Alexis

Tsipras

Premier ministre de la République hellénique

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 22 juin 2016

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée, c’est un grand honneur pour moi de m’adresser aujourd’hui à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Je représente ici mon pays, la Grèce, et je souhaite tout d’abord exprimer mon émotion et ma reconnaissance: comme tout citoyen grec démocrate, je ne peux oublier le soutien important apporté par le Conseil de l’Europe à la lutte démocratique de la Grèce pendant la dictature des colonels. Cette institution a permis à ceux qui résistaient aux colonels de s’exprimer et de témoigner. Leur témoignage au sujet des prisonniers politiques et de la torture a été entendu partout en Europe. Le Conseil de l’Europe a ainsi isolé et condamné le régime des colonels. L’Assemblée consultative d’alors a su fermer la porte à la Grèce le 30 janvier 1969 en proposant au Comité des Ministres d’exclure la Grèce du Conseil de l’Europe.

Cette attitude résolument démocratique réside au cœur des valeurs, des principes et des objectifs du Conseil de l’Europe. Une telle attitude, unique parmi les autres organisations internationales, constitue une protection pour les droits de l’homme, le régime parlementaire et l’Etat de droit dans les pays membres. Elle fait honneur à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui constitue, avec la Charte sociale européenne, signée à Turin en 1961, la pierre angulaire des politiques européennes communes nées après la guerre.

La reconnaissance du droit des travailleurs à un salaire décent, la protection des droits syndicaux et de la négociation collective, le droit des personnes âgées de bénéficier d’une protection sociale, la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale: ce sont là autant de dispositions qui sont, ainsi que d’autres, incluses dans la Charte sociale européenne révisée. Ces dispositions ne fixent pas seulement l’acquis communautaire en matière de droit fondamentaux: elles nous indiquent le seul chemin qui conduise à une orientation européenne commune. Il s’agit là de la seule voie durable pour la démocratie sociale, pour garantir la dignité des citoyens européens et la cohésion sociale. De fait, la république et la démocratie sont en danger quand les droits sociaux ne sont pas garantis.

Notre pays, la Grèce, accusant un retard inacceptable, n’a ratifié la Charte sociale européenne qu’en 1984, soit 23 ans après son élaboration. Quant à la Charte sociale révisée de 1996, elle a été ratifiée par mon gouvernement en 2016, c’est‑à‑dire 20 ans après son adoption. Cette ratification est la preuve tangible de l’attachement de notre gouvernement à suivre une voie commune européenne mettant en son centre l’être humain et la justice sociale. Elle est en même temps la preuve de notre détermination à appliquer des politiques d’approfondissement de l’Etat social et de l’Etat de droit.

Toutefois, il est regrettable que la Charte sociale européenne n’ait pas de caractère contraignant. À travers la procédure de Turin, elle se contente de promouvoir les droits sociaux par le truchement des parlements nationaux. C’est pourquoi la Charte sociale européenne est certes une force équilibrante, mais elle est insuffisante pour lutter contre la déréglementation croissante et la destruction du modèle social européen. Même si la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît et incorpore les droits sociaux au droit primaire de l’Europe, cela n’est pas suffisant. Il est nécessaire qu’elle soit, non plus seulement un texte de reconnaissance et de recommandation, mais un texte d’action car, en Europe, les droits sociaux ne sont souvent pas protégés. Ils sont même sapés par ceux‑là même qui devraient en être les garants. Ce ne sont donc que des droits sociaux à la carte.

Les politiques d’austérité et de déréglementation imposées à travers les mécanismes de soutien financier amènent les Etats membres qui les subissent à ne pas respecter leurs obligations contractuelles découlant de la Charte sociale européenne. Le Comité européen des droits sociaux, dans sa jurisprudence récente élaborée à la suite de recours collectifs déposés par des organisations syndicales grecques, a ainsi considéré qu’un grand nombre des dispositions du programme de soutien à la Grèce violent la Charte sociale européenne. Cela ne peut et ne doit pas continuer. La Grèce a besoin aujourd’hui d’une réorganisation institutionnelle, mais son marché du travail est d’ores et déjà flexible: il ne faut pas lui imposer un nivellement par le bas.

Monsieur le Président, je m’exprime devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à la veille du référendum au Royaume‑Uni qui doit décider du maintien ou non de ce pays au sein de l’Union européenne. Vous me permettrez donc de donner mon avis sur cette consultation.

Nous sommes tous d’accord pour considérer que l’Europe se trouve aujourd’hui confrontée à une crise. Or le référendum qui aura lieu demain montre précisément la gravité de cette crise. Les formations politiques pro‑européennes ne peuvent qu’œuvrer pour que le Royaume‑Uni reste au sein de l’Union européenne. Cela dit, je suis persuadé que, quel que soit le résultat de cette consultation, les dégâts pour notre maison commune, l’Europe, seront très importants. Le «Brexit», synonyme d’un retour au splendide isolement du Royaume‑Uni, ne pourrait être qu’une mauvaise solution apportée au problème. En même temps, le statut spécial négocié par le Royaume‑Uni en cas de maintien dans l’Union européenne – fondé sur le refus de participer davantage à l’Europe et de garantir, au Royaume-Uni, les mêmes droits sociaux aux ressortissants européens qu’aux citoyens britanniques – est lui aussi le reflet d’une orientation conservatrice. Il s’agit là, à mon avis, d’un précédent tout à fait négatif pour l’Europe.

Toutefois, nous devons revoir les modalités de fonctionnement de l’Europe. Il nous faut comprendre qu’aujourd’hui le modèle social européen est en train de devenir néolibéral. Quel que soit le choix du peuple britannique, nous devons tous, à cet égard, nous poser des questions. L’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous devons profiter de cette crise pour procéder à une réforme critique de l’orientation européenne, essayer de modifier son modèle et ses règles de fonctionnement.

La gestion des trois crises simultanées et parallèles auxquelles l’Europe est confrontée – crise économique, crise des réfugiés et crise sécuritaire – a d’ores et déjà débouché sur une crise politique et sociale qui secoue l’Europe tout entière et met en péril l’unité européenne. Tant que les puissances dominantes en Europe continueront à prôner l’application des règles et à ignorer les problèmes, ces mêmes règles rendront les difficultés plus graves encore.

J’en veux pour preuve les pays dont la dette publique est élevée. Cette dette s’est encore accrue pendant la crise et sous l’effet des politiques d’austérité. Aujourd’hui, il s’agit là, selon moi, de l’obstacle le plus important au retour de la croissance. La seule manière crédible et durable de sortir de la crise est de rétablir la confiance des investisseurs. Or celle‑ci ne reviendra que si des pas décisifs vers un retour à une dette publique soutenable sont clairement accomplis. Les pays doivent pouvoir se financer seuls, de façon autonome, et avoir accès aux marchés. Bien évidemment, quand je parle de ces pays, je pense au mien, la Grèce.

Mesdames et Messieurs, l’échec du modèle néolibéral de gestion de la crise, avec l’austérité comme arme principale, est aujourd’hui une réalité et une menace. Les 22 millions de chômeurs que compte l’Europe prouvent que cette crise n’est pas derrière nous et qu’elle sévit encore. Le très grand nombre de chômeurs de longue durée en Europe, soit quasiment la moitié de ces 22 millions de chômeurs, l’atteste. Ce nombre a doublé entre 2008 et 2015, montrant bien qu’il s’agit d’un chômage structurel. En effet, 22 millions de chômeurs, dont la moitié de longue durée, c’est quasiment un pays entier rayé de la carte de l’Europe.

Le chômage de longue durée est un problème politique que doit affronter l’Europe. L’échec des politiques d’austérité marquées par la récession, le surendettement, la réduction des salaires et l’abaissement du niveau de vie de la majorité des Européens a montré que la difficulté est de dimension européenne.

Probablement, la compétition entre Etats sur les salaires se poursuit. La cohésion économique entre Etats membres n’est plus d’actualité et la différence entre les pays du Nord et les pays du Sud s’accentue. Le repli national et la compétition entre les Etats est devenue la règle. Le résultat, c’est dans le sud de l’Europe, l’accroissement de l’euroscepticisme et, dans le nord de l’Europe, la tendance à l’exception, aux dérogations et à la sortie de l’acquis communautaire.

L’échec de ce modèle néolibéral de gestion de la crise a fait grandir le monstre du nationalisme, du fanatisme et du populisme. L’extrême droite est passée de la liste noire des coupables de l’histoire au devant de la scène politique. Dans certains pays, l’extrême droite constitue aujourd’hui une menace et vise le pouvoir politique.

Cette Europe des défis et des contradictions, cette Europe qui ferme ses frontières aux réfugiés et les ouvre à l’austérité, cette Europe de la souveraineté nationale quand il s’agit d’imposer des règles communes aux réfugiés mais qui l’oublie quand il s’agit d’appliquer l’austérité, cette Europe qui dévalorise toute seule ses valeurs fondamentales, mettant en péril son unité et sa cohésion, est une Europe en crise profonde. C’est une Europe qui ne parvient plus à convaincre les peuples qu’ils ont tout intérêt à la renforcer et à la soutenir.

Car il est évident que la réponse aux multiples crises que traverse l’Europe ne peut être ni le modèle néolibéral ni un modèle de repli nationaliste. Nous devons changer de cap, et très rapidement. Nous devons agir collectivement, sans idée préconçue, loin de toute idéologie, en revenant aux valeurs fondamentales de l’Union européenne et aux principes de démocratie, de justice, de solidarité, d’égalité et de respect des droits de l’homme et des droits sociaux.

Pour atteindre notre objectif commun et renforcer notre cohésion, nous avons besoin non de moins d’Europe mais de plus d’Europe et surtout d’une meilleure Europe. Pour ce faire, nous devons changer de politique, soutenir la démocratie, retrouver les citoyens européens en renforçant les institutions de gouvernance démocratique et en combattant les inégalités.

Nous devons aussi renforcer l’Europe sociale. Cela nécessite de nous accorder sur la cohésion sociale. Nous ne devons pas opter pour les politiques les moins avantageuses pour les salariés et les peuples européens. Nous avons besoin de définir un nouveau contrat social pour l’Europe. C’est pour cela que nous devons nous battre.

Mesdames et Messieurs, comme la crise économique, la crise des réfugiés et des migrants constitue un enjeu pour l’Europe, et nous met aujourd’hui au défi de l’affronter en créant des mécanismes communs à même de promouvoir les valeurs européennes.

Vous le savez, la Grèce s’est trouvée au cœur de la plus grande crise des réfugiés que l’Europe ait eu à affronter depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le peuple et le Gouvernement grecs, des bénévoles grecs et étrangers, les pouvoirs locaux, en Grèce continentale et sur les îles, ont fourni quotidiennement des efforts considérables pour faire face à la situation et accueillir le million de réfugiés et de migrants au moins qui ont transité par la Grèce en 2015. Plus de 170 000 vies ont été sauvées en mer. La plupart des rescapés étaient des enfants, des personnes âgées et des personnes en difficulté. Je suis heureux de voir aujourd’hui ces efforts reconnus par le Conseil de l’Europe, qui vient d’accorder un prix à deux ONG grecques.

Bien entendu, ces efforts se poursuivent, car la Grèce accueille encore 58 000 réfugiés et migrants. En vingt jours, depuis que les pays des Balkans ont décidé de façon unilatérale de fermer leurs frontières malgré la décision contraire prise par le Conseil européen, 58 000 personnes se sont trouvées bloquées dans notre pays. Ce nombre peut vous sembler très faible, mais comparé à la population grecque, il ne l’est pas: il représenterait 580 000 personnes pour l’Allemagne, 520 000 pour la France et 480 000 pour l’Italie.

Le désespoir de ces personnes bloquées en Grèce a abouti à la création du camp d’Idomenie à la frontière avec l’ex‑République yougoslave de Macédoine. Ce camp a été évacué de façon pacifique après huit semaines. Dans d’autres pays, les campements illégaux sont évacués violemment. Aujourd’hui, nous avons réussi à créer 55 000 places d’accueil en Grèce. Les conditions de vie n’y sont pas partout idéales, mais nous les améliorerons chaque jour autant que faire se peut. Nous leur offrons aujourd’hui tous les services de première nécessité et nous œuvrons pour améliorer les conditions de vie des réfugiés et des migrants dans ces camps.

Nous nous fondons sur le financement européen et nous coopérons avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et les organisations non gouvernementales qui, d’ailleurs, reçoivent les deux tiers de ces fonds européens. Nous essayons de faire face aux difficultés quotidiennes en enregistrant et identifiant toute personne qui arrive dans les îles grecques. Nous prenons soin d’eux à partir du moment où ils s’engagent dans procédure de demande d’asile.

Le service de demande d’asile, en application du droit européen et international, informe tous les réfugiés et les migrants de leurs droits et de leurs obligations. Il examine les demandes individuellement et dans le respect des droits de chaque requérant. Je souligne qu’il s’agit de demandes d’asile pour la Grèce. Comme Frontex et certaines ONG l’ont signalé, les migrants ont été encouragés à déposer des demandes d’asile non dans le but de rester en Grèce, mais dans l’espoir de la réouverture prochaine des routes vers les autres pays. Je veux remercier la Commission européenne et le service européen d’aide à l’asile (EASO), pour leur soutien et leur attitude responsables.

Nous prenons particulièrement soin des groupes vulnérables. Nous sommes attentifs aux mineurs non accompagnés et aux demandes de regroupement familial pour les personnes bloquées dans notre pays après la fermeture unilatérale de la route des Balkans. Leurs demandes sont examinées en priorité. Dans des structures dédiées, nous accueillons environ 500 enfants non accompagnés. Sur la base du plan d’action élaboré avec l’aide du Haut‑Commissariat aux réfugiés des Nations Unies et des ONG, nous allons créer des structures supplémentaires pour accueillir 400 enfants dans le courant du mois de juillet.

En parallèle, nous planifions une série d’actions à long terme: la création d’un registre de tuteurs, le renforcement du système de placement en famille d’accueil, le développement d’une plateforme électronique pour l’enregistrement et le suivi du parcours des mineurs. Dans ce domaine qui est pour nous prioritaire, nous espérons bénéficier de la contribution de la Banque de développement du Conseil de l’Europe. Nous allons demander à la Commission européenne que les enfants non accompagnés de moins de 10 ans, qui sont bloqués sur notre territoire depuis le 19 mars, soient inclus en priorité dans le programme de relocalisation vers d’autres pays de l’Union européenne, quelle que soit leur nationalité. Je suis sûr que vous comprenez pleinement cette démarche.

Comme la crise financière, la crise migratoire ne trouvera sa solution ni dans le nationalisme ni dans les attitudes de retranchement, pas plus que dans des politiques qui font peser toutes les charges aux pays les plus vulnérables ou qui violent les droits des peuples les plus vulnérables.

Les politiques xénophobes, les politiques des murs, les refoulements vers la mer et les actes unilatéraux sont contraires aux principes et aux valeurs de l’Europe et mettent son avenir en péril. La Grèce continue de combattre ces politiques. La crise est un défi européen et international qui exige une politique solidaire. Ce n’est que tous ensemble, en Europe, et en coopérant avec les pays de transit et les pays d’origine, que nous serons capables de répondre à ce phénomène. Il faut mettre l’accent sur la résolution des conflits par des politiques de coopération humanitaire et en liant notre politique de migration à la dimension extérieure des politiques de l’Union européenne.

C’est pourquoi la Grèce a renforcé sa coopération avec la Turquie. Ce pays, avec le Liban et la Jordanie, a assumé l’immense charge d’accueillir environ trois millions de réfugiés. La collaboration entre l’Europe et la Turquie, les opérations afférentes de l’Otan en mer Egée et les immenses efforts déployés par les autorités grecques, turques et européennes, ont permis de réduire les flux de migrants et réfugiés enregistrés quotidiennement dans les îles de la mer Egée de 7 000 à 8 000 en novembre à moins de 1 000 aujourd’hui. Plus important encore, nous n’assistons plus, sur les routes des passeurs, aux décès tragiques qui ont marqué la période antérieure. Pour la première fois, aux voies irrégulières des passeurs s’est substituée une voie légale de réinstallation dans les pays de l’espace Schengen depuis la Turquie. Ainsi la situation précédente, dont nous avions tous honte, a cessé. Cette nouvelle voie a déjà été utilisée par des centaines de réfugiés au cours des derniers mois. Nous pensons qu’elle deviendra une voie permanente pour des milliers de réfugiés qui veulent s’installer en Europe.

Nous avons déployé beaucoup d’efforts, mais beaucoup reste à faire pour améliorer les procédures de gestion des migrations dans notre pays. Tous les jours, les services de l’asile et le ministère des Migrations, qui n’existait même pas il y a trois ou quatre ans, sont appelés à assumer la plus grande charge de flux en Europe. Ils déploient d’immenses efforts.

Je veux maintenant remercier publiquement le peuple grec, l’homme de la rue, les volontaires, les ministères, en particulier le ministre des Migrations, M. Mouzalas, qui lutte quotidiennement pour gérer ces problèmes de manière humaine et efficace. M. Mouzalas ne vient pas de la sphère politique, mais en tant que médecin et membre de plusieurs organisations humanitaires, il a réussi à organiser avec humanisme la coordination entre tous ceux qui contribuent au niveau local et international à la gestion du problème. Les conditions de vie ne sont pas idéales mais nous espérons que désormais, une répartition équitable des réfugiés évitera de faire peser toute la charge sur les pays en première ligne. Nous attendons de nos partenaires qu’ils assument leur part de responsabilité dans un esprit de solidarité, conformément aux valeurs européennes auxquelles ils ont choisi d’adhérer. La solidarité signifie que le problème est réellement partagé entre tous. Soutenir un pays obligé d’agir pour le résoudre ne suffit évidemment pas. Nous demandons donc une accélération substantielle des procédures de relocalisation et de réinstallation des réfugiés.

Par ailleurs, les Accords de Dublin doivent être réformés afin que chaque pays assume la charge qui lui incombe. Nous souhaitons renforcer notre coopération avec le Conseil de l’Europe et bénéficier de son assistance en matière d’infrastructures et de savoir‑faire dans le domaine des droits de l’homme. C’est avec un plaisir tout particulier que j’ai récemment accueilli en Grèce le Secrétaire Général et le Président de l’Assemblée parlementaire. Nous avons abordé, lors de leur visite, la question de notre coopération.

Nous ne pourrons faire face à la crise des réfugiés qu’en nous penchant sur ses causes profondes, qu’il s’agisse de conflits armés, des inégalités sociales, de la paupérisation, de violations des droits de l’homme ou du changement climatique. Nous devons renforcer notre coordination pour faire front à la menace terroriste qui pèse aujourd’hui sur l’Europe, qu’elle vienne de l’extérieur du continent ou de l’intérieur des pays européens eux‑mêmes. Nous devons trouver des solutions pour protéger les citoyens européens et pour défendre nos valeurs. Ces solutions doivent nous permettre de faire face au terrorisme à l’étranger et d’aider les pays en guerre à avancer vers la paix, la reconstruction et la réconciliation.

En tant que pays européen et que pays de la Méditerranée orientale, la Grèce poursuit activement une politique extérieure multidimensionnelle. En cette période de forte déstabilisation et de conflits, nous insistons sur la nécessité d’une collaboration bilatérale et multilatérale avec les pays de la Méditerranée orientale, les pays voisins de la Mer morte et les pays des Balkans. Nous attachons une grande importance au droit international pour la défense de nos droits souverains et nous appuyons les négociations pour une solution équitable à la question chypriote, sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité de l’Onu et du statut de Chypre comme membre de l’Union européenne. Nous souhaitons parvenir à une solution pacifique afin d’apporter la sécurité aux Chypriotes grecs et turcs, sans forces d’occupation ni système anachronique de garantie. Nous sommes favorables aux initiatives prises par l’Onu afin de rétablir la paix et la stabilité en Ukraine, en Syrie, en Irak et en Libye. Nous appuyons également la reprise de pourparlers au Moyen‑Orient afin d’aboutir à la création d’un Etat palestinien souverain, qui pourra coexister de manière pacifique avec Israël. La Grèce renforce le contrôle de ses frontières et collabore avec ses partenaires pour faire face à la menace de l’extrémisme radical et terroriste, dans le respect du droit international, du droit européen et des droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs, une grande partie des efforts que nous avons déployés au cours des 18 mois derniers visaient à faire face à la crise des migrants et à la crise financière, mais aussi au défi sécuritaire en Europe. Nous avons néanmoins agi dans plusieurs autres domaines afin d’améliorer la protection des droits fondamentaux en Grèce. Ainsi, au mois de décembre dernier, nous n’avons pas hésité à instituer un pacte civil de solidarité (PACS) pour les couples homosexuels, mettant ainsi fin à une situation injuste pour certains de nos citoyens. Nous avons ouvert un nouveau cycle d’égalité devant la loi et de dignité pour tous, quels que soient le genre ou l’orientation sexuelle, nous démarquant ainsi des discours des prédicateurs de la peur et de l’intolérance. Nous sommes fidèles, ce faisant, à notre héritage démocratique et nous améliorons la vie quotidienne de nombreux citoyens grecs. La reconnaissance légale des couples homosexuels a permis de leur donner des droits en matière d’héritage, d’imposition et d’assurance. Il nous reste encore beaucoup à faire pour combattre les discriminations et le racisme, mais nous progressons chaque jour davantage.

La Grèce a également modifié sa législation afin d’octroyer la nationalité grecque aux enfants d’immigrés de la deuxième génération, nés et étudiant en Grèce. Enfin, nous avons prévu plusieurs dispositions législatives afin d’améliorer la situation de nos prisons et de faire face à la surpopulation carcérale. Les prisons seront désormais rattachées au système de santé. Les détenus auront accès à des structures de désintoxication, ce qui contribuera à améliorer les conditions de détention.

Nous travaillons par ailleurs à moderniser les structures destinées à soutenir la population rom, soit un groupe vulnérable. Un mécanisme national de surveillance a été mis en place à destination de cette minorité et nous allons créer un secrétariat général au sein du ministère de la Solidarité sociale, doté de compétences accrues et chargé de régler les problèmes les concernant.

Prochainement, la construction d’une mosquée et d’un cimetière musulman, envisagée depuis longtemps, va commencer à Athènes. Nous avons lancé ce projet non seulement parce que nous respectons nos citoyens musulmans, mais aussi parce qu’il est de notre devoir de défendre activement nos propres principes et nos propres valeurs.

Aujourd’hui, l’Europe doit faire face à un double défi, celui de rétablir la stabilité économique et celui de protéger les droits sociaux et la cohésion sociale. L’Assemblée parlementaire est un organe fondamental du Conseil de l’Europe, une Organisation qui contribue à définir des normes dans les domaines de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme. Votre Assemblée a le privilège et la responsabilité de représenter la voix de la conscience des sociétés européennes.

Votre tâche est difficile car vous devez rechercher, trouver et examiner les meilleures réponses et solutions possibles face à des évolutions que peuvent menacer la construction européenne et les droits de l’homme.

La Grèce estime que le rôle du Conseil de l’Europe, en tant que force unificatrice fondée sur des valeurs et des principes communs, est irremplaçable. Il contribue et continuera à contribuer de toutes ses forces à l’atteinte de ses objectifs. Permettez‑moi de souligner, à ce stade, notre attachement à la construction d’une Europe démocratique et solidaire, d’une Europe de la tolérance, et d’une Europe fondée sur les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe. Cela est par ailleurs dicté par les défis auxquels nous devons faire face dans notre pays, ainsi que par notre tradition institutionnelle et constitutionnelle. Je suis sûr que vous allez mener votre mission à bien, de la meilleure manière possible. Je compte sur les efforts que vous déploierez, estimant qu’ils sont irremplaçables.

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

Nous avons malheureusement épuisé presque tout le temps qui nous était imparti. Il va donc être difficile d’entendre tous les orateurs inscrits. Je donnerai donc la parole aux cinq porte‑parole des groupes politiques dont les questions seront regroupées. S’il nous reste du temps, nous poursuivrons la liste des orateurs.

M. KOX (Pays‑Bas), porte‑parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit, nous vivons une époque dangereuse. Les tensions sur notre continent sont toujours croissantes et la coopération internationale est menacée. Nous constatons également des tensions entre le plus grand Etat membre du Conseil de l’Europe, la Russie, et l’Union européenne. Des sanctions sévères ont été prononcées à l’encontre de la Russie, sanctions qui pourraient être reconsidérées dans un avenir proche.

Vous êtes désormais connu à Bruxelles comme à Moscou. Voyez‑vous une issue à cette situation?

M. EẞL (Autriche), porte‑parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, la crise des réfugiés est un défi que la Grèce ne peut, seule, relever. D’autant qu’elle s’est mise dans une situation économique très difficile. Vous parlez de l’échec du néolibéralisme, mais le modèle communiste a également échoué.

Des finances publiques saines constituent un élément important pour le bien‑être des populations. Que fait le Gouvernement grec pour améliorer sa situation financière? Quand la Grèce sera‑t‑elle de nouveau en mesure de se financer sur le marché des capitaux?

Mme MIKKO (Estonie), porte‑parole du Groupe socialiste (interprétation)

Monsieur Tsipras, il est parfaitement clair que, s’agissant de la crise des réfugiés, l’Europe va faire preuve de solidarité. C’est l’une de nos valeurs fondamentales. Cependant, nous devons tenir compte de l’avis des réfugiés. Il existe quelques préoccupations s’agissant du respect de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention de Genève. Comment votre gouvernement a‑t‑il mis en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière?

Mme BRASSEUR (Luxembourg), porte‑parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir accepté mon invitation à vous adresser à cette Assemblée.

Votre pays a traversé une période de rigueur budgétaire sévère. Voyez‑vous le bout du tunnel et comment appliquez‑vous le principe de responsabilité et de transparence, sachant que tout le monde doit pouvoir tirer parti de ces réformes afin de pouvoir vivre dans la dignité, la certitude et la sérénité?

M. OBREMSKI (Pologne), porte‑parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

La lutte contre la crise économique en Grèce se poursuit depuis plusieurs années. Quelle est la principale erreur qu’ont commise l’Union européenne et l’eurozone dans leurs conseils ou ultimatums donnés à la Grèce? Ou bien les erreurs ont‑elles été commises uniquement par la Grèce, dans le passé? Je pose cette question car la réponse serait utile non seulement pour la Grèce, mais également pour repenser l’Europe.

M. Tsipras, Premier ministre de la République hellénique (interprétation)

Monsieur Kox, s’agissant des sanctions prononcées à l’encontre de la Russie, je suis intimement convaincu que nous ne pourrons pas aller très loin si nous revenons à la Guerre froide. Mais je suis également convaincu que les violations du droit international doivent être condamnées. Cependant, après avoir constaté ces violations, nous devons trouver un moyen de coopérer, de nous mettre d’accord pour que tout le monde se conforme au droit international par le dialogue et des pourparlers.

Jusqu’à présent, ces sanctions n’ont pas été efficaces. Or nous ne pouvons pas envisager une architecture de sécurité commune en Europe sans y inclure la Russie. Nous devons donc avancer, petit à petit, pour que l’Accord de Minsk soit appliqué. Il s’agira alors du premier pas pour sortir de ces sanctions et améliorer la relation entre l’Union européenne et la Russie.

S’agissant de la deuxième question, nul ne conteste que le modèle communiste a échoué. Mais le modèle néolibéral également. Nous devons trouver la voie qui permettra de ramener l’Europe vers ses valeurs fondatrices, des valeurs de cohésion sociale, de démocratie et de solidarité.

Quand la Grèce va‑t‑elle sortir de la crise? La question préoccupe des millions de mes concitoyens. Le peuple grec a beaucoup souffert ces six dernières années et certains disent que nous n’avons pas bien appliqué les programmes qui nous auraient permis de sortir de la crise. En réalité, c’est parce que ces programmes n’ont pas été bien conçus qu’ils ont été mal appliqués. Pensant que l’économie grecque pourrait revenir rapidement à la croissance, les effets des mesures qui ont conduit la Grèce à la récession ont été mal évalués.

Pour la première fois, nous avons adopté un programme modéré d’ajustement de la dette qui ouvre la voie à une sortie de la récession – à condition qu’une fois que la Grèce aura rempli ses obligations, ses partenaires remplissent les leurs, en particulier en ce qui concerne l’allègement de la dette. Un premier pas a déjà été franchi avec l’accord trouvé lors de la réunion de l’Eurogroupe du 24 mai dernier, qui permettra aux dettes de la Grèce de ne pas dépasser 15% du produit intérieur brut. Cette décision est juste non seulement pour la Grèce, mais aussi pour l’Europe entière. En véritables europhiles, en effet, il ne faut pas nous contenter de favoriser l’intérêt de notre propre pays, mais plutôt rechercher le bien‑être de tous les peuples européens. C’est pourquoi je demeure persuadé qu’il faut affronter la question de la dette publique de la Grèce comme celle d’autres Etats européens: la mutualisation de la dette est en effet une piste prometteuse, même si les décisions prises concernant la Grèce restent à concrétiser plus rapidement. Gardons‑nous en effet de mettre des années à appliquer les mesures qui nous paraissent pertinentes aujourd’hui.

S’agissant de l’application de la Convention de Genève, Madame Mikko, je serai très clair: la Grèce s’est trouvée tout au long de cette période de crise dans une situation extrêmement difficile. Elle a dû accueillir les réfugiés en application des conventions européennes tout en subissant les conséquences de la décision unilatérale de fermer la frontière septentrionale du pays. Dans ces conditions, le risque était grand que des milliers de personnes – songez qu’il arrive chaque jour 5 000 à 7 000 réfugiés sur les côtes grecques! – se trouvent bloquées dans le pays, dans une situation très dangereuse. Nous sommes sortis de cette impasse en démontrant que l’Europe a un visage humain, et nous sommes parvenus à surmonter la crise des réfugiés dans le respect du droit humanitaire international, des droits de l’homme et de la Convention de Genève. Aujourd’hui, chaque demande d’asile est étudiée au cas par cas; les droits de chaque réfugié sont respectés conformément à la Convention de Genève. Les instances chargées d’instruire les demandes d’asile statuent sur chaque dossier de façon individualisée.

Madame Brasseur, depuis le début de la crise et la conclusion d’un premier accord sur la dette, des élections se sont tenues en Grèce au terme de la signature d’un programme. Le peuple grec s’est prononcé en toute connaissance de cause. Le gouvernement émanant de ce scrutin a appliqué l’accord préalablement signé, mais il a aussi reçu le mandat de négocier un nouvel accord, ce que nous avons fait: nous sommes arrivés à un compromis et avons demandé au peuple grec du juger. En septembre 2015, le peuple grec nous a demandé de poursuivre dans cette voie et d’appliquer ce nouveau programme très strict tout en protégeant les droits sociaux et les catégories les plus vulnérables. J’espère que nous y parviendrons sans franchir les lignes rouges que nous nous sommes fixées.

À qui la faute, me demandez‑vous, Monsieur Obremski? L’Union européenne serait‑elle seule responsable de la crise qu’a traversée la Grèce? Je n’aime pas stigmatiser nos partenaires. Il va de soi que les erreurs commises sont avant tout celles des gouvernements grecs eux‑mêmes qui, après l’adoption de l’euro, n’ont pas su tirer parti de la croissance et ont préféré s’attacher à l’organisation des Jeux olympiques plutôt qu’à la fondation d’un Etat moderne. Vous connaissez la suite: le surendettement qui en a découlé nous a conduits à la situation actuelle. Je le répète: la responsabilité de la crise incombe donc aussi aux gouvernements grecs.

Cela étant, lorsque la faillite s’est produite et que la Grèce n’a plus été en mesure d’emprunter sur les marchés, les décisions européennes ont contribué à aggraver la situation. Au début de la crise, le taux de chômage de la Grèce était comparable à celui de l’Allemagne – de l’ordre de 7,5 % contre 7 % environ. Aujourd’hui, le taux de chômage de l’Allemagne est inférieur à 7 % tandis que celui de la Grèce dépasse 20 %: c’est la preuve de l’échec de la politique d’austérité imposée à la Grèce. Tout a commencé par une situation de surendettement.

À mon sens, l’erreur principale de l’Union européenne est de n’avoir pas cru en ses institutions et d’avoir confié les décisions à prendre aux technocrates plutôt qu’aux responsables politiques.

Aujourd’hui, l’Europe se trouve confrontée à une crise politique, une crise démocratique, une crise de confiance. Les citoyens européens ne font plus confiance à l’Europe. C’est la conséquence des politiques qui ont échoué, non seulement en Grèce mais également en Espagne, au Portugal et dans d’autres pays du sud européen.

J’ai répondu à toutes les questions posées, mais si nous avons le temps je suis prêt à répondre à d’autres questions.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, nous n’avons plus le temps. Merci d’être venu vous adresser à nous. Nous nous réjouissons de notre future coopération.

Ceux d’entre vous, qui, présents dans l’hémicycle, n’ont pu poser leur question à M. le Premier ministre, peuvent la transmettre au service de la séance, et obtenir une réponse écrite qui sera publiée dans le compte rendu officiel.