Francisco
Sa Carneiro
Premier ministre du Portugal
Discours prononcé devant l'Assemblée
lundi, 21 avril 1980
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c’est la première fois que j’ai l’honneur d’intervenir en tant que Premier ministre du Portugal dans une assemblée internationale. Et, comme M. le Président vient de le rappeler, cela se produit après que les ministres des Affaires étrangères des pays membres du Conseil de l’Europe se furent réunis à Lisbonne, le 10 avril dernier.
Cette réunion a été très importante pour le Portugal, car elle a témoigné la solidarité que les pays membres du Conseil de l’Europe ont apportée au Portugal démocratique.
Cela a été aussi l’occasion de démontrer, par la présence de presque tous les ministres des Affaires étrangères, que le Conseil de l’Europe a pu réunir dans la capitale d’un pays membre ces ministres pour y prendre des décisions qui ont été d’une extrême importance pour l’avenir d’une politique européenne coordonnée non seulement en termes d’Europe, ainsi que d’alliance atlantique et de solidarité démocratique, mais aussi en tant que moyen de faire face aux risques qui menacent des pays partageant les mêmes valeurs de culture et de civilisation.
Je me réjouis donc beaucoup de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui mais je dois cependant rappeler que ce n’est pas la première fois que la voix du Portugal démocratique se fait entendre au Conseil de l’Europe.
En effet, en 1977, M. Mario Soares, alors Premier ministre, a exprimé ici le dessein européen du Portugal démocratique et a fait entendre sa voix.
Je me réjouis aussi, comme Premier ministre récemment élu, de voir partagées ces vues mêmes de l’option européenne du Portugal; malgré des différences politiques, idéologiques et de programme, les gouvernements socialistes portugais ont réussi à établir un consensus en matière de politique européenne, consensus que permet maintenant l’expression d’une continuité en termes européens, je dirais même en termes atlantiques. Il n’y a pas de difficulté sur ce point.
Seulement, et je le dis très sincèrement, sur le plan interne, M. Soares et ses gouvernements n’ont pas réussi à établir le même consensus; mais il serait hypocrite de ma part de dire que je le regrette car si M. Soares avait réussi à établir ce même consensus en termes de politique interne, ce serait lui et non pas moi qui, aujourd’hui, aurait l’occasion de s’adresser au Conseil de l’Europe.
Le fait que le Portugal partage une option européenne très nette depuis le début de la phase démocratique qu’il vit actuellement constitue un atout important pour la cause de la paix et pour la cause d’une Europe unie.
Je dois avouer cependant que cette option européenne nous cause quelques problèmes parce que nous rejetons l’idée de l’insertion dans la Communauté économique européenne du Portugal comme un pays moins développé qui, certes, bénéficie d’un climat privilégié et de belles plages, mais qu’un fossé sur le plan du développement sépare des autres pays d’Europe.
L’insertion européenne du Portugal signifie que la solidarité européenne doit jouer pour nous aider à combler cet énorme fossé. C’est tout au moins notre espoir parce qu’il n’est pas question, pour nous, d’adhérer au Marché commun dans n’importe quelles conditions. Et cette adhésion au Marché commun doit contribuer à mettre rapidement le Portugal dans la voie du développement.
Je citerai simplement deux données qui vous permettront d’apprécier quel est notre retard tant économique que culturel: un rendement par habitant de 2 000 dollars par an; un taux d’analphabétisme d’environ 30 % parmi les adultes.
Nous avons déjà bénéficié au sein du Conseil de l’Europe de la solidarité des autres Etats membres. Pour développer rapidement notre pays, nous comptons beaucoup sur elle dans des plans très concrets, car cette solidarité doit jouer non seulement à court terme, mais aussi pour des desseins plus vastes.
Quels sont ces desseins?
Parmi nos projets prioritaires figure celui qui constitue la philosophie de notre politique extérieure: la préservation de la paix, la construction de la sécurité par la voie de la coopération. De là, découle une politique qui est sans doute commune à tous les pays d’Europe occidentale.
D’abord un constat: dans la conjoncture actuelle, le risque majeur pour la paix, la coopération et la sécurité vient d’un impérialisme, d’un hégémonisme: l’hégémonisme et l’impérialisme expansionnistes de l’Union Soviétique. C’est le premier risque auquel est confrontée notre génération.
Un second risque découle du non-respect des règles de la communauté internationale.
Deux événements récents démontrent que les dangers, sur ces deux plans, sont réels; ils doivent nous pousser à prendre des options immédiates de solidarité: il s’agit de l’invasion de l’Afghanistan et de l’affaire des otages américains de l’ambassade de Téhéran.
L’invasion de l’Afghanistan s’est transformée en un véritable massacre d’un peuple pacifique, qui ne doit pas laisser indifférente la communauté internationale. Dès l’investiture de mon Gouvernement, le 3 janvier 1980, j’ai condamné solennellement et fermement l’invasion de l’Afghanistan. Mon Gouvernement a été le premier à rappeler son ambassadeur pour consultation. Nous avons pris des mesures concrètes en dénonçant notamment l’accord culturel liant le Portugal à l’Union Soviétique. Lorsque les droits de l’homme sont piétinés de telle façon, il est impossible de maintenir de tels accords culturels qui n’ont plus de valeur dans la mesure où la puissance soviétique viole, dans la plus grande indifférence d’ailleurs, les droits du peuple afghan.
Nous espérons qu’à cet égard la communauté occidentale européenne condamnera cette invasion d’une façon pragmatique afin d’être réellement entendue par cette puissance hégémonique.
Un autre sujet de préoccupation est l’affaire des otages qui a déjà constitué un précédent en Amérique latine et dans d’autres pays.
Cette affaire est une grave infraction aux lois internationales et diplomatiques. Et si elle n’entraîne aucune réaction, on risque de voir la communauté internationale se transformer en une jungle où le plus fort fait la loi.
Sans le respect des droits des peuples, des lois de la communauté internationale et des droits de l’homme, il n’y a pas de paix possible. Et si l’on veut vivre en paix, il faut bâtir la sécurité par les moyens de la coopération.
C’est pourquoi l’option européenne du Portugal avec sa vocation et sa politique atlantiques, est un atout majeur et doit s’insérer dans une politique européenne commune.
La coopération politique en Europe a, dans cette Assemblée parlementaire, un moyen privilégié pour s’exercer. Ici, pas de problèmes économiques, pas de problème de budget, pas de guerre du mouton.
Nous tous, membres de ce Conseil, nous nous devons de profiter, à cette occasion, des instruments dont nous disposons pour bâtir une politique européenne commune. Solidarité entre les membres du Conseil de l’Europe, entre toute la communauté européenne, cela signifie avoir des positions communes devant des faits aussi importants et aussi dramatiques que ceux que je viens d’évoquer: l’invasion et le massacre en cours en Afghanistan et l’affaire des otages de Téhéran.
Nous croyons – et de là découlent quelques priorités pour notre politique étrangère – que cette solidarité européenne, pour être occidentale, doit s’articuler avec la politique des Etats-Unis.
L’Europe a tout intérêt à articuler une politique commune avec les pays de l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis, le Canada et certains pays d’Amérique latine, comme le Brésil et le Venezuela.
En cette période grave pour les peuples, le Gouvernement des Etats-Unis a besoin, non de nos critiques, même si elles sont fondées, mais de notre solidarité.
C’est pourquoi mon Gouvernement, sans attendre la résolution commune des ministres des Affaires étrangères des Neuf, a décidé de se solidariser avec les Etats-Unis en ce qui concerne les sanctions économiques à imposer à l’Iran.
Quoique le Portugal soit un pays dépendant, petit et pauvre, nous pensons, pour le principe, qu’il faut faire le sacrifice de nos intérêts économiques.
C’est pourquoi, jeudi dernier, nous avons décidé l’embargo total de l’Iran. (Applaudissements)
L’enjeu de la paix est aujourd’hui un problème universel. Beaucoup de choses se passent, en beaucoup d’endroits, et en même temps. On ne peut plus se permettre de se cacher la tête dans le sable et de vivre comme auparavant. La paix est un risque en beaucoup d’endroits. Seule une coopération de l’Europe, des pays de l’Atlantique, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Extrême-Orient peut réussir à établir une solidarité mondiale pour faire face au risque de l’hégémonie et de l’impérialisme.
C’est pourquoi simultanément le Portugal développe des contacts préférentiels avec l’Europe et l’Europe des Neuf, avec les Etats-Unis, avec les pays d’Amérique latine, avec l’Afrique, avec les pays du Moyen-Orient et avec la Chine.
Nous pensons que c’est non seulement de notre intérêt, comme petit pays, mais que c’est aussi un impératif international. Le seul moyen de bâtir une paix sûre est de la fonder non sur des concessions constantes, sur des reculs, mais sur des mesures fermes parce que le moyen le plus sûr d’éviter un nouveau cataclysme ce n’est pas d’entrer à reculons dans la guerre mais de faire face, même avec des mesures fortes, aux menaces qui se déploient partout contre une coexistence pacifique dans certaines régions des divers continents.
Ce n’est pas facile, mais si je peux m’exprimer ainsi c’est le «boulot» de notre génération. Quand on voit que les leaders mondiaux discutent la question de savoir si la situation présente se rapproche plus de celle qui existait avant la première guerre mondiale de 1914-1918 ou de celle que l’Europe a vécue avant la deuxième guerre mondiale, on ne peut pas ne pas être extrêmement préoccupé parce que, entre les deux alternatives de guerre, il est impossible de choisir. Non, il faut bâtir une autre alternative fondée sur un thème pour lequel le Conseil de l’Europe a eu et aura toujours un rôle fondamental: les droits de l’homme, le développement des peuples. Les principes de la démocratie représentative de l’empire de la loi, de la solidarité, de la responsabilité commune doivent jouer non seulement en termes de pays développés, mais en termes complets.
Et là nous avons un autre sujet de préoccupation. La situation économique et sociale des pays en voie de développement, des pays du tiers monde se dégrade et se dégrade énormément vu l’augmentation du prix du pétrole, l’augmentation dérivée du prix des produits manufacturés. Les pays moins développés sont aujourd’hui dans une situation pire qu’il y a trois ou cinq ans. Une pression énorme s’exerce, la vapeur fait son chemin et, si nous ne prenons pas de mesures, elle fera sauter le fragile couvercle de cette immense chaudière qu’est la communauté internationale avec ses tensions internes.
C’est à nous, et surtout à vous, pays plus développés, mais en écoutant aussi les paroles des pays moins développés ou non développés, de faire attention à ce dialogue Nord-Sud, de façon à outrepasser le dialogue, car un dialogue, ce sont des paroles, et ce dont nous avons besoin, c’est de la solidarité démontrée au niveau des faits. Quand on voit, par exemple, que certains pays développés sont extrêmement préoccupés par le risque de perdre des marchés d’exportation avec l’Union Soviétique, des marchés qui ont été acquis pendant la prétendue détente, on ose espérer une alternative possible à ces marchés. Ce sont les pays du tiers monde qui pourraient représenter un débouché dans de bonnes conditions pour eux et non pour les pays exportateurs, de façon à permettre un développement de ces pays qui conditionne la paix et une survivance internationale.
Démocratie, aujourd’hui, signifie non seulement la liberté, la démocratie représentative, mais également justice sociale. Justice sociale que les pays développés ont su bâtir pour leur peuple à l’intérieur de leurs frontières, mais que, pour le moment, ils n’ont pas su apporter aux pays moins développés qui représentent toujours l’énorme majorité de la population mondiale.
Ces préoccupations, comme je le disais tout à l’heure, ont fait que mon Gouvernement ne pratique pas sa politique étrangère uniquement dans le cadre européen. Le Portugal perdrait une de ses dimensions les plus importantes s’il cessait de s’intéresser à l’Afrique, évidemment en des termes absolument différents de ceux qui ont été développés avant la Révolution du 25 avril 1974. Maintenant, la coopération avec les jeunes républiques africaines, avec les anciennes colonies du Portugal se développe sur des bases de dignité mutuelle, de non-ingérence, de respect et de coopération.
Nous voulons aussi élargir notre action extérieure aux pays du Moyen-Orient et, si possible, contribuer dans la mesure de nos forces, à une solution du problème palestinien qui empoisonne toute la situation et l’avenir de la zone du Moyen-Orient. Le droit d’une patrie pour les Palestiniens est indiscutable, mais est aussi indiscutable le droit du peuple israélien, de l’Etat d’Israël à des frontières sûres, à la survie de son Etat. On craint que, malgré les possibilités ouvertes qui doivent être approfondies, des puissances ne fassent de leur mieux pour empêcher une solution pacifique du problème palestinien.
Du côté de l’Afrique, il y a des signes d’espérance, des faits concrets qui nous font penser que dans l’Afrique, au sud du Sahara, une solution de conciliation est possible. Je me réfère à la solution du problème du Zimbabwe, à la modération que Mogabe a montrée. Le succès de cette politique est essentiel, non seulement pour l’avenir du Zimbabwe, mais également pour la coopération entre les Etats d’Afrique du Sud parce que, en accordant un certain délai à la République d’Afrique du Sud, j’espère qu’elle acceptera une solution semblable pour la Namibie et même que l’évolution intérieure du régime de l’Afrique du Sud pourra se faire à terme vers un gouvernement moins contestable que celui qui existe en ce moment.
Au fait et au fond, il s’agit d’un défi qui se présente à tous les pays occidentaux en articulation avec les pays du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient. C’est un défi de générations, disais-je tout à l’heure, c’est un défi qui nous crée des responsabilités énormes et l’on voit avec inquiétude se creuser le fossé entre l’opinion publique américaine, aux Etats-Unis, et les pays d’Europe. Ce fait indiscutable, à mon avis, est récent et nuit beaucoup à la stabilité européenne et à la cause de la paix.
C’est pourquoi on s’est efforcé de dissiper ce malentendu et l’on espère ainsi que les pays des Neuf prendront très rapidement des décisions qui montreront au peuple américain et à son opinion publique que l’Alliance atlantique, que l’alliance entre l’Europe et les Etats-Unis n’est pas un terme vain et que l’Europe ne veut pas laisser la dissuasion aux Etats-Unis pour profiter elle seule de la détente.
Etre solidaire signifie faire jouer les alliances avec courage, en acceptant les risques et surtout en mettant les principes au-dessus des intérêts économiques, des intérêts conjoncturels.
L’Europe et l’Occident – même l’Orient – ne peuvent plus vivre au jour le jour. Ils doivent penser à moyen terme, à long terme, afin d’éviter des catastrophes qui sinon nous atteindraient et qui pourraient être plus pénibles, plus destructrices, plus dangereuses pour l’humanité que celles qu’ont vécues les générations précédentes de la guerre de 1914-1918 ou de 1939-1945.
Avant de terminer, je voudrais soulever un point très important pour le Portugal, celui des migrations. Le Conseil tiendra une conférence du 5 au 8 mai prochain, la Conférence des ministres européens responsables des questions de migration. Nous attachons à ce sujet la plus grande importance et j’espère – je suis même sûr – que cette conférence ne sera pas une formalité, mais permettra la définition de lignes communes. En effet, actuellement, l’Europe vit beaucoup grâce au concours des travailleurs migrants; une des premières forces de travail, sans lesquelles la prospérité actuelle de l’Europe n’existerait pas, ce sont les travailleurs portugais.
Le Portugal est maintenant un petit pays de 90 000 km2, plus les îles atlantiques. Cependant, il est beaucoup plus que cela et il essaye de s’organiser comme une nation sur ce petit territoire, mais avec un peuple immense dispersé sur tous les continents, ayant sa majeure force de travail ici en Europe.
D’autres pays connaissent une situation semblable. Ces situations doivent être valorisées par des politiques communes qui assurent aux travailleurs migrants le respect de tous leurs droits sociaux, de la force du travail qu’ils déploient en faveur de nations autres que la leur.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, j’ai déjà mentionné les droits de l’homme et la tâche fondamentale du Conseil de l’Europe en faveur de la cause des droits de l’homme, qui sont la base de notre civilisation, une civilisation personnalisée, qui accepte comme philosophie fondamentale, comme base de son action, comme son but, la personne humaine.
On doit toujours le rappeler, parce que c’est essentiel: il n’y a pas de vraie paix, il n’y a pas de coopération, il n’y a pas de sécurité possible sans le respect intégral des droits de la personne humaine.
Je conclurai par une citation qui me paraît résumer en des termes définitifs le problème des droits de l’homme. Permettez-moi de citer Benjamin Constant qui a déclaré: «L’on immole à l’Etre abstrait les êtres réels et l’on offre au peuple en masse l’holocauste du peuple en détail.»
(Applaudissements)
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur le Premier ministre, pour ce très intéressant exposé.
Comme nous courons après quelque retard et que le Premier ministre a indiqué son acceptation de répondre aux questions, nous avons décidé de limiter à une demi-heure le temps réservé aux questions et aux réponses. La première question sera posée par M. Munoz Peirats.
M. MUNOZ PEIRATS (Espagne)
(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).
M. Sa Carneiro, Premier ministre du Portugal
(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).
M. BRUGNON (France)
Jusqu’à présent, le Portugal s’était refusé à reconnaître et à accepter l’occupation du Timor oriental par l’Indonésie. Quelle est exactement la position du Gouvernement portugais sur ce problème? La presse française a récemment rapporté des déclarations que vous auriez faites selon lesquelles votre pays devait «s’accommoder de l’intégration forcée de Timor à l’Indonésie».
M. Sa Carneiro, Premier ministre du Portugal
J’ai déjà eu l’occasion de démentir ces déclarations que je n’ai pas faites – je n’ai même pas rencontré le journaliste en question – et qui m’ont été imputées par un quotidien français. Je pense que vous vous référez au journal Le Matin. Ces prétendues déclarations ne correspondent en rien à la position portugaise. Nous sommes partiellement responsables de la situation du Timor. Aux termes de notre Constitution, la solution de la détermination du peuple de Timor revient au Président de la République et au gouvernement. Des mesures vont être prises pour remplir cette obligation conjointe.
Vous connaissez l’évolution de cette affaire. Au sein des Nations Unies, de plus en plus de pays admettent la domination de l’Indonésie sur Timor. Tout en respectant les principes insérés dans notre Constitution à propos de la détermination du peuple de Timor et en prenant des mesures qui correspondent à ses desiderata, nous nous devons de résoudre en priorité les problèmes humains qui se posent et qui prévalent sur quelque solution politique que ce soit. Telle est la position de mon Gouvernement.
M. CARVALHAS (Portugal)
Monsieur le Premier ministre, dans la politique extérieure, quelle mesure le gouvernement compte-t-il prendre pour éviter le rapatriement des émigrants portugais, suite à la crise économique et aux lois Stoleru et Bonnet?
Dans le même ordre d’idées, est-il certain que c’est avec les émigrants que doivent être recherchées et trouvées les solutions aux problèmes mêmes de la politique extérieure, et que c’est en fonction de ces principes de participation directe et active que l’Assemblée de la République a approuvé la loi des commissions consulaires des migrants? Pour quelle raison le gouvernement que vous présidez n’applique-t-il ni ne réglemente-t-il pas la loi?
D’autre part, Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé ici de la paix, mais vous vous êtes déjà déclaré publiquement au Portugal et à l’étranger adversaire de la détente. Comment conciliez-vous cette position avec l’Acte final d’Helsinki et avec la Constitution portugaise?
M. Sa Carneiro, Premier ministre du Portugal
Monsieur le Président, Monsieur le parlementaire, vous avez commencé par signaler, qu’à votre avis, le ministre portugais des Affaires étrangères avait parlé ici comme Premier ministre et que le Premier ministre du Portugal parlait en tant que ministre des Affaires étrangères. Même s’il en est ainsi, je m’en réjouis. Nous faisons partie du même gouvernement et nous en partageons la direction politique, puisque le ministre des Affaires étrangères est aussi Vice-Premier ministre du Gouvernement portugais; nous avons le même langage, le même but, la même politique et, si nous avons des points communs, c’est un atout en notre faveur et non un argument pour nous attaquer.
Vous avez mentionné, en premier lieu, les mesures que mon Gouvernement étudie pour éviter le rapatriement des émigrants, vu la crise économique et certaines lois françaises.
Tout d’abord, nous avons la chance que les émigrants portugais travaillent et vivent dans des pays d’Europe occidentale et non dans des pays d’Europe de l’Est; ainsi, la solidarité européenne joue en notre faveur. (Applaudissements)
Cette option européenne des travailleurs portugais a été prise bien avant la démocratisation du Portugal et elle est un des fondements de notre politique européenne. Les contacts que nous avons avec les gouvernements d’Europe, voire le Gouvernement français, les contacts que les gouvernements précédents, et même le Président de la République, ont eus avec les autorités françaises nous soulagent en ce qui concerne ce risque de rapatriement.
Evidemment, si les difficultés économiques de l’Europe s’accroissent, si le chômage augmente, nous connaîtrions ce problème. Mais, qui n’aura pas de problème de chômage dans une récession qui pourra être une catastrophe structurelle pour les économies occidentales? Nous serons solidaires dans les difficultés, nous essaierons de trouver des solutions communes. C’est cela l’esprit européen, c’est cela, l’esprit du Conseil de l’Europe.
Vous avez aussi demandé pourquoi mon Gouvernement n’applique pas une loi approuvée avant les dernières élections sur les commissions consulaires d’émigrants. Voilà un problème qui mérite d’être étudié, qui sera étudié et présenté si besoin est à la majorité pour que le parlement tranche, mais c’est seulement un détail. Nous nous préoccupons beaucoup plus d’une politique qui donne à notre pays la vraie conception d’un peuple réparti. Au contraire, notre préoccupation fondamentale à cet égard est une nouvelle loi de nationalité qui donnera aux émigrants portugais le droit de conserver leur nationalité portugaise, s’ils veulent, même après être naturalisés citoyens du pays dans lequel ils vivent et où ils travaillent.
D’autre part, nous sommes sur le point de présenter au parlement une nouvelle loi électorale dans laquelle la représentation des émigrants sera élargie. Les émigrants portugais peuvent maintenant élire quatre parlementaires sur les deux cent cinquante. Nous voulons que ce chiffre soit doublé ou même plus que doublé pour qu’un pays qui a plus de deux millions de citoyens qui travaillent en Europe, en Amérique, en Afrique, ait une représentation digne de ce nom au parlement, pour qu’un pays qui vit beaucoup des envois monétaires de ses émigrants – qui ont été l’année dernière de plusieurs milliards de dollars, l’équivalent de notre facture pétrolière – pense à ses concitoyens non seulement comme source de devises, mais comme partie intégrante du même ensemble humain, de la même nation.
Selon le parlementaire qui a posé la dernière question: comment ai-je défendu la paix, je serais l’adversaire de la détente. Je dirais: oui, adversaire d’une certaine conception de la détente, la conception soviétique et de certains pays communistes d’Europe plus liés à l’Union Soviétique, qui voient en la détente l’occasion d’une expansion de son impérialisme, qui voient en la détente l’occasion de faire progresser son impérialisme et de faire croître son hégémonie. La détente ne peut pas être une fin en soi, elle n’est pas une fin en soi, elle est un moyen pour bâtir la paix.
On a vu ces dernières années que les pays occidentaux ont accepté une détente universelle, ont respecté la détente dans tous les continents, tandis que l’Union Soviétique respectait la détente en Europe, et profitait de la détente que les Européens pratiquaient de leur côté pour accroître son expansionnisme. Tel est le cas de l’Afghanistan qui a été de la part de l’Union Soviétique une atteinte à une détente universelle. On ne veut pas que la détente soit une arme de théâtre, on veut qu’au nom de la détente on ne renonce pas, si besoin est, aux armes de théâtre européen pour protéger la détente et la paix. Mais avec du sérieux et si la détente n’est pas respectée, n’est pas acceptée comme un moyen de bâtir la paix, comme moyen universel, alors c’est notre droit de dire que c’est l’Union Soviétique qui a nui à la détente, qui ne la pratique pas de bonne foi, qui a mis un terme à la détente.
Il ne faut pas se cacher la réalité, il ne faut pas accepter les scénarios construits au profit d’un certain impérialisme hégémonique. Nous avons la responsabilité de dire devant nos concitoyens, dans les assemblées internationales, que la détente a surtout profité à l’Union Soviétique, même si les liens économiques qui ont été noués pendant la période de détente ont rendu les pays européens plus dépendants de l’Union Soviétique qu’auparavant. C’est cette réalité nouvelle qui doit nous pousser à une nouvelle conception, à une nouvelle pratique de la détente. J’espère que lors de la Conférence de Madrid, les pays de l’Occident auront des positions communes, sauront ce qu’ils veulent et sauront quitter cette conférence avec des décisions claires sans se laisser éparpiller dans des décisions trop vagues, trop globales et très peu efficaces, comme ce fut le cas à Belgrade.
M. VALLEIX (France)
Monsieur le Premier ministre, comment vous cacher mon impression à la suite de votre déclaration, pour son courage, d’abord, mais aussi, moi Français, pour la qualité de votre élocution et du maniement de notre langue!
Monsieur le Premier ministre, vous savez l’intérêt que porte l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à la résorption des déséquilibres Nord-Sud au sein de l’Europe. Je voudrais vous demander: quelle politique croyez-vous que le Portugal puisse mettre en œuvre pour diminuer les écarts économiques entre le Portugal et les pays européens du Nord et quelle aide le Portugal attend, tant des pays de la Communauté, que de ceux du Conseil de l’Europe, pour atteindre ses objectifs et plus globalement, quelle contribution politique le Portugal entend-il apporter au dialogue Nord-Sud entre pays industrialisés et pays du tiers monde du fait de la situation particulière du Portugal en Europe?
M. Sa Carneiro, Premier ministre du Portugal
Le Portugal attend du Marché commun, de la Communauté économique européenne, un support pour le financement partiel des actions communes. Un plan a été présenté lors de la visite à Lisbonne d’une délégation présidée par M. Natali, qui porte sur la politique régionale, sur la formation professionnelle, sur les petites et moyennes entreprises. Dans des contacts directs que nous développons en ce moment entre Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères des pays des Neuf, nous cherchons à démontrer que le financement partiel à 40 % par le Fonds communautaire de ce plan est essentiel pour combler le fossé entre le Portugal et les pays développés. C’est un plan qui doit se développer pendant trois années. On en attend beaucoup et on a déjà obtenu des autorités communautaires le financement de certaines actions de développement.
Il y a aussi, au sein du Conseil de l’Europe, le Fonds de réétablissement dont ont profité certains projets. Tous ces plans sont en cours et l’on espère que malgré les difficultés économiques internationales, ils pourront être menés à bien et même augmentés.
En ce qui concerne le dialogue Nord-Sud et les pays du tiers monde, nos contacts avec les pays d’Amérique latine, avec les pays d’Afrique, nommément les anciennes colonies, pourront être un instrument pour intensifier ce dialogue et cette action.
Nous sommes parfaitement disposés et très résolus à contribuer à la diminution des inégalités entre le Nord et le Sud. Dans ce but, l’Europe doit pratiquer vis-à-vis de l’Afrique et de l’Amérique latine une politique plus cohérente et plus efficace que celle qui se vérifie en ce moment, et nous sommes disposés à contribuer à la définition et à l’accomplissement de cette politique.
M. BACELAR (Portugal)
Monsieur Sa Carneiro, je vous salue en tant que Premier ministre de mon pays, issu d’élections législatives démocratiques, quoique je sois dans l’opposition et membre du parti socialiste.
Néanmoins, je voudrais vous poser deux questions. D’abord, je me réjouis que vous ayez rendu justice à M. Mario Soares, votre prédécesseur, et que vous ayez mis l’accent sur la continuité de notre politique en matière européenne et atlantique. Cependant, certaines nuances ne doivent pas être négligées et, à ce propos, je voudrais revenir sur votre déclaration, que je ne connaissais pas avant la présente séance, puisque le texte n’en avait pas été distribué.
Monsieur le Premier ministre, vous venez de dire que notre Gouvernement poursuit, avant tout, une politique d’intégration européenne, mais une telle politique exigerait une suite dans les affaires dont vous avez parlé, celle de l’Afghanistan et celle de l’Iran; or cette suite serait-elle coordonnée avec les positions de l’Europe, après celles qui ont été prises par les Etats-Unis?
Dans le premier cas, au nom de cette union de l’Europe occidentale, l’ambassadeur du Portugal à Moscou a été rappelé et un accord culturel qui n’avait rien à voir avec le problème a été rompu.
Dans le deuxième cas, on a mis un embargo sur des cas inexistants, même au chapitre très important du pétrole.
M. LE PRÉSIDENT
Monsieur Bacelar, voudriez-vous vous limiter à poser une question et ne pas faire une déclaration.
M. BACELAR
Je pose donc des questions, Monsieur le Président, pour me conformer à vos instructions.
Je demande donc:
Premièrement, si cette politique, dans le contexte européen, est une suite à la solidarité européenne qui doit exister, même pour ces problèmes?
Deuxièmement, si cette politique, puisqu’il semble qu’elle soit poursuivie, mènera à l’accroissement du rôle indépendant de l’Europe, à la construction véritable de cette Europe avec une politique propre dans les organismes européens, ou à une sous-organisation de notre pays, en même temps qu’à une dégradation du dialogue avec nos anciennes colonies, qui poursuivent une politique d’identification avec le bloc opposé: le bloc soviétique? Est-ce là une politique qui va dans le sens d’une entente possible avec les anciennes colonies portugaises, laquelle aurait pourtant davantage d’intérêt pour l’Europe et pour la paix mondiale? Et votre politique ne s’identifie-t-elle pas avec un retour à la guerre froide?
M. LE PRÉSIDENT
Monsieur Bacelar, je vous demande maintenant de conclure car, en bonne démocratie, je voudrais donner la parole à d’autres de vos collègues.
M. BACELAR
Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé une loi électorale en disant que les émigrants étaient sous-représentés.
Mais il y a eu des élections au Portugal, il y a environ deux mois; il y en aura d’autres au mois de septembre prochain – ce sont des élections intercalaires – et je vous demande, à vous qui avez été élu lors d’élections que l’opposition reconnaît comme démocratiques, si cette nouvelle loi électorale vise bien à favoriser les émigrants ou ne vise pas plutôt à perpétuer votre gouvernement en enterrant, à court délai, les règles du jeu que vous apportez au pouvoir?
M. Sa Carneiro, Premier ministre du Portugal
J’ai signalé la continuité de la politique européenne de mon Gouvernement et des gouvernements qui l’ont précédé. Vous avez tenu à mettre l’accent sur les différences. Je vous répondrai, pour ne pas nuire à ce constat de continuité, qu’il existe effectivement des nuances: des nuances entre les paroles et les actes, des nuances entre une position claire et la confusion.
Notre politique est très nette. Elle ne nuit en aucune façon à la cause européenne. Bien au contraire, elle contribue à la servir. Une chose est la solidarité, une autre les positions indépendantes que l’on prend au sein des assemblées internationales et par soi-même. Les positions que nous avons prises sur les événements d’Afghanistan et dans l’affaire des otages de Téhéran s’inscrivent dans une politique européenne et atlantique, et contribuent au renforcement de la cause de la paix. Mais nous avons couru le risque, risque qui existe encore, de nuire à nos intérêts économiques. Toutefois, j’espère que vous comprendrez, lorsqu’il s’agit de principes et de l’avenir de la communauté internationale, que les intérêts économiques doivent passer au second plan.
Pour répondre à votre dernière question sur la loi électorale, je vous rappellerai seulement que la règle des démocraties représentatives est l’acceptation de la volonté de la majorité au parlement. Pour ce qui est du reste, j’espère avoir l’occasion d’en discuter avec vous et votre parti dans le cadre de notre Parlement et non dans celui de cette Assemblée.
M. LE PRÉSIDENT (traduction)
Il n’est pas du tout démocratique de ne pas donner la parole à tous ceux qui ont souhaité poser des questions au Premier ministre. En revanche, il est parfaitement démocratique de n’autoriser qu’une question par orateur. En effet, si j’avais admis une question supplémentaire, la moitié des orateurs seulement aurait pu s’exprimer.
Permettez-moi, Monsieur le Premier ministre, de vous remercier encore une fois. J’espère pouvoir m’adresser plus longuement à vous ce soir mais, faute de temps, je me bornerai à vous dire combien je vous sais gré de votre visite. Au nom de l’Assemblée, je vous remercie d’avoir répondu aux questions que nous vous avons posées.