Poul

Schlüter

Premier ministre du Danemark

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 29 janvier 1991

Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs,

Le théologien anglais Richard Hooker disait déjà, au XVIe siècle, que tout changement, même pour le meilleur, comporte des inconvénients.

On ne peut qu’approuver cette formule lorsqu’on considère les événements qui se déroulent en Europe depuis deux ans.

La vitesse et l’enthousiasme avec lesquels les pays d’Europe centrale et orientale ont gagné leur nouvelle liberté sont impressionnants. Bien des difficultés nous attendent et les problèmes à régler sont multiples et variés – la situation inquiétante en Yougoslavie en est un exemple frappant – mais l’espoir de voir notre continent progresser est mieux fondé aujourd’hui qu’il y a quelques années. L’image de cette nouvelle Europe, qui est en train de s’esquisser, est celle d’une Europe construite sur les idées et les valeurs mêmes qui sont à l’origine de la création du Conseil de l’Europe.

Je suis sincèrement heureux de l’occasion qui m’est offerte de parler devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. C’est pour moi un plaisir et un privilège.

Je dirai, pour commencer – et on ne le répétera jamais assez – que ce sont les peuples d’Europe centrale et orientale eux-mêmes qui ont opéré les changements radicaux dont nous avons été les témoins. Les événements qui se sont déroulés il y a quelques semaines seulement en Union Soviétique en sont l’illustration la plus récente. Le mérite de cette liberté nouvellement acquise revient à ceux-là mêmes qui ont enduré l’absence de liberté et des conditions de vie difficiles pendant des décennies.

Les efforts déployés par l’Occident n’ont pourtant pas été sans effet. Je veux parler de notre insistance et de notre persistance à défendre inlassablement la démocratie et les droits de l’homme – surtout dans le cadre du Conseil de l’Europe et de la CSCE. Je veux parler aussi de la manière dont nous avons structuré notre coopération et donné des exemples d’une Europe autre et meilleure – la coopération avec la Communauté, mais aussi avec l’OTAN, sont à mentionner à cet égard. A partir de là, nous allons tout mettre en œuvre pour construire une nouvelle Europe, libérée de tout antagonisme.

Toutefois, pendant cette période de transition, nous qui appartenons à la partie nantie de l’Europe, nous devons prendre en charge – individuellement et à travers nos organisations communes – nos voisins qui se sont rapprochés de nous. Le succès de notre entreprise signifierait une Europe libre et intégrée. Je n’ose penser aux conséquences en cas d’échec.

Dans cette configuration européenne porteuse d’espérance, le Conseil de l’Europe joue déjà un rôle actif et vital, celui de promouvoir et de développer l’identité européenne, identité fondée sur le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit.

La Convention européenne des Droits de l’Homme a été signée il y plus de quarante ans. Ses organes, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, constituent le meilleur dispositif de protection des droits de l’homme du monde moderne. Le droit de recours individuel et la compétence obligatoire de la Cour sont les éléments clés de ce système unique en son genre. Les règles communes énoncées dans la Convention ne sont pas seulement garanties et défendues, elles sont aussi développées par l’impact concret que les décisions de ces organes ont sur les systèmes juridiques des Etats membres.

L’évolution de la situation en Europe centrale et orientale a déjà ouvert un nouveau et vaste champ d’activité pour le Conseil de l’Europe. Je suis très impressionné par les activités entreprises dans le cadre du programme Démosthène qui prévoit notamment une assistance pour l’introduction des réformes constitutionnelles, juridiques et administratives. Je citerai aussi le programme For East, programme d’études avancées en sciences et technologies. Le Conseil de l’Europe est compétent dans ces domaines et je suis heureux de voir que cette compétence est utilisée en Europe centrale et orientale pour aider à l’édification des nouvelles démocraties.

Couvrant une aire géographique encore plus large, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe joue aujourd’hui un grand rôle. La CSCE est un élément essentiel du nouveau tableau européen. Je tiens particulièrement à faire observer que la CSCE encourage le dialogue transatlantique et permet en même temps à l’Union Soviétique d’entretenir des relations étendues avec le reste de l’Europe. Il est important que nous encouragions le maintien d’un engagement nord-américain en Europe et évitions que l’Union Soviétique s’isole une fois de plus du reste de l’Europe. Il serait cependant naïf de ne pas voir les limites de cette coopération.

Cela m’amène à souligner les possibilités et les responsabilités du Conseil de l’Europe qui, naturellement, ne peut pas ne pas être affecté par les changements en cours en Europe. On s’interroge parfois sur l’opportunité de rechercher l’élargissement de la coopération plutôt que son approfondissement; en d’autres termes, on se demande s’il est préférable d’augmenter le nombre des membres au détriment de l’intensification de la coopération. A mon avis, c’est une façon erronée de considérer le problème. Ce qui fait l’intérêt du Conseil de l’Europe, même pour les Etats non membres, c’est son caractère dynamique. La réponse est donc que nous devrions poursuivre l’intégration tout en témoignant de l’ouverture vers l’extérieur que le Conseil de l’Europe a toujours démontrée tout au long de son existence.

Dans la situation actuelle, cela signifie tout d’abord que nous devons poursuivre et conclure les conférences intergouvemementales en cours. Ensuite, nous devons être prêts à entamer des négociations avec les pays européens qui remplissent les conditions d’adhésion et qui la demandent. Enfin, nous devons donner aux pays qui ne satisfont pas encore aux conditions d’adhésion l’espoir qu’à long terme ils pourront devenir membres. C’est ce qui se passe dans le cadre des accord dits «d’association». A cet égard, aider ces pays tout en leur niant toute possibilité d’échanges commerciaux serait un non-sens. Il pourrait en résulter une dépendance regrettable et il serait absurde, voire dangereux, de prêcher les vertus du marché libre et de pratiquer un protectionnisme obsolète.

On peut se demander pourquoi – alors que les unions se désintègrent à l’Est – nous essayons de les construire en Europe occidentale. Comment expliquer ce phénomène?

Il est évident que l’économie connaît depuis quelques années un processus d’internationalisation rapide. Il en est ainsi en Occident et l’Est est arrivé à la même conclusion.

Ces tendances économiques fondamentales se manifestent parallèlement à un mouvement culturel inverse. Le besoin d’une identité culturelle et nationale s’intensifie tandis que la société doit s’adapter aux réalités économiques du monde moderne.

Je suis convaincu que le refus des communistes de reconnaître cette situation a contribué à la désintégration à laquelle nous avons assisté. Pour couronner le tout, nous voyons renaître le nationalisme sous sa forme la plus sinistre. Dans de nombreux cas, les conflits et les différences qui étaient restés en sommeil pendant soixante-quinze ans se sont réveillés.

En Europe occidentale, il y a seulement cinquante ans, le nationalisme nous conduisait à la catastrophe. Pourtant, nous connaissons aujourd’hui une coexistence confiante et riche de promesses. En même temps, chacun de nous est pleinement conscient de sa propre identité nationale et culturelle. C’est un argument convaincant pour le modèle que nous avons choisi.

Cela ne veut pas dire que nous avons trouvé la vérité unique et définitive. Nous croyons de plus en plus à la décentralisation culturelle. Ce principe est lié à la notion de coopération régionale et de transfert de compétences aux collectivités locales.

Nous pouvons espérer aujourd’hui que les graves problèmes de sécurité qui ont caractérisé la scène européenne au cours des quarante dernières années resteront désormais à l’arrière-plan. Cependant, il ne faut pas oublier que l’Europe doit veiller à sa sécurité, sur le plan interne et dans ses relations avec le reste du monde.

La coopération au sein de l’OTAN constitue toujours une base réaliste pour la sécurité de ses Etats membres, surtout parce qu’elle entretient les liens nécessaires avec les Etats d’outre-Atlantique. Mais l’OTAN, qui s’adapte à l’évolution de la situation, représente aussi un élément fort et nécessaire de stabilité et de prévision concernant la sécurité de toute l’Europe. Le Président Boris Eltsine l’a certainement ressenti, lui qui, au plus fort des heures dramatiques de la crise soviétique il y a quelques semaines, a téléphoné au siège de l’OTAN au cours de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles.

Une chose est tout à fait sûre: la scène européenne – ou l’architecture européenne – deviendra beaucoup plus complexe que ce que nous avons connu au cours des dernières décennies. De nouveaux Etats sont nés, et d’autres suivront peut-être. En même temps, de nouveaux défis vont se poser à nos structures de coopération. Ce sera difficile. L’histoire de l’Europe est remplie d’échecs tragiques. Il faut maintenant unir nos efforts pour éviter que de tels échecs ne se reproduisent. Tandis que nous réglons nos propres problèmes, nous devons comprendre que nos relations avec le reste du monde prennent une importance croissante. C’est le cas de la politique commerciale, et de notre contribution pour répondre aux défis mondiaux. Le monde s’est vraiment rétréci. Ce phénomène a également conduit à l’augmentation des pressions aux frontières, en particulier de la part des populations désespérées du Proche-Orient ou des pays du Maghreb. Il va de soi qu’aucun pays d’Europe ne peut absorber des immigrés de manière illimitée. Mais il est tout aussi évident que nous – habitants de la région la plus riche du monde – avons le devoir d’aider sous diverses formes les pays défavorisés. Dans le cadre de la coopération communautaire, nous œuvrons pour apporter une solution à ce problème. Je me félicite de ce que le Conseil de l’Europe traite également cette question importante.

Dans cette nouvelle Europe plus complexe, il semble que de multiples formes de coopération régionale apparaissent. J’estime qu’il s’agit d’une évolution très positive que nous avions aussi prévue, comme vous le savez, dans le cadre de la Communauté. En tant que Danois, il est naturel que je cite la coopération nordique comme exemple d’une coopération régionale fonctionnant dans la confiance et sans heurts. Sa réussite peut être attribuée à nos origines culturelles presque homogènes, mais aussi au fait que chacun de nos pays s’est efforcé de se rapprocher des autres. Dans la nouvelle configuration européenne qui se dessine, on voit nettement que les pays nordiques se rapprochent du reste de l’Europe. Comme vous le savez, la Suède a posé sa candidature à la Communauté européenne. En Norvège, ainsi qu’en Finlande, la question fait actuellement l’objet d’un débat. Et, en tant que membres de l’AELE, ces pays attendent une association plus étroite avec la Communauté dans ce que l’on appelle l’Espace économique européen. Je ne vous cacherai pas que, du point de vue du Danemark, il serait bon que tous les pays de la région nordique fassent un jour partie de la Communauté. La coopération régionale que j’ai évoquée en sera revitalisée. Mais de nouvelles perspectives intéressantes s’ouvrent aussi dans notre voisinage. Je pense au renforcement d’une coopération dans la région de la mer Baltique. C’est avec un grand plaisir que nous venons d’accueillir les Etats baltes au sein de la famille européenne.

Jusqu’où pouvons-nous nous rapprocher, jusqu’à quel point pouvons-nous coopérer? Dans une large mesure, cela dépendra finalement de notre capacité à trouver un lieu où partager les mêmes idéaux et valeurs. Les traités et les alliances sont des instruments excellents et nécessaires. Mais la base de coopération la plus solide est la confiance mutuelle qui naît d’un rapprochement des valeurs. C’est là que je vois la mission essentielle du Conseil de l’Europe dans les années à venir. Vous-mêmes, membres de l’Assemblée parlementaire, avez déjà fait beaucoup en ce sens.

A de nombreuses reprises, l’Assemblée a montré sa capacité à établir des contacts, et pas seulement entre les peuples des Etats membres de l’Organisation. Votre action en faveur des Etats baltes a contribué à préparer la voie qu’ils suivent maintenant. Cet été encore, vous avez pris l’initiative d’organiser à Helsinki une audition à laquelle ont participé des hommes politiques d’Union Soviétique. Et maintenant vous avez accordé à l’Estonie, à la Lettonie et à la Lituanie le statut d’invité spécial en attendant leur adhésion complète au Conseil de l’Europe.

Je tiens à souligner que dans l’application de sa politique l’Assemblée parlementaire remplit des fonctions importantes et profite des nombreuses occasions qui lui sont offertes. C’est pourquoi elle est extrêmement respectée au Danemark.

Vous avez le pouvoir – et à mon sens vous en usez avec succès – d’établir des contacts et une coopération entre les peuples par-delà les frontières. Par ces contacts, vous développez et diffusez les valeurs fondamentales qui constituent la base de la démocratie.

J’estime très important d’insister sur ce point particulier. Il est possible évidemment, grâce à des programmes d’assistance, de contribuer à l’élaboration des structures et des systèmes nouveaux. Cependant, dans chaque pays, la démocratie est l’affaire de la population. Les principes élaborés et défendus par cette Assemblée sont fondamentaux pour la formation des nouvelles démocraties.

Tout aussi essentielle est la capacité de l’Assemblée – par le biais de ses recommandations et de ses débats – à faire des propositions nouvelles au Comité des Ministres. Vos débats de politique étrangère – notamment sur le rôle du Conseil de l’Europe dans le nouveau contexte européen – constituent des sources d’inspiration. Ils suscitent une réflexion et des idées nouvelles sur la manière dont nous voulons nous organiser dans une nouvelle Europe où les idéaux du Conseil de l’Europe s’imposent de plus en plus.

Ce débat qui a lieu depuis quelque temps se poursuivra, j’en suis persuadé, parallèlement à l’évolution de l’Europe.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, laissez-moi vous exprimer une fois de plus ma gratitude pour m’avoir permis de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en citant Walter Hallstein: «En ce qui concerne l’Europe, celui qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste.» (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, pour votre allocution aussi intéressante que dense. De nombreux parlementaires ont souhaité vous poser des questions. Compte tenu du temps dont nous disposons, je demanderai aux membres de l’Assemblée de poser des questions sans faire de déclarations et de se limiter à trente secondes par question. La parole est à Sir Geoffrey Finsberg.

Sir Geoffrey FINSBERG (Royaume-Uni) (traduction)

Pourriez-vous, Monsieur le Premier ministre, clarifier deux points soulevés dans votre discours? Tout d’abord, lorsque vous avez mentionné l’OTAN, vouliez-vous dire que la défense de l’Europe doit rester de la compétence de l’UEO et non passer à la Communauté? Ensuite, pouvez-vous confirmer que l’organisation future de l’Europe se situera dans le cadre du Conseil de l’Europe, et non de la bizarre confédération que préconise un des pays membres?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Je pense que c’est l’OTAN qui est l’instrument privilégié de la défense en Europe pour les années à venir. Il est essentiel de ne pas essayer de lui substituer autre chose. Bien évidemment, l’OTAN doit évoluer. Son rôle, ses techniques et sa stratégie dans les années à venir seront bien différents de ce à quoi nous sommes habitués. Mais je suis persuadé que l’OTAN et le lien à travers l’Atlantique sont toujours primordiaux. En conséquence de quoi, je pense que l’UEO sera appelée à jouer un rôle plus réduit. L’UEO existe, elle est utile et aura son rôle à jouer, mais elle ne doit pas venir se substituer à l’OTAN.

Quant à l’idée d’une confédération européenne, je dis clairement que je n’y suis pas favorable.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, d’avoir répondu clairement à la question. J’ai beaucoup d’orateurs inscrits sur ma liste et, si je ne me trompe pas, Mmes Ekman et Arnold désirent toutes deux vous poser une question à propos des Etats baltes. Si nous les écoutons l’une après l’autre, le Premier ministre pourra répondre en une seule fois.

Mme EKMAN (Suède) (traduction)

Le Danemark a joué un rôle important dans ce problème en renouant très rapidement des relations diplomatiques avec les Républiques baltes. Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour intégrer les nouveaux Etats baltes dans notre coopération européenne?

Mme ARNOLD (Danemark) (traduction)

Je suis désolée, mais ma question ne porte pas sur les Etats baltes; je la poserai donc plus tard.

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Il est vrai qu’au cours des dernières années le Gouvernement danois, comme d’autres gouvernements nordiques, s’est montré désireux d’établir des relations étroites avec les Etats baltes. Si l’Histoire devait retenir que, par nos pressions, nous avons aidé ces trois nations à acquérir leur indépendance, nous en serions très heureux.

Vous avez pris la bonne décision en acceptant les trois Etats baltes dans cet hémicycle. Je me réjouis de la rapidité de votre décision, ce n’est que justice. A présent, nous devons essayer d’aider, surtout sur le plan économique, ces Etats indépendants. Nous devons aussi trouver un moyen d’échanger du personnel en grand nombre – notamment des experts compétents dans divers domaines. Nous devons inviter de nombreux jeunes dans nos universités et leur apporter les connaissances techniques et de gestion nécessaires. Nous avons une responsabilité particulière envers les trois nouveaux Etats baltes, outre nos obligations à l’égard des autres anciens régimes communistes qui sont devenus des démocraties. Le problème est très vaste et nous devons le traiter avec le plus grand sérieux.

Mme ARNOLD (Danemark) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui agit sous les auspices du Conseil de l’Europe, a fait paraître un rapport sur la situation dans les prisons danoises. Le Danemark a décidé de communiquer ce rapport au public, démarche qui a suscité dans l’opinion publique un débat ouvert, approfondi et critique sur les problèmes soulevés par le rapport.

Quelles sont les raisons qui ont poussé le Gouvernement danois à prendre cette décision? Le Gouvernement danois a-t-il émis des réserves ou des hésitations quant à la publication de ce rapport? Va-t-il faire en sorte d’encourager d’autres pays à publier des rapports de la commission?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Je pense qu’il est normal aujourd’hui de rendre public ce genre de rapport. C’est le jeu de la démocratie. Il est essentiel que le public puisse disposer d’informations sur des sujets importants et que les médias puissent traiter de ces sujets et porter sur eux un regard critique. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de publier ce rapport sur les conditions de détention dans les prisons danoises.

Ce rapport contenait quelques critiques. Cela n’a pas posé de problème; la critique est nécessaire et le Gouvernement saura y faire face et voir ce qui a suscité les critiques. Je serais heureux que d’autres gouvernements décident de publier des rapports similaires sur leurs prisons, de sorte que le public puisse veiller activement à ce qu’il soit remédié aux carences constatées.

M. BANKS (Royaume-Uni) (traduction)

Je remercie le Premier ministre de son excellente présentation des récents événements en Europe. J’aimerais lui poser une question dont l’importance peut sembler toute relative après la constellation d’événements qu’il vient de décrire.

J’aimerais vous poser une question à propos des îles Féroé. Je sais bien que le Danemark n’a qu’une responsabilité limitée concernant cet archipel, mais le Premier ministre est-il conscient que les Britanniques sont très préoccupés par le massacre des baleines perpétré depuis longtemps par les habitants des îles Féroé? La baleine est un animal intelligent, à sang chaud; l’opinion publique britannique est révoltée par la vision de ces magnifiques animaux massacrés et de la mer rougie par leur sang. Le Premier ministre peut-il faire quelque chose pour que cesse cette tuerie?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Je suis content que vous me posiez cette question, car il y a souvent un malentendu à ce propos. Les îles Feroé dépendent presque totalement de la pêche et des industries qui y sont liées. La pêche à la baleine fait partie d’une tradition millénaire. Les conditions dans lesquelles elle s’effectue – tout comme son ampleur – ne sont évidemment pas sans importance.

En tant que Premier ministre du Danemark, je suis responsable des relations entre le Danemark et les îles Féroé. Mais ces îles jouissent d’une large autonomie et cela est également valable pour leurs activités de pêche. La pêche à la baleine relève des autorités locales.

D’après les experts, cette espèce de baleine est abondante – c’est du moins l’opinion de la majorité d’entre eux – et la chasse par les habitants des îles Féroé ne la met pas en danger. Depuis quelques années, des normes très strictes sont appliquées aux méthodes de pêche. J’espère que cette question ne continuera pas à défrayer la chronique comme elle a pu le faire récemment à cause d’une certaine presse.

M. ROWE (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité que la Communauté européenne s’élargisse et n’élève pas de barrières. Les produits de loin les plus disponibles dans les nouveaux Etats qui se forment à l’est sont sans doute les produits agricoles. Je suis très troublé par le fait que la Communauté européenne semble multiplier les obstacles à l’exportation de leurs produits dans la Communauté. Partagez-vous mon sentiment?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Dans les négociations avec certaines des nouvelles démocraties d’Europe orientale et centrale, la question de l’importation de leurs produits à destination de l’Europe occidentale est bien sûr primordiale. Je regrette que la ligne de conduite de la Communauté soit jusqu’à présent si restrictive. Nous devons accepter d’importer certaines denrées alimentaires, c’est tout à fait normal. Mais il y a des restrictions s’appliquant à notre propre production en Europe et c’est assez dur pour nos agriculteurs; c’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir un système d’importation totalement libre. Mais nous devons ouvrir notre marché, dans une certaine mesure, et la solution pourrait être d’importer certains produits alimentaires bruts, de les traiter dans nos usines et de les transformer en un produit plus sophistiqué, destiné à la consommation en Europe de l’Ouest, ou encore à l’exportation vers d’autres régions du monde, où les denrées alimentaires manquent.

Si nous voulons nous associer et pouvoir exporter nos produits librement vers les nouvelles démocraties d’Europe orientale et centrale, nous devons également accepter qu’elles puissent nous vendre, dans des proportions raisonnables, ce qu’elles ont l’habitude de produire, y compris les denrées alimentaires.

M. KÖNIG (Autriche) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, après les résultats positifs des deux conférences intergouvemementales sur l’union politique et sur l’union économique et monétaire en Europe, votre Gouvernement est-il favorable à des négociations immédiates pour l’entrée de l’Autriche et de la Suède dans la Communauté européenne aussitôt que la commission aura publié son rapport sur la demande d’adhésion de la Suède?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Je souhaiterais que les négociations à propos des candidatures de l’Autriche et de la Suède commencent dès demain. Bien évidemment, la CEE a d’autres préoccupations en ce moment, mais j’aimerais que l’Autriche et la Suède nous rejoignent dès que possible. Je pense que la Finlande ne tardera pas à suivre le même chemin. C’est effectivement ce que je souhaite.

J’ai dit il y a quelques instants que j’étais hostile à ce que l’on appelle une «confédération européenne». Je ne me suis pas étendu sur les raisons de ma position, mais je crains qu’une telle construction ne nous serve d’excuse pour refuser toute nouvelle candidature, et je ne veux pas entendre parler de cette excuse. Je souhaite que d’ici peu – en l’an 2000 environ – la CEE compte non pas douze ni dix-sept membres, mais plus de vingt. Cela signifierait bien sûr une modification en profondeur de nos méthodes de travail. Cela n’ira pas sans mal (rires). Mais nous savons tous de quelle nature seraient les difficultés, car nous rencontrons tous le même type de problème. Aucun prétexte ne saurait être invoqué pour refuser la candidature d’un pays qui souhaiterait faire partie d’une organisation internationale si ce pays remplit les conditions requises.

M. REDDEMANN (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, eu égard à la crise en Yougoslavie, voyez-vous une possibilité pour que les Etats membres du Conseil de l’Europe s’entendent sur des activités communes qui n’existeraient pas exclusivement sur le papier ou même avant ce stade ou pensez-vous qu’il serait plus judicieux de forcer l’allure en ce qui concerne l’union politique européenne, dont nous venons de parler, afin que l’Europe, du moins le noyau central de l’Europe, puisse s’exprimer plus rapidement d’une seule et même voix, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Comme vous le savez, le prochain sommet aura lieu aux Pays-Bas à la mi-décembre, et je crois que les deux conférences gouvernementales pensent terminer leurs travaux en décembre.

Nous renforcerons notre coopération sur des questions relatives à la sécurité et à la politique étrangère. Bien que je sois persuadé que la Communauté parlera de plus en plus «d’une seule voix», il faudra que l’on y parvienne de manière naturelle. Personnellement, je ne crois pas que les questions importantes de politique étrangère doivent être tranchées par un vote à la majorité. Je ne pense pas que cela soit souhaitable; si nous devons certes coopérer et travailler en liaison étroite, cela doit se faire naturellement. Croyez-vous vraiment que la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Grande-Bretagne soient prêtes à accepter qu’on leur impose quoi que ce soit s’agissant de questions vitales? Soyons réalistes. Comme je l’ai souligné, essayons de coopérer et de parler d’une seule voix sur les questions de politique étrangère aussi souvent que possible et d’une manière générale, mais il ne faut pas empêcher les Etats membres de suivre leur propre voie dans certains cas particuliers ou pour certaines questions, lorsque leur traditions ou le contexte intérieur l’exigent.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie Monsieur le Premier ministre. Il ne nous reste plus que deux questions à entendre; si elles sont brèves nous pourrons en avoir terminé avec les questions avant 13 heures. Je donne la parole à M. Laakso d’abord, puis à M. Fourré.

M. LAAKSO (Finlande) (traduction)

Je suis finlandais, Monsieur le Premier ministre. Comme vous le savez, il y a un sérieux conflit entre le Danemark et la Finlande à propos de la construction de ponts. Vous avez évoqué en termes très positifs la coopération entre les pays Scandinaves; y a-t-il une possibilité de compromis qui soit acceptable pour nos deux pays?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

C’est une bonne question. J’aimerais pouvoir vous proposer une solution immédiate, mais c’est impossible. Le problème, c’est que le Danemark est en train de construire un pont entre nos deux îles principales, et qu’un autre pont est prévu entre le Danemark et la Suède. D’un point de vue historique et moral, on ne peut qu’approuver cette décision, car cela signifie que les pays Scandinaves et le continent européen se rapprochent. Cependant, lorsqu’on construit un pont, un problème technique se pose, à savoir quelle sera la hauteur maximale autorisée. Des facteurs économiques entrent également en jeu. Le pont au-dessus de ce qu’on appelle le «grand Belt» aura soixante-cinq mètres de haut, mais un responsable de chantier naval suédois prétend qu’il construit de temps en temps des plates- formes pétrolières qui peuvent dépasser cette hauteur.

J’espère que nous saurons trouver une solution pratique, mais ce n’est pas encore le cas. Il serait dramatique que la Cour internationale de justice soit appelée à trancher. Je ne supporterais pas que mes amis finnois soient complètement perdants dans ce débat. Cela serait trop pénible; faisons donc en sorte de trouver le compromis auquel nous consacrons tous nos efforts.

M. FOURRÉ (France)

Monsieur le Premier ministre, lorsque je me suis inscrit au moment où l’un de mes collègues parlait, j’avais une certaine conception de la future confédération et votre première réponse ne m’avait pas donné tout à fait satisfaction. Je vous remercie de l’avoir précisée par la suite, en indiquant qu’à une confédération vous préféreriez un engagement plus volontariste, avant la création d’une Europe idéale.

J’apprécie cette préférence qui sera encore l’objet de longs débats entre nos différents gouvernements, entre nous, au sein de l’Assemblée parlementaire et dans bien d’autres enceintes.

Je me réjouis donc de constater que si votre première réponse semblait donner satisfaction à notre collègue, les raisons qui vous avaient conduit à la formuler étaient en réalité à l’opposé de celles de l’auteur de la question.

Dans ce contexte, et compte tenu du choix que vous avez exprimé, n’y a-t-il pas un risque, à terme, que le Conseil de l’Europe ne joue plus son rôle et disparaisse, cédant la place à cette communauté élargie que vous avez décrite?

M. Schlüter, Premier ministre du Danemark (traduction)

Bien que la CEE soit destinée à compter de plus en plus de pays membres dans les années à venir, je suis moi aussi persuadé que le Conseil de l’Europe continuera à jouer un rôle important parce que les membres des deux organisations ne sont pas les mêmes. Votre – ou plutôt notre – Organisation est plus à même de traiter certaines questions. Je pense à nombre de questions juridiques ou relatives aux droits de l’homme, ou même à des problèmes plus importants. Nous pourrions mettre en place une instance qui, sous l’égide du Conseil de l’Europe, serait chargée de résoudre les conflits ethniques en Europe. Croyez- moi, une telle instance sera plus que jamais nécessaire à l’avenir pour faire face efficacement à l’inévitable multiplication des problèmes de cet ordre. C’est une mission importante qui échoit tout naturellement au Conseil de l’Europe.

Il y aura bien d’autres problèmes à l’avenir et, indépendamment de ce qui se passe dans la Communauté européenne, qui va devenir une organisation plus forte et plus puissante, je suis sûr que vous ne serez pas sans occupation dans les années qui viennent.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre. Le brio dont vous avez fait preuve en répondant à neuf questions en vingt-cinq minutes en dit long sur votre expérience de parlementaire, dont plusieurs années au sein de cette Assemblée. Vous avez répondu avec franchise, clarté et brièveté. Nous vous remercions vivement d’être venu et d’avoir répondu aux questions comme vous l’avez fait, et aussi d’avoir aujourd’hui affirmé votre soutien au Conseil de l’Europe.