Ljuben

Bérov

Premier ministre de Bulgarie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 30 septembre 1993

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs, mon exposé sera peut-être plus court que celui de M. Martinez.

Je voudrais tout d’abord exprimer ma satisfaction de la possibilité qui m’est ainsi offerte d’être des vôtres et vous remercier de l’accueil combien amical que vous me réservez. Je suis tout honoré d’intervenir devant les députés de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui constitue depuis déjà plus de quarante ans un des principaux centres du parlementarisme européen, promoteur du mouvement vers l’unité européenne. La Bulgarie apprécie hautement les discussions qui se déroulent à Strasbourg, attentive aux signaux venus de cette Assemblée.

L’admission de la Bulgarie comme membre du Conseil de l’Europe, le 7 mai 1992, était pour mon peuple non seulement un acte qui sanctionnait la profondeur et l’irréversibilité des processus démocratiques dans le pays, mais reconnaissait aussi l’aptitude de la Bulgarie à devenir un partenaire à part entière des États démocratiques européens dans leurs efforts de construire une Europe nouvelle, unie par les valeurs de la démocratie pluraliste, par le respect des droits de l’homme et par la primauté de la loi. Les relations de partenariat qu’entretiennent la Bulgarie et le Conseil de l’Europe supposent la compréhension mutuelle des problèmes, de même que la détermination commune dans leur solution. C’est pourquoi je considère qu’il y a lieu d’attirer votre attention sur certains aspects du développement intérieur de la Bulgarie, de ses relations avec le Conseil de l’Europe et de la politique extérieure menée par le Gouvernement bulgare.

Je tiens à souligner que les difficultés auxquelles mon pays doit faire face sur les plans intérieur et international, et par conséquent les efforts que nous déployons pour les surmonter, tout en restant fidèles à la démocratie et à ses principes, sont relativement inconnus pour la plupart des États membres du Conseil de l’Europe. La Bulgarie est un État qui suit la voie historique unique des réformes démocratiques et de la transition vers l’économie de marché, qui fait face à l’inertie et aux séquelles des sociétés post-totalitaires, mais qui, en raison de sa situation géographique au centre des Balkans, subit les conséquences négatives considérables de conflits militaires graves, et surtout de la guerre sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Malgré toute la complexité de la situation dans laquelle se trouve la Bulgarie, elle a su élaborer un modèle de développement comportant plusieurs traits positifs.

L’attachement aux moyens pacifiques et démocratiques pour résoudre les problèmes et surmonter les contradictions existantes, indépendamment des éléments de confrontation politique dans la société, constitue la particularité positive la plus importante de la transition bulgare. Nous restons convaincus que la stabilité et le dialogue sont des prémisses indispensables, et la voie susceptible de préserver la paix civile et de créer les conditions au fonctionnement normal de la société. Nous pouvons dire sans hésitation aujourd’hui que les principales valeurs du Conseil de l’Europe ont trouvé une application durable dans la société bulgare.

La mise en œuvre de la réforme économique demeure l’épreuve la plus sérieuse pour le Gouvernement bulgare, engagé dans la transition vers l’économie de marché. Malheureusement les rythmes des changements économiques sont plus lents que prévus. Ceci engendre de nombreuses secousses sociales, un taux élevé du chômage, une baisse du niveau de vie, un pourcentage encore important d’inflation.

Le gouvernement que j’ai l’honneur de présider a pris la direction de la Bulgarie dans une période difficile de tension politique.

Nous avons dû assumer les changements économiques, en direction desquels le précédent gouvernement s’était engagé. Nous avons préservé la continuité, tout en introduisant nos propres conceptions et initiatives dans le programme que nous avons présenté. On nous a dénommé «le gouvernement de la privatisation», car, selon nous, la réalisation accélérée de la privatisation, en particulier d’une privatisation avec la participation massive de la population, constitue la base indispensable pour entamer les réformes structurelles et pour effectuer une transition réussie vers une économie de marché.

Je voudrais vous faire connaître certains aspects fondamentaux du programme présenté par mon gouvernement. En complément des mesures relatives à la réforme agraire, le gouvernement a pris l’engagement de rendre, jusqu’à la fin de 1993, 55 à 60% de la terre aux anciens propriétaires. En second lieu, on doit souligner que le gouvernement suivra, comme il l’a fait jusqu’ici, une politique financière de retenue et de diminution ultérieure du pourcentage de l’inflation que nous nous efforçons de ramener à 65% pour cette année au lieu de 80% pour l’année précédente. Je voudrais mentionner ensuite la politique d’ouverture de nos marchés dans le cadre des règles du GATT et de la Communauté européenne, et cela malgré les protestations de la part de certains milieux qui revendiquent une protection douanière de la production locale. Notre économie est largement ouverte aux investissements étrangers. Nous avons une législation qui encourage fortement l’activité économique des étrangers en Bulgarie.

Nous désirons édifier l’État contemporain bulgare sur la base d’une législation moderne. Le gouvernement a soumis à l’Assemblée nationale une liste concrète de trois «paquets» de lois, quarante-deux au total, rangées par ordre de priorité.

Le maintien d’un dialogue permanent entre le gouvernement et les syndicats au sein du Conseil de coopération tripartite constitue une autre particularité positive du modèle bulgare dans la période de transition. Le coût social de la transition, payé par la majorité du peuple bulgare, est très élevé. Le gouvernement s’efforce d’atténuer sur la base du partenariat les conséquences défavorables des stress sociaux, indépendamment de ses possibilités parfois limitées.

Vous n’ignorez sans doute pas que la Bulgarie est un État où vivent des gens d’appartenance ethnique, de langue maternelle et de culte différents. Nous avons hérité de nombreux problèmes que nous avons su surmonter sans conflit. La nouvelle Constitution bulgare a adopté comme principe fondamental de l’État de droit l’égalité de tous les citoyens devant la loi, indépendamment de leurs race, nationalité, appartenance ethnique, sexe, origine, religion, éducation, conviction, etc. Elle garantit la protection de tous les droits et libertés fondamentaux de l’homme, y compris la liberté de culte, la liberté de la personne humaine et la création de conditions pour un épanouissement libre de l’homme et de la société civile. Dans la solution de ses problèmes, la société bulgare, de même que les institutions d’État (y compris le tribunal constitutionnel) ont fait preuve de pragmatisme et de perspicacité, tenant compte des réalités politiques, psychologiques et autres dans le but de préserver la paix sociale, la démocratie, la protection de droits de l’homme et la stabilité politique. La Bulgarie est l’unique État de la région qui ne connaisse pas de tension ethnique grave depuis la décomposition du système communiste.

Permettez-moi à présent d’indiquer certains problèmes graves du développement intérieur de la Bulgarie. Ils sont avant tout le résultat du coût social de la transition d’un système économique à un autre, et notre peuple n’y est pas suffisamment préparé. Ces problèmes sont la baisse de la production, le chômage, la chute du niveau de vie de certaines catégories de la population, l’insécurité sociale, la pollution, la délinquance croissante, la corruption, etc. Nous subissons aussi le poids du fardeau de la dette extérieur et des énormes pertes dues à l’application très stricte des sanctions commerciales et économiques à l’encontre de la Serbie et du Monténégro.

Je tiens à m’arrêter sur les relations de partenariat et de coopération entre la Bulgarie et le Conseil de l’Europe. L’adhésion de la Bulgarie au Conseil de l’Europe a permis au pays de prendre une part active I à l’activité variée de l’Organisation et, qui plus est, d’être associé aux conceptions modernes de la démocratie pluraliste, de la promotion et de la protection des droits de l’homme, de l’État de droit et de la primauté du droit.

Le Conseil de l’Europe a accumulé une expérience considérable en matière de protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales. Nous suivons avec attention et nous participons activement à l’élaboration de documents juridiques réglementant cette matière. Partant de l’expérience positive de la Bulgarie, j’ajouterai que l’on devrait aborder ces problèmes extrêmement complexes dont l’évolution subit l’impact de tout un ensemble de facteurs politiques, économiques, psychologiques et autres, avec une attention accrue et avec beaucoup de tact. Il existe dans ce domaine nombre de questions qui n’ont pas reçu sur le plan européen une réponse satisfaisante et que nous avons à résoudre en commun. Nous avons la profonde conviction que toute solution en la matière doit être précédée d’une analyse scientifique sérieuse et objective. L’absence de tension ethnique en Bulgarie a contribué à ce que notre pays devienne un facteur stabilisateur dans les Balkans, région historiquement lourde de problèmes interethniques.

Je voudrais souligner que nous apprécions hautement le travail intense réalisé dans le cadre du Conseil de l’Europe en vue de redéfinir son rôle comme garant de la «sécurité démocratique» du continent, ce qui correspond aux buts et aux principes de la nouvelle politique intérieure et extérieure bulgare. La construction de la démocratie et la stabilisation des fondements de l’État de droit dans chaque pays européen se transforme en objectif politique majeur, en garantie la plus durable de la paix et de la stabilité en Europe.

Notre conception du rôle du Conseil de l’Europe explique l’importance primordiale que nous accordons au développement du dialogue politique au sein de l’Organisation. Ce dialogue que nous concevons comme un échange intense et continu d’informations, d’expériences et de vues sur toutes les questions touchant directement ou indirectement l’architecture européenne conduira, avec votre aide, à une connaissance mutuelle meilleure, à la formulation de nos problèmes et intérêts communs, à l’élaboration de politiques nationales en faveur de l’objectif commun. C’est par ce dialogue que nous tracerons les voies vers la réalisation la plus prompte de l’unité européenne.

La Bulgarie assumera prochainement les fonctions de Président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour la période mai-novembre 1994. Notre pays sera le premier des États de l’Europe centrale et orientale membres du Conseil de l’Europe qui aura à assumer cette mission importante. Nous sommes pleinement conscients de la gravité des tâches que pose la présidence du Comité des Ministres et nous nous préparons à les accomplir, tenant compte de l’importance des problèmes auxquels fera face le Conseil de l’Europe durant notre présidence.

Permettez-moi d’attirer votre attention sur certains des aspects de la politique extérieure de notre État que nous considérons comme vitaux pour nous. Tous les problèmes de notre développement intérieur se sont exacerbés à la suite de la situation extrêmement lourde dans laquelle s’est trouvée la Bulgarie comme résultat de l’observation stricte de ses engagements internationaux. Au début, appliquant les sanctions contre l’Irak, mon pays a subi des pertes qui ont dépassé les 2,5 milliards de dollars, pertes qui n’ont pas été compensées. Les présentes analyses et estimations conduisent à des conclusions inquiétantes, à savoir que tout ce que nous avons atteint jusqu’à présent ainsi que nos plans pour l’avenir sont gravement menacés par l’accumulation d’une masse critique de conséquences sociales et économiques négatives suite à la stricte application des sanctions commerciales et économiques contre la Serbie et le Monténégro.

Sur la base des données dont nous disposons, nous considérons que, parmi les pays voisins de l’ex-Yougoslavie, la Bulgarie est le pays le plus fortement touché par les sanctions, tout en étant le plus strict pour leur application. C’est un fait qui a reçu une large reconnaissance internationale.

Je voudrais vous faire connaître les dernières informations sur les pertes que mon pays subit; ces pertes atteignent un total de 942,6 millions de dollars pour l’année 1992 et s’élèvent à 810 millions de dollars pour la période allant du ler janvier au 30 avril 1993. Elles représentent 259,2 millions de dollars par mois depuis le 1er mai 1993, date d’entrée en vigueur de la Résolution 820 (1993) du Conseil de sécurité de l’ONU renforçant les sanctions.

Le total des pertes directes de la Bulgarie jusqu’à la fin de 1993 s’élèvera à plus de 3,5 milliards de dollars. Les chiffres mentionnés n’incluent pas les pertes indirectes ni les bénéfices ratés, pas plus que les pertes du secteur privé. Comparés au potentiel économique de la Bulgarie, ces dommages sont catastrophiques.

Parallèlement aux énormes pertes qu’elle subit, la Bulgarie s’est trouvée isolée de l’Europe pour le commerce et le transport. La cessation de fait des transports transitaires à travers la Serbie et le Monténégro, en vertu de la Résolution 820 (1993) du Conseil de sécurité de l’ONU, a coupé notre pays de ses marchés traditionnels.

Le blocage du tronçon serbe du Danube a interrompu la navigation commerciale sur le fleuve. Les transports transitant par la Roumanie, via le pont du Danube et le ferry-boat Vidine-Kalafat, sont très perturbés, tandis que les fréquentes grèves des transports roumains menacent de paralyser cette unique voie d’accès à l’Europe.

Cependant, les conséquences extrêmement lourdes qu’a eues pour la Bulgarie l’application de l’embargo n’ont suscité aucune réaction adéquate – voire aucune réaction du tout – de la part de la communauté internationale, excepté quelques tapes sur l’épaule en guise de consolation. Quelles que soient les intentions, le fait est qu’un groupe de pays riches, européens ou non, dominant les organisations internationales, impose unilatéralement à un pays comme la Bulgarie, relativement pauvre pour le moment, d’assumer, sans aucune compensation, un fardeau insupportable à la suite d’une opération punitive internationale à l’encontre de certains pays de l’ex-Yougoslavie. Il s’est avéré qu’en raison de sa situation géographique, la Bulgarie doit solder les comptes d’autrui et être en fait punie dans un degré non moindre que la Serbie. Cela se fait bien qu’il soit très clair que la Bulgarie n’est aucunement, ni directement ni indirectement, coupable du conflit en Bosnie-Herzégovine. Plus encore, il ne faudrait pas oublier que cette même Bulgarie effectue une transition difficile du point de vue politique et pénible du point de vue économique, pour passer d’un système totalitaire qui lui a été imposé en vertu de la Conférence de Yalta à la démocratie et à l’économie de marché. En outre, les pays riches en cause sont loin du conflit en Bosnie-Herzégovine et n’en supportent pas les dommages. Parfois, on objecte que des Casques bleus et des convois d’aide humanitaire sont envoyés, mais la Bulgarie le fait, elle aussi, dans la limite de ses possibilités – un contingent considérable de Casques bleus bulgares, qui a compté de nombreuses victimes, vient de rentrer il y a peu du Cambodge. Ainsi, «le malade porte le bien portant», comme dit le proverbe bulgare.

Je poserai donc la question: à qui incombe la faute de cette boucherie humaine massive qui se poursuit depuis déjà presque deux ans en Bosnie- Herzégovine, tache infâme pour l’Europe, l’un des berceaux de la civilisation humaine? Il est indiscutable que les organisations internationales et européennes n’ont pas trouvé de forces pour couper court à ce drame humain, ou du moins pour étouffer l’incendie une fois celui-ci déclaré. En raison de cet atermoiement impuissant, nous sommes contraints depuis près de deux ans d’expliquer – plus strictement que certains autres États – les sanctions dictées à l’encontre de la Serbie et à en supporter les dommages, sans qu’il y aille de notre faute.

Je ne puis accepter la situation qui s’est ainsi créée comme normale et équitable, bien qu’un grand nombre d’hommes politiques étrangers, non touchés en l’occurrence, s’efforcent d’éluder cette question et s’attendent probablement qu’elle soit oubliée une fois le besoin de maintenir l’embargo passé. C’est la raison pour laquelle l’idée s’impose de plus en plus au sein de la société bulgare selon laquelle la communauté internationale est prête à nous sacrifier au nom d’une décision qui touche les intérêts vitaux de la Bulgarie.

Nous ne voudrions en aucun cas que le peuple bulgare perde sa foi dans les idéaux et les valeurs dont le Conseil de l’Europe est le symbole. Il n’accepterait pas que cette boucherie et les souffrances de milliers de gens en Bosnie-Herzégovine soient traitées comme une question qui ne concernerait pas le Conseil de l’Europe en tant qu’organisation internationale qui s’est fixée comme tâche la défense des droits de l’homme. Il n’accepterait pas non plus la logique selon laquelle l’essentiel du prix devrait être payé par des pays qui ne portent aucune responsabilité dans la situation tragique ainsi créée. Nous comptons énormément sur vous tous, qui êtes les représentants des démocraties européennes, pour que vous transmettiez notre message et que vous nous aidiez à surmonter cette situation insupportable pour la Bulgarie. Ce que nous demandons, ce n’est pas de l’aide, mais une preuve de solidarité et une compensation pour les efforts que nous déployons au nom des principes proclamés par la communauté démocratique internationale.

Mon gouvernement n’éprouve aucune hésitation à appliquer strictement les sanctions, mais nous considérons que la communauté internationale devrait prendre des mesures immédiates et effectives, non pas pour compenser directement les dommages subis, mais pour prêter son appui à la Bulgarie selon des formes et des moyens propres à neutraliser l’impact déstabilisateur de ces dommages.

Il y a une contradiction évidente entre, d’une part, l’affirmation selon laquelle la paix dans les Balkans était d’une importance prioritaire pour l’Europe et que la Bulgarie pourrait jouer un rôle très positif pour l’européanisation de cette région, et, d’autre part, l’indifférence souvent montrée à l’égard de nos intérêts. Comment expliquer par exemple à l’opinion publique bulgare le retard apporté par les États membres de la Communauté européenne à la ratification de l’accord d’association avec la Bulgarie? Ou bien, cas plus frappant encore, que l’accord intérimaire sur le commerce n’ait pas été approuvé, ce qui nous place dans des conditions discriminatoires? Il est difficile de convaincre le peuple bulgare, dans les conditions présentes, que nous édifions une nouvelle Europe commune et démocratique, lorsqu’on a l’impression que le motif principal pour «tendre la main» est le calcul du profit «égoïste» momentané, et non point l’analyse des objectifs, des conséquences et des risques à long terme. Tout cela peut amener une partie de notre société à tirer certaines conclusions.

Le conflit persistant depuis déjà deux ans sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et l’absence d’intervention effective de l’Europe nous ont donné beaucoup de leçons et ont confirmé beaucoup de vérités endurées. L’une d’elles est que les Balkans doivent être solidement intégrés aux structures européennes, qu’ils doivent être européanisés pour maîtriser les tensions ethniques dans cette région et éviter de nouveaux conflits. La politique étrangère bulgare considère l’obtention de ce résultat comme un objectif prioritaire. L’espace civil européen doit s’étendre partout dans les Balkans. Nous pouvons nous employer dès à présent à atteindre ce but, malgré les événements de l’ex-Yougoslavie, afin d’avoir un modèle sur l’évolution des Balkans prêt lors de la stabilisation de cette situation. Le Conseil de l’Europe est bien l’une des institutions les plus adéquates pour élaborer ce modèle.

Je voudrais mettre l’accent sur l’aspiration de la Bulgarie à l’européanisation des Balkans. Sous le terme européanisation, nous comprenons l’établissement dans notre région de contacts et de liens qui correspondraient au caractère nouveau du système européen de relations internationales. Les solutions des problèmes dans la région doivent être recherchées collectivement, au niveau européen.

Une des principales leçons que l’histoire nous a apprise, c’est que, sans l’unité européenne, il ne peut y avoir de paix dans les Balkans, et que, sans paix dans les Balkans, il ne peut exister une Europe unie. L’énorme force d’attraction de l’Europe unie rend le moment présent unique. Nous, Bulgares, nous ne voudrions pas rater cette rare chance historique.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci de votre exposé, Monsieur le Premier ministre. Beaucoup de parlementaires ont manifesté le désir d’interroger M. Berov. Afin que le plus grand nombre d’entre vous puisse poser des questions, je propose de ne pas accorder de questions supplémentaires. Par ailleurs, chacun ne disposera que de trente secondes pour poser sa question. La parole est à M. Talay.

M. TALAY (Turquie) (traduction)

Le conflit qui sévit sur le territoire de l’ex-Yougoslavie risque de s’étendre à d’autres zones, notamment à la Macédoine, qui est une zone à haut risque. La Bulgarie étant l’un des pays de la région, comment réagissez-vous à cette menace?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

craint en effet que le conflit de la Bosnie-Herzégovine ne se propage vers le sud, vers le Kosovo. La Macédoine autant que la Bulgarie seraient alors gravement concernées. La politique des autorités de Sofia vise donc à prévenir l’extension de la guerre afin de préserver l’intégrité de la Macédoine.

M. MUEHLEMANN (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, l’on constate actuellement dans tous les anciens pays communistes l’apparition d’un mouvement restaurateur. Nous sommes surpris que, dans certains pays comme la Pologne, d’anciens communistes soient à nouveau élus.

Ce phénomène est-il une forme de régression? Est-il destiné à soutenir la marche ou bien représente-t-il une meilleure forme d’évolution fondée sur le pragmatisme? Comment les Bulgares voient-ils ce phénomène?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

pense qu’il s’agit d’une étape inévitable dans le processus de démocratisation. Les bouleversements survenus en 1989 avaient suscité de grands espoirs: chacun pensait, de façon un peu idéaliste, que tous les problèmes seraient résolus en un an, mais la transition a été beaucoup plus pénible et difficile et la population a commencé à perdre de son enthousiasme et à perdre patience. La balance a alors penché à nouveau vers la gauche, vers les héritiers des anciens partis. L’essentiel est maintenant que ceux-ci prennent conscience de leurs responsabilités envers la démocratie.

M. ALEXANDER (Royaume-Uni) (traduction)

De nombreux partisans du nucléaire craignent de voir se produire une nouvelle catastrophe du type Tchernobyl dans votre pays, et la BERD a consacré 28 millions de dollars à l’amélioration de votre centrale. J’ai deux brèves questions à vous poser. Premièrement, vos réacteurs nucléaires sont-ils de conception soviétique, c’est-à-dire sans enceinte de confinement? Deuxièmement, y a-t-il un organe chargé de contrôler et d’inspecter vos réacteurs nucléaires pour en assurer la fiabilité?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

répond que le danger que présentent les centrales bulgares a été très exagéré en raison de certains intérêts commerciaux. Le niveau de sécurité a été élevé et il n’y a pas lieu de craindre une catastrophe du type Tchernobyl.

M. SAYDAM (Turquie) (interprétation)

constate que les relations entre son pays et la Bulgarie ont évolué très favorablement ces dernières années. Ce renforcement des relations est un élément de stabilité et un exemple dans une région traversée de graves conflits. L’orateur demande à M. le Premier ministre comment il conçoit maintenant l’évolution des rapports entre les deux pays.

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

estime que les relations entre la Turquie et la Bulgarie sont des relations de bon voisinage fondées sur des intérêts politiques et économiques communs. L’un et l’autre ont en particulier un intérêt évident à ce que la paix soit préservée dans les Balkans. Ces relations se concrétiseront par la venue à Sofia, en décembre prochain, de Mme le Premier ministre de Turquie.

M. KÖNIG (Autriche) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire quels partis soutiennent le Gouvernement bulgare, qui a changé récemment sans que des élections aient eu lieu?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

répond qu’un changement de gouvernement n’est pas toujours la conséquence de nouvelles élections. Cette situation s’est déjà rencontrée en Allemagne, en France et en Italie.

Il indique en outre que le gouvernement est soutenu actuellement par une majorité de parlementaires issus des différents partis représentés à l’Assemblée, l’Union des forces démocratiques qui a constitué un groupe à part, et la majorité, mais non la totalité, des députés du Mouvement pour les droits et libertés et du Parti socialiste bulgare. Il s’agit donc d’un gouvernement d’union nationale soutenu par une majorité de députés au-delà des oppositions existant entre les quatre partis représentés au Parlement.

M. ROMAN (Espagne) (interprétation)

remercie M. le Premier ministre pour la clarté de ses réponses. Il voulait poser une question sur les conséquences pour la Bulgarie de l’embargo visant la Serbie, mais il considère que M. le Premier ministre a déjà répondu dans sa première intervention. Il lui demande quelles mesures de soutien il a sollicitées de la communauté internationale et quelles réponses il a obtenues.

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

ne rappelle pas les pertes que son pays a subies du fait de l’embargo. Il indique que la Bulgarie ne sollicite pas une aide financière directe, mais souhaite un soutien indirect, par exemple des facilités d’accès au marché des pays industriels et une action des gouvernements pour que les banques privées traitent avec plus de bienveillance la question de la dette extérieure bulgare. Si les banques privées ne sont pas responsables du conflit yougoslave, la Bulgarie ne Test pas non plus. C’est un fardeau à supporter en commun.

M. EFRAIMOGLOU (Grèce) (traduction)

Je profite de l’occasion qui m’est donnée ici, Monsieur Berov, pour vous redire notre soutien sans réserve, tant pour la recherche d’investissements que pour l’amélioration du niveau de vie de votre population.

Il y a quelque temps, un gouvernement bulgare, qui n’était pas le vôtre, Monsieur Berov, a affirmé publiquement qu’il existait des minorités bulgares dans des pays voisins. Si vous confirmez ces allégations, je vous serais très reconnaissant si vous pouviez nous apporter quelques précisions sur cette question, en citant les pays concernés, et nous dire ce que vous entendez faire pour soutenir les revendications desdites minorités.

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

indique qu’il s’agissait de la minorité bulgare de Serbie. La Bulgarie n’a aucune prétention territoriale mais elle doit rester attentive à cette question. Le Gouvernement serbe et le Gouvernement fédéral yougoslave ont cependant dit qu’ils avaient l’intention de respecter les droits de cette minorité.

M. MARUFLU (Turquie) (interprétation)

félicite le Premier ministre pour son discours et pour l’attitude très favorable qu’il a adoptée vis-à-vis de la population turque de Bulgarie. Il lui demande ce qu’il attend des négociations de Genève sur la Bosnie-Herzégovine et ce qu’il pense de la situation en Azerbaïdjan.

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

n’est pas devin mais croit que le conflit en Bosnie-Herzégovine ne trouvera pas facilement une solution et qu’il risque de constituer un précédent dangereux si Ton modifie des frontières sur des bases ethniques.

En Bulgarie, la population musulmane turque ne doit pas rencontrer de difficultés dans la pratique de sa religion et de sa langue.

S’agissant de l’Azerbaïdjan, M. Berov considère que les conflits de l’ancienne Union Soviétique devraient être réglés selon le même principe. Il ajoute que ces conflits trouvent leur origine dans les déplacements forcés de populations pratiqués sous le régime stalinien.

M. KELAM (Estonie) (traduction)

En tant que représentant d’un État qui a été également libéré d’un régime totalitaire, je suis particulièrement intéressé par l’état d’avancement du processus de privatisation et des investissements dans votre pays, Monsieur Berov. Je vous remercie de nous avoir informés sur ces questions dans votre exposé, mais j’aimerais avoir davantage de précisions quant au montant des investissements étrangers en Bulgarie. Les entreprises étrangères peuvent-elles librement rapatrier leurs profits? Les étrangers peuvent-ils acheter des terres en Bulgarie?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

rappelle que son gouvernement a présenté un programme de privatisation à la fin de l’an dernier. Jusqu’à présent, le rythme a été assez lent dans la mesure où n’ont été appliquées que des méthodes de privatisation individuelle. L’accélération de ce rythme supposerait que l’on en vienne aux méthodes de privatisation massives, comme c’est le cas dans d’autres pays de l’Europe de l’Est, mais les erreurs commises dans certains de ces pays ne devront pas être répétées.

Ces trois dernières années, le montant des investissements étrangers est resté assez faible, d’abord parce que la législation fiscale n’est pas encore achevée, ensuite parce qu’il subsiste au sein du pays des divergences politiques à ce sujet, divergences que le gouvernement de M. Berov tente d’aplanir.

Depuis un an, les investisseurs étrangers ont la possibilité de rapatrier leurs profits et cela sans restriction aucune. La Bulgarie offre un cours de change totalement libre.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Berov. On vous a interrogé sur la possibilité d’acheter des terres dans votre pays. Je suis sûr que l’Assemblée serait intéressée par votre réponse à cette question.

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

répond que l’achat de terres suppose d’abord un vendeur, puis, de la part de l’acheteur, des réserves financières afin de gérer et d’exploiter ces terres.

La réforme agraire en est encore à son tout début. Actuellement, un quart des terres a été restitué. A la fin de l’année, le pourcentage sera de 60. En conséquence, dès 1994, l’offre de terres à vendre sera plus large.

M. LOPEZ HENARES (Espagne) (traduction)

Vous nous avez dit, Monsieur Berov, que votre gouvernement s’était attaché à poursuivre l’action engagée par le précédent gouvernement démocratique, et qu’il avait cherché à rétablir un système qui fût l’émanation de la société civile. Je m’en félicite. J’ai cru comprendre que votre gouvernement avait tenté de balayer les survivances de l’ancien régime totalitaire. Cela étant, où en est l’application des lois de «décommunisation» adoptées par votre parlement suite aux propositions du précédent gouvernement?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

rappelle que la loi est faite par les parlements et que les gouvernements se contentent de les mettre en œuvre. La Bulgarie applique le principe de continuité des gouvernements et le nouveau gouvernement respecte les lois et promesses faites par les précédents.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Berov. Je constate que M. Masseret est absent. La parole est donc à M. Sole Tura.

M. SOLE TURA (Espagne) (traduction)

Au lieu de demander des compensations, ne serait-il pas préférable pour la Bulgarie et toute la région que Ton mette un terme à l’embargo contre la Serbie et le Monténégro, sans conditions complémentaires?

M. Bérov, Premier ministre de Bulgarie (interprétation)

considère qu’il est bien évidemment de l’intérêt de la Bulgarie que le problème de la Bosnie soit définitivement réglé. Dès lors, on pourra annuler tout embargo.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Berov. En réponse à l’un de nos collègues, vous avez dit que votre profession n’était pas de prédire l’avenir. Ce n’est pas non plus notre profession ni même notre responsabilité. Notre tâche est de construire l’avenir de nos peuples respectifs, et de l’Europe dans son ensemble. Telle est donc notre responsabilité commune. Je crois que vous l’avez fait par votre participation à notre débat aujourd’hui. Transmettez nos salutations à nos amis bulgares, en particulier au Président de l’Assemblée nationale, M. Jordanov, au Président Jelev et au peuple bulgare dans son ensemble. Merci, Monsieur le Premier ministre.