José Luis
Rodríguez Zapatero
Président du gouvernement d'Espagne
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 29 avril 2009
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs, c’est pour moi une grande satisfaction que d’intervenir dans cette Assemblée parlementaire, au moment où, d’une part, l’Espagne détient la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe où, d’autre part, je m’adresse aussi à un compatriote, le sénateur M. de Puig, que je désire remercier pour son aimable invitation, qui préside cet organe parlementaire.
Nous tous, qui partageons la responsabilité de faire avancer le projet européen, qui consiste à protéger l’Etat de droit et les droits humains, nous ne pouvons ignorer la valeur historique de cette Assemblée et le rôle indispensable qu’elle jouera à l’avenir. Le mandat de représentation que vous avez reçu de vos citoyens et la vocation européenne qui vous pousse à vous déplacer jusqu’à Strasbourg symbolise parfaitement l’adhésion de l’Europe aux valeurs démocratiques.
Le grand anniversaire que nous fêtons cette année, les 60 ans du Conseil de l’Europe, nous donne matière à réflexion. C’est un moment clé pour notre progression comme communauté de valeurs et de dialogue politique. C’est le moment de dresser un bilan, d’envisager l’avenir et de nous adapter aux nouvelles réalités. Les citoyens européens attendent de nous que nous sachions déterminer quel doit être le rôle du Conseil de l’Europe dans un monde globalisé et multipolaire; il nous incombe d’identifier quelles sont les méthodes et la structure institutionnelle les plus efficaces pour la défense des droits de l’homme, la démocratie et les systèmes basés sur l’Etat de droit – seul à même de protéger les droits humains. Je tiens à vous dire d’emblée que, face aux nouveaux défis mondiaux, il n’y a aucune autre alternative que de construire un multilatéralisme, qui soit vrai et efficace.
La Présidence espagnole du Comité des Ministres donnera son feu vert à l’adoption d’une déclaration à l’occasion de la session ministérielle qui aura lieu le mois prochain à Madrid, lors de laquelle nous commémorerons le 60e anniversaire du Conseil de l’Europe. Nous vivons en effet un moment historique dans la construction politique européenne. On ne peut pas construire une vraie citoyenneté européenne sans développer les différents domaines dont le fonctionnement commun a été rendu possible par le patrimoine du Conseil de l’Europe. J’irai même jusqu’à dire qu’un processus politique n’a aucun sens s’il ne s’appuie pas sur une communauté de valeurs, telles que celles que défend le Conseil de l’Europe. Il nous revient aujourd’hui de trouver la méthode la plus adéquate pour que les institutions du Conseil de l’Europe s’acquittent au mieux de leur mission et parviennent à asseoir ses valeurs comme base indéniable de toute action politique.
Je voudrais insister aujourd’hui sur le fait que cette mission requiert une perspective dynamique, car la défense des droits de l’homme est confrontée à de nouveaux défis et doit tenir compte des nouvelles réalités. Il est donc nécessaire de déterminer à tout moment quelles seront les tâches fondamentales du Conseil de l’Europe pour faire face aux nouveaux changements qui nous attendent.
La situation actuelle exige maintenant un travail incessant sur deux fronts: d’une part, la consolidation des processus démocratiques et des institutions qui restent encore fragiles, qui va de pair avec une surveillance constante du respect des droits fondamentaux dans tous les Etats membres d’autre part, l’extension des nouveaux droits de l’homme qu’exige le cheminement démocratique. Les citoyens que nous représentons sont de plus en plus hétérogènes, nos sociétés de plus en plus multiculturelles. Dès lors, la liberté de tous les citoyens exige de nous un effort dans la conception de politiques actives et innovatrices d’intégration sociale, capables de transformer nos sociétés et d’éliminer toutes les barrières de l’intolérance et de la discrimination.
La nouvelle conception des droits de l’homme implique de reconnaître avec détermination non seulement le pluralisme politique, mais aussi le pluralisme social dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la culture, de l’orientation sexuelle, des convictions ou des modes de vie. Ce travail de progrès requiert une direction ferme et déterminée, capable d’anticiper les besoins sociaux en introduisant les changements par le compromis politique, dans une action coordonnée où la coopération internationale est essentielle. La Convention de Rome est probablement le modèle de ce pouvoir de transformation des instruments internationaux en matière de droits de l’homme.
Cette année, nous célébrons aussi le cinquantenaire de la fondation de la Cour européenne des droits de l’homme – l’instrument le plus perfectionné de la communauté internationale pour la défense des droits fondamentaux, et je tiens à lui rendre hommage. Si j’ai évoqué le sens emblématique de votre Assemblée, je dois y ajouter que la Cour est également un symbole de l’Europe, un symbole d’espoir qui apporte une garantie aux citoyens, un signe précieux d’identité et de légitimation qui veille sur leur liberté et qui les encourage à croire en l’avenir. Entre autres défis concrets et importants que se lancent les pays membres du Conseil de l’Europe et tous ceux qui sont impliqués dans la bonne marche de cette Organisation, le plus important est sans doute de s’assurer que cette Cour européenne des droits de l’homme puisse poursuivre son œuvre à long terme avec l’efficacité qui est attendue d’une institution qui a autant de prestige et qui inspire le respect qu’elle a acquis au fil de ces cinquante dernières années.
Messieurs les Parlementaires, voici un peu plus de trente ans que l’Espagne s’est ouverte à la démocratie et est devenue membre de cette institution. Son adhésion a contribué à tracer sa voie vers un Etat de droit et de liberté; depuis, l’Espagne est devenue l’un des centres névralgiques de l’Europe démocratique. Je suis intimement convaincu que les chemins de la liberté dévoilent toujours de nouveaux objectifs. Il faut savoir étendre les droits et l’égalité des chances de tous les citoyens quels qu’ils soient, et construire une société dans laquelle une place est réservée à chacun: telle est la tâche qui donne sens à notre action politique.
J’ajoute que, pendant l’exercice de mon mandat, les mesures concrètes de cette action ont suivi les orientations données par le Conseil de l’Europe et d’autres organismes internationaux, et tout particulièrement celles des Nations Unies. Ainsi, l’approbation par le gouvernement espagnol d’un plan de défense des droits de l’homme, élaboré suite à un intense dialogue avec la société civile, qui a été présenté aux Nations Unies à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, permettra à l’avenir de mener une action de suivi continue et harmonieuse des principales menaces de violation des droits fondamentaux.
Nous avons aussi beaucoup œuvré en faveur de l’abolition de la peine de mort. C’est pour moi une grande satisfaction que de savoir qu’aujourd’hui presque tous les pays membres de notre Organisation l’ont abolie, et que ceux qui ne l’ont pas encore fait appliquent un moratoire indéfini. Comme vous le savez, l’Assemblée Générale de l’ONU a ratifié, en 2008, et pour la deuxième année consécutive, une Résolution dans laquelle plus de cent pays ont approuvé l’idée d’un moratoire universel sur la peine de mort. Le Gouvernement espagnol souhaite créer une commission internationale qui veille à ce que l’abolition universelle de la peine de mort devienne réalité, d’abord par le biais d’un moratoire sur les exécutions, effectif à partir de 2015, puis grâce à un accord global afin que, de façon concluante et définitive et dans aucun pays du monde, la peine de mort ne soit appliquée à des mineurs ou à des personnes ayant commis des crimes quand elles étaient encore mineures, et étendre cette interdiction aux personnes handicapées mentales. Au cours du premier semestre 2010, à l’occasion de la présidence espagnole de l’Union européenne, nous intensifierons les négociations pour obtenir le plus large soutien possible en faveur d’une troisième résolution sur la peine de mort, qui sera présentée devant l’Assemblée Générale des Nations Unies à l’automne 2010.
De même, nous avons travaillé à l’élaboration d’un plan mondial contre la traite des êtres humains, qui constitue une autre grande étape que le Gouvernement espagnol a franchie sur la voie du respect des droits de l’homme. Vous le savez: la parité et l’égalité entre les sexes, le combat contre des stéréotypes sociaux réducteurs ont également été des fils directeurs de nos propositions législatives. La loi contre la violence domestique, adoptée par le Parlement espagnol, permet désormais de mieux lutter contre cette expression brutale et intolérable de la domination machiste; c’est une mesure essentielle que nous souhaitons voir appuyée par des instruments internationaux, qui étendraient notre effort à tout le continent. C’est pourquoi la présidence espagnole mettra tout en œuvre pour élaborer une Convention du Conseil de l’Europe sur la violence contre les femmes.
Récemment, le Commissaire aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg insistait, à l’occasion de son communiqué bimensuel, sur l’importance que les droits de l’homme doivent avoir sur la politique extérieure des Etats et réaffirmait que dans un tel contexte, la Coopération au Développement, comprise comme moyen de lutte contre la pauvreté, est beaucoup plus efficace que les sanctions. Je partage totalement son point de vue.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement espagnol a tout fait pour aider au développement. L’Espagne a multiplié au cours des quatre dernières années son aide publique au développement pour atteindre une part de 0,5% de notre PIB. L’année dernière, l’Espagne a augmenté sa contribution à l’aide publique au développement de 19,4%, et ce malgré, ou plutôt et à plus forte raison, du fait du contexte de la crise financière mondiale. Nous sommes convaincus que le travail des organismes multilatéraux ne doit pas être soumis à d’autres influences ou à d’autres intérêts. Nous avons tout fait aussi pour consolider les instruments de multilatéralisme permettant de faire face à des problèmes planétaires. Un de nos alliés principal dans l’ouverture et la transformation positive de nos sociétés doit être précisément cette dimension multilatérale.
La pauvreté, la misère extrême est, en revanche, le complice principal du retard qui frappe les sociétés. C’est aussi l’allié le plus fort des violations des droits de l’homme, et, souvent, tout particulièrement des femmes, dans le monde entier. C’est la raison pour laquelle les Objectifs du Millenium sont des objectifs que nous devons atteindre impérativement. Ils sont l’expression concrète de la solidarité qu’exigent de nous la démocratie et la défense des droits de l’homme. Lutter contre la pauvreté, ce n’est pas seulement s’acquitter d’une obligation morale, c’est un exercice de responsabilité politique ultime, historique.
L’exigence de solidarité nous amène aussi à présenter un front uni contre une des violations les plus extrêmes de la dignité humaine et de la vie en collectivité: le terrorisme aveugle, assassin et lâche qui constitue la menace la plus grande à la coexistence pacifique et libre sur l’ensemble de la planète. Personne n’est exclu de l’obligation qui nous incombe de lutter contre le terrorisme. Personne ne peut se voiler la face quant aux causes qui produisent ce fléau. La lutte contre le terrorisme et notre contribution aux efforts que déploie la communauté internationale en la matière sont une priorité essentielle pour mon gouvernement.
Je voudrais ici reconnaître publiquement le travail d’avant-garde que le Conseil de l’Europe accomplit et continue d’accomplir en la matière, en particulier en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de lutte contre le terrorisme. Ce sont là autant de valeurs que l’Espagne défend et estime comme étant une démarche fondamentale.
L’œuvre du Conseil de l’Europe nous a été essentielle pour l’obtention d’un fort cadre réglementaire de protection des droits de l’homme, pour une plus grande prise de conscience des droits des victimes et de leur famille. Nous avons adopté une Convention d’importance capitale pour la prévention du terrorisme. La convocation à Madrid, à l’occasion de la Séance ministérielle du 12 mai, de la première Conférence des Etats ayant signé ou ratifié cette Convention donnera certainement une impulsion pour une meilleure application.
Il y a un autre domaine dans lequel le Conseil de l’Europe œuvre de façon utile: il s’agit du développement des pouvoirs locaux et régionaux. Trouver le chemin vers une parfaite autonomie est une autre façon de favoriser le pluralisme dans l’intérêt des administrés. Il sera possible de résoudre les difficultés techniques existantes par le truchement des organismes internationaux qui pourront transmettre l’expérience acquise.
Mesdames, messieurs les Parlementaires, j’en viens maintenant à la crise économique et financière que nous traversons. Un développement financier et économique, opaque à tout contrôle démocratique, qui passe les frontières nationales sans contrôle satisfaisant des répercussions sociales que cette crise entraîne, nous amène irrévocablement aux conséquences que nous vivons aujourd’hui. Et c’est là une des nouvelles frontières à laquelle se heurte la démocratie, et à laquelle nous devons adapter nos institutions et les organisations internationales en place.
Cette crise est certainement une période difficile pour beaucoup de gens et nous devons répondre à leurs besoins les plus urgents. Je veux m’engager aujourd’hui et vous demande de vous engager avec moi dans le sens d’une aide envers les plus faibles, les plus vulnérables de la société, tout particulièrement ceux qui ont perdu leur emploi.
Si nous analysons les racines de la crise, nous ne devons pas pour autant en négliger les conséquences sociales et les effets sur les droits fondamentaux. Dans quelle mesure les efforts que nous consentons pour la contrecarrer sont-ils efficaces?
Toute crise est l’antichambre d’un changement. Si nous savons prendre les bonnes décisions au niveau des gouvernements et des organisations internationales, nous pourrons à l’issue de la crise ouvrir une phase de reprise positive. Cela peut être l’occasion de démontrer jusqu’à quel point notre choix en matière de modèle social permet de trouver des solutions novatrices créatives pour maintenir la cohésion et mettre en œuvre la solidarité. Je pense en particulier à un changement qui s’impose, celui du modèle énergétique qui peut accompagner et même favoriser la reprise économique en permettant la mise en place d’un développement durable et solidaire avec les générations futures.
Mesdames, messieurs les Parlementaires, en 2007, l’Espagne détenait la Présidence de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, l’OSCE, et pendant le premier semestre de l’année prochaine, elle détiendra la Présidence de l’Union Européenne. Je dois vous dire que des principes communs ont guidé et vont orienter l’action du gouvernement espagnol dans l’exercice de ces responsabilités. Ce sont ces mêmes principes qui ont caractérisé la Présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, depuis le 27 novembre dernier. Il s’agit de tout faire pour favoriser une harmonie parfaite dans le fonctionnement des différentes institutions européennes grâce, j’en suis convaincu, à la conscience commune que le développement politique et économique de l’Europe ainsi que la transformation de nos sociétés doivent toujours être inspirés par une vision progressiste des droits de l’homme.
Mais le processus que nous vivons au sein du Conseil de l’Europe et sur l’ensemble de notre continent en général ne peut en aucun cas se faire en vase clos. Nous avons une responsabilité éthique envers la communauté internationale et tout particulièrement une responsabilité de coopération, de collaboration et de dialogue avec nos voisins, qu’il s’agisse des pays de la frontière Est de notre Organisation, de nos voisins les plus proches du Sud de la Méditerranée ou des voisins situés de l’autre côté de l’océan atlantique. Nous devons construire des ponts entre les différentes cultures, entre les différentes visions, politiques et expériences. Le dialogue culturel n’est pas une tâche étrangère aux droits de l’homme. C’est un engagement important dans le travail du Conseil de l’Europe.
Cette vision est à la base de l’initiative mondiale intitulée «L’Alliance des Civilisations»; l’Espagne en est le fer de lance et le Conseil de l’Europe collabore étroitement à ce travail. «L’Alliance des Civilisations» constitue un forum privilégié pour empêcher que de nouveaux murs ne se dressent, pour éviter que les identités ne se construisent par l’affrontement au lieu de chercher à s’enrichir mutuellement.
Nous avons devant nous un immense champ d’action pour le Conseil de l’Europe. Nous devons regarder en direction de l’avenir et pour cela prendre appui sur une histoire de dignité, l’histoire de l’Europe. Cette histoire a été écrite ici, dans cette enceinte, par les Pères fondateurs de cet idéal européen en faveur de la paix, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Cette lutte pour la démocratie et les droits de l’homme ne s’arrêtera jamais. Il y aura toujours du terrain à gagner pour que les droits de l’homme puissent s’épanouir totalement. Il y aura toujours de nouveaux droits qu’il faudra défendre de façon efficace. L’Europe est synonyme de principes, de valeurs qui permettent de gérer la coexistence entre les êtres humains de façon démocratique, libre, égalitaire, qui permettent de faire passer avant tout intérêt la notion de la dignité de chacun et de tous. Le Conseil de l’Europe a contribué et contribue de façon décisive à l’avenir de cet idéal européen, qui a toujours été défendu par l’humanité. Cela a permis de regrouper les différents drapeaux et les différentes langues pour travailler ensemble et avancer d’un même pas.
Au nom du gouvernement espagnol, au nom de l’Espagne démocratique, au nom d’un pays qui a une grande dette envers le Conseil de l’Europe car celui-ci a aidé l’Espagne à se consolider comme pays libre, je tiens à vous remercier de votre aide. Je le fais au nom de tous mes compatriotes. Il faut que les idéaux du Conseil de l’Europe parviennent aux confins du monde et que nous puissions continuer à écrire des pages de l’Histoire marquées au coin de la dignité.
Je vous remercie.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur le Président, je vous remercie de votre discours et du contenu de celui-ci.
Beaucoup de parlementaires souhaitent vous poser une question. Je rappelle à nos collègues qu’aucune ne doit pas dépasser trente secondes.
Je donne la parole à M. Agramunt Font de Mora, au nom du groupe PPE/DC.
M. AGRAMUNT FONT DE MORA (Espagne) (interprétation)
Je vous souhaite la bienvenue en ce lieu, monsieur le Président, vous qui assumerez aussi la présidence de l’Union européenne à partir du 1er janvier. Vous savez qu’un nouveau Secrétaire Général du Conseil de l’Europe doit prochainement être élu. Or le Comité des ministres a pris une décision qui n’est pas du goût de l’Assemblée parlementaire puisqu’il a évincé de sa liste deux candidats émanant de notre Assemblée. Qu’en pensez-vous?
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
Votre question touche à la répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Je ferai dans ce cadre ce qu’il m’appartiendra de faire. En ce qui concerne l’élection dont vous parlez, il faut respecter les procédures. J’ai cru comprendre que des formules de collaboration pourraient être trouvées de façon à satisfaire l’Assemblée parlementaire.
Mme CORTAJARENA ITURRIOZ (Espagne) (interprétation)
Bienvenue, Monsieur le Président, dans la maison de la démocratie et des droits humains. Avec persévérance, intelligence et beaucoup, beaucoup de patience, les femmes ont lancé la seule révolution qui n’ait pas fait couler le sang: la révolution féministe. Pouvez-vous nous dire comment vous, socialiste et Président du gouvernement, voyez les choses dans ce domaine?
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
La discrimination la plus injuste que l’humanité ait connue est celle dont les femmes ont été les victimes pendant si longtemps. Vingt siècles de mise à l’écart, de marginalisation, avec tout ce que cela a coûté en termes de progrès, tant sur le plan économique que politique, social et culturel. Lorsque l’on se bat pour les droits humains, on doit selon moi commencer par défendre la liberté des femmes et le principe d’égalité entre les genres. Cela représente un socle. Une société qui ne reconnaît pas ce socle ne peut pas prétendre être considérée comme une démocratie.
Durant des siècles, y compris au vingtième, l’Espagne a laissé les femmes subir la domination des hommes, une discrimination insupportable à l’égard des femmes qui étaient empêchées de devenir autonomes. Heureusement, en trente ans, nous avons su transformer les choses. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, car ce n’est évidemment pas en quelques années que l’on peut corriger une situation qui a duré des siècles.
Nous avons ainsi adopté une loi ambitieuse qui oblige toutes les institutions politiques représentatives à pratiquer la parité. Dans le monde des entreprises, on est encore loin du compte et trop souvent, la seule femme que l’on voit au sommet est celle qui accompagne le chef d’entreprise. Il n’y a pas de raison que cette situation inacceptable perdure, car les femmes vont maintenant dans les meilleures universités et doivent donc recevoir les responsabilités qui correspondent à leurs compétences. C’est pourquoi nous avons décidé que les conseils d’administration devraient, eux aussi, en huit ans, parvenir à la parité. La discrimination positive est nécessaire si l’on veut promouvoir les droits fondamentaux des femmes.
Nous avons d’autre part adopté une loi contre la violence de genre. La violence à l’encontre des femmes constitue la forme la plus détestable de la domination masculine qui s’est si longtemps exercée. C’est une violence permanente mais dissimulée. Elle doit aujourd’hui être activement dénoncée. Je sais d’ailleurs que le Conseil de l’Europe a beaucoup œuvré en ce domaine.
Pendant des dizaines d’années, beaucoup de démocraties sont restées dans une attitude que je qualifierai de «tiède» à l’égard des femmes. Elles s’accommodaient de certaines discriminations. Il est temps de mener une politique plus ardente, plus combative, car il n’y a pas de société authentiquement démocratique qui ne soit exigeante en matière de droits des femmes et d’égalité des genres. Mais il faut que les hommes comprennent bien cette politique.
C’est par une telle politique que nous rendrons les sociétés meilleures. Quand il y aura autant de chances pour les femmes que pour les hommes, il y aura aussi plus de créativité culturelle, un plus grand potentiel économique, une plus forte sensibilité sociale. Si l’on veut porter un projet progressiste, un projet de transformation, c’est par là qu’on doit commencer.
Nous sommes sur le point d’approuver une loi importante en ce domaine. Une loi qui traite de toutes les discriminations. Nous espérons qu’elle sera un nouveau jalon pour la société espagnole, qui a si longtemps laissé les femmes dans l’ombre. Aujourd’hui, nous devons être bien conscients de ce que nous devons aux femmes.
M. ÇAVUŞOĞLU (Turquie) (interprétation)
Nous nous sommes réjouis, en 2008, de l’émergence d’un protocole d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Alliance des civilisations. Le Secrétaire Général, M. Terry Davis, a participé au deuxième Forum qui a eu lieu à Istanbul il y a trois semaines. Comment voyez-vous la coopération entre le Conseil et l’Alliance, Monsieur le Président, pour asseoir davantage le dialogue interculturel?
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
L’Alliance a vocation à être une tribune et à prévenir les conflits interreligieux. Je pense que ce serait une bonne chose si le Secrétaire de l’Alliance – qui dépend, comme vous le savez, des Nations unies – pouvait organiser une articulation avec le Conseil de l’Europe de façon que l’évaluation des zones de conflits potentielles puisse déboucher sur un plan préventif d’action.
Par ailleurs, l’Alliance des civilisations est un appel constant à la réflexion. Je suggère que les représentants de l’Alliance des civilisations, avec l’aide du responsable chargé de l’Alliance au nom des Nations unies, organise une journée de travail avec des représentants du Conseil de l’Europe afin de la faire connaître et d’envisager des actions à mettre en place. Vous le savez, l’Alliance fait tout pour promouvoir des plans nationaux de travaux multiculturels. Elle intervient aussi dans le domaine des médias. Elle conçoit des programmes de formation pour les jeunes. Tout cela marqué au coin d’un travail interculturel avec des personnes provenant de pays différents, dans le contexte des Nations unies.
Il serait donc extrêmement utile que le Conseil de l’Europe s’engage pour faire écho au travail de l’Alliance des civilisations. L’Alliance des civilisations vise à promouvoir les grands idéaux défendus par la grande maison dans laquelle nous nous trouvons.
M. REIMANN (Suisse) (interprétation)
Monsieur le Premier ministre, depuis cinq cents ans, l’Espagne compte sur son territoire Ceuta et Melilla. Le Maroc dit qu’il s’agit de colonies marocaines. Le Royaume-Uni, présent sur le territoire espagnol depuis trois cents ans, dispose de Gibraltar. En 2006, des évènements se sont produits. Sur le plan politique, comment voyez-vous l’avenir de Ceuta et Melilla et comment voyez-vous l’avenir de Gibraltar? Pensez-vous que les choses vont changer ou que le statu quo sera maintenu?
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
La position espagnole est bien connue en ce qui concerne le cas de Ceuta et Melilla. Du point de vue historique, juridique et politique, il n’y a pas lieu d’établir de comparaison entre ces deux territoires et Gibraltar. Ce sont des territoires de souveraineté espagnole. Vous connaissez par ailleurs la position de l’Espagne en ce qui concerne Gibraltar. J’insiste sur ce point, ce territoire présente des caractéristiques historiques totalement différentes de celles de Ceuta et Melilla. Nous revendiquons Gibraltar, mais cette revendication s’est toujours faite dans le cadre d’un dialogue constructif avec la Grande-Bretagne. Lors de la dernière phase de rapprochement des points de vue, des accords ont été conclus pour aider les habitants de Gibraltar et faciliter ainsi l’intégration avec les habitants de la zone limitrophe. L’avenir concernant ces deux dossiers n’est pas non plus comparable.
M. KOX (Royaume-Uni) (interprétation)
Monsieur le Premier ministre, le 1er mai prochain, il sera demandé aux travailleurs de s’unir pour obtenir de meilleures conditions de travail que celles qu’offre le capitalisme. Ne pensez-vous pas que l’on pourrait utiliser votre présidence à l’Union européenne pour se tourner vers les dirigeants européens et leur dire: «Fini le néo-libéralisme, bienvenue à une approche plus socialiste de la société d’aujourd’hui et de demain?» Vous avez donc la parole pour nous prononcer votre allocution du 1er mai.
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
Dans cette période de récession économique, nous avons reçu des leçons. La première est que le marché sans régulation, sans surveillance démocratique des représentants de la société se transforme en envie, en piège, en corruption, en voracité.
La seconde leçon, importante pour les travailleurs, pour ceux qui se battent pour les droits sociaux, est que la réponse à la récession économique doit avoir un fort contenu social. Il fut un temps où la tentation majoritaire était de répondre à la crise par des coupes sociales et par la réduction des droits des travailleurs. Une exigence de sacrifices et d’efforts était demandée aux plus faibles. Or la récession actuelle nous apprend qu’un tel discours est un présupposé idéologique et qu’il faut au contraire renforcer la protection sociale et les droits sociaux. C’est en tout cas ce que fera mon gouvernement en Espagne. Je n’accepterai pas de discours qui aille dans le sens d’une réduction des droits sociaux et des droits des travailleurs.
J’ajoute, à l’encontre des autres dogmes idéologiques selon lesquels la réponse à la crise économique consiste à réduire les dépenses et les investissements publics, que l’on a fait l’expérience d’un tel raisonnement. Ceux qui ont encore ce genre de tentation sont précisément les mêmes qui viennent ensuite demander l’aide des gouvernements pour défendre leur secteurs et leurs entreprises. Il y a là un grand cynisme de leur part. Mon expérience personnelle de la démocratie me conduit à ne guère nourrir d’illusions sur le discours tenu par certains. La recette est toujours la même: réduction des dépenses sociales, mesures élargies de licenciement. Nous devons sortir plus renforcés de cette crise et ceux qui tiennent ces discours cyniques doivent en sortir perdants.
La période de croissance que nous avons connue ces dernières années a certes engendré de la richesse, mais cette richesse doit être mieux distribuée, et les chances de chacun plus grandes. S’il en était ainsi, nous pourrions tous vivre plus dignement. Il y aurait beaucoup moins de problèmes. Les avantages seraient mieux répartis entre tous.
Il me faut dire ici haut et fort que je me sens très proche de ceux qui seront dans la rue le 1er mai, de ceux qui souffrent de la crise. Je leur apporterai ce qui est en mon pouvoir. De toute évidence, ce sont les travailleurs, avec leurs capacités de réaction, comme nous l’avons déjà vu au cours de l’histoire, qui continueront à se battre pour le droit à la santé, le droit à la retraite et à défendre leurs idéaux, leurs idées. Ils ont la force suffisante pour rendre l’ordre financier et économique international plus égalitaire.
Mme GAUTIER (France) (interprétation)
Monsieur le président, l’Espagne entend promouvoir l’abolition définitive de la peine de mort dans l’espace européen, et plaider pour que d’autres organisations internationales fassent de l’abolition, ou du moins du moratoire, une condition d’adhésion. Il s’agit d’un objectif ambitieux, car si les Etats membres du Conseil de l’Europe sont exemplaires en la matière, la situation est loin d’être satisfaisante dans le reste du monde. Je pense bien entendu à la Chine, à l’Iran, à l’Arabie saoudite, à nombre de pays africains, mais aussi aux Etats-Unis.
Je sais, monsieur le Président, que vous êtes personnellement très attaché à cette question et que vous militez pour la création d’une commission internationale pour l’abolition de la peine de mort. Une première étape est prévue pour 2010. A quel horizon pensez-vous raisonnablement atteindre votre noble objectif?
M. Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement d'Espagne (interprétation)
Je suis convaincu que l’humanité verra disparaître la peine capitale d’ici une ou deux générations. Au fil du temps, le genre humain a su mettre en place des systèmes juridiques rationnels qui respectent pleinement les droits de l’homme. Une véritable offensive, partie de divers pays et de diverses instances, a été lancée vers les pays encore réticents pour qu’ils abolissent la peine de mort. En Espagne, nous avons travaillé sur tous les fronts – les organisations internationales, les pays à titre individuel – pour que la convention internationale, assortie des exceptions que j’ai citées, les mineurs et les handicapés mentaux, parvienne d’ici à 2015 à mettre en place la moratoire.
Je suis intimement convaincu que nous y parviendrons. J’ai la force de la détermination dans ce domaine. Je suis convaincu que si le Conseil de l’Europe et tous les Etats membres poussent à la roue dans la même direction, la peine de mort sera progressivement éradiquée. Je vous assure que dans mon dialogue politique, et je le ferai lorsque j’assurerai la présidence de l’Union européenne, j’insisterai toujours pour que les divers pays réfléchissent au dossier concernant la peine de mort. Nous voyons pointer à l’horizon l’éradication de cette peine. Ce sera une grande victoire pour les droits de l’homme et une grande victoire pour l’humanité tout entière.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur le Président, nous sommes arrivés au terme des questions. Je tiens à vous remercier de votre intervention. Vous avez rappelé les grands principes défendus par le Conseil de l’Europe. Merci également de vos réponses. Vous avez abordé tous les problèmes au fond avec beaucoup de passion et de conviction. Je tiens à vous remercier tout particulièrement.