.