Fredrik
Reinfeldt
Premier ministre de Suède
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 2 octobre 2008

Je vous remercie, monsieur le président, pour cet accueil aimable et pour l’invitation que vous m’avez adressée me donnant ainsi la possibilité de m’adresser à l’Assemblée parlementaire. C’est pour moi un grand honneur et un plaisir de rencontrer les membres des Parlements de presque toute l'Europe. L’Assemblée parlementaire a joué un rôle important dans la vie politique suédoise car de nombreux hommes politiques y ont acquis une expérience internationale.
Voici venu le temps des épreuves sur les plans de la coopération internationale, des finances et aussi des conflits. Actuellement, les marchés financiers souffrent non seulement outre Atlantique mais aussi en Europe. Dans de nombreux pays, la croissance économique ralentit et tend vers zéro. De nombreuses institutions financières se débattent dans de grandes difficultés de paiement et de crédit. L’homme de la rue se méfie, réduit ses dépenses de consommation et s’inquiète pour ses économies. Tous les pays sont concernés par cette crise, ce qui montre l’interdépendance entre les pays en Europe, et de ces mêmes pays avec le reste du monde. Pour autant, nous devons faire en sorte que nos économies restent ouvertes et nous devons éliminer toute entrave à la libre circulation des biens et des investissements.
Ce n’est certes pas le rôle du Conseil de l’Europe qui doit se concentrer sur ses missions essentielles. Il n’empêche que le Conseil de l’Europe, comme toutes les organisations internationales, risque de souffrir si, en réponse à la crise financière, les États se repliaient sur eux-mêmes et préféraient des solutions nationales à une coopération internationale. Comme l’a dit la Chancelière Angela Merkel, nous devons respecter tous nos engagements et ne pas laisser les conditions matérielles prendre le pas sur le respect de la démocratie.
Aujourd’hui, la coopération internationale est remise en cause par un conflit armé. Or le Conseil de l’Europe a été créé sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, après des années de tyrannie, d’oppression et un génocide sans précédent. Tous les principes qui s’étaient épanouis pendant deux siècles, depuis l’époque des Lumières, ont été bafoués. Le Conseil de l’Europe a été créé pour s’assurer que cela ne se reproduise plus jamais. Aussi, quand à la fin août, deux États membres ont pris les armes, nous sommes nous trouvés dans une situation inédite que nous pensions inimaginable, il y a quelques mois encore.
Ces événements remettent en cause le Conseil de l’Europe et ses valeurs. Des principes fondamentaux du droit international ont été violés, notamment l’obligation de tenter de résoudre un conflit de façon pacifique, le respect de la souveraineté des États membres et le droit à l’intégrité territoriale. Il y a eu aussi de nombreuses violations des engagements spécifiques pris par les États membres du Conseil de l’Europe lorsqu’ils ont adhéré à l’Organisation. Le droit de chaque État à décider librement de sa politique future, de son avenir, y compris en matière de sécurité a été remis en cause. C’est avec une grande inquiétude que nous avons été les témoins de l’escalade de la violence des deux côtés de l’Ossétie du Sud.
Peu importe ce qui est arrivé. La décision prise par la Russie de lancer une opération militaire de grande envergure en Géorgie ne saurait être justifiée quelles que soient les circonstances. L’agression militaire et la reconnaissance par la Russie de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie constituent des violations du droit international. Si le Conseil de l’Europe veut préserver sa crédibilité, il doit agir. Nous devons agir lorsque le droit international est bafoué. Voilà pourquoi l’Assemblée parlementaire a fait de la Géorgie le sujet principal de sa partie de session.
Le rapport de la présidence, suite à la réunion ministérielle informelle extraordinaire qui s’est tenue à New York, identifie plusieurs pistes possibles pour faire face à la situation. D’abord, établir un suivi renforcé du respect des obligations et des engagements vis-à-vis du Conseil de l’Europe de la part de la Géorgie et de la Fédération de Russie. Deuxièmement, développer la coopération entre le Conseil de l’Europe et la Géorgie, d’une part, et la Fédération de Russie, d’autre part, afin de renforcer la mise en œuvre des droits de l’homme, de la démocratie et l’état de droit. Troisièmement, apporter davantage de soutien aux six principes énoncés par le Commissaire aux droits de l’homme afin de garantir la protection des droits de l’homme et la sécurité des personnes. Cela de toute urgence.
Toutes ces mesures devraient être bénéfiques pour les populations affectées et pour le processus de paix. Ce serait la preuve que le Conseil de l’Europe est aussi indispensable aujourd’hui qu’hier. Le Conseil de l’Europe joue un rôle unique fondé sur ses valeurs fondamentales, la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit, qui figurent dans ses statuts de 1949 et qui ont été réaffirmés par le Sommet de 2005. La démocratie et les droits de l’homme ne sauraient exister l’une sans les autres. Seules les démocraties sont en mesure de respecter intégralement les droits de l’homme. Leur plein respect est impossible si le droit ne prime pas. La démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit sont aussi un puissant moteur de développement économique et social pour tous nos États.
Ne croyons pas pour autant que l’Europe ait toujours été un modèle pour la planète dans ce domaine. Il est vrai qu’aujourd’hui, pratiquement tous les États européens peuvent être considérés comme des démocraties respectueuses des droits de l’homme. Cependant n’oublions pas que, en 1980, seule la moitié des États entrait dans cette catégorie. Vingt ans plus tôt, en 1960, bien moins pouvait être qualifiés de démocraties respectueuses des droits de l’homme. En 1940, une poignée d’États seulement entraient dans cette catégorie.
Le Conseil de l’Europe a énoncé un modèle en établissant des normes en matière de droits de l’homme, de démocratie et de primauté du droit, un modèle pour tous les pays d’Europe. Pour autant, nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Les valeurs du Conseil de l’Europe, il faut les défendre, les développer, les reconquérir en permanence. Nous devons œuvrer pour promouvoir ces valeurs fondamentales dans les sociétés qui ne sont pas libres et ouvertes, mais, de la même façon, n’oublions jamais de les défendre chez nous pour éviter que ces valeurs ne soient oubliées ou bafouées.
Lorsque la Suède a présidé le Comité des Ministres dans les années 90, nous vivions dans monde bien différent. L’empire soviétique était en train de tomber en ruines. De nombreux nouveaux États frappaient aux portes du Conseil de l’Europe. La Yougoslavie éclatait en morceaux, plusieurs guerres allaient se déclencher. Le Conseil de l’Europe comptait une vingtaine d’États membres, contre 47 aujourd’hui. Nous ne savions pas très bien à quoi allait aboutir l’effondrement de l’Union soviétique. Les nouvelles démocraties étaient fragiles et avaient besoin de l’aide du Conseil de l’Europe, de structures pour les accompagner lors d’une transition pacifique.
À cette époque, le Conseil de l’Europe, en particulier son Assemblée parlementaire, ont fait un choix stratégique important: ils ont tranché entre l’inclusion et l’exclusion; ils n’ont pas exigé de tous les nouveaux États candidats qu’ils respectent toutes les normes du Conseil de l’Europe au moment de leur adhésion. On a accueilli ces pays dans la famille, on les a aidés à se démocratiser. Ce choix stratégique a-t-il été un succès? Oui et non. Dans de nombreux pays, c’est un succès extraordinaire. Une véritable vague démocratique a parcouru l’Europe des années 90. De nombreux pays se sont développés de manière satisfaisante et sont aujourd’hui de véritables démocraties. Le mérite revient essentiellement à ces pays eux-mêmes, mais le Conseil de l’Europe a joué un rôle significatif en promouvant les valeurs sur lesquelles ces États européens et les États d’Europe se sont construits.
Ailleurs, en revanche, les progrès ont été bien moindres. Dans certains pays, on ne peut pas dire que les élections soient libres et démocratiques. La justice n’est pas toujours indépendante du pouvoir. Cet état de fait constitue un défi pour le Conseil de l’Europe, puisqu’il remet en cause ses valeurs fondamentales et entache sa crédibilité, ce qui veut dire que les parlementaires et les gouvernements doivent affronter ces questions indépendamment de toute considération géopolitique.
Nous devons continuer à faire des efforts en direction du Belarus. La clé de la démocratisation du pays, ce sont les dirigeants qui la possèdent. Le Conseil de l’Europe est disposé à apporter son aide et dispose de tous les outils efficaces, pour autant qu’on en fasse la demande. Malheureusement, les élections de dimanche dernier ont montré que les dirigeants du Belarus ne sont pas prêts à émettre un signal positif.
Dans les années 90, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont joué un rôle significatif dans l’émergence des nouvelles démocraties. Ces deux organisations sont fondées sur les mêmes valeurs, elles ont les mêmes racines, elles ont été construites sur les ruines de la Seconde guerre mondiale, elles travaillent ensemble en faveur des mêmes objectifs. La Suède est favorable à un nouvel élargissement de l’Union européenne. Ce processus a été par le passé un moteur puissant de développement et un facteur de réformes politiques, juridiques et économiques en Europe. Cette politique doit se poursuivre dans l’intérêt, non seulement des États concernés, mais aussi du Conseil de l’Europe lui-même.
Permettez-moi d’évoquer quelques problèmes d’actualité au Conseil de l’Europe.
La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme constituent des succès remarquables. La Cour a permis à des individus d’obtenir justice. Elle joue un rôle central dans la réforme des États membres. J’ai vécu dans un pays qui était en paix depuis au moins deux siècles, où les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe étaient considérés comme des acquis définitifs. Au moment des débats au Parlement suédois relatifs à la création de la Cour, quelqu’un a dit: «Mais n’avons-nous pas suffisamment de clubs internationaux de couturières?». Le ministre des Affaires étrangères a conclu le débat en disant: «De toute manière, cette Convention européenne des droits de l’homme aura très peu d’effets pratiques dans l’immédiat».
Malgré tout, la Cour nous a appris à plusieurs reprises que, nous aussi, nous devions nous réformer. Elle a aidé la Suède à mieux protéger les droits de l’homme. La Cour joue aujourd’hui un rôle capital mais nous savons tous qu’elle est de plus en plus écrasée par les affaires pendantes. Le fardeau est de plus en plus lourd. On ne résoudra pas le problème uniquement par la voie budgétaire. Il est primordial de réformer le mode de fonctionnement de la Cour, il y va de la crédibilité de tout le Conseil de l’Europe. Il faut pour cela que le Protocole n° 14 entre en vigueur. Ce protocole n’est que le premier pas indispensable à la réforme de la Cour. C’est pourquoi j’exhorte la Douma russe à le ratifier, comme l’ont fait les 46 autres États membres.
Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, mesdames, messieurs, les normes, les institutions et le grand nombre des membres font du Conseil de l’Europe un forum de coopération unique et influent. En tant que membres du Conseil de l’Europe, nous devons veiller à ce qu’il puisse exploiter pleinement toutes ses capacités et son potentiel!