Edward
Shevardnadze
Président de la Géorgie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 27 avril 1999
M. Edouard CHEVARDNADZE remercie les représentants des groupes politiques et les délégations nationales pour leur soutien à l’adhésion de la Géorgie au Conseil de l’Europe.
C’est avec gratitude qu’il souligne la fidélité du Conseil de l’Europe à la démocratie, au respect des droits de l’homme, au pluralisme et à l’Etat de droit. Cette fidélité s’est traduite par la formation d’un ordre civil européen, espace uni politiquement, juridiquement et culturellement.
Le Conseil de l’Europe a vu le jour après la seconde guerre mondiale. A cause de la guerre froide, il a dû cantonner son activité uniquement aux démocraties occidentales. L’idée d’une maison unie européenne ne pouvait être réalisée, puisque l’Europe de l’Est se retrouvait séparée, derrière le rideau de fer, des valeurs démocratiques de la civilisation occidentale.
La fin de la guerre froide est considérée, après la victoire sur le fascisme, comme le deuxième grand événement de l’histoire mondiale. Le Conseil de l’Europe a eu ainsi la possibilité d’élargir l’espace spirituel européen. L’Europe a retrouvé un nouveau souffle et les Etats de l’Europe de l’Est ont repris leur place au sein de la maison européenne. La Géorgie indépendante est née de ces événements. Elle fait partie intégrante de cet espace européen qui doit lui assurer un développement démocratique et la sécurité.
L’adhésion au Conseil de l’Europe reconnaît l’Etat géorgien démocratique et lui donne ainsi une base solide pour contribuer au développement des valeurs universelles. La Géorgie a regagné l’Europe non seulement grâce à son histoire millénaire, mais aussi à ses perspectives d’avenir. Une nouvelle Constitution, des élections démocratiques, une réforme juridique ont conditionné le développement d’un processus qui doit être renforcé par la création d’institutions appropriées.
Les changements s’opèrent dans tous les domaines. La liberté de déplacement a été restaurée. Des conditions favorables ont été mises en place pour favoriser la liberté des médias et l’activité des organisations non gouvernementales. Le Conseil de l’Europe a collaboré avec la Géorgie pour instaurer un système juridique en harmonie avec les standards européens.
La Géorgie a déjà signé les conventions du Conseil de l’Europe et un programme a été adopté pour définir la coopération entreprise cette année dans le domaine juridique et dans celui de la défense des droits de l’homme. Ayant décrété cet objectif comme une priorité de l’Etat, le pays participe en outre comme observateur aux travaux du groupe multilatéral de lutte contre la corruption: non seulement il a signé la convention qui en est issue, mais il pense créer une institution spécialisée dans ce combat, institution qui sera placée sous l’autorité du Président de la République.
Grâce au soutien actif de la communauté internationale, la première phase de la réforme juridique s’est conclue par la mise en place d’une justice indépendante. Malgré la diversité des opinions, la société géorgienne a unanimement soutenu le processus et l’adoption de la loi sur la cour ainsi que la formation d’un nouveau corps de juges attestent de l’irréversibilité de cette réforme.
La Géorgie entend bien respecter les obligations qu’elle a souscrites auprès du Conseil, car elle y voit la garantie de son développement démocratique. Elle sait que, pour tenir dignement sa place dans F Organisation, elle devra fournir un travail assidu et sérieux, mais elle compte bien contribuer au renforcement de l’ordre civil européen. C’est dans le même esprit qu’elle travaille à établir cet ordre en Transcaucasie. La rencontre qui a eu lieu le 15 mars à Strasbourg, à l’initiative de Lord Russell-Johnston, entre les présidents des Parlements azéri, arménien et géorgien fera date à cet égard. II y a quelques jours, M. Chevardnadze a lui-même rencontré ses homologues azéri et arménien, et une nouvelle réunion a été prévue, en Géorgie cette fois. Il ne fait aucun doute que la poursuite de ce dialogue aura un effet positif sur le règlement des conflits dans la région et l’orateur espère que l’Azerbaïdjan et l’Arménie pourront un jour trouver leur place au sein du Conseil.
Le respect des droits de l’homme doit être entendu largement: il faut assurer la sécurité à tous les niveaux de la hiérarchie sociale: individu, groupes, Etats... Et c’est à cette aune qu’il faut apprécier l’efficacité des «institutions européennes complémentaires et interreliées». Il est inadmissible de qualifier certains conflits comme «gelés», et le nettoyage ethnique au Kosovo est inacceptable au même titre que celui dont a été victime la population géorgienne en Abkhazie, où 300 000 personnes ont été chassées de leur foyer et des milliers massacrées. La Géorgie a maintes fois averti la communauté internationale que les conflits dits «de faible intensité» pouvaient entraîner des réactions en chaîne, jusqu’à une menace de guerre mondiale. Le conflit du Kosovo devrait inviter à y réfléchir.
Bien que les organisations internationales débattent depuis longtemps de certains séparatismes et des conflits ethniques, on en reste aux déclarations rhétoriques. Cette situation affecte gravement la Géorgie. Quitte à paraître catégorique, l’orateur souligne donc que l’ordre européen ne pourra s’affirmer tant que l’on ne prêtera pas à tous les conflits européens l’attention qu’ils méritent et tant qu’on ne prendra pas les mesures adéquates pour les juguler.
Le Conseil de l’Europe aurait dû lui-même se pencher sur ces questions, car il s’agit, au Kosovo comme en Abkhazie, de la collision entre deux visions politiques diamétralement opposées: l’une fondée sur le totalitarisme, l’autre sur les valeurs démocratiques.
La Géorgie est favorable, pour ce qui est de l’Abkhazie, à un règlement sous l’égide de l’Onu. Elle maintient que cette région doit obtenir un statut de sujet de la fédération qui garantisse le respect des droits de l’homme et le développement dans la sécurité. Les résultats obtenus dans le règlement du -conflit ossète ne peuvent que confirmer la justesse de cette conception.
Arrivant de Washington où il a participé au sommet de l’Otan et au Conseil de coopération euratlantique, M. Chevardnadze est convaincu que l’avenir de l’Europe et du monde dépend pour beaucoup du.document adopté à cette occasion. Cet avenir ne se présente actuellement pas sous un jour des plus radieux et la communauté internationale semble incapable d’analyser les menaces. Elle a fait du pardon sans condition sa politique, et sa passivité face aux crimes contre l’humanité rappelle dramatiquement l’époque du fascisme.
Les tragédies actuelles ne sont certes pas de la même échelle, mais elles pourraient bien conduire aux mêmes résultats, d’autant qu’on n’a même pas fait l’effort d’apprécier comme il convient les crimes du bolchevisme. Pourtant, c’est de celui-ci que date l’épuration ethnique: au Caucase, on a vidé en une nuit villages et villes...
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, il est inadmissible que l’on poursuive indéfiniment des pourparlers en permettant aux auteurs du nettoyage ethnique de garder le fruit de leurs crimes. La négociation doit être le moyen de faire triompher la justice, sinon elle n’a plus de sens. Il faut donc faire tout ce qui est possible pour guérir le monde des conflits et du chaos qui le menace. Il faut nouer des partenariats fondés, non sur les intérêts géopolitiques ou sur les rapports de force, mais sur des valeurs morales partagées, et chaque pays, grand ou petit, doit, en cas de malheur, recevoir toute l’attention du monde.
Dans l’Europe en mutation, on ne saurait trop insister sur l’importance des unions régionales, qui contribuent à la formation d’un espace commun. La Géorgie est un des pays fondateurs de la Coopération économique de la mer Noire, créée en 1992 à l’initiative de la Turquie. Cette union a acquis une autorité qui ne cesse de s’affirmer, en Europe comme au Proche- Orient, à telle enseigne que la France et l’Allemagne ont manifesté le désir d’y avoir un statut d’observateur.
Dans quelques jours, la Géorgie, qui assure la présidence de cette organisation, accueillera les ministres des Affaires étrangères des onze pays membres et les représentants des pays observateurs et des organisations internationales: l’orateur espère que cette rencontre donnera une nouvelle impulsion au processus. D’ores et déjà, celui-ci a permis la réalisation des projets Traceca et Inogate, ainsi que le lancement du projet de la «Route de la soie», auquel le Sommet de Bakou a donné une assise juridique, le 14 septembre dernier, grâce à la volonté conjointe de quatorze Etats.
La Géorgie s’est profondément impliquée dans cette initiative. Ces derniers jours s’est achevée la construction de l’oléoduc dit «occidental» et du terminal de Supsa: les premiers pétroliers viennent de quitter celui- ci pour l’Europe. La question du transit du pétrole de la Caspienne et du Kazakhstan par Bakou, Tbilissi et Djehian est résolue, de même que celle du gazoduc qui doit relier le Turkménistan aux marchés.turc et occidental. Deux ferries relient les ports géorgiens à l’Ukraine, à la Bulgarie et aux pays du Danube. Des projets d’autoroute et de chemins de fer ont été élaborés pour transporter marchandises et touristes. Dans tout ce processus, et malgré une crise énergétique profonde, la Géorgie a su gagner la confiance de ses partenaires grâce aux réformes économiques et au dynamisme de ses entreprises. C’est avec cette expérience de l’intégration subrégionale qu’elle adhère au Conseil de l’Europe.
Une autre de ses priorités est de créer un climat international propice à une bonne exploitation de son potentiel intellectuel et de son héritage culturel. La signature de la convention culturelle représente pour elle un signe de sa volonté de revenir au sein de l’Europe – sa patrie – pour mieux se développer.
La Géorgie se félicite de la coopération déjà engagée avec le Conseil de l’Europe et en particulier avec sa commission de la culture. En février 2000 se tiendra en Géorgie une conférence consacrée à «la démocratie, l’économie de marché et la protection de l’héritage culturel», en collaboration étroite avec le Secrétariat Général du Conseil. Le Gouvernement géorgien est favorable à toute mesure permettant de répondre aux aspirations des citoyens à l’humanisme, à la justice sociale, à la créativité, à la préservation de l’identité et au développement de l’économie.
Le Conseil de l’Europe est une maison commune et son existence est d’une importance particulière pour les petits Etats. Il leur offre en effet la garantie qu’ils pourront préserver leur identité tout en leur permettant d’apporter leur pierre à l’édification d’une Europe renouvelée. La Géorgie continuera de coopérer avec le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire pour contribuer à la définition de l’Europe du XXI siècle, que M. Chevardnadze envisage avec un optimisme incorrigible.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci beaucoup, Monsieur Chevardnadze, pour votre discours très complet, très humain et très optimiste. Comme vous le savez, certains membres de l’Assemblée ont exprimé le souhait de vous poser des questions. Etant donné le grand nombre de questions – dix-sept au total -, je propose de ne pas autoriser de questions supplémentaires. Afin de permettre à tous les parlementaires concernés de s’exprimer, nous nous sommes efforcés de grouper les questions par thèmes; l’éventail des sujets abordés est toutefois tel que cela ne nous a pas toujours été facile. Les deux premières questions ont trait à l’adhésion de la Géorgie au Conseil de l’Europe. La parole est à Mme Aytaman, de Turquie, membre du Groupe des démocrates européens – ou, si vous préférez, des conservateurs – pour poser la première question.
Mme AYTAMAN (Turquie) (traduction)
Je tiens avant tout à adresser mes sincères félicitations au peuple géorgien pour son adhésion bien méritée au Conseil de l’Europe. La délégation turque s’est prononcée à l’unanimité en faveur de l’admission de votre pays dans notre Organisation. La Géorgie entretient d’excellentes relations avec la Turquie. Celles, très étroites, que vous avez instaurées, à titre personnel avec le Président Demirel et d’autres éminentes personnalités turques ont contribué à sceller l’amitié de nos deux pays. Vous jouissez d’une grande popularité en Turquie et notre peuple apprécie vivement votre amitié et votre sagesse.
A présent, votre pays a rejoint le Conseil de l’Europe, organisation dont la Turquie est l’un des membres fondateurs. Certains aspects des relations turco-géorgienne, tels que la coopération transfrontalière ou la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée se trouvent au nombre des priorités du Conseil de l’Europe. Compte tenu de cet élément, comment voyez-vous l’avenir des relations entre nos deux pays et dans quelle mesure l’adhésion de la Géorgie pourra-t-elle contribuer à améliorer les relations entre les pays du Caucase?
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous rappelle que chaque question est limitée à trente secondes. Il ne s'agit pas de faire des discours. Monsieur Chevardnadze, si vous voulez bien répondre.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
souligne que les relations entre la Géorgie et la Turquie sont amicales et exemplaires, et qu’elles ne cessent de s’approfondir dans les domaines économiques, culturels et scientifiques. La lutte contre le terrorisme concerne la communauté internationale tout entière. On peut craindre, en effet, que le rétablissement de la Route de la soie ne donne l’occasion aux trafiquants de stupéfiants d’intensifier leurs opérations délictueuses, ce qui constituerait une nouvelle menace pour la stabilité et la sécurité de la région. Des actions préventives conjointes ont déjà été menées par la Géorgie et par la Turquie, qui ont permis d’éviter de graves événements.
Bien entendu, la coopération se poursuivra, dans ce domaine comme dans les autres, pour lutter contre le crime organisé.
M. BEHRENDT (Allemagne) (traduction)
Monsieur le Président, conscient du rôle éminent que vous avez joué lors de la réunification de l’Allemagne, c’est avec un plaisir tout particulier que je me fais le porte-parole de la délégation allemande pour vous féliciter de l’adhésion de la Géorgie au Conseil de l’Europe.
Ma question a trait à la situation des minorités. Comme vous le savez, le Conseil de l’Europe attache une grande importance à la protection des minorités. Dans votre exposé, vous indiquiez avoir constaté quelque progrès en ce qui concerne les conflits en Abkhazie. Peut-on, à votre avis, en conclure que les exigences du Conseil de l’Europe en matière de protection des minorités sont satisfaites? Pensez-vous qu’un début de résolution interviendra également en Ossétie et dans le Haut-Karabakh?
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
remercie M. Behrendt pour ses paroles aimables et se félicite de l’aide que I-’Allemagne apporte à la Géorgie, qui cherche, à son tour, à recouvrer son intégrité territoriale. Il rappelle que son pays a une expérience millénaire de la coexistence pacifique entre minorités ethniques et religieuses. C’est ainsi qu’a été célébré le VL millénaire de la présence des Juifs en Géorgie, pays qui compte quelque 500 000 Arméniens et autant d’Azéris – qui, les uns comme les autres, ont le droit à un enseignement dans leur langue et qui participent à la gestion de l’Etat -, environ 300 000 Russes, des Kurdes et d’autres communautés minoritaires.
Cependant, la Géorgie souffre de la faiblesse de son économie, ce qui l’empêche de faire autant qu’elle le souhaiterait en faveur des Arméniens, des Azéris ou des Ossètes. Les autorités géorgiennes considèrent cependant que le projet de «Route de la soie» aura des retombées bénéfiques pour ces populations. Par ailleurs, la Géorgie a signé diverses conventions, dont la Convention européenne des Droits de l’Homme.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous signale que si vous ne respectez pas la limite des trente secondes, toutes les questions ne pourront être posées. Je propose de recourir au chronomètre afin que vous puissez voir où vous en êtes. La question suivante, qui émane de M. Oliynyk, membre du Groupe socialiste, a trait à l’intégrité territoriale des Etats souverains.
M. OLIYNYK (Ukraine) (interprétation)
félicite à son tour la Géorgie de son adhésion au Conseil de l’Europe et demande à M. Chevardnadze si, au vu de la tragédie yougoslave, il n’a pas changé de point de vue sur les menées séparatistes inacceptables qui sapent le principe internationalement reconnu de l’intégrité territoriale des Etats souverains.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
M. CHEVARDNADZE (Inteiprétation) souligne les relations particulières qu’entretiennent les peuples de Géorgie et d’Ukraine. Il salue M. Oliynyk, écrivain et homme politique qu’il connaît de longue date et auquel il indique considérer que le séparatisme, et notamment le séparatisme «agressif», est un mal de l’époque, un danger sur lequel il a tenu à appeler l’attention de la communauté internationale.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La parole est à M. Iwiriski, membre du Groupe socialiste, pour poser la question suivante sur les relations entre la Géorgie et la Russie.
M. IWINSKI (Pologne) (traduction)
La dissolution de l’Union soviétique, fin 1991, a, entre autres, donné lieu à la création de plusieurs Etats souverains postsoviétiques, ce qui a bouleversé la carte politique de l’Europe et du monde. Pour des raisons évidentes, les relations entre la Géorgie et la Russie sont cruciales pour le reste de la région. J’aimerais savoir comment vous évaluez ces relations. J’aimerais également connaître votre point de vue sur le rôle des Etats indépendants ainsi que sur la place de la Géorgie dans la CEI.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
indique que la Géorgie et la Russie entretiennent de très bonnes relations. Des difficultés ponctuelles demeurent, qui s’estomperont rapidement et qui s’expliquent par le faible laps de temps qui s’est écoulé depuis la chute de l’empire soviétique. Quant à la CEI, son avenir est assuré si elle contribue à offrir à tous ses membres les mêmes garanties de sécurité et de développement économiques. Le dernier sommet de la CEI, organisé à Moscou, allait en ce sens.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La parole est à M. Solonari, membre du Groupe socialiste, pour poser la question suivante sur la coopération des pays de la mer Noire.
M. SOLONARI (Moldova) (traduction)
Monsieur le Président, dans votre puissant discours, vous vous êtes félicité de l’accord de coopération économique en mer Noire auquel je souscris entièrement. Un autre accord a été signé, auquel sont parties la Géorgie, l’Azerbaïdjan et la Moldova. J’aimerais connaître votre point de vue sur la mise en œuvre de cet accord.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
explique que cet accord a été signé alors que les pays considérés traitaient, à Vienne, de la réduction des armes conventionnelles, la discussion ayant mis en lumière leurs intérêts communs. D’autres domaines, notamment politiques, vont être explorés et l’accord a été élargi, il y a quelques jours, à l’Ouzbékistan, pays intéressé au développement de la «Route de la soie». L’accord signé pour répondre à un besoin particulier est donc appelé à couvrir de nouveaux champs.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La parole est à M. Atkinson, président du Groupe des démocrates européens – le groupe conservateur – pour poser la question suivante, sur la Tchétchénie et la Transcausasie.
M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)
Vous avez clairement reconnu que votre pays s’était engagé à assumer de nouvelles responsabilités et, bien entendu, en tant que seul Etat de la région du sud du Caucase membre du Conseil de l’Europe, votre pays a acquis une nouvelle autorité. Comptez-vous mettre à profit cette situation particulière pour promouvoir l’adoption, par votre voisin, la Tchétchénie, des normes du Conseil de l’Europe et pour promouvoir la coopération transfrontalière et le dialogue parlementaire en vue de trouver une solution pacifique aux conflits en Abkhazie et dans le Haut-Karabakh?
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
répond qu’une initiative s’est manifestée en Transcaucasie: le mouvement pour un Caucase pacifique. Ce mouvement, qui associe l’Arménie à la Russie, est également salué par tous les peuples du Nord-Caucase, dont les Tchétchènes. La Géorgie a une position unique dans la région, puisqu’elle entretient de très bonnes relations avec l’Azerbaïdjan et avec l’Arménie, des relations amicales et fraternelles depuis des siècles, mais aussi de bonnes relations avec le peuple tchétchène, même s’il a participé à la guerre d’Abkhazie: nous voulons vivre en amitié et en paix.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. La question suivante a trait aux minorités et aux personnes déplacées. La parole est à Mme Durrieu, chef de la délégation française et membre du Groupe socialiste.
Mme DURRIEU (France)
Monsieur le Président, je voudrais vous dire, au nom de la délégation française, combien nous sommes heureux de votre présence aujourd’hui parmi nous et vous remercier pour avoir su exprimer votre aptitude au pardon, mot que nous n’avons pratiquement jamais entendu dans cette enceinte. Je tiens aussi à vous remercier de rester délibérément optimiste.
La Géorgie appartient à la région géographique du Caucase avec l'Arménie et l’Azerbaïdjan. Cette notion de région et de coopération régionale organisée peut- elle aider au règlement du problème des minorités?
Vous venez d’y répondre puisque M. Atkinson, l’orateur précédent, a posé une question identique.
Je vous poserai donc une autre question, Monsieur le Président. Si la Russie participe au règlement du problème du Kosovo, pensez-vous que, dans une logique évidente, elle doive aussi s’engager immédiatement à régler le problème de l’Abkhazie?
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
remercie Mme Durrieu pour son appréciation personnelle. Il lui semble que M. Eltsine serait plus qualifié que lui pour répondre à sa question. Le règlement du conflit serait certainement accéléré si le grand potentiel de la Russie était engagé. Mais ce n’est pas à lui qu’il faut demander pourquoi ce potentiel n’est pas entièrement engagé, ce sera par exemple à M. Tchernomyrdine de lui dire, lui qui a une grande compétence et une grande expérience. C’est d’ailleurs pourquoi il a été nommé à son poste.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. La question suivante, qui émane de M. Dayanikli, membre du Groupe socialiste, a trait à la coopération en matière de transports.
M. DAYANIKLI (Turquie) (traduction)
Je me félicite vivement de voir que notre voisin, la Géorgie, est devenu membre à part entière du Conseil de l’Europe.
Dans quelques jours, l’Assemblée débattra d’un rapport sur les politiques paneuropéennes des transports. A ce propos, il convient de mentionner l’oléoduc qui vient d’être mis en service entre Bakou et Supsa, ainsi que celui reliant Bakou à Ceyhan via Tiflis.
A la lumière de l’intensification des relations économiques entre la Turquie et la Géorgie, et de l’excellente coopération qu’elles ont instaurée en matière de transports, comment évaluez-vous l’importance des infrastructures routières et ferroviaires entre les deux pays pour les Etats du Caucase et d’Asie centrale, et quelle mesures la Géorgie envisage-t-elle de prendre afin d'améliorer ses liaisons ferroviaires avec la Turquie? Je vous remercie.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
cite le Président turc selon lequel aucune infrastructure géorgienne ne saurait concurrencer la Turquie. Les oléoducs sont complémentaires. D’importantes infrastructures ferroviaires sont en cours de construction, en particulier la branche vers Akhalkalaki. Cette branche a beaucoup d’avenir dans le cadre de la Route de la soie et la Banque mondiale devrait être intéressée par ce projet.
La petite Géorgie a déjà plus de cent sociétés d’économie mixte avec la Turquie, et elle espère que ce mouvement se prolongera.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. La question suivante, qui émane de M. Muehlemann, libéral suisse, a trait à la Route de la soie.
M. MUEHLEMANN (Suisse) (traduction)
Monsieur le Président, vous venez d’évoquer à plusieurs reprises le projet Traceca concernant la prolongation de la Route de la soie. L’année dernière, votre ministre de la Défense a réprimé de façon très courageuse une révolte dirigée contre l’achèvement de l’oléoduc.
J’aimerais savoir si le projet pourra être achevé dans de bonnes conditions de sécurité et si les investisseurs occidentaux, dont la présence est si importante pour la reprise de votre économie, peuvent être assurés de la sécurité juridique et du soutien de votre administration.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
précise que cette tentative d’un petit groupe de déstabilisateurs a été étouffée en quelques heures sans faire aucune victime. C’est un témoignage de la stabilité du pays et de l’efficacité des ministères de l’Intérieur et de la Défense, qui seront encore renforcés au même rythme que notre Etat.
S’agissant de la Route de la soie, elle a un grand avenir – jusqu’en Suisse.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. Les deux questions suivantes ont trait à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud. La parole est à M. Zierer.
M. ZIERER (Allemagne) (traduction)
Monsieur le Président, l’adhésion de la Géorgie s’accompagne d’un certain nombre de droits, mais aussi de nombreux devoirs. Comme tous les autres Etats membres, la Géorgie a été invitée à déployer des efforts en vue de remplir les conditions d’adhésion, notamment en matière de respect des droits de l’homme et des minorités.
Ma question est la suivante: quelles mesures la Géorgie a-t-elle prises jusqu’à présent pour résoudre de manière pacifique et durable les tensions internes, par exemple en Ossétie et en Abkhazie? A-t-elle prévu d’élaborer de nouvelles mesures à cette fin?
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
répond que le conflit avec les Ossètes en est à la dernière étape de son règlement: les réfugiés regagnent désormais leur foyer.
Pour l’Abkhazie, la situation est compliquée. L’Allemagne doit être remerciée pour son action en faveur de la paix sous les auspices des organisations internationales. Il faut rester optimiste: l’action internationale aidera à régler ce conflit.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La parole est à Mme Isohookana-Asunmaa, membre du Groupe libéral, démocrate et réformateur.
Mme ISOHOOKANA-ASUNMAA (Finlande) (traduction)
Le conflit abkhaze n’a pas encore trouvé de solution. La situation se dégrade et on est actuellement dans l’impasse. J’aimerais savoir s’il serait possible dans un avenir prévisible d’accorder à l’Abkhazie la large autonomie et l’autodétermination qu’elle exige. J’aimerais également savoir si, en Ossétie, le désir d’autonomie est aussi fort qu’en Abkhazie.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
reconnaît que le statut est le point clé de la solution. Il compte accorder aux Abkhazes le statut le plus élevé possible dans le cadre de l’Etat géorgien uni. L’Abkhazie aura son parlement, sa cour de justice, et tous les attributs d’une autonomie dans le cadre de l’Etat. Certes, les Abkhazes sont irrités par ce mot «autonomie», mais c’est une matière à pourparlers.
Un grand pas en avant a été fait pour l’Ossétie, vers la détermination du statut. L’OSCÈ est très active, en liaison avec les représentants de la Géorgie.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Le temps presse. Les deux questions suivantes ont trait à la minorité meskhète, que j’appellerai l’une après l’autre. La parole est à M. Kelemen, membre du Groupe des démocrates chrétiens.
M. KELEMEN (Hongrie) (traduction)
Vous avez évoqué le triste sort de différents groupes de réfugiés géorgiens. Lorsque j’étais rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, j’ai noué des liens d’amitié avec la Géorgie. J’aimerais savoir si la situation des Meskhets, qui avaient été expulsés de Géorgie et privés de leurs terres sous Staline, a évolué depuis le décret présidentiel relatif à cette minorité.
M. KHARITONOV (Fédération de Russie) (interprétation)
félicite la Géorgie pour son admission au Conseil de l’Europe et demande si elle compte respecter le délai de deux ans pour le rapatriement des Meskhets.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
a rappelé les crimes du bolchevisme et du stalinisme qui ont fait des milliers de victimes. Parmi les populations qui ont subi des représailles se trouvent les Turcs meskhètes: quelques dizaines de milliers de personnes ont été déplacées sous Staline. Leur retour pose de gros problèmes à la Géorgie, mais, puisque le Conseil de l’Europe le demande, elle l’acceptera. Cela ne peut se faire que graduellement, mais le délai de deux ans devrait suffire.
Chacun comprendra qu’un retour brutal et chaotique déstabiliserait la population. Néanmoins, le peuple géorgien ne pourra dormir tranquille tant qu’il n’aura pas corrigé cette injustice.
La délégation de Russie a soutenu l’adhésion de la Géorgie au Conseil de l’Europe, elle doit en être remerciée.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie. Il reste quatre questions, que j’appellerai l’une après l’autre. Je demanderais aux orateurs d’être le plus brefs possible. Cela nous permettra peut-être d’épuiser la liste des questions, ce qui sera déjà un modeste triomphe. La parole est à M. Cherribi, membre du Groupe libéral, démocrate et réformateur.
M. CHERRIBI (Pays-Bas) (traduction)
Monsieur le Président, l’Europe ne fait que parler des difficultés liées au changement de millénaire. Nous essayons tous de réduire cette vulnérabilité. La Géorgie est-elle en situation de résister à l’épreuve de ce changement, au bogue de l’an 2000, et comment pensez-vous traiter le problème posé par l’état des centrales nucléaires héritées des périodes de stagnation de l’ex-empire soviétique? Recevez-vous suffisamment d’aide de la part de la Communauté européenne?
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
avoue ne pas être un spécialiste dans le domaine de l’informatique, même s’il utilise ces instruments. Si la question posée est liée à la construction de centrales, il reconnaît que la Géorgie aura besoin de technologies de pointe dans le domaine informatique.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Vous avez été très clair, Monsieur le Président. Je vous demanderai cependant de ne pas répondre avant que j’aie fini de poser les trois dernières questions, toutes sur des sujets différents. La parole est à M. Kosakivsky.
M. KOSAKIVSKY (Ukraine) (interprétation)
demande ce que la Géorgie prévoit de faire pour améliorer l’organisation des pouvoirs locaux, conformément à la Charte européenne des pouvoirs locaux. La Géorgie compte-t-elle ratifier cette charte? Quand des élections locales seront-elles organisées?
M. GOULET (France)
Monsieur le Président, permettez-moi de changer de sujet, bien que les précédents revêtaient toute leur importance.
Comment envisagez-vous la mise en valeur des atouts dont dispose votre pays? Je relève en particulier que la Géorgie recèle des ressources hydrauliques qui lui donnent vocation à être un «château d’eau» pour la région, voire au-delà, ainsi que des potentialités touristiques constituées de sites préservés et d’un patrimoine historique, culturel et cultuel, qui lui donne sa situation géographique favorable: sites montagnards et sites maritimes de premier ordre en bordure du Caucase.
Compte tenu de ces atouts, la Géorgie ne saurait, à mon sens, se satisfaire d’un simple assistanat indifférencié de la part du Conseil de l’Europe.
Dans la perspective de la mise en place d’un véritable partenariat avec l’Europe, quelles sont les premières mesures concrètes que vous souhaiteriez voir initiées dans un proche avenir.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La parole est à Mme Squarcialupi... Je constate qu’elle est absente. Je demanderai donc à M. Chevardnadze de bien vouloir répondre.
M. Shevardnadze, Président de la Géorgie (interprétation)
rappelle que la Géorgie a procédé, il y a quelques mois, à des élections au niveau local. Des exécutifs locaux ont été mis en place dans les différentes villes du pays. D’ici à deux ans, la Géorgie sera prête à organiser des élections libres au premier niveau de l’exécutif. Les conventions adéquates seront bientôt signées.
Le Président remercie M. Goulet pour sa connaissance des qualités de la Géorgie. Les ressources hydrauliques dont disposent le pays sont vraiment considérables. Ce potentiel devra être utilisé valablement. Il existe déjà une série d’investissements japonais et américains dans ce domaine. La Géorgie compte entamer la réhabilitation de ses centrales.
M. Chevardnadze a évoqué tout à l’heure la Route de la soie. Il sous-entendait par là le développement du tourisme. A l’époque soviétique, six millions de touristes fréquentaient chaque année la Géorgie qui a une vocation de pays touristique de par sa position géopolitique. Le tourisme devrait devenir la principale ressource budgétaire.
Concernant l’aide que peut apporter le Conseil de l’Europe, la Géorgie espère que celui-ci pourra contribuer à développer des solutions aux problèmes qui touchent à sa compétence. Quant à l’Union européenne et aux autres institutions internationales, la Géorgie veut poursuivre avec elles un véritable partenariat placé sous le signe de la dignité.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Je vous remercie vivement pour la précision avec laquelle vous avez répondu aux questions.