Jacques
Santer
Premier ministre du Luxembourg
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 27 janvier 1994
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Madame le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, c’est pour moi un honneur et un plaisir que de prendre la parole dans cet hémicycle. Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir donné l’occasion de me livrer, devant un auditoire aussi distingué, à quelques réflexions sur les perspectives de cette «nouvelle Europe» que nous invoquons presque quotidiennement mais dont les contours restent flous.
Votre Assemblée est une enceinte privilégiée pour stimuler la construction d’une Europe unie et pacifique. Vous avez, en effet, fait œuvre de pionnier dans l’ouverture du Conseil de l’Europe vers l’Est et votre Assemblée, constituée des forces politiques élues de l’Europe, est un lieu de rencontre fertile pour les parlementaires de près de quarante pays.
Cette «nouvelle Europe» était représentée à Vienne, lors du récent sommet du Conseil de l’Europe. Ce dernier a été confirmé dans son rôle d’organisation paneuropéenne, appelée à contribuer à l’instauration d’un vaste espace de sécurité démocratique sur notre continent.
Dans la préparation de ce sommet votre Assemblée, Monsieur le Président, a assumé une place de premier plan. Je suis persuadé que vous veillerez à ce que l’impulsion politique donnée à Vienne soit maintenue.
Il nous revient maintenant de concrétiser les résultats prometteurs obtenus lors du sommet – la réforme des mécanismes de contrôle de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le plan d’action contre l’intolérance, la protection des minorités nationales – afin d’exploiter pleinement les possibilités qui se sont ouvertes à cette occasion.
Monsieur le Président, 1994 sera une année charnière pour l’Europe et pour le monde. L’Europe se trouve engagée dans une phase particulièrement mouvementée de son histoire. Les profonds bouleversements auxquels nous avons assisté au cours des dernières années ont modifié la carte politique du continent.
L’effondrement des régimes totalitaires en Europe de l’Est a permis aux citoyens de ces pays d’accéder à une liberté dont ils avaient été privés pendant plusieurs décennies. Cette révolution pacifique fournit la preuve éclatante que l’homme ne retrouve sa dignité que dans la liberté et que les problèmes de société ne peuvent être résolus que dans le dialogue et dans la solidarité, et non pas par la lutte et l’oppression.
La transformation des systèmes politiques est allée de pair avec celle des systèmes économiques. Elle a entraîné de graves coûts sociaux, sans parler des coûts psychologiques, difficilement quantifiables. Mais le passage de l’économie d’Etat à l’économie de marché, s’il est douloureux, n’en est pas moins indispensable.
Les restructurations inévitables des activités économiques sont, du moins passagèrement, à l’origine du chômage et d’une réduction parfois dramatique du niveau de vie.
Les effets de ces bouleversements et de la dépression économique qui règne tant à l’est qu’à l’ouest de notre continent sont accentués par les conflits tragiques qui secouent l’ex-Yougoslavie et la région du Caucase.
Il serait illusoire de croire que les séismes politiques, économiques et sociaux qui ont eu lieu chez nos voisins de l’Est restent sans effet sur nous. Nous vivons dans une Europe et un monde de plus en plus interdépendants, où les tremblements de terre régionaux envoient leurs ondes de choc un peu partout.
Un des défis majeurs qui se pose est le risque d’une poussée migratoire croissante, venant non seulement de l’Est, mais aussi du Sud. Des milliers de personnes sont prêtes à tout abandonner pour échapper, par l’émigration, à la pression sociale, à la misère, voire aux conflits armés.
Je ne veux pas être inutilement alarmiste mais la combinaison des facteurs que j’ai énumérés, auxquels j’ajouterai la liberté de circulation retrouvée sur F ensemble du continent, ne peut nous laisser indifférents.
Nous avons dû faire face à un nombre important de réfugiés en provenance de l’ex-Yougoslavie. Leur accueil a demandé des efforts particuliers en termes de capacité d’absorption et d’intégration de nos sociétés.
De plus en plus souvent, ce sont des arguments d’ordre culturel qui sont évoqués à l’encontre d’une immigration continue. La présence de cultures différentes dérange souvent. La peur de l’étranger est habilement exploitée à des fins politiques. Les démagogues d’extrême droite accusent les immigrés de tous les maux pour attiser le nationalisme à des fins essentiellement électorales.
Mais que faire? Si je partage l’opinion que seule une politique volontariste tendant à l’ancrage économique des populations à leurs terres d’origine peut prévenir un exode massif, il faut, dans l’immédiat, ne pas tomber dans la tentation de recourir à des moyens de plus en plus répressifs pour empêcher toute migration.
Notons d’ailleurs que, sur le plan économique, les immigrés contribuent par leur travail à la création de notre richesse. Sur le plan démographique, ils suppléent à la déficience des populations de l’Europe occidentale. Sur le plan culturel, la rencontre entre autochtones et immigrés est un facteur d’enrichissement qui devrait être valorisé.
Nous avons rappelé à Vienne que «la diversité des traditions et des cultures constitue depuis des siècles l’une des richesses de l’Europe et que le principe de tolérance est la garantie du maintien en Europe d’une société ouverte et respectueuse de la diversité culturelle, à laquelle nous sommes attachés».
L’évolution vers une société multiculturelle est un phénomène que nous vivons quotidiennement au Luxembourg, un pays qui compte plus de 30 % d’étrangers. Entre le développement d’une société à deux vitesses et l’assimilation forcée, nous avons opté pour l’intégration progressive de la communauté immigrée. Ainsi l’enseignement national a-t-il été adapté de façon à permettre aux enfants étrangers de recevoir, à côté de leur scolarité normale, une éducation dans leur langue nationale.
Que la rencontre entre cultures différentes puisse causer des tensions, nous en sommes tous conscients. Mais nous ne devons pas tolérer des manifestations de racisme. Dès leur plus jeune âge, les enfants doivent être éduqués à l’école de la tolérance.
La tentation nationaliste et xénophobe avec sa mentalité rétrograde est un des plus grands dangers pour l’Europe d’aujourd’hui.
La situation dans les Balkans et en ex-Yougoslavie nous enseigne jusqu’où peuvent aller les excès du discours nationaliste et quelles conséquences en résultent pour les populations.
Il est de notre devoir de ne pas ignorer ces menaces, mais d’avoir le courage de les affronter avec détermination et lucidité. Il n’existe toutefois pas de réponse stéréotypée. Au discours chauvin et nationaliste, au populisme, à la rhétorique protectionniste, il nous faut répondre avec tous les moyens que nous offre le jeu de la démocratie.
La déclaration que nous avons adoptée à Vienne et le plan d’action contre l’intolérance que nous avons lancé sont autant d’éléments dans le combat contre la résurgence de ces fléaux que sont le racisme, l’antisémitisme et le nationalisme exacerbé. Je vous confirme le soutien de mon pays à ces initiatives, particulièrement à la campagne européenne de la jeunesse.
Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, à Vienne nous avons confirmé la vocation paneuropéenne du Conseil de l’Europe et nous avons souligné sa contribution essentielle à la création d’un vaste espace de sécurité démocratique en Europe.
Cette définition du rôle du Conseil de l’Europe m’amène à formuler quelques réflexions sur l’élargissement de notre Organisation, les rapports entre Etats membres, la sécurité démocratique, la place du Conseil de l’Europe et ses rapports avec les autres institutions européennes.
L’élargissement, tout d’abord: tout en confirmant son ouverture vers tous les pays européens qui ont fait le choix de la démocratie, le Conseil de l’Europe doit veiller au respect de ses critères d’adhésion.
L’Assemblée parlementaire, qui joue dans le cadre de la procédure d’adhésion un rôle déterminant, assume à cet égard une responsabilité particulière.
Sans décourager des démocraties encore fragiles en plaçant trop haut la barre à franchir pour accéder à la qualité de membre, il nous faudra maintenir nos exigences en matière de respect des principes et des valeurs qui sont le fondement de tout système démocratique.
C’est un point d’équilibre délicat qu’il nous faudra trouver, en gardant à l’esprit qu’il est dans l’intérêt de la paix et de la sécurité sur notre continent d’arrimer solidement au système démocratique des pays qui pourraient être tentés par une autre voie, sous l’effet notamment d’un nationalisme exacerbé.
Dans ce contexte se pose en particulier la question de l’adhésion de la Russie.
Dans une Europe aux contours géographiques difficiles à définir, la Russie a vocation à faire partie du Conseil de l’Europe. Bientôt, elle sera liée à l’Union européenne par un accord de partenariat et de coopération.
Le paradoxe suivant subsiste néanmoins: si l’écroulement de l’idéologie soviétique a provoqué un extraordinaire épanouissement de la vie démocratique, il a également suscité un regain redoutable de particularisme et de nationalisme.
Nous devons tout mettre en œuvre pour aider les forces démocratiques en Russie. Le programme commun d’activités entre la Fédération de Russie et le Conseil de l’Europe est de nature lui aussi à renforcer le processus de démocratisation. Je propose de donner priorité à sa réalisation.
En même temps, il doit être clair que la Russie ne saurait se rapprocher de notre Conseil que dans la mesure où sa politique étrangère respecte sans ambiguïté les principes du droit international. Le stationnement de ses troupes dans des pays voisins, contre l’accord de ceux-ci, est contraire à ces principes.
Ma deuxième remarque concerne les relations à établir entre nouveaux et anciens membres, entre petits et grands pays. Le Conseil de l’Europe, institution démocratique par excellence, a toujours veillé à préserver l’égalité entre tous ses membres. L’Europe que nous souhaitons construire est une Europe qui puisera ses richesses dans nos diversités et dans le respect des individualités.
Le Président de la République française, M. Mitterrand, lors d’une visite à Luxembourg il y a à peine un an, a émis une opinion que je partage entièrement:
«Le droit de chacun est le même, nous travaillons à dignité égale... dans un statut qui permet à des pays très différents, d’importance variable, de disposer des mêmes droits.»
Dans une Europe qui s’élargit rapidement, il nous faudra peut-être réfléchir aux adaptations institutionnelles qui seront nécessaires pour ne pas condamner à l’inertie les organisations actuelles. Ces modifications ne pourront avoir lieu que dans le respect des principes de base qui font la richesse et l’originalité de l’intégration européenne.
C’est un débat que nous connaissons actuellement dans le cadre de l’Union européenne, avec la perspective de son élargissement. Evitons l’écueil de ne parler que du nombre de sièges à pourvoir. L’enjeu est ailleurs. Il consiste à garantir les moyens et procédures qui permettront à chacun de participer pleinement, demain, à la construction de l’édifice commun.
En dernière analyse, c’est le droit qui constitue le gage le plus sûr de la liberté individuelle comme de l’égalité entre Etats. Nous avons tout intérêt à développer une Europe du droit, dans un espace où c’est la loi qui l’emporte sur la force.
C’est cette Europe-là que le Conseil de l’Europe peut contribuer à réaliser en instaurant la sécurité démocratique et en faisant vivre les valeurs que nous partageons tous: la démocratie pluraliste avec des élections libres, les droits de la personne humaine, le respect des minorités, la tolérance et la solidarité.
Le Conseil de l’Europe a vocation à accueillir sur un pied d’égalité toutes les démocraties européennes – c’est peut-être la seule organisation qui pourra le faire à plus ou moins brève échéance. Tirons-nous vraiment tout le bénéfice possible de ce forum unique qu’elle représente? Je n’en suis pas convaincu.
La force d’attraction de l’Union européenne a parfois pour effet de laisser dans l’ombre les travaux du Conseil de l’Europe, ce dernier étant trop souvent considéré comme une simple étape vers l’adhésion à l’Union. Or cette Organisation a sa propre justification, son rôle spécifique: le Conseil de l’Europe constitue le cadre de la coopération pour la nouvelle Europe. Le plus grand défi auquel il aura à faire face dans les années à venir sera de réussir l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale et la consolidation de la démocratie dans ces pays.
Il s’agit là d’une tâche prioritaire pour l’Organisation, qui devra renforcer ses programmes de coopération avec les nouvelles démocraties, au détriment peut-être d’activités plus traditionnelles qui, tout en étant importantes, ne revêtent pas le même caractère d’urgence.
Comment l’édifice européen s’articulera-t-il à l’avenir et quelles sont les idées maîtresses et les principes directeurs pour construire l’Europe de demain?
Le Conseil de l’Europe constituera-t-il le noyau de cette structure européenne où tous les membres traiteront de sujets communs sur un pied d’égalité, cette «confédération européenne» que le Président Mitterrand a appelée de ses vœux?
Trop d’incertitudes subsistent pour que l’on puisse sûrement prédire l’avenir institutionnel de notre continent. Ce que nous pouvons faire, c’est utiliser au mieux des institutions confirmées, leur donner les moyens humains et financiers d’accomplir leurs tâches et encourager toute initiative qui va dans le sens d’une plus grande cohésion de l’Europe.
Il nous faut donc renforcer la coopération, identifier et valoriser les complémentarités entre les diverses institutions auxquelles nos pays appartiennent: je pense tout particulièrement à l’Union européenne, à la CSCE et au Conseil de l’Europe.
Prenons, d’une part, l’exemple de la protection des minorités nationales: cette question constitue une menace potentielle pour la paix et la stabilité en Europe. Il est dans l’intérêt de tous que les efforts consentis pour trouver des solutions adéquates aboutissent au plus tôt, à savoir: le protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme, le pacte de stabilité et l’action du Haut-Commissaire pour les minorités nationales de la CSCE.
Il faudrait d’autre part éviter le double emploi et favoriser une meilleure utilisation des ressources. Il serait également dans notre intérêt que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne se concertent davantage en vue d’une collaboration accrue entre les programmes PHARE et Tacis de l’Union et les programmes Démosthène, Thémis et Lode du Conseil. Une coordination renforcée devrait également être poursuivie entre le Conseil de l’Europe et le G24 dans le domaine de l’assistance à la mise en place d’institutions démocratiques.
Ce qui importe, c’est que ces efforts se complètent et que les diverses institutions puissent s’appuyer les unes sur les autres et apporter chacune leur contribution propre à la recherche d’une solution commune.
Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, face à ces constats, on peut s’interroger sur les lignes d’action à suivre pour les années à venir. J’ai déjà esquissé quelques- unes des actions que nous pourrions entreprendre au sein du Conseil de l’Europe.
Elles ne pourront réussir que dans la mesure où d’autres actions seront entreprises. J’en soulignerai d’autres qui concernent plus spécifiquement l’Union européenne, tout en gardant d’ailleurs à l’esprit les possibles interactions entre nos deux organisations.
La première tâche consistera, bien sûr, à tout mettre en œuvre pour combattre le chômage qui atteint dans certains de nos pays un niveau dramatique.
Il faut redonner espoir et motivation aux millions d’Européens qui ont perdu leur emploi ou ont peur de le perdre. Le livre blanc de la Commission des Communautés européennes a montré la voie à suivre pour renouer avec la croissance économique, restaurer la compétitivité de nos entreprises et réduire sensiblement le chômage.
Certes, ce livre blanc ne contient pas de solution miracle. Il n’existe de toute manière pas de telle solution. Mais le plan d’action adopté à la lumière de celui-ci vise à mettre fin à la résignation et à mobiliser les énergies afin de créer un maximum d’emplois. Le renversement de tendance que nous espérons provoquer bientôt devrait bénéficier non seulement aux Douze, mais à l’Europe tout entière.
Les mesures à prendre devront intervenir dans le respect du modèle social que nous avons construit et qui est à la base de la cohésion de nos sociétés européennes.
En second lieu, il appartiendra aux Etats membres de l’Union européenne d’assurer la pleine application du Traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre dernier.
L’objectif de la création d’une union économique et monétaire a été confirmé le 29 octobre 1993 par les chefs d’Etat et de gouvernement des Douze.
Avec le début, le 1er janvier 1994, de la deuxième phase de l’Union économique et monétaire, un nouveau cadre pour la concertation en matière monétaire a été créé. La création d’une zone de stabilité monétaire au cœur de l’Europe ne manquera pas de profiter à l’ensemble des pays de notre continent.
L’autre grand objectif du Traité de Maastricht est la politique étrangère et de sécurité commune. Elle devrait mettre l’Union européenne en mesure de répondre aux espoirs nés de la fin de la guerre froide et aux défis suscités par les bouleversements intervenus sur la scène internationale.
Certes, une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ne se décrète pas. Les situations évoluent, de nouveaux éléments surviennent, et la PESC doit sans cesse être remise sur le métier.
Elle ne permettra pas non plus de résoudre par un coup de baguette magique des conflits régionaux dans lesquels s’affrontent des antagonismes séculaires. Mais les efforts accrus que feront les Douze, à travers leurs «actions communes», ne manqueront pas de porter des fruits.
Les pays membres du Conseil de l’Europe auront la possibilité d’influencer le contenu de l’action de l’Union européenne, voire de s’y associer à travers le dialogue politique que prévoient les accords d’association. Dans ce contexte, je pense en outre aux possibilités offertes par l’instauration d’un dialogue politique au sein du Conseil de l’Europe.
Le «partenariat pour la paix» décidé par le sommet de l’OTAN du 10 janvier 1994, de son côté, permettra de prendre en compte le besoin de sécurité des pays d’Europe centrale et orientale sans ériger de nouvelles barrières en Europe.
Tout cela aura également pour résultat de faciliter l’exercice, par le Conseil de l’Europe, de son nouveau rôle dans la construction d’un vaste espace de sécurité démocratique.
La consolidation de la démocratie passe aussi par le développement économique des pays d’Europe centrale et orientale. Plusieurs de ces pays continuent de connaître une récession économique très douloureuse sur le plan social. Pour d’autres, la reprise de la production s’annonce, alimentée par un secteur privé en expansion rapide.
Les pays occidentaux, et en particulier ceux de l’Union européenne, sont conscients de leur responsabilité dans ce contexte. Ils mettent en œuvre des moyens considérables pour aider l’ensemble des pays concernés à mener à bien la reconversion de leurs économies, même si leurs propres difficultés économiques limitent actuellement leurs possibilités d’action.
D’ailleurs, comme le notait récemment le président Delors, l’essentiel des efforts à l’égard des pays de l’Europe centrale et orientale est assuré par l’Union européenne, qui fournit 60 % de l’ensemble de l’assistance qui leur est accordée et importe 78% de tous les produits achetés à ces pays par les membres de l’OCDE.
Nos efforts de coopération économique ne doivent pas être relâchés. Mais nous pouvons faire mieux. A titre d’exemple, je noterai ainsi que l’accès à nos marchés reste vital pour la réussite de cette entreprise immense.
Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, nous vivons une époque historique, pleine de défis et de promesses.
L’Europe n’a pas fait du surplace pendant ces dernières années. Le joug communiste a disparu. L’histoire n’en est pas pour autant terminée. Un nouvel ordre européen est en train d’émerger.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Luxembourg a délibérément choisi la voie de l’intégration européenne. Ce choix résultait d’une nécessité économique, celle pour un pays producteur d’acier de se joindre à ses voisins et principaux partenaires commerciaux pour créer la communauté du charbon et de l’acier. Mais c’était un choix politique surtout, puisque l’aventure audacieuse de six pays offrait la perspective de mettre fin à la rivalité franco-allemande, qui, à plusieurs reprises déjà, avait embrasé le continent.
Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, le mouvement vers l’intégration n’a pas détruit l’identité nationale. Dans le cas du Luxembourg, où la notion d’Etat-nation était encore jeune, il l’a probablement protégée, lui permettant de se développer: la Communauté européenne a en effet donné au Luxembourg un poids politique sans commune mesure avec sa dimension.
Les institutions, j’en suis convaincu, sont le meilleur garant de la souveraineté de tous les Etats.
Réussir l’Europe, c’est tenir pleinement compte de la richesse des différentes identités qui la composent, dans l’esprit qui anime le passage suivant de la Déclaration de Vienne:
«La réalisation d’une société démocratique et pluraliste, respectueuse de l’égale dignité de tous les êtres humains, demeure l’un des objectifs principaux de la construction européenne.»
Le Conseil de l’Europe a une responsabilité toute particulière dans ce contexte.
Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements)
LE PRÉSIDENT
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie.
M. Santer a indiqué qu’il était prêt à répondre aux questions des membres de l’Assemblée. Nous l’en remercions. Un certain nombre de nos collègues ont exprimé le souhait de poser des questions.
Je vous rappelle que celles-ci, comme les questions supplémentaires, doivent relever de la compétence du Conseil de l’Europe, avoir un caractère interrogatif et être exposées brièvement. Toutefois, nous disposons de suffisamment de temps.
La parole est à Lord Kirkhill.
Lord KIRKHILL (Royaume-Uni) (traduction)
Lundi dernier, après un débat sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’Assemblée parlementaire a adopté une résolution invitant les gouvernements des Etats membres à «inclure le principe d’égalité entre hommes et femmes dans leurs Constitutions respectives, à élaborer des législations antidiscriminatoires et à établir des mécanismes de promotion et de contrôle du respect de ce principe d’égalité entre hommes et femmes».
Quelles sont vos intentions pour donner suite à cette résolution?
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
J’ai examiné très favorablement et attentivement la résolution adoptée par votre Assemblée lundi dernier, d’autant plus d’ailleurs qu’elle a été présentée par un rapporteur de la délégation luxembourgeoise. Du reste, si je ne me trompe, je devrais dire «une rapporteuse», puisqu’il s’agissait de Mme Err, ici présente.
Il s’agit de savoir quelles mesures il conviendrait de prendre au plan national pour sa mise en application.
En ce qui concerne la Constitution, je ferai preuve de davantage de réserve, dans la mesure où une révision constitutionnelle nous engagerait dans des voies institutionnelles autrement plus graves. Même à un Premier ministre, il n’appartient pas de prendre position sur ce point. Nous avons trop de déférence à l’égard de nos Constitutions pour, dans une brève intervention, exprimer notre sentiment individuel. D’autre part, j’ai constaté que, d’ores et déjà, des mesures avaient été prises aux niveaux européen et national pour réaliser un certain nombre des objectifs contenus dans la résolution adoptée.
Je constate avec satisfaction que la délégation luxembourgeoise, au moins, a déjà atteint un de ces objectifs dans la mesure où une représentation féminine adéquate est assurée dans cette Assemblée. Si je ne me trompe, le nombre des parlementaires masculins et celui des parlementaires féminins est le même. Nous avons donc fait ce que nous devions, d’autant plus que je constate que notre représentant permanent est également de sexe féminin. (Applaudissements)
Nous avons aussi parcouru un long chemin en matière d’égalité des droits entre les hommes et les femmes grâce à plusieurs programmes au niveau de la Communauté européenne. Le programme d’action sociale de 1974, par exemple, a prévu un certain nombre d’initiatives sociales allant dans ce sens. Dans la Charte sociale adoptée ici, sous la présidence française, en 1989, lors du Conseil des Communautés européennes, nous avions, à onze au moins, inséré un certain nombre de mesures destinées à assurer l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.
Comme vous le voyez, un processus lent, mais suivi, tend à réaliser les objectifs que vous proposez. Mais il ne faut pas se leurrer: c’est une question de mentalité. Il faudrait agir sur les mentalités au sein de nos sociétés respectives, de nos sociétés nationales, pour arriver à réaliser pleinement l’objectif que vous avez proclamé.
LE PRÉSIDENT
Lord Kirkhill, souhaitez-vous poser une question supplémentaire?...
Je constate que vous êtes satisfait, mais on aurait pu croire à une question «arrangée» car, vraiment, le Premier ministre avait tous les arguments pour vous répondre à merveille. (Sourires) La parole est à M. Maruflu.
M. MARUFLU (Turquie) (traduction)
Tout d’abord, je souhaiterais également remercier le Premier ministre de son excellent exposé. Un plan d’action a été adopté lors du Sommet de Vienne pour lutter contre le racisme et la xénophobie. Quel est votre point de vue sur la résurgence du racisme et de la xénophobie en Europe et quelle contribution le Luxembourg entend-il apporter à ce plan d’action?
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
Effectivement, le racisme a été l’un des points principaux de notre Sommet de Vienne et à bon droit, car nous constatons dans chacun de nos pays une certaine résurgence du phénomène du racisme. Les vieux démons vont réapparaître! Mais nous avons eu une expérience historique que nous ne voulons pas renouveler! Il s’agit donc d’être vigilant. C’est pourquoi je me réjouis de constater que, dans les travaux de suivi du Conseil de l’Europe, un programme d’action méticuleux est déjà engagé concernant les mesures à prendre contre le racisme.
C’est un problème très grave. Je crois qu’il faut associer également à sa solution les jeunes, par le biais de l’enseignement et de la formation qu’ils reçoivent. Dans notre pays, nous avons mis en place plusieurs organisations destinées à informer les jeunes non seulement sur ce qui s’est passé, mais également sur les valeurs démocratiques de nos sociétés, telles que nous les concevons, pour éviter que les jeunes ne se laissent entraîner par les démagogues et les populistes qui ont des arguments trop facile à faire valoir.
Nous avons également créé dans notre pays une ligue internationale contre le racisme – j’ai d’ailleurs assisté avant-hier à son assemblée générale – au sein de laquelle toutes les forces vives de la nation sont représentées à travers tous les partis politiques traditionnels, tous les syndicats, toutes les Eglises et confessions; il s’agit de réussir à mobiliser précisément toute la population contre un fléau susceptible de ravager à terme nos sociétés si nous ne prenons pas les mesures pour le prévenir.
Je soutiendrai donc toutes les initiatives du Conseil de l’Europe dans la mesure où elles tendront à donner un suivi à ce que nous avons réalisé au Sommet de Vienne, dans cette vaste campagne qui s’étendra de 1994 à 1996, me semble-t-il, pour sensibiliser les populations à ces problèmes qui nous tiennent à cœur.
M. GOERENS (Luxembourg)
Je dois féliciter le Premier ministre luxembourgeois d’avoir tenu des propos très limpides s’agissant du développement en Europe, notamment en Europe centrale et orientale. Ma question porte sur le développement économique et social dans cette région.
Point n’est besoin de revenir sur l’importance du sujet, l’enjeu est vital. Il y va tant de l’intérêt de l’Europe centrale et orientale que de notre propre intérêt.
La question est de savoir si la réponse de la communauté internationale, et notamment de la Communauté européenne et du Conseil de l’Europe, se situe bien à la hauteur du défi. Car il est permis d’en douter! En effet, la réaction première de l’Europe à tout nouveau défi en la matière semble être la création d’un nouvel organisme ou d’une nouvelle institution. J’en citerai pour exemple la création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. On finira par ne plus y voir clair!
LE PRÉSIDENT
Vous me mettez dans une position difficile car vous avez dépassé votre temps de parole. Hier, j’ai dû interrompre des collègues qui en ont été très fâchés. Maintenant, il me faut demander au Premier ministre de vous répondre.
M. GOERENS (Luxembourg)
Sans vouloir vous rendre la vie difficile, j’aimerais simplement conclure.
LE PRÉSIDENT
Non, ce n’est pas possible. La parole est à M. le Premier ministre du Luxembourg.
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
Si j’ai bien compris, M. Goerens souhaite savoir si l’Europe ne multiplie pas trop le nombre des institutions pour répondre à des besoins spécifiques. Il a fait allusion à la création de la BERD.
Si l’on considère l’histoire de la création des institutions financières dans l’Europe et dans le monde, il faut constater qu’elles ont toujours correspondu à un objectif déterminé. Prenons, par exemple, les institutions de Bretton Woods, après la Seconde Guerre mondiale, avec la création du FMI et de la Banque mondiale: elles correspondaient aux besoins de l’époque.
Pour avoir été assez longtemps gouverneur du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, lorsque j’étais ministre des Finances, je puis vous dire que ces organismes ont quand même répondu à ce que nous en attendions, surtout par le financement des balances de paiement, mais je n’entrerai pas dans le détail.
Par ailleurs, il existe un certain nombre de problèmes. Monsieur le Président, vous avez vous- même créé le Fonds de développement social, le «Fonds social», comme on l’appelle ici, au Conseil de l’Europe, qui a suscité des commentaires que je n’ignore pas. A l’époque, il était principalement destiné à financer des structures d’accueil pour les réfugiés. Il répondait donc à un besoin précis. Après la révolution dans les pays de l’Europe centrale et orientale a été créée la BERD. A l’époque, effectivement, on aurait pu envisager d’autres instruments. Personnellement, j’avais pensé à élargir les fonctions de la Banque européenne d’investissement. D’autres collègues du Conseil des Communautés européennes partageaient ce point de vue mais on a préféré associer ces pays de l’Est au capital et aux structures de cette nouvelle institution financière. Pour la première fois, la Communauté européenne, la Banque européenne d’investissements et les Etats-Unis d’Amérique sont réunis au sein d’un même conseil d’administration. C’est donc un forum beaucoup plus vaste qu’initialement prévu.
La BERD remplit-elle toutes les fonctions qui lui ont été assignées? On le verra à la mi-avril, lors de l’assemblée générale, à Saint-Pétersbourg, au cours de laquelle sera évoquée la stratégie à adopter pour l’avenir de cette institution.
Il importe de souligner que chaque institution devrait poursuivre un objectif déterminé et principal afin d’éviter les doubles emplois entre les différentes institutions financières.
S’agissant du Fonds de développement social, il faudrait, compte tenu des développements de ces derniers mois, déterminer quel objectif doit lui être assigné pour en revenir à sa mission essentielle, à savoir une fonction sociale pour le financement de structures d’accueil pour réfugiés.
Je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question car je n’ai pas pu entendre sa formulation complète.
M. GOERENS (Luxembourg)
Je saisis l’occasion pour demander à M. Santer s’il voit une complémentarité entre les diverses organisations qu’il vient de décrire. Dans l’affirmative, comment envisage-t-il l’organisation d’une coopération entre ces diverses institutions? Quelles limites entendrait-il fixer à une telle coopération?
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
La coopération et sa limitation dépendront essentiellement des objectifs assignés à chaque institution financière. Naturellement, le rôle essentiel d’une institution financière est de financer des projets de nature bancaire, ce qui suppose qu’elle ait également, sur le marché des capitaux, un «rating» confortable. D’ailleurs, toutes les institutions internationales sont classées 3A et ont accès au marché des capitaux, mais elles ne doivent pas, et c’est un point essentiel, concurrencer les Etats membres quand ils lèvent des capitaux sur le marché financier. Elles doivent donc sélectionner des projets très précis, entrant dans le cadre de leurs objectifs et de leur mission, et qui soient de nature à être financés selon les règles de l’art, avec des garanties, tout en conservant leur «rating» primordial.
M. SOLE TURA (Espagne)
Monsieur le Premier ministre, ma question n’est pas technique mais politique. Compte tenu de la position stratégique du Luxembourg, quelle est votre point de vue sur la réalité et les perspectives d’un espace audiovisuel européen comme élément d’intégration économique et culturel?
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
Je sais gré à l’honorable parlementaire d’avoir posé cette question qui m’intéresse au plus haut point. Le Luxembourg occupe une place de choix dans l’audiovisuel, par le biais de plusieurs sociétés qui rayonnent dans toute l’Europe. Nous nous sommes toujours intéressés à ce problème. Nous avons essayé de trouver un espace européen grâce à la directive relative à la télévision sans frontière. De plus, je suis un des partisans de ce qu’on appelle «l’exception culturelle» ou la «spécificité culturelle» en matière audiovisuelle.
Ce qui m’importe, ce n’est pas l’exception ou la spécificité culturelle en tant que telle puisque, comme je l’ai dit, tous nos pays ont leur propre civilisation et leur propre culture, grâce auxquelles nous pouvons nous enrichir mutuellement. Néanmoins, nous devons voir de quelle façon nous pouvons favoriser, chez nous, l’éclosion d’une vraie production audiovisuelle. Nous ne devons pas nous contenter d’être attentistes ou protectionnistes, mais nous devons, par notre propre volonté, favoriser une production audiovisuelle avec nos moyens.
Il y a encore tellement de choses à faire! Nous avons une culture si riche, une civilisation si importante, une histoire si diversifiée que nous pouvons réaliser une production audiovisuelle à notre taille et qui rayonne non seulement sur l’Europe mais également sur le monde. Il ne s’agit pas seulement de créer un espace culturel européen, mais de faire en sorte que cet espace rayonne au-delà de cette Europe.
Nous avons encore beaucoup à apporter à d’autres continents. Nous ne devons pas nous laisser intimider par la poussée d’autres productions audiovisuelles. Nous avons les moyens de réaliser avec nos forces et avec notre énergie! Alors, faisons-le!
Mme JAANI (Estonie) (traduction)
Un article publié dans la presse par l’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger, à propos de la visite du président Clinton en Europe et de ses conceptions en matière de sécurité exposées dans le programme «Partenariat pour la paix», motive ma question. M. Kissinger a déclaré: «En mettant en avant le partenariat pour la paix, l’administration américaine n’a pas simplement retardé la participation de l’Europe orientale mais elle en a tout bonnement rejeté le principe, en dépit des nombreuses déclarations trompeuses affirmant le contraire.»
La conséquence pratique du programme «Partenariat pour la paix» sera de créer un no man’s land non protégé entre la Russie et l’Allemagne, ce qui, historiquement, a été la cause de tous les conflits récents en Europe. Quelle est votre opinion sur la question et sur le problème des garanties en matière de sécurité pour les pays d’Europe orientale, et en particulier pour les pays Baltes que je représente?
M. Santer, Premier ministre du Luxembourg
La question que vient de poser l’honorable député a trait à un point central des discussions que nous avons eues au dernier sommet de l’OTAN, les 10 et 11 janvier dernier, à Bruxelles.
Je crois pouvoir dire que la formule présentée par l’administration américaine et qui a été adoptée, à savoir «le partenariat pour la paix», est juste, en ce moment-ci, dans la mesure où elle donne la possibilité aux pays de l’Est et d’Europe centrale d’être associés à l’OTAN, en leur offrant la perspective d’une adhésion ultérieure en tant que membres à part entière. Cela me paraît important.
D’autre part, et nous sommes devant un dilemme, il ne fallait pas trouver une formule allant au-delà et risquant de créer de nouvelles lignes de partage entre l’Europe de l’Est, l’Europe continentale, l’Europe occidentale et la Russie, sinon nous aurions suscité de nouvelles réactions, que nous voulions éviter, de la part de certains milieux russes. La formule choisie est donc adéquate pour donner également une certaine garantie de sécurité aux pays de l’Europe centrale et orientale.
Chacun peut toujours émettre un avis, mais ceux qui n’ont pas de responsabilité politique ont parfois plus de facilité pour commenter ou critiquer, étant donné qu’ils n’ont pas à supporter les conséquences politiques de leurs propos.
La solution acceptée par l’ensemble des membres de l’OTAN me semble aller dans la bonne direction en ouvrant, à terme, une perspective réelle et déterminée pour permettre à ces pays d’entrer dans l’OTAN, si les conditions le permettent.
LE PRÉSIDENT
Nous sommes ainsi parvenus à la fin des questions.
Monsieur Santer, je tiens à vous remercier très vivement au nom de nos collègues.
Si les renseignements fournis par mes collaborateurs sont exacts, vous êtes au gouvernement depuis vingt ans, et je crois que c’est un record pour le Guinness Book of Records. Les parlementaires que nous sommes, soumis à la volonté populaire tous les trois ou quatre ans, ne peuvent qu’être émerveillés, voire un peu jaloux devant le doyen que vous êtes.
Nous recevons vos collègues de tous les pays membres, mais avec vous nous avons le sentiment de nous trouver devant un ami, un ami très sincère et très aimé de nous tous.
Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.