Sali

Berisha

Premier ministre d’Albanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 25 juin 2012

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, cher Jean-Claude Mignon, Monsieur le Secrétaire Général, cher Monsieur Jagland, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, c’est pour moi un grand honneur et un plaisir tout particulier de pouvoir m’adresser à votre Assemblée, ici, au Palais de l’Europe, au nom de la première présidence albanaise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

J’aimerais tout d’abord, Monsieur le Président Mignon, vous féliciter de tout cœur pour votre réélection en tant que membre de l’Assemblée nationale française. Nous nous félicitons que vous puissiez poursuivre dans votre rôle de président de cette Assemblée au cours des prochaines années. J’aimerais également vous remercier cordialement de l’hospitalité chaleureuse que vous nous avez offerte, à moi et à ma délégation, au cours de mon séjour à Strasbourg.

Je saisis cette occasion pour remercier vivement le Secrétaire Général, M. Jagland, pour l’excellent travail qu’il réalise tant au Conseil de l’Europe qu’au nom de celui-ci. Le Secrétaire Général et son équipe mènent à bien une réforme importante, qui donnera à notre prestigieuse institution l’élan dont elle a besoin pour atteindre ses objectifs.

« Le Conseil de l’Europe a toujours été un soutien aux côtés de l'Albanie depuis la chute de la pire dictature en Europe »

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, il y a 20 ans, le 6 mai 1992, à l’occasion de ma première visite officielle à l’extérieur de mon pays en tant que Président de l’Albanie – l’Albanie qui venait de sortir de la pire dictature qu’ait connue l’Europe après la Seconde guerre mondiale – j’ai présenté à l’Assemblée parlementaire le souhait de mon gouvernement et de mon peuple de devenir membre du Conseil de l’Europe. Ce rêve que les Albanais nourrissaient depuis des décennies est devenu réalité. En effet, en mai 1995, l’Albanie est devenue membre du Conseil de l’Europe et aujourd’hui, pour la toute première fois, elle assume la présidence du Comité des Ministres.

(Poursuivant en français:) Dans cette enceinte, je me sens comme chez moi, car, pendant des années, en tant que leader de l’opposition albanaise et membre de cette Assemblée, j’ai eu l’honneur de partager avec vous, chers amis et collègues des moments et des activités parmi les plus belles et les importantes de ma vie politique.

Aujourd’hui est un moment particulier, historique pour moi, pour ma nation et pour le Conseil de l’Europe, car je suis ici en qualité de Premier ministre de l’Albanie, l’une des plus jeunes démocraties d’Europe, assumant la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Par une coïncidence tout aussi symbolique, l’Albanie a pris la présidence à la suite de la Grande-Bretagne, la plus ancienne démocratie d’Europe. Je saisis cette occasion pour adresser à la Grande-Bretagne mes félicitations les plus cordiales et pour saluer le succès de sa présidence britannique.

Cette année, l’Albanie fête le centenaire de son indépendance. Il y a cent ans, des efforts considérables étaient déployées pour que l’Albanie n’existât pas comme nation politique. Pendant cent ans, les Albanais ont ainsi subi de grands morcellements, des occupations sauvages, des nettoyages ethniques, des dictatures orwelliennes. Or, aujourd’hui, nous célébrons le centenaire de l’indépendance de l’Albanie en tant que nation libre, en tant que pays assumant la présidence du Comité des Ministres du plus ancien temple de la démocratie européenne. C’est le diamant posé sur la couronne du centenaire de l’indépendance de mon pays. Que Dieu bénisse le Conseil de l’Europe et ses pays membres!

Il y a seulement vingt-deux ans, l’Albanie était le pays d’une Constitution niant droits et libertés, un pays où l’athéisme était imposé. Dorénavant, l’Albanie est le pays des libertés et des droits garantis par la Constitution, le pays du respect total des droits de l’homme et des minorités, le pays sans faille du respect et de la tolérance interreligieuse. Le pays qui vivait dans l’isolement le plus profond est aujourd’hui membre de l’Otan et contribue aux missions de paix en Afghanistan et ailleurs de par le monde. Soulignons que les Albanais voyagent aujourd’hui sans visa en Europe.

Voilà deux décennies, l’Albanie, s’alignant derrière l’Ouganda et l’Angola, était le pays le plus pauvre du monde, avec 204 dollars par tête d’habitant par an. Il a désormais rejoint le groupe des pays aux revenus moyens élevés. Si l’Albanie n’est pas encore un pays développé, ses indices s’alignent sur les pays développés s’agissant du taux de mortalité infantile et maternelle, de la mortalité en général, de l’accès aux systèmes éducatif et de santé; de même s’agissant de l’usage d’internet. En 2001, les Albanais avaient un nombre d’habitations par tête d’habitant moindre que celui de toute autre nation européenne en 1980! Au cours des dix dernières années, ils ont atteint le niveau des pays développés, ils ont même dépassé 5 nations membres de l’Union européenne et de l’OSCE.

En dépit du fait que l’économie albanaise est confrontée comme les autres, aux conséquences de la crise européenne et globale, elle a su maintenir au cours des dernières années une croissance considérable, qui, pendant les cinq dernières, a atteint 22 %, soit quatre fois plus que la croissance moyenne de la région. J’ajouterai que l’Albanie est en train de construire les infrastructures les plus modernes dans la région. C’est ainsi qu’elle a accueilli l’an dernier plus de 4 millions de touristes et de visiteurs, contre 300 000 en 2004.

(Poursuivant en anglais:) L’Albanie s’est pleinement engagée dans le processus d’intégration dans l’Union européenne. C’est là le meilleur projet pour son avenir et pour l’avenir de ses citoyens. Mon gouvernement a toujours considéré que ce processus devait être fondé sur le mérite. Il a été ralenti un temps par des difficultés internes, mais elles sont actuellement en cours de résolution et notre pays continuera à œuvrer pour entrer dans l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe a apporté une contribution essentielle à la résolution des problèmes internes à mon pays, ce dont je lui suis très reconnaissant. Nous avons parcouru un long chemin, il nous reste beaucoup à faire et bien des obstacles à surmonter, mais la vérité, c’est que c’est un véritable succès pour la liberté.

Malgré deux dernières décennies de difficultés, nous avons réussi à créer une société ouverte, libre, respectueuse de la démocratie, des droits de l’homme, des droits des minorités. A cet égard, nous avons pu compter sur l’aide et le soutien d’un partenaire loyal et sans faille: le Conseil de l’Europe et ses institutions. C’est pourquoi je saisis cette occasion pour vous exprimer à nouveau ma plus profonde gratitude.

Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, c’est une occasion unique qui m’est offerte de réitérer devant vous la détermination de la présidence albanaise de travailler au cours des six prochains mois à renforcer la coopération entre les Etats membres, entre le Conseil de l’Europe et le Secrétaire Général, afin de promouvoir et de renforcer les valeurs communes et universelles de notre Organisation que sont la liberté, les droits de l’homme, la démocratie, la primauté du droit et la liberté des marchés, toutes valeurs qui répondent aux aspirations de nos peuples et qui œuvrent pour la paix, le développement, la prospérité et ce dans des pays ouverts aux traditions linguistiques, religieuses, culturelles et historiques, d’où notre slogan «Unis dans la diversité».

En cette époque de crise financière et économique et de grands défis, nous ne pouvions mieux choisir le titre de notre rapport: «La démocratie en danger, le rôle des citoyens et de l’Etat dans l’Europe d’aujourd’hui». N’oublions pas que des tendances extrémistes, populistes, xénophobes et nationalistes réapparaissent.

C’est pourquoi nous nous félicitons de la décision de mettre en œuvre les recommandations importantes du rapport intitulé «Vivre ensemble – Concilier la diversité et la liberté dans l'Europe du XXIe siècle». C’est une indication de notre ferme volonté de relever les défis auxquels sont confrontées les démocraties européennes aujourd’hui, à savoir le plein respect des droits de l’homme. Je saisis cette occasion pour exprimer notre gratitude et celle de la présidence albanaise pour le professionnalisme dont ont fait preuve les éminentes personnalités qui ont rédigé ce rapport.

Afin que chacun prenne mieux conscience de la portée de ces conclusions, la présidence albanaise organise une conférence à haut niveau sur les sujets suivants: la diversité en Europe, un atout pour l’avenir; la promotion du dialogue interculturel, une tâche pour la société européenne et au-delà; l’éducation et la contribution des jeunes à la promotion de la compréhension, de la tolérance et de l’intégration sociale.

Dans ce contexte, le renforcement du dialogue et de la coopération avec les pays d’Afrique du Nord et de la Méditerranée, les pays dits du Printemps arabe, est également une priorité de la présidence albanaise. Mon pays a l’intention d’y offrir sa modeste contribution. Nous appuyons les aspirations démocratiques de ces pays et de leurs peuples. Ils peuvent trouver dans la riche expérience du Conseil de l’Europe et de ses différents organismes des modèles utiles qui leur permettront de mettre en œuvre la tâche historique de transformer leurs pays et leurs sociétés en véritables démocraties où règne l’Etat de droit et où la société civile, les droits de l’homme et ceux des minorités sont respectés.

C’est pourquoi j’appuie pleinement l’initiative du Secrétaire Général visant à favoriser la démocratie et la stabilité dans les régions voisines de l’Europe. En collaboration étroite avec les partenaires clés, cette coopération pratique pourrait fournir le cadre permettant un progrès réel en ce sens. Le Conseil de l’Europe possède tous les mécanismes nécessaires à cette fin.

Je me félicite également que la présente session examine le rapport consacré à la transition politique en Tunisie, berceau du Printemps arabe. Nous félicitons le secrétariat du Conseil d’avoir préparé les projets relatifs aux Priorités de coopération de voisinage pour 2012-2014, en mettant l’accent sur le Maroc et la Tunisie. Nous apprécions le rôle de la Commission de Venise et ses conseils précieux pour l’élaboration de la Constitution tunisienne et l’adoption d’une nouvelle législation permettant la mise en œuvre des nouvelles Constitutions marocaine et tunisienne. Ces réformes sont essentielles pour que les législations nationales de ces pays soient en phase avec les normes internationales des droits de l’homme.

La dimension religieuse du dialogue interculturel est un élément essentiel dans le cadre des traditions démocratiques européennes. Le gouvernement albanais a d’ailleurs adopté la Stratégie nationale pour le dialogue interculturel dans le cadre de l’Alliance des civilisations et a créé un mécanisme intergouvernemental pour sa mise en œuvre.

L’échange de 2012 sur la dimension religieuse du dialogue interculturel sera la contribution que nous apporterons en ce domaine. Alors que nous, les Albanais, formons une petite nation, nous n’en sommes pas moins porteurs d’un grand message, celui du respect et de la tolérance interreligieux exemplaires, conformément à à la tradition séculaire de notre nation. En mettant en avant cette tradition de la société albanaise, nous visons à dénoncer les stéréotypes et les préjugés à l’encontre des différentes religions, utilisés par la propagande pour monter les personnes les unes contre les autres. Les priorités de la présidence albanaise se concentreront sur la consolidation de la démocratie fonctionnelle, y compris aux plans local et régional, et de l’Etat de droit sur tout le continent.

Prenant la suite de la tradition bien établie des présidences précédentes, nous continuerons de faire pression pour mener à bien le processus de réforme de notre organisation et respecter l’agenda des déclarations d’Interlaken, Izmir et Brighton, en vue de la mise en place d’un système plus efficace de protection des droits de l’homme, y compris en réduisant le fardeau qui pèse à l’heure actuelle sur la Cour européenne des droits de l’homme.

La promotion d’un dialogue plus étroit avec les organisations internationales, notamment l’Union européenne, et son élargissement aux Balkans occidentaux constitueront l’autre priorité. La présidence albanaise accorde une attention très étroite aux jeunes et à leur éducation aux valeurs du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi une commémoration des victimes du génocide nazi et de ceux qui ont risqué leur vie et celle de leur famille pour sauver des Juifs sera organisée. Comme vous le savez, l’Albanie est un des pays européens où les Juifs ont été le mieux protégés et où ils ont été sauvés en plus grand nombre durant la Seconde guerre mondiale. Le nombre des Juifs en Albanie s’est d’ailleurs beaucoup accru à la fin de la guerre. Vous entendrez demain un exposé de M. Haxhinasto, Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, sur toutes ces priorités.

Monsieur le Président de l’Assemblée, Mesdames et Messieurs les parlementaires, malgré les guerres dévastatrices et les drames qu’elle a vécus, la péninsule des Balkans connaît aujourd’hui une période au cours de laquelle les peuples déploient d’immenses efforts de coopération et d’intégration européennes. Ces processus d’intégration seront le moteur de nos pays pour l’avenir. L’Albanie a des relations amicales avec tous ses voisins et avec tous les pays de la région. Nous sommes convaincus que le respect plein et entier des frontières internationales actuelles, la coopération régionale, ainsi que l’intégration et la consolidation de l’Etat de droit et des institutions démocratiques constituent la voie la plus sûre pour construire l’avenir auquel aspirent nos pays et qu’ils méritent. L’Albanie soutient le dialogue entre la République du Kosovo et la Serbie et se félicite des accords signés entre les deux pays grâce à l’Union européenne. Une mise en œuvre de ces accords constitue un facteur essentiel non seulement pour les bonnes relations bilatérales entre les deux pays mais également pour la région dans son ensemble, où la République du Kosovo est un facteur de paix et de stabilité. Le gouvernement albanais apprécie le rôle essentiel joué par EULEX et par la KFOR en la matière.

Le 2 juillet 2012, la communauté internationale se retirera officiellement du processus d’observation de l’indépendance du Kosovo. Il s’agit là d’un succès indéniable sur la voie de la consolidation des institutions démocratiques, de l’Etat de droit et du respect du droit des minorités dans ce pays. Dans tous ces processus, le Conseil de l’Europe a apporté une aide d’une très grande valeur. Je souhaite le renforcement de cette coopération, afin de rapprocher la République du Kosovo du Conseil de l’Europe, ce qui permettra très rapidement à celle-ci de gagner sa place au sein de cette institution qui rassemble les nations démocratiques de l’Europe.

La péninsule des Balkans est l’une des plus riches en minorités. C’est pourquoi le fait d’étendre et de renforcer leurs droits continuera d’être une priorité pour tous nos pays. C’est du reste une condition sine qua non de la paix et de la stabilité de la région. Je suis pleinement convaincu que la meilleure façon de répondre aux préoccupations et aux problèmes des minorités est la mise en œuvre pleine et entière des documents et des conventions du Conseil de l’Europe sur les droits des minorités.

En conclusion, je vous invite de tout cœur à coopérer étroitement au cours des prochains mois à la réalisation de ces priorités. Je puis vous assurer de l’engagement de la présidence albanaise du Comité des Ministres à la fois dans la promotion des valeurs prestigieuses de notre organisation, en vue de consolider l’esprit et les institutions démocratiques dans nos sociétés ainsi que l’Etat de droit, et dans le renforcement des institutions démocratiques aux plans local et régional.

Parallèlement, nous poursuivons la réforme politique engagée afin de faire de notre Organisation une institution ayant un poids politique et de la Cour une instance qui protège les droits de l’homme partout sur le continent.

Travaillons ensemble pour faire de la présidence albanaise un succès pour mon pays, pour vos pays et pour le Conseil de l'Europe!

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Premier ministre.

Un certain nombre de collègues ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle qu’ils disposent de 30 secondes.

La parole est à M. Volontè, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. VOLONTÈ (Italie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé du Printemps arabe, de l’importance des Balkans, du dialogue interculturel fondé sur le respect des différentes religions, etc. En présidant le Comité des ministres, l’Albanie doit respecter tout ce qui se passe dans ces zones géographiques particulièrement touchées.

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Je tiens à rassurer le Conseil de l'Europe en disant que l’Albanie s’intéresse particulièrement aux droits des minorités. Je suis convaincu que l’Albanie a activement contribué au travail réalisé dans le domaine du respect des minorités, notamment religieuses, en particulier au Kosovo. Or nous pouvons offrir cette tradition à d’autres pays, y compris à ceux qui ont vécu le Printemps arabe.

J’ai rencontré des responsables libyens qui se sont montrés intéressés par ce qu’il se fait en Albanie. Ils ont estimé que l’islam était tout à fait compatible avec la démocratie, ce qui est vrai! Ceux qui affirment le contraire utilisent l’islam pour construire des régimes qui oppriment les peuples.

Au cours des prochains mois, nous organiserons d’ailleurs une conférence ayant pour thème le dialogue interreligieux.

M. SCHENNACH (Autriche) (interprétation)

L’Albanie est un pays moderne, dynamique, sympathique qui a engagé des réformes considérables.

Qu’entendez-vous faire en cette année de jubilé pour mettre fin aux formes traditionnelles de la vendetta qui continue à subsister dans certaines régions de votre pays et qui constitue une violation des droits de l’homme et de l’Etat de droit?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Je dois reconnaître que la vendetta était quelque chose de bien réel dans les anciens codes de mon pays. Cependant, elle appartient au passé, même s’il persiste un certain nombre de cas, pour ce qu’on appelle les «dettes de sang», par exemple.

L’année dernière, j’ai rencontré le haut responsable des droits de l’homme aux Nations Unies qui avait mené une enquête en Albanie à ce sujet. Si le phénomène subsiste, il est loin d’avoir l’ampleur qu’on lui prête. La solution pour l’éradiquer est de renforcer la prééminence du droit.

Permettez-moi de citer une statistique: quand je suis arrivé au pouvoir en 2005, il y avait, dans nos prisons, 1 800 personnes. On en compte aujourd’hui près de 5 000, non pas parce que la criminalité a augmenté, mais parce que nous appliquons plus rigoureusement la loi.

Nous n’appliquons pas la peine de mort, mais nous avons d’autres peines et sanctions de nature à éradiquer cette habitude ancienne très malsaine.

Earl of DUNDEE (Royaume-Uni) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez fait référence au problème des Balkans occidentaux. Quels sont vos projets pour renforcer la stabilité dans la région du sud est de l’Europe?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Il me semble que pour nos pays, la solution est l’intégration au sein de l’Union européenne, car toutes ces nations ont une vision comparable de leur avenir commun. C’est la raison pour laquelle il est essentiel que cette nation intègre l’Union européenne.

L’accord Serbie-Kosovo est un grand succès. Il permettra à une petite région d’en retirer un bénéfice immense.

M. XUCLÀ (Espagne) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous saluer au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, car j’ai visité votre pays à deux reprises et j’ai ainsi pu apprécier les progrès démocratiques réalisés.

L’opposition s’est absentée pendant des mois du Parlement. J’aimerais savoir si le problème est résolu et s’il existe actuellement une représentation proportionnelle des partis, ici, dans notre Assemblée.

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Après les élections de 2009, l’opposition, déçue des résultats, a adopté une position de boycott, alors même que les observateurs internationaux avaient témoigné de l’absence de manipulation. L’opposition albanaise n’est pas anti-européenne, mais en bloquant l’action gouvernementale, elle a pensé pouvoir faire avancer sa propre cause. Depuis le mois d’octobre dernier et la signature d’un accord entre les différents partis politiques, elle est toutefois revenue au Parlement. La réforme du code électoral est en cours de finalisation. La commission chargée de cette réforme, en signe de bonne volonté, a commencé son travail en examinant les amendements présentés par l’opposition.

M. PETRENCO (République de Moldova) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, l’Albanie, il est vrai, a beaucoup progressé sur la voie de l’intégration européenne. Toutefois, la corruption reste importante et il est nécessaire de procéder à une réforme du code électoral.

Quelle est la position de l’Albanie sur le trafic d’organes au Kosovo pendant le conflit des Balkans, sujet d’un important rapport de M. Marty? Comment l’Albanie envisage-t-elle de coopérer à l’enquête en cours sur ces événements?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

La corruption est inadmissible dans un pays libre. C’est pourquoi nous sommes déterminés à la faire reculer et nous avons d’ailleurs déjà enregistré des résultats encourageants dans ce domaine, s’agissant notamment de la collecte des impôts. L’enquête actuellement en cours sur le trafic d’organes au Kosovo est très importante. Nous souhaitons faire la lumière sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés dans les Balkans pendant la guerre. Je souhaite toutefois qu’on applique la même égalité de traitement à tous et je regrette que le rapport de M. Marty soit quelque peu teinté de racisme, ce qui n’est pas étonnant étant donné l’origine de l’un de ceux qui y ont collaboré. L’Albanie n’en reste pas moins déterminée à voir l’enquête Eulex parvenir à son terme, ce que le Parlement albanais a récemment entériné avec force.

M. TOSHEV (Bulgarie) (interprétation)

Monsieur Berisha, en 1993, alors que vous étiez Président de l’Albanie, je vous avais interrogé sur les droits des Bulgares qui vivent dans votre pays. Je voudrais vous demander aujourd’hui quels progrès ont été réalisés en Albanie pour la protection des droits de l’homme et des minorités?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

L’Albanie est très attachée au respect de la Convention du Conseil de l'Europe sur les minorités. Nous nous efforçons d’aider les minorités à préserver leur identité et leur lien privilégié avec leur pays d’origine.

M. FOURNIER (France)

Monsieur le Premier ministre, j’ai longtemps présidé au sein du Sénat français le groupe d’amitié avec votre pays. Mon amitié pour l’Albanie ne peut cependant tempérer mes inquiétudes face aux retards pris sur la voie de l’intégration à l’Union européenne.

L’Union européenne, comme notre commission de suivi, insiste régulièrement sur l’adoption de réformes d’envergure visant notamment les médias, le système judiciaire et la loi électorale. Sans négliger les efforts accomplis par votre gouvernement dans d’autres domaines, en matière criminelle notamment, pouvez-vous détailler devant cette assemblée un calendrier précis pour les réformes attendues?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Je voudrais tout d’abord vous dire, Monsieur Fournier, que nous sommes très fiers, en Albanie, de cette amitié entre nos deux pays. La réforme du code électoral fait l’objet d’un vif débat en Albanie et j’espère qu’elle aboutira dans les prochaines semaines. Depuis le mois d’octobre dernier, les partis politiques de la majorité et de l’opposition collaborent de manière constructive.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, comment le Conseil de l'Europe peut-il vous aider dans la lutte contre la corruption, ce véritable cancer des démocraties?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Tout d’abord, je vous indiquerai ce que nous avons déjà fait. Nous considérons que la corruption est notre plus grave problème, le pire ennemi des hommes libres.

Nous avons décidé qu’il fallait lutter contre la corruption dans nos bureaux. Nous avons mis en place des règles qui permettent à l’administration de diminuer les dépenses opérationnelles de 2,3 % à 1,5 % du PIB

Nous avons privatisé toutes les grandes entreprises. Nous avons réduit de 33 % l’administration. Nous sommes l’un des dix pays où l’administration est la plus réduite par rapport à la population.

Nous avons créé des appels d’offre, à 100 % depuis 2009, ce qui nous a permis de réaliser une économie d’environ 29 %. On peut acheter par voie électronique. Nous utilisons les transactions numériques pour améliorer la transparence. Des centaines d’officiels et de fonctionnaires ont été poursuivis pour corruption. Elle continue d’être un problème mais nous luttons au quotidien contre ce fléau.

Nous travaillons étroitement avec le Greco, principale institution en Europe pour lutter contre la corruption. Nous appliquons toutes ses recommandations sauf deux. L’une d’entre elles, la levée de l’immunité, va bientôt être mise en œuvre en Albanie.

Il s’agit pour nous d’une préoccupation essentielle. Grâce à toutes ces mesures, nous avons augmenté de huit milliards de dollars notre budget par rapport aux gouvernements précédents.

M. DE BRUYN (Belgique) (interprétation)

Un incident s’est produit le mois dernier lorsque le vice-ministre de la défense albanais s’est exprimé. Il a déclaré que les personnes qui avaient participé à certaines manifestations devraient être: «tuées». Le Premier ministre a déclaré cela inacceptable. Que prévoit le gouvernement de M. Berisha pour éviter des remarques homophobes venant de la part des membres de son administration? Monsieur le Premier ministre, qu’allez-vous faire pour que les officiels de votre pays respectent les droits des LGBT?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Merci pour votre question. L’orientation sexuelle appartient à chaque citoyen. Cela doit absolument être respecté. Nous avons présenté une excellente loi dans ce domaine. Un commissaire qui s’occupe spécifiquement de ce sujet. Pour la première fois dans notre histoire, ces personnes peuvent s’exprimer librement. Mon gouvernement soutient totalement cette population. Il appelle à une tolérance totale.

Il est vrai qu’une personne du gouvernement a fait une déclaration très négative. Les conséquences n’ont pas été celles que l’on pourrait penser.

Il y a deux semaines, une conférence importante a été organisée pour le soutien aux LGBT et la tolérance. Cela est primordial à mon sens. Sujet tabou il y a quelques années, ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui. Partout nous parlons de cette communauté qui a voix au chapitre, qui peut s’exprimer et se montrer librement. Il existe donc un changement positif. Cet évènement s’est déroulé de façon pacifique.

Mme ZOHRABYAN (Arménie)

Le Premier ministre de la Serbie n’a pas reconnu l’indépendance du Kosovo malgré un dialogue avec ce pays. Quelles mesures prendrez-vous pendant votre présidence pour que l’Azerbaïdjan établisse un dialogue direct avec les autorités du Haut-Karabagh?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Notre position concernant cette région est celle du Comité des Ministres. Nous la défendons. Nous verrons quelle peut être notre contribution. Le Conseil de l’Europe a offert son assistance pour mettre en place des institutions démocratiques sur place et mieux participer à la mise en œuvre des engagements.

M. GAUDI NAGY (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, depuis 2008, 93 Etats ont reconnu le Kosovo comme Etat indépendant, dont mon pays, la Hongrie. Nous plaidons cette cause aux Nations Unies.

Le droit à l’autodétermination doit être garanti pour toutes les communautés nationales. C’est ce que disent les Nations Unies et le Conseil de l’Europe. L’autonomie territoriale doit être respectée et protégée. Les droits des Hongrois vivant dans le nord de la Serbie ne doivent-ils pas être défendus?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Le Conseil de l’Europe a beaucoup aidé le Kosovo pour établir ses institutions et consolider les droits de l’homme et ceux des minorités. Je soutiens pleinement l’initiative du Secrétaire Général. Se rapprocher des autorités du Kosovo est essentiel, vital. De fréquentes et nombreuses discussions ont lieu avec la Commission de l’Union européenne, le Parlement européen, le Conseil de sécurité des Nations Unies et bien d’autres instances. Il y a de bonnes raisons de renforcer la coopération avec le Conseil de l’Europe.

Il est fondamental pour tous les pays d’accepter le caractère irréversible de la situation. Ainsi, nous n’avons plus guère le choix que de dialoguer pour promouvoir des normes meilleures.

On compte trois communautés distinctes. Les Serbes au sud d’Ibar qui constituent la majorité de la population et qui vivent en paix et en harmonie avec les Albanais. Ensuite on trouve des Serbes dans trois communes au nord de Mitrovica où il n’y a pas d’Albanais. Leurs droits doivent être pleinement respectés.

J’estime que l’intégrité et la souveraineté du Kosovo ne doivent pas être remises en question. Mais je suis optimiste. Je pense que les récents accords, notamment celui qui est intervenu entre Pristina et Belgrade, permettront des progrès réels. Et, comme vous, je pense qu’il n’est pas dans l’intérêt de la Serbie ni d’un autre pays de la région de demander plus que ce que prévoit la Convention européenne sur les droits des minorités, qui doit rester la base en la matière dans nos pays.

M. Renato FARINA (Italie) (interprétation)

Je voudrais d’abord vous saluer très cordialement, Monsieur le président. Je suis particulièrement heureux que le peuple albanais, avec toute sa jeunesse et son énergie, soit à la présidence du Comité des Ministres. Il a beaucoup à lui apporter.

Que signifie, selon vous, le renforcement des rapports entre l’Albanie et la Turquie? Le ministre turc des affaires étrangères a évoqué la cohabitation des communautés.

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

L’Albanie a traditionnellement des rapports particulièrement aimables avec la Turquie, ainsi qu’avec la Grèce et la Bulgarie. Nous apprécions la contribution de ces pays aux différents processus d’intégration européens et à la mise en œuvre de la paix et de la stabilité dans la région.

Ce que cela signifie, c’est tout simplement que nous avons choisi le meilleur projet pour notre avenir, pour notre intégration au sein de l’Union européenne, dont nous espérons qu’elle acceptera un jour l’adhésion de la Turquie.

M. MICHEL (France)

L’Albanie joue un rôle important au sein des Balkans occidentaux, notamment en raison de l’importance des communautés albanophones au Kosovo et en Macédoine, mais aussi dans la Serbie et le Monténégro. Entendez-vous profiter de votre présidence pour favoriser l’apaisement au Kosovo, qui est une condition indispensable pour sa reconnaissance internationale, mais aussi en Macédoine, où les tensions sont aujourd’hui très vives?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie

Des difficultés sont récemment survenues en Macédoine, en apparence interethniques mais qui en réalité avaient aussi d’autres causes. Pour nous, la paix et la stabilité de la Macédoine sont d’une importance vitale pour la région. C’est pourquoi nous tenons à la coopération et au respect mutuel entre nos deux pays, et il y a un progrès clair et net dans ce domaine. Mais je voudrais souligner que l’application intégrale des accords d’Ohrid est d’une importance vitale pour la paix et pour l’avenir des relations entre les Macédoniens et les Albanais en Macédoine.

Pour ce qui est du Kosovo, je crois qu’un progrès extraordinaire a été réalisé en ce qui concerne les minorités. Au nord, là où il n’y a que des Serbes et pas d’Albanais, il est difficile de comprendre les difficultés et l’instabilité qui peuvent survenir. Mais je pense que le projet du président Ahtisaari, qui définit un cadre légal, peut apporter une véritable stabilité dans les trois communes du nord. Malgré les manipulations des nationalistes serbes, le gouvernement du Kosovo est en train d’élaborer un projet très sérieux à ce sujet, en coopération avec l’Union européenne, les Etats-Unis et le groupe des Cinq pour agir le plus vite possible.

M. AGRAMUNT (Espagne) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je me souviens de votre présence il y a quelques années dans ma ville, Valence, pour une réunion de l’Union de l’Europe occidentale.

Je voudrais en revenir au Kosovo, à sa viabilité et surtout à son indépendance autoproclamée: que pensez-vous de cette formule pour arriver à l’indépendance?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

En 1993, Borisav Jovic, ancien président de l’ex-Yougoslavie et fondateur du nationalisme serbe moderne, avait écrit dans un ouvrage que la seule manière pour la Serbie de trouver sa place entre les nations civilisées était de se débarrasser du Kosovo! Jamais dans l’histoire le Kosovo n’a fait partie de la Serbie. La réalité historique n’est pas la même que la réalité mythique. Le Kosovo a été donné comme une sorte de punition à l’Empire ottoman. Le processus a commencé au Congrès de Berlin et s’est achevé par la conférence de Londres. Robin Cook, ancien président de la Chambre des Communes, avait dit que l’engagement par les nations européennes de leurs forces aériennes pour libérer le Kosovo avait été une grande erreur.

J’ai été deux fois au pouvoir et je peux vous donner l’assurance qu’en 1997, il n’y avait pas d’autre projet que la partition du Kosovo. Les autorités de Belgrade ne voyaient pas d’autre solution, et nous nous y sommes opposés. A Rambouillet, un effort considérable a été réalisé pour trouver une solution, qui a été rejetée par Belgrade.

En réalité, Belgrade voulait la partition et, donc, l’indépendance du Kosovo est une indépendance réelle.

Lorsque le Monténégro a proclamé son indépendance, nombre d’amis européens m’ont demandé comment ce petit pays allait pouvoir survivre. En fait, il a survécu pendant des siècles en tant que pays indépendant et, aujourd’hui, il apporte une grande contribution à la paix et la stabilité dans la région.

Il en va de même du Kosovo. L’Histoire montre que le Kosovo a connu un siècle d’efforts, de luttes, de manifestations pour la liberté. Depuis que ce pays est indépendant, la région s’est beaucoup apaisée et continue à s’apaiser.

Toutes les nations, à quelques exceptions près, ont aujourd’hui reconnu l’indépendance du Kosovo et admis que cette indépendance méritait d’être défendue. Dans l’ancienne Yougoslavie, un vrai droit de veto s’exerçait sur toute décision prises au Kosovo; les différentes régions du Kosovo étaient directement dirigées et administrées par l’administration centrale. Le Kosovo n’avait aucune raison de ne pas revendiquer son indépendance et vous êtes vous-même, Monsieur Agramunt, le représentant d’un grand pays ami qui a envoyé des missions au Kosovo et apporté de grandes contributions à l’évolution de la situation de ce pays. Il en faudra d’autres pour que soit bien prise en compte la nouvelle réalité qui se met en place dans ce pays.

M. NAGY (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je tiens à vous féliciter des progrès considérables économiques et politiques réalisés par l’Albanie depuis 20 ans. L’économie de votre pays n’a pas cessé de croître, même en ces dernières années de crise. C’est un bel exemple pour les autres pays d’Europe. Pouvez-vous nous dire brièvement comment s’expliquent les grands succès économiques rencontrés par l’Albanie? Comment gérez-vous l’impact de la crise économique internationale?

M. Berisha, Premier ministre d’Albanie (interprétation)

Fiscaliste d’origine, je ne connaissais rien à la politique quand je m’y suis engagé, mais je croyais beaucoup à Ronald Reagan et étais convaincu que les impôts doivent être légers et que les comptes des particuliers sont bien plus importants que ceux du gouvernement. J’ai sur cela le même avis que Ronald Reagan.

Nous avons, grâce à cela, très rapidement connu une croissance à deux chiffres, et quand je suis revenu au pouvoir, j’ai remis en place une politique d’impôts faibles. Nous avons réduit de 10 % les impôts sur les entreprises et de 15 % les cotisations sociales. Cela a permis à tous de souffler, et de doubler, voire de tripler l’activité économique dans mon pays. J’ai voulu libérer le pays des excès bureaucratiques et nous sommes aujourd’hui parmi les 10 pays qui ont l’administration la plus légère par habitant et nous nous efforçons d’aller toujours dans ce sens.

Face à la crise en cours, je me dis que seul le secteur privé parviendra à nous en sortir. Nous devons donc trouver les moyens aider le secteur privé parce qu’en tant que puissance publique, nos moyens pour lutter contre la crise sont faibles.

LE PRÉSIDENT

Il ne reste que trois orateurs inscrits. Malheureusement, il me faut maintenant interrompre la liste, car M. le Premier ministre a un avion à prendre. J’en suis désolé pour les trois parlementaires qui ne pourront pas poser leur question.

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre discours et d’avoir répondu aux nombreuses questions qui vous ont été posées, en espérant vous revoir le plus rapidement possible à Strasbourg ou à Tirana.