Mikhail

Saakashvili

Président de la Géorgie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 26 janvier 2005

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général et honorables membres de cette Assemblée, je commencerai par remercier tout particulièrement l’Assemblée parlementaire pour l’occasion qu’elle m’offre de prendre la parole devant elle.

De tout temps, l’Assemblée n’a cessé de promouvoir activement le développement démocratique de la Géorgie ainsi que le renforcement des droits de l’homme dans le pays. Même lorsque ces libertés fondamentales étaient menacées, l’Assemblée n’a jamais abandonné la Géorgie, choisissant de l’épauler, convaincue qu’elle était que le jour viendrait où des changements durables seraient opérés dans la société géorgienne. Je suis fier de pouvoir dire que ce jour est enfin arrivé, il y a un an. Et je me réjouis de voir que, grâce à nos efforts communs, mon pays occupe aujourd’hui une place permanente au sein de la famille européenne des nations.

De cette tribune unique en son genre, j’aimerais exprimer le souhait que, outre le foyer de la lutte en faveur de la démocratie et des droits de l’homme en Géorgie qu’elle est déjà, l’Assemblée parlementaire devienne celui de la promotion d’une paix durable dans le pays. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de lancer notre initiative de paix dans cet hémicycle en votre présence à tous.

«L’heure est venue de mettre fin aux divisions entre les peuples.»

Aujourd’hui, la Géorgie a engagé une profonde transformation – une transformation qui nous oblige à nous connaître nous-mêmes afin de bien identifier la société que nous voulons construire. Cette transformation exige que nous procédions à une évaluation sans concession de nos forces et de nos faiblesses, et que nous regardions en face des réalités parfois douloureuses. Nos efforts commencent à porter des fruits.

Lorsque, il y a un an, le peuple géorgien s’est soulevé pour défendre sa liberté, il s’est également soulevé pour défendre son avenir – un avenir qui ne se caractériserait plus par les fausses promesses, le déclin et la désintégration de l’Etat, et qui ne serait plus dominé par les politiques de division, le vol organisé au plus haut niveau de l’Etat et le mépris pour les membres les plus pauvres de la société. Les voix qui ont donné sa force unique à la pacifique révolution des roses sont les mêmes que celles qui s’élèvent aujourd’hui pour que les efforts de la Géorgie soient couronnés de succès.

Pour réussir aujourd’hui, il faut adopter de nouvelles règles, de nouveaux principes, et renouveler notre attachement à la démocratie. Si un certain écho de la révolution des roses continue de résonner, c’est bien celui de la liberté, qui est là pour nous rappeler la chance historique qui s’offre à nous ainsi que les immenses responsabilités qui nous incombent.

La liberté s’est fait entendre non seulement en Géorgie, mais aussi en Ukraine. Hier, j’ai été heureux de me trouver aux côtés de mon ami Iouchtchenko pour inaugurer l’exposition consacrée à nos deux révolutions, qui se ressemblent étrangement. La révolution géorgienne a été l’événement le plus important de ma vie. Elle m’a aussi permis de vivre un des moments les plus heureux de mon existence lorsque, à l’occasion de la nouvelle année, me trouvant à ses côtés sur la place de l’Indépendance pour célébrer la liberté, j’ai pris conscience que, contre toute attente et malgré tous les obstacles, il avait, lui aussi, gagné. Sa victoire signifie que nous ne sommes plus un cas unique; que le mouvement est universel et qu’il se poursuivra. Ce mouvement, nous l’appelons «la voie européenne vers la liberté».

Faire de la Géorgie un pays plus prospère, plus équitable et plus pacifique constitue un défi pour les générations à venir. Mon propos n’est pas aujourd’hui de chanter les louanges de mon pays pour les succès enregistrés au cours de l’année qui a suivi la révolution, mais de réaffirmer que, l’année dernière, la Géorgie s’est engagée de manière irréversible à aller de l’avant et à construire une démocratie européenne moderne et stable. Elle a déjà accompli des progrès significatifs en vue du respect de cet engagement et l’initiative de paix qui sera lancée aujourd’hui marquera une nouvelle avancée. Nous aurons besoin de votre aide pour qu’elle puisse être menée à bien.

La force de cet engagement est l’expression des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Elle reflète nos aspirations communes. Notre engagement envers la démocratie est tout simplement l’expression de notre identité. Ce qui caractérise les Géorgiens, c’est que, de tout temps, ils ont cultivé la tolérance, la diversité, le débat vivant et ouvert, et surtout le respect de la liberté et de la dignité humaine.

Si la Géorgie est une démocratie, c’est avant tout parce que son identité nationale se fonde sur les traditions démocratiques. Si nous attachons une telle valeur à la révolution des roses, c’est qu’elle nous a permis de conquérir notre dignité – cette dignité sur laquelle se fonde notre engagement démocratique. Il faut parfois une révolution pour nous le rappeler. Je pense que c’est ce qui nous a permis d’accomplir autant de progrès au cours de l’année dernière, à la grande surprise des sceptiques. A force de détermination et d’équité, nous avons réussi à réduire la corruption au sein des forces de police, à lutter contre le blanchiment de l’argent et à mettre fin à l’intolérance. A force de discipline et de sens des responsabilités, nous avons réussi à tripler le budget de l’Etat, à doubler les pensions et à payer des décennies d’arriérés de salaires et de retraites. A force de transparence et d’impartialité, nous avons réussi à créer, sur les cendres de la censure et du contrôle étatique, le premier service public de radiodiffusion dans notre région. A force de justice et de prudence, nous sommes parvenus à réunir pacifiquement l’Adjarie avec le reste de la Géorgie et à consacrer de nouveaux fonds à la construction de routes et d’infrastructures qui contribueront à intégrer les régions éloignées de Géorgie. Il va sans dire que nous continuons de travailler dans ce sens.

Toutes ces réalisations reflètent la volonté et les besoins collectifs du peuple géorgien. Ces choix politiques montrent la manière dont un Etat géorgien uni se construit aujourd’hui avec la participation, la prise en compte et l’inclusion de la population géorgienne tout entière. La Géorgie est un Etat qui a rejeté les politiques fondées sur la méfiance et les divisions ethniques; un Etat qui, au contraire, se définit et se gouverne lui-même en respectant la prééminence du droit et les principes de l’impartialité; un Etat qui puise sa force dans sa diversité, dans sa stabilité durable et dans le respect de sa culture millénaire et de ses valeurs collectives. Voilà les fondements à la fois de mon mandat politique et d’une paix durable.

Pour reconstruire une nation, il faut avoir le courage de revoir les erreurs passées et de corriger les injustices oubliées. Malheureusement, les blessures des conflits se font toujours sentir dans le monde d’aujourd’hui et contribuent à diminuer le potentiel humain de nombreuses sociétés. Mon pays a eu plus que son lot de souffrances, de bains de sang, de divisions et de destructions. Les conflits qui l’ont fragmenté nous ont infligé des blessures si profondes qu’il nous est difficile d’en parler. Mon cœur se brise devant les conditions de vie de la population d’Abkhazie et de la région de Tskhinvali, l’ancienne région communiste d’Ossétie du Sud. On a parfois qualifié ces situations de «conflits gelés», mais, ce que ces mots ne peuvent décrire, c’est la situation des gens qui meurent de froid ou de faim et dont l’existence est ruinée parce qu’ils sont incapables de résoudre les conflits.

Lorsque j’ai accédé à la présidence, il y a un an, j’ai promis de travailler à la réunification pacifique de la Géorgie. J’ai déclaré à l’époque que, pour que cette vision prenne corps, il fallait travailler en priorité à faire de la Géorgie un pays bien gouverné et plus prospère. Nos efforts, notre attitude ainsi que les résultats que nous avons déjà obtenus sont bien plus parlants que tous les discours.

A l’époque, je m’étais engagé à travailler à la réunification de la Géorgie, tout en préservant la dignité, la culture et les droits fondamentaux de tous ceux qui avaient souffert et de tous ceux qui vivent dans notre pays, parce que toute personne qui naît en Géorgie doit avoir le droit de vivre en paix et de recevoir une excellente éducation, un salaire décent ainsi que de bons soins de santé. Toutes choses impossibles là où règnent la violence, les conflits et la cupidité.

Nous devons progresser encore; et nous devons travailler davantage pour que notre génération reste dans les mémoires comme celle qui a eu le courage d’instaurer une paix durable. Je me propose de vous faire partager notre vision d’une paix durable dans la région appelée aujourd’hui la région de Tskhinvali, que le monde extérieur connaît sous le nom d’Ossétie du Sud. Il s’agit d’une région petite, certes, mais qui revêt une grande importance et qui a, pendant trop longtemps, été à la fois oubliée par la communauté internationale et négligée à l’échelon national. En évoquant les défis qu’elle lance ainsi que les besoins de ses habitants, il convient également d’évoquer la situation en Abkhazie. Je m’adresse à tous les peuples de Géorgie qui partagent le même territoire, la même histoire et qui ont un avenir commun. Un défi commun nous est lancé: il faut reconstruire nos sociétés en mettant l’accent sur l’intégration, de sorte qu’aucun enfant ne sera obligé de grandir dans la peur de la guerre.

Au nom du Gouvernement de la Géorgie, je suis heureux de pouvoir vous présenter les principaux points de l’initiative de paix pour l’Ossétie du Sud. Notre vision pour une Géorgie unie et pacifique est avant tout fondée sur le respect de l’aspiration légitime à l’autonomie de la région de Tskhinvali. Si, durant la période soviétique, l’Ossétie du Sud avait bénéficié d’une autonomie telle que l’entendait l’Union soviétique, le projet actuel vise à lui octroyer une autonomie plus équitable, voire plus large que celle dont bénéficie l’Ossétie du Nord en Fédération de Russie. Nous envisageons notamment d’assortir le statut d’autonomie d’une garantie constitutionnelle incluant le droit pour les citoyens d’élire librement et directement leurs pouvoirs locaux, y compris une branche exécutive et un parlement pour l’Ossétie du Sud.

Le parlement de la région sera doté d’un certain nombre de pouvoirs; c’est ainsi qu’il sera habilité à prendre des décisions en matière de culture, d’éducation, de politique économique et sociale, d’ordre public, d’organisation des pouvoirs locaux et de protection de l’environnement. Dans un même temps, la population de la région de Tskhinvali – Ossétie du Sud – doit pouvoir faire entendre sa voix au sein des structures nationales de gouvernement; c’est pourquoi notre projet prévoit une garantie constitutionnelle en ce sens. Au sein du gouvernement national, dans les domaines judiciaire et constitutionnel et au sein du Parlement géorgien, cette voix sera présente; et cette présence sera garantie par la Constitution. Pour que la Géorgie reste unie et forte, nous devons apprendre à travailler ensemble à Tbilissi et à Tskhinvali. Notre projet jette les bases institutionnelles pour ce faire.

Pour être efficace, l’initiative de paix doit respecter l’histoire, la richesse culturelle, les traditions et la langue de l’Ossétie. A cette fin, notre projet prévoit l’octroi d’un statut et de droits linguistiques, la décentralisation de l’enseignement et l’affectation de fonds sur le budget de l’Etat. C’est la diversité ethnique, culturelle, linguistique et historique qui fait l’exceptionnelle richesse culturelle de la Géorgie que notre projet tend à célébrer, à protéger et à promouvoir.

On comprendra qu’il ne saurait y avoir de paix durable tant que la population continuera de souffrir de la faim, du chômage, de l’insuffisance des services publics et surtout de l’absence de perspectives d’avenir. Le peuple d’Ossétie du Sud mérite de partager la prospérité économique et la stabilité qui règnent aujourd’hui en Géorgie. Il doit pouvoir bénéficier des investissements effectués dans le pays ainsi que de toutes les nouvelles possibilités qui s’y font jour.

Le plan de paix couvre ce besoin en consacrant des fonds publics au développement de l’économie, y compris les infrastructures indispensables; en faisant appel à la générosité de la communauté internationale en vue de poursuivre la mise en œuvre des projets de relance économique; en créant les conditions propices au développement des petites et moyennes entreprises, ce qui permettra de créer des emplois stables et durables; en engageant le débat sur des idées de développement novatrices, telles que la création de zones d’économie libre et la simplification des formalités de passage vers la Russie; et, plus important encore, en permettant aux autorités de l’Ossétie du Sud de définir et de contrôler leurs politiques économiques en tenant compte des besoins, des intérêts et des priorités de la région.

L’Ossétie du Sud verra sa prospérité s’accroître au fur et à mesure que s’accroîtra celle de la Géorgie. Pour instaurer une paix durable, il faut avoir le courage de faire face aux crimes, aux souffrances et aux injustices, qui étaient, malheureusement pléthore par le passé. Le plan de paix prévoit l’adoption d’une loi spéciale sur la restitution des biens, qui permettra de verser des compensations généreuses aux victimes du conflit de 1990-1992. Le gouvernement est prêt à payer cette année les arriérés de pensions à tous les retraités lésés. Pour redresser les torts du passé, l’initiative prévoit la création d’une commission spéciale, chargée de résoudre les différends qui subsistent en matière de biens; une autre commission sera chargée d’examiner les crimes allégués contre la population. Même si la démarche est difficile, il sera finalement possible de faire table rase du passé d’une manière équitable et digne. Pour tous ceux qui ont été obligés de fuir, l’initiative garantit le droit au retour – un droit qui sera soutenu par l’assistance financière de l’Etat.

Le chemin de la paix sera long et difficile; il risque d’être semé d’embûches. Reconnaissant ces difficultés, l’initiative préconise une période transitoire de trois ans pour la résolution du conflit. Au cours de cette période, des forces de police mixtes géorgiennes et ossètes, sous les auspices d’organisations internationales, seront mises en place en vue de garantir l’ordre public et la liberté de circulation. Les forces ossètes seront progressivement intégrées dans une force armée géorgienne unifiée. A ce moment-là, la confiance aura remplacé la peur et l’espoir aura pris le pas sur la suspicion. Les fruits de la paix et de la prospérité retrouvées seront partagés et goûtés par tous.

La cause de la paix est juste et noble, mais on ne saurait la défendre seul. Si nous voulons que nos efforts soient couronnés de succès, cette Assemblée ainsi que d’autres acteurs de la scène internationale devront jouer un rôle plus actif, plus visible et plus ferme. Plus concrètement, le Conseil de l’Europe devrait servir de catalyseur pour la paix, l’OSCE assurer le suivi du processus – elle possède déjà une expérience dans ce domaine –, l’Union européenne jouer le rôle de garant, les Etats-Unis celui de soutien et la Fédération de Russie celui de bienvenu partenaire. Je demande les services de médiateur du Secrétaire Général, qui connaît très bien les organisations impliquées. Nous nous félicitons de l’engagement ferme de cette Assemblée et de son Président. Il est grand temps que l’Union européenne joue un rôle actif dans la région. Nous ne saurions tolérer la persistance de points noirs; ce d’autant que l’Union européenne ne cesse de se rapprocher de nos frontières. Le problème ne concerne pas uniquement la Géorgie, mais tous les Etats membres de l’Union. C’est pourquoi il est grand temps que cette dernière passe à l’action et adopte une politique étrangère et de résolution des conflits ferme.

Afin de restaurer la confiance ainsi que les institutions, le peuple d’Ossétie du Sud, et de la Géorgie dans son ensemble, aura besoin de votre aide. Je pense que l’initiative offre une plateforme novatrice et énonce un nouvel engagement qui peuvent déboucher sur une paix durable. Les éléments contenus dans notre plan montrent que le gouvernement démocratique de la Géorgie est déterminé à offrir et à garantir un nouvel avenir à la population de la région de Tskhinvali et aux Ossètes vivant en Géorgie.

Nous avons pris une décision en faveur de la paix. Nous avons pris une décision à la fois difficile et nécessaire. Aujourd’hui, nous avons couché sur le papier une offre qui jette les bases d’un règlement juste et durable. Nous reconnaissons toutefois qu’il faudra du temps pour en peaufiner les détails. Il faudra faire preuve de souplesse; il faudra faire des compromis; il faudra de la bonne volonté de la part de toutes les parties.

Il est également une cruelle vérité que nous ne pouvons manquer de reconnaître: la paix n’est, malheureusement, pas de l’intérêt de tous. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas la paix et qui font tout leur possible pour contrecarrer les efforts déployés dans ce sens. Il faudra se préparer à faire face aux défis qui émaneront des adversaires de la paix, qui tenteront de faire dérailler le processus; et il faut se préparer à faire face aux risques qui vont de pair avec les décisions difficiles. Aujourd’hui, la Géorgie est prête à prendre de tels risques. Aujourd’hui, elle effectue le premier pas. Aujourd’hui, je déclare solennellement qu’il est grand temps de reléguer les conflits sanglants aux oubliettes du passé; grand temps de mettre fin aux divisions entre les peuples; grand temps de briser le cercle vicieux de la pauvreté, du désespoir et du désarroi. Il est grand temps, pour tous ceux qui ont souffert de ce conflit, de se faire les avocats de la paix au lieu de promouvoir l’instabilité et le maintien d’un statu quo aussi absurde que malsain.

J’espère que les habitants de la région de Tskhinvali et la communauté internationale des nations responsables à laquelle nous appartenons travailleront, ensemble, à faire en sorte que ce conflit appartienne à tout jamais au passé. Il est grand temps d’œuvrer à cette fin.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Saakashvili, pour ce discours fort important et fort prometteur. Certains parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser des questions. Leurs noms figurent sur une liste qui a été établie par le Bureau de la séance, suivant l’ordre dans lequel les demandes ont été reçues. Je vous rappelle qu’ils disposent, pour poser leur question, de trente secondes au maximum. Il s’agit en effet de poser des questions et non de prononcer des discours. La parole est à M. Elo, au nom du Groupe socialiste, pour poser la première question.

M. ELO (Finlande) (traduction)

Au nom du Groupe socialiste, je tiens à vous remercier pour votre discours des plus intéressants. Comme chacun sait, vous avez été élu à la présidence de la Géorgie à la suite de la pacifique révolution des roses. Cette élection avait suscité, au sein de la communauté internationale et certainement aussi au sein de la population de votre pays, de grands espoirs de réformes politiques et économiques. Quel est le bilan que vous tirez des efforts entrepris en vue de mettre en œuvre ces réformes?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Il y a un an, de grands espoirs s’étaient effectivement fait jour au sein du peuple géorgien. Pour ce qui concerne, toutefois, les observateurs internationaux, ils brossaient un tableau plus pessimiste des événements intervenant dans mon pays, ce qui fait que, du côté de la communauté internationale, les attentes étaient bien plus modestes. J’ai entendu des gens dire que nous échouerions; que nous n’avions aucune expérience; que la Géorgie éclaterait en cinq; et que le pays n’était pas viable. Comme toujours, nous avons – ce à plusieurs reprises cette année – donné tort aux sceptiques qui affirmaient qu’il ne pouvait y avoir de transition pacifique et que les élections étaient vouées à l’échec. En effet, depuis la création de la CEI, nous avons été le premier pays dont les élections ont été déclarées libres et équitables par toutes les organisations internationales y compris le Conseil de l’Europe. Voilà qui revêt une grande importance. Selon les sceptiques, la coalition de tous les groupes politiques était vouée à se désintégrer puisqu’elle avait été créée uniquement dans le but d’accéder au pouvoir; mais, aujourd’hui, force est de reconnaître que, de tous les pays d’Europe orientale, c’est en Géorgie que la coalition s’est révélée la plus coordonnée et la plus coopérative. Bien entendu, je souhaite que cela dure. Certes, il s’agit d’une coalition, mais d’une coalition qui a réussi à opérer le processus de transition sans heurts.

Lorsque nous étions confrontés à des problèmes en Adjarie, d’aucuns prédisaient que nous allions vers la guerre. Il y avait un conflit en Abkhazie au moment où le premier gouvernement indépendant est arrivé au pouvoir. D’aucuns prétendent que, maintenant que le pays est doté d’un nouveau gouvernement, un conflit va éclater en Adjarie. De fait, les images montrées sur les chaînes de télévision internationales étaient celles de milices locales armées de kalachnikovs, de mortiers, voire de quelques lance-missiles terre-air. Et ces images semblaient indiquer qu’un combat était imminent. Toutefois, le problème a été résolu sans qu’un seul coup de feu ait été tiré; contre toute attente, le conflit a pu être évité. Par la suite, tout le monde s’est demandé comment cela avait été possible dans une région qui se distinguait par la corruption et une mauvaise gestion. Comme je le disais, le conflit a pu être évité parce que la démocratie fonctionne. C’est ainsi que doivent se passer les choses dans cette partie du monde.

Je puis vous dire que, lorsque mon prédécesseur était au pouvoir, le budget de l’Etat s’élevait, comme il vient d’être confirmé, à moins de 380 millions d’euros. A présent, un an après, il s’élève à plus de 1,4 milliard d’euros. Et il continuera de croître. Si je mentionne ces chiffres, c’est parce qu’ils témoignent de la diminution de la corruption dans le pays. L’année dernière, lorsque le gouvernement a montré de quoi il était capable, d’importants investissements ont commencé à être effectués dans le pays. Les réserves financières disponibles constituent une indication des progrès que peut accomplir un gouvernement honnête, qui ne fonde pas ses activités sur le vol organisé. La différence est de taille.

On disait qu’il ne serait pas possible de réformer les forces de police en Géorgie. Toutefois, à partir de début juin, nous avons, en un mois, licencié tous les policiers du pays. On disait qu’il y aurait des accidents de la route, des vols et des assassinats, mais rien de tout cela ne s’est produit. Nos nouvelles forces de police sont très différentes. Elles sont européennes. Elles ont l’air européennes et elles se fondent sur la culture européenne. La police utilise des radios européennes et le salaire de ses membres est de douze à quinze fois supérieur à ce qu’il était auparavant. Les nouvelles forces de police sont honnêtes et une écrasante majorité de la population leur fait confiance. Les sondages indiquent que l’indice de confiance est aujourd’hui de plus de 90 %, contre seulement 6 % par le passé. Il en va de même pour le bureau du procureur, qui bénéficie aujourd’hui de la confiance de 70 % de la population, contre 6 % seulement par le passé.

Je pourrais évoquer d’autres institutions comme le parlement et la présidence, qui bénéficient aujourd’hui d’une confiance accrue au sein de la population. A mon sens, cette restauration de la confiance dans les institutions constitue un de nos plus grands succès. Jamais, avant l’indépendance, la population n’avait eu confiance dans les institutions. Et c’est bien là ce qui fait l’échec d’un Etat. Or, un Etat qui échoue ne peut fonctionner. Nous en avons eu un exemple flagrant.

J’ai été très heureux d’entendre certains membres de la Douma russe évoquer les plus importants événements politiques de l’année dernière, au nombre desquels la mise en place d’une nouvelle force de police en Géorgie, qu’ils considèrent comme une importante avancée pour tous nos pays. Les prédictions pessimistes formulées par certains de nos voisins ont été démenties et aujourd’hui l’écho de notre succès retentit partout. Les faits ont démenti toutes les critiques. On a encore en mémoire les belles images de notre révolution, mais aujourd’hui la routine est bien plus ennuyeuse que la révolution – pourtant, c’est précisément le résultat que nous recherchions. La routine qui a été instaurée en Géorgie est aujourd’hui considérée comme un succès exceptionnel. Voilà qui, non seulement, est reconnu par tous ceux qui connaissent la situation sur le terrain, mais qui cadre également avec la résolution adoptée par l’Assemblée et pour laquelle je vous suis reconnaissant, car elle montre que vous reconnaissez les progrès accomplis.

M. VAN DEN BRANDE (Belgique)

En tant que président nouvellement élu du Groupe du Parti populaire européen, je tiens à vous féliciter pour les efforts que vous déployez en vue de faire de la Géorgie une démocratie stable et prospère. Vous venez de nous présenter votre plan pour l’intégration démocratique et pacifique de l’Adjarie, qui prend en compte à juste titre l’unité dans la diversité. A cet égard, j’ai deux questions particulières à vous poser. Votre plan est, certes, prometteur, mais j’aimerais savoir si sa mise en œuvre sera unilatérale ou bien si elle laissera une marge de négociation. J’aimerais également savoir quels moyens financiers seront alloués à ces régions, dont la stabilité revêt une importance capitale pour l’instauration d’une paix durable dans le Caucase. Il est tout aussi important de redistribuer les moyens financiers que de donner des responsabilités. Je vous remercie.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Merci, Monsieur Van den Brande, pour votre question. Bien entendu, la Géorgie est fière de sa diversité culturelle, qui est une de ses plus grandes richesses. Nous ne nous contentons pas de construire une société fondée sur cette diversité, mais avons également entrepris de promouvoir l’intégration des minorités dans le respect de leur culture. Aujourd’hui, pour la première fois, la télévision publique géorgienne présente des émissions dans des langues caucasiennes minoritaires, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. A l’ère soviétique, les langues minoritaires étaient peut-être promues artificiellement, mais c’est aujourd’hui la première fois qu’un gouvernement démocratiquement élu a entrepris une telle démarche. Le sujet était tabou dans notre société et, aux dires de certains, l’entreprise était assortie d’un certain nombre de risques. Mais nous l’avons effectuée et nous n’avons enregistré aucune retombée négative. L’expérience a, au contraire, été positive et bien accueillie par la grande majorité de la population.

Nous avons mis en place un programme d’action pour former des représentants des différents groupes ethniques. C’est ainsi que nous leur offrons la possibilité de suivre une formation administrative d’un an aux frais du Gouvernement géorgien, qui leur accorde d’importantes bourses d’études. Le recrutement sera fondé sur le mérite et de nouvelles personnes seront appelées à travailler dans la fonction publique, ce qui nous permettra de promouvoir une nouvelle élite, choisie en fonction de ses mérites et sans considération de son origine ethnique.

Je comprends, bien entendu, que ce plan ne devrait pas être unilatéral. Pourquoi l’ai-je proposé uniquement pour l’Ossétie du Sud? Pour ce qui concerne l’Abkhazie, une telle démarche n’est malheureusement pas possible pour le moment, puisque les Abkhazes eux-mêmes ont rompu les négociations. Le deuxième problème, c’est que toutes les personnes d’origine géorgienne ont été expulsées de cette région. On voit donc qu’il n’existe aucune interaction entre les deux groupes de population. Plus de 325 000 personnes ont été expulsées d’Abkhazie. Avant la guerre, la région comptait 700 000 habitants; aujourd’hui, elle n’en compte plus de 125 000. Elle s’est vidée de ses habitants et il n’y a personne avec qui négocier. Cette situation est inacceptable.

Pour ce qui concerne la région de Tskhinvali, Géorgiens et Ossètes cohabitent dans le respect mutuel, ce qui revêt une grande importance. Et puis, l’OSCE constitue un cadre de négociations; nous espérons qu’elle étendra sa présence afin de nous aider à résoudre les problèmes qui subsistent. Dans la région de Tskhinvali, il existe un cadre de travail; de plus, il existe une tradition d’interaction. La région est bien plus intégrée dans le paysage politique et social géorgien. C’est ce qui explique que j’ai été plus réaliste à son égard.

J’ai pensé qu’il était préférable de commencer par l’Ossétie du Sud, région qui, du point de vue ethnique, appartient à la Géorgie, mais qui ne se distingue guère par sa diversité. Cela dit, on ne peut nier, car c’est un fait historique, que certaines tendances séparatistes s’étaient fait jour, qui étaient surtout le fait de la bureaucratie locale, mais nous avons réussi à les juguler. Le problème de l’Ossétie du Sud peut être résolu. Aucun Gouvernement géorgien ne lui a offert l’autonomie parce que les Géorgiens de souche représentent moins de 1 % de la population. En Géorgie, les Ossètes sont une minorité. La population totale de la Géorgie s’élève à plus de 5 millions d’habitants, mais dans cette zone le nombre d’Ossètes se situe entre 30 et 35 000. Il s’agit d’un groupe de population assez modeste et c’est précisément la raison pour laquelle il doit bénéficier d’une protection spéciale. Je suis parfaitement d’accord avec ce point de vue et c’est ce qui nous a amenés à formuler ces propositions pour l’Ossétie du Sud. J’ai bon espoir de voir une meilleure réaction de l’autre partie. Nous en appelons à la population locale et à ses représentants. Il faut que tout le monde comprenne que notre démarche est tout à fait désintéressée et que nous sommes prêts à offrir aux habitants de la région tout ce à quoi ils aspirent depuis si longtemps. Le problème, c’est qu’ils refusent tout ce que nous leur proposons et réclament toujours plus. Telle est d’ailleurs la première réaction officielle à laquelle je m’attends; mais tout le monde parle le géorgien et regarde la télévision géorgienne. Et toutes ces personnes font partie de notre société. Alors, lorsqu’elles comprendront que nous sommes déterminés à leur accorder tout ce qu’elles demandent, des pressions seront exercées sur leurs autorités pour qu’elles acceptent le pacte que nous leur proposons, qu’elles le contresignent afin que puisse être enfin tournée cette page de l’Histoire. Voilà mon principal espoir.

M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)

La question que je me proposais de vous poser était identique à celle à laquelle vous venez de répondre. Alors, permettez-moi simplement de vous demander si vous avez pris connaissance du récent sondage, selon lequel les Géorgiens seraient très optimistes quant à leur avenir, puisqu’ils occupent en la matière le deuxième rang dans le monde et le premier rang en Europe, ce qui constitue, certes, un formidable compliment pour les efforts que vous déployez, mais qui fait également peser sur vos épaules une lourde pression?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je remercie M. Eörsi ainsi que M. Kirilov pour avoir mis en exergue les succès enregistrés par la Géorgie l’année dernière. Mon plus grand problème a été de gérer l’optimisme et les attentes de la population. Le jour le plus difficile de ma carrière politique a été celui où j’ai appris que j’avais remporté l’élection présidentielle avec 96 % des suffrages. C’était un jour d’autant plus difficile que d’aucuns, au sein de cette Assemblée, auraient pu soupçonner une fraude – certes, chacun a pu voir que les élections était libres et équitables, mais une victoire de cette ampleur suscite toujours des interrogations... Aujourd’hui, mon problème c’est que, alors que je sais que ma cote de popularité ne peut que baisser, j’aimerais faire mieux encore en termes de résultats. Je sais que tous ces suffrages ne m’étaient pas forcément destinés et qu’une part des votes en ma faveur traduisaient une opposition au passé. Une telle victoire, j’en ai conscience, ne se reproduira jamais.

Les attentes de la population géorgienne sont immenses, mais c’est précisément cela qui doit nous inciter à engager et à mener à bien les réformes. Si le gouvernement précédent n’a rien fait, c’est qu’il a toujours cru que le peuple ne le soutiendrait pas. Je pense que ce que nous offrons aujourd’hui à la région de Tskhinvali et à l’Ossétie du Sud risque de provoquer des divisions, mais ce risque nous devons le prendre si nous voulons progresser. Si nous cherchons à satisfaire tout le monde, nous n’aboutirons à rien. La politique véritable comporte toujours un risque. Il nous reste un long chemin à parcourir et il est certain que nous entendrons encore bien des grincements de dents.

Ceux qui voient les résultats déjà obtenus veulent en savoir davantage. L’année dernière, les gens disaient que si le gouvernement parvenait à payer les arriérés de pensions et à battre en brèche la corruption il serait le meilleur que la Géorgie ait jamais connu. Voilà ce qu’on nous demandait, et nous l’avons fait. Mais, aujourd’hui, les gens se demandent pourquoi les retraites, que nous avons doublées, restent aussi modestes... Bien sûr, c’est le lot de tous les hommes politiques du monde. Quoi qu’on fasse, les gens ne seront jamais satisfaits.

Nous insistons toutefois sur le fait que des progrès ont été accomplis et que ce qui importe avant tout c’est de maintenir le rythme des réformes. A cet égard, il n’existe pas de filon nous permettant de nous reposer sur nos lauriers. D’éminents ministres et anciens ministres se trouvent aujourd’hui dans cette enceinte et chacun sait, par expérience, qu’aucun dirigeant, même parmi les plus grands, n’est à l’abri des moqueries et d’une baisse de popularité. En Géorgie, nous sommes encore loin de cela. Nous restons optimistes et confiants, car nous espérons pouvoir atteindre tous les objectifs que nous nous sommes fixés pour le bien du pays.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Permettez-moi une nouvelle fois de dire combien les membres du Groupe des démocrates européens se sont réjouis de votre élection. En recherchant des solutions pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, tiendrez-vous compte de l’excellent travail accompli par l’Assemblée pour ce qui concerne les bonnes pratiques en matière d’autonomie ainsi que des propositions qu’elle a adoptées hier et dont elle espère qu’elles contribueront à régler le problème du Haut-Karabakh?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je ne puis m’exprimer au nom de l’ensemble des délégués géorgiens, la plupart se trouvant dans l’opposition. Par ailleurs, même ceux qui appartiennent à la majorité peuvent avoir un avis différent. Mais vous savez que je suis pas seulement un démocrate, je suis un démocrate européen. Nous nous rappelons le point de vue que vous avez exprimé dans votre rapport sur l’Abkhazie ainsi que la contribution remarquable que vous-même ainsi que les autres membres de l’Assemblée qui se sont rendus en Géorgie ont apportée.

La situation en Abkhazie est à la fois simple et dramatique. Nous ne pouvons tolérer qu’un groupe de population recommence à en expulser un autre, non de son propre chef, mais par le biais de l’intervention d’un pays étranger prétendant agir comme son représentant, au nom de la composition ethnique de la région. Cela ne mène nulle part. Il n’y a pas uniquement le poids que représente pour nous l’aide à apporter aux réfugiés et aux personnes déplacées; il y a aussi la question du respect des principes fondamentaux de justice, de liberté et de démocratie. On ne saurait tolérer un tel précédent sur le continent européen.

Lorsque nous parlons d’autonomie, nous nous conformons strictement à la déclaration de la Commission de Venise sur l’Ossétie du Sud. J’ai débuté ma carrière en tant que spécialiste des droits des minorités et de l’autonomie à l’Institut norvégien des droits de l’homme. Aujourd’hui, je suis en mesure d’inscrire dans ce plan une idée de longue date: protéger les droits de chacun. Si on avait fait quelque chose dans ce sens au début des années 1990 alors que je travaillais à Oslo, on aurait pu éviter quelques-uns des conflits, mais malheureusement pas tous, puisque la plupart d’entre eux ne résultaient pas de problèmes internes, mais d’interventions étrangères. Au moins aurait-on pu en éviter ou en circonscrire certains.

Aujourd’hui, grâce au mandat de la population, une deuxième chance nous est offerte. L’autre partie sait que nous ne lui avons pas porté préjudice et que nous n’avons pas l’intention de lui nuire, mais cela ne signifie pas qu’elle doive refuser le dialogue, car cela serait une grave erreur. Nous ne disons pas «C’est à prendre ou à laisser». Je suis convaincu que le dialogue s’engagera. Nous ferons preuve de patience et de souplesse, mais nous sommes déterminés à tout mettre en œuvre pour réaliser nos objectifs, parce qu’il faut régler ces situations irrégulières.

Cela n’avait pas grande importance à l’époque où la plus grande confusion régnait dans le pays. A l’époque des meurtres organisés, des enlèvements, de la corruption et de la méfiance à l’égard de l’Etat, qu’avions nous à offrir à ces régions? Aujourd’hui, la Géorgie est redevenue un pays stable; les investissements étrangers affluent et elle est en train de devenir un Etat européen fonctionnel. Mais il reste ces deux zones d’ombre. L’une est très petite, l’autre un peu plus grande. Elles sont source de criminalité, de trafics en tout genre, de tensions et de provocations qui se manifestent toutes les semaines, voire plus souvent encore. Nous ne pouvons continuer de vivre avec cette épine dans le pied. Personne ne se sent en sécurité. Nous cherchons à remédier à ces problèmes. Nous voulons régulariser la situation et instaurer un cadre juridique fiable dans ces régions, ce dans l’intérêt de tous. Il faut être soit fou soit criminel pour s’opposer à une telle démarche.

M. HERKEL (Estonie) (traduction)

Je tiens à vous transmettre mes meilleurs vœux au nom de l’Estonie. Comme nous le savons, les changements législatifs et juridiques font partie intégrante de la réforme politique, et vous avez déjà beaucoup fait à cet égard. J’aimerais savoir quelles seront les réformes majeures que vous comptez engager à l’avenir.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Merci, Monsieur Herkel. Je tiens à mon tour à dire toute l’admiration que j’éprouve pour l’Estonie, pays qui a fait l’objet de ma première visite officielle au moment où nous avons engagé la coopération avec les Etats baltes. A l’époque, l’Ukraine était encore une sorte de zone grise, mais, aujourd’hui, elle s’est associée à cette initiative. Aujourd’hui, nous travaillons tous ensemble à renforcer la liberté et la démocratie dans notre région, conformément à la Déclaration des Carpates que M. Iouchtchenko et moi-même avons signée dans le cadre de la nouvelle vague de libération en Europe. Cette coopération revêt une grande importance, mais elle constitue également un grand défi.

Un ministre estonien me disait, il y a quelques jours, que son pays était conscient des problèmes territoriaux et des enjeux économiques auxquels la Géorgie était confrontée, mais a également indiqué que l’Estonie avait atteint presque tous les objectifs qu’elle s’était fixés. Elle est aujourd’hui membre des Nations Unies et de l’Otan. Le pays est assez sûr et il enregistre de bonnes performances économiques. Pourtant, il avait ajouté: «Je suis déprimé. Que pouvons-nous faire d’autre?» Pour ma part, j’aimerais être déprimé pour cette raison; je suis certain que cela vaut également pour la plupart des pays représentés dans cette Assemblée.

Plus sérieusement, notre prochaine étape sera de développer les pouvoirs locaux. Nous avons présenté un projet de loi prévoyant l’élection des responsables locaux à tous les échelons, y compris en ce qui concerne la capitale, où vit près de la moitié de la population du pays. A l’instar de ce qui se passe dans les autres pays européens, il faut qu’en Géorgie l’élection des maires se fasse sans ingérence ni du Président ni des organes exécutifs. Comme je le disais, nous nous sommes dotés d’une nouvelle loi sur la télévision publique dont l’application constituera une expérience d’autant plus intéressante que jamais rien de tel n’a existé auparavant dans les pays de la CEI.

Nous nous sommes dotés d’une législation très progressiste en matière de liberté de l’information et de liberté de la presse écrite. Nous avons supprimé les taxes sur la presse écrite. Si, contrairement à la plupart des pays, nous avons effectué une telle démarche, c’est parce que le marché ne lui permettait pas de devenir véritablement indépendante. Certes, la presse est indépendante à l’égard du gouvernement, mais elle ne l’est pas vis-à-vis de certains intérêts privés. Nous voulons que la presse écrite voie ses revenus augmenter pour être plus efficace.

Nous entendons également poursuivre les réformes constitutionnelles. L’année dernière, nous sommes passés d’un régime présidentiel à un régime semi-présidentiel, démarche qui a été considérée comme un pas dans la bonne direction. Mais il reste encore beaucoup à faire. Nous poursuivrons les réformes constitutionnelles en vue d’améliorer les mécanismes de règlement des différends politiques, ce qui devrait nous permettre d’éviter les crises. Ce processus doit être permanent. Il importait également de réformer la police et le bureau du procureur; par ailleurs, nous avons saisi différentes commissions d’experts de propositions de réforme du judiciaire. La première mesure que le pays avait prise à cette fin s’était révélée positive, mais, comme à l’époque, c’est-à-dire au milieu des années 1990, rien n’avait été fait pour ce qui concerne la police et le bureau du procureur, la réforme avait échoué. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé à la réforme du bureau du procureur; et la réforme du judiciaire doit suivre.

Il y a toutefois des limites à notre action. Il est évidemment impossible de changer du jour au lendemain tout un système et surtout de changer toutes les personnes qui y participent. Le défi est de taille et nous faisons de notre mieux pour le relever. Je suis reconnaissant au Conseil de l’Europe pour l’aide qu’il nous fournit en vue de résoudre bon nombre des problèmes qui subsistent.

M. KIRILOV (Bulgarie) (traduction)

Nous sommes heureux de vous accueillir une nouvelle fois parmi nous. Comme on le sait, il y a deux jours, l’Assemblée a adopté une résolution sur le respect des engagements et obligations de la Géorgie, résolution qui, nous en sommes convaincus, sert les intérêts du pays. Bien entendu, ce texte a fait l’objet d’une consultation préalable des autorités géorgiennes, y compris pour ce qui concerne le délai dans lequel l’ensemble des engagements devront être respectés. Selon la presse, vous auriez déclaré que la Géorgie n’était pas tenue de respecter tous les engagements et que c’était à elle de décider ceux qu’elle honorerait. On m’a indiqué que ces rapports ne correspondaient pas à la réalité. J’aimerais connaître votre point de vue sur la question.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je tiens d’emblée à vous souhaiter bon anniversaire, Monsieur Kirilov. Vous avez aujourd’hui 60 ans, ce qui constitue un important événement, pour la célébration duquel on aurait dû hisser les drapeaux...

Ce que j’ai dit – et que je ne cesserai de répéter – c’est que le Conseil de l’Europe, et cela vaut d’ailleurs pour toutes les autres organisations européennes, n’est pas un nouveau Kremlin. Le Conseil n’est pas le centre de commandement d’un quelconque empire. Nous y avons adhéré de notre propre chef. Si nous en sommes membres, c’est que nous nous sentons proches de lui. Et si nous avons engagé des réformes, ce n’est pas parce qu’on nous en a intimé l’ordre, mais parce que nous partageons les valeurs de l’Organisation. Nous voulons faire de la Géorgie un pays prospère, au même titre que les autres pays européens. C’est ce que nous avons expliqué à la population. C’est, je le répète, de notre plein gré que nous travaillons à la réalisation de cet objectif.

En Géorgie, les recommandations du Conseil de l’Europe bénéficient d’une couverture médiatique bien plus importante que dans n’importe quel autre pays membre. Rien qu’aujourd’hui, des hordes de journalistes de six ou sept chaînes de télévision nous ont approchés pour recueillir nos commentaires. Je ne sais pas si les médias des autres pays sont aussi largement représentés à Strasbourg. Une chose est sûre, c’est que nous ne les avons pas amenés avec nous: ils sont venus seuls. Il faut faire comprendre à la population géorgienne qu’être européen ne signifie pas se laisser imposer quoi que ce soit. Nous voulons quelque chose en échange. Les valeurs européennes sont nos valeurs. Nous appartenons à cette famille. Notre pays a une culture, une identité et une histoire européennes; il a les mêmes aspirations que les autres pays européens. Nous sommes reconnaissants au Conseil de l’Europe pour l’aide qu’il nous apporte dans la mise en œuvre du processus. Je suis convaincu que tous les Géorgiens présents aujourd’hui partageront ce point de vue.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Les deux dernières questions seront posées respectivement par Mme Oskina, du Groupe des démocrates européens, et par M. Slutsky, du Groupe socialiste. Madame Oskina...

Mme OSKINA (Fédération de Russie) (interprétation)

demande au Président quand il a l’intention de remplir les engagements pris par la Géorgie à l’égard des Turcs meskhets car les retards d’application font obstacle au développement de l’économie de Krasnodar.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (interprétation)

éprouve la plus vive sympathie pour les Turcs meskhets, ce peuple durement éprouvé. La Géorgie fera tout son possible pour résoudre ce problème et une commission d’experts a été créée au parlement et travaille actuellement sur la question. Dans la région de Krasnodar, la Russie, qui distribue des passeports à des citoyens géorgiens d’Abkhazie ou d’Ossétie du Sud, refuse d’en donner aux Turcs meskhets vivant sur son territoire. C’est une violation des normes internationales en vigueur. Est-il normal que le gouverneur de Krasnodar évoque le droit au retour en Géorgie des Turcs meskhets et pas celui des réfugiés d’Abkhazie? Est-il normal qu’il occupe la demeure de quelqu’un qui est ainsi empêché de rentrer chez lui? La question est particulièrement délicate et entre dans la problématique globale de l’Abkhazie.

Le Président comprend très bien la souffrance des Turcs meskhets. Il tiendra ses engagements, même si la Fédération de Russie ne les a pas remplis. Il convient de rester vigilants face aux tentatives d’annexion de territoires par de puissants voisins.

M. Saakashvili souhaite sincèrement entretenir d’excellentes relations avec la Fédération de Russie, pour autant que celles-ci soient réellement bilatérales et fassent l’objet de concessions réciproques.

M. SLUTSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

observe que M. Saakashvili a exprimé comme une position de principe sa volonté de résoudre les conflits par la voie pacifique. Mais que ferait-il si la population d’Ossétie du Sud n’était pas d’accord avec sa feuille de route?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (interprétation)

remercie M. Slutsky pour sa contribution positive à l’égard de la Géorgie, lundi. Un peuple a toujours le droit de choisir, et les choix en Géorgie auraient été faits depuis longtemps si personne n’intervenait aux frontières. Les trois quarts de la population de l’Abkhazie ont été chassés du pays, et des élections ont été organisées sans la participation des habitants. Comment s’étonner du fait que le candidat qui plaisait à Moscou ait été élu? Mais, lorsque de nouvelles élections ont été organisées sur une base démocratique, le peuple a pu choisir le candidat qui lui convenait.

La Géorgie souhaite naturellement que Moscou joue un rôle positif, ou adopte à tout le moins une attitude de neutralité. Il serait plus facile alors de régler les conflits. Les habitants de l’Ossétie du Sud ont accepté la citoyenneté russe, parce que, sinon, ils ne pouvaient plus obtenir de passeports pour voyager en Russie, ou aller y vendre des marchandises. En dehors de cette circonstance, les Ossètes du Sud sont des citoyens de la Géorgie. Il y a un ministre de cette région au sein du Gouvernement géorgien, qui travaille bien, et plusieurs membres de l’équipe olympique, qui s’est bien comportée à Athènes, viennent aussi de l’Ossétie du Sud.

Quand la Russie va chercher un membre du FSB en Mordovie ou un responsable militaire en Sibérie pour en faire des dirigeants en Ossétie du Sud, quand elle organise des réunions entre parlementaires et militaires russes, elle ne contribue pas à régler la question. Néanmoins, les discussions avec Moscou doivent pouvoir reprendre et il faut espérer que ce dialogue constructif va s’engager. Certains signes sont encourageants, surtout après les événements en Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères russes est attendu à Tbilissi. Pourquoi ne pas résoudre cette question sans parti pris et en tenant compte des intérêts légitimes de la Russie?

La Géorgie n’est pas un fragment perdu et périphérique d’un grand empire. C’est un Etat souverain et indépendant, qui souhaite faire partie pleinement de la famille européenne et qui a fait du règlement pacifique des problèmes un principe. Elle souhaite collaborer avec la Russie, qui est son partenaire naturel et principal, et elle forme le vœu que les hommes politiques raisonnables de la Russie acceptent que les choses se passent ainsi.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous arrivons à la fin de notre dialogue avec M. Saakashvili, que, au nom de l’Assemblée, je remercie de tout cœur pour son discours ainsi que pour les réponses franches et directes qu’il a apportées aux questions des parlementaires. Monsieur Saakashvili, puisse votre initiative de paix porter ses fruits! Vous pouvez compter sur l’entier soutien de l’Assemblée, qui se fait un devoir de tout mettre en œuvre en vue de contribuer à la résolution pacifique des conflits dans votre région. Merci beaucoup.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je vous remercie pour ces propos.