Mikhail
Saakashvili
Président de la Géorgie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 26 janvier 2005

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général et honorables membres de cette Assemblée, je commencerai par remercier tout particulièrement l’Assemblée parlementaire pour l’occasion qu’elle m’offre de prendre la parole devant elle.
De tout temps, l’Assemblée n’a cessé de promouvoir activement le développement démocratique de la Géorgie ainsi que le renforcement des droits de l’homme dans le pays. Même lorsque ces libertés fondamentales étaient menacées, l’Assemblée n’a jamais abandonné la Géorgie, choisissant de l’épauler, convaincue qu’elle était que le jour viendrait où des changements durables seraient opérés dans la société géorgienne. Je suis fier de pouvoir dire que ce jour est enfin arrivé, il y a un an. Et je me réjouis de voir que, grâce à nos efforts communs, mon pays occupe aujourd’hui une place permanente au sein de la famille européenne des nations.
De cette tribune unique en son genre, j’aimerais exprimer le souhait que, outre le foyer de la lutte en faveur de la démocratie et des droits de l’homme en Géorgie qu’elle est déjà, l’Assemblée parlementaire devienne celui de la promotion d’une paix durable dans le pays. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de lancer notre initiative de paix dans cet hémicycle en votre présence à tous.
«L’heure est venue de mettre fin aux divisions entre les peuples.»
Aujourd’hui, la Géorgie a engagé une profonde transformation – une transformation qui nous oblige à nous connaître nous-mêmes afin de bien identifier la société que nous voulons construire. Cette transformation exige que nous procédions à une évaluation sans concession de nos forces et de nos faiblesses, et que nous regardions en face des réalités parfois douloureuses. Nos efforts commencent à porter des fruits.
Lorsque, il y a un an, le peuple géorgien s’est soulevé pour défendre sa liberté, il s’est également soulevé pour défendre son avenir – un avenir qui ne se caractériserait plus par les fausses promesses, le déclin et la désintégration de l’Etat, et qui ne serait plus dominé par les politiques de division, le vol organisé au plus haut niveau de l’Etat et le mépris pour les membres les plus pauvres de la société. Les voix qui ont donné sa force unique à la pacifique révolution des roses sont les mêmes que celles qui s’élèvent aujourd’hui pour que les efforts de la Géorgie soient couronnés de succès.
Pour réussir aujourd’hui, il faut adopter de nouvelles règles, de nouveaux principes, et renouveler notre attachement à la démocratie. Si un certain écho de la révolution des roses continue de résonner, c’est bien celui de la liberté, qui est là pour nous rappeler la chance historique qui s’offre à nous ainsi que les immenses responsabilités qui nous incombent.
La liberté s’est fait entendre non seulement en Géorgie, mais aussi en Ukraine. Hier, j’ai été heureux de me trouver aux côtés de mon ami Iouchtchenko pour inaugurer l’exposition consacrée à nos deux révolutions, qui se ressemblent étrangement. La révolution géorgienne a été l’événement le plus important de ma vie. Elle m’a aussi permis de vivre un des moments les plus heureux de mon existence lorsque, à l’occasion de la nouvelle année, me trouvant à ses côtés sur la place de l’Indépendance pour célébrer la liberté, j’ai pris conscience que, contre toute attente et malgré tous les obstacles, il avait, lui aussi, gagné. Sa victoire signifie que nous ne sommes plus un cas unique; que le mouvement est universel et qu’il se poursuivra. Ce mouvement, nous l’appelons «la voie européenne vers la liberté».
Faire de la Géorgie un pays plus prospère, plus équitable et plus pacifique constitue un défi pour les générations à venir. Mon propos n’est pas aujourd’hui de chanter les louanges de mon pays pour les succès enregistrés au cours de l’année qui a suivi la révolution, mais de réaffirmer que, l’année dernière, la Géorgie s’est engagée de manière irréversible à aller de l’avant et à construire une démocratie européenne moderne et stable. Elle a déjà accompli des progrès significatifs en vue du respect de cet engagement et l’initiative de paix qui sera lancée aujourd’hui marquera une nouvelle avancée. Nous aurons besoin de votre aide pour qu’elle puisse être menée à bien.
La force de cet engagement est l’expression des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Elle reflète nos aspirations communes. Notre engagement envers la démocratie est tout simplement l’expression de notre identité. Ce qui caractérise les Géorgiens, c’est que, de tout temps, ils ont cultivé la tolérance, la diversité, le débat vivant et ouvert, et surtout le respect de la liberté et de la dignité humaine.
Si la Géorgie est une démocratie, c’est avant tout parce que son identité nationale se fonde sur les traditions démocratiques. Si nous attachons une telle valeur à la révolution des roses, c’est qu’elle nous a permis de conquérir notre dignité – cette dignité sur laquelle se fonde notre engagement démocratique. Il faut parfois une révolution pour nous le rappeler. Je pense que c’est ce qui nous a permis d’accomplir autant de progrès au cours de l’année dernière, à la grande surprise des sceptiques. A force de détermination et d’équité, nous avons réussi à réduire la corruption au sein des forces de police, à lutter contre le blanchiment de l’argent et à mettre fin à l’intolérance. A force de discipline et de sens des responsabilités, nous avons réussi à tripler le budget de l’Etat, à doubler les pensions et à payer des décennies d’arriérés de salaires et de retraites. A force de transparence et d’impartialité, nous avons réussi à créer, sur les cendres de la censure et du contrôle étatique, le premier service public de radiodiffusion dans notre région. A force de justice et de prudence, nous sommes parvenus à réunir pacifiquement l’Adjarie avec le reste de la Géorgie et à consacrer de nouveaux fonds à la construction de routes et d’infrastructures qui contribueront à intégrer les régions éloignées de Géorgie. Il va sans dire que nous continuons de travailler dans ce sens.
Toutes ces réalisations reflètent la volonté et les besoins collectifs du peuple géorgien. Ces choix politiques montrent la manière dont un Etat géorgien uni se construit aujourd’hui avec la participation, la prise en compte et l’inclusion de la population géorgienne tout entière. La Géorgie est un Etat qui a rejeté les politiques fondées sur la méfiance et les divisions ethniques; un Etat qui, au contraire, se définit et se gouverne lui-même en respectant la prééminence du droit et les principes de l’impartialité; un Etat qui puise sa force dans sa diversité, dans sa stabilité durable et dans le respect de sa culture millénaire et de ses valeurs collectives. Voilà les fondements à la fois de mon mandat politique et d’une paix durable.
Pour reconstruire une nation, il faut avoir le courage de revoir les erreurs passées et de corriger les injustices oubliées. Malheureusement, les blessures des conflits se font toujours sentir dans le monde d’aujourd’hui et contribuent à diminuer le potentiel humain de nombreuses sociétés. Mon pays a eu plus que son lot de souffrances, de bains de sang, de divisions et de destructions. Les conflits qui l’ont fragmenté nous ont infligé des blessures si profondes qu’il nous est difficile d’en parler. Mon cœur se brise devant les conditions de vie de la population d’Abkhazie et de la région de Tskhinvali, l’ancienne région communiste d’Ossétie du Sud. On a parfois qualifié ces situations de «conflits gelés», mais, ce que ces mots ne peuvent décrire, c’est la situation des gens qui meurent de froid ou de faim et dont l’existence est ruinée parce qu’ils sont incapables de résoudre les conflits.
Lorsque j’ai accédé à la présidence, il y a un an, j’ai promis de travailler à la réunification pacifique de la Géorgie. J’ai déclaré à l’époque que, pour que cette vision prenne corps, il fallait travailler en priorité à faire de la Géorgie un pays bien gouverné et plus prospère. Nos efforts, notre attitude ainsi que les résultats que nous avons déjà obtenus sont bien plus parlants que tous les discours.
A l’époque, je m’étais engagé à travailler à la réunification de la Géorgie, tout en préservant la dignité, la culture et les droits fondamentaux de tous ceux qui avaient souffert et de tous ceux qui vivent dans notre pays, parce que toute personne qui naît en Géorgie doit avoir le droit de vivre en paix et de recevoir une excellente éducation, un salaire décent ainsi que de bons soins de santé. Toutes choses impossibles là où règnent la violence, les conflits et la cupidité.
Nous devons progresser encore; et nous devons travailler davantage pour que notre génération reste dans les mémoires comme celle qui a eu le courage d’instaurer une paix durable. Je me propose de vous faire partager notre vision d’une paix durable dans la région appelée aujourd’hui la région de Tskhinvali, que le monde extérieur connaît sous le nom d’Ossétie du Sud. Il s’agit d’une région petite, certes, mais qui revêt une grande importance et qui a, pendant trop longtemps, été à la fois oubliée par la communauté internationale et négligée à l’échelon national. En évoquant les défis qu’elle lance ainsi que les besoins de ses habitants, il convient également d’évoquer la situation en Abkhazie. Je m’adresse à tous les peuples de Géorgie qui partagent le même territoire, la même histoire et qui ont un avenir commun. Un défi commun nous est lancé: il faut reconstruire nos sociétés en mettant l’accent sur l’intégration, de sorte qu’aucun enfant ne sera obligé de grandir dans la peur de la guerre.
Au nom du Gouvernement de la Géorgie, je suis heureux de pouvoir vous présenter les principaux points de l’initiative de paix pour l’Ossétie du Sud. Notre vision pour une Géorgie unie et pacifique est avant tout fondée sur le respect de l’aspiration légitime à l’autonomie de la région de Tskhinvali. Si, durant la période soviétique, l’Ossétie du Sud avait bénéficié d’une autonomie telle que l’entendait l’Union soviétique, le projet actuel vise à lui octroyer une autonomie plus équitable, voire plus large que celle dont bénéficie l’Ossétie du Nord en Fédération de Russie. Nous envisageons notamment d’assortir le statut d’autonomie d’une garantie constitutionnelle incluant le droit pour les citoyens d’élire librement et directement leurs pouvoirs locaux, y compris une branche exécutive et un parlement pour l’Ossétie du Sud.
Le parlement de la région sera doté d’un certain nombre de pouvoirs; c’est ainsi qu’il sera habilité à prendre des décisions en matière de culture, d’éducation, de politique économique et sociale, d’ordre public, d’organisation des pouvoirs locaux et de protection de l’environnement. Dans un même temps, la population de la région de Tskhinvali – Ossétie du Sud – doit pouvoir faire entendre sa voix au sein des structures nationales de gouvernement; c’est pourquoi notre projet prévoit une garantie constitutionnelle en ce sens. Au sein du gouvernement national, dans les domaines judiciaire et constitutionnel et au sein du Parlement géorgien, cette voix sera présente; et cette présence sera garantie par la Constitution. Pour que la Géorgie reste unie et forte, nous devons apprendre à travailler ensemble à Tbilissi et à Tskhinvali. Notre projet jette les bases institutionnelles pour ce faire.
Pour être efficace, l’initiative de paix doit respecter l’histoire, la richesse culturelle, les traditions et la langue de l’Ossétie. A cette fin, notre projet prévoit l’octroi d’un statut et de droits linguistiques, la décentralisation de l’enseignement et l’affectation de fonds sur le budget de l’Etat. C’est la diversité ethnique, culturelle, linguistique et historique qui fait l’exceptionnelle richesse culturelle de la Géorgie que notre projet tend à célébrer, à protéger et à promouvoir.
On comprendra qu’il ne saurait y avoir de paix durable tant que la population continuera de souffrir de la faim, du chômage, de l’insuffisance des services publics et surtout de l’absence de perspectives d’avenir. Le peuple d’Ossétie du Sud mérite de partager la prospérité économique et la stabilité qui règnent aujourd’hui en Géorgie. Il doit pouvoir bénéficier des investissements effectués dans le pays ainsi que de toutes les nouvelles possibilités qui s’y font jour.
Le plan de paix couvre ce besoin en consacrant des fonds publics au développement de l’économie, y compris les infrastructures indispensables; en faisant appel à la générosité de la communauté internationale en vue de poursuivre la mise en œuvre des projets de relance économique; en créant les conditions propices au développement des petites et moyennes entreprises, ce qui permettra de créer des emplois stables et durables; en engageant le débat sur des idées de développement novatrices, telles que la création de zones d’économie libre et la simplification des formalités de passage vers la Russie; et, plus important encore, en permettant aux autorités de l’Ossétie du Sud de définir et de contrôler leurs politiques économiques en tenant compte des besoins, des intérêts et des priorités de la région.
L’Ossétie du Sud verra sa prospérité s’accroître au fur et à mesure que s’accroîtra celle de la Géorgie. Pour instaurer une paix durable, il faut avoir le courage de faire face aux crimes, aux souffrances et aux injustices, qui étaient, malheureusement pléthore par le passé. Le plan de paix prévoit l’adoption d’une loi spéciale sur la restitution des biens, qui permettra de verser des compensations généreuses aux victimes du conflit de 1990-1992. Le gouvernement est prêt à payer cette année les arriérés de pensions à tous les retraités lésés. Pour redresser les torts du passé, l’initiative prévoit la création d’une commission spéciale, chargée de résoudre les différends qui subsistent en matière de biens; une autre commission sera chargée d’examiner les crimes allégués contre la population. Même si la démarche est difficile, il sera finalement possible de faire table rase du passé d’une manière équitable et digne. Pour tous ceux qui ont été obligés de fuir, l’initiative garantit le droit au retour – un droit qui sera soutenu par l’assistance financière de l’Etat.
Le chemin de la paix sera long et difficile; il risque d’être semé d’embûches. Reconnaissant ces difficultés, l’initiative préconise une période transitoire de trois ans pour la résolution du conflit. Au cours de cette période, des forces de police mixtes géorgiennes et ossètes, sous les auspices d’organisations internationales, seront mises en place en vue de garantir l’ordre public et la liberté de circulation. Les forces ossètes seront progressivement intégrées dans une force armée géorgienne unifiée. A ce moment-là, la confiance aura remplacé la peur et l’espoir aura pris le pas sur la suspicion. Les fruits de la paix et de la prospérité retrouvées seront partagés et goûtés par tous.
La cause de la paix est juste et noble, mais on ne saurait la défendre seul. Si nous voulons que nos efforts soient couronnés de succès, cette Assemblée ainsi que d’autres acteurs de la scène internationale devront jouer un rôle plus actif, plus visible et plus ferme. Plus concrètement, le Conseil de l’Europe devrait servir de catalyseur pour la paix, l’OSCE assurer le suivi du processus – elle possède déjà une expérience dans ce domaine –, l’Union européenne jouer le rôle de garant, les Etats-Unis celui de soutien et la Fédération de Russie celui de bienvenu partenaire. Je demande les services de médiateur du Secrétaire Général, qui connaît très bien les organisations impliquées. Nous nous félicitons de l’engagement ferme de cette Assemblée et de son Président. Il est grand temps que l’Union européenne joue un rôle actif dans la région. Nous ne saurions tolérer la persistance de points noirs; ce d’autant que l’Union européenne ne cesse de se rapprocher de nos frontières. Le problème ne concerne pas uniquement la Géorgie, mais tous les Etats membres de l’Union. C’est pourquoi il est grand temps que cette dernière passe à l’action et adopte une politique étrangère et de résolution des conflits ferme.
Afin de restaurer la confiance ainsi que les institutions, le peuple d’Ossétie du Sud, et de la Géorgie dans son ensemble, aura besoin de votre aide. Je pense que l’initiative offre une plateforme novatrice et énonce un nouvel engagement qui peuvent déboucher sur une paix durable. Les éléments contenus dans notre plan montrent que le gouvernement démocratique de la Géorgie est déterminé à offrir et à garantir un nouvel avenir à la population de la région de Tskhinvali et aux Ossètes vivant en Géorgie.
Nous avons pris une décision en faveur de la paix. Nous avons pris une décision à la fois difficile et nécessaire. Aujourd’hui, nous avons couché sur le papier une offre qui jette les bases d’un règlement juste et durable. Nous reconnaissons toutefois qu’il faudra du temps pour en peaufiner les détails. Il faudra faire preuve de souplesse; il faudra faire des compromis; il faudra de la bonne volonté de la part de toutes les parties.
Il est également une cruelle vérité que nous ne pouvons manquer de reconnaître: la paix n’est, malheureusement, pas de l’intérêt de tous. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas la paix et qui font tout leur possible pour contrecarrer les efforts déployés dans ce sens. Il faudra se préparer à faire face aux défis qui émaneront des adversaires de la paix, qui tenteront de faire dérailler le processus; et il faut se préparer à faire face aux risques qui vont de pair avec les décisions difficiles. Aujourd’hui, la Géorgie est prête à prendre de tels risques. Aujourd’hui, elle effectue le premier pas. Aujourd’hui, je déclare solennellement qu’il est grand temps de reléguer les conflits sanglants aux oubliettes du passé; grand temps de mettre fin aux divisions entre les peuples; grand temps de briser le cercle vicieux de la pauvreté, du désespoir et du désarroi. Il est grand temps, pour tous ceux qui ont souffert de ce conflit, de se faire les avocats de la paix au lieu de promouvoir l’instabilité et le maintien d’un statu quo aussi absurde que malsain.
J’espère que les habitants de la région de Tskhinvali et la communauté internationale des nations responsables à laquelle nous appartenons travailleront, ensemble, à faire en sorte que ce conflit appartienne à tout jamais au passé. Il est grand temps d’œuvrer à cette fin.