Gerhard
Schröder
Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 27 septembre 2000

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c’est avec plaisir que je saisis l’occasion de m’adresser à vous en ouverture de cette session d'automne de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce, pour plusieurs raisons.
Premièrement, le Conseil de l’Europe et les peuples européens ont un événement particulièrement important à célébrer cette semaine: le 50e anniversaire de l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’Homme par le Conseil de l’Europe.
Deuxièmement, parce que cela fait aussi presque exactement cinquante ans que, pour la première fois, des députés allemands ont pu intégrer ce que l'on appelait encore à l’époque «l’Assemblée consultative» du Conseil de l’Europe. Ce fut un pas important sur la voie qui ramenait les Allemands au sein de la famille des peuples européens.
Troisièmement, parce que le Conseil de l’Europe doit, ces jours-ci précisément, de nouveau faire ses preuves dans l’une de ses fonctions essentielles, à savoir en tant qu’instance morale et politique veillant au respect des droits fondamentaux et des droits de l’homme en Europe.
Dimanche dernier, la population yougoslave a opté pour un changement démocratique, cela ne fait aucun doute. Nous devrions maintenant insister tous ensemble pour que la volonté exprimée par le peuple serbe soit acceptée et pour qu’il n’y ait pas d’escalade de la violence. Une Yougoslavie démocratique, dans laquelle les droits de l’homme sont respectés, reprendra, à égalité de droits, la place qui lui revient en Europe.
Mesdames, Messieurs, on n’a cessé de répéter que l’Europe, notre continent, ne pouvait être seulement définie d’un point de vue géographique. Historiquement, «l'Europe» a toujours été un projet politique, pour le meilleur et pour le pire. L’Europe est façonnée par ses habitants; il est d’autant plus important que des Européens courageux se soient employés, immédiatement après la seconde guerre mondiale, après le génocide et l’effroyable destruction, à ériger une nouvelle Europe libre et juste.
A cette fin, un millier de délégués issus de plus de vingt pays se sont réunis en mai 1948 à La Haye. Il fut finalement décidé de mettre en œuvre en Europe une union économique et politique se fondant sur une charte commune des droits fondamentaux et des droits de l’homme. Ce fut le début du Conseil de l’Europe et, en fait, également celui de l’intégration européenne. Je pense que nous pouvons tous en être fiers.
Les fondateurs de ce mouvement n’étaient d’ailleurs pas seulement des hommes politiques. C’étaient des femmes et des hommes qui s'engageaient avec ferveur pour les principes de l’Aufklärung européenne, pour les idéaux de la liberté et de la dignité humaine, et pour la primauté du droit.
En Allemagne aussi, le pays qui avait causé tant de souffrances et de destructions à ses voisins et à lui- même, nombreux furent ceux, des jeunes surtout, qui se rallièrent à ce «mouvement du Conseil de l’Europe». Pour la jeune république fédérale, le Conseil de l’Europe créé en 1949 fut le meilleur moyen de prouver qu’elle aspirait sérieusement à la démocratie, à l’Etat de droit et au respect des autres. Le Conseil de l’Europe fut la première organisation politique internationale à laquelle la République fédérale d'Allemagne put adhérer. Grâce à cela, des adversaires du passé devinrent des partenaires européens.
D’autres étapes de la construction européenne ont suivi jusqu’à la réalisation économique, sociale, monétaire et politique dont les fondateurs du Conseil de l’Europe auraient tout au plus rêvé. Ainsi, le Conseil de l’Europe demeure le symbole du départ réussi de l’intégration de l’Allemagne dans une Europe convergente qui, aujourd’hui, semble tellement aller de soi. Je tiens à le dire ici très clairement: l’Allemagne et les Allemands en sont infiniment reconnaissants au Conseil de l’Europe.
Mesdames, Messieurs, au plus tard depuis le tournant des années 89-90, le Conseil de l’Europe a acquis une importance véritablement paneuropéenne. Dans cette enceinte se forge, dans certains domaines importants, le nouveau visage de l’Europe. Comme ce fut le cas au cours des décennies antérieures, le Conseil de l’Europe appuie la mise en place de structures démocratiques et de l’Etat de droit sur notre continent. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Organisation a en effet accueilli seize Etats réformateurs d’Europe centrale et orientale. Deux autres candidats vont bientôt en devenir membres. L’ouverture du Conseil de l’Europe depuis 1990 vers l’Europe centrale et orientale est d’une portée politique mais aussi pratique que l'on ne saurait sous-estimer. Elle reflète la solidarité pratiquée dans la construction d’une Europe qui se fonde sur un système de valeurs communes. Le Conseil de l’Europe réalise, pièce par pièce, la vision d’une Europe sans ligne de séparation.
Etre membre du Conseil de l'Europe signifie dans le même temps être introduit dans une communauté de valeurs dont la priorité est de défendre les droits inaliénables. L’Europe est construite sur cette assise de droits politiques, sociaux et économiques, bref, sur l’ensemble des droits civiques et des droits de l’homme. Cela ne pourra jamais être remis en question. Il appartient tout spécialement au Conseil de l’Europe de surveiller et de défendre ces droits lors de la structuration de notre continent.
Ces valeurs communes forment le cadre solide d’une coopération intensive entre tous les Etats européens. L’intégration globale des nouveaux membres d’Europe centrale et orientale au Conseil de l’Europe est donc une contribution importante au resserrement de notre continent. Le label de qualité du Conseil de l’Europe demeure un préalable pour participer au processus d’unification politique dans le cadre de l’Union européenne.
A cet égard, le Conseil de l’Europe contribue également de manière importante à l’harmonisation et à la création d’un concept commun du droit. Plus de 170 conventions ont déjà été adoptées. Ce faisant, une multitude de questions sociétales, allant de la coopération culturelle à la médecine biologique, sont réglementées – ce, toujours dans l’esprit d’une application des droits fondamentaux contre l’arbitraire.
Permettez-moi de constater qu'au cours des cinquante dernières années le Conseil de l’Europe a réussi l’exploit, même s’il n’a pas toujours fait la une des journaux, de créer un cadre juridique au sein duquel des sociétés civiles politiquement éclairées, tolérantes et pacifiques peuvent se développer en Europe. Mesdames, Messieurs, la défense des droits de l’homme en Europe est notre préoccupation commune prioritaire. En cela, la Convention européenne des Droits de l’Homme nous montre à tous la voie à suivre. Celle-ci et la Cour européenne des Droits de l’Homme qui en a résulté sont des instruments importants pour la défense des droits de l’homme des quelque 800 millions de personnes qui vivent aujourd’hui dans les 41 Etats membres du Conseil de l’Europe. Veiller au respect des droits de l’homme demeure une tâche permanente.
Les conflits internationaux, mais aussi de plus en plus nationaux, n’ont cessé de nous montrer crûment au cours des dix dernières années que la fin de la guerre froide ne signifiait pas pour autant la fin des conflits. L’Europe a tiré d’importantes leçons de ce constat. Elle s’est nettement mieux organisée au cours des dernières années. Elle a essayé de trouver des réponses communes aux défis et de placer son action sur une plate-forme commune. Toutefois, nous sommes appelés à poursuivre nos efforts conjoints sur trois points essentiels.
Premièrement, nous devons accélérer nos efforts pour que l’espace juridique européen prime et nous engager pour que les valeurs communes européennes soient respectées – tout comme les devoirs qui en découlent. Le Conseil de l’Europe joue, dans ce domaine, un rôle de précurseur. Plus que toute autre organisation européenne, il s’est doté, au cours des dernières années, d’outils efficaces qui permettent de vérifier que ses membres respectent leurs engagements. Il peut ainsi découvrir, dès, le départ, d’éventuelles situations inadmissibles et, partant, les combattre. Dans ce contexte, la procédure de suivi de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres revêt un rôle important. D’autres outils essentiels, comme le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ainsi que le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, nommé pour la première fois Tannée dernière, sont également des outils préventifs majeurs du Conseil de l’Europe.
Il serait sans doute utile d’informer une opinion publique plus large dans les pays du Conseil de l’Europe de l’effet positif de ses institutions. On pourrait, par exemple, publier les résultats de la procédure de suivi du Comité des Ministres.
Deuxièmement, une Europe des hommes et des droits de l’homme telle qu’elle a été inscrite dès le départ au programme du Conseil de l’Europe est incompatible avec le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. L’histoire du siècle dernier a montré que nous, Européens, devons nous opposer de bonne heure à ces tendances meurtrières. Aujourd’hui encore, le racisme n’a pas disparu et il y a des personnes qui refusent de tirer les enseignements de cette Histoire sanglante, nous en
sommes témoins dans les rues de l’Europe, y compris – malheureusement – en Allemagne. La position du Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne est immuable sur ce point: une société tolérante ne saurait tolérer et ne tolérera pas l’intolérance et la violence raciste. Dans sa lutte contre l’extrémisme de droite, l’Allemagne mise sur la défense de l’Etat de droit et du monopole de l’emploi de la force dont il dispose, ainsi que sur la protection des persécutés et des minorités, sur le dialogue avec tous ceux qui se sentent exclus et qui sont prêts à dialoguer, et, avant tout, sur la capacité de résistance d’une société civile démocratique.
Dans cet effort, nous – c’est-à-dire non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi l’Allemagne démocratique dans son ensemble – nous sentons parfaitement soutenus par les activités du Conseil de l’Europe. Son programme de travail contre le racisme et l’intolérance ne peut vraiment être qualifié que d’exemplaire, mais je n’entrerai pas dans le détail – tout cela vous est parfaitement connu. Je tiens toutefois à nommer plus précisément le programme «best examples» du Conseil de l’Europe. Cette initiative qui sert à publier et à récompenser les actions et les activités exemplaires des gouvernements, mais aussi et surtout des citoyens dans l’Europe entière, indique, à mon avis, la voie qu’il nous faut tous suivre. Ces best examples nous le montrent: résister au racisme et à l’intolérance n’est pas seulement nécessaire, mais également possible pour tous ceux qui le souhaitent.
Troisièmement, il est dans l’intérêt de l’Europe que le Conseil de T Europe soit à l’avenir plus présent qu’il ne Test actuellement dans l’esprit des citoyens des Etats membres. L’Europe ne doit pas être perçue, à tort, comme un édifice simplement construit par les technocrates. L’âme de l’Europe, de l'idée européenne, ce sont ses citoyens. Or, pour que les hommes puissent ainsi s’identifier à l'idée européenne, il faut que cette grande Europe symbolisée par le Conseil de l’Europe respecte la diversité culturelle et l’identité des peuples réunis sous son toit.
La langue, vous le savez tous, joue ici un rôle tout à fait essentiel. C’est pourquoi je serais très satisfait de voir l’allemand, qui, à côté du russe, est la langue maternelle la plus parlée sur le territoire du Conseil de l’Europe, acquérir une importance accrue en son sein.
Mesdames, Messieurs, en ce début du XXIe siècle, le champ d’action du Conseil de l’Europe demeure largement diversifié et ambitieux. A l’occasion de son premier discours devant l’Assemblée parlementaire, le 1er août 1950, Carlo Schmid constatait: «L’on attend de nous une participation extrêmement vivante aux efforts des Européens démocrates qui sont sur le point de fonder une Europe de liberté et de justice, au sein de laquelle les injustices et les divergences pourront être résolues dans un esprit de paix et dans le respect des droits de l’homme et des libertés.» Après la réussite de l’intégration de presque tous les pays européens, le Conseil de l’Europe est aujourd’hui le symbole de la solidarité des peuples du continent européen. Il devrait user de tout son potentiel pour apporter son aide aux grandes réformes à venir, tout en soulignant son autonomie et sa complémentarité dans le processus de l’intégration européenne au sens large.
Pour instaurer une société européenne moderne, nous avons également besoin des contributions du Conseil de l’Europe. A l’ère de la mondialisation, la lutte contre la corruption et le blanchiment de l’argent, le combat contre le racisme et la xénophobie ainsi que la promotion des droits sociaux revêtent un caractère tout à fait primordial. A cela viennent s’ajouter des questions auxquelles le Conseil de l’Europe s’est consacré ces derniers temps: la bioéthique et la cybercriminalité, par exemple. Le Conseil de l’Europe doit traiter avec détermination ces questions d’avenir. Il a un rôle décisif à jouer pour assurer l’avenir du site européen. Nous avons besoin, plus que jamais, de son savoir et de son engagement pour suivre l’évolution de notre continent dans des domaines cruciaux.
Mesdames, Messieurs, le Conseil de l’Europe dispose d’une grande expérience dans le domaine de la coopération inter-Etats, étant donné son caractère de «réservoir d’idées» dont parlait déjà le grand Européen Robert Schuman. Il demeure donc un élément essentiel de l’architecture européenne. Voilà pourquoi je suis sûr que le Conseil de l’Europe continuera d’apporter au XXIe siècle son concours irremplaçable à l’effort persévérant de construction de l’Europe.