Jorge
Sampaio
Président du Portugal
Discours prononcé devant l'Assemblée
lundi, 23 septembre 1996
Madame la Présidente, avant de prononcer mon discours – en portugais bien entendu – je tiens à vous remercier des propos aimables que vous avez tenus à mon endroit et à celui de mon pays.
(L’orateur poursuit en portugais) (Traduction) Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, c’est avec une profonde émotion que je m’adresse aujourd’hui à cette illustre Assemblée, émotion engendrée non seulement par l’honneur que me fait votre Présidente, Mme Leni Fischer, en m’invitant à participer aux cérémonies du 20e anniversaire de l’adhésion du Portugal au Conseil de l’Europe, mais également par le souvenir des années que j’ai passées dans cette Maison en tant que premier membre portugais de la Commission européenne des Droits de l’Homme, qui m’ont marqué à jamais.
En effet, quelqu’un qui, comme moi, s’est toujours montré intransigeant en matière de défense des droits de l’homme pouvait-il rêver meilleur défi; pouvait-il rêver meilleure occasion de concrétiser les idéaux qu’il a toujours poursuivis en tant que citoyen et en tant qu’homme politique; et pouvait-il, en tant que juriste luttant pour la dignité humaine, contre l’abus de pouvoir et le déni de justice, rêver meilleure plateforme que cette institution pour se réaliser sur le plan personnel?
Et c’est sans présomption que je dis ma fierté d’avoir été appelé à contribuer à l’application de la Convention européenne des Droits de l’Homme, symbole par excellence de la vie démocratique de l’Europe. J’éprouve, croyez-moi, un immense plaisir à revenir en ces lieux, à arpenter ces couloirs, à rencontrer tant de visages amis et familiers, et à saluer tous ceux avec lesquels j’ai partagé tant d’heures de travail exaltantes et de conversations stimulantes.
Mesdames, Messieurs, le Conseil de l’Europe a toujours su être présent en période de crise et réunir sous son toit le meilleur de l’esprit européen. Il a représenté le premier jalon de la construction européenne dans un continent ravagé qui allait à la dérive.
En faisant siens les principes et les valeurs démocratiques qui constituent notre patrimoine commun, le Conseil de l’Europe a su projeter – à un moment crucial – la vision d’une nouvelle identité européenne, marquée non plus par des guerres fratricides engendrées par les ambitions expansionnistes et les aberrations totalitaires, mais par l’idéal d’une union de toutes les démocraties du continent. Le Conseil de l’Europe est ainsi devenu le symbole et le gardien d’un nouveau principe de légitimité qui excluait, nécessairement, tous les régimes despotiques.
Il me paraît important de mentionner cette exclusion, car c’est elle qui a donné force et confiance à ceux qui, pendant des décennies, ont lutté pour la liberté et la démocratie. En tant que Portugais, je ne puis manquer de souligner ce fait, non plus que tout ce qu’il a signifié pour ceux qui s’opposaient à la dictature dans mon pays. Une fois ce régime totalitaire destitué et la démocratie pluraliste instituée, le Portugal a pu occuper la place qui lui revenait de droit dans cette Assemblée, il y a aujourd’hui vingt ans. Cet acte de reconnaissance de la légitimité de la démocratie portugaise a été décisif pour son développement et a constitué la première étape institutionnelle sur le chemin de notre réconciliation avec l’Europe et de l’intégration du Portugal dans le processus de construction européenne.
Le soutien politique que le Conseil de l’Europe a accordé au Portugal immédiatement après la révolution du 25 avril 1974 a été décisif pour l’instauration de la démocratie portugaise. Je vous rappellerai notamment les différents rapports établis sur la situation politique dans mon pays entre ce moment et l’adhésion du Portugal au Conseil de l’Europe, ainsi que le soutien particulier dont nous avons bénéficié dans différents domaines, qui préfigurait celui dont bénéficient aujourd’hui les démocraties d’Europe centrale et orientale.
Dans le contexte de la consolidation des institutions et des pratiques démocratiques dans mon pays, je tiens également à souligner le rôle fondamental de l’expérience venue du Conseil de l’Europe dans les domaines des droits de l’homme et de la coopération juridique en termes d’établissement du cadre juridique constitutionnel et post-constitutionnel dans mon pays.
La jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des Droits de l’Homme témoignent de l’efficacité du mécanisme mis en place par la Convention, qui n’a cessé d’évoluer pour s’adapter aux nouvelles réalités. Elle a eu une influence considérable sur l’élaboration de la législation portugaise dans laquelle on s’est attaché soit à confirmer les droits définis par les organes strasbourgeois, soit à trouver de nouvelles façons de garantir les droits fixés par la Convention. Elle a constitué une importante source d’inspiration pour l’interprétation des droits constitutionnels et juridiques du peuple portugais.
Le Portugal a toujours été parmi les premiers à appuyer l’actualisation et le renforcement du mécanisme de protection institué par la Convention, et je suis particulièrement heureux de vous annoncer que mon pays a adhéré au Protocole n° 11, qu’il ne tardera pas à signer.
Je suis également heureux de voir que l’étroite coopération qui s’est instituée entre le Portugal et le Conseil de l’Europe, en perpétuelle évolution, se caractérise par la quête incessante de réponses appropriées aux problèmes majeurs de nos sociétés. C’est pourquoi j’espère que le Conseil sera représenté à l’Exposition universelle qui doit se tenir à Lisbonne en 1998 sur le thème de la protection des océans.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, je crois que chacun reconnaît que le Portugal joue un rôle actif au sein du Conseil de l’Europe, ce qui montre bien l’importance que nous attachons à l’Organisation en tant que bastion des principes et valeurs démocratiques qui constituent les fondements de notre identité, et en tant que forum naturel où traiter les grandes questions d’avenir, présidant à la destinée commune de nos démocraties européennes.
Il n’est guère surprenant, dès lors, que nous nous attachions plus particulièrement à mettre en œuvre les mesures du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits des étrangers – à cet égard, je suis particulièrement fier de vous annoncer que le Portugal a engagé une campagne de légalisation de tous les étrangers en situation irrégulière et que beaucoup d’entre eux sont d’ores et déjà habilités à voter lors des élections municipales – à lutter contre la résurgence du racisme, de l’intolérance et de la xénophobie, à protéger les minorités – question cruciale s’il en est – ainsi qu’à renforcer la solidarité à l’échelon mondial qui doit être à la mesure de la vocation universaliste de l’Europe. L’Europe ne peut ignorer l’aggravation des déséquilibres et des inégalités qui engendrent de nouvelles tensions et de nouveaux problèmes.
Dans ce contexte, nous estimons que le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales a un rôle essentiel à jouer, et nous espérons que d’autres pays y adhéreront bientôt.
Je tiens également à souligner le rôle que devrait jouer le respect des droits de l’homme dans le contexte des relations extérieures de nos Etats qui, lors de la définition de la politique étrangère d’une Europe ouverte sur le monde, doivent s’attacher à créer les conditions propices à une action internationale, tout en se montrant intransigeants sur les valeurs de l’humanisme, de la liberté et de la dignité. En tant que «conscience de l’Europe», en tant que, comme je le disais tout à l’heure, bastion des valeurs sur lesquelles repose à jamais notre identité, le Conseil de l’Europe ne saurait ni se taire quand elles sont foulées aux pieds, ni choisir la voie de la facilité et appliquer des critères différents lors de l’évaluation de situations analogues.
Le cas du Timor oriental revêt, dans ce contexte, une importance toute particulière. L’invasion brutale et illégale de ce territoire par l’Indonésie, la violation systématique des droits fondamentaux de la population, l’arrogance – disons-le tout net – et l’impunité dont jouit l’oppresseur devraient pousser la communauté internationale à mener une réflexion approfondie. Pour notre part, nous sommes déterminés à faire tout notre possible afin de permettre à la population du Timor oriental d’exercer librement et démocratiquement son droit à l’autodétermination lors d’élections qui se dérouleraient sous le contrôle international. Voilà la seule façon de progresser dans la recherche d’une solution politique équitable et internationalement reconnue à ce problème, ainsi que de mettre un terme à tant d’années de violations systématiques des droits de l’homme sur ce territoire, violations que la communauté internationale n’a cessé de dénoncer et de condamner.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, le Conseil de l’Europe a contribué de manière particulièrement active, rigoureuse et inspirante au succès du processus de démocratisation du continent grâce auquel les pays européens ont pu redécouvrir les valeurs essentielles de notre civilisation.
L’effondrement des régimes communistes a permis au Conseil de l’Europe d’accueillir les Etats d’Europe centrale et orientale dont le retour vers la démocratie a également marqué le retour vers l’Europe. Restant fidèle à sa vocation originelle, le Conseil a montré qu’il disposait de l’autorité nécessaire pour confirmer et soutenir la transition démocratique des régimes postcommunistes.
Le Conseil a toujours défendu les principes et les valeurs démocratiques; il reste la plus ouverte et la plus importante de toutes les organisations européennes: rien d’étonnant, dès lors, que, comme je le disais tout à l’heure, il soit devenu le forum naturel au sein duquel on débat des questions d’avenir, le lieu privilégié où l’on élabore les principes communs indispensables au succès des prochaines étapes de la construction européenne. Nul n’ignore, bien entendu, que l’Europe connaît actuellement une période de transition particulièrement complexe.
L’on ne peut manquer d’être frappé par l’ampleur et la rapidité des changements qui interviennent sur le continent. La révolution européenne de 1989 et l’unification de l’Allemagne ont mis fin à l’ancienne division de l’Europe qui trouvait sa source dans la rivalité de deux pôles. La fin de la guerre froide a radicalement modifié tant la carte que le rapport des forces du continent et a redonné leur autonomie internationale aux principaux pouvoirs régionaux. Le démantèlement des régimes communistes a marqué la fin d’un siècle de guerres et de révolutions engendrées par la succession des affrontements idéologiques entre totalitarisme et démocratie.
Du jour au lendemain, tout semblait possible – le meilleur comme le pire. La seule certitude, c’est que tout serait différent. Au cours de cette inévitable phase de troubles et d’instabilité, il fallait – et c’était là la principale difficulté – définir des principes directeurs, avancer dans la bonne direction et ne pas gâcher cette occasion unique de réaliser l’unité entre les démocraties européennes.
Cinq ans après, tant les attentes les plus optimistes que les prévisions les plus pessimistes se sont démenties. L’illusion d’un triomphe complet de la démocratie pluraliste et celle de l’unification rapide de l’Europe ont été remises en cause par le retour de la guerre engendrée par le drame de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie, qui a pris au dépourvu toutes les puissances et les institutions européennes. D’autre part, toutefois, les scénarios catastrophes qui prévoyaient la désintégration de l’Europe, la restauration du totalitarisme en Europe centrale ou la résurgence de la menace russe ont été démentis grâce à la résistance de l’Union européenne et de l’OTAN, grâce au dynamisme du Conseil de l’Europe lui-même, grâce au processus démocratique instauré dans les anciens pays communistes et grâce à la poursuite du processus de transition mis en place en Russie.
Il n’en reste pas moins que les grands problèmes de l’Europe n’ont pas encore été résolus et qu’on n’a pas encore réussi à définir leurs conséquences à long terme. Nous sommes à la croisée des chemins, et je pense qu’il est indispensable de concentrer nos efforts sur trois priorités: rechercher une formule institutionnelle qui permettra à la Russie de reprendre place dans l’équilibre européen; intégrer progressivement les nouvelles démocraties européennes dans l’OTAN et l’Union européenne; élaborer un cadre de stabilité, de sécurité et de progrès fondé sur le renforcement des institutions régionales multilatérales et sur des sociétés ouvertes et humaines, accordant une large place à la participation pleine et entière des citoyens.
En Russie, le processus de transition sera long et son cours dépendra essentiellement de l’évolution interne du pays.
Il ne serait pas bon d’entretenir de faux espoirs à propos d’une influence étrangère ou même à propos de la capacité de l’Europe à faire face à la complexité et au degré de difficulté d’un triple changement qui affectera à la fois la forme de l’État, le régime politique et l’économie qui caractérise la transformation singulière du pays le plus étendu de notre continent.
La Russie ne peut pour autant être tenue à l’écart du processus d’équilibrage des puissances régionales et, quelle que soit sa situation, il importe de faire tout notre possible pour garantir la reconnaissance de ses intérêts légitimes au sein d’un cadre européen de stabilité et de sécurité.
Je soulignerai à cet égard combien il importe d’associer la Fédération aux institutions et aux procédures multilatérales.
Membre fondateur de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, admise au Conseil de l’Europe, la Russie est liée à l’OTAN dans le cadre du Conseil de l’Atlantique Nord et du programme «Partenariat pour la paix», ainsi que par sa participation aux forces de la paix en Bosnie. Certes, son intégration à l’OTAN ou à l’Union européenne n’est pas à l’ordre du jour, mais d’autres formes de coopération revêtent également une grande importance, qu’il convient de développer pour éviter d’inévitables fractures et associer la Russie à la définition des équilibres régionaux.
Par ailleurs, l’intégration progressive des pays d’Europe centrale et orientale dans les institutions européennes et occidentales sera décisive à la fois pour consolider leurs régimes démocratiques et pour garantir la stabilité et la sécurité de tout le continent européen.
Dans ce contexte, je ne pense pas qu’il soit judicieux de remettre plus longtemps les calendriers pour l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN.
Je ne voudrais minimiser ni les difficultés existantes, ni la complexité du processus d’élargissement, mais je pense qu’il ne faut pas laisser passer une rare occasion de réaliser l’unité des démocraties européennes dont la consolidation représente la clé pour une paix et une sécurité durables dans la région.
La densité et l’ampleur des processus d’intégration multilatéraux sont devenues la marque de l’Europe à l’échelon international. En fin de compte, les transformations intervenues en Europe n’auront de sens que si elles s’accompagnent d’un renforcement de ces institutions, notamment de l’Union européenne et de l’OTAN. Toute stagnation, toute paralysie risqueraient d’être le prélude à un déclin, peut-être irréversible, de la construction européenne face à la multiplication des phénomènes de fragmentation, de séparatisme et de résurgence de mouvements nationalistes et de réflexes, ataviques, dont on peut déjà mesurer toutes les conséquences à la lumière de la tragédie yougoslave.
Il serait irresponsable de nier les risques inhérents à la prolifération de telles tendances qui pourraient représenter une menace pour la stabilité et la continuité des Etats et de la démocratie.
Voilà pourquoi il importe de concentrer nos efforts visant à soutenir l’élan de l’intégration, notamment des institutions multilatérales incarnant l’idéal européen, qui peut être réalisée à l’échelon moral, politique, économique et culturel.
En tant que plus ancienne organisation européenne de l’après-guerre, en tant que symbole des principes et des valeurs européens, le Conseil a un rôle fondamental à jouer dans l’instauration de la sécurité démocratique sur notre continent. C’est pourquoi il devrait contribuer à l’établissement d’une coopération efficace et étendue avec l’Union européenne et l’OSCE tout en veillant à ne pas dilapider ses forces et à éviter les chevauchements d’activités.
Telle est je crois la voie qui permettra de parvenir à l’unité européenne et de surmonter la période de transition qui a suivi les extraordinaires bouleversements qui sont intervenus ces dernières années.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l’idée européenne ne saurait se limiter à une vision technocratique ou économique. Si le Conseil de l’Europe tient une place si éminente dans l’approfondissement de nos relations, c’est qu’il est l’organisation qui, en raison de la diversité géographique, culturelle et économique de ses membres, reflète le mieux la richesse de l’Europe et est le mieux placé pour définir les grandes orientations pour l’avenir.
La défense et la promotion des droits de l’homme, la sauvegarde de notre patrimoine culturel, l’environnement, la drogue, la bioéthique, la sécurité sociale, les terribles phénomènes d’exclusion qui se sont fait jour au sein même de nos sociétés et le rôle de la science: voilà autant de questions traitées par le Conseil de l’Europe, auxquelles il devra continuer d’accorder une attention toute particulière.
Je tiens à souligner ici combien la science est intimement liée à la démocratie. La démocratie a besoin de la science. Ou bien nous continuons d’approfondir les bases scientifiques de notre connaissance de la nature, de l’être humain et de la société, et nous contribuons à promouvoir l’esprit critique et la participation, ou bien nous assisterons à la destruction inéluctable de la capacité de raisonnement et, partant, de la légitimité de l’ordre sur lequel repose toute société démocratique.
Dans le contexte de ces questions fondamentales, il n’est pas superflu de souligner derechef la contribution que les associations de citoyens peuvent et doivent apporter au débat, à la promotion et à la défense des idéaux et des objectifs du Conseil de l’Europe.
Il faut mobiliser les citoyens. En ces temps d’incertitude, le succès de la démocratie dépendra, dans une large mesure, de la réponse que les institutions seront en mesure de donner aux attentes légitimes de la population. A cet égard, il y a lieu de souligner la responsabilité particulière qui incombe aux parlements, centres de la vie politique des régimes démocratiques.
Le Conseil s’est, dans certains domaines, efforcé de coordonner des efforts convergents avec des organisations non gouvernementales, renforçant ainsi la participation directe et active de l’individu dans la poursuite de ses actions et de ses initiatives. Mais il faut aller plus loin et accroître les liens directs avec la société civile afin de mobiliser le plus grand nombre de ressources possible pour sortir vainqueurs de notre combat commun et pour être en mesure d’affronter les principaux défis qui se posent aujourd’hui à nous.
J’ai mentionné l’exclusion sociale qui constitue le revers d’une réalité qui se caractérise par la course à la compétitivité économique dans un contexte de mondialisation de la production et d’abolition des frontières. Il s’agit là d’un problème européen qui doit être traité comme tel pour éviter que ne s’installe une société dangereusement dualiste qui verrait s’affaiblir sa cohésion interne.
Face au problème du chômage, il convient de réagir avec détermination et efficacité en adoptant des mesures adaptées à l’ampleur du problème à résoudre. Dans ce combat, dont nous ne viendrons à bout qu’en conjuguant nos efforts, il me paraît essentiel de revaloriser les notions d’association, d’intérêt commun et de service public. A mon sens, il convient notamment de rallier les intellectuels et les créateurs européens à la cause de la participation des citoyens, de la lutte contre la dualité, la pauvreté et l’exclusion. Y a-t-il meilleure façon de prouver la vitalité et la compétence à la fois de ce Conseil de l’Europe et de la démocratie que de renforcer la défense de nos valeurs de toujours avec les moyens technologiques de notre époque?
Pourquoi ne pas lancer, à l’échelon européen, une grande campagne de promotion de l’«associationnisme» et diffuser, avec le soutien des médias, la Charte sociale révisée en invitant ceux – fort nombreux – d’entre les intellectuels et les créateurs qui aspirent à s’engager dans un combat commun contre la dualité et l’exclusion qui minent nos sociétés? Pour ma part, je suis déterminé à accorder mon entier soutien à toute initiative que prendrait le Conseil de l’Europe en ce sens.
Mesdames, Messieurs, nulle démocratie n’est parfaite. Il existera toujours un écart entre le droit tel qu’il est fixé dans les textes et son application, ce qui exige, de la part des dirigeants et des citoyens, une attention et une présence de tous les instants ainsi qu’une extrême rigueur.
La politique est toujours axée sur l’homme. Le véritable progrès doit se fonder sur la recherche du bien-être: voilà qui doit sous-tendre l’évolution scientifique et technologique si souvent conditionnée par des intérêts matériels qui les détournent de leur noble dessein.
C’est au nom du respect de la vie humaine, de la défense des droits inaliénables de l’homme qui sont l’essence même et la raison d’être de ce Conseil que je voudrais, ici et maintenant, lancer du fond du cœur un appel solennel en faveur de l’abolition totale de la peine de mort sur ce continent, d’autant que le Portugal a été un pionnier dans ce domaine, puisqu’il a aboli la peine de mort il y a plus d’un siècle.
Dans ce contexte, j’espère que cette Assemblée ainsi que les gouvernements de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe adopteront le plus rapidement possible la Convention de bioéthique.
Face aux défis de l’époque actuelle, le Conseil de l’Europe doit, aujourd’hui plus que jamais, démontrer sa vitalité. Je suis convaincu qu’il ne faillira pas à sa mission.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, en devenant, il y a vingt ans, le dix-neuvième membre du Conseil de l’Europe, le Portugal a donné la preuve de sa détermination à défendre les droits de l’homme et de son engagement en faveur de la construction européenne. Aujourd’hui, trente-neuf Etats sont représentés dans cette enceinte, et démocratie est devenue synonyme d’Europe.
Je tiens, pour ma part, à répéter le geste que mon pays a fait il y a vingt ans, en réitérant sa confiance dans l’avenir de l’Europe.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Merci beaucoup, Monsieur Sampaio, de votre exposé fort intéressant. Plusieurs membres de l’Assemblée ont exprimé le désir de vous poser des questions. Je leur rappelle qu’ils disposent de trente secondes pour ce faire. Les deux premières questions ont trait à la communauté lusophone.
M. IWINSKI (Pologne) (traduction)
J’aimerais poser une question, non en tant que représentant du pays dont la délégation – en raison de l’ordre alphabétique – siégera à côté de celle du Portugal lors de la prochaine conférence internationale, mais parce que je maîtrise moi-même votre langue.
Le Portugal suit avec un grand intérêt les activités de l’Association des pays lusophones dont sont notamment membres le Brésil, l’Angola et le Mozambique. J’aimerais savoir comment vous voyez le rôle de cette organisation et comment, selon vous, elle pourra contribuer à surmonter le fossé Nord-Sud.
M. LOPEZ HENARES (Espagne) (interprétation)
demande quel rapport l’Association des pays lusophones compte entretenir avec le Conseil de l’Europe.
M. Sampaio, Président du Portugal (traduction)
La communauté des pays lusophones a été créée, après plusieurs années d’efforts, pour répondre au besoin de renforcer les processus démocratiques et pour défendre la langue et la culture portugaises communes à ces pays. Nous souhaitons jouer un rôle positif dans les relations avec les organisations régionales, mondiales et multilatérales dont nous sommes convaincus qu’elles nécessitent une approche particulière s’inscrivant dans le cadre des développements actuels. En établissant un dialogue constructif entre le Nord et le Sud et en mettant l’accent sur l’importance du maintien d’une communauté lusophone, nous espérons que notre communauté pourra contribuer à favoriser l’instauration de la paix.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Les quatre questions suivantes concernent l’avenir de l’Union européenne. La parole est à M. Frey.
M. FREY (Suisse)
Comme notre Présidente vient de le rappeler, le Portugal, pays charnière entre les continents, est également – vous l’avez démontré Monsieur le Président – un pays très présent au sein du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
Or, l’Union européenne évolue; elle va vers un élargissement et elle accueillera, à terme, des pays de l’Est, ce qui fait que son centre de gravité tend à se déplacer vers le Nord. Quel est le sentiment d’un représentant d’un pays latin à l’égard de cette évolution particulière? Seriez-vous maintenant favorable à l’examen de la candidature d’un pays comme le Maroc, par exemple, qui a demandé son adhésion?
M. MEDEIROS FERREIRA (Portugal) (interprétation)
demande quel sera l’avenir du Conseil de l’Europe après l’ouverture de l’Union à des pays issus d’anciennes dictatures. Il aimerait savoir si le Président portugais envisage éventuellement l’élimination d’autres organismes européens.
Mme VEIDEMANN (Estonie) (traduction)
Monsieur Sampaio, je vous remercie de votre allocution, en tous points remarquable. La Conférence intergouvemementale se poursuit depuis un certain temps déjà. J’aimerais savoir ce que vous en avez retiré jusqu’à présent et quelles sont, selon vous, les perspectives d’élargissement de l’Union européenne.
M. GROSS (Suisse) (traduction)
Monsieur le Président, au Portugal, un intéressant débat est en cours sur les conséquences de l’introduction du vote majoritaire au sein du Conseil des Ministres de l’Union européenne et l’on craint que les petits pays ne soient en quelque sorte défavorisés par rapport aux grands, que leur voix n’ait plus le même poids qu’aujourd’hui lors des prises de décisions. J’aimerais savoir quelles conséquences vous tirez de ce débat. Vous a-t-il inspiré des idées fédéralistes à développer dans le cadre d’une constitution européenne qui permettrait aux petits pays de préserver leur identité et leur position, et de participer sur un pied d’égalité, conformément aux principes de la démocratie?
M. Sampaio, Président du Portugal
Je répondrai tout d’abord à M. Frey.
Nous avons toujours pensé que l’approfondissement et l’élargissement étaient comme les deux faces d’une même monnaie: en tant que pays du Sud – il existe un consensus sur ce point dans notre pays –, nous devrons participer à l’élargissement de l’Europe, dans un but stratégique, et il s’agit là d’un impératif que le Portugal appuie avec un grand enthousiasme.
Nous espérons donc qu’à la fin du processus complexe, je veux parler de la Conférence intergouvemementale de l’Union européenne, des négociations pourront être ouvertes avec les candidats. Nous souhaitons qu’aucun pays ne soit privilégié et que les candidatures soient examinées de façon équitable.
Cependant il existe d’autres formules, telles que les associations, qui découlent des pactes pris lors des réunions et des décisions des comités diverses. D’autres formes de liaisons avec l’Union méritent également d’être développées. J’ai en mémoire le Sommet de Barcelone qui a proposé de nouvelles politiques méditerranéennes propres à refléter une politique Nord-Sud d’une certaine dimension.
L’élargissement et l’approfondissement, et je précise que je ne parle pas au nom du gouvernement qui a des représentants – mais il existe un consensus total à ce sujet – devront se faire en respectant les principes fondamentaux. Un effort accru est nécessaire pour faire face à l’élargissement. Bien entendu, tous les pays concernés devront être présents pour relever cet important défi.
(L’orateur poursuit en anglais) (Traduction) J’ai déjà répondu à la question de Mme Veidemann. J’espère que l’élargissement répondra aux attentes de tous les pays concernés. Comme je le disais tout à l’heure, je suis confiant dans la capacité de la Conférence intergouvemementale à réaliser la solidarité économique et à concrétiser nos objectifs en matière d’emploi. L’élargissement doit servir à relancer la construction européenne tout en préservant son cadre original. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons de cette nouvelle dimension politique, il faut être conscients de la nécessité de créer un esprit d’unité, de solidarité et de paix. C’est pourquoi mon pays est favorable à l’élargissement; lors de la Conférence intergouvemementale, il nous faudra relever le défi et nous attacher à renforcer la solidarité et le développement régional.
J’aimerais m’excuser auprès de M. Gross de ne pas être en mesure de lui répondre en allemand, quoique j’aie fait un petit effort dans ce sens cet après-midi. Il est prématuré d’évoquer une Europe fédérée. Certes, la question fait l’objet d’un débat un peu partout en Europe, mais continuons de procéder par étapes, comme nous le faisons depuis des décennies. Maastricht nous a appris que, malgré un fond européen commun, chaque pays possède sa propre identité dont il faut tenir compte. A présent, il faut chercher un moyen de concilier ces particularités et définir des objectifs communs aux pays concernés dans le cadre des relations qui sont en train de se développer. Il me semble préférable d’aborder la question par ce biais plutôt que de tenir un débat qui reste prématuré. Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, c’est pourquoi il me paraît plus judicieux de s’en tenir à l’essentiel.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Les deux questions suivantes ont trait au rôle du Conseil de l’Europe dans la construction européenne. La première émane de M. Martins et la seconde de M. Roseta. La parole est à M. Martins.
M. MARTINS (Portugal) (interprétation)
après avoir souligné que M. Sampaio a lui-même évoqué l’Europe des valeurs, lui demande quand le Portugal va ratifier le Protocole n° 11 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui apporte des garanties importantes sur les droits fondamentaux. Il lui demande comment il conçoit l’évolution de l’Europe des droits de l’homme, notamment les relations entre la Cour et les Etats.
M. ROSETA (Portugal) (interprétation)
salue chaleureusement M. Sampaio en ce vingtième anniversaire de l’adhésion du Portugal au Conseil de l’Europe. Il lui demande ce qu’il pense des travaux du Conseil sur les nouveaux droits de l’homme dans le domaine de la bioéthique et de la communication, et l’interroge sur les recommandations de l’Assemblée qui devraient avoir une plus grande lisibilité et être davantage prises en compte par les organes de souveraineté des Etats.
M. Sampaio, Président du Portugal (interprétation)
estime que le Protocole n° 11, quand il sera ratifié, ne manquera pas d’accroître la célérité des décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Il est important d’accorder à tous les citoyens la possibilité d’un recours contre leur propre Etat et lorsque le Portugal, après une longue dictature, a fait l’apprentissage de la démocratie, qui n’est jamais complète, la Cour et la Commission l’ont aidé à trouver le bon chemin. La jurisprudence internationale ainsi créée contribue à la défense des droits fondamentaux, notamment grâce au recours individuel.
M. Roseta a posé une question de fond, dans la mesure où il faut trouver un équilibre entre l’énoncé des droits, au niveau des principes, et la possibilité de les mettre en œuvre. Il est fondamental d’énoncer des droits, mais parfois difficile d’en assurer l’exercice et c’est pourquoi la coopération entre les Etats est vitale. Les normes qui définissent une société pluraliste doivent être étendues à de nombreux Etats et aider ainsi la démocratie naissante, pour répondre aux besoins des citoyens. Que chacun assume ses responsabilités dans la bataille pour l’affirmation des valeurs!
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Je vous remercie. Je pense que, pour simplifier les choses, il convient de grouper les quatre questions suivantes. J’invite M. Dinçer, M. Carvalho, M. Robles Fraga et M. Solé Tura à poser leur question en respectant la limite des trente secondes.
M. DINÇER (Turquie) (traduction)
Monsieur le Président, votre pays se distingue par la richesse de son histoire. Il n’y a pas si longtemps, le Portugal était encore une grande puissance coloniale. Pour des raisons évidentes, le Portugal entretient d’étroites relations avec un grand nombre de pays en développement d’Afrique – Angola et Mozambique, notamment – d’Asie et d’Amérique du Sud, ainsi qu’avec mon propre pays. Le Portugal est à même d’offrir une contribution concrète aux programmes d’aide internationaux. J’aimerais savoir comment, selon vous, on pourrait coordonner les efforts communs des pays européens en vue d’accélérer le processus de démocratisation et de développement des pays que je viens de mentionner.
M. CARVALHO (Portugal) (interprétation)
salue la présence du Président Sampaio mais lui demande ce que devient l’Europe qui s’est construite sur la base de la solidarité et du progrès social, quand elle compte 34 millions de chômeurs et 55 millions de pauvres. M. Sampaio ne pense-t-il pas qu’il faut de toute urgence remettre en cause cette pensée néolibérale hégémonique qui ne cherche qu’à créer l’Europe financière en oubliant l’Europe de la solidarité, en bafouant le droit au travail et en détruisant les fondements mêmes d’une société démocratique?
M. ROBLES FRAGA (Espagne) (interprétation)
constate que l’entrée du Portugal et de l’Espagne dans l’Europe a permis d’améliorer les relations entre ces deux pays qui sont à la fois méditerranéens et atlantiques. Il demande à M. Sampaio comment ces deux nations peuvent concevoir de manière originale la nouvelle organisation européenne et son élargissement.
M. SOLÉ TURA (Espagne) (interprétation)
salue le Président d’un pays voisin du sien et l’interroge sur la manière dont le Portugal met en œuvre la régionalisation. Pour lui, l’Europe ne peut se construire sans renforcer les deux pôles que sont les villes et les régions.
M. Sampaio, Président du Portugal (interprétation)
répond tout d’abord à M. Solé Tura qu’il ne faut pas confondre la régionalisation qui va se mettre en place au Portugal avec les communautés autonomes espagnoles. Les régions portugaises sont administratives et non politiques: il s’agit de se rapprocher du citoyen et de renforcer ainsi la démocratie. Il espère que la révision constitutionnelle en cours permettra de prendre des décisions dans ce domaine.
Avec l’entrée du Portugal et de l’Espagne dans l’Union, de nouvelles zones de solidarité se sont créées entre ces deux pays qui avaient connu la dictature, et les nouvelles générations partagent désormais un même idéal européen.
M. Sampaio comprend les inquiétudes de M. Carvalho mais ne peut partager son diagnostic. Il estime en effet pour sa part que, pour le Portugal, le coût de l’intégration à l’Europe est inférieur au coût économique et social d’une non-intégration.
C’est pourquoi il s’est prononcé, dans son allocution, en faveur de l’intégration du Portugal. Mais c’est aussi pourquoi il a évoqué la nécessité, pour la Conférence intergouvemementale, de traiter de l’emploi, thème que le prochain traité devrait mentionner explicitement. Pour ce qui est du Conseil de l’Europe, il doit continuer de faire siennes les questions de cohésion sociale, de solidarité et de citoyenneté.
A M. Dinçer, M. Sampaio indique voir de grandes possibilités de coopération élargie avec des pays tiers dans tous les programmes en cours de réalisation au sein de l’Union européenne. Il souhaite, par ailleurs, que l’ensemble des ressources disponibles au sein des différentes organisations internationales soit utilisé au mieux, ce qui suppose que ces diverses entités travaillent ensemble. Leur action n’en sera que plus efficace et plus directement au service des citoyens.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Cela met fin aux questions des parlementaires. Monsieur le Président, au nom de l’Assemblée, je vous remercie de votre discours ainsi que des réponses que vous avez données aux questions qui viennent de vous être posées.