Serzh

Sargsyan

Président de l’Arménie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 22 juin 2011

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, je souhaite commencer par vous faire part de ma gratitude pour le rôle essentiel qu’a joué le Conseil de l'Europe dans le processus visant à enraciner la démocratie en Arménie. C’est un véritable honneur que d’avoir aujourd’hui la possibilité de m’adresser à vous.

Il y a vingt ans, au mois de septembre 1991, l’Arménie a proclamé son indépendance, réalisant ainsi le rêve de nombreuses générations d’Arméniens d’appartenir à un Etat souverain. En 2001, l’Arménie est devenue membre du Conseil de l'Europe, réaffirmant ainsi son héritage historique et culturel commun avec les pays européens. Aujourd’hui, je me souviens avec fierté de ces grandes étapes que nous avons franchies et des réalisations de notre peuple au cours des deux dernières décennies.

Parce que l’Arménie a fait l’expérience de plusieurs régimes d’oppression, notre peuple connaît bien le prix de la liberté. Notre histoire est faite de luttes. Pendant des siècles, nous avons rêvé de liberté et de paix. Nous sommes aujourd’hui sur le point de voir enfin réalisé notre rêve. Le peuple arménien a fait un choix historique et irréversible, et nous nous rapprochons de l’Europe de manière naturelle. Certes, nous avons connu des obstacles, tels que le blocus illégal imposé par nos deux voisins, mais malgré les difficultés, notre nation poursuit son chemin. Elle sait où elle va. Elle a choisi de revenir au sein de la civilisation européenne, à laquelle nous avons appartenu pendant des siècles.

« Je suis convaincu de l’émergence d’un avenir commun, basé sur la paix et la stabilité, sans divisions ni clivages »

Le Conseil de l'Europe incarne un système commun de valeurs. Sa mission s’étend à l’ensemble du continent. L’Europe ne se définit pas seulement en termes géographiques, mais aussi comme une plateforme culturelle, autour de valeurs et d’identités communes.

Mon peuple a payé trop cher, au cours de son histoire, le droit de servir ses valeurs et ses idées, des valeurs qui, à une certaine époque, n’étaient pas celles de la région. Nous avons donc été réduits au silence de la façon la plus brutale qui soit. Le Conseil de l’Europe représente pour nous la promesse que de tels événements ne pourront jamais se répéter sur le continent européen.

Ces deux dernières décennies, le Conseil de l’Europe a été un partenaire essentiel pour l’Arménie, qui était dans un processus de renforcement de sa démocratie. On dit d’ailleurs souvent dans mon pays que notre système politique se compose du gouvernement, de l’opposition et du Conseil de l’Europe. Cette plaisanterie montre bien l’implication du Conseil dans notre histoire.

En 2008, l’Arménie a connu les graves problèmes que l’on sait. Les mesures prises par le gouvernement en vue de surmonter les événements tragiques de mars 2008 ont fait l’objet de discussions approfondies, y compris avec nos partenaires du Conseil de l’Europe. Des divergences sont parfois apparues, mais au total nous avons grandement bénéficié de ce dialogue constructif. Sans lui, nous n’aurions pas pu poursuivre. Permettez-moi à ce propos de remercier M. Prescott, M. Colombier et M. Fischer, rapporteurs pour l’Arménie, ainsi que le Commissaire aux droits de l’homme, M. Hammarberg, pour leur engagement constant à nos côtés.

Le Gouvernement arménien croit en la voie démocratique et n’a aucun doute sur le fait qu’elle est la seule possible. Même aux pires moments de la crise politique, nous n’avons jamais douté de notre avenir démocratique. Cette conviction sous-tend les mesures qui ont été prises ces trois dernières années, et plus encore ces derniers mois. Nous voulons promouvoir un environnement politique sain. Cette détermination guide toutes nos réformes structurelles.

Nous apprenons à écouter et à respecter le point de vue des autres. Nous comprenons peu à peu que le gouvernement et l’opposition ne sont pas des ennemis. Nous comprenons que l’on n’est pas le plus fort parce que l’on réussit à éliminer l’autre. Nous apprenons la tolérance et le dialogue. Nous apprenons à ne pas répondre par des insultes à des insultes. Nous apprenons à consulter davantage de parties prenantes sur des questions-clés. Nous apprenons à respecter les réalisations des dirigeants précédents, à écouter les critiques constructives, à réexaminer nos décisions … En tant que représentants de pays dotés de traditions démocratiques profondément enracinées dans le passé, vous pouvez trouver que toutes ces attitudes coulent de source, mais sachez qu’en réalité tout cela fait l’objet d’un apprentissage qui exige des efforts et de la persévérance.

Nous sommes très fiers de ce que nous avons déjà réalisé. En deux décennies, l’Arménie s’est transformée. Depuis la proclamation de l’indépendance, et depuis les amendements constitutionnels de 2005, beaucoup a été fait pour renforcer la démocratie, l’Etat de droit et la protection des droits humains. L’Arménie s’est alignée, de façon irréversible, sur les valeurs du monde libre et démocratique. Nous avons bénéficié pour ce faire de différentes aides institutionnelles, des conseils de la Commission de Venise, de l’OSCE et de la Commission européenne. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont également un très grand impact sur nous.

La crise politique de 2008 a révélé les faiblesses de notre cadre juridique et nous a en fait amenés à trouver un nouvel élan. C’est ainsi qu’une réforme fondamentale de la police est en cours et que nous élaborons un plan 2012-2014 pour la justice, le but étant de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Nous avons modifié les articles du code pénal relatifs aux désordres de masse et à la prise du pouvoir par la force. Nous avons revu la législation sur la liberté de se réunir en partant d’une philosophie totalement différente de celle du passé: nous partons du principe qu’il faut faciliter l’exercice de ce droit plutôt que le restreindre.

Nous procédons à un examen complet de la législation en vue de diminuer la bureaucratie et d’éliminer les risques de corruption. Un Conseil de lutte contre la corruption ainsi qu’une commission de suivi anti-corruption ont été créés et fonctionnent de manière efficace. Une loi sur le service public exige désormais que 600 fonctionnaires de haut niveau rendent publics leur patrimoine et leurs revenus. La loi impose aussi de révéler tout risque de conflit d’intérêts. En ce moment, nous essayons d’améliorer la législation sur la radio et la télévision. Nous avons dépénalisé la diffamation, ce qui a représenté une étape importante pour la liberté d’expression.

Notre équipe a travaillé avec un groupe de conseillers de l’Union européenne à l’élaboration d’une stratégie de réformes pour les trois années à venir, dans un esprit d’harmonisation et de mise en cohérence des différents changements en cours. Nous sommes déterminés à poursuivre les réformes, y compris celles qui seraient douloureuses, car nous sommes bien conscients que l’Arménie ne pourra pas se développer sans cela.

Le peuple arménien est un acteur majeur des progrès de notre pays et je suis très fier de la maturité dont il fait preuve. Il veille, dans sa diversité, à la consolidation de la démocratie, à la promotion des droits humains et au renforcement de l’Etat de droit. La prochaine étape dans cette voie aura lieu au printemps prochain, lors des élections législatives. Le Gouvernement arménien veut des élections libres et équitables. Il ne suffit pas de le dire, il faut encore qu’elles soient bien perçues comme telles. L’adoption récente d’un nouveau code électoral devrait y contribuer.

Ce nouveau code a été élaboré à partir de tous les rapports pertinents issus des missions d’observation. Il permettra non seulement d’organiser des élections libres et équitables, mais de s’assurer que la société tout entière en accepte les résultats.

Le gouvernement arménien fera tout pour que les élections respectent la Constitution et la législation, ainsi que nos engagements internationaux. Nous sommes reconnaissants au Conseil de l’Europe de son appui continu et de ses conseils. Dans ce domaine essentiel, nous coopérerons avec toutes les institutions de la société civile dans notre pays. Mais nous sommes également tout disposés à recevoir l’appui et les conseils de nos partenaires internationaux, à faire usage de tous les mécanismes existants et à tout mettre en œuvre pour favoriser un suivi national et international des élections. Plus important encore, celles-ci devraient se dérouler dans un climat de confiance, ce qui nous permettra de développer encore davantage ce que nous avons déjà réussi à faire.

Il ne s’agit pas d’emprunter des raccourcis pour construire notre démocratie. Nous n’attendons pas les compliments de la communauté internationale; nous ne cherchons pas à prouver à d’autres que la voie que nous avons choisie est infaillible. Pour nous, un échec ne saurait résulter de limites objectives, telles que le conflit non résolu ou l’incapacité de nos voisins à normaliser leurs relations avec nous. Je reste confiant: ce que nous allons faire aujourd’hui durera. Toutefois, nous attendons du Conseil et de l’Assemblée qu’ils fassent preuve de crédibilité politique en évaluant les Etats membres selon des règles équitables et cohérentes.

Mesdames et Messieurs, le règlement pacifique et juste du conflit du Haut-Karabakh demeure la question la plus importante pour nous. Des négociations sont en cours dans le cadre du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous sommes reconnaissants aux Etats coprésidents des efforts qu’ils déploient. Leurs présidents se sont engagés personnellement dans le processus de règlement, ce qui est très important et nous donne grand espoir.

Je pense que vous serez d’accord pour dire que c’est en promouvant la tolérance que le Conseil de l’Europe contribuerait le mieux à ce processus. Car nous notons avec inquiétude que le terreau du racisme et de la xénophobie perdure sur le territoire du Conseil de l’Europe. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a récemment confirmé dans son rapport sur l’Azerbaïdjan que l’arménophobie et le racisme y sont très développés. Nous le regrettons, car il est difficile d’imaginer une telle situation dans un Etat membre du Conseil de l’Europe. Nous savons que l’intolérance est un poison pour la société. Cela nous préoccupe aussi parce que l’Azerbaïdjan est notre voisin, parce que le conflit du Haut-Karabakh n’est toujours pas résolu et parce qu’il est à nos yeux essentiel de progresser vers sa résolution.

Dans deux jours aura lieu une réunion trilatérale entre les présidents de la Russie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. En préparant cette réunion, les Etats coprésidents ont déployé tous les efforts nécessaires pour définir les principes fondamentaux auxquels devra obéir le règlement de ce conflit: celui-ci devra passer par des concessions mutuelles. Mais il nous serait extrêmement difficile de persuader la société, en Arménie ou dans le Haut-Karabakh, de faire des concessions à un pays où règne une telle intolérance, un tel racisme vis-à-vis des Arméniens.

Dans ce contexte, parce que nous considérons que la stabilité et le développement de la région sont essentiels pour assurer l’avenir des générations futures qui grandiront en Arménie, dans le Haut-Karabakh et en Azerbaïdjan, et afin de manifester notre bonne volonté et notre approche constructive du problème, nous nous sommes rendus à Kazan. Mais nous avons compris que nous ne pourrons parvenir à un accord efficace que lorsque l’arménophobie et le racisme auront disparu en Azerbaïdjan et qu’un climat de confiance prévaudra. Bien entendu, on pourrait se poser la question du droit du peuple du Haut-Karabakh à vivre librement et en sécurité sur son territoire et à être maître de sa destinée.

En la matière, que peut-on attendre du Conseil de l’Europe?

D’abord, il ne doit pas entraver le processus. Or des débats mal informés pourraient, à court terme, empêcher les pays concernés de parvenir aux solutions durables sur lesquelles les pourparlers de paix menés dans le cadre du Groupe de Minsk de l’OSCE pourraient déboucher. Je suis persuadé que la grande majorité de nos collègues de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui ont fait ou qui feront part de leur désir de discuter de toute question relative au Haut-Karabakh sont de bonne volonté. Cela étant, il est possible que certains continuent de se fonder sur des informations inexactes, ce qui peut véritablement saper le processus en cours. Je vous demande donc instamment à tous de faire preuve de retenue.

Pouvez-vous nous aider? Certainement. Car, de quelque manière que l’on se représente le règlement final du conflit, une chose est sûre: le Haut-Karabakh a été et demeure une partie de l’Europe, même si cela n’est pas reconnu. Mesure-t-on aujourd’hui que la société du Haut-Karabakh fait partie de la société européenne, qu’elle est partie intégrante de la famille européenne, quel que soit son statut de jure? Le moment n’est-il donc pas venu, pour le Conseil de l’Europe, de parler directement au Haut-Karabakh, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion des droits de l’homme, la formation d’une société civile, la démocratie et la tolérance? Ne serait-il pas plus logique que le Conseil de l’Europe se tourne vers le Haut-Karabakh avant de discuter de questions qui le concernent, afin que le peuple du Haut-Karabakh prenne part à ces discussions?

Mes chers collègues, la chute du mur de Berlin a préfiguré la fin des lignes de clivage en Europe. Hélas, vingt ans plus tard, notre région attend encore que les lignes de clivage résiduelles s’effacent. Il y a deux ans, nous avons ouvert un processus de normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie, qui aurait dû permettre, grâce à l’établissement de relations diplomatiques et à l’ouverture d’une frontière entre les deux Etats, de surmonter progressivement une division vieille de plus d’un siècle.

Tout au long de ce processus, nous avons été très satisfaits de l’appui permanent apporté non seulement par les Etats médiateurs, mais aussi par la communauté internationale dans son ensemble. J’inclus dans ma reconnaissance de hauts représentants du Conseil de l’Europe.

Malheureusement, malgré cet appui, le processus de normalisation entre l’Arménie et la Turquie a abouti à un blocage. La raison est claire. La Turquie est revenue à ses pratiques antérieures d’établissement de conditions pré requises. Elle n’a pas honoré ses engagements ce qui a rendu impossible la ratification des protocoles signés.

Ayant été confronté à ce mur de déception et de méfiance, je ne saurai prédire quand nous pourrons rouvrir une fenêtre nous permettant de saisir une nouvelle chance. Je regrette d’avoir à le dire, mais c’est la réalité.

Il convient de souligner que c’est l’Arménie qui a lancé ce processus avec de bonnes intentions, fidèle à cet impératif du XXIe siècle de coexistence pacifique des nations et des peuples. L’autre partie à la négociation, la Turquie, ne reconnaît toujours pas cet impératif. Elle s’est engagée dans un déni brutal du génocide des Arméniens perpétré au sein de l’empire ottoman en 1915.

Dans l’intervalle, de par le monde, les Arméniens sont dans l’attente d’une réponse adéquate. Nos efforts visent sans relâche à des prises de position contre ces crimes contre l’égalité. Nous espérons que ces efforts resteront concentrés sur une reconnaissance internationale du génocide arménien.

Nous sommes résolus à ne pas laisser ce problème en suspens pour les générations à venir. La normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie est importante non seulement pour les Arméniens et les Turcs mais également pour toute la région et l’Europe tout entière. Cela permettra l’émergence d’une atmosphère de paix, de stabilité et de coopération. Ce blocage illégal de l’Arménie doit arriver à son terme.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de conclure en réitérant ma conviction profonde que nous assisterons à l’émergence d’un avenir commun fait de compréhension, de paix et de prospérité. C’est ce que nous souhaitons pour l’Europe. Si c’est une idée, une plate-forme de valeurs communes, alors ce que je dis devrait valoir pour toute l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural et au-delà, sans divisions ni clivages.

L’Europe ne peut pas et ne doit pas accepter l’émergence de nouvelles lignes de clivage tangibles ou intangibles. Le Conseil de l’Europe doit devenir une enceinte politique de premier plan pour des débats paneuropéens très complets, pour que des efforts collectifs soient consentis visant à la promotion de l’unité européenne. C’est ce qu’exige cette responsabilité commune que nous avons envers les générations futures.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Merci beaucoup, Monsieur Sarkissian, pour votre allocution. Les membres de notre Assemblée parlementaire souhaitent vous poser des questions. Je rappelle à mes collègues que ces questions ne doivent pas durer plus de trente secondes. Il s’agit de poser des questions et non pas de prononcer des discours. Le premier intervenant est M. Vareikis, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. VAREIKIS (Lituanie) (interprétation)

Monsieur le Président, dans votre allocution vous avez évoqué l’enquête sur les événements du mois de mars 2008. Mais cette enquête n’a pas abouti. Pourquoi n’est-elle pas terminée trois ans et demi après avoir été ouverte? N’avez-vous pas de personnes compétentes pour la mener? Si c’est le cas, changez d’équipe. N’avez-vous pas les bases juridiques vous permettant de mener à bien cette enquête? Si c’est le cas, changez de bases juridiques. C’est une question d’honneur pour vous, Monsieur le Président.

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

L’enquête n’a pas abouti pour une raison simple: tous les coupables n’ont pas encore été trouvés. Pourquoi? Les raisons sont nombreuses. Nombre de personnes les connaissent et les comprennent.

Concernant les compétences professionnelles de nos enquêteurs, sachez qu’en Arménie comme dans tous les pays, il existe de bons professionnels, d’autres de piètre ou de mauvaise qualité. Nous avons le concours de nos plus grands professionnels. Un très grand travail a d’ores et déjà été accompli.

Nous avons lancé un appel à tous les Etats et à toutes les organisations internationales pour qu’ils nous apportent leur appui. J’en profite pour remercier M. le Commissaire Hammarberg, le seul à avoir déployé des efforts pour nous fournir l’aide d’un expert.

Vous devez savoir que tout récemment, j’ai donné des instructions au bureau du procureur public, eu égard aux autorités chargées de l’enquête. Je leur ai demandé de mener une enquête complète, poussée, sur cette affaire. J’espère que l’équipe d’enquêteurs saura utiliser tous les moyens à sa disposition pour mettre en lumière toutes les infractions commises.

L’enquête est transparente. Les enquêteurs y veillent. Très récemment, ils ont indiqué qu’il y aurait deux réunions par mois en présence des médias et des représentants de l’opinion publique. Toutes les questions pourront trouver des réponses. Si d’ici à l’automne l’enquête n’a pas abouti, le bureau du procureur général devra à tout le moins, publier un rapport intermédiaire.

M. ROUQUET (France)

Les coprésidents du Groupe de Minsk viennent récemment d’évoquer à l’occasion de leur visite à Bakou et Erevan les principes de base d’un règlement pacifique global de la situation du Haut-Karabakh. Cette rencontre semble susciter un sentiment d’optimisme du Groupe de Minsk et laisse présager des résultats satisfaisants au sommet de Kazan, le 25 juin prochain.

Monsieur le Président, pourriez-vous nous dire si vous partagez la confiance du Groupe de Minsk quant au règlement pacifique de la question du Haut-Karabakh, que nous souhaitons tous bien évidemment ici, comme nous l’avons rappelé il y a quelques jours à Paris à votre ministre des Affaires étrangères, en compagnie de François Rochebloine?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Il est difficile de vous dire en toute confiance que, le 25 juin à Kazan, nous obtiendrons un résultat positif. C’est bien le Groupe de Minsk qui constitue le bon format. Il peut intervenir comme médiateur pour la résolution de ce conflit.

Sans être sûr à 100 % pour des raisons évidentes, dont j’ai évoqué certaines tout à l’heure dans mon intervention, je me rendrai là-bas plein d’optimisme, avec le vif souhait qu’il soit possible de trouver un dénominateur commun. L’Arménie et le Haut-Karabakh ont un très grand intérêt à la résolution de ce conflit le plus rapidement possible. Elle doit être équitable et permettre de mettre en place une paix durable.

Nous travaillons depuis plus d’un an sur les documents qui seront discutés à Kazan. De nombreuses réunions ont eu lieu. Si ces documents n’incarnent en rien le rêve arménien, ils nous permettent néanmoins de progresser vers la conclusion d’un accord général. Si l’on va à ce rendez-vous dans un esprit constructif et si l’Azerbaïdjan ne présente pas d’autres propositions, un résultat favorable est envisageable.

M. BUGNON (Suisse)

Ma question concerne la sécurité de la population arménienne ainsi que celle des pays de l’est européen, voire, de l’Europe en général.

Après Fukushima, nous savons combien les risques liés au nucléaire sont réels. Or la centrale de Metsamor, de construction ancienne, est située dans une région où le risque de tremblements de terre est important comme en témoigne celui que vous avez connu en 1988. Comment votre gouvernement juge-t-il la sécurité de cette centrale et quel est le risque encouru par les populations concernées par son exploitation?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Parce que l’avis du gouvernement ne suffit pas à définir avec certitude le niveau de sécurité des installations nucléaires, nous avons reçu voilà deux semaines la visite d’inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique qui ont émis un jugement plutôt positif quant au niveau de sécurité des centrales. Avec le soutien de nos partenaires, nous avons en effet engagé depuis longtemps un travail considérable afin de le garantir. Il est évident que nous poursuivrons nos opérations sous la supervision de l’Agence tout comme avec les différentes instances internationales pour faire en sorte que nul n’encoure de risque sérieux.

N’oublions pas, en outre, que d’autres situations très dangereuses existent – je songe, en particulier, aux achats clandestins d’armements ou à l’approvisionnement en d’autres ressources énergétiques. Mon pays, quant à lui, n’a pas d’autre solution que de recourir au nucléaire comme le pensent d’ailleurs les experts internationaux.

M. PARFENOV (Fédération de Russie) (interprétation)

La question du Haut-Karabakh est selon nous essentielle pour la stabilité régionale. Qu’est-ce qui vous paraît essentiel dans les principes du Groupe de Minsk dont vous vous apprêtez à rencontrer les coprésidents à Kazan?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

En 2007, nous avions dit que les trois principes de Madrid constituaient un cadre solide afin de parvenir à résoudre durablement et équitablement le conflit: non- recours à la menace ou à l’usage de la force, intégrité territoriale des Etats, droit à l’autodétermination des peuples. Or ces trois principes ne sont pas interprétés de la même manière par l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Dans un passé récent, ce dernier pays, par la voix de son Président et de différentes autorités, a indiqué qu’il était prêt à plusieurs options militaires, violant ainsi le premier principe. Parce que l’Arménie, quant à elle, accepte et acceptera toujours le deuxième principe, elle n’a jamais fait état de revendications territoriales à l’égard de l’Azerbaïdjan ou d’autres pays. Elle ne reconnaît donc toujours pas l’indépendance du Haut-Karabakh. Enfin, elle reconnaît et accepte le troisième principe dont l’application a rendu possible la naissance de nombreux Etats, quand l’Azerbaïdjan considère que le droit à l’autodétermination des peuples existe mais qu’il s’applique dans le seul cas du Haut-Karabakh et dans les limites de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Il s’agit là d’une conception fallacieuse de l’autodétermination quand celle-ci doit bien plutôt conduire les peuples au libre choix de leur destin.

De tels principes ne sont donc pas récusés par toutes les parties mais ceux qui ne souhaitent pas que le conflit soit résolu cherchent toutes les excuses possibles. L’Arménie n’a aucune réserve à leur endroit s’ils permettent de parvenir à la paix.

M. PETRENCO (Moldova) (interprétation)

De nombreuses manifestations de violence ayant entraîné des morts se sont produites lors de votre élection, Monsieur le Président. À la suite de la Résolution 1416 de 2005, notre Assemblée a décidé de constituer un comité ad hoc sur le Haut-Karabakh dont les délégués de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan devaient faire partie. Or, sans la présence effective des premiers, ne pensez-vous pas que les travaux de ce groupe sont inutiles?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Je suis tout à fait d’accord avec vous, sans la participation de la délégation arménienne, les travaux de ce comité sont inutiles et impossibles. Nous ne savons pas ce que l’Assemblée attend d’un tel comité.

L’Assemblée joue un rôle très important pour promouvoir la paix et la stabilité dans notre région. Je suis convaincu que si elle parvenait, dans cet hémicycle, à faire en sorte que les délégations de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan cessent de s’adresser des reproches, cela faciliterait la résolution du conflit. Le rapport de 2005 prévoyait des dispositions en ce sens.

C’est la raison pour laquelle le comité avait à l’époque cessé son activité, et non pas à cause du décès de son président, Lord Russell Johnson, comme certains le prétendent.

De quoi devrait parler ce comité pour la résolution du conflit du Haut-Karabakh? Car il ne peut pas connaître les détails des pourparlers et n’a pas de mémoire historique. Par ailleurs, il me semble que l’Assemblée n’est pas mandatée pour résoudre ce problème. Les organisations européennes ont confié le soin de résoudre ce conflit à l’OSCE, dans le cadre de la Conférence de Minsk. Je ne vois donc pas à quoi peut servir ce comité.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

La parole est à M. Kox pour un rappel au Règlement.

M. KOX (Pays-Bas) (interprétation)

Je crois que le Président a prévu de répondre à la première question de M. Petrenco.

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Pourriez-vous me rappeler la teneur de cette question?

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur Petrenco, pourriez-vous répéter votre première question?

M. PETRENCO (Moldova) (interprétation)

Lorsque vous avez été élu, il régnait une grande violence dans votre pays. Dix personnes ont été tuées. Y a-t-il eu des condamnations?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Beaucoup de personnes ont été condamnées, dont quatre policiers. J’ai d’ailleurs fourni des détails sur cet événement tout à l’heure, en répondant à une question, expliquant pourquoi les enquêtes n’ont pas toutes abouti et tous les crimes n’ont pas été élucidés.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

M. Fournier n’étant pas là, la parole est maintenant à Mme Postanjyan.

Mme POSTANJYAN (Arménie) (interprétation)

Monsieur le Président, bien que vous ayez dit que des progrès ont été réalisés en Arménie, le pays est gouverné par un régime autoritaire. Les élections sont truquées depuis 1995. Entendez-vous mettre en œuvre un véritable processus de réformes et adhérer à la Cour pénale internationale pour permettre de véritables élections libres et équitables? Les régimes autoritaires sont voués à l’échec, il serait donc bon d’engager des réformes.

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Je ne doute pas que vous ayez une opinion différente de la mienne. Je suis informé très régulièrement des opinions que vous exprimez librement au parlement, dans la rue et les médias. Je respecte votre point de vue, mais je ne le partage pas. Cependant, nous écoutons l’opinion de notre opposition.

Vous avez entendu comme moi l’avis de hautes personnalités du Conseil de l'Europe. Ce qu’ils disent ne coïncide pas avec votre point de vue, et j’en suis très satisfait. En Arménie, un véritable processus de réformes est engagé. Et nous avons à maintes reprises demandé à tous d’y participer, afin de faire des recommandations constructives. Je n’ai pas l’intention d’organiser des élections extraordinaires en Arménie. Cela n’est pas nécessaire. Il serait plus approprié que vous participiez à nos discussions, que vous contribuiez au processus de réformes.

Nous avons toujours accepté les missions d’observation internationales dans notre pays. Je suis d’accord pour dire qu’il existe, en Arménie, une méfiance à l’égard des élections. Je l’ai dit dans mon discours, l’organisation d’élections libres et équitables n’est pas suffisante. Il faut que le public perçoive ces élections comme telles.

Mme KEAVENEY (Irlande) (interprétation)

Monsieur le Président, vous avez évoqué la nécessité de promouvoir la tolérance et de lutter contre la xénophobie. Vous savez sans nul doute que l’Assemblée a adopté en juillet 2009 une résolution visant à lutter contre toutes les formes d’intolérance et de xénophobie. Que faites-vous en Arménie pour promouvoir une bonne image de l’autre? Qu’en est-il de la collaboration avec le Conseil de l’Europe et du travail très novateur qu’il a proposé? Un travail plus actif sur ce front ne se traduirait-il pas par des effets concrets à court et à plus long termes?

M. Sargsyan, Président de l’Arménie (interprétation)

Je suis le premier à me féliciter du travail mené par le Conseil de l’Europe. Le Gouvernement arménien et la société arménienne apprennent beaucoup de ce travail.

Nous souhaiterions que notre réponse à l’intolérance ne se voie pas opposer l’intolérance. Depuis des années, nous sommes confrontés à la question du Haut-Karabagh. J’ai passé plus de quinze ans au poste de ministre de la Défense; j’ai donc travaillé dans des structures gouvernementales dès 1993 et, dès cette date j’ai parlé de l’acceptation de concessions mutuelles. Avez-vous jamais entendu un haut représentant de l’Azerbaïdjan évoquer la nécessité de compromis et de concessions mutuelles? Ne sommes-nous pas, quant à nous, en ce moment même, en train de parler de tolérance, de notre sens des responsabilités vis-à-vis des générations à venir?

Je réaffirme que la xénophobie et le racisme sont inacceptables à nos yeux. La génération des enfants nés en 1993 constitue aujourd’hui le noyau dur des forces armées d’Arménie et d’Azerbaïdjan. Ceux nés en Azerbaïdjan ont été élevés dans un climat d’animosité et d’hostilité. Dès lors, comment être crédible et affirmer la nécessité d’un renforcement des capacités sur la ligne de front? D’aucuns estiment que ce type d’affrontement est absolument nécessaire.

Dans leur déclaration commune au G8, à Deauville, les chefs d’Etat ont déclaré que les peuples devaient être préparés à la paix et non à la guerre. Nous avons ici un bel atout en main, car depuis vingt ans nous ne préparons pas notre population à la guerre. Je forme le vœu qu’il n’y ait pas de guerre. L’Azerbaïdjan devrait suivre notre exemple, car si les hostilités devaient être déclarées, les victimes seraient bien plus nombreuses pour nous comme pour l’Azerbaïdjan. Souhaitons que les ressources de nos pays, qui en ont besoin, soient investies dans leur développement et ne viennent pas alimenter les opérations militaires.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Mes chers collègues, il nous faut maintenant conclure cette séance de questions à M. Sarkissian.

Monsieur le Président, au nom de tous les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je vous remercie de votre allocution et des réponses que vous avez bien voulu apporter aux questions posées.